S. Alphonse - la religieuse



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La Sainte Religieuse La Vraie Epouse de Jésus-Christ

titre original italien : La vera sposa di Gesù Cristo, cioè la monaca santa per mezzo delle virtù proprie d'una religiosa

Traduction? – ce n’est pas celle éditée par Paul Mellier en 1842.

p. 1 et 2 préface p. 46 à 48 chapitre 3 p. 63 à 77 fin chapitre 4, chapitre 5, début chapitre 6 p. 84 à 96 fin chapitre 6, chapitre 7 p. 115-124 continuation du chapitre 7 - obéissance due aux règles p. 129-138 continuation du chapitre 7 - les quatres degrés de l'obéissance p. 151-160 chapitre 8 - mortification, modestie, mortification du goût p. 163-170 chapitre 8 - continuation de mortification du goût - ouïe, odorat et toucher p. 183-189 - suite du chapitre 9 - début chapitre 10




p. 1 et 2 préface :

 Préface du Traducteur

Fondateur d'une Congrégation de missionnaires, saint Alphonse fut aussi le père et le législateur d'un Ordre de moniales. En dehors même de cette famille religieuse qui lui doit la vie, il réserva, durant sa longue et laborieuse carrière, une part très considérable de son infatigable activité d'apôtre aux Vierges consacrées. C'est qu'il avait compris et la valeur évangélique de la vie religieuse, et les prédilections du Coeur de Jésus pour ses Vierges, et le rôle important que le Rédempteur leur réserve dans l'Église, à la suite de leur céleste Reine, pour le salut du monde.

Par l'admirable ouvrage dont nous offrons au public une traduction nouvelle, saint Alphonse a continué, et continuera jusqu'à la fin des siècles, ce fécond apostolat. Traduites dans toutes les langues, répandues dans tous les pays, ces pages ont éclairé la route devant des âmes innombrables, ont inspiré et soutenu leurs victorieux élans vers la sainteté.

À quoi tient la puissance de ce livre ?

Saint Alphonse publia « La Sainte Religieuse » à l'âge de soixante-quatre ans. Il comptait alors plus de trente années de ministère : on comprend quels trésors d'expérience avait accumulés cet homme qui était un génie et un saint, et qui avait fait le voeu de ne pas perdre un instant ! Or, répétons-le, de ce labeur surhumain, qui donc, avant tout, avait bénéficié ? Les âmes religieuses. À les cultiver, Alphonse de Liguori avait consacré le meilleur de son zèle, dans ses fonctions variées de prédicateur, de confesseur, de directeur, de fondateur, de législateur ; toutes fonctions remplies par lui comme pouvait les remplir un apôtre naturellement et surnaturellement parfait.

La Sainte Religieuse est le fruit de son incomparable expérience. Il connaît à fond aussi bien les misères que les grandeurs des âmes consacrées ; il sait de quoi elles souffrent, à quoi elles aspirent, ce qu'il leur faut, par quels sentiments elles seront touchées.

Voilà, d'abord, pourquoi « La Sainte Religieuse » est une oeuvre puissante.

** oeuvre puissante encore, parce qu'elle est le fruit d'une autre expérience : l'expérience personnelle de la sainteté.

Les saints sont les maîtres très sûrs de la perfection. Leur autorité est sans égale, en cette science qu'ils ont approfondie, en cet art qu'ils ont pratiqué.

Or, nulle part plus complètement que dans ces pages lumineuses et brûlantes, Alphonse n'a livré, avec les secrets de son âme, les secrets de la sainteté. Si bien que ses autres ouvrages, nous semble-t-il, ont en quelque sorte besoin d'être étudiés à la lumière de celui-ci pour être compris pleinement, et pour livrer tout ce qu'ils renferment, dans leur simplicité voulue, de profondeur doctrinale et de surnaturelle saveur.

*** Maître éminent, Alphonse s'ingénie à garder toujours figure de disciple. Disciple de Jésus-Christ tout d'abord, bien entendu : il va puiser perpétuellement à la source intarissable de l'Evangile. Mais disciple aussi de tous ceux qui ont répété et prolongé, à travers les siècles, les enseignements de Jésus Christ ; à commencer par les premiers héros de la sainteté religieuse, les Pères du désert, pour lesquels il professait le même culte que sa très chère sainte Thérèse.

Il faudrait avoir bien peu le sens de l'Evangile pour croire qu'Alphonse en soit diminué. L'humilité nous grandit toujours : Qui se humiliaverit exaltabitur. Cet effacement volontaire, outre qu'il nous donne une très haute leçon de vertu, nous permet d'entendre, dans la voix d'Alphonse, la voix de tous les siècles catholiques : c'est un accroissement de puissance pour son oeuvre.


