Catéchèses Paul VI 17125

17 décembre 1975: OUI ! DIEU EST AMOUR !

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Chers Fils et Filles,



L’Année Sainte est terminée, peut-on dire. Il ne reste qu’à attendre la fermeture de la Porte Sainte pour sceller de cette manière symbolique le souvenir de la miséricorde divine que nous avons reçue et du programme de vie nouvelle qu’ont élaboré nos consciences. A l’approche de cette conclusion nous nous demandons quel est le résultat, quel est le sens de cette célébration à laquelle l’Eglise a attribué tant d’importance, pour elle-même et pour le monde. Faire la synthèse de cet événement n’est guère facile. Mais laissant faire le temps et confiant aux spécialistes le soin de décanter l’expérience spirituelle de l’Année Sainte, nous pouvons une fois de plus, en guise de résumé empirique, mais substantiel, du grand et spectaculaire phénomène auquel nous avons tous participé, nous y arrêter en relevant qu’il a été un moment éminemment, mieux, exclusivement religieux. On ne saurait définir l’Année Sainte sous l’aspect extérieur, touristique ou social, ou folklorique ou encore moins, économique, triomphaliste, pas plus que sous l’aspect intérieur, humaniste ou idéologique ; on la définira simplement et globalement sous son aspect religieux. Les personnes isolées, les familles, les sociétés, les groupes, de pèlerins qui y ont pris part et lui ont donné son caractère, ont voulu accomplir comme présent, un acte, un effort, un programme de renouvellement et de réconciliation. Ces deux termes resteront gravés, nous l’espérons, dans la conscience, dans l’histoire de cette génération-ci. L’Eglise a pleuré, secrètement, a prié collectivement, a célébré ses rites et ses saints mystères, publiquement. Elle a pris pour elle-même et manifesté devant la société des attitudes de religiosité spontanée, sincère et profonde. C’est un fait saillant, d’une grande importance. Dans l’immense remue-ménage de la vie contemporaine une lampe, c’est-à-dire l’affirmation religieuse de l’Année Sainte, s’est allumée et a illuminé le panorama de la terre ; seuls les grands territoires des pays réfractaires à la lumière religieuse à cause de leur athéisme aveugle sont malheureusement, restés — et pas entièrement peut-être — dans l’obscurité, dans la pénombre.

Avançons maintenant d’un pas dans nos observations. Quel sens, quel nom donnerons-nous au fait religieux que, Nous l’avons déjà dit d’autres fois, nous sommes en train de qualifier ? Le sens général de l’Année Sainte est celui d’un acte de foi ; mieux encore, c’est un acte de foi qui inscrit la foi dans un acte d’espérance, c’est-à-dire d’attente des destinées futures, celles qu’on qualifie d’eschatologiques, c’est-à-dire ultimes et dont nous avons un avant-goût dès à présent ; destinées que maintenant, nous préparons en combinaison avec des destins divins — mystérieux mais pas entièrement inconnus — situés au-delà de la fluide histoire humaine qui coule vers l’embouchure d’une éternité apocalyptique. La religion continue à s’imposer; et, plus que jamais, elle s’impose comme le complément nécessaire et heureux qui remplit le vide, c’est-à-dire, le besoin spirituel de l’humanité, croissant précisément en fonction de ses progrès dans la culture et dans la conquête du monde. Oh ! pour effacer l’écho d’une cloche stupide qui a faussement tinté à notre époque, nous dirons en terminant joyeusement notre Année Sainte : « Dieu n’est pas mort » ! Dieu est plus que jamais resplendissant sur le ciel nuageux de notre temps. Notre religion dévoile la vérité, le sens de la vie; avec ses espérances, notre religion confère à la vie sa vraie valeur, la raison évidente de la vivre courageusement, en tout honnêteté et dans toute sa plénitude... Puis, le mot suprême ! dites-les vous-mêmes si vous l’avez découvert en accomplissant les modestes observances de l’Année Sainte. Le mot le plus exaltant et le plus profond ; le mot qui, rapporté à son sens suprême et authentique comprend tout, explique tout : le mot « Amour » : Dieu est Amour ! Voilà la révélation ineffable dont le Jubilé, avec son enseignement, son indulgence, son pardon et, finalement, avec sa paix pleine de larmes et de joies a voulu remplir notre esprit aujourd’hui et demain, la vie, pour toujours : Dieu est Amour ! Dieu m’attendait et je l’ai retrouvé ! Dieu est miséricorde ! Dieu est pardon ! Dieu est salut ! Dieu, oui, Dieu est la vie ! (cf.
1Jn 4,16).

