Catéchèses Paul VI 10116

10 novembre 1976: L’EVANGILE NOUS OUVRE DEUX FENÊTRES L’UNE SUR LE CIEL, L’AUTRE SUR LA TERRE

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Chers Fils et Filles,



La fin de l’année liturgique qui aura sa conclusion dans deux semaines avec la célébration de la fête du Christ-Roi pour la Couronner, nous inspire le désir d’en faire la synthèse — ce qui correspond à la manière de penser actuelle — et de grouper autour d’une idée centrale tout ce qui a fait l’objet de notre réflexion religieuse au cours de cette année. Après l’Année Sainte, et toujours sous le faisceau de lumière du Concile, quel est, cette année-ci, l’aspect religieux qui semble le mieux refléter notre foi ? Le Christ, sans aucun doute; le Christ est toujours le centre rayonnant qui attire notre pensée, qui inspire notre prière, qui guide notre conduite si nous restons fidèles à l’engagement qui, nous en donnant le titre, a fait de nous des chrétiens. Toujours désireux de condenser notre pensée dans des propositions brèves et fondamentales, nous nous sommes déjà demandé — on s’en souviendra peut-être — qui est le Christ en soi et Qui est-il pour nous ? Nous voulons croire que parmi ceux qui nous auront écouté, il se trouvera des fidèles en mesure d’y donner comme réponse les formules exactes et très denses, extrêmement importantes, de cette catéchèse conclusive de notre observance liturgique annuelle. Mais ce n’est pas tout !

Afin que cette synthèse puisse saisir un autre aspect de notre participation religieuse au message chrétien dominical, nous pensons à une autre question, inéluctable, qui jaillit du fond de notre âme ; une question, elle aussi formidable : soit : quel est, en substance, l’enseignement qui me vient du Christ, que me propose-t-il de croire, de savoir, de penser ? En d’autres mots : l’Evangile que j’ai écouté à la messe du dimanche ou dont j’ai été informé peu importe comment, que m’apporte-t-il de spécifique, de fondamental, d’inéluctable, de beau ?

Cette révision ultérieure de l’écoute évangélique n’est pas du tout superflue si l’on veut éviter de tomber dans ce nominalisme creux qui utilise l’épithète « chrétien » pour qualifier mille choses de manière purement conventionnelle, superficielle, extérieure, en sans ressentir cette vibration intérieure que devrait toujours susciter le recours à un tel nom. Et il est d’autant moins superflu de remettre l’enseignement chrétien à la place qui lui revient dans l’échelle des valeurs spéculatives et actives qu’il comporte, s’il est vraiment religieux ou, mieux encore, s’il est vérité religieuse et s’élève aux sommets des principes qui déterminent l’ordre humain et l’équilibre spirituel. Si féconde, indispensable et inépuisable que soit et doive être l’impulsion que le christianisme confère à la promotion humaine, on ne peut l’exploiter en faveur d’une conception de la vie — on parle aujourd’hui de « christianisme pour le socialisme » — d’une conception, disons-nous, qui contredit, idéologiquement et pratiquement, le christianisme même. Il y aurait lieu ici de faire un long discours : pour l’instant il nous suffit d’y faire allusion.

