Ambroise virginité 4033

Noémi et Ruth.

4033 33. Faites-vous peu de cas de cette veuve Noémi, qui sustentait son veuvage par les gerbes d'une moisson étrangère et qui était nourrie dans sa vieillesse par sa belle-fille (Rt 2) ? Car il y a également profit et honneur pour les veuves à si bien former leurs brus qu'elles puissent trouver en elles le soutien d'une vieillesse avancée et recueillir, comme salaire de leurs leçons, la récompense de leur formation. Car à celle qui aura bien formé, bien instruit sa belle-fille, une Ruth ne fera pas défaut, capable de préférer la viduité de sa belle-mère à la maison de son père ; et, si son époux à elle aussi est mort, elle assistera l'indigence, elle consolera la tristesse ; même congédiée elle ne la quittera pas. Car une bonne formation ne connaît pas l'indigence. C'est ainsi que Noémi, privée de ses deux fils et de son mari, ayant perdu les fruits de se fécondité, ne perdit pas les récompenses de sa piété : car elle trouva consolation pour sa douleur et aide pour sa pauvreté.

4034 34. Vous voyez donc, saintes femmes, combien féconde est la veuve par la postérité des vertus et par la descendance de ses mérites qui ne saurait périr. Une bonne veuve ne connaît pas l'indigence : même appesantie par l'âge, en une extrême pauvreté, elle a d'ordinaire le salaire de son enseignement. Même à défaut de proches, elle trouve du moins des étrangers qui l'entourent comme une mère et la vénèrent comme telle, et qui, en lui fournissant de modestes aliments, désirent obtenir la récompense de leur assistance ; car les mérites de la veuve sont une plus grande récompense : elle demande de la nourriture et elle dispense des largesses.

4035 35. Mais elle semble couler de tristes jours, passer son temps à pleurer ? Elle n'en est que plus heureuse : par quelques larmes elle achète les joies sans fin, par de courts moments la durée éternelle. Il leur est dit à bon droit : « Heureuses les tristes, c'est vous qui aurez la joie » (Lc 6,21). Qui donc voudrait préférer les faux semblants des joies présentes au plaisir de la sécurité future ? Vous semble-t-il un ancêtre de peu d'importance, celui qui a été choisi comme ancêtre du corps du Christ22, qui mangeait la cendre en guise de pain, mêlait de larmes son breuvage (Ps 101,10), et, par les larmes du soir, acquérait la joie de la rédemption matinale ? Comment donc a-t-il obtenu une joie abondante, sinon par des larmes abondantes ? Au prix de ses larmes il s'est procuré le bienfait de la gloire future.

22. Il s'agit de David, auquel est attribué le Psautier, et ancêtre de celui qui est appelé Fils de David.


4036 36. Ainsi la veuve a de quoi se rendre recommandable : en deuil de son époux, qu'elle pleure le monde, et qu'elle offre les larmes rédemptrices, versées sur les morts, utiles aux vivants. Les larmes des yeux sont faites pour la tristesse de l'âme ; elles obtiennent la miséricorde, atténuent la peine, soulagent la douleur, protègent la pudeur. Elle ne se trouve plus malheureuse, celle qui trouve une consolation dans les larmes, tributs de l'amour et devoir de la piété.


Épisode de Judith.

4037 37. Mais le courage non plus ne fait pas défaut à une bonne veuve. Le vrai courage, c'est celui qui par la générosité de l'âme dépasse la capacité de la nature et la faiblesse du sexe. Il fut tel dans celle qu'on nommait Judith : à elle seule elle a su sortir du désarroi et défendre contre l'ennemi des hommes abattus par un siège, frappés de terreur et alanguis par la faim. Nous le lisons : Comme Holopherne, redoutable par nombre de combats heureux, avait refoulé au dedans des murailles des milliers d'hommes, tandis que les guerriers tremblaient et discutaient déjà de l'issue finale, elle sortit de l'enceinte, plus vaillante que l'armée qu'elle délivra, plus forte que celle qu'elle mit en fuite.

4038 38. Mais afin d'apprendre quels sont les sentiments d'une veuve éprouvée, parcourez la suite des Écritures. A partir du moment où son époux fut mort, elle quitta le vêtement de joie pour celui de deuil, appliquée au jeûne tous les jours, sauf le samedi, le dimanche et aux temps consacrés par les fêtes23, — non par souci de se nourrir, mais par respect religieux. C'est là faire toutes choses « au nom de Jésus Christ, soit que vous mangiez, soit que vous buviez » (1Co 10,31), en sorte que même la réfection corporelle fasse partie d'un culte saint et religieux. Ainsi donc Judith la sainte, affermie par un deuil continuel et par ses jeûnes quotidiens, ne recherchant pas les délices du siècle, insouciante du danger et fortifiée par son mépris de la mort, reprit, pour donner couleur à sa ruse, le vêtement de joie qu'elle avait accoutumé de porter du vivant de son époux, pensant plaire à son époux si elle libérait sa patrie. Mais elle voyait un autre époux, à qui elle cherchait à plaire : Celui, bien entendu, dont il fut dit : « Après moi vient un homme qui a été placé avant moi » (Jn 1,30). Et il est bien qu'au moment de combattre elle ait repris ses parures d'épouse, car les ornements du mariage sont les armes de la chasteté ; et cette veuve n'aurait pas pu sans elles plaire ou triompher.

23. Ambroise se réfère ici à l'usage milanais, qui excluait le jeûne du samedi aussi bien que celui du dimanche.


4039 39. A quoi bon poursuivre ce qui suit, qu'elle demeura chaste parmi des milliers d'ennemis ? A quoi bon faire l'éloge de sa sagesse qui a conçu pareil dessein ? Elle a fait choix du puissant, pour écarter d'elle l'intempérance d'un inférieur 24 pour ménager l'occasion de sa victoire ; elle a gardé le mérite de l'abstinence, la grâce de la pudeur, ainsi que nous le lisons ; souillée ni par la nourriture ni par l'adultère, elle a remporté sur les ennemis le triomphe de la chasteté préservée, non moindre que celui d'avoir libéré sa patrie.

24. Pour autant qu'il est possible de pénétrer ici la pensée de saint Ambroise, il semble dire que Judith aurait couru plus de risques avec la soldatesque qu'avec un chef chez qui du moins la passion s'enveloppait de plus d'égards.