Et comme Dieu est, pour lui-même, objet infini d’Amour, qu’il est Amour, pour nous, qu’il nous a, Lui, aimé le premier (cf. Jr 31,3 1Jn 4,10 St François de Salles, Theot. II, 9), nous avons un inépuisable motif pour comprendre et accomplir le commandement principal de l’Evangile, celui d’aimer Dieu nous aussi, de l’aimer « de tout notre coeur et de tout notre esprit » (Mt 22,37).

Nous savons que ce summum inexprimable devrait nous mettre en extase comme cela arriva à tant de Saints et comme y parviennent silencieusement tant d’âmes pures et pieuses ; mais pour nous, fils de la terre et du temps, il est à peine possible de savoir ce qu’il représente : Oui ! Dieu est amour ! Mais jouir de cette vérité qui nous a été donnée reste toujours difficile ; nous retombons aussitôt dans le cercle de notre expérience humaine, sensible et logique ; comment pourrions-nous rester suspendus dans la contemplation de cette aveuglante Réalité ?

Oh Frères et Fils ! nous arrêtons ici notre discours et concluons les méditations de l’Année Sainte, non sans vous faire une double et solennelle recommandation.

Voici la première : refaites-vous une conscience plus pleine, plus amoureuse de Jésus, dans son Evangile, dans la théologie de l’Eglise, dans la spiritualité des Saints, en vous souvenant toujours de ce mot-clé qui nous permet de nous élever de la connaissance du Christ à la connaissance de Dieu, notre Père qui est dans le mystère des cieux : Jésus a dit en effet : « Qui me voit, voit également mon Père » (Jn 14,9). Voilà l’échelle théologique pour les sages et les mystiques ; voilà le sentier accessible également aux petits et aux humbles (Mt 11,25) ; c’est là, la voie qui conduit à la vérité et à la vie (Jn 14,6).

Et l’autre recommandation complémentaire est encore plus accessible à notre commune profession religieuse, concrète et humaine : aimez vos Frères ! aimez les hommes qui ont besoin de votre amour et de votre service ! (cf. 1Jn 4,19-21). Ce sera la charité fraternelle et sociale, réanimée, multipliée dans les bonnes oeuvres qui non seulement témoignera de notre fidèle dévouement à l’Année Sainte, mais en démontrera tout autant la fécondité et l’actualité même au cours des années à venir (cf. Message de la Conférence Episcopale Italienne, 15 décembre 1975).

Avec notre Bénédiction Apostolique !





31 décembre 1975: LA CIVILISATION DE L’AMOUR

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Chers Fils et Filles,



Nous voici de nouveau en conversation avec les Visiteurs de notre Audience générale hebdomadaire. L’Année Sainte est finie, mais la vie continue et, mieux encore, elle voudrait retirer de ce moment de plénitude spirituelle et d’engagement moral que fut l’Année Sainte, une certaine orientation logique et une certaine inspiration féconde.

Nous commencerons par vous dire, très chers Frères et Fils qui êtes accourus aujourd’hui à cette Audience, que nous ne vous considérons pas comme des visiteurs tardifs et exclus de cette communion parfaite qui est toujours la raison d’être de cette rencontre familiale. Nous viennent en mémoire les paroles de Saint Paul dans sa seconde Epître aux Corinthiens ; elles sont pleines d’affectueux accueil : «Notre coeur s’est grand ouvert pour vous... payez-nous donc de retour ; je vous parle comme à mes enfants, ouvrez tout grand votre coeur, vous aussi » (
2Co 6,11-12).

Donc, même si les circonstances sont nouvelles, le discours continue et nous voulons le rattacher à cette expression programmatique qui nous vint aux lèvres au moment même de la conclusion de l’Année Sainte, lorsque nous avons exhorté chacun à promouvoir; un peu comme son couronnement heureux, « la civilisation de l’amour ». Oui, voilà ce que devrait être, spécialement sur le plan de la vie publique, la conclusion de l’heure de grâce et de bon vouloir que fut l’Année Sainte et, mieux encore, le commencement de la nouvelle heure de grâce et de bon vouloir que le calendrier de l’histoire ouvre devant nous : la civilisation de l’amour !

