Ambroise virginité 6058

Exhortation aux vierges.

6058 58. Ainsi la porte close, c'est la virginité ; le jardin fermé, c'est la virginité ; la fontaine scellée, c'est la virginité. Écoute, vierge, ouvre très attentivement tes oreilles ; renferme ta pudeur, ouvre les mains, pour que le pauvre te connaisse. Ferme ta porte, pour que nul profanateur ne fasse irruption ; ouvre l'esprit, garde le sceau.

6059 59. La tige issue de la racine, c'est encore la virginité, car il est écrit : « Une tige sortira de la racine de Jessé, une fleur montera de sa racine » (Is 11,1). Cette tige n'est pas creuse, mais solide. Donc que personne ne brûle ta tige, pour que tu préserves ta fleur. Tu es tige, ô vierge : ne te courbe pas, ne te penche pas vers la terre, afin que s'élève en toi la fleur de la racine du Père.

6060 60. Tu es jardin fermé, ô vierge : garde tes fruits ; que les ronces ne t'envahissent pas, mais que tes raisins s'épanouissent. Tu es jardin fermé, ma fille : que personne n'enlève la clôture de ta pudeur ; car il est écrit : « Le serpent mordra celui qui détruit la clôture » (Qo 10,8) ; mais qu'on enlève seulement celle dont il a été dit : « Une brèche a été faite à la clôture » (Gn 38,29). Que nul ne détruise ton mur au point que tu soies foulée. Tu es un paradis, ô vierge ; prends garde à Eve !

6061 61. Tu es fontaine scellée, ô vierge : que personne ne souille ton eau, que personne ne la trouble, afin que tu puisses toujours contempler ton image dans ta fontaine.

6062 62. Tu es une porte close, ô vierge : que personne n'ouvre ta porte, fermée une fois pour toutes par le Saint et le Vrai, qui a la clef de David, « qui ouvre sans que personne ne ferme, qui ferme sans que personne n'ouvre » (Ap 3,7). Il t'a ouvert les Écritures : que personne ne les ferme ; il a clos ta pudeur : que personne ne la force.


Parenthèse sur l'égalité du Père et du Fils.

6063 63. « Je viens, dit-il, bientôt ; garde ce que tu as ; que personne ne ravisse ta couronne » (Ap 3,11). Quelle est cette couronne, sinon celle dont il est dit : « Tu seras couronne d'honneur dans la main du Seigneur » (Is 52,3) ?

6064 64. Qui parle ainsi, sinon celui dont l'Ecclésiaste dit : « Il est unique et n'a pas de second » (Qo 4,8) ? Qui est-ce, sinon celui dont il a été dit : « Vous n'avez qu'un maître, le Christ » (Mt 23,10) ? Il est unique, puisqu'il est le Fils unique de Dieu ; il est seul, selon l'Écriture : « Car il a seul tendu le ciel et marche sur la mer comme sur la terre » (Jb 9,8). Il n'est donc pas second puisqu'il est unique : « II n'est qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et en qui nous sommes ; et il n'y a qu'un Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses, et nous par lui » (1Co 8,6). Le Père est un seul Dieu, et le Fils un seul Dieu, et l'Esprit-Saint un seul Dieu, ainsi qu'il est écrit : « Tout cela est accompli par un seul et même esprit, qui fait la part de chacun comme il l'entend » (1Co 12,11). Un seul, dit-il, parce qu'un seul Dieu ; il n'est le second de personne, car il fait ce qu'il veut, non ce qui lui est commandé. Donc Dieu le Père est un, et le Fils de Dieu est un : un et un, car il n'y a pas deux dieux. Le Fils est un, car il n'est qu'un avec le Père, selon sa propre parole : « Moi et le Père sommes un » (Jn 10,30). Et l'Esprit est un, car il y a unité dans la Trinité, sans distinction de rang ni de temps.

6065 65. Mais, dit-on, on lit : « Allez, baptisez les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 28,19) et on allègue qu'il a nommé en premier lieu le Père, en second le Fils, en troisième l'Esprit-Saint. Alors, parce que l'évangéliste dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était chez Dieu » (Jn 1,1), est-ce la marque que le Père est inférieur, puisqu'on a d'abord rappelé que le Verbe de Dieu est et a toujours été dès le commencement ? Ou bien quand l'Apôtre a dit : « Dans le Royaume du Christ et de Dieu » (Ep 5,5), a-t-il établi une préséance ? Ou lorsque le Seigneur Jésus lui-même a dit : « L'Esprit du Seigneur est sur moi ; aussi m'a-t-il donné l'onction ; il m'a envoyé évangéliser les pauvres, annoncer la délivrance aux prisonniers » (Lc 4,18), a-t-il témoigné que l'Esprit est plus élevé que le Fils de Dieu ?