4040 40. Que dire de sa sobriété ? Car la tempérance est la force des femmes. Tandis que les hommes étaient ivres de vin et ensevelis dans le sommeil, la veuve s'empara du glaive, abattit sa main, trancha la tête du guerrier et s'avança sans atteinte au milieu des rangs ennemis. Vous voyez donc combien l'ivresse peut être nuisible aux femmes, puisque le vin désagrège si bien les hommes qu'ils sont vaincus par des femmes ! Sois donc tempérante, ô veuve, t'abstenant du vin, afin de pouvoir t'abstenir de l'adultère : celui-ci ne te tentera nullement si les vins ne te tentent pas ; car si Judith avait bu, elle aurait couché avec l'adultère ; mais comme elle n'a pas bu, la sobriété de cette femme a pu aisément vaincre et tromper les troupes plongées dans l'ivresse.

4041 41. Et ce ne fut pas seulement l'ouvrage de sa main, mais le triomphe bien plus grand de sa sagesse. Alors en effet que sa main avait vaincu le seul Holopherne, par son habileté elle a vaincu toute l'armée ennemie. En suspendant la tête d'Holopherne, ce que n'avait pu imaginer le dessein des hommes, elle a relevé le courage des siens et brisé celui des ennemis, réveillant les siens par sa pudeur et frappant de terreur les ennemis, si bien qu'ils furent battus et mis en fuite. Ainsi la tempérance et la sobriété d'une seule veuve ont non seulement triomphé de sa nature, mais, ce qui est plus grand, rendu les hommes eux-mêmes plus courageux.

4042 42. Pourtant ses succès ne l'ont pas exaltée ; sa victoire lui donnait certes le droit de se réjouir et d'exulter ; elle n'a pas renoncé à ses devoirs de veuve, mais, dédaignant tous ceux qui souhaitaient l'épouser, elle a quitté ses vêtements de fête pour reprendre ceux du veuvage ; elle ne s'est pas attachée aux parures de ses triomphes, jugeant celles par lesquelles on triomphe des vices du corps meilleures que celles par qui sont vaincues les armes des ennemis.

4043 43. Et pour que cette veuve ne semble pas avoir accompli une oeuvre inimitable par d'autres, on ne saurait douter qu'il y en eut beaucoup d'autres d'une vertu égale ou approchante : car une bonne moisson porte nombre d'épis garnis de grain, et ne doutez pas que la moisson des temps anciens fut féconde en vertus chez bien des femmes.


Épisode de Débora.

Mais comme il serait long de les énumérer toutes, faites connaissance avec quelques-unes, et en particulier avec Débora, dont l'Écriture nous a révélé la vertu 23.

4044 44. Car elle nous a appris que non seulement les veuves n'ont pas besoin de l'aide d'un homme, mais encore qu'elles viennent au secours des hommes. La faiblesse de son sexe ne l'a pas retenue ; elle a pris sur elle des charges réservées aux hommes, et, les ayant prises, elle les a remplies à la perfection. Bref les juifs, gouvernés et régis par des Juges, ne pouvant être ni conduits par la justice des hommes, ni défendus par leur courage, alors que les guerres s'allumaient de toutes parts, firent choix de Débora pour être gouvernés par son jugement : si bien qu'à elle seule cette veuve gouverna des milliers d'hommes en temps de paix et les défendit contre l'ennemi. Il y avait eu bien des Juges en Israël, mais jusque là aucune femme n'avait été Juge ; il y eut bien des Juges après Josué, mais aucun prophète. Et je pense que si nous lisons sa judicature, je crois que si on a écrit ses actions, c'est afin que les femmes ne soient pas détournées d'agir courageusement par la faiblesse de leur sexe. Une veuve gouverne les peuples, une veuve conduit les armées, une veuve choisit les chefs, une veuve fait le plan de campagne et procure les triomphes. Ce n'est donc pas la nature qui est en faute, ni sujette à la faiblesse ; ce n'est pas le sexe, mais la vertu, qui rend courageux.

4045 45. Même durant la paix on ne trouve rien à reprendre, aucune erreur chez cette femme, alors que nombre de Juges ont été pour leur peuple cause de péchés considérables. Mais lorsque les Chananéens, race ardente au combat et comblée par l'afflux de richesses abondantes, se dressèrent en ennemis contre le peuple juif, cette veuve fit les préparatifs de guerre plus que les autres. Et pour vous montrer que les besoins de sa maison ne reposaient pas sur les ressources publiques, mais que le bien public serait gouverné par les ressources de sa maison, elle tira de sa maison son fils pour commander l'armée : de quoi vous faire connaître qu'une veuve peut former un guerrier. Elle l'a choisi comme mère ; comme Juge elle l'a nommé ; courageuse, elle l'a entraîné ; prophétesse, elle l'a envoyé à une victoire assurée.

4046 46. Aussi bien son fils Barac montre-t-il que toute la victoire a été dans la main de cette femme, quand il dit : « Si tu ne viens avec moi, je ne marcherai pas ; car j'ignore le jour où le Seigneur enverra son ange avec moi » (Jg 4,9 Jg 4,14). Quelle était donc la vertu de cette femme, à qui le chef de l'armée dit : « Si tu ne viens, je ne marcherai pas » ? Quel est, dis-je, le courage de cette veuve que le sentiment maternel ne porte pas à détourner son fils des périls, mais qui l'encourage à la victoire avec le zèle d'une mère, en disant que la victoire sera achevée par la main d'une femme (Jg 10,21) !

4047 47. Ainsi Débora a prophétisé l'issue du combat ; sur son ordre Barac a mis l'armée en mouvement ; Jaël a cueilli le triomphe ; elle est en effet de Débora cette prophétie26 qui, au sens mystique nous a révélé la naissance de l'Église : celle-ci devait surgir d'entre les nations et il lui était réservé de triompher du Sisara spirituel, c'est-à-dire des puissances adverses. C'est donc pour nous que les oracles des prophètes ont combattu, pour nous qu'ont triomphé les jugements et les armes des prophètes. Aussi n'est-ce pas le peuple juif mais bien Jaël qui a remporté la victoire sur l'ennemi. Donc malheureux peuple qui, ayant mis l'ennemi en fuite, n'a pas su le poursuivre par la vertu de sa foi ; ainsi leur faute a été le salut pour les Gentils ; leur nonchalance nous a réservé la victoire.

25. Ambroise suppose Débora veuve, et Barac son fils : le texte des Juges est muet sur le premier point et semble écarter le second. Jérôme, qui ailleurs cite avec éloge l'Exhortation aux veuves, s'élève vigoureusement contre la supposition ambrosienne : lettre à Furia, PL 22,759.
26. Il s'agit du Cantique de Débora,
Jg 5.