Par quelle pensée allons-nous commencer ? Au colloque que nous avons maintenant ne préside aucun dessein rationnel et organique. En ce cas, nous devrions commencer par Dieu, qui Lui-même est Amour (1Jn 4,16) par excellence infinie et qui, de l’amour envers lui, a fait le premier et total commandement (cf. Mt 22,37) ; en y joignant le commandement qui en découle, l’amour envers notre prochain. Il a énoncé le principe résumant tous nos devoirs (ibid. Mt 22,39-40). Mais maintenant, cela restant acquis et presque par nécessité didactique et pratique, nous plaçant sur le plan concret et immédiat, nous nous répétons la question : si nous voulons promouvoir la civilisation de l’amour, quel sera le premier, le principal objet de notre programme renouvelé et rénovateur ? Nous tournons notre regard vers la mouvante situation historique où nous nous trouvons ; et alors, toujours observant la vie humaine, nous voudrions lui ouvrir des voies de meilleur bien-être, de civilisation animée par l’amour, comprenant par civilisation ce complexe de conditions morales, civiles, économiques qui assurent à la vie humaine sa meilleure possibilité d’existence, sa raisonnable plénitude, son heureux destin éternel.

Et voilà qu’aussitôt, envahis de crainte, nous nous mettons sur la défensive. La vie est menacée aujourd’hui. Et si nous voulons défendre son sort, garantir son bien-être, nous ne saurions, dès ce moment, nous trouver autrement que sur la défensive. Au lieu d’en célébrer la beauté et la fortune, nous devons avoir conscience des dangers, des maux qui la menacent. L’amour est vigilant et il prend conscience des conditions malheureuses dans lesquelles la vie se trouve encore aujourd’hui.

Hélas ! ce n’est pas un seul malheur qui pèse sur l’existence humaine : et nous qui rêvions pour elle d’un climat de dignité et de bien-être, nous nous trouvons sur le champ obligés de faire un diagnostic, assez vaste et assez complexe, qui révèle douleurs, désordres, périls, auxquels nous ne saurions rester indifférent.

Adressons-nous à nous-même, immédiatement, une question : et si c’était là notre destin de nous déclarer « médecin » de cette civilisation à laquelle nous songeons, la civilisation de l’amour ? Notre premier devoir est précisément ceci : nous consacrer aux soins, au réconfort, à l’assistance, même en nous sacrifiant si c’est nécessaire, pour le bien de cette humanité que nous voudrions voir digne et heureuse; et s’il en était ainsi, notre programme ne serait-il pas bien orienté ?

Oui, Frères ! Alors la pathologie sociale est le premier champ de notre intérêt chrétien.

Il faut avoir de la sensibilité et de l’amour pour l’humanité qui souffre, physiquement, socialement, moralement.

Aujourd’hui ? Oh ! comme vibrent les instruments qui signalent la détérioration de notre comportement civil ! Bornons-nous à quelques évidentes et graves dégradations : la délinquance organisée, préméditée, pour extorquer des sommes souvent fabuleuses en menaçant de mort des personnes innocentes : n’est-elle pas devenue une épidémie de méchanceté avide et cruelle qui dénote une carence de principes nobles et moraux qui a amené un écroulement effrayant dans la conscience de tant de fils de notre époque ? Et que dire de la propagande en faveur de la libération, ou légalisation, de l’avortement provoqué, sans que les coeurs de mères s’insurgent pour défendre leurs créatures naissantes et leur vocation au service de la vie ? Et n’aurons-nous pas au moins un sentiment de pitié et d’espoir pour des populations entières qui languissent encore dans la faim et dans la misère ? Et n’aurons-nous pas au moins un tremblement de peur et de dédain pour les armements qui étendent leur fructueux commerce parmi les nations, et pour les terribles épisodes des guerres civiles, prodromes de fatales possibilités de nouvelles conflagrations dont parlent les radios et les journaux du monde ? et nous, n’aurons-nous pas au moins une imploration — trop experte — pour conjurer, aujourd’hui, dans la racine, les guerres qui peuvent demain, avec une inimaginable fureur, ensanglanter de nouveau la face de la terre ?

Et quand nous parlons de civilisation de l’amour, est-ce peut-être que nous rêvons ? Non, nous ne rêvons pas ! Les idéaux authentiques ne sont pas des rêves s’ils sont humains : ce sont des devoirs. Spécialement pour nous, chrétiens. Nous, dirons mieux : plus ils se font urgents et séduisants, et plus les bruits d’orages troublent les horizons de notre histoire. Et ce sont des énergies, ce sont des espérances. Le culte — car c’est cela qu’il devient — le culte que nous avons de l’homme nous y conduit quand nous repensons à la célèbre, à l’antique parole d’un Père de l’Eglise, Saint Irénée (t. 202) : « Gloria... Dei vivens homo » l’homme vivant est gloire de Dieu (Contra haeres, IV, 20,7 ; PG 7,1037).