6066 66. Tu vois, ô vierge, comment se dénouent ces problèmes. Ouvre à cela tes oreilles, ferme ta bouche : ouvre les oreilles pour entendre la foi ; ferme la bouche pour garder la retenue.

6067 67. D'ailleurs ils lisent qu'il a dit : « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » et ils ne remarquent pas qu'en disant au début « au nom », il a bien marqué trois personnes mais il a affirmé le nom unique de la Trinité.

6068 68. Ainsi Dieu unique, nom unique, divinité unique, unique majesté. Personne n'est second, car la Trinité est le Principe de toutes choses et la primauté de la Trinité l'emporte sur toutes choses. Il est donc unique et il n'a pas de second. Il est unique, n'ayant pas de second : car il est seul et unique sans péché, seul sans aide, lui qui dit : « J'ai regardé, et il n'y avait pas d'aide » (Is 63,5).

6069 69. « Son labeur est sans fin » (Qo 4,8) : car il est notre avocat à tous auprès du Père, et il a pris nos infirmités et souffre pour nous. Il est infirme pour nous comme il l'a dit : « J'étais infirme et vous ne m'avez pas visité » (Mt 25,43).

6070 70. Son regard est insatiable de richesses (Qo 4,8) : car c'est lui la profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu, où sont les trésors des mystères célestes. Pourquoi donc travailler de préférence pour le siècle et priver notre âme de la largesse d'une telle bonté, quand nous ne devons servir aucun autre que le Seigneur.

6071 71. Donc il n'est pas second. Je produis à coup sûr ce témoignage : je lis qu'il est premier, je lis qu'il n'est pas second : à ceux qui le disent second de l'établir par un texte.

6072 72. Mais dira quelqu'un, il est écrit : « Le premier homme est de la terre, terrestre ; le second homme du ciel, céleste » (1Co 15,47). Mais prends garde à ce qu'il dit ; il dit : « le second homme » : c'est en tant qu'homme qu'il est second. Et je dis qu'il est premier selon sa divinité, nul n'étant avant lui, mais second en sa chair, parce qu'après Adam.

6073 73. Je dirai plus : non seulement second homme, mais le dernier ; car tu trouves écrit : « Adam, le premier homme, fut fait âme vivante ; le dernier Adam, esprit vivifiant » (1Co 15,45). Vois la clémence du Christ : il est premier et dernier (Ap 1,17) : lui qui était premier s'est fait pour nous le dernier : premier, car toutes choses sont par lui ; dernier, car la résurrection est par lui. Il est descendu, s'est précipité, pour tomber ; il s'est mis au-dessous de tous pour relever tous ceux qui gisaient.

6074 74. Aussi l'Ecclésiaste dit-il : « Si l'un vient à tomber, l'autre relèvera son compagnon ; et malheur à l'isolé s'il tombe, n'ayant pas de second pour le relever. Et si l'on est deux à dormir, on se tient chaud ; seul, comment se réchauffer ? » (Qo 4,10-11) ce qui veut dire : qui a le Christ avec soi, s'il vient à tomber, se relèvera ; s'il est mort, il revivra : car il est avec Celui qui est venu apporter le feu sur la terre (Lc 12,49). Aussi bien, lorsqu'Élisée a ressuscité l'enfant, il a soufflé sur lui (2R 4,34) pour lui infuser la chaleur vitale. Aie donc avec toi, dans ton coeur, cette flamme pour te ranimer, de crainte que le froid de la mort éternelle ne t'envahisse.

6075 75. C'est donc le jeune homme qui s'est précipité : il est venu par Marie, et il mettait la chaleur de la vie au coeur de ses auditeurs, ce qui leur faisait dire, dans l'Évangile : « Est-ce que notre coeur n'était pas brûlant en nous, lorsqu'il nous découvrait les Écritures ? » (Lc 24,32)

6076 76. C'est lui le second jeune homme dont parle l'Ecclésiaste : « J'ai vu tous ceux qui vivent, qui cheminent sous le soleil avec le jeune homme second 20, qui se relèvera pour lui ? » (Qo 4,15). En effet, qui ressuscitera pour le Christ, puisqu'il est ressuscité pour tous et que tous sont ressuscites en lui, en recevant l'espoir de la résurrection ?

20. D'après le texte original de l'Ecclésiaste, il s'agit du prince héritier, qui m sera second », viendra après le roi.


6077 77. Or il est clair que cette parole s'applique au Christ, si tu prends garde à l'accord de ce passage avec la prophétie de Jacob qui dit de Juda : « Qui le réveillera ? » (Gn 49,9). Nul autre, à coup sûr, car c'est lui-même qui s'est ressuscité, comme il l'a dit : « Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai. Or il le disait du temple de son corps » (Jn 2,19-20).