VIERGES CONSACRÉES

qui, n'écoutant que sa seule bonté, t'a placée dans le monde, puis, par tant de grâces exquises, a su t'attirer à son amour; en lui, Jésus, ton époux. [...] retour au sommaire

£[P.46-48] : CHAP. III TOUTE A DIEU

Quand on donnerait toutes les richesses de sa maison pour l'amour, on les méprise comme n'étant rien (Ct 8,7). Une âme qui aime Dieu méprise toutes les offres et toutes les promesses du monde ; elle compte pour rien, en somme, tout ce qui n'est pas Dieu. « Quand le feu est dans une maison, on jette tous les meubles par les fenêtres », dit saint François de Sales. Le saint entend par là qu'une âme, quand le feu divin la dévore, n'a plus besoin, pour sacrifier les biens créés, ni de sermons, ni de lectures spirituelles, ni d'exhortations du directeur : elle se porte d'elle-même à ce dépouillement, ne voulant posséder ni aimer rien autre que son unique bien qui est Dieu.

7. Trouveriez-vous, ma soeur, que votre Epoux Jésus ne mérite pas tant d'amour ? N'a-t-il pas sacrifié sa vie pour vous sur la croix ? ne s'est-il pas donné à vous tant de fois dans la sainte communion ? ne vous a-t-il pas enrichie de grâces innombrables, de grâces spéciales refusées à d'autres âmes ? Pensez, dit saint Jean Chrysostome, « qu'iI vous a tout donné », ce qu'il a et ce qu'il est, « ne se réservant rien à lui-même ». Cette pensée touchait particulièrement saint Bernard et l'enflammait d'amour : « Mon divin Seigneur s'est donné tout à moi, il s'est dépensé tout entier à mon service », il s'est consumé pour mon amour : il est juste que je me dépense et me consume pour son amour. Mon bien-aimé est à moi, sans réserve il s'est donné: et moi ne serai-je point à lui (Ct 2,16) et sans réserve ?

La religieuse, disait sainte Marie-Madeleine de Pazzi, a pour vocation d'être l'épouse du divin Crucifié : dès lors, en toute sa vie, en toutes ses actions, elle ne doit avoir de regards que pour Jésus crucifié, ni d'autre occupation que de considérer l'amour que lui a porté ce divin Epoux.

Au moment d'accomplir l'oeuvre de la Rédemption, Jésus-Christ disait : Maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors (Jn 12,31). Voulait-il dire qu'après sa mort, le démon serait jeté hors du monde ? « Non point, répond saint Augustin, interprétant ce passage ; mais hors des coeurs des fidèles. » Mais si Jésus-Christ est mort pour tous, iI est mort spécialement pour les vierges ses épouses. Si donc un Dieu s'est donné ainsi à vous sans réserve, trop grande serait votre ingratitude de lui disputer le don total de votre cceur et d'apporter des restrictions à votre amour pour lui.

Dites-lui donc souvent : « Non Jésus, vous n'avez mis aucune réserve au don de vous-même à moi ; votre sang, vos sueurs, vos mérites, vous m'avez tout donné ; vous ne pouviez me donner davantage, n'ayant plus rien. Moi, je me donne entièrement à vous ; je vous sacrifie tous les biens que je puis espérer de la terre ; je vous sacrifie toutes mes satisfactions; je vous sacrifie mon corps, mon âme, ma volonté, ma liberté ; je n'ai rien de plus à vous donner : si j'avais davantage, je vous donnerais davantage. Je renonce à tout ce que le monde peut m'offrir, et je proclame que vous seul me suffisez. »

« Voyez le bel échange ! s'écrie sainte Thérèse : donner à Dieu notre amour, pour recevoir le sien ! » Mais n'oublions pas ce dont la sainte nous avertit : « Nous n'en finissons pas de faire à Dieu le don total de nous-mêmes... C'est pourquoi nous ne recevons pas non plus d'un seul coup le trésor de l'amour divin. »

8. Une épouse de Jésus-Christ ne doit chanter d'autre cantique que le cantique nouveau dont parle David : Chantez au Seigneur un cantique nouveau (Ps 95,1). « Que faut-il entendre, dit saint Augustin, par ce cantique nouveau, sinon un nouvel amour ? » Les vieilles chansons, ce sont les attaches aux créatures et à nous-mêmes, que nous apportons avec nous en naissant, fruits de cette inclination au mal qu'a causée en nous le maudit péché, comme nous le rappelle le Saint-Esprit : L'esprit de l'homme et les pensées de son coeur sont portés au mal dès sa jeunesse (Gn 8,21).