Pensons-y, courageusement ! Et avec notre Bénédiction Apostolique !

***

Nous saluons avec plaisir la chorale des "Montéchos", d'Edmonton, au Canada. Merci à vous, chers amis; donnez à nos contemporains le goût des beaux concerts; entraînez-les à la joie, à la joie chrétienne, qui doit trouver son expression dans le chant. Nous vous bénissons de grand coeur.








Audiences 1976

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Voici un nouveau volume des enseignements du Pape Paul VI au Peuple de Dieu. Il porte sur l’année 1976. Il est le neuvième de la série, le premier publié l’ayant été en 1968. Comme les précédents, ce volume reprend les textes parus chaque semaine dans l’édition de langue française de l’Osservatore Romano.

Les audiences générales du mercredi constituent le centre de l’expression pastorale et magistérielle de Paul VI. Comme l’a écrit le Cardinal Gabriel Marie Garrone dans sa préface du livre « Le Vatican et la Rome chrétienne », « le Pape réserve à cette circonstance l’exposé de vérités qu’il estime particulièrement urgent de rappeler » et, par là, « les audiences portent bien au-delà de l’auditoire romain ». Cette catéchèse hebdomadaire s’adresse en effet au Peuple de Dieu : elle forme la première partie de cet ouvrage. La seconde contient les messages, discours, homélies du Pape qu’il semble particulièrement opportun de faire largement connaître en raison de leur contenu doctrinal ou du fait des occasions particulières où ils furent prononcés.

Ce livre nous invite à prolonger dans notre méditation et notre réflexion la parole du Pape. Il doit nous aider à une communion plus intime à la vie de l’Eglise, éclairant la route où nous sommes engagés pour être, à notre tour, des membres actifs de l’Evangélisation.

Cité du Vatican, 1er janvier 1977





7 janvier 1976: APRÈS L’ANNÉE SAINTE : L’ÉVANGÉLISATION

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Chers Fils et Filles,



Au moment de pause et de silence qui succède à la conclusion de l’Année Sainte, du fond de l’âme de l’Eglise, c’est-à-dire du Clergé et du Peuple fidèle, s’élève une tacite demande : « Et maintenant, que fait-on ? ». On dirait que, le programme accompli, une période de repos, de réflexion, doive y faire suite ; voyons comment les choses vont s’arranger, se dit-on ; puis nous reprendrons la voie des idées et de l’action. On semble vouloir écouter les paroles du Maître : « requiescite pusillum : reposez-vous un peu » (
Mc 6,31). Mais il n’en est pas ainsi ! au contraire, une nouvelle période d’intense activité religieuse et pastorale s’ouvre immédiatement pour nous tous qui voulons être attentifs aux « signes des temps » et qui voulons avant tout nous prévaloir des grâces et des intentions de l’Année Sainte pour donner l’élan à une phase nouvelle et plus fervente de la vie ecclésiale ! nous avons été jusqu’à parler de promotion d’une vie chrétienne plus cohérente, plus active et qui devrait se refléter, même publiquement, dans une manière plus parfaite de concevoir et de gouverner notre existence collective, cette manière qui a pris hardiment le titre de : « civilisation de l’amour ». Nous aurons encore probablement l’occasion d’en reparler.

Mais en attendant, commençons tout de suite par rappeler un document que nous avons publié précisément à la fin de l’Année Sainte, à la date du 8 décembre 1975, et consacré à 1’« évangélisation dans le monde contemporain ». Ce document découle du Synode des Evêques de 1974 ; il en résume et ordonne les idées et transmet celles-ci à l’Eglise tout entière, comme pour en imprégner la ferveur suscitée par l’Année Sainte pour un effort d’évangélisation renouvelé, organique et intense. Et il est bien qu’il en soit ainsi !