6078 78. Au Christ seul s'applique également en vérité l'addition : « Tout son peuple est sans fin » (Qo 4,16) : car le peuple innombrable du Christ n'a pas de fin ; la foi en la résurrection éternelle lui confère une durée perpétuelle. Ainsi il n'est pas douteux qu'en sa chair il est appelé jeune, tombe et se relève. Aussi bien on ajoute ceci : qu'il est un enfant pauvre et sage (Qo 13) : car il s'est fait pauvre, alors qu'il était riche (2Co 8,9).

6079 79. C'est donc lui le roi d'Israël qui a franchi cette porte, lui le prince qui s'y est assis, quand le Verbe s'est fait chair et a demeuré parmi nous, siégeant comme un roi dans l'appartement du sein virginal — ou dans un bassin bouillant, comme il est écrit : « Moab est la salle ou le bassin21 de mon espérance » (Ps 69,10) : car on trouve les deux textes, selon les divers manuscrits. La vierge est l'appartement royal, n'étant pas soumise à un mari, mais à Dieu seul ; le sein de Marie est aussi le vaisseau qui, grâce à l'Esprit de feu descendu sur elle, a rempli l'univers, lorsqu'elle a enfanté le Sauveur,

21. Ici un jeu de mots intraduisible en français : Aula, salle, appartement, — et olla, marmite, bassin.


6080 80. lequel mange, assis à la porte (Ez 44,3), oui, la nourriture dont il dit : « Ma nourriture, c'est de faire la volonté de mon Père qui est au ciel » (Jn 4,34).

6081 81. O richesses de la virginité de Marie ! Elle a été en ébullition comme un bassin, et comme une nuée elle a fait pleuvoir sur terre la grâce du Christ ; car il est dit à son sujet : « Voici venir le Seigneur, siégeant sur une nuée légère » (Is 19,1) : oui, légère, celle qui n'a pas connu le poids de l'acte conjugal ; oui, légère, celle qui a déchargé le monde de la lourde dette des péchés. Elle était légère, portant dans son sein la rémission des péchés. Elle a fait lever Jean encore dans le sein22, et l'enfant a bondi à sa voix et il a tressailli de joie, animé par un sentiment de dévouement avant de recevoir le souffle de vie.

22. Voir la note 19 sur Notre-Dame à la Visitation et pendant les trois mois de son séjour auprès d'Elisabeth.


Reprise de l'exhortation aux vierges.

6082 82. Recevez donc, vierges saintes, recevez la pluie spirituelle de cette nuée, qui tempérera la chaleur de vos corps, afin que vous éteigniez toutes les ardeurs de votre chair et que soit arrosé l'intime de votre âme. Nos pères nous ont annoncé que la pluie de cette nuée serait le salut du monde (Ps 71,6). La venue de cette pluie était préfigurée par la rosée déposée sur la terre, que demanda et obtint Jéroboal (Jg 6,36 s.). Imitez cette bonne nuée, qui a engendré la source dont elle a arrosé l'univers. Accueillez donc la pluie généreuse, la pluie bienfaisante, que le Seigneur a répandue sur son héritage (Ps 67,10). Accueillez l'eau et qu'elle ne se répande pas ; puisqu'elle est nuée, qu'elle vous lave et vous pénètre d'une sainte humidité ; puisqu'elle est vase, qu'elle répande sur vous un souffle éternel.

6083 83. Recevez donc de ce vase de Moab (Ps 59,10) le baume de la grâce céleste ; et ne craignez pas qu'il vienne à manquer, car son parfum s'est répandu sur toute la terre, selon qu'il est écrit : « Ton nom est un baume répandu ; aussi les jeunes filles t'aiment » (Ct 1,2). Que ce baume descende au fond de votre coeur, au plus profond de vos entrailles : par lui sainte Marie n'exhalait pas les relents des plaisirs, mais les aspirations de la grâce divine.

6084 84. Cette pluie a apaisé la convoitise d'Eve ; cet onguent à dissipé la puanteur de la faute héréditaire ; cet onguent, Marie, la soeur de Lazare, l'a répandu sur les pieds du Seigneur, et toute la maison en a été embaumée d'une sainte odeur.

6085 85. Et que nulle ne se croie pauvre, que nulle ne se juge dépourvue, que nulle ne craigne de ne pouvoir acheter ce parfum de prix ou ne croie que cette source se vend. « Vous qui avez soif, est-il dit, venez à cette eau ; vous qui n'avez pas d'argent, venez vous la procurer et buvez sans argent » (Is 55,7) et, plus haut, il dit : « Vous avez été vendus pour rien et vous serez rachetés sans argent » (Is 52,3). Aussi le Seigneur s'est-il fait pauvre, de riche qu'il était » (2Co 8,9), afin que tous l'achètent et qu'il enrichisse principalement les indigents de sa pauvreté.

