De la grandeur de l'âme - CHAPITRE XXXIII.

CHAPITRE XXXIV.

LA NATURE DIVINE EST SEULE PRÉFÉRABLE A LA NATURE DE L'AME. AUSSI L'HOMME NE DOIT ADORER QUE DIEU.

77. Tu viens d'entendre quelle est la force et la puissance de l'âme, et pour tout dire en un mot: de même que cette âme de l'homme n'est pas égale à Dieu, il faut l'avouer; ainsi doit-on présumer que rien de ce qu'il a créé ne se rapproche davantage de lui. Aussi nous enseigne-t-on divinement et magnifiquement dans l'Eglise catholique que «l'âme ne doit [318] adorer aucune créature, v (j'emploie plus volontiers ces paroles, car elles ont été employées quand ou m'a insinué cette doctrine) mais uniquement le Créateur même de toutes choses, de qui, par qui et en qui elles sont toutes, c'est-à-dire le principe immuable, l'immuable sagesse, l'immuable amour, le Dieu unique, véritable et parfait, qui n'a jamais été sans exister, qui existera toujours, qui jamais n'a été et ne sera jamais autrement: rien n'est plus caché ni plus présent que lui; on découvre difficilement où il est, plus difficilement où il n'est pas; tous ne peuvent être avec lui et nul ne peut être sans lui. Que dire encore de plus incroyable? C'est ce que notre humanité peut affirmer plus légitimement et plus convenablement de lui.

C'est donc ce grand Dieu que seul l'âme doit adorer sans distinction et sans confusion. En effet tout ce que l'âme adore comme étant Dieu elle doit nécessairement le considérer comme étant supérieur à elle-même. Or ni la terre, ni les mers, ni les astres, ni le soleil, ni la lune, ni rien de ce que nous pouvons toucher, ou voir de nos yeux, ni même le ciel où ne peuvent s'élever nos regards ne doivent être estimés au-dessus de la nature de l'âme. Que dis-je? la raison démontre avec certitude que tout cela est bien inférieur à une âme quelle qu'elle soit; pourvu néanmoins que par amour de la vérité on la suive avec une inébranlable constance et une fidélité à toute épreuve, quand elle mène à travers des chemins inaccoutumés et par conséquent ardus.

78. Outre ces créatures qui tombent sous nos sens, qui occupent un espace quelconque et sur lesquelles l'emporte sans contredit l'âme humaine, nous venons de le rappeler, s'il est autre chose dans l'univers créé par Dieu, c'est au-dessous de l'âme ou égal à elle; au-dessous, comme l'âme de la bête; égal, comme celle de l'ange. Mais il n'est rien au-dessus, et s'il y avait quelque chose, ce serait l'oeuvre du péché, non de la nature. Le péché cependant ne détériore pas l'âme jusqu'à la mettre au-dessous ni même au niveau de l'âme de la bête.

Elle ne doit donc adorer que Dieu, parce que seul il est son auteur. Quant aux hommes, si sages et si parfaits qu'ils soient, ou plutôt quant aux autres âmes raisonnables et déjà bienheureuses, il faut seulement les aimer, les imiter et avoir pour elles la déférence qui convient à leur mérite et à leur rang. Il est dit en effet: «Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne serviras que lui (1).» Si nos parents sont dans l'erreur ou dans la peine, sachons qu'il faut leur porter secours autant qu'on le peut et qu'il est commandé; mais nous devons comprendre en faisant ainsi le bien, que nous sommes les instruments de Dieu. Ne nous laissons pas séduire non plus par l'amour de la vaine gloire et ne nous attribuons rien en propre, ce qui suffirait pour nous précipiter de bien haut et nous plonger dans l'abîme. Ne haïssons pas les hommes tyrannisés par les vices, mais les vices mêmes; non pas les pécheurs, mais leurs péchés. Car nous devons désirer qu'on prête à -tous une main secourable, même à ceux qui nous ont blessés, à ceux qui veulent nous nuire par eux-mêmes ou par d'autres.

Telle est la religion vraie, parfaite, unique, au moyen de laquelle doit se réconcilier avec Dieu l'âme qui possède la grandeur dont nous nous occupons, et par laquelle elle se rend cligne de la liberté? Dieu en effet nous délivre de tout ce qui peut nous rendre esclaves; rien n'est plus avantageux que de lui être soumis, la parfaite et unique liberté consiste à lui plaire en le servant.

Mais je m'aperçois que j'ai presque franchi les bornes que je m'étais fixées et que depuis longtemps j'ai dit beaucoup de choses sans te questionner. Je ne m'en repens pas néanmoins; car ces vérités sont répandues dans les nombreuses Ecritures de l'Eglise. Il semble avantageux de les avoir réunies comme nous l'avons fait; on ne peut toutefois les comprendre pleinement avant que parvenu au quatrième de ces sept degrés, courageux et fidèle à la piété, occupé d'acquérir la santé et la force nécessaires pour les comprendre, on ne les examine toutes en détail avec toute l'attention et toute la pénétration possibles. Il y a effectivement dans chacun de ces degrés, une beauté distincte et particulière; et nous ferions mieux de les nommer des actes.

1. Dt 6,13 Mt 4,10



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CHAPITRE XXXV.

AUTRES MANIÈRES DE DÉSIGNER LES SEPT DEGRÉS DE LA PUISSANCE DE L'AME.

79. Il est question en effet de la puissance de l'âme et il se peut qu'elle fasse en même temps tout ce qui est compris dans tous ces degrés, quoiqu'elle ne croie faire que ce qu'elle fait avec difficulté ou avec amour; dans ces deux cas effectivement elle est beaucoup plus attentive. Si donc nous montons ces degrés, nous dirons pour nous faire comprendre, que le premier acte de l'âme est d'animer; le second, de sentir; l'industrie sera le troisième; la vertu, le quatrième; le cinquième sera la tranquillité; le sixième nous introduira en Dieu; le septième sera la contemplation. On peut dire aussi que ces actes s'exercent dans le corps, par le corps et autour du corps, pour l'âme et dans l'âme, pour Dieu et en Dieu: dire aussi qu'ils sont beaux quand ils s'accomplissent dans un autre, par un autre, autour d'un autre sujet; pour ou dans ce qui est beau, pour ou dans la beauté même.

Si tu crois avoir besoin sur toutes ces dénominations, de quelques éclaircissements, tu les demanderas plus tard. Le motif pour lequel j'ai voulu employer tous ces termes, c'est la crainte que tu ne te troubles, en voyant les mêmes idées exprimées et divisées différemment par les uns et par les autres, et que pour cette raison