Le réveil de la vocation fondamentale et spécifique de l’Eglise fidèle et responsable, celle de sa mission d’annoncer l’Evangile partout sur la terre, et la conscience accrue des besoins spirituels et moraux du monde moderne confèrent à ce thème un caractère d’actualité qui semble couronner parfaitement la maturation de l’Année Sainte. Celle-ci nous a ouvert les yeux : le monde a besoin de l’Evangile ; le patrimoine de sagesse doctrinale et pastorale du récent Concile Oecuménique attend une application incisive et cohérente. La conscience personnelle de co-responsabilité que tout catholique doit ressentir à propos des besoins de notre époque ; la rencontre didactique de l’Eglise actuelle avec les problèmes, les polémiques, les hostilités, les catastrophes possibles d’une société sans Dieu, à cause de quoi l’Eglise fait l’expérience d’un drame de son histoire, un drame aujourd’hui en pleine tension ; puis la découverte de possibilités évangéliques insoupçonnées dans les âmes humaines, éprouvées par de laborieuses et décevantes expériences du progrès moderne ; et, enfin, certains secrets de la miséricorde divine dans lesquels se révèlent d’émouvantes ressources du Royaume de Dieu ; tout cela nous dit que voici une heure grande et décisive qu’il faut avoir le courage de vivre, les yeux grand ouverts et le coeur impavide. Les jeunes, ou tout au moins quelques-uns des plus intelligents et plus courageux, ont compris et ils se mettent à l’avant-garde ; il ne faut pas avoir peur de recommencer dès le début l’exténuante et complexe mission de l’évangélisation.

Nous terminerons en citant la fin du document que nous avons rappelé à vos âmes avides de donner à l’Année Sainte une conclusion logique et digne d’un moment spirituel aussi élevé, aussi dense. En effet, nous terminions notre exhortation, qui tire son titre de ses premiers mots latin « Evangelii nuntiandi » — c’est-à-dire l’Evangélisation — par ce cri apostolique : « Voilà la consigne que nous avons voulu donner à la fin d’un Année Sainte qui nous a permis de percevoir plus que jamais les besoins et les appels d’une multitude de frères, chrétiens et non chrétiens, qui attendent de l’Eglise la Parole de salut. Que la lumière de l’Année Sainte, qui s’est levée dans les Eglises particulières et à Rome pour des millions de consciences réconciliées avec Dieu, puisse rayonner également après le Jubilé à travers un programme d’action pastorale, dont l’évangélisation est l’aspect fondamental... » (EN 81).

Ainsi soit-il, avec notre Bénédiction Apostolique.




14 janvier 1976: QUE TON RÈGNE ARRIVE !

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Chers Fils et Filles,



Nous, nous avons célébré l’Année Sainte. Nous voulons supposer que la célébration de cet événement a vraiment intéressé l’âme de chacun de nous et qu’il doit continuer à exercer sur nous son influence bénéfique. L’Année Sainte nous a parlé de renouvellement et de réconciliation. Dieu veuille que ces deux termes restent gravés dans notre souvenir et qu’ils puissent imprimer une direction constante, une poussée toujours opérante à notre vie spirituelle. Et ainsi — nous les verrons former les germes d’autres paroles, d’autres formules, qu’il nous plaira de cultiver et de faire présider au style et au programme de notre renouvellement chrétien. La recherche et le choix de quelque formule simple et synthétique cadre bien avec le génie de notre époque.

Nous avons déjà, nous-même, lancé discrètement une formule quand nous proposions de chercher dans la « civilisation de l’amour » le fruit religieux moral et civil de l’Année Sainte. Si elle plaît, cette formule peut demeurer ; nous la croyons apte à de sincères développements aussi bien individuels que — et spécialement — sociaux, comme souvenir vivant et opérant de l’année de grâce qui vient de se conclure, sans être, toutefois, dépassée et devenue inutile pour l’histoire spirituelle de notre temps. Il nous faudrait cependant rappeler le danger que représente l’ambiguïté de l’amour, comme nous l’enseigne Saint Augustin ; l’amour en effet peut coïncider avec l’égoïsme, c’est-à-dire l’amour de soi et se faire fondement d’une « cité » terrestre, contraire à l’amour de Dieu, qui seul peut être le fondement de la « cité » céleste (cf. De civ. Dei, XIX, 28 ; P.L. 41, 436), celle-là seule qui puisse, comme nous le pensons, réaliser la civilisation de l’amour.

Mais il existe d’autres formules, excellentes et fécondes, dans lesquelles nous pouvons condenser, comme en des germes destinés à de merveilleux développements la force génétique d’un christianisme toujours neuf et vivant. Saint Paul pourra nous suggérer une quantité de ces formules originales et synthétiques (cf.
Rm 1,17 Ep 4,15 Col 3,11 etc.). D’ailleurs chaque Famille religieuse a sa devise qui nous révèle son caractère intérieur et son propre dynamisme.