6086 86. Préparez donc les vases du Seigneur pour recueillir cette source d'eau vive, source de virginité, baume de pureté, parfum de foi, fleur aimable d'une suave miséricorde. Revêtez-vous de l'innocence de cet Agneau, qui n'a pas rendu malédiction pour malédiction, qui n'a pas rendu coup pour coup (1P 2,23).

6087 87. Imitez, mes filles, celle à qui s'applique23 bien la prophétie faite au sujet de l'Église : « Ta démarche s'est faite belle en tes sandales, fille d'Aminadab » (Ct 7,1) : car l'Église eut une belle démarche en prêchant l'Évangile. L'âme a une belle démarche si elle use de son corps comme d'une chaussure, en sorte qu'elle puisse porter ses pas où elle veut sans aucun obstacle.

23. Les manuscrits offrent une variante, qui modifie peu le sens : « celle à qui a été dit ».


6088 88. C'est dans cette chaussure que s'avance en beauté Marie, qui, sans aucun commerce et union corporelle, a engendré, vierge, l'auteur du salut. Ce qui fait dire admirablement à Jean : « Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses chaussures » (Jn 1,27) : autrement dit : je ne suis pas digne de saisir avec l'étroitesse d'un esprit humain le mystère de l'Incarnation ni de l'exposer avec l'indigence d'une parole misérable. Isaïe dit à ce propos : « Qui racontera sa génération ? » (Is 53,8) Donc les pas de Marie, ou de l'Église, sont beaux, car « beaux sont les pieds des messagers de bonheur » (Is 52,7).

6089 89. Que de belles choses aussi ont été prophétisées de Marie sous la figure de l'Église 24 ! à condition de considérer non pas les membres du corps, mais les mystères de son enfantement ; car il lui est dit : « Le modelé de tes jambes ressemble à des colliers, ouvrage d'un artiste. Ton nombril est une coupe façonnée au tour, où le vin ne manque pas. Ton sein est comme un monceau de blé entouré de lis » (Ct 7,1-3) ; car la naissance du Christ, issu de la Vierge, est parfaite en tous points ; et de même que l'on honore les vainqueurs des luttes du monde en chargeant de colliers les cous de ces braves, de même il a enlevé notre joug pour couronner le cou de ses fidèles des insignes de la vertu.

24. On a le libre choix entre Marie figure de l'Église, et l'Église figure de Marie, la réalité étant égale de part et d'autre.


6090 90. Et le sein de Marie est réellement une coupe façonnée au tour, où résidait la Sagesse qui a préparé son vin dans une coupe (Pr 9,2 Pr 9,5), en nous versant cette grâce intarissable, la sainte connaissance de la plénitude de sa divinité.

6091 91. Dans le sein de la Vierge il y avait en même temps un monceau de blé et la beauté de la fleur de lis, car elle engendrait et le grain de blé et le lis : le grain de blé, selon l'Écriture : « En vérité, en vérité je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul » (Jn 12,24) ; mais comme de l'unique grain de blé a germé un monceau de blé, la prophétie s'est accomplie : « Les vallées auront du blé en abondance » (Ps 64,14) : car une fois mort, ce grain a porté abondance de fruit. Ce grain a rassasié tous les hommes de la nourriture permanente des bienfaits célestes, et l'oracle proféré par le Prophète s'est accompli, parole de David : « Il les a nourris de la fleur du froment, il les a rassasiés du miel du rocher. » (Ps 80,17)

6092 92. Qu'il y ait aussi dans ce grain un lis, les oracles divins en témoignent ; car il est écrit : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallées, tel un lis au milieu des épines. » (Ct 2 Ct 1-2) Le Christ était au milieu des épines lorsqu'il était au milieu des juifs.

6093 93. Écoute, vierge, ce qu'il dit : Le Christ est « le lis des vallées », c'est-à-dire des âmes humbles et douces. Sois donc douce, humble, docile, et le Christ germera en toi comme un lis. A son sujet tu lis ailleurs : « Ses lèvres sont des lis d'où découle une myrrhe de premier choix » (Ct 5,13), c'est-à-dire ceux qui parlent de la Passion du Christ et la célèbrent par leur bouche, et promènent sa mortification dans leur corps (2Co 4,10) sont les lis du Christ : en particulier les vierges saintes, dont la virginité resplendit sans tache. Aussi beaucoup pensent que c'est l'Église qui semble dire : «Je suis la fleur des champs et le lis des vallées » : dans la vallée de ce monde elle exhale le charme d'un bon parfum par la profession d'une piété attentive. Aussi bien dit-elle ailleurs : « Mon frère est descendu dans son jardin, parmi les vases de parfums, pour se repaître dans les jardins et cueillir les lis. Je suis à mon frère et mon frère est à moi, lui qui se repaît parmi les lis. » (Ct 6,1-2)