Le chant nouveau, par contre, c'est l'amour de notre coeur s'élevant vers Dieu seul. C'est pourquoi le même saint Augustin nous exhorte à déployer « notre voix par la ferveur du saint amour, en aimant Dieu pour lui-même ». Oui, la voix de notre coeur, le cantique de louanges que nous devons à notre Dieu, c'est l'ardeur à aimer la bonté infinie parce qu'elle mérite tout amour, ardeur qui exclut l'attachement à toute chose qui n'est pas Dieu. Jésus, l'Epoux crucifié, veut des épouses crucifiées au monde et à ses convoitises. Et quand le monde nous met devant les yeux ses pompeuses frivolités et ses délices, nous devons élever la voix avec saint Paulin et dire : « Laissons aux riches leurs trésors, laissons aux rois leurs couronnes : notre gloire à nous, et notre richesse, et notre couronne royale, c'est Jésus-Christ » ; aimer Jésus-Christ, c'est pour nous plus que posséder l'empire de la terre.

L'épouse de Jésus-Christ doit ne désirer que l'amour, ne vivre que d'amour, ne tendre qu'à progresser en amour ; au choeur, dans sa cellule, au dortoir, au jardin, partout, elle doit porter sa continuelle langueur d'amour ; si grande doit être l'ardeur de son amour qu'elle en répande les flammes, non seulement à travers le monastère, mais jusque sur le monde. C'est à un tel amour que l'exhorte et que l'invite par son exemple son Epoux bien-aimé. Heureuse l'âme qui, en religion, peut dire avec vérité comme saint François d'Assise : Mon Dieu et mon Tout ! Deus meus et omnia ! O mon Dieu, alors que vous m'avez liée à vous par tant d'amoureuses prévenances, comment pourrai-je encore courir après les biens de la terre, vous ayant trouvé, vous qui êtes tout bien ? Deus Imeus st omnia. Fi des honneurs, des richesses, des plaisirs ! N'êtes-vous pas mon honneur, ma richesse, mes délices ? Vous m'êtes toute chose. Quel autre que vous ai-je au ciel ? Avec vous, je ne désire rien sur la terre. Le Dieu de mon coeur et mon partage, c'est vous, ô mon Dieu, à jamais (Ps 72,29 72,26). Non, ni le ciel, ni la terre ne peuvent rien m'offrir qui, plus que vous, soit digne d'amour, plus que vous me contraigne à aimer. Qui donc, hormis vous, pourrait prétendre à être le maître de mon coeur ? A vous seul d'y régner, à vous seul de lui commander : à mon coeur d'obéir à votre seul amour, en se portant à tout ce qui est de votre bon plaisir. J'ai trouvé celui que mon coeur aime : je l'ai saisi et je ne le laisserai point aller (Ct 3,4). Oh! oui, je l'ai trouvé celui qu'aime mon âme et qui seul peut faire mon bonheur. Vienne le monde avec tous ses appâts, vienne l'enfer avec tous ses assauts : ils ne m'arracheront pas à vous. Ô Jésus mon Époux, je vous ai saisi : je m'attache étroitement à vous par l'amour ; et je ne vous laisserai point aller : je veux vivre et mourir dans l'union perpétuelle, dans l'union totale avec vous.

9. Pour atteindre la perfection et pour goûter la véritable paix de l'âme, il nous faut mourir au monde et à nous-mêmes : Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur (Ap 14,13).

Or, on ne peut mourir sans douleur : pour mourir au monde et nous détacher de ses biens, nous devons donc nous animer à souffrir. C'est ce que nous rappellent les différentes figures du royaume des cieux, dans l'Ecriture. Tantôt c'est un trésor : on ne peut l'acquérir à moins de vendre tout. Tantôt c'est une cité : la porte en est étroite, et, pour l'atteindre et la franchir, il ne faut épargner ni fatigues ni soins. Tantôt c'est un palais : les pierres qui le composent, je veux dire les âmes, doivent se tailler à coups de ciseau. Parfois, c'est un festin : pour s'y rendre, il faut abandonner toute autre affaire. Ailleurs, c'est un prix : on ne le remporte qu'à la condition de courir jusqu'au bout. Enfin, c'est une couronne : elle n'est donnée qu'au combattant victorieux.