Ce qui nous importe et nous suffit en ce moment c’est de déterminer ce qu’est, en substance, cette doctrine qui se définit chrétienne et qui a fait l’objet de notre réflexion religieuse et liturgique au cours de cette année, proche de sa conclusion. Nous alignant sur un mode aujourd’hui habituel nous pouvons nous aussi, pour exprimer les orientations sommaires de la spiritualité, et pour situer la doctrine chrétienne, parler d’un double plan, un plan vertical et un plan horizontal, c’est-à-dire orienté vers le grand mystère de Dieu et vers le mystère infiniment plus restreint, mais quand même un mystère inépuisable, celui de l’homme. C’est-à-dire : l’enseignement du Christ, son Evangile nous ouvre deux fenêtres, l’une sur le ciel, l’autre sur la terre. Celui qui fréquente l’école du divin Maître jouira d’une science, d’une sagesse, d’une révélation incomparable et béatifique au sujet du Dieu infini et ineffable, transcendant et immanent ; et il lui sera permis de lui donner le plus auguste et le plus familier des noms : celui de Père : « Vous, donc, nous enseigne le Christ, vous prierez comme ceci : Notre Père qui es dans les cieux... » (
Mt 6,9). Théologie admirable dont l’humanité ne saurait être jamais rassasiée, dont elle ne pourra plus jamais se passer une fois qu’elle l’aura découverte, qu’elle en aura fait l’expérience intérieure. Oh ! Puisse la philosophie humaine essayer de balbutier quelque parole sublime au sujet du « Dieu inconnu » sans se laisser emporter par le doute et la peur ; qu’elle nous dise si jamais vision plus parfaite et plus rassurante a été offerte au regard, aux lèvres et au coeur de l’homme ! Oh ! nous ne voulons pas méconnaître la grandeur de la poésie humaine, les spéculations des mystiques de toute religion, de toute orientation, les gémissements de tant d’esprits, provoqués par les expériences les plus vives de l’amour et de la douleur ; mais nous ne pouvons manquer de remercier le divin Maître de nous avoir enseigné son incomparable et sublime prière, — la nôtre désormais — qui jaillit d’âmes devenues intrépides parce qu’elles ont su accueillir le grand et premier commandement de l’amour auquel se rattache toute la Loi ainsi que les prophètes » (cf. Mt 22,37 et suiv.) sur l’oeuvre de l’homme ; une prière qui monte des lèvres des tout-petits éduqués à la conversation divine (cf. Mt 11,25 et suiv.). Cela, c’est l’enseignement vertical (cf. les Pensées de Pascal, 521, 537, 547, 548...).

Et l’enseignement horizontal ? la théologie au sujet de l’homme ; nous la lisons avec celle qui concerne Dieu. Avant tout : « Qui me voit, voit le Père » dit Jésus à Philippe, son disciple qui s’était risqué à demander : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit » (Jn 14,8-9). De Jésus rayonne une double vision : une vision divine, celle de la perfection infinie ; une vision humaine, dans sa dégradation multiple ; c’est dire que dans toute souffrance humaine se révèle, en transparence pour qui sait le découvrir, le mystère de l’homme, souffrant et déchu, mais qu’il ne faut plus mépriser, et, au contraire, rechercher et aimer, d’un amour supérieur, d’un amour religieux (cf. Mt 25,35).

C’est cela, la religion de Jésus. Il faut que nous y insistions. Il semble qu’aujourd’hui ce soit la mode ; et c’est très bien. Mais n’oublions pas : aussi longtemps qu’il y a l’Evangile ! La civilisation, même la plus experte, la plus raffinée, ne saurait soutenir le vrai, fort et cohérent amour de l’homme pour l’homme si le Christ ne nous enseigne pas ce qu’est l’homme et pourquoi il faut l’aimer (cf Jn 2,25 L. de Grandmaison, Jésus-Christ, II, 85 et suiv.; Christus, Rousselot-Huby, 982 et suiv.).

Avec notre Bénédiction Apostolique.






17 novembre 1976: JOIE ET SOUFFRANCE DANS LA VIE CHRÉTIENNE

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Chers Fils et Filles,



Un désir de synthèse, avons-nous dit dans nos précédentes rencontres du mercredi, le désir de condenser en quelques formules essentielles la célébration de l’Année Sainte a guidé nos pensées alors que nous approchons de la conclusion de cette année liturgique, liée logiquement à celle qui l’a précédée ; et nous nous proposons de prolonger dans le temps non seulement le souvenir mais aussi et surtout l’esprit de renouvellement chrétien dont ces précédentes périodes d’expérience religieuse plus intense et plus consciente nous ont, grâce à Dieu, infusé le sens et la vigueur.

La formule que nous voulons rappeler et retrouver chargée des richesses spirituelles dont on a eu la profit et qui s’ouvre à de nouveaux développements pour une successive période de vie chrétienne, est celle que nous avons consacrée à la joie spirituelle qui doit caractériser l’authenticité de notre profession de fils de Dieu, de disciples et frères du Christ, de temples animés et éclairés par l’Esprit Saint, de membres vivants de ce corps social mystique et cependant visible qui se nomme l’Eglise. « Gaudete in Domino », soyez heureux dans le Seigneur, avons-nous dit à l’Eglise elle-même et à tous ceux qui, en quelque mesure, en respirent le divin souffle animateur; « gaudete in Domino » (
Ph 4,4) ; nous le répétons maintenant avec la même intention d’inclure dans cette expression que Saint Paul répète si souvent (2Co 13,11 Ph 2,18 Ph 3,1 Ph 4,4 1Th 5,16 etc.), une manière d’être unissant tout en même temps la foi, l’espérance, l’amour, l’esprit et l’action apostoliques, la sérénité, le courage, la patience, l’abnégation, etc. ; une manière d’être qui peut dignement couronner la spiritualité et la pédagogie de cette particulière période liturgique.