6094 94. Donc le sein de Marie a déposé en ce monde le monceau de blé garni de lis, lorsque d'elle est né le Christ, à qui le prophète David dit : « Tu couronneras l'année de tes bienfaits et tes champs se rempliront d'abondance. Les régions du désert seront grasses et les collines se revêtiront d'allégresse. Les béliers sont entourés de brebis, et les vallons regorgent de blé. Ils crient, ils chantent. » (Ps 64,12-14)

6095 95. Quelle est cette année de la bonté du Seigneur, sinon celle dont il fut dit : « Au temps de la grâce je t'ai exaucé, au jour du salut je t'ai secouru » (Is 49,8), lorsque l'Église a été comblée de la foi des peuples et a revêtu les prêtres de justice (Ps 132,9) ? Ce qui fait dire à l'Apôtre : « Maintenant voici le temps de la grâce, voici les jours du salut » (2Co 6,2), lorsque le Seigneur est venu annoncer l'année de grâce du Seigneur et le jour de la récompense, comme il le mentionne lui-même en son Évangile : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, dit-il, aussi m'a-t-il donné son onction. » (Lc 4,18)

6096 96. Alors donc le Seigneur a couronné de ses oeuvres, de gloire et d'honneur (Ps 8,6) l'année de sa venue : car toute cette année de sa vie en ce inonde a connu diverses luttes et souffrances. Enfant, il a vaincu Hérode, dont il a triomphé par le martyre des enfants 25. Il a eu faim et soif, pour nous il a été flagellé, pour nous il a supporté d'indignes outrages, il a été mis en croix, il est mort pour nous.

25. Au sens où il est dit que le Christ triomphe dans la personne de ses martyrs.


6097 97. Voyez que de combats ! Pourtant il n'a pas exigé avidement sa récompense, étant comblé par la couronne unique de la vertu céleste 26. Sortez donc, filles de Jérusalem, comme vous y exhorte la divine Écriture, au Cantique des cantiques : « Sortez et voyez le roi Salomon avec la couronne dont l'a couronné sa mère au jour de ses épousailles, au jour de la joie de son coeur » (Ct 3,11) ; car « il s'est attiré l'amour des filles de Jérusalem » (Ct 3,10). Autrement dit : Sortez de ces étroitesses et soucis du corps, sortez de ces plaisirs de la chair, éloignez-vous de votre corps, afin de pouvoir être devant le Seigneur : car ceux qui sont dans la chair ne sauraient plaire à leur Seigneur. Il vous est donc dit que vous n'êtes pas dans la chair, mais dans l'esprit (Rm 8,9), si vous avez pu obtenir l'amour de Salomon, du véritable Pacifique, qu'il s'est procuré et grâce auquel il a reçu la couronne de sa Mère 27.

26. La pensée de saint Ambroise semble être que pour tant de luttes le Seigneur n'a pas attendu de multiples récompenses, la couronne de sa glorification lui suffisant.
27. Se référer au texte cité plus haut, Ct 3,10-11 ; mais alors il s'agissait de l'amour que le Seigneur s'est attiré de la part des filles de Jérusalem ; ici, de l'amour du Seigneur lui-même, que la vierge obtient.

6098 98. Heureuse mère, Jérusalem ! Heureux aussi le sein de Marie, qui a couronné un tel Seigneur ! Elle l'a couronné quand elle l'a formé : elle l'a couronné quand elle l'a enfanté ; elle l'a couronné quand elle l'a élevé. Sans doute elle l'a formé sans aucune action de sa part, puisque l'Esprit-Saint est venu sur la Vierge, ce qui lui fait dire : « Tes yeux m'ont vu non formé » (Ps 138,16) ; pourtant, par le fait même qu'elle l'a conçu et enfanté pour le salut du monde, elle a placé sur sa tête la couronne d'un amour éternel, en sorte que, par la foi des croyants, le Christ devînt la tête de tout homme (1Co 11,3). Donc la chair du Christ n'a pas été formée28 ; pour qu'il fût conçu par la Vierge Marie, dans le mystère inouï et nouveau de l'Incarnation, sans mélange d'aucun germe humain, grâce à une disposition divine, il a pris chair de la Vierge et a formé en elle les membres de l'Adam nouveau, de l'homme sans tache.

28. Au lieu d'imperfectum, que nous lisons au psautier, Ambroise avait : inoperatum, au sens où le corps du Christ n'a pas été façonné de main d'homme.