En somme, pour mourir au monde, il faut faire mourir en nous l'amour-propre. « Autant l'amour-propre perd de vigueur, dit saint Augustin, autant l'amour divin en gagne. La perfection de la charité, c'est la mort de l'amour-propre »

La charité ne se mesure pas sur la tendresse, mais sur la force. Saint Augustin a dit aussi : « Il n'est rien d'assez dur pour résister à la flamme de l'amour. » Et encore : « Avec l'amour, ou point de peine, ou l'amour de la peine. » Par suite, une âme qui souffre pour le Dieu qu'elle aime, ou ne souffre pas, ou aime à souffrir. Ce même saint Docteur nous rapporte, dans ses Confessions, ce qu'il éprouva quand il résolut de se donner à Dieu : « Quelle suavité, je ressentis aussitôt dans la privation même des frivoles suavités ! Les perdre avait été ma crainte: les rejeter me fut une joie. »

À une religieuse qui a placé tout son amour en Dieu, rien ne paraît rebutant, ni la pauvreté, ni l'obéissance, ni la mortification, ni rien autre. À la religieuse qui ne se contente pas de Dieu seul, tout devient insupportable.

10. À la vérité, tout le bien que nous faisons vient de Dieu, et, sans la grâce, comme nous l'enseigne l'Apôtre (1Co 12,3), nous ne pouvons pas même dire : Jésus ! Néanmoins, le Seigneur veut que nous y mettions du nôtre et que nous apportions notre concours à l'oeuvre de notre salut éternel.

Bien des âmes aspireraient à la sainteté, mais à une sainteté toute faite et qui leur tombât du ciel sans peine ni fatigue. Cela est impossible. La loi divine est appelée un joug, et le joug se porte à deux : cela veut dire que, pour observer la divine loi, nous avons besoin que Dieu nous aide, mais il faut aussi que nous nous aidions nous-mêmes et, à l'occasion, pour porter ce joug et acquérir le ciel, il est indispensable de se faire violence : Le royaume des cieux s'emporte de force, et les violents s'en emparent (Mt 11,12). Nul, dit saint Paul, ne recevra la couronne s'il n'a lutté (2Tm 2,5) autant qu'il est nécessaire pour vaincre les ennemis de son salut.

C'est pourquoi, épouse bénie du Seigneur, je vous dis, avec le disciple bien-aimé : Tenez ferme ce que vous avez, afin que personne ne ravisse votre couronne (Ap 3,11). Vous ayant choisie pour son épouse, Jésus vous prépare au ciel une couronne éternelle de reine : armez-vous de courage pour ne vous la point laisser enlever par vos ennemis. Rendez-vous semblable à votre Époux, car cette ressemblance est le trait commun de tous les élus. Dieu les a connus d'avance, dit saint Paul, mais il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils (Rm 8,29) Or Jésus marche en avant, couronné d'épines, chargé de la croix, couvert de sang et d'injures.

En cet état, il invite à le suivre et il en pose la condition : Qui veut venir à ma suite, qu'il renonce à soi-même (Mt 16,24). Il va mourir pour vous : il faut que vous aussi, pour son amour, vous vous sacrifiiez jusqu'à mourir, que vous fassiez vôtre la brûlante parole de saint François d'Assise : « Que je meure par amour de votre amour, ô bon Jésus, qui avez daigné mourir par amour de mon amour ! » « Oui, dit l'Apôtre, il est juste que vous mouriez à vous-mêmes, a afin de vivre uniquement pour ce Dieu qui est mort pour vous (2Co 5,15).»

Il est vrai que vous êtes bien faible pour mener à bonne fin une telle entreprise ; mais la vertu divine vous aidera, si vous mettez votre confiance dans la bonté de votre Epoux. Le démon, pour vous molester et vous jeter dans le découragement, viendra vous dire « Comment pourras-tu supporter cette vie si mortifiée, toujours te renoncer, toujours sacrifier tes goûts ? » Répondez-lui, avec saint Paul : Je puis tout en celui qui me fortifie (Ph 4,13). De force, je n'en trouve en moi-même pour rien ; mais le Seigneur qui m'a choisie pour sienne et m'a appelée à son amour me donnera la vigueur pour réaliser tout ce qu'il veut de moi. » Sainte Thérèse a dit : « Avec des efforts et l'aide de Dieu, nous pouvons devenir des saintes. Soyez très certaines que, si nous n'y arrivons pas, la faute n'en est pas à lui, mais à nous. Dieu vient en aide aux âmes courageuses ». Ô Grand Dieu ! si une religieuse ne se sanctifie pas, qui donc le fera ?

