Catéchèses Paul VI 61076

6 octobre 1976: LE LIEN ENTRE FOI ET PROGRÈS

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Chers Fils et Filles,



Le thème qui, en ce moment, se trouve au centre de la discussion religieuse dans les milieux catholiques est celui de : « Evangélisation et Promotion humaine ». Ce thème acquiert des proportions d’ordre général si l’on pense à la question fondamentale qui en découle : y a-t-il encore une place pour la religion catholique, pour l’Eglise et, l’on peut dire en simplifiant et en synthétisant : pour la Foi, dans le monde moderne ? Dans ce monde tendu vers toutes les formes de développement humain, spécialement là où ce développement est réclamé par des besoins essentiels de la vie des peuples ce thème s’impose donc du fait des droits non satisfaits et par cette évolution humaine que nous appelons progrès. La distinction, ou plutôt la séparation, créée entre l’activité temporelle et l’activité religieuse, établie aujourd’hui avec tant de netteté par la « sécularisation » ou, mieux, par le « sécularisme » qui imprègne la mentalité et l’activité de la société contemporaine, exclut-elle l’évangélisation, c’est-à-dire la religion, c’est-à-dire la foi, de l’aire de la vie moderne, affranchie de toute vision religieuse ?

Comme on le voit ceci pose des problèmes du plus grand intérêt. Considéré en termes absolus, ce peut être une question de vie ou de mort pour la religion, pour la foi et aussi pour l’humanité. L’athéisme contemporain, qu’il soit pratique ou théorique, nous a fourni une réponse négative à laquelle se rangent tant de personnes, souvent de manière passive, les yeux fermés, comme si la foi était étouffée dans l’esprit des nouvelles générations et que l’homme jouissait en conséquence d’une libération, débarrassée des scrupules religieux. Les gens y adhèrent sans se demander assez ce que serait la démarche même de l’homme privé de la lumière des grandes vérités que la foi lui offre pour le guider ou, pis encore, aveuglé pour avoir volontairement fermé les yeux sur les plus grands problèmes de l’existence tant du monde que de la vie humaine. La foi n’a-t-elle pas ses yeux propres ? Saint Augustin nous le rappelle : « habet oculos fides, et maiores oculos, et potentiores et fortiores » (En. in Ps CXLV, PL 37, 1897).

Nous l’avons déjà dit, il n’existe, dans la raison profonde des choses, aucune opposition radicale entre foi et progrès : parmi d’autres affirmations semblables, une de nos Encycliques, Populorum Progressio le démontre : foi et progrès, disions-nous, sont complémentaires et non antithétiques par nature. Nous pouvons même aller plus loin, et rencontrer cette mentalité qui se soucie le moins — et certainement pas selon le véritable ordre des choses et les valeurs — de la primauté du royaume de Dieu sur celui de l’utilité temporelle qui est pour de nombreuses personnes, même chrétiennes, l’étalon décisif pour mesurer par-dessus tout l’intérêt de la vie humaine (cf.
Mt 6,33 1Co 10,33 Am 5,4-10).

Et relisons une page merveilleuse, inoubliable, de l’Encyclique In monde Dei de Léon XIII (1er novembre 1885) qui affirme et pour ainsi dire fait découvrir à quel point la recherche du Royaume de Dieu produit dans le royaume temporel également des effets bénéfiques qui ne sont peut-être pas intentionnels, mais découlent toutefois directement de cette recherche.

« Bien qu’en vertu de sa nature même l’Eglise, oeuvre impérissable du Dieu Très-miséricordieux, ait directement en vue le salut des âmes et la félicité éternelle, elle apporte également dans l’ordre temporel des avantages si nombreux et si grands que ceux-ci ne pourraient être supérieurs en qualité et en nombre même si elle avait été destinée directement et par-dessus tout à procurer la prospérité dans la vie présente. En effet, partout où elle peut mettre le pied, il s’opère un changement immédiat de l’aspect des choses et les moeurs de la population s’ouvrent aussitôt à des vertus jusque là inconnues et à une civilisation nouvelle. De ce fait, ceux qui l’ont accueillie, ont dépassé immédiatement les autres par la douceur de leur caractère, par leur équité et par la splendeur de leurs entreprises. Aussi, est elle vraiment infondée cette injurieuse accusation lancée contre l’Eglise, selon laquelle elle serait hostile aux intérêts civils et incapable en fait de promouvoir ces conditions de bien-être et de gloire auxquelles, à bon droit et par tendance naturelle, aspire toute société bien ordonnée ». (Immortale Dei, 1).