6099 99. Tu entends parler d'un homme, mais comprends qu'il est au-dessus de l'homme ; car il est écrit : « Tu ne feras pas cuire un agneau dans le lait de sa mère » (Ex 34,26) ; et tu lis ailleurs : « Il est homme et qui le reconnaîtra ? » (Jr 17,9). Tu ne dois donc pas juger d'après les ressources de l'humaine nature cet Agneau « en qui réside corporellement la plénitude de la divinité » (Col 2,9), ni renfermer la majesté d'une puissance incompréhensible dans la faiblesse d'une connaissance misérable. Car Jacob n'a pas cuit dans le lait ce mets de foi parfaite dont Isaac son père fut si charmé qu'il lui accorda, par une lumière prophétique, le privilège entier de la bénédiction. Aussi l'Apôtre a-t-il écrit que le lait est l'aliment de doctrine pour les faibles : « Car, dit-il, celui qui se nourrit de lait est privé des paroles de justice » (He 5,13). Il est petit enfant ; la nourriture solide est pour les parfaits.

6100 100. Toi donc, ma fille, toi aussi prends cette tunique tissée par le pieux labeur de la femme qui a ouvert ses mains au pauvre et dont la lampe ne s'est pas éteinte de toute la nuit (Pr 31,18-20). Revêts-là et apporte au Père ces aliments, en sorte qu'il te dise : « Comment as-tu trouvé si vite, ma fille ? » (Gn 27,20) louant dans un âge encore tendre la prudence et le sentiment de piété filiale, et qu'il te dise : « Approche de moi, ma fille » ; et qu'ayant respiré le parfum de tes vêtements, il te bénisse en disant : « Voici que le parfum de ma fille est comme la senteur d'un champ fertile, béni par le Seigneur », et : « Que Dieu te donne l'abondance par la rosée descendue du ciel et par la fertilité de la terre », et qu'il ajoute : « Maudit sera celui qui te maudira, et béni celui qui te bénira » (Gn 27,27 s.).

6101 101. Vêtu de cette tunique, Jacob vit un homme et lui demanda sa bénédiction comme au Seigneur Dieu ; et il appela ce lieu « Vision de Dieu » (Gn 32,26 s.). Vêtu de cette tunique, il a vu la tunique du Christ, de laquelle il a dit : « Il lavera sa tunique dans le vin » (Gn 49,11). Et il a également béni Joseph en ces termes : « Joseph est mon fils vigoureux, mon fils plus jeune et aimé, reviens vers moi » (Gn 49,22), figurant la gloire de la Résurrection du Seigneur. Et il ajouta : « La bénédiction de ton père et de ta mère l'a emporté sur les bénédictions des montagnes stables et les désirs des collines éternelles » (Gn 49,26), c'est-à-dire la grâce sur le Roi29.

29. Variante : c'est-à-dire sur le Roi de grâce — ou encore : la grâce l'a emporté sur la Loi : ce qui serait conforme au courant de pensée habituel à Ambroise.


6102 102. Prends cette tunique, afin de revêtir le Christ et d'être renouvelée dans sa connaissance. Revêts-toi, comme élue de Dieu, d'entrailles de miséricorde, de bienveillance, d'humilité, de patience, de modestie, de charité qui est le lien de la perfection (Col 3,12 Col 3,14), pour ne devoir rien à personne, sinon d'aimer ta soeur d'amour mutuel (Rm 13,8) ; ne jalouse pas sa grâce, mais imite ce en quoi tu la verras plus avancée, en sorte que la paix du Christ et sa grâce soient en toi, que la parole de Dieu habite en toi et que tu échappes aux pensées de ce monde.

6103 103. Morte une fois au monde, ne touche pas, je t'en prie, ni ne te gâte aux choses de ce siècle, mais écarte-toi toujours de la vie de ce siècle, « chantant psaumes, hymnes et cantiques spirituels, non pour l'homme mais pour Dieu » (Col 3,16). Et, comme faisait sainte Marie, repasse en ton coeur (Lc 2,19) et murmure sur tes lèvres les préceptes divins, de façon à dire, toi aussi : « Je m'appliquerai à tes merveilles » (Ps 118,27). Que ton âme ne sommeille point de dégoût (Ps 118,28) ni ne suinte : car les suintements en hiver chassent l'homme de sa demeure ; mais l'âme parfaite ne suinte pas, n'ayant pas de crevasse de faute grave, mais demeure en sa maison, se réjouit et jouit d'une maison neuve et sans dommage ; et si quelque chose vient à branler, dis : « Fortifie-moi par ta parole » (Ps 118,28).


Prière finale.