Ne négligez donc pas de vous offrir souvent à Dieu, avec une volonté résolue de lui plaire en tout, et priez-le sans cesse qu'il vous soutienne de sa grâce. Lui-même a promis d'exaucer toute prière faite avec confiance : Tout ce que vous demanderez dans la prière, croyez que vous l'obtiendrez, et vous le verrez s'accomplir (Mc 11,24).

Que pouvez-vous craindre ? Prenez courage. Dieu, lui, vous a enlevée du milieu du monde et il vous a délivrée de ses filets ; il vous a appelée à son saint amour, et il vous prépare mille grâces, mille secours, si vous lui êtes fidèle. Vous, vous avez quitté le monde: le plus difficile est fait - vous dirai-je comme sainte Thérèse à ses filles,- c'est le plus facile qui vous reste à faire pour devenir une sainte. Allons ! décidez-vous à rompre avec toute attache nuisible. Eh quoi ! après avoir tout quitté, après avoir renoncé aux biens que le monde vous offrait, après vous être privée de votre liberté en vous enfermant pour toujours entre les murs d'un monastère, vous voudriez, pour quelque misérable satisfaction ou quelque vain caprice, vous exposer aux plus grands risques : risque de tout perdre, votre âme, le paradis et Dieu ; risque d'échanger votre dignité d'épouse du Roi du ciel contre la triste condition d'esclave de Lucifer, de vous préparer ainsi une vie malheureuse et une éternité plus malheureuse encore ? Sans retard, je le répète, décidez-vous. Qui sait si ces paroles que vous lisez ne sont pas le dernier appel du Seigneur ? Ne résistez pas davantage à la voix divine. Cette résistance ne pourrait-elle pas être le point de départ de l'abandon de Dieu ?

Résolution ! résolution ! « Le démon, disait sainte Thérèse, redoute singulièrement les âmes résolues. » Oui, prenez courage : c'est ce qui manque à beaucoup d'âmes pour se sanctifier, dit saint Bernard. Courage et confiance en Dieu ! À volonté résolue rien ne résiste. Si vous obéissez à l'appel divin, si vous vous donnez tout entière à Jésus-Christ, quel bonheur pour vous, plus tard, à votre lit de mort, de pouvoir lui dire, dans l'élan de votre reconnaissance, comme la glorieuse vierge sainte Agathe à la fin de son martyre : « O mon Dieu, vous qui avez enlevé de mon coeur l'amour du monde pour fixer en vous seul toutes mes affections, couronnez vos miséricordes, appelez-moi auprès de vous, dans votre royaume, pour vous aimer de tontes mes forces, sans crainte ni possibilité de ne jamais plus vous perdre, ô Bien immense, Bien infini ! »

12. Âmes religieuses, que n'imitez-vous toutes l'exemple de la vénérable soeur Françoise Farnése ? Elle menait une vie imparfaite, quand, un jour, il lui arriva de lire le martyre des saints Franciscains au Japon. Confuse et repentante, elle se prit à dire : « Et nous, mes soeurs, qu'allons-nous faire ? Aurons-nous tout quitté, maison, parents, aises de la vie, pour venir, entre ces quatre murs, chercher notre damnation, en gardant notre coeur attaché aux biens que nous ne possédons plus ? » Elle résolut dès lors de briser avec le monde et de se donner toute à Dieu : elle mit la main à cette admirable réforme que sa persévérante énergie conduisit à bonne fin. « Dans toutes les entreprises humaines dit saint Jérôme, on veut toujours aller de l'avant : et dans la seule entreprise de la perfection, il suffira d'avoir commencé ? » Chose étrange, d'autant plus que tout chrétien est obligé de tendre à la perfection. « Christianisme et perfection c'est tout un » dit saint Ambroise. N'est-ce pas la conséquence du précepte dont personne n'est exempté, d'aimer Dieu de toutes nos forces ? En outre, qui n'est pas tenu de se conserver dans la grâce de Dieu ? D'où la nécessité de progresser sans cesse dans le divin amour, car, dans les voies du Seigneur, qui n'avance pas recule et se jette en un danger évident de tomber dans le péché. Or, si cela est vrai de n'importe quelle classe de fidèles, combien plus cela est vrai des religieux ! Plus stricte est leur obligation de travailler à la sainteté : le surcroît de lumières et de secours dont ils sont favorisés, n'a pas d'autre but, ni, non plus, les voeux et les règles de la religion qu’ils ont promis d'observer.