4048 48. Ainsi Jaël a abattu Sisara, que pourtant la main des anciens juifs avait mis en fuite, sous les ordres du chef resplendissant — car telle est la traduction de Barac — ; souvent en effet, nous le lisons, les prières et les mérites des prophètes ont procuré à nos pères les secours célestes. Mais aussi, dès ce moment se préparait la victoire sur les esprits du mal pour ceux à qui dans l'Évangile il est dit : « Venez, bénis de mon Père, possédez le Royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde » (Mt 25,34). Donc la victoire a son début chez les ancêtres et son achèvement dans l'Église.

4049 49. Or l'Église ne triomphe pas des puissances adverses par les armes du siècle mais par les armes spirituelles, qui sont puissantes devant Dieu pour renverser les forteresses et l'exaltation de l'esprit du mal (2Co 10,4-5). Aussi la soif de Sisara est-elle étanchée par une coupe de lait (Jg 4,19), parce que l'esprit du mal est vaincu par la raison ; car ce qui nous est nourriture salutaire est pour la puissance ennemie source fatale de faiblesse. Les armes de l'Église, c'est la foi ; les armes de l'Église, c'est la prière, qui triomphe de l'ennemi.

4050 50. Ainsi, au point de vue historique, pour encourager les esprits des femmes, une femme a jugé, une femme a organisé, une femme a prophétisé, une femme a triomphé, et, se mêlant aux rangs des combattants, a enseigné aux hommes à combattre sous les ordres d'une femme. Mais, au point de vue mystique, la richesse de la foi fait la victoire de l'Église.

4051 51. Ainsi vous n'avez pas lieu, femmes, de tirer excuse de votre nature. Vous n'avez pas lieu, veuves, d'attribuer votre inconstance à la faiblesse de votre sexe ou au fait d'avoir perdu le soutien de votre mari ; chacune est suffisamment aidée si la force d'âme ne lui fait pas défaut. Et l'âge de plus en plus avancé est souvent chez les veuves gardien de la pureté ; le chagrin même de l'époux perdu, la pratique du travail, le soin de la maison et la sollicitude pour les enfants ont coutume d'écarter un laisser-aller dangereux pour la pureté ; le vêtement même de deuil, l'appareil funèbre, les larmes assidues, la tristesse qui s'imprime sur le front affligé en y creusant des rides, tout cela réprime les yeux effrontés, éteint les passions et détourne les regards osés. La piété douloureuse est bonne gardienne de la pudeur ; le péché ne se glisse pas là où l'occupation ne manque pas.

4052 52. Vous avez donc appris, veuves, que vous n'avez pas besoin d'un secours naturel, que vous pouvez maintenir un propos salutaire et qu'un soutien domestique ne vous est pas nécessaire, puisque vous pouvez prétendre au sommet de la puissance publique27.

27. Allusion à la judicature et quasi-dictature exercée par Débora.


4053 53. Soit ! Dira quelqu'une, le veuvage est supportable à celle qui est comblée de prospérité ; mais les veuves sont vite brisées par l'adversité et succombent facilement. L'expérience nous apprend que la joie est plus dangereuse aux veuves que la gravité ; par ailleurs les exemples de l'Écriture nous montrent que d'ordinaire les secours de manquent pas à la faiblesse des veuves, et que l'aide de Dieu et des hommes leur est plus facilement assurée si elles forment bien leurs enfants et se choisissent des gendres.

Guérison de la belle-mère de Pierre.

Aussi bien, comme la belle-mère de Simon était en proie à de fortes fièvres, Pierre et André prièrent Dieu pour elle ; « et, se penchant sur elle, il commanda à la fièvre, et elle la quitta ; et de suite elle se leva et les servit » (Lc 4,38-39).

4054 54. Elle était en proie à de fortes fièvres, est-il dit, et ils le prièrent pour elle. Toi aussi, tu as des proches qui supplieront pour toi. Tu as pour proches les apôtres, tu as pour proches les martyrs, si tu approches des martyrs par le voisinage de la dévotion et par les présents de la miséricorde : car on est proche si l'on fait miséricorde (Lc 10,36-37). Fais, toi aussi, miséricorde, et tu seras proche de Pierre. Ce ne sont pas les liens du sang, mais c'est la parenté de la vertu qui fait les proches ; car nous ne nous conduisons pas selon la chair mais selon l'esprit. Aime donc être proche de Pierre, apparenté à André, afin qu'ils prient pour toi et que tes convoitises se retirent. Touchée par la parole de Dieu, tu te lèveras sur-le-champ, toi qui étais étendue à terre, afin de servir le Christ, car « notre vie est dans les cieux d'où nous attendons le Sauveur, le Seigneur Jésus » (Ph 3,20). Personne ne sert le Christ en position étendue ; sers le pauvre, et tu sers le Christ ; car « tout ce que vous avez fait à l'un de ceux-ci, c'est à moi, dit-il, que vous l'avez fait » (Mt 25,40). Vous avez donc un recours, veuves, si vous vous choisissez de tels gendres, soutiens de votre descendance, de tels proches.

4055 55. Donc Pierre et André ont prié pour cette veuve. Puisse-t-il se trouver quelqu'un capable de prier si promptement pour vous, — ou, en tous cas, ceux qui prient pour leur belle-mère, Pierre et André son frère : ils pouvaient alors prier pour leur proche ; maintenant ils peuvent obtenir pour vous et pour tous. Vous voyez, en effet, qu'une âme sous le poids d'un péché grave est moins capable de prier pour soi, en tout cas d'obtenir pour soi ; alors, qu'elle ait recours à d'autres intercesseurs auprès du médecin. Car les malades ne peuvent prier pour eux, il faut que le médecin soit appelé auprès d'eux par les prières d'autrui. La chair est infirme, l'âme est malade, et, retenue par les liens des péchés, elle ne peut engager ses faibles pas vers la demeure du médecin. Il faut donc implorer pour nous les anges, dont l'aide nous a été donnée ; il faut implorer les martyrs, au patronage desquels il semble que nous puissions prétendre comme au titre de leur corps28 : ils peuvent prier pour nos péchés, ayant lavé dans leur sang leurs péchés, s'ils en avaient ; ils sont les martyrs de Dieu, nos protecteurs, témoins de notre vie et de nos actions. Ne rougissons pas de les prendre comme intercesseurs pour notre faiblesse, puisqu'ils ont connu les faiblesses du corps, alors même qu'ils en ont triomphé.