6104 104. Maintenant que j'ai terminé, c'est à toi, Père de grâce, que j'adresse mes voeux. Nous rendons à ta bonté d'innombrables actions de grâces, voyant sur terre, dans les vierges saintes, la vie des anges, que nous avions jadis perdue dans le paradis. Que pouvais-tu faire de plus, pour porter à imiter le zèle des vierges, pour affermir leur vertu, pour célébrer la gloire de la virginité, qu'un Dieu naissant d'une Vierge ? La faute nous a profité plus qu'elle nous a nui30 : notre rachat a été l'occasion d'un bienfait divin.

30. Nous avons ici comme un écho du : O felix culpa, de l'Exultet pascal, que l'on serait tenté d'attribuer à l'évêque de Milan : tel auteur a cédé à la tentation...


6105 105. Mais aussi ton Fils unique lui-même, venant sur terre ressaisir ce qui était perdu, ne pouvait trouver pour sa chair une origine plus pure qu'en consacrant par sa demeure le palais d'une vierge céleste, où seraient et le sanctuaire d'une chasteté sans tache et le temple de Dieu.

6106 106. Faut-il ajouter que, par ta grâce divine, avec les saints Moïse et Aaron, Marie, vierge, a conduit à travers les flots l'armée des Hébreux (Ex 15,20) ? Je laisse de côté les choses anciennes, je ne m'occupe pas du privé : cette noblesse est assez pour la famille des vierges 31.

31. On peut voir ici une réaction contre la manie des généalogies, vraies ou supposées, dont les familles patriciennes aimaient à se parer.


6107 107. Je t'en prie, protège ta servante que voici, qui a pris sur elle de te servir, de te consacrer son âme, le culte de sa virginité. Je te la présente comme une offrande sacerdotale, je te la recommande dans un sentiment paternel, afin que, bienveillant et protecteur, tu lui fasses cette grâce de réveiller l'Epoux qui réside au seuil des demeures célestes, d'obtenir de le voir, d'être introduite dans la chambre nuptiale de son Dieu, de son Roi ; qu'elle mérite de l'entendre lui dire : « Te voici, venant du Liban ; tu passeras et traverseras en partant de la foi » (Ct 4,8), passant à travers le siècle, parvenant aux biens éternels.

6108 108. Considère donc, ô Père, ton présent : pour la sanctifier tu n'as demandé conseil à personne, mais sans que personne le demande ou le décide, tu lui as accordé une grâce telle que personne n'aurait pu y croire avant les témoignages divins : qu'une Vierge portât Dieu dans son sein. Provoqué par le don d'un tel privilège, le désir de la virginité devient fréquent, ainsi que les exemples d'une sainte pureté. Que ta servante ici présente, attirée elle aussi au charme de cette vertu, vienne à tes autels, y apportant non pas l'éclat d'une chevelure blonde consacrée par le voile nuptial, mais les cheveux avec lesquels cette sainte femme de l'Évangile, Marie, a essuyé les pieds du Christ avec un pieux empressement, remplissant toute la maison du parfum répandu ; qu'elle les offre pour être consacrés par le saint voile.

6109 109. Voici une enfant que n'attire ni la fête des noces, ni les présents, ni le fardeau dont se charge le sein, ni la douleur que désirent les futures épouses, mais qui demande pour elle les fruits sans tache de la foi et de la piété, en sorte qu'elle accueille en son sein le don de l'Esprit, conçoive et enfante pour Dieu l'esprit de salut. Mais afin qu'elle puisse progresser en grâce et en mérite, ajoute, Dieu Père Tout-puissant, les secours qui la feront valoir : car le don de la pudeur n'est pas isolé. Que la chevelure de la sainte virginité soit couronnée de modestie, de sobriété, de continence, afin qu'entourée de la compagnie des vertus, ornée du voile empourpré du sang du Seigneur, elle porte en sa chair la mort du Seigneur Jésus (2Co 4,10) : Voilà les voiles à préférer, vêtements des vertus, qui couvrent la faute et révèlent l'innocence.

6110 110. Revêts donc ta servante de ces vêtements : qu'en tout temps ils soient nets - car cela demeure pur, qui n'est pas taché par la survenance d'aucune faute - si bien qu'on aura sujet de lui dire : « Tes actions ont été agréables à Dieu » (Qo 9,7). Qu'en tout temps tes vêtements32 soient blancs, et qu'à ta tête ne manque pas l'huile, huile qui te permettra d'allumer tes mystiques flambeaux, afin qu'à la venue de l'Époux elle prenne rang parmi les vierges sages (Mt 25,70), digne des épousailles célestes, ayant éclairé le don de sa sainte profession à la lumière de sa dévotion, de sa foi et de sa gravité.