13. Mais pour tendre dûment à la perfection, il ne suffit pas d'en concevoir un certain désir, vague et sans effet : il faut se donner de la peine et prendre résolument les moyens de réussir. Non pas qu'il soit nécessaire d'entreprendre des choses fort extraordinaires et sortant de la mesure. C'est assez de s'acquitter avec diligence et attention des exercices ordinaires, d'être fidèle à observer la règle et à pratiquer les vertus chrétiennes.

Remarquons-le cependant, une religieuse qui veut devenir une sainte ne se contentera pas du peu que prescrit la règle commune, car celle-ci tient compte aussi des âmes faibles ; il lui faudra, avec la permission de son directeur, y ajouter quelques pratiques d'oraison, de charité, de mortification, et autres vertus. « Sainteté [...]

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le mérite à cause de mes péchés, et pour me rendre ainsi chère à mon Époux, qui a été tellement méprisé pour moi !

Voilà ce que c'est que vivre pour Dieu et mourir au monde. Voici donc la conclusiôn à tirer : De quoi me servira-t-il d'avoir quitté le monde, de m'être enfermée entre ces murs, de m'être privée de ma liberté, si je ne deviens pas une sainte, si même, par une vie tiède et large, je compromets mon salut éternel ?

CINQUIÈME MOYEN : se rappeler et renouveler les désirs et la ferveur des anciens jours, des premiers jours de son entrée en religion.

A un moine qui lui demandait comment il devait se comporter dans la vie religieuse, l'abbé Agathon répondit : « Considère ce que tu étais au jour où tu quittas le monde, et demeure le même. »

Et toi aussi, ô épouse bénie du Seigneur, souviens-toi des bons propos que tu formais alors : de ne chercher que Dieu, de n'avoir d'autre volonté que celle de l'obéissance, de souffrir mépris et incommodités pour l'amour de Jésus-Christ.

Ce souvenir suffit à ramener un jeune religieux à sa première ferveur. Le fait nous est raconté dans les Vies des Pères du désert. Quand ce jeune homme voulut entrer en religion, sa mère s'y opposa, lui apportant mille raisons pour l'empêcher de la quitter. Et lui répondait toujours : « Je veux sauver mon âme. » S'armant de courage, il finit par réaliser son dessein. Hélas ! au bout d'un certain temps, le malheureux ralentit sa marche et se laissa entraîner à une grande tiédeur. Sa mère mourut ; lui-même tomba gravement malade. Un jour, il se vit au tribunal de Dieu ; sa mère était là, et elle lui adressa ce reproche : « Mon fils, que sont devenues ces belles paroles : Je veux sauver mon âme ? C'est pour cela que tu es entré en religion ; et maintenant quelle vie est la tienne ? » Revenu à lui, le religieux guérit de cette maladie. Les souvenirs, réveillés par sa mère, de son ancienne ferveur le décidèrent à une vie toute sainte. Il se livra même à de telles pénitences que les autres moines l'engagèrent à se modérer ; mais il répondit : « Je n'ai pu supporter les reproches de ma mère : comment pourrais-je supporter ceux que m'adresserait Jésus-Christ au jour du jugement, si je ne répondais pas à son appel ? »

La lecture des vies de saints servira aussi beaucoup à raviver notre ardeur. Leurs exemples nous humilient profondément et nous font connaitre nos misères. Rien ne fait mieux sentir aux pauvres leur indigence comme de voir les trésors des riches.

13. SIXIÈME MOYEN : ne pas se décourager en voyant que l'on n'est pas encore arrivé à la perfection due l'on désire.

Oh ! la grande tentation du démon ! Devenir un saint n'est pas l'affaire d'un jour, disait saint Philippe de Néri.

Les Vies des Pères du désert nous rapportent qu'un certain moine, d'abord très fervent, eut un temps de tiédeur. Il voulut ensuite se remettre en chemin, mais il ne savait comment s'y prendre, ce qui le jeta dans un profond abattement. Il alla demander conseil à un des pères anciens. Celui-ci le réconforta, et, pour lui donner courage, lui raconta l'histoire ou la parabole que voici. Un père envoya son fils défricher un terrain tout couvert de broussailles. Le fils, épouvanté de la somme de fatigue que représentait un pareil ouvrage, avant même de commencer, se découragea, et alla s'étendre pour dormir ; puis, il donna comme excuse à son père qu'il ne pouvait venir à bout d'un tel travail. « Mon fils, répondit le père, je te demande seulement ceci : nettoie-moi chaque jour autant de terrain qu'il en faut à un homme pour s'y coucher. » Le fils se mit à l'oeuvre dans ces conditions, avança peu à peu, et, au bout d'un certain temps, la propriété se trouva entièrement débarrassée des herbes et plantes inutiles.