28. A la différence des anges, il y a, entre les martyrs et nous, communauté de nature corporelle. De plus, le corps a été pour les martyrs l'instrument de leur triomphe et par suite leur a procuré leur pouvoir d'intercession en notre faveur.


4056 56. Ainsi la belle-mère de Pierre a trouvé des intercesseurs qui prièrent pour elle. Toi aussi, veuve, tu en trouveras qui supplieront pour toi, si, comme vraiment veuve et délaissée, tu espères en Dieu, si tu t'adonnes aux supplications et persévères en la prière (1Tm 5,5), si tu châties ton corps comme mourant chaque jour, afin de revivre en mourant, si tu fuis les délices, afin que même malade tu sois guérie : car « celle qui vit dans les délices est morte quoique vivante (1Tm 5,6).

4057 57. Tout motif de te marier t'est retiré, à toi qui as quelqu'un pour intercéder pour toi. Ne dis pas : « Je suis délaissée », c'est plainte de qui veut se marier ; ne dis pas : « Je suis seule », la chasteté recherche la solitude ; la femme pudique recherche la retraite, l'impudique, la société. Mais tu as une affaire ? Tu as aussi un intercesseur. Tu crains un adversaire ? Le Seigneur intervient pour toi auprès du juge : « Jugez, dit-il, l'orphelin et faites justice à la veuve » (Is 1,17).

4058 58. Mais tu veux sauvegarder ton patrimoine ? Il est un patrimoine plus considérable : celui de la pudeur ; une veuve l'administre mieux qu'une épouse. — Mon serviteur est en faute ! - Pardonne ! Mieux vaut supporter la faute d'autrui que montrer la tienne. Mais tu veux te marier ? C'est licite ; la simple volonté n'est pas en faute. Je ne te demande pas le motif : pourquoi en imaginer ? Si tu le juges honorable, déclare-le ; s'il est déplacé, tais-le. N'accuse pas Dieu, n'accuse pas tes proches, si les secours te manquent : puisse la volonté ne pas manquer ! Ne dis pas non plus que tu pourvois à tes enfants, si tu leur enlèves leur mère.

4059 59. Il est également des choses licites mais que l'âge ne permet pas. Pourquoi faire les préparatifs des noces de la mère au milieu des noces des filles, et souvent même après leurs noces ? Pourquoi une fille adulte apprend-elle à craindre l'époux de sa mère avant le sien ? Nous t'avons conseillé, je l'avoue, de changer de vêtement, non de prendre le voile des épouses ; de t'éloigner du tombeau, non de préparer une chambre nuptiale. Que signifie cette nouvelle mariée qui a déjà des gendres ? Comme il est peu séant d'avoir des enfants plus jeunes que les petits-enfants !

4060 60. Mais revenons à notre propos : il ne faut pas, en pleurant les blessures de nos péchés, négliger le médecin, et, portant remède aux plaies d'autrui, multiplier les nôtres. Implorons donc ce médecin. Du fait que le Seigneur est grand, ne crains pas que peut-être il ne daignera pas venir à la malade. Il est souvent venu à nous du ciel ; il aime visiter non seulement les riches, mais aussi les pauvres et les serviteurs des pauvres. Il vient maintenant encore à la belle-mère de Pierre quand on le prie, « et, se penchant sur elle, il commanda à la fièvre, et elle la quitta, et de suite elle se leva et elle les servit » (Lc 4,39). Le sentiment de condescendance du Seigneur envers chacun est digne de mémoire, mais aussi digne de désir, digne d'amour, et ses actions sont admirables. Il ne dédaigne pas de visiter les veuves et de s'introduire dans l'intérieur étroit d'une humble chaumière. En tant que Dieu il commande, en tant qu'homme il visite.

4061 61. Grâces soient à l'Évangile ! Même nous qui n'avons pas vu de nos yeux le Christ venu en ce monde, il nous semble, quand nous lisons ses actions, être avec lui. De même que ceux dont il approchait puisaient en lui la foi, de même il approche de nous quand nous avons foi à ses actions.

4062 62. Voyez-vous quelles sortes de guérisons il possède ? Il commande à la fièvre, il commande aux esprits impurs, ailleurs il impose lui-même les mains : ainsi a-t-il coutume de guérir les malades non seulement par sa parole, mais encore par le toucher. Donc toi aussi, qui es en proie aux diverses convoitises du siècle, captivée soit par la prestance de quelque homme, soit par sa fortune, prie le Christ, fais venir le médecin, tends-lui la main ; que la main de Dieu touche ton intérieur, que la grâce du Verbe céleste sonde les veines de tes pensées intimes, que la droite de Dieu touche le secret de ton coeur. A d'autres il frotte de boue les yeux (Jn 9,6-7) afin qu'ils puissent voir, et le Créateur de toutes choses nous engage à nous souvenir de notre nature, à considérer la misère de notre corps ; car personne n'est mieux à même de voir les choses de Dieu que celui qui, conscient de sa petitesse, ne sait pas s'élever. Tel autre reçoit l'ordre de se montrer au prêtre afin de pouvoir être à jamais exempt des traces de la lèpre (Lc 5,14) ; car celui-là seul peut garder la pureté de l'esprit et de l'âme qui sait se présenter au Prêtre que nous avons reçu comme intercesseur pour nos péchés : Celui, bien entendu, à qui il est dit : « Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech » (Ps 109,4).

4063 63. Et ne crains pas que la guérison tarde ; celui qui est guéri par le Christ ne connaît pas d'entrave. Il s'agit d'employer le remède que tu as reçu : car dès que l'ordonnance a été donnée, l'aveugle voit, le paralytique marche, le muet parle, le sourd entend, la fiévreuse fait le service, le possédé est délivré. Toi donc aussi, qui que tu sois, alanguie par la basse convoitise de quelque objet, supplie le Seigneur, aie foi et ne crains aucun retard. Où il y a prière, le Verbe est là, la convoitise est mise en fuite, la passion s'éloigne. Ne crains pas l'ennui d'avouer, mais plutôt ose t'en prévaloir : sur-le-champ, toi qui étais éprouvée en ton corps par la maladie, tu commenceras à servir le Christ.

4064 64. On peut également voir ici en la belle-mère de Pierre la disposition de volonté par où elle s'était comme assuré la semence d'une postérité à venir ; car pour chacun la volonté est source de postérité. En effet de la volonté naît la sagesse, que le sage prend pour épouse quand il dit : « Je me suis proposé de la prendre en mariage » (Sg 8,2). Ainsi la même volonté qui d'abord était infirme, détrempée par la poussée de diverses convoitises, s'est ensuite levée, fortifiée, pour servir le Christ par le ministère de l'apostolat.