32. On remarquera, dans cette prière, le passage d'une personne à l'autre. Saint Ambroise, qui s'adresse à Dieu, se tournant par moments vers la vierge ; il n'est pas interdit de se figurer les changements de position de l'évêque à divers moments.


6111 111. Protège donc ta servante, Père aimant et glorieux, afin que, dans un jardin fermé et une source scellée, elle garde la clôture de la pureté et le sceau de la vérité. Qu'elle sache cultiver son champ comme le cultivait le saint Jacob et qu'elle y récolte au soixantième et au centuple. Dans les vertus et vigueurs de ce champ, éveille en elle la grâce, réveille l'amour. Qu'elle rencontre celui qu'elle a aimé, qu'elle le retienne et ne le lâche pas (Ct 3,4), jusqu'à ce qu'elle reçoive ces bienheureuses blessures d'amour, préférables aux baisers. Toujours prête nuit et jour, qu'elle veille de tout son esprit, de toute son âme, de peur que le Verbe ne la trouve endormie. Et puisque son Bien-aimé veut être fréquemment cherché, pour éprouver son amour, qu'elle le suive quand il revient ; que sa foi et son amour sortent à la rencontre de ton Verbe ; qu'elle émigré de son corps pour être présente à Dieu (2Co 5,8). Que son coeur veille, que sa chair dorme au lieu de s'éveiller misérablement pour les péchés 33.

33. Dans une hymne du soir, Deus creator omnium, authentiquée comme ambrosienne par deux textes de saint Augustin, se retrouve le même courant de pensée : Ne laisse pas, Seigneur, dormir l'âme, mais que le péché se mette en sommeil.


6112 112. Toi, Seigneur, donne-lui encore les autres parures de la sainte virginité, donne-lui de se cultiver avec soin et piété ; qu'elle sache être maîtresse de son corps, qu'elle sache s'humilier et qu'elle garde la charité, rempart de la vérité, clôture de la pudeur. Que les pins ni les cyprès ne triomphent de son voile, que les tourterelles ne l'emportent pas sur sa pudeur, les colombes sur sa simplicité 34. Qu'elle ait au coeur la simplicité, dans ses paroles la mesure, vis-à-vis de tous, la pudeur, la piété envers ses proches, la miséricorde pour les indigents et les pauvres. Qu'elle s'attache à ce qui est bon, qu'elle s'abstienne même de l'apparence du mal ; Que la bénédiction du mourant descende sur elle et que les lèvres de la veuve la bénissent (Jb 29,13).

34. Ambroise aurait utilisé ici, et transposé fort heureusement, un poème passablement effronté de l'empereur Gallien.


6113 113. Mets ton Verbe comme un sceau sur son coeur, comme un sceau sur son bras (Ct 8,6), afin qu'en toutes ses pensées et actions le Christ resplendisse, le Christ soit présent, le Christ parle. Que l'abondance des eaux ne puisse éteindre son amour (Ct 8,7), ni le glaive de la persécution, ni le péril ; mais affermie dans toute oeuvre bonne et dans ta parole, qu'elle se revête de ta gloire et se conduise en ce monde par ta grâce. Sanctifie-la dans la vérité (Jn 17,17), affermis-la dans la vertu, unifie-la dans la charité et conduis-la par ta faveur divine à la gloire céleste de la pureté et de la virginité, à la couronne sans tache et sans souillure, afin que là-haut elle suive les pas de l'Agneau, qu'elle paisse à midi, qu'elle demeure au midi et n'aille pas dans les troupeaux de ses compagnons (Ct 1,7) ; mais, unie à celui de ton Agneau, qu'elle chemine sans heurt, compagne des vierges, suivante des Maries.

6114 114. Sors donc, Seigneur Jésus, au jour de tes épousailles ; accueille celle qui depuis longtemps t'était vouée en esprit, qui l'est maintenant par son propos 35 ; comble-la de la connaissance de ta volonté ; prends-la dès le principe pour le salut, dans la sanctification de l'esprit et la foi de vérité, en sorte que ta servante puisse dire : « Tu as pris ma main droite et m'as conduite selon ton vouloir et tu m'as accueillie dans la gloire » (Ps 72,24). Ouvre ta main et remplis son âme de bénédiction (Ps 144,16), afin de sauver celle qui espère en toi (Ps 85,2) ; et qu'elle devienne un vase consacré et honoré, utile pour le Seigneur, jugé apte pour toute oeuvre bonne : par la croix éternelle, par la gloire vénérable de la Trinité, à qui soit honneur, gloire, durée, à Dieu, Père, Fils et Esprit-Saint, depuis les siècles et pour tous les siècles des siècles. Amen.

35. Propositum, propos, est, dans l'antiquité chrétienne, l'équivalent de voeu, et sa transgression est traitée comme sacrilège.



Ambroise virginité 6058