Quelle belle comparaison, bien propre à nous encourager au progrès dans la perfection. Il suffit que l'on tienne le désir toujours en éveil et que l'on s'efforce d'avancer, petit à petit, avec l'aide de Dieu, et un jour viendra où nos désirs de perfection seront réalisés.

Saint Bernard dit mieux encore, à savoir que cette tendance soutenue de l'âme à se rendre parfaite, « cet effort continu, c'est la perfection même » telle qu'elle est possible en la vie présente.

Par suite, il faut veiller attentivement à ne délaisser jamais ses exercices accoutumés : ses oraisons accoutumées, ses communions accoutumées, ses mortifications accoutumées. Cela, particulièrement en temps d'aridité : c'est le temps où le Seigneur met à l'épreuve les âmes fidèles ; il veut voir si, malgré la peine et l'ennui qui les accablent au milieu de leurs ténèbres, elles ne retrancheront rien de ce qu'elles accomplissaient auparavant, dans l'abondance des consolations célestes.

I4. Le dernier et bien précieux moyen de perfection, pour une religieuse qui vit en communauté, c'est d'arrêter son regard sur les soeurs les plus fidèles à l'observance, afin d'imiter, en chacune, la, vertu qui la distingue particulièrement. Comme l'abeille, disait saint Antoine abbé, vole de fleur en fleur pour en recueillir le miel, ainsi l'âme religieuse doit recueillir, auprès de ses compagnes, les exemples des différentes vertus : à l'une elle empruntera sa modestie, à une autre sa charité, à une autre son ardeur pour la communion, et ainsi pour les autres vertus.

Telle doit être, en effet, dans un monastère, l'ambition de toute bonne religieuse : égaler, surpasser même ses soeurs, chacune dans sa vertu caractéristique. Le monde voit ses partisans rivaliser à qui sera plus riche, plus honoré, à qui jouira davantage des plaisirs terrestres. Les religieuses ne doivent plus connaître qu'une sorte de rivalité : quelle sera la plus humble, la plus patiente, la plus douce, la plus affectionnée aux mépris, à la pauvreté, à la pureté, à l'obéissance. Bref, leur émulation n'a plus qu'un objet : aimer Dieu et lui faire plaisir à qui mieux mieux. Aussi chacune doit avoir on vue, en toutes ses actions, d'abord de plaire à Dien, ensuite de donner le bon exemple à ses soeurs, pour le meilleur profit de toutes et la plus grande gloire de notre divin Seigneur : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux (Mt 5,16).

C'est pourquoi les religieuses doivent se faire grand scrupule d'accorder leur suffrage * à un sujet dont la conduite passée, après son entrée au couvent, n'a pas été de bonne édification. Car si les bons exemples servent puissamment à entretenir la ferveur, les mauvais exemples causent beaucoup de mal : on est aisément entraîné à commettre les fautes que l'on a fréquemment sous les yeux.


PRIÈRE

Ô Coeur sacré de mon Jésus, Coeur embrasé d'amour pour les hommes, Coeur créé tout exprès pour nous aimer, comment se peut-il que les homes vous témoignent tant de mépris?

Malheureuse que je suis ! moi aussi j'ai été une de ces âmes ingrates : j'ai vécu tant d'années dans le monde sans vous aimer ! Pardonnez-moi, ô mon Jésus, cette grande faute : avoir résisté à vos amabilités, résisté à cet amour qui a épuisé, pour captiver mon coeur, les preuves de sa tendresse. Pour ces longs mépris de votre amour, ma juste punition serait de ne pouvoir plus vous aimer. Mais non, ô mon Époux : tout autre châtiment, mais pas celui-là !

Comment pourrais-je craindre d'être châtiée de cette façon, alors que vous continuez à m'intimer le doux précepte de vous aimer ? Oui, je vous entends me dire : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur. Vous voulez donc que, de tout mon coeur, je vous aime ; et moi, que désiré-je sinon employer tout mon coeur à vous aimer ?

Ô Coeur brûlant de mon Jésus ! allume toi-même dans mon coeur cette heureuse flamme que tu es venu du ciel apporter à la terre pour l'embraser ! Tout attache indigne de toi qui vivrait encore dans ce pauvre coeur, détruis-la, pour que rien ne m'empêche plus d'être tienne entièrement.