Nous ne saurions mieux faire que de rappeler à votre filiale attention notre Exhortation Apostolique du 9 mai 1975 dédiée à la joie chrétienne ; nous osons dire : relisez-la pour vous imprimer dans le coeur une ligne d’orientation vers un authentique renouvellement du sens religieux et chrétien comme nous l’avons tous souhaité en célébrant l’Année Sainte, puis en célébrant l’année liturgique qui l’a suivie et qui est maintenant toute proche de sa conclusion.

Faisons maintenant quelques brèves remarques à titre de commentaires et de recommandations au sujet du texte que nous proposons de nouveau à votre attention. Voici la première remarque : il ne s’agit pas d’un document qui vise à une consolation particulière ou occasionnelle, mais bien d’une parole qui a valeur de message essentiel pour la spiritualité catholique et notamment si, comme il nous paraît, elle vient bien à-propos et d’une manière dont on ne peut que ressentir l’opportunité. En effet, ces temps-ci, ne sont-ils pas pleins de tristesse ? Malheureusement, ils le sont ! Il est possible qu’ils restent traumatisés par les deux guerres mondiales qui ont ensanglanté l’histoire de notre siècle et les révolutions, les inquiétudes sociales qui en ont, sous certains aspects, prolongé le malaise moral ; non, même si elle se pare d’un masque de joie, notre époque n’est pas heureuse. Et, en observent attentivement la psychologie de l’homme d’aujourd’hui on y découvre un fond d’amertume, de scepticisme, d’esprit révolutionnaire et de soif de vengeance ; et même les efforts admirables pour apporter l’ordre et la prospérité à notre monde ne réussissent, souvent, qu’à réveiller en lui le sentiment de ses déficiences, de ses injustices, de ses souffrances. Au fur et à mesure qu’il s’est mieux rendu compte du degré de civilisation qu’il a atteint ou qu’il faut atteindre, l’homme s’est aussi mieux rendu compte de sa propre nature incomplète et fragile. Et surtout, le développement logique de la philosophie, de l’idéologie, de la culture contemporaine a plongé l’homme dans des états d’incertitude, d’insatisfaction, de nihilisme, qu’une discipline extérieure ne parvient pas à modifier ; et encore moins à l’en consoler. Un gémissement que nous pourrions presque qualifier de prophétique circule dans le monde comme pour dénoncer la souffrance des hommes croissant au fur et à mesure que s’accroît leur richesse et leur faim d’une richesse plus grande qui leur manque encore. Misères, douleurs, déceptions, souffrances semblent couvrir la surface de la terre, au lieu de la paisible jouissance de tous les biens que nous offre le progrès. La parole du Christ continue à retentir, et son caractère toujours actuel, sa faculté de nous apporter réconfort et espérance justifie notre éloge de la joie chrétienne : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » a dit le Seigneur (Mt 11,28).

Et ce mécontentement devenu contagieux a pénétré quelques secteurs du monde ecclésial lui-même, au point d’en marquer le visage d’agressive amertume, non pas tant à cause de fraternels reproches pour tant de défauts qui l’avilissent et dont son empreinte chrétienne rend plus évidents et plus responsables, mais à cause d’une attitude désormais à la mode, qui semble parfois justifier une supérieure intransigeance mais qui, souvent cache un manque d’amour, c’est-à-dire de joie intérieure qui n’est plus capable de s’extérioriser. Ici également le baume d’une sincère joie chrétienne pourrait faire renaître parmi les frères dans la foi un climat d’exemplaire socialité chrétienne.