Parenthèse : Avis au prêtre.

4065 65. En même temps on nous montre ce que doit être celui qui est au service du Christ : il lui faut d'abord être exempt des appâts des divers plaisirs, éviter la langueur intérieure du corps et de l'âme, afin de dispenser le corps et le sang du Seigneur ; car personne ne peut, s'il est malade par ses péchés et nullement en santé, dispenser aux autres les remèdes qui guérissent à jamais. Vois ce que tu as à faire, ô prêtre : ne touche pas le corps du Christ d'une main fiévreuse ; guéris-toi d'abord, afin de pouvoir servir. Si le Christ prescrit à ceux qui étaient lépreux de se présenter aux prêtres (Lc 17,14), combien plus convient-il que le prêtre lui-même soit pur ! Donc cette veuve ne doit pas trouver mauvais que je ne l'épargne pas, puisque je ne m'épargne pas non plus.

4066 66. Ainsi la belle-mère de Pierre, est-il dit, se leva et les servit. Et vraiment elle se leva, car la grâce apostolique présentait déjà le symbole du sacrement29. Or il est à propos que les serviteurs du Christ se lèvent, selon qu'il est écrit : « Lève-toi, dormeur, relève-toi d'entre les morts » (Ep 5,14).

29. Il s'agit ici du sacrement de pénitence.


4067 Nous disons donc que les veuves ne sont pas dépourvues de ressources, puisqu'elles ont accoutumé de donner ; ni de secours, puisque, dans les plus graves dangers, les armées des hommes ont été défendues par elles. Aux bons offices d'un mari il peut être aisément suppléé par leurs gendres ou par leurs proches ; même la miséricorde divine est davantage inclinée vers elles. Ainsi, pour qu'on ne voit pas qu'elles aient un motif de se marier, le désir en doit faire défaut.


4068 Ceci pourtant, nous le disons en manière de conseil, nous ne l'imposons pas comme un précepte ; nous encourageons les veuves, plutôt que nous les lions ; car nous n'interdisons pas les secondes noces, mais nous ne les conseillons pas ; autres sont les égards pour la faiblesse, autre le bien de la chasteté. Je dis de plus : nous n'interdisons pas les secondes noces, mais nous n'approuvons pas qu'on les réitère souvent, car tout ce qui est licite n'est pas toujours expédient. « Tout m'est permis, dit l'Apôtre, mais tout ne m'est pas avantageux » (1Co 6,12). Le vin aussi, il est permis d'en boire ; mais beaucoup, cela ne sied pas.


4069 Il est donc licite de se marier, mais il est plus beau de s'en abstenir, car le mariage a ses liens. Voulez-vous savoir quels liens ? « La femme qui est mariée est liée par la loi à son mari tant qu'il est vivant, mais si le mari vient à mourir, elle est déliée de la loi de son mari » (Rm 7,2). Il est donc établi que le mariage est un lien, dont la femme est liée ou déliée. L'amour mutuel a bien son charme, mais la servitude l'emporte, « car la femme n'a pas la disposition de son corps, mais bien le mari (1Co 7,4). Et ne va pas t'imaginer que cette servitude tient non au mariage mais au sexe : « De même le mari n'a pas la disposition de son corps, mais bien la femme » (1Co 7,4). Combien grand est donc l'assujettissement du mariage, qui soumet à l'autre même le plus fort ! Car l'un et l'autre sont assujettis aux besoins mutuels, et celui qui veut s'abstenir ne peut secouer de sa tête le joug, puisqu'il doit se prêter à l'intempérance de l'autre. « Vous avez été achetés à grand prix, est-il dit, ne devenez pas esclaves des hommes » (1Co 7,13). Vous voyez avec quelle clarté est décrite la servitude du mariage ; ce n'est pas moi qui le dis, mais l'Apôtre, et même pas lui, mais le Christ qui parlait en lui. Et encore, cette servitude, il la décrivait chez les bons époux ; car plus haut on lit : « Le mari non-croyant est sanctifié par son épouse croyante, et l'épouse non-croyante est sanctifiée par son mari croyant » ; et, plus bas : « Si le non-croyant se retire, qu'il se retire ; le frère ou la soeur n'est pas lié par la servitude en pareil cas » (1Co 7,14-15). Si donc un bon mariage est une servitude, qu'en est-il d'un mauvais, alors que les conjoints ne peuvent se sanctifier l'un l'autre mais seulement se perdre ?


4070 Mais de même que nous exhortons les veuves au bien de la vertu, de même aussi nous engageons les femmes à se régler selon l'Église : car l'Église les contient toutes. C'est le troupeau du Christ, soit ; mais chez les uns il est alimenté par les pâturages, chez les autres nourri au lait ; il leur faut prendre garde aux loups qui se dissimulent sous le vêtement des brebis ; ils affectent les apparences de l'abstinence, mais ils poussent à la honte de l'intempérance. Comme ils savent le poids des fardeaux de la chasteté et ne peuvent y toucher du bout des doigts (Mt 23,4), ils les imposent outre mesure aux autres, alors qu'ils sont incapables même de garder la mesure mais succombent sous un fardeau excessif. Car la mesure du fardeau doit être à la mesure du porteur, sinon, par la faiblesse du porteur, c'est la ruine du fardeau, de même qu'une nourriture trop forte étouffe le gosier des enfants.


4071 De même donc que la multitude des porteurs ne doit pas être calculée d'après les forces d'un petit nombre, — sans pourtant que les plus forts soient dosés d'après la faiblesse des autres, — mais qu'on laisse à chacun autant de charge qu'il désire en porter, la récompense étant assurée de s'accroître avec l'augmentation de la vertu, de même il ne faut pas « jeter le filet sur les femmes » (1Co 7,35) ; elles n'ont pas à se charger, au-dessus de leurs forces, du lourd fardeau de l'abstinence ; mais il faut laisser à chacune le soin de s'évaluer, sans être contrainte par l'autorité d'un commandement quelconque, mais invitée par un accroissement de grâce. C'est pourquoi aux diverses vertus sont offertes des récompenses diverses. On ne condamne pas une chose du fait qu'on en recommande une autre ; mais toutes choses sont recommandées de telle sorte que les meilleures aient la préférence.