Ô mon bien-aimé Seigneur, ne dédaignez pas d'agréer l'amour d'un coeur qui vous a donné tant de sujets d'amertume. Puisque vous m'avez tant aimée, ne permettez pas qu'à l'avenir je vive encore, ne fût-ce qu'un seul instant, privée de votre amour.

Ô amour de mon Jésus, vous êtes mon amour. J'espère que toujours vous m'aimerez et que je vous aimerai toujours. Oh ! non, jamais plus, de toute l'éternité, notre mutuel amour ne sera brisé.

Ô Mère du bel amour, Marie, vous qui souhaitez si ardemment de nous voir aimer votre Fils, formez vous-même et resserrez le lien entre Jésus et moi ; resserrez-le si fort que je sois toute à Jésus comme il le désire.


CHAPITRE V

Danger où se trouve la religieuse imparfaite qui craint peu ses  imperfections

1. Pour avoir un beau jardin, il faut d'abord en arracher les ronces et toutes mauvaises herbes, puis y mettre des plants qui portent de bons fruits. C'est ce que le Seigneur voulut marquer à Jérémie, lorsqu'il lui octroya l'honneur et la charge de cultiver son Église : Vois, je t'établis en ce jour sur les nations et sur les royaumes, pour arracher et pour abattre... et pour planter et pour bâtir (Jr 1,10).

Une religieuse qui entend devenir une sainte doit donc d'abord extirper de son âme les fautes, ensuite y planter les vertus. La première de toutes les dévotions, disait sainte Thérèse, consiste à ôter les péchés.

Je ne parle pas ici des péchés mortels. Je suppose, ma soeur, que vous en êtes exempte. J'aime à penser que jamais, durant votre vie, vous n'avez perdu la grâce divine ; tout au moins, vous l'avez recouvrée, et, plutôt que de perdre Dieu une seule fois, vous préféreriez mourir mille fois.

Pour éviter de tomber ou de retomber, je vous prie d'avoir toujours devant les yeux ce grave enseignement de saint Basile, de saint Jérôme, de saint Augustin, et d'autres saints Pères ; enseignement, d'ailleurs, fondé sur les saintes Écritures : Dieu a déterminé pour chaque personne les péchés qu'il veut pardonner. Or, nous ne connaissons pas ce nombre. Chacun de nous doit donc craindre, s'il ajoute un nouveau péché à ceux qu'il a déjà commis, que Dieu ne l'abandonne et que lui-même ne soit ainsi perdu pour toujours. Oh ! que cette pensée est un frein salutaire pour retenir une âme ! Le démon, lui, dans sa ruse infernale, entraîne tant de pécheurs à la rechute par l'espoir du pardon, en leur disant : « Tu t'en confesseras. ensuite ! » Si chaque chrétien était constamment pénétré de cette juste crainte : « Qui sait si un nouveau péché me serait encore pardonné ? », combien s'abstiendraient de retourner à leur vomissement ! Par la présomptueuse espérance du pardon, beaucoup d'âmes se sont misérablement perdues, et il n'y a plus de remède à leur ruine éternelle.

2. Je ne parle pas non plus ici des péchés véniels que l'on commet. par pure fragilité humaine et qui ne sont pas pleinement volontaires.

Il n'est personne au monde qui soit exempt de cette sorte de fautes : Nous manquons tous en beaucoup de choses, dit saint Jacques (Jc 3,2). Même aux saints il a échappé bien des manquements.

Saint Jean nous en avertit (1Jn 1,8) : Si nous disons que nous sommes sans péché, nous sommes dans l'illusion et dans le mensonge. À cause de notre nature infectée par le péché, nous portons en nous une telle inclination au mal qu'il nous est impossible d'éviter tous les péchés véniels, même non pleinement délibérés, à moins d'une grâce très spéciale, qui ne fut accordée qu'à la divine Mère.

Les serviteurs de Dieu, entièrement livrés à son amour, ont donc, eux aussi, à déplorer de telles faiblesses. Dieu le permet, pour les garder dans l'humilité. Il leur fait entendre que, si leurs bons propos et leurs promesses ne les empêchent pas de tomber dans ces fautes, ils tomberaient également dans de bien plus graves, si sa main divine cessait de les en préserver.

Nous pareillement, quand nous nous voyons sujets aux mêmes misères, humilions-nous et confessons notre fragilité ; puis, prenons à coeur d'obtenir, par de ferventes et incessantes prières, que Dieu nous protège continuellement et nous empêche de tomber dans des fautes plus graves.


S. Alphonse - la religieuse