Nous voulons ajouter à ceci une autre remarque pour éviter qu’on pense que la vie chrétienne est toujours joyeuse, au risque d’exclure la douleur de l’expérience vécue. Non, la joie chrétienne et la souffrance vont de pair, sauf que ce jumelage de plaisir et de douleur devient tolérable mais même, avec l’aide de Dieu, souhaitable. Saint Paul est un grand exemple de ce caractère ambivalent de la sensibilité chrétienne : « Je suis rempli de consolation ; je surabonde de joie dans toutes nos tribulations » (2Co 7,4). La croix n’est pas absente de la plénitude de la vie chrétienne, au contraire, elle s’y dresse comme un trophée de victoire, unie comme elle l’est à l’amour, au sacrifice, à la garantie de la résurrection.

Et ainsi, nous nous souviendrons d’alimenter en nous la joie de la vie chrétienne pour savoir en tirer la force qui lui est propre. Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Nous sommes très heureux de saluer les Conseillères et Déléguées de l’Union internationale des Supérieures générales. Chères Soeurs, Nous adressions aux membres de l’Assemblée de votre Union, le 12 novembre de l’an dernier, des paroles qui gardent toute leur actualité sur le sens de la consécration à Dieu, de la prière, de l’ascèse et de l’appartenance à 1’Eglise qui doivent caractériser toute vie religieuse.

Le thème de votre rencontre actuelle est «Vivre les voeux, aujourd’hui». Ici ou là, en effet, vous avez pu constater une plus grande hésitation des postulantes à l’égard d’exigences qui se rattachent aux trois voeux traditionnels, et chez les professes elles-mêmes, une recherche pour vivre la pauvreté et l’obéissance d’une manière qui leur paraît plus adaptée aux conditions de pauvreté de nos contemporains ou à leur souhait d’épanouissement personnel. Vous avez pu mesurer l’intérêt, la part de vérité et les limites de ces expériences. Mais il faut surtout approfondir toujours davantage la signification, la sagesse et le réalisme de vos voeux de religion: leur radicalité rejoint, vous le savez bien, celle de l’engagement qui est demandé au parfait disciple de l’évangile; et la disponibilité qu’ils assurent en vue du service de Dieu et de son Royaume n’est-elle pas aussi, pour l’ensemble des chrétiens, un appel original et efficace à vivre plus dégagés des emprises de notre société? Oui, il y a là un signe capital pour le témoignage de 1’Eglise et son oeuvre d’évangélisation. Il vous appartient de le rendre encore plus authentique et plus expressif. Nous vous encourageons vivement à marcher dans cette voie, en implorant sur vous l’intercession de votre Soeur, Maria di Gesù Lapez de Rivas, que Nous venons de béatifier, et en vous bénissant de tout coeur.

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Nous sommes heureux d’accueillir aussi et de saluer aujourd’hui les représentants des «Skal Clubs». Vos différentes associations, chers amis, s’efforcent de favoriser les rapports entre les professionnels du tourisme et une plus grande compréhension entre les peuples. Nous vous encourageons de grand coeur à être toujours fidèles à cet idéal et à collaborer ainsi à la paix dans le respect mutuel et l’amitié.

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Nous félicitons les pèlerins de Côte d’ivoire, et spécialement du diocèse de Bouaké: vous avez estimé important d’entreprendre ce long pèlerinage en Terre Sainte, pour méditer sur les lieux où le Christ a vécu, puis à Rome, pour vénérer les tombeaux de nos ancêtres dans la foi, et vous insérer davantage, avec Nous, dans la grande famille catholique. Soyez-en maintenant les témoins, près de vos frères, pour les affermir dans la foi. Et merci de votre visite!





24 novembre 1976: JÉSUS DE NAZARETH, ROI DES JUIFS

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Chers Fils et Filles,



Comme vous le savez, cette semaine prend fin l’année liturgique, c’est-à-dire la recherche de Dieu dans l’histoire où le Christ est entré le jour de sa Nativité. A sa manière, il se révèle dans l’humilité de l’Evangile, dans la réalité concrète de son humanité (cf
Jn 1,1-3), avec cette Parole incisive, tranchante comme une épée (He 4,12), chargée de vertus miraculeuses qui guérissent (cf Mt 8,3) et dominent les flots (Mt 8,26). Il nous apporte l’enchantement de ses Béatitudes (cf Mt 5,3 et ss.) et l’avertissement de ses malédictions (Mt 11,21 Mt 18,7 Mt 23,14). Finalement il nous apporte la Révélation du Père, de Lui-même et de l’Esprit (Jn 16,13 Mt 28,19) ; Il est mort crucifié, est ressuscité et monté au ciel. Il a disparu (Ac 1,19)... Il nous a dit qu’il reviendra... (Ac 1,11). Mais comment ? Quand ? En attendant voilà que douze mois se sont écoulés ; l’année de la prière répartie dans le temps est finie. Comment allons-nous conclure cette période spirituelle ?