4072 Ainsi le mariage est honorable, mais plus honorable est la virginité : car « celui qui marie sa fille vierge, fait bien ; et celui qui ne la marie pas, fait mieux » (1Co 7,38). Donc ce qui est bon n'est pas à éviter ; ce qui est meilleur est objet de choix ; ainsi on n'impose pas mais on propose30. Aussi l'Apôtre a-t-il fort bien dit : « Au sujet des vierges je n'ai pas de commandement du Seigneur, mais je donne un conseil » (1Co 7,25) : car le commandement est imposé à des sujets, le conseil se donne aux amis. Où il y a commandement, il y a loi ; où il y a conseil, il y a grâce ; le précepte est là pour rappeler à l'ordre naturel, le conseil pour appeler à la grâce. C'est pourquoi la Loi a été donnée aux juifs, la grâce réservée pour ceux du meilleur choix ; la Loi, pour ramener par la crainte du châtiment à l'observance de l'ordre naturel ceux que l'entraînement du péché avait fait dévier des bornes de la nature ; la grâce, pour encourager les élus soit par l'attrait du bien, soit également par l'offre des récompenses.

30. Les manuscrits présentent ici, les uns la variante praeponere, préférer, les autres proponere, proposer ; la seconde version a l'avantage de ménager un parallélisme d'opposition avec imponere, imposer.

4073 Voici pour vous la différence entre précepte et conseil, si vous vous rappelez celui à qui, dans l'Évangile, on commence par prescrire de ne pas commettre d'homicide, de ne pas se permettre l'adultère, de ne pas dire de faux témoignage : car il y a là précepte, puisqu'il y a châtiment pour le péché. Mais quand il eut mentionné qu'il avait accompli les préceptes de la Loi, il lui est donné le conseil de vendre tout et de suivre le Seigneur ; car ces choses-là ne sont pas imposées comme précepte, mais présentées comme conseil. Il existe en effet deux sortes de recommandation : l'une préceptive, l'autre facultative ; aussi selon l'une le Seigneur dit : « Tu ne tueras pas », par où il commande ; selon l'autre : « Si tu veux être parfait, vends tous tes biens » (Mt 19,18) s.. Donc on est libre de commandement si le choix est offert.


4074 Ainsi ceux qui ont accompli le précepte peuvent dire : « Nous sommes des serviteurs inutiles : ce que nous devions faire, nous l'avons fait » (Lc 17,10). Ce n'est pas ce que dit la vierge, ce que dit celui qui a vendu ses biens ; mais il attend les récompenses comme mises de côté pour lui, selon la parole de l'Apôtre : « Voici que nous avons tout quitté et que nous t'avons suivi ; qu'y aura-t-il donc pour nous ? » (Mt 19,27). Il ne dit pas que, comme serviteur inutile, il a fait ce qu'il devait faire, mais, comme utile à son Seigneur, ayant fait valoir les talents à lui confiés en les plaçant à intérêts, ayant bonne conscience, assuré de ses mérites, il attend la récompense de sa foi et de sa vertu. Aussi lui est-il dit, ainsi qu'aux autres : « Vous qui m'avez suivi, lors de la régénération, lorsque le Fils de l'homme siégera sur le trône de sa majesté, vous aussi siégerez sur douze trônes pour juger les tribus d'Israël » (Mt 19,28). Mais à celui qui avait conservé les talents, s'il promet des récompenses, il les promet moindres : « Puisque, dit-il, tu as été fidèle sur peu de chose, je t'établirai sur beaucoup » (Mt 25,21) 31. La fidélité correspond donc à ce qui est dû, la miséricorde à la récompense. Celui qui a cru comme il fallait a mérité qu'on lui confie ; celui qui a bien rapporté, n'ayant pas cherché son intérêt, a obtenu ce qui est céleste.

31. Toute cette exégèse de la parabole des talents appelle des réserves : selon saint Ambroise, le serviteur qui s'est borné à garder le talent de son maître sans le faire fructifier est récompensé ; l'Évangile le montre non pas récompensé, mais réprouvé.


4075 Ainsi donc on ne donne pas de précepte, on donne un conseil ; la chasteté est de précepte, la virginité de conseil. « Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux à qui cela est donné. Car il est des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère » (Mt 19,11-12). Chez ceux-ci il y a nécessité de nature, non vertu de chasteté. « Et il est des eunuques qui se sont mutilés eux-mêmes », volontairement bien entendu, non par contrainte. « Et il est des eunuques qui ont été rendus tels par les hommes ». Aussi grand est chez eux32 le bienfait de la continence, car c'est la volonté, non l'infirmité, qui fait le sentiment : il convient en effet de garder intact le don de l'ouvrage divin. Et que ceux-là ne tiennent pas pour peu de chose de n'être pas sujets aux entraînements du corps. Car s'ils sont privés de la palme de celui qui soutient ce combat, la matière du péril leur est aussi enlevée ; et bien qu'ils ne puissent être couronnés, ils ne peuvent pourtant pas être vaincus. Ils ont des vertus d'autre sorte par lesquelles ils peuvent se rendre recommandables : si chez eux la foi est ferme, large la miséricorde, absente l'avarice, fréquent le bienfait. Mais ils ne sont pas en faute, ignorant l'acte.

32. Il semble, et il a semblé aux précédents éditeurs, qu'il y a ici une lacune — à moins d'entendre le « chez eux » des eunuques volontaires, auxquels le Seigneur fait allusion, dans le texte de Mt 19,11-12, auquel se réfère le début du développement : ils seraient visés par le pronom eu, les autres par Mis.


4076 Tel n'est pas le cas de ceux qui emploient le fer sur eux-mêmes. Ce n'est pas sans raison que nous faisons cette digression : car il en est qui tiennent pour vertu de contenir le péché par le fer. Nous ne voulons pas donner notre avis sur ce sujet, bien qu'il existe des décisions des anciens 33 ; qu'ils considèrent cependant si ce n'est pas aveu de faiblesse plutôt que fermeté glorieuse. Alors que personne ne combatte, de peur d'être vaincu ! Qu'on n'utilise pas le service de son pied, si l'on craint le danger de la marche ! Qu'on n'utilise pas le bon office de son oeil, si l'on craint de tomber dans la convoitise ! Mais à quoi sert de mutiler sa chair, quand il y a faute même dans un simple regard ? « Car celui qui regarde une femme pour la convoiter a déjà péché avec elle dans son coeur » (Mt 5,28) ; et de même celle qui regarde un homme pour le convoiter, commet l'adultère. Donc il sied d'être chastes, non infirmes ; d'avoir les yeux pudiques, non pas faibles.