En ce moment important de notre perfectionnement spirituel, nous pouvons remonter à la formule originelle même de l’annonce évangélique, formule que nous avons toujours sur les lèvres et dans le coeur lorsque nous récitons la grande, l’habituelle prière du « Notre Père » et faire nôtre le thème de la grande prédication de Jésus-Christ lui-même : Que ton règne arrive. Cette expression mériterait d’être longuement méditée : en réalité, que demandons-nous à Dieu le Père quand nous le supplions pour que son règne arrive ? C’est là un thème biblique et un thème spirituel toujours dignes d’étude. Nous nous limitons à rappeler que cette expression, caractéristique dans les premiers discours du Seigneur, résonne comme inaugurant l’événement messianique. Les exégètes observent que de ce règne de Dieu, ou royaume des cieux, il est fait mention plus de cinquante fois dans l’Évangile de Saint Mathieu (cf. Lagrange, Saint Mathieu, CLVI et ss.) : C’est d’abord Jean-Baptiste, le Précurseur qui, le premier, le proclame (Mt 3,2) ; puis il devient le thème de la première évangélisation de Jésus qui « commença à prêcher et à dire : convertissez-vous car le royaume des cieux est proche » (Mt 4,17). Qu’entendait dire Jésus par cette formule que connaissait d’ailleurs le Peuple de Dieu ?

Il entendait dire beaucoup de choses, pas toujours faciles à bien déchiffrer. Mais, en ce moment, qu’il nous suffise de relever la nouveauté messianique apportée par le Christ, le nouveau destin religieux de l’humanité, un nouveau plan des rapports entre Dieu et l’histoire humaine (cf. L. De Grandmaison, Jésus-Christ, I, 376 et ss.) ; un dessein d’amour, de miséricorde et de salut qui, par initiative divine s’insinue dans le monde naturel et déchu pour le relever et lui conférer une vie nouvelle, une adoption surnaturelle, provenant d’une communion avec le Christ, du moment que nous l’accueillons et la vivons (cf. Ep 1).

Et s’inaugure ainsi dans le cours des siècles ce nouveau règne de Dieu, le Christ l’ouvre et, Lui vivant, il est déjà parmi nous (Lc 11,20 Lc 17,21). Toutefois, un règne qui commence ici, mais n’est pas complet, ne se trouve pas à l’état défini ; il est plutôt « en puissance » ; il faut prier pour qu’il arrive (Mt 6,10) ; il se trouve maintenant dans le champ de la foi (cf. 1Co 13,8 et ss.) et de l’espérance (Rm 8,24), mais déjà, de certaine manière, on peut l’expérimenter dans l’amour (voir toute la doctrine de l’Eucharistie — Jn 6,54 et ss. —, de la charité et de l’Eglise).

Cette doctrine du Règne de Dieu il faut que nous l’acquérions, y adhérant en toute plénitude, prêts à jouir de la joie qui lui est propre (cf. notre Exhortation Gaudete Domino); prêts aussi à porter la Croix que la fidélité au Règne de Dieu nous réserve également; prêts à y puiser la sagesse pratique, morale et sociale dont elle est la source, à en faire le sujet de notre dialogue avec le monde profane qui nous cerne (cf. Gaudium et Spes GS 1).

Oui. « Que ton Règne arrive » O Christ ! « Ton Règne » ô Dieu ; cela, nous devrons toujours le dire, en pensant, en travaillant en priant.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





21 janvier 1976: LES VRAIES VALEURS DE LA VIE FONDEMENT DE LA « CIVILISATION DE L’AMOUR »

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Chers Fils et Filles,



Nous sommes encore dans le rayon de lumière qui, de la célébration de l’Année Sainte conclue le mois dernier, le jour de Noël, se projette sur le temps fugitif qui s’éloigne chronologiquement de cet événement religioso-moral mais nous laisse cependant, non comme souvenir évanescent, mais comme faisceau lumineux qui peu à peu s’étale plus largement sur un monde plein, d’ombres et de lueurs confuses, la trajectoire neuve et directe de notre démarche présente et future, à laquelle nous avons donné un titre riche de sens et de programmes : la civilisation de l’amour. Nous voudrions que l’histoire de ces jours qui suivent l’Année Sainte, tout comme les annales des années à venir soient caractérisées par ce courant électrisant et animateur de l’amour évangélique, redécouvert, rallumé par le renouvellement et la réconciliation, dont l’Année Sainte nous a donné quelqu’heureuse expérience.

Sauf que les conditions morales, sociales et politiques dans lesquelles les hommes sont actuellement plongés dans divers secteurs du monde semblent contredire ce candide présage optimiste et en éteindre aussitôt l’espérance. La terre est sillonnée de problèmes, d’agitations tout autres que porteurs de civilisation et d’amour, mais plutôt de sentiments et d’intentions de haine et de guerre.

Voici : il faut qu’immédiatement nous prenions spirituellement position : allons-nous renoncer à notre heureuse civilisation de l’amour comme à une innocente mais prétentieuse ingénuité ? ou bien, la réaffirmer avec une inébranlable volonté ? Oui, nous devons la réaffirmer avec une conscience nouvelle, avec de nouvelles énergies. Ce n’est pas un irénisme illusoire qui nous guide : c’est une volonté consciente du sort promis à ceux qui, de l’amour, de la charité, font leur engagement prioritaire. Le sort, c’est la milice chrétienne, c’est le heurt avec les difficultés persistantes et renaissantes. L’amour auquel nous nous référons n’est pas une idylle plaisante, ce n’est pas le dénouement automatique des difficultés que le progrès même de l’humanité engendre et exaspère. Et il n’est certes pas orienté vers une lutte artificielle et congénitale avec le développement des phénomènes humains. Cet amour-là tend à la paix, il tend à la fraternité, il tend, disions-nous, à la civilisation. Nous pouvons répéter les paroles incisives de l’ancien et magnifique Ignace d’Antioche dans sa lettre aux Ephésiens : « rien n’est meilleur que la paix dans laquelle toute guerre se dissout » (ch. 13). Oui, mais il s’agit d’une paix agissante et courageuse, comme l’est la paix animée par la charité, non pas d’une paix statique et pusillanime.

Si nous avons compris cela, nous pouvons nous rendre compte de la nature de la civilisation que nous voudrions faire jaillir de l’amour : une civilisation qui, précisément parce qu’engendrée par l’amour pour l’humanité et tendant à lui en faire goûter la bienheureuse expérience, devra être orientée vers la recherche et l’affirmation des vraies et complètes valeurs de la vie, même si cela fera surgir, contre la sage et généreuse entreprise des incompréhensions, des difficultés, des oppositions.

Voulez-vous un exemple ? Il nous est donné par un épisode très triste et éloquent. Un épisode dont les journaux ont parlé ces jours-ci : celui de l’indigne et sacrilège invasion, par des gens tapageurs, du Dôme de Milan la célèbre cathédrale, la nôtre, au sommet de laquelle se détache sur le ciel, la « Madonnina », l’aérienne et exaltante image de la Vierge Mère du Christ, symbole du triomphe de la Très-Sainte Femme « species castitatit et forma virtutis » comme le disait Saint Ambroise (De Viginibus, II, 2). Pourquoi cette invraisemblable et déplorable manifestation ? On a dit : parce que l’Eglise est contre l’avortement, parce que l’Eglise a confirmé les normes de sa morale sexuelle. Incroyable ! et pourtant c’est cela que l’on dit.

Eh bien, en vertu de la logique de la « civilisation de l’amour » nous vous prions de réfléchir au sujet d’un des aspects de cette civilisation, dont notre temps a si gravement et si généralement besoin, l’austérité des moeurs. A savoir la défense et la promotion des vraies valeurs de la vie, de l’amour, du bonheur. Cette austérité souhaitable des moeurs n’est pas un moralisme dépassé, elle n’est pas ce qu’on appelle un tabou aujourd’hui intolérable, elle n’est pas une répression autoritaire et abusive. Lisez le document pris pour cible par certains courants rebelles de l’opinion publique — il a été publié récemment par notre Congrégation pour la Doctrine de la Foi (qui a succédé à l’ancien Saint-Office) et s’intitule Persona humana, les deux mots initiaux ; et vous verrez émerger l’amour sage et prévoyant de l’Eglise, vraiment mère et maîtresse, tournée tout entière vers la reconnaissance des valeurs de la vie, analysées par la science, par l’histoire, par la pédagogie, définies par la Bible avec divine, ineffable sécurité, interprétées et confirmées par le Magistère de l’Eglise.

La « civilisation de l’amour » a, dans ce document, une page d’apologie humaine et chrétienne qui permet de bien augurer de son avenir.

Avec notre Bénédiction Apostolique.




28 janvier 1976: L’UNITÉ DE L’EGLISE, CONDITION DE LA CIVILISATION DE L’AMOUR

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Chers Fils et Filles,

Nous retournons à la pensée qui a guidé la spiritualité de l’Année Sainte, une pensée qui doit continuer à vivre pendant les années qui lui succèdent et caractériser cette nouvelle période de la vie de l’Eglise : c’est la pensée du renouvellement de notre mentalité chrétienne. Relisons ensemble une page de Saint Paul où nous pourrons puiser de nombreux enseignements utiles pour guider le moment actuel qui évolue vers un proche avenir, rajeuni comme un printemps post-conciliaire et post-jubilaire. En effet, au douzième chapitre de son Epître aux Romains, Saint Paul écrivait : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre ». Comme ces quelques paroles pourraient, — disons-le ici comme entre parenthèses — servir à elles seules de commentaire à la récente Déclaration de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur quelques questions d’éthique sexuelle, si nous voulons vraiment entrer dans l’esprit supérieur et original de la conception chrétienne de la vie ! Poursuivons la lecture de notre texte : « Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait... Que votre charité soit sans feinte, détestant le mal, solidement attachés au bien. Que l’amour fraternel vous lie d’affection entre vous, chacun regardant les autres comme plus méritants » (
Rm 12,1-2 Rm 12,9-10).

Que de choses merveilleuses, en termes aussi simples et clairs! Il semble superflu de vous les commenter. Il suffit de les méditer d’une âme sereine et fidèle. Ils nous ramènent à cette précieuse observation des Actes des Apôtres qui dépeint l’aspect caractéristique, spirituel et social de la première communauté chrétienne : « La multitude de ceux qui étaient venus à la foi n’avait qu’un seul coeur et une seule âme » (Ac 4,32). Ceci nous amène à penser à un premier aspect de ce renouvellement si désiré : nous l’avons appelé « la civilisation de l’amour » et ce n’est pas autre chose que l’agapè, l’amour, la charité animatrice première de notre style de vie.

Eh bien, cette animation de la vie individuelle et communautaire de l’Eglise produit d’abord, et suppose ensuite, comme fondement constitutionnel, l’unité de l’Eglise. Si l’Eglise n’est pas intérieurement une dans son mystère qui la fait vivre du Christ, et si elle n’est pas unité dans son complexe structurel et social, qui en fait le corps mystique et visible du Christ, alors elle n’est plus Eglise. Que celui qui le veut, que celui qui le peut, relise, parmi tous les nombreux documents qui éclairent cette vérité, le célèbre écrit de Saint Cyprien au sujet de « l’unité de l’Eglise Catholique » (P.L. 4, 495-520 ; brepols, Séries lat. 3, 243 et ss. ; cf. D. Th. C. III, II, 246 et ss.) ou encore qu’il consulte Saint Augustin (cf. de utilitate credenti, P.L. 42 65 et ss. ; et encore l’oeuvre toujours actuelle de J. A. môhler, Die Einheit in der Kirche l’unité dans l’Eglise, édit. du Cerf, 1938).

Quant à nous, même sans recourir à cette littérature prestigieuse, il nous sera plus facile de nous documenter au sujet des voies qui s’écartent de l’unité de construire une nouvelle civilisation de l’amour. Nous pouvons tous faire le diagnostic de la tendance moderne à dissoudre une véritable, solide, opérante unité ecclésiale; il nous suffira de relever combien un esprit de désagrégation, de contestation, de libre pluralisme, de critique facile, d’interprétation personnelle et souvent polémique à l’égard du Magistère de l’Eglise, interprète digne de foi et indispensable, gardienne des facteurs de l’unité ecclésiale, a pénétré dans diverses expressions de la mentalité du corps mystique, de la communion ecclésiale elle-même (cf. L. bouyer, La décomposition du catholicisme 1968 ; Religieux et Clercs contre Dieu, 1975). Une pression centrifuge du libre examen de provenance protestante, un concept de liberté absolue, isolé du concept respectif de devoir et de responsabilité, une « trahison des clercs » résignée, — c’est-à-dire un relativisme historique, et un opportunisme social et politique souvent à la mode, ont sensiblement affaibli le sens de l’unité, de la charité au sein de l’Eglise de Dieu ; mais, par bonheur ce sens de l’unité a été stimulé par le mouvement oecuménique, certes, mais pas encore, et pas toujours, de manière suffisante pour reconquérir une unité authentique, organique, telle qu’elle est voulue par le Christ et animée par l’Esprit Saint.

Et nous, que ferons-nous ?

Nous reprendrons la route vers l’édification de l’unité, même si parfois nous aurions pu céder, à une jalouse et hostile affirmation de notre autonomie spirituelle et religieuse, au détriment de la docile et virile soumission à l’exigence de la concorde et de la solidarité propre de la communion catholique ; et nous serons ensemble, tous unis fraternellement, fortement, le regard de l’âme tendue vers Jésus-Crucifié, qui « dilexit ecclesiam », « qui a aimé l’Eglise et s’est livré pour eue » (Ep 5,25).

Qu’il en soit ainsi ! Avec notre Bénédiction Apostolique.






Catéchèses Paul VI 17125