Ici s’impose une synthèse, qui, sera en quelque sorte l’expression de notre attitude à l’égard du Christ. Prêtons l’oreille un instant à une voix étrangère qui va nous secouer comme des naufragés dans la tempête : Jésus... « Ce n’est qu’un petit Juif, der kleine Jude, disait Nietzsche et, comme lui, le disent aussi certains parmi les hommes les plus sages, les plus célèbres, les plus forts du monde... ». Il est pauvre, nu, méprisé, insulté, couvert de crachats, une vermine et non un homme... Mais s’ils regardent attentivement son visage, ils trembleront de peur et tomberont à ses pieds comme le démoniaque du pays de Gadara : « Je t’en prie, par Dieu, ne me tourmente pas ! » (Merezkovskij, Gesù sconosciuto, p. 314). Qui est Jésus-Christ ? Voilà, nous voulons toujours à l’Ecole de l’Eglise et toujours en rappel de notre catéchisme, résumer notre théologie en un titre qui dit tout en un seul mot, le titre que l’Ange, annonçant sa venue au monde, lui reconnut — en un langage biblique — par droit de naissance : « Tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et on l’appellera Fils du Très-Haut... Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera sur la maison de Jacob à jamais et son règne n’aura point de fin » (Lc 1,31-33). C’est ce titre qu’un jour, après le sensationnel miracle de la multiplication des pains, la foule heureuse et exaltée voulait lui conférer, celui de roi, mais avec une équivoque signification messianique, temporelle et prophétique en même temps ; Jésus refusa (Jn 6,15), en se soustrayant à la foule. C’est encore ce titre qui lui était attribué par l’opinion publique presque comme un chef d’accusation et auquel, devant Pilate, Il s’acharna à rendre son vrai sens transcendant : « Tu es le Roi des Juifs ? demandait Pilate, intrigué par la dénonciation d’une foule déchaînée ; et Jésus de répondre : « Mon règne n’est pas d’ici-bas ». Le Procureur Romain insista : « Donc, tu es Roi ? ». Et alors « Jésus répond : tu l’as dit ; Je sui Roi »... Et cette réponse vaut à Jésus, après la flagellation, par divertissement cruel des soldats, d’être couronné d’épines (Jn 19,20) ; puis, sur la Croix, Pilate fait mettre un écriteau qu’il avait rédigé lui-même pour expliquer la condamnation. Il portait ces mots, en hébreu, en latin et en grec : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs (Jn 19,20). Jésus fut Crucifié comme Roi, parce que Roi. Et comme Roi, Jésus ressuscita et fut glorifié et Roi, Il l’est pour l’éternité : « ... le manteau qui l’enveloppe est trempé de sang et son nom est Verbe de Dieu, nous révèle l’Apocalypse (...) ; un nom est inscrit sur son manteau et sur sa cuisse ; Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs » (Ap 19,16). Oui, le Christ est Roi.

Nous sommes moins sensibles aujourd’hui à ce titre suprême. Il faut que nous entendions résonner sa signification biblique et actuelle, en relisant et en étudiant le document pontifical qu’à la fin de l’Année Sainte 1925 le Pape Pie XI, avec son Encyclique Quas primas, voulut adresser à l’Eglise en instituant la Fête du Christ-Roi (acta Apost. Sedis, vol. XVII, 1925, p. 503 et suiv.). La royauté du Christ synthétise liturgiquement et spirituellement le cycle de notre culte annuel et propose à nore vie religieuse une méditation d’ensemble merveilleuse et sans limite. Notre christologie se fait christocentrique. Elle est la clé pour comprendre l’Evangile si vraiment l’Evangile est, comme nous le savons, l’annonce et l’inauguration du règne de Dieu dans le temps, dans l’humanité, dans la vie de l’Eglise; la royauté est la voie qui nous permet de pénétrer le mystère du Christ dans sa profondeur ineffable (cf Ap 1,12 et ss.), dans son extension cosmique (voir la page éclatante écrite par Saint Paul dans son Epître aux Col 1,15-23) ; dans sa formulation théologique (cf le tomus du Pape Léon I, Denz. Schoen., DS 290 et ss. ; cf L. bouvier, Le Fils éternel, Réflexions, p. 469 et sv.). Dans la célébration de la royauté du Christ nous trouverons des motifs pour l’adorer dans sa divinité, pour nous rapprocher de Lui dans son humanité ; nous y trouverons, certes, sa majesté et son pouvoir, mais aussi le centre d’où émanent l’effusion sanctifiante de l’Esprit et le centre d’attraction de toute destinée humaine. Nous y trouverons le Chef, le Maître, le Pasteur, le Sauveur, le Verbe Incarné, l’Agneau de Dieu, Prêtre et Victime d’infinie bonté.

Et cette rayonnante figure du Christ-Roi qui nous permet d’avoir de Lui, par participation et pour autant que nous puissions la percevoir, une vision eschatologique et céleste, ne l’éloigné pas de nous, de chacun de nous : car le miroir dans lequel nous pouvons contempler sa vivante image, c’est la foi, cette foi que chacun comme un oeil intérieur et spatial, au plus intime de soi-même, là où, comme nous le dit Saint Paul et tel que nous le confirme notre expérience religieuse même ; là, donc, où Lui, le Christ « habite en nous » (Ep 3,17).

Tout cela nous donne l’impression d’un monde nouveau, d’un tourbillon indéfinissable mais c’est la réalité, en puissance aujourd’hui, réelle demain si nous nous laissons vraiment sauver par le Christ.

Avec notre Bénédiction Apostolique.






1er décembre 1976: VERS NOËL

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Chers Fils et Filles,



Voici l’Avent. C’est le temps liturgique qui précède Noël. C’est la période de l’attente, de la préparation, de la recherche. On ne saurait célébrer dignement ce grand fait, ce grandiose événement qu’est Noël, qu’est la venue du Verbe de Dieu, Dieu lui-même, dans le monde, dans l’histoire, dans l’humanité, sans y être en quelque sorte préparé, Noël n’est pas une simple échéance du calendrier : c’est un prodige qui se place comme pivot du destin de tous les hommes. Il est le centre de la roue cosmique qui nous entraîne tous, conscients ou inconscients que nous soyons. Il pose des problèmes immenses, qui résout des questions fondamentales pour notre pensée et pour notre vie.

Noël exige avant tout une première attitude que nous pourrions dire de recherche. Ou, si vous voulez : une attitude philosophique, c’est-à-dire radicalement rationnelle, celle qui concerne Dieu, l’existence de Dieu qui est pour nous comme le soleil, qui illumine la scène sans confins de l’univers : « la lumière véritable qui éclaire tout homme » comme le dit Saint Jean dans le prologue de son Evangile » (
Jn 1,9) ; celle qui rend le monde intelligible.

Et voici donc le premier mouvement de notre recherche ; celui qui s’adresse à Dieu. Dieu existe-t-il ? Qui est Dieu ? Quelle connaissance pouvons-nous avoir de lui ? Où en est la pensée contemporaine au sujet de cette interrogation fondamentale ? et quelle est la position de mon âme ou sujet de ce point central du savoir humain ?

Questions formidables ! En fait, nous ne prétendons pas vous donner une réponse adéquate, organique, scolaire, mais il suffit simplement de percevoir ces questions pour se rendre compte de l’importance, de l’ampleur, de la supériorité même du climat mental dans lequel nous introduit la célébration de Noël. C’est ainsi qu’est la religion : elle ouvre devant nous d’immenses panoramas. Pauvres serions-nous, si nous avions, malheureusement, l’opinion si répandue dans la mentalité contemporaine que la religion est une forme naïve, primitive, mystique, de concevoir le cadre de la réalité qui cerne notre existence ! La religion ouvre les deux au-dessus de nous ; la religion découvre des abîmes autour de nous ; la religion dilate notre pensée au-delà du cadre étroit de notre expérience quotidienne. En attendant, enregistrons cette première constatation : l’incomparable dignité de la religion.

Par religion nous entendons le rapport de l’homme avec Dieu. Et ici notre pensée d’avant-Noël est invitée à se hisser à un nouveau plan, au-dessus de celui, inférieur, auquel le condamne l’athéisme moderne. Le plan de la certitude. Notre recherche ne se borne pas à la seule phase de formulation problématique, la phase de l’interrogation, de l’éternelle indécision finale, du doute toujours timide et aristocratique qui ne veut pas se compromettre en admettant la vérité conquise, source de trop nombreux devoirs. Notre recherche aura, certes, la conscience de ne pouvoir jamais épuiser ses efforts vers le Tout, vers le Secret ultérieur et ultime puis ineffable de la réalité ; mais en maintenant la tension vers une progressive démarche du savoir, elle ne refusera pas l’adhésion due à la Vérité connue, ne reculera pas devant la raison par crainte systématique de devoir revenir sur son opinion. Elle saura dire oui à la certitude que des motifs plausibles lui imposent. C’est là une des faiblesses caractéristiques de la mentalité de tant de gens de notre époque : confondre le doute sceptique et habituel avec la recherche et l’étude de l’intelligence critique et progressive (cf. Denz-Schoen., DS 3014 DS 3036).

Et ainsi, également, il ne faut pas que nous cédions à l’illusion qui, elle aussi, fait école dans notre monde incrédule : celle d’avoir donné à la pensée humaine une réponse suffisante avec les réponses scientifiques, incontestablement merveilleuses, encyclopédiques, progressives, bien dignes d’être cherchées et célébrées, mais insuffisantes si elles éludent la suprême question de Dieu ou si elles sont inspirées par des préjugés aveugles et pseudo-suffisants ou encore si elles entraînent une absurde renaissance du panthéisme ou un nihilisme humiliant. La science, en étendant le champ de la connaissance, rationnelle, ne fait qu’élargir le domaine de la recherche finale du comment et du pourquoi des choses, c’est-à-dire celle du principe transcendant et générateur des phénomènes scientifiques (cf. G. tresmontant : Comment se pose aujourd’hui le problème de l’existence de Dieu, p. 384 et ss. ; éd. du Seuil, 1966).

Oui, nous devons chercher ; mais non pas l’esprit plein de préjugés, désespérément convaincu qu’il ne pourra jamais atteindre la vérité de Dieu. Nous devons chercher cette vérité que Lui-même nous laisse découvrir dans le grand miroir de la nature, puis celle que l’histoire et l’enseignement du Christ nous révèlent avec une richesse ineffable, avec une communion vitale.

Cette orientation optimiste de notre recherche, est une attitude d’avant-Noël, elle nous rappelle ce qu’a dit Pascal : « Tu ne me chercherais pas si déjà tu ne m’avais pas trouvé ».

Avec notre Bénédiction Apostolique.






15 décembre 1976: VOICI NOËL

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Chers Fils et Filles,



Voici bientôt Noël. Une demande s’impose: avons-nous compris le sens de cette fête annuelle ? En accueillons-nous vraiment la valeur dans notre manière de penser et d’agir ? Cette interrogation est importante elle est même inquiétante, car, dès que l’on tente de pénétrer l’esprit dans ce thème de Noël, il semble que son contenu éclate de densité au point qu’on ne saurait le saisir. Parlant précisément du mystère du Christ, Saint Paul nous exhorte à nous mettre en mesure de le comprendre dans les quatre dimensions « l’ampleur, l’extension, la hauteur, la profondeur » où il s’étend au point de dépasser toute faculté d’entendement (cf.
Ep 3,18-19). Pour beaucoup d’entre nous, Noël est simplement une date du calendrier, un peu particulière toutefois, qui insère un moment de pause dans notre labeur habituel, qui comporte un peu de joie, quelque cadeau à faire et à recevoir, quelque distraction de qualité, quelque mouvement au regard actif et passif de notre bilan. Il y a aussi autre chose qui nous entraîne sur le seuil du monde de la fantaisie et de la poésie : l’arbre de Noël, le Père-Noël et, pour celui qui veut pénétrer au coeur de la réalité historique et religieuse de Noël : la crèche. Ce spectacle ingénu, innocent, réaliste de Noël offre certainement la perspective la meilleure. Il nous présente, tout imaginé qu’il soit, la scène authentique de l’événement dont nous célébrons le souvenir sacré ; il est beau, il est pieux, il est édifiant de s’extasier devant le tableau idyllique et arcadien de quelque page évangélique qui nous ramène tous, heureux et simples comme des petits, devant l’Enfant Jésus, venu au monde dans un si grand dénuement, au milieu d’une nuit froide que la splendeur des anges rend transparente, sous un ciel qui vibre de chants merveilleux. C’est tellement beau ! Mais cette extase momentanée, suffit-elle à nous faire comprendre ce qu’est Noël ? Avons-nous tenté de recueillir l’impression première et spontanée que l’humble scène de la crèche suscite dans l’âme de ceux qui la contemplent en silence ? C’est-à-dire, avons-nous confronté la naisance du Christ dans le monde, et le monde qui la cerne ? Puis, il semble que chacun soit invité à établir une confrontation entre Lui, le Christ, et soi-même ; à se rendre donc compte du rapport qui existe entre sa propre âme et la venue du Christ, un rapport étroit, pressant, plein de problèmes que nous ne désirons pas toutefois analyser en ce lieu et en ce moment.

Nous préférons vous inviter à autre chose, à confronter la venue du Christ dans le temps et l’histoire de l’humanité. Méditations sans limites, comme le ciel qui enveloppe la terre. Mais, dans ce cadre d’une telle amplitude, cueillons au moins cette impression dominante : le moment de la crèche se situe au lieu géométrique de l’histoire universelle. Les siècles convergent sur cet infime instant, ceux du passé, comme une préparation, ceux du futur comme une conséquence. Nous savons que nous considérons un fait qui dépasse de très loin notre intelligence et même notre imagination. Mais il en est ainsi. Comme s’il contemplait un cadran du temps qui enregistre d’innombrables siècles, Saint Paul disait « ... quand vint la plénitude du temps (to pléroma tou chronou), Dieu envoya son Fils, né d’une Femme » (Ga 4,4). La scène pastorale de la crèche acquiert une signification cosmique. La nuit des siècles est traversée par une Pensée qui veille et qui, à un moment donné, diffuse de la crèche une lumière qui illumine l’histoire du monde ; ici, l’histoire du monde trouve sa clé, son secret, son pivot, son sens, son destin. Le temps, si opaque, si impossible, si inexorable, a sa lumière ici (cf. Jn 1,5 Jn 12,46) ; il faudra que nous y retournions toujours pour comprendre le sens vrai et profond des choses de la vie.

Voici une autre observation guidant la pensée humaine : cette apparition du Christ dans l’histoire a une « histoire », passée et future ; un dessein dont la connaissance, au moins sommaire, ne saurait manquer à notre Noël. Nous voulons dire l’évocation spirituelle de la préparation ethnico-historique de la venue du Christ, celle que nous définissons comme « Ancien Testament » ; c’est-à-dire la conscience de la suite historico-religieuse de la venue du Christ, ce « Nouveau Testament » dans lequel actuellement nous continuons à vivre dans l’attente d’une eschatologie finale, dans l’attente, donc, de cet « autre monde » dans lequel le royaume de Dieu se manifestera dans sa plénitude.

Puis, il y a encore mille et mille autres pensées. Mais que ceci suffise !

Comme il est beau, toutefois, d’ouvrir son esprit aux grandes visions du temps, c’est-à-dire de l’histoire de la vie humaine, en partant de l’humble crèche de Bethléem ! Oh Grandeur de l’humilité du Christ ! Oh la venue du Christ au niveau humain de notre bassesse pour nous élever à la hauteur de sa divinité ! Oh ! antinomie de notre incapacité à être des hommes vrais et parfaits, et de la toute-puissance libératrice et salvatrice de Celui qui est venu pour faire de nous des « fils de Dieu » (Jn 1,12).

Préparons-nous à la fête de Noël en nous penchant sur l’humilité de la crèche où le Christ se fit nôtre, afin de nous relever dans le désir, dans l’espérance, dans la grâce du Christ glorieux, quand nous serons vraiment à Lui.

Avec notre Bénédiction Apostolique.







Catéchèses Paul VI 10116