33. On peut penser au cas d'Origène, qui entendit et appliqua au pied de la lettre la mention des eunuques volontaires, et pratiqua sur lui-même la mutilation : de ce fait, il fut considéré comme irrégulier par les autorités d'Alexandrie, et la pratique fut formellement interdite par le Concile de Nicée 325.


4077 Donc comme la plupart le pensent, personne ne doit se mutiler, mais plutôt vaincre ; ce sont des vainqueurs que l'Église reconnaît, non des vaincus. Et pourquoi recourir aux arguments, alors que nous avons le précepte formel de l'Apôtre ? Car on lit : « Plaise à Dieu que soient mutilés ceux qui vous veulent circoncis » (Ga 5,12) ! Pourquoi en effet ôter l'occasion de la couronne et la pratique de la vertu à l'homme qui est né pour la louange, préparé pour la victoire, qui peut plutôt se faire eunuque par la force de l'âme ? Car « il est des eunuques qui se sont faits tels pour le Royaume des cieux » (Mt 19,12).


4078 Mais cela même n'est pas commandé à tous, mais proposé à tous. Car celui qui fait des recommandations doit toujours garder la mesure en ses décisions, et celui qui distribue les parts doit observer l'équité en ses poids, car « fausse balance est en abomination devant Dieu » (Pr 11,1). On peut diminuer ou augmenter le poids, mais ni l'un ni l'autre n'est admis par l'Église ; car « poids majoré et minimisé, double mesure, tout cela est impur aux yeux de Dieu » (Pr 20,10). Il existe des parts que distribue la Sagesse, et elle les distribue en tenant compte du courage et des forces de chacun ; c'est pourquoi il est dit : « Qui peut comprendre, qu'il comprenne » (Mt 19,12).


4079 Car le Créateur de tous sait la variété des dispositions d'un chacun ; aussi a-t-il encouragé la vertu par des récompenses, sans lier et enchaîner la faiblesse. Le Docteur des nations le sait bien, lui bon guide de nos moeurs et régent de nos dispositions intimes ; il avait appris par son expérience que la loi du corps lutte contre la loi de l'esprit mais cède pourtant devant la grâce du Christ ; il connaît, dis-je, la lutte entre les diverses inclinations de l'âme ; aussi n'a-t-il pas poussé l'exhortation à la virginité au point de supprimer le bienfait des noces, ni mis en valeur le mariage au point d'étouffer le désir de la virginité. Mais ayant commencé par conseiller la continence, il a condescendu à remédier à l'incontinence ; ayant montré aux courageux la prime d'une vocation plus haute, il n'a pas souffert que quelqu'un défaille en chemin ; applaudissant les premiers, il n'a pas méprisé ceux qui suivent ; car il avait appris, lui aussi, que le Seigneur Jésus a servi aux uns du pain d'orge (Jn 6,5) pour qu'ils ne défaillent pas en chemin, à d'autres son Corps pour qu'ils se hâtent vers le Royaume.


4080 Le Seigneur non plus n'a pas imposé un commandement, mais invité la volonté ; et l'Apôtre n'a pas établi de précepte, mais donné un conseil (1Co 7,25). Mais ce n'est pas sagesse humaine que mesurer les forces humaines ; il avoue avoir reçu le don de la miséricorde divine pour savoir exactement mettre en avant les premières choses et donner place aux secondes ; aussi « je pense, dit-il — et non pas : je règle — que c'est chose bonne à cause de la nécessité présente » (1Co 7,26).


4081 Ainsi l'union du mariage ne doit pas être évitée comme une faute, mais peut être écartée comme un fardeau assujettissant. Car la Loi34 a astreint la femme à engendrer des enfants dans le travail et la tristesse, et à dépendre de l'homme, en sorte qu'il soit son maître (Gn 3,16). Ainsi la femme mariée est vouée à engendrer des enfants dans les travaux et les douleurs, non pas la veuve ; et seule l'épouse est soumise à la domination de l'homme, non la vierge. De toutes ces choses la vierge est libre ; elle a promis son amour au Verbe de Dieu, elle attend avec des flambeaux l'Époux de bénédiction, ayant allumé la flamme de son bon vouloir (Mt 25,4). Aussi est-elle invitée par des conseils, non liée par des chaînes.

34. La Loi, souvent mise en parallèle avec les Prophètes, était entendue comme renfermant les cinq, et parfois les sept premiers Livres de l'Ancien Testament.


4082 Mais la veuve ne reçoit pas davantage un commandement, mais un conseil, conseil qui n'a pas été donné une seule fois, mais souvent répété. Car l'Apôtre a dit d'abord : « Il est bien de ne pas toucher à une femme » (1Co 7,1), et encore : « Je souhaite que tous les hommes soient comme moi » (1Co 7,7), et en troisième lieu : « Il leur est bon de demeurer ainsi, comme moi » (1Co 7,8) ; et en quatrième lieu : « Il est bon, à raison de la nécessité présente » (1Co 7,26) ; c'est-à-dire que cela plaît à Dieu et que cela est honorable ; finalement, qu'il y a plus de bonheur à persévérer dans la viduité. Il a prononcé de la sorte non pas simplement par son raisonnement, mais encore par l'Esprit de Dieu. Quelle est donc celle qui récuserait la bienveillance d'un tel conseiller, qui relâche la bride à la volonté et conseille aux autres ce que son expérience lui a fait juger utile ; qui n'est pas facile à saisir et ne répugne pas à être égalé ? Qui donc se déroberait à être sainte de corps et d'esprit (1Co 7,34), alors que la récompense surpasse la peine, la grâce le travail, le salaire l'ouvrage ?


4083 Et si je parle ainsi, ce n'est pas pour prendre les autres au filet (1Co 7,35), mais afin qu'ouvrier du domaine qui m'est confié, je voie fertile ce champ de l'Église, tantôt paré de la fleur de la virginité, tantôt riche de la gravité du veuvage, tantôt même abondant en fruits du mariage. Car, si divers qu'ils soient, ce sont produits d'un même champ ; et les lis des jardins ne sont pas aussi nombreux que les épis des moissons ; les espaces des champs sont aptes aussi bien à recevoir de multiples semences qu'à se reposer, après avoir donné leurs récoltes.