Nous avons dit qu’il s’agissait d’effets non intentionnels, non prévus ; mais ce n’est pas exact. Ces effets, en réalité, sont prévus, voulus, poursuivis avec sagesse, avec constance et avec un esprit de sacrifice et d’amour. C’est l’Evangile qui nous l’enseigne quand il résume le code des commandements religieux et moraux dans le double devoir d’aimer Dieu par-dessus toute chose et de tout son coeur et d’aimer le prochain comme nous nous aimons nous-mêmes (Mt 22,36-40). Et l’Apôtre Saint Jacques, dans cette épître que Luther n’aimait pas en raison de sa manière impérative d’imposer l’accomplissement de bonnes oeuvres, nous rappelle et répète : « La dévotion pure et sans tache devant Dieu consiste en ceci : secourir les orphelins et les veuves dans leurs épreuves... » (cf. Jc 1,27 Jc 1,22-23 Jc 2,2 et ss. ; Jc 2,5 Jc 2,14).

Et, nous trouvant encore dans l’antichambre, c’est-à-dire dans la phase préparatoire, de la prochaine assemblée consacrée à l’étude du thème : « Evangélisation et promotion humaine », nous disons ceci en souhaitant et en espérant avec confiance que cela serve à renforcer dans la conscience solidaire des bons, la volonté de témoigner, par la pensée et par l’action, de la présence active de l’Eglise dans la nouvelle histoire qui s’ouvre devant la génération présente et la génération future.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

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C’est toujours avec une très grande joie que Nous accueillons les Petites Soeurs de Jésus, avec leurs familles et leurs amis, Chères Soeurs, votre attachement à Jésus, empreint d’adoration et d’amour fervent, comme chez le Père de Foucauld, votre imitation de la vie que Jésus a menée à Nazareth, dans le travail, la prière, les relations amicales avec tous les voisins, contribuent vraiment au témoignage de l’Eglise, dans des milieux qui souvent ignorent son mystère. Cela exige une solide formation spirituelle et même doctrinale, pour que le sel ne s’affadisse pas en vous, pour que la lumière de votre foi ne faiblisse pas devant les opinions du monde, pour que votre amour ne s’émousse pas quand le quotidien se fait plus terne ou le renoncement plus coûteux, selon la formule: «être tout à tous». Que le Seigneur vous affermisse dans l’espérance, avec notre affectueuse Bénédiction Apostolique.





13 octobre 1976: EVANGÉLISER ET PROMOUVOIR LE BIEN-ÊTRE HUMAIN

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Chers Fils et Filles,



Nous allons parler encore du Congrès ecclésial des catholiques italiens qui aura lieu à Rome fin octobre et début novembre prochains et fixera l’attention sur un thème désormais notoire : « Evangélisation et promotion humaine ». Ce n’est pas un thème qui intéresse seulement l’Eglise italienne. Au contraire il s’offre à la considération du monde catholique tout entier car il se propose, suivant les grandes leçons du Concile oecuménique, de marquer la ligne d’action de notre religion dans l’histoire nouvelle de l’humanité. Nous en parlerons sans entrer dans le vif du sujet lui-même, ce dont s’occupera le Congrès, mais, pour ainsi dire, en tournant autour pour signaler brièvement quelques-unes des qualités dont, selon nous, doivent témoigner ceux qui auront le bonheur de participer à cette assemblée. L’issue de cet événement ecclésial destiné à exercer une très grande influence sur la vie ecclésiale des prochaines années dépendra de la disposition d’esprit des participants tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du cadre de sa célébration. Il est important qu’ils aient tous l’âme animée des meilleures dispositions.

Ces dispositions d’esprit à envisager pour que réussisse le Congrès, quelles sont-elles ? Il faut admettre franchement qu’il n’est guère facile de les pressentir car elles semblent se signaler par leur manque d’uniformité. On se rend compte que sur divers points de notre champ ecclésial pèse l’incertitude au sujet du propre être et du propre destin : pensez combien fréquemment et avec insistance on se pose la question insolite de sa propre identité. Le doute est devenu un brouillard opaque et l’on ne voit plus facilement clair au-dedans comme en-dehors de sa propre conscience ; ceci s’étend même parfois à ceux qui, par héritage d’éducation et par charisme propre à leur état dans l’Eglise de Dieu devraient avoir une vision limpide de leur être chrétien et de leur devoir de fidélité. Le doute s’est fait plus dense et habituel à cause de l’interprétation équivoque que l’on donne souvent aujourd’hui à ce qu’on appelle le « pluralisme », comme si cette formule admettait l’incertitude sur des vérités et sur des doctrines qui ne la permettent pas, ces vérités et ces doctrines étant garanties par l’inviolable protection de la foi et du magistère plein d’autorité de l’Eglise. La liberté n’a pas toujours été employée conformément à sa vocation à la vérité et au choix amoureux de la volonté divine (
2Co 3,17), mais au contraire comme une licence arbitraire de marcher à l’aveuglette, suivant les impulsions, les instincts ou les intérêts personnels, d’en arriver à se perdre, même dans le domaine religieux, dans ce libre-examen qui détruit l’unité de la foi et débilite l’énergie de l’amour chrétien.

En outre, des influences externes ont contribué à dévitaliser la franchise intérieure des âmes, à désagréger la solidarité harmonieuse du corps ecclésial : pensez à la crise qui frappe notre conception coutumière d’association ; pensez à la contagieuse diffusion du refus de l’autorité, aujourd’hui tellement à la mode ; pensez à l’envahissante opinion qu’est licite, permise et même féconde la contestation systématique comme source de nouveauté vitale et de créativité originale. Tout ce problème complexe de la désagrégation spirituelle et sociale qui caractérise tant de phénomènes de notre monde contemporain pourrait faire l’objet d’une étude analytique extrêmement instructive, non seulement pour en découvrir les aspects pathologiques et en prévoir les fatales conclusions de décadence civile ou d’oppression politique, mais aussi pour en revenir, la pensée réconfortée, à notre vision de l’humanité appelée par dessein divin à être Peuple de Dieu, Corps mystique du Christ, Famille de frères, unie dans l’amour et dans l’unité, c’est-à-dire à être Eglise, une, sainte, catholique et apostolique. La meilleure conclusion du Congrès en question serait: la recomposition lumineuse et joyeuse de notre agissante conscience ecclésiale.

Pour atteindre cet heureux résultat, nous synthétiserons nos recommandations en une brève formule, empruntée à l’art de la navigation : « remis velisque », il faut naviguer à la voile et avec les rames. Lorsque nous parlons d’Evangélisation et promotion humaine, nous nous plaçons sur le plan opérationnel de l’Eglise ; nous supposons que la foi est acquise et même nous en faisons le principe de notre action caritative : « La foi opère par la charité » disait Saint Paul (Ga 5,6). Il importe d’agir. A cette fin, dans l’océan du temps, dans l’écoulement de l’histoire, deux ordres d’énergies se révèlent nécessaires : les énergies de nos bras, c’est-à-dire l’appel à notre activité humaine : voilà les rames, symbole de notre labeur personnel ; et il faut aussi les énergies impondérables, mais effectives et supérieures de l’Esprit Saint, que les voiles symbolisent éloquemment. Remis velisque : revient, avec d’autres mots la formule bien connue, cette fois chrétienne et non plus profane : ora et labora ; prie et travaille. Il faut le concours simultané de l’aide de Dieu et de l’activité humaine.

Cela ressemble presque à un jeu de mots, alors qu’au contraire, cela nous force à réfléchir, en synthèse à la causalité complexe et concordante dont doit procéder la réalisation du double programme qui nous est proposé : évangéliser et promouvoir le bien-être humain. Un programme positif et pas du tout négatif ou simplement critique, polémique et contestateur ; un programme optimisme, non pas rongé au départ par un pessimisme critique et acerbe puisé aux sources polluées de la lutte systématique de l’homme contre l’homme ; un programme qui coordonne la force transcendante de la religion et la force expérimentale des moyens humains. Et ceci nous persuade, une fois de plus qu’il faut préparer l’imminent Congrès ecclésial avec le souci et l’intention de renforcer cette charité ecclésiale qui est le lien de la perfection de sorte que, comme conclut Saint Paul « la paix du Christ règne dans vos coeurs : tel est bien l’appel qui vous a rassemblés en un même Corps. Et vivez dans l’action de grâces ! » (cf. Col 3,15 de Lubac, Méditations sur l’Eglise, p. 198 et ss.).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Chers Fils de l’union Apostolique du Clergé,

Quel réconfort de vous sentir tout près de Nous! Merci pour votre visite et merci pour le travail que vous faites, en ces journées romaines, au bénéfice de tous vos confrères de l’union Apostolique! Nous communions profondément à votre joie d’être prêtres du Christ aujourd’hui, et nous partageons aussi votre souffrance face à certaines mises en question du sacerdoce catholique. L’épreuve doit engendrer l’espérance! L’Eglise a et aura encore des prêtres, tels qu’elle les souhaitait dans les travaux et décrets du récent Concile. Nous le soulignons d’un mot: il n’y a pas à inventer le sacerdoce, il y a à le recevoir comme un don incommensurable du Seigneur. Ce n’est pas l’opinion publique, sans doute utile à entendre, mais influençable et changeante, qui dira aux prêtres d’aujourd’hui et de demain la nature et les exigences du sacerdoce, mais bien le Christ et son Eglise. Les recherches et les expériences qui ne savent plus s’arrêter deviennent nuisibles. La terre qui est labourée tous les jours ne peut produire du froment. Chers fils, à travers les changements secondaires de l’image du prêtre et de sa mission d’Eglise, gardez bien le cap sur l’essentiel: soyez des hommes de Dieu ne faisant qu’un avec vos Evêques au service des communautés qui vous sont confiées. Nous prions pour vous et Nous vous bénissons de tout coeur ainsi que la grande famille de l’Union Apostolique.





20 octobre 1976: LE CONGRÈS ECCLESIAL DE ROME, UNE OCCASION DE FONDER « LA CIVILISATION DE L’AMOUR »

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Chers Fils et Filles,



Ce prochain congrès au sujet de « l’évangélisation et la promotion humaine » dont on parle beaucoup en ce moment peut avoir une grande importance pour l’orientation de la vie catholique ; cela dépend des intentions, bonnes ou ambiguës qui l’ont inspiré et vers lesquels il tend. Il faut, dès le départ, se rendre compte de la mentalité qui l’anime et de celle qu’il entend servir. Il est un chemin idéal : le visage tourné vers le soleil ? Ou bien le soleil dans le dos et devant soi une ombre inquiétante sur la route à parcourir ? C’est pourquoi, une fois de plus et sans entrer dans le vif des sujets que le congrès entend proposer, nous nous interrogerons sur la mentalité qu’un tel événement peut réveiller et former et nous nous demanderons, pour employer une phrase courante, « quelle manière nouvelle il nous propose pour être chrétiens », spécialement dans la vie sociale.

Essayons de voir clair nous-mêmes sur notre position de départ et avant de nous mettre en route, répondons à une question : n’avons-nous pas, par hasard, une mentalité déjà formée qui risque de nuire au sens de la réflexion à laquelle nous invite le congrès ? Ou bien portons-nous à cette étude une attention libre et disponible qui nous permettra d’accueillir cette « vérité libératrice » et orientatrice dont nous parle l’Evangile ? (cf.
Jn 8,32).

Nous nous permettons d’inviter, et même de prier, tous ceux qui interviendront au congrès et tous ceux qui, de loin, dans les Eglises locales, feront cercle autour de lui, d’apporter à cette assemblée un esprit chrétien authentique, c’est-à-dire désireux plus que jamais de convergence, d’unité ; de cette unité qui naît de la charité imprégnée de l’adhésion à une même vérité (cf. Ep 5,15), à la foi propre de notre Eglise, mieux encore, de l’Eglise du Christ en tant que telle (cf. Jn 17,21-22). Relisons Saint Paul : « Je vous en conjure, frères, par le nom de notre Seigneur Jésus Christ, soyez unanimes dans votre langage pour qu’il n’y ait point de divisions parmi vous, mais que vous soyez tous bien unis dans le même esprit et dans la même intention » (1Co 1,10, et ss.).

Face aux discordes, à la variété d’opinions et de tendances, au pluralisme autonome et arbitraire qui s’installe aussi parmi des catholiques enclins à le confondre avec une légitime liberté d’opinions et avec une juste fécondité d’expressions substantiellement univoques, tâchons non seulement de conserver mais aussi de favoriser cette harmonie de sentiments, de pensée et d’action qui est caractéristique dans le concept universel des voix fidèles et qui par nécessité inhérente à toute assemblée humaine et par institution divine de Jésus, Maître et Pasteur, suppose et exige un pouvoir magistériel (cf. Mt 23,8 Lc 10,16 Mt 28,20 Jn 21,15 et ss. ; 2Co 10,8, etc.). Quant à nous, nous vous exhortons à aimer l’Eglise, c’est-à-dire l’assemblée des chrétiens, le Corps mystique du Christ, à en promouvoir l’union à en aimer l’intime et agissante communion.

Voyez : quelques idées bonnes, séparées du contexte doctrinal et opérationnel de l’Eglise sont devenues dangereuses et nuisibles : l’autocritique, par exemple, c’est-à-dire l’examen de conscience que le chrétien doit faire à son propre sujet et qui a inspiré, ces derniers temps une nombreuse littérature, s’est transformée en contestation habituelle et, presque normalement, non plus pour faire son propre mea culpa mais pour accuser autrui, répandant l’amertume et la polémique dans la coexistence fraternelle et la privant de ses charismes propres, la bonne entente, la joie, la productivité sans lesquels, l’Eglise ne serait plus elle-même.

Voyez encore : l’ardeur de la vie moderne a mis plus nettement en évidence les besoins d’une immense catégorie de personnes maintenues à un très bas niveau social. C’est très bien d’avoir pris conscience de cette anomalie trop stabilisée de la civilisation ; mais le souci de porter remède à ces désordres structurels a fini par rendre incurables et profondes les divisions et la lutte entre les classes et, par conséquent, par engendrer de nouveaux malheurs et de nouveaux mécontentements. La recherche des fins économiques et prochaines, juste en soi, a fait oublier, à quelques-uns des nôtres également, la recherche des fins supérieures de la vie humaine, au détriment du bien moral et religieux qui devrait toujours l’emporter sur tout autre bien désirable, ne serait-ce que pour en faciliter la conquête et la jouissance (cf. Mt 6,33).

Et encore. Observez comme, même dans notre camp — et peut-être avec les meilleures intentions — on est facilement tenté de se mettre au pas avec les vainqueurs, d’aujourd’hui ou de demain. Souffrir par fidélité devrait être, pour le chrétien, un impératif inné, dès le baptême et par la suite (cf. Jn 16,20) ; mais le conformisme, même téméraire exerce un charme étayé par tant de raisons et d’espoirs séduisants.

Il y a tant d’autres formes d’inquiétudes relatives à l’adhésion personnelle et à celle d’autrui à une vie chrétienne forte, intégrale et joyeuse que certains en arrivent facilement à faire l’hypothèse que ce congrès, si attendu, sera une cause de contrastes bien plus que de convergences.

Non, chers Frères et Fils, Celui qui, dans l’Eglise de Dieu, nous a appelés « à son admirable lumière » (1P 2,9) nous offre certainement une occasion propice à cette plénitude de vie renouvelée que nous saluons, entendons-nous bien, comme la « civilisation de l’amour ».

Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Nous nous tournons maintenant vers les Frères Maristes qui viennent de tenir leur chapitre général. Nous savons l’immense travail d’éducation chrétienne accompli depuis un siècle et demi par les disciples du Bienheureux Marcellin Champagnat, dans leurs nombreuses écoles des cinq continents. Cette oeuvre de patience, de service humble, désintéressé, toujours à reprendre au fil des générations, suppose une estime et un amour évangéliques des enfants et des jeunes. Pour vous religieux, un tel service puise son dynamisme dans une foi toujours renouvelée, comme une réponse à un appel du Christ Jésus pour l’accueil des jeunes, à l’école de la Vierge Marie; sans cette motivation spirituelle, il serait pour vous difficile de garder la fidélité, et plus encore de susciter les vocations dont votre Institut a besoin pour sa relève. Il s’agit enfin de comprendre votre participation de choix à la Mission de l’Eglise par le service particulier qui vous est confié dans la ligne de votre fondateur. On ne peut entreprendre à la fois toutes les formes d’apostolat; sans vous fermer aux autres besoins de l’évangélisation pour lesquels l’Eglise locale pourrait solliciter votre concours, soyez bien persuadés que l’école chrétienne demeure, à long terme, le lieu privilégié où la formation de la foi peut s’imbriquer solidement, et quasi naturellement, avec le reste de la formation humaine, grâce à la compétence, au savoir-faire éducatif, à la foi, à l’amour et à l’exemple des maîtres constamment en contact avec les jeunes. Vous êtes au premier rang de ceux qui préparent l’avenir de la société et de l’Eglise: vous travaillez aux fondements de l’édifice. Nous vous encourageons de toutes nos forces, et à travers vous, tous vos Frères, spécialement ceux qui travaillent dans des régions éprouvées comme l’Angola, le Mozambique, le Liban et la Chine. A tous, et d’abord à votre Supérieur général et aux capitulants ici présents, notre affectueuse Bénédiction Apostolique.





27 octobre 1976: QUEL EST LE RAPPORT ENTRE EVANGÉLISATION ET PROMOTION HUMAINE

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Chers Fils et Filles,



Nous allons nous arrêter encore un moment au seuil de l’importante rencontre des représentants choisis par la communauté ecclésiale italienne qui se proposent, dès la fin de la semaine, d’étudier un thème fondamental de la vie catholique d’aujourd’hui et de demain, thème condensé dans un binôme d’intérêt suprême, non seulement pour l’Italie mais pour la catholicité toute entière. Ce binôme — aujourd’hui chacun le connaît — se présente ainsi. « Evangélisation et Promotion humaine » ; et tout aussitôt il laisse entrevoir que son importance ne réside pas seulement dans la définition des deux termes qui le composent — que signifie Evangélisation ? Que signifie Promotion humaine ? Définitions aussi vastes que des océans si l’on veut détailler leur contenu — mais aussi dans la détermination du rapport que ces deux concepts ont entre eux.

C’est-à-dire : Quel est, et que devrait être, le rapport entre Evangélisation et Promotion humaine ? Nous pouvons dire : entre activité religieuse et activité temporelle ? entre l’annonce de l’Evangile et le progrès civil ? entre la foi et l’activité profane ? entre l’Eglise et le monde contemporain ?

Nous pouvons envisager quelques réponses hypothétiques. La première qui prévaut dans de nombreuses expressions de l’esprit moderne est radicalement négative. Il n’y a aucune relation et il ne peut en exister aucune entre l’Evangélisation et la Promotion humaine ; entre l’effort vertical, l’effort religieux tourné vers la Réalité divine et mystérieuse, et l’effort horizontal, c’est-à-dire terrestre, tourné vers la réalité accessible de notre expérience sensible et mentale. C’est la réponse athée, matérialiste, celle du sécularisme radical. Il est évident qu’une telle réponse ne peut être la nôtre, du fait que dans la présente discussion nous avons comme points de départ, la profession de notre foi chrétienne, l’Evangile que nous voulons annoncer et la certitude du droit souverain et du devoir fondamental que justifie et réclame notre religion dans la réalité de la vie. Entre évangélisation et promotion humaine il ne saurait y avoir un gouffre qui les rende incommunicables.

Une autre réponse est celle qui reconnaît la distinction entre les deux domaines, le religieux et le profane ; distinction simple en apparence, mais plutôt difficile à déterminer, même si la différence entre l’une et l’autre activité offre de larges possibilités de reconnaître leur relative autonomie et leur prévisible complémentarité pratique. C’est sur ce plan, où ces activités s’exercent normalement et où les relations entre la vie religieuse et la vie civile peuvent se distinguer, qu’elles peuvent aussi collaborer librement et utilement, chacune à sa manière. C’est ce que l’on dit à propos des relations publiques, qualifiées ; mais nous savons tous que cette combinaison du sacré et du profane doit s’affirmer dans chaque personne humaine, spécialement si elle est baptisée et associée à une communauté religieuse.

Et voici une autre hypothèse qu’on formule en interrogation, également dense de références spéculatives et pratiques : quel avantage, quel profit la Promotion humaine tire-t-elle de l’Evangélisation ? Ceci est une question qui déplace ces deux termes du champ de leurs valeurs respectives à celui de l’utilité, que nous allons maintenant considérer sous le profil de la Promotion humaine. Nous avons déjà, en d’autres circonstances, rappelé la parole décisive du Christ au sujet de la primauté du royaume de Dieu (
Mt 6,43), tant sous l’aspect ontologique que déontologique. Nous nous demandons donc : la religion évangélique peut-elle favoriser le bien-être de l’humanité, même sur le plan temporel et civil ? Ceci est probablement le point saillant de la discussion. Quelques-uns des courants idéologiques sociaux qui envahissent le monde et ont grande influence même sur les catholiques tentent de décrire la mentalité religieuse comme paralysant le vrai et universel progrès de la société humaine ; et les motifs en seraient qu’elle vise des finalités transcendantes, ou qu’elle rend incapable de se servir des moyens humains scientifiques, économiques, politiques, etc. ; ou qu’elle est statique et conservatrice ; etc. Parmi ces courants il en est d’autres qui tentent d’exalter les réalités terrestres comme prévalant sur tout autre ordre de réalités spirituelles et d’attribuer au christianisme une finalité subalterne, au service d’une vision sociale purement temporelle. Cela, chacun le sait. Et il est probable que ce sera un des points cruciaux de la discussion qui se prépare (cf. R. spiazzi, Evangile et Promotion humaine, Oss. Rom., éd. en langue italienne des 25-26 octobre 1976 p. 2 [*]; Lumen Gentium LG 36, Gaudium et spes GS 36).

Eh bien, nous aimerions que nos fidèles Frères et Fils, aient la sagesse d’explorer ce problème sous l’éclairage de l’Esprit dont l’assistance est invoquée avant et durant les travaux. Et de bien vouloir mener leur enquête autrement qu’avec ce pessimisme et cette amertume, souvent peu chrétiens, qui ont parfois envahi certains esprits cultivés, bons et bien intentionnés et les ont rendus prêts à accueillir des méthodes qui n’ont certainement pas germé dans notre champ catholique ; de vouloir démontrer encore qu’ils ont confiance dans l’enseignement de l’Eglise et dans ses possibilités toujours intactes d’affronter avec amour, avec sagesse, avec sacrifice les questions d’extraordinaire importance qui font pression sur notre siècle.

Dilatantur spatia caritatis, dirons-nous avec Saint Augustin (Sermo 69, PL 5, 440-441) : qu’ils s’ouvrent à la charité, c’est-à-dire à cet amour qui a sa source dans l’amour de Dieu.

Et nous ajouterons avec le Christ lui-même : « Ce n’est pas celui qui dit : Seigneur, Seigneur ! qui entrera dans le royaume des cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est au ciel » (Mt 7,21). Oui, l’heure est venue de témoigner notre foi par une action caritative, bonne, prévoyante, sociale et fraternelle ; daigne le Seigneur nous rendre prêts et capables de répondre à l’appel de l’Evangile pour la nouvelle et véritable Promotion humaine.

Avec notre Bénédiction Apostolique.






3 novembre 1976: PROGRESSER DANS LA CONNAISSANCE DU CHRIST

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Chers Fils et Filles,



Nous voici en novembre. Ces derniers moments de l’année liturgique nous préparent à une conclusion dédiée au Christ-Roi, c’est-à-dire à faire la synthèse de notre célébration du Christ, presque une révision de notre profession religieuse chrétienne. Nous avons célébré les fêtes du Seigneur en parcourant tout le cycle annuel des événements de sa biographie évangélique et des enseignements que Lui, le Maître divin, nous a laissés. Les premiers, nous les avons qualifiés de « mystères », c’est-à-dire définis comme des faits qui, transcendant la réalité de la scène de l’histoire humaine, débordent, en ouvertures sans limites, dans la révélation du ciel et des destinées surnaturelles de la vie humaine. Nous avons cherché à classer et à pénétrer les seconds, c’est-à-dire les enseignements, dans un certain ordre, que nous avons appelé Evangile, doctrine chrétienne.

Et nous sommes à présent en mesure de faire cette synthèse, la traduisant en une double réponse aux deux demandes que nous devons toujours nous adresser à nous-mêmes et qui, à la fin de cette pédagogie liturgique annuelle, font pression sur nos consciences : qui est le Christ, en soi ? Qui est le Christ pour moi ? Le bonheur que nous avons eu de recevoir une instruction religieuse fondamentale et de l’entendre répéter au cours des célébrations dominicales ou en écoutant les échos de la parole « chrétienne » provenant des conversations dans la vie vécue nous aide certainement de ses réponses précises, et quel bonheur pour vous si nous en avons gardé le souvenir en termes fidèles. Mais en réalité ces réponses se bloquent parfois sur nos lèvres ou même au fond de nos âmes, moins à cause de la difficulté de trouver les mots justes pour cette réponse, que parce que les réalités qu’ils doivent exprimer sont tellement grandes et si complexes qu’elles en deviennent presque nébuleuses ou peut-être insaisissables. On aimerait presque mieux que ces questions ne jaillissent ni en nous ni en dehors de nous et que l’on puisse se parer commodément du nom de chrétien sans en éprouver la contrainte ou l’ivresse (cf
Ac 26,28 1P 4,16).

Qui est le Christ ? Qui est-il pour moi ? Lorsque nous réfléchissons à ces simples, mais formidables questions qui se posent sans cesse, nous nous sentons tentés de plonger dans un nominalisme chrétien sans substance ou d’éluder la logique dramatique du réalisme chrétien. Si le Christ est Celui en dehors de qui n’existe aucune réponse aux questions capitales de notre existence, si sont vraies et toujours actuelles les paroles « pleines de l’Esprit-Saint » de l’Apôtre Pierre, lors du premier procès intenté à sa prédication messianique, « ... ce Jésus est la pierre que les bâtisseurs ont dédaignée et qui est devenue la pierre d’angle. Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel il nous faille être sauvés » (Ac 4,11-12), alors notre esprit est ébranlé et probablement même bouleversé ; nous ne pouvons considérer le Christ comme une appellation pure et simple qui s’est insinuée dans le langage conventionnel de notre vie, et sa présence, dans la dimension incalculable de sa grandeur, se dresse devant nous. Voilà : Il est l’alpha et l’oméga, « le principe et la fin » de toutes choses (cf. Ap 1,8). Il est le pivot de l’ordre cosmique et Il nous oblige à revoir les dimensions de notre philosophie, de notre conception du monde, de l’histoire de notre existence personnelle. Nous nous sentons anéantis comme les Apôtres sur le mont de la Transfiguration, et nous n’oserions plus lever les yeux, nous voulons dire, nous engager dans une expérience spirituelle et morale qui se fait religieuse, c’est-à-dire qui nous donne « l’extase et la terreur » d’une Vérité vivante absolument sans proportion avec nous-mêmes... s’il n’y avait pas Sa voix, ravissante et toute proche, pour nous arracher à la confusion de notre paralysante stupeur, s’il n’y avait pas son toucher prodigieux (... Il les touche, dit l’Evangile) pour nous faire goûter l’ineffable moment, devenu on ne plus humain : « Relevez-vous et n’ayez aucune crainte ! (Mt 17,7) ; et si nous ne nous souvenions pas de quelques autres de ses paroles qui nous révèlent et nous assurent que ses divines confidences nous sont réservées à nous, les petits et les humbles » (cf Mt 11,25). L’humilité de Dieu fait homme nous confond par sa grandeur et non seulement elle rend le colloque possible mais elle nous l’offre, nous l’impose (cf St Augustin, Sermo 36 ; PL 38, 191).

Nous nous trouvons dans un climat nouveau, invraisemblable : c’est celui du rapport de la foi, qui n’annule pas le rapport de la raison, mais exalte et fortifie le rapport religieux au point de le pénétrer d’une certitude plus précieuse que la vie elle-même et encore aussi avide de savoir et de progresser qu’elle ne se lasse jamais de chercher et de contempler.

Au moment où se conclut l’année liturgique, Fils et Frères, nous devons examiner le degré de notre connaissance du Christ. Notre remarque n’a rien d’offensant : ce degré nous trouverons nous-mêmes qu’il n’est pas assez élevé, qu’il est peut-être même indigne de nous. Il en est ainsi pour chacun de nous si nous avons réussi à tirer quelque chose de la conversation divine que nous permet notre élection chrétienne. Résumons nos pensées en un propos final, en un désir qui prélude à son accomplissement au-delà du temps ; c’est celui des Grecs qui, le jour de l’entrée messianique du Christ à Jérusalem s’exprimèrent ainsi : « Nous voulons voir Jésus » (Jn 12,21).

Qu’il en soit ainsi pour nous tous.

Avec notre Bénédiction Apostolique !







Catéchèses Paul VI 61076