4084 Bonne donc est la viduité, qui est si souvent louée par le jugement de l'Apôtre ; elle est maîtresse de foi, maîtresse de chasteté. C'est pourquoi ceux mêmes qui vénèrent les adultères et les turpitudes de leurs dieux ont frappé de pénalités le célibat et le veuvage : imitateurs des crimes, ils ont pénalisé la poursuite des vertus, sous couleur de promouvoir la fécondité, mais dans le dessein d'abolir le propos de chasteté. Car le soldat qui a accompli son service dépose les armes, et le vétéran, quittant l'emploi dont il s'acquittait, est renvoyé à ses champs, afin d'obtenir le repos d'une vie consacrée aux travaux, et, par l'espoir du repos à venir, de rendre les autres plus empressés à entreprendre les travaux. De même le laboureur avancé en âge remet à d'autres de manier le manche de la charrue, et, las des travaux de sa jeunesse, exerce la vigilance des soins d'un vieillard, taillant la vigne plus volontiers qu'il ne presse le raisin, afin d'en restreindre l'expansion juvénile et de retrancher par la serpe l'exubérance de sa croissance, nous enseignant que même dans les vignes il faut viser à une sorte de chasteté en limitant les fruits.


4085 A son image, la veuve, ayant recueilli la solde de sa chasteté, dépose, tel un vétéran, les armes de l'état conjugal, mais assure la paix de toute sa maison ; elle s'abstient de porter les fardeaux, mais pourvoit à marier les jeunes, envisageant, avec le sérieux de la vieillesse, où les relations seront plus utiles, les fruits plus abondants, l'union mieux assortie. Ainsi, puisque l'on confie un champ à l'âge mûr plutôt qu'aux jeunes, pourquoi jugez-vous une femme mariée plus utile qu'une veuve ? Que si les persécuteurs de la foi ont aussi persécuté la viduité, ceux qui s'en tiennent à la foi ne doivent certes pas fuir le veuvage comme un supplice, mais le tenir pour une récompense.


4086 Mais peut-être certaines pensent qu'il faut réitérer le mariage pour avoir des enfants. Or si la raison du mariage est le désir des enfants, il n'a pas sa raison lorsque le fruit des enfants existe. Pourtant est-il sensé de vouloir à nouveau faire l'essai d'une fécondité cherchée en vain, ou de vous exposer à la perte que vous avez endurée ? Car tel est le motif de convoler à nouveau pour celles qui n'ont pas d'enfants.


4087 Donc celle qui a eu des enfants et qui les a perdus — car la contestation est plus grande avec celle qui a l'espoir d'engendrer — est-ce que, dis-je, celle-là ne se figure pas, en renouvelant l'alliance nuptiale, jeter un voile sur le deuil des enfants qu'elle a perdus ? Est-ce que, prête à endurer de nouveau ce qu'elle recommence, devant les tombeaux de ses espoirs, l'image des deuils qu'elle a éprouvés, elle n'a pas horreur du bruit des lamentations ? Ou, lorsque la nuit s'écoule à la lumière des torches, ne pense-t-elle pas que ce sont préparatifs d'un cortège funèbre de sépulture plutôt que d'union nuptiale ? Alors, ma fille, pourquoi renouveler les douleurs qui vous effraient plutôt que rechercher des enfants que vous n'espérez plus ? Si la douleur pèse, il faut en éviter la cause, non la rechercher.


4088 Car quel conseil te donner, à toi qui as déjà des enfants ? Quel motif as-tu de te marier ? Peut-être y es-tu poussée par légèreté, égarement, par l'habitude de l'intempérance, par le sentiment d'un coeur blessé. Mais on donne conseil aux gens sobres, non aux ivres ; je m'adresse donc à une conscience libre, à qui le double choix est possible. Que l'âme blessée ait son remède, l'âme honnête un conseil. A quoi songes-tu, ma fille ? Pourquoi être en quête d'héritiers étrangers, quand tu as les tiens ? Ce ne sont pas des enfants que tu désires — tu les as — mais bien un esclavage que tu n'as pas. Car il y a là une véritable servitude, quand est plus fragile un amour que n'encourage pas le gage d'une virginité déflorée35, ni la fleur de l'âge, pleine de sainte pudeur et de charme : les heurts sont plus pénibles, l'infidélité plus sujette au soupçon, la concorde plus rare ; il n'y a pas l'encouragement d'un amour enraciné par le temps, d'une beauté soulignée par l'âge. Pénible piété ! Tu crains d'aimer tes enfants, tu as honte de regarder tes enfants, et une occasion de discorde vient de ce qui d'ordinaire rend aimables les sentiments des parents par un amour mutuel. Tu veux engendrer des enfants qui ne seront pas les frères, mais les adversaires de tes fils. Engendrer d'autres enfants, qu'est-ce donc, sinon dépouiller les enfants que tu as, en leur retirant à la fois et les soins de l'affection et leur part de fortune ?

35. L'acte conjugal une fois exercé crée entre les époux un lien qui ne peut se réaliser au même degré dans les secondes noces.


4089 La loi divine a lié les époux l'un à l'autre par l'autorité céleste et l'amour mutuel demeure difficile. Dieu prit en effet une côte à l'homme et en forma la femme, en vue de les unir l'un à l'autre. « Et ils seront deux, dit-il, en une seule chair » (Gn 2,24). Il n'a pas dit cela des secondes noces, mais des premières ; car Eve n'a pas pris un second mari, ni la sainte Église n'a connu un second Époux : « C'est là en effet un grand mystère, dans le Christ et l'Église » (Ep 5,32) ; il faut donc s'y tenir. Mais Isaac non plus n'a pas connu d'autre épouse que Rébecca et il n'a enseveli son père Abraham qu'auprès de son épouse Sara36.

36. Saint Ambroise pouvait être gêné par l'exemple d'Abraham et de ses nombreuses épouses. Il y a pourvu ingénieusement : dans la tombe, Abraham n'a eu que Sara pour compagne.


4090 Car pour sainte Rachel il y eut mystère préfiguré plutôt qu'ordonnance du mariage. Pourtant là encore nous savons que faire valoir en faveur du premier mariage, puisqu'il a aimé davantage celle qu'il eut d'abord pour épouse ; la supercherie37 n'a pas empêché l'affection, et l'union qui est intervenue n'a pas aboli l'amour de l'épouse. Ainsi le saint patriarche nous a appris le cas que nous devons faire des premières noces, puisqu'il a lui-même fait si grand cas des premières épousailles. Prenez donc garde, mes filles, de ne pouvoir retenir le charme des noces et d'en augmenter les désagréments38.

37. Supercherie de Laban, qui joua Jacob en introduisant près de lui Lia au lieu de Rachel.
38. Un des cas où Ambroise ne conclut pas, laissant ce soin au lecteur.



Ambroise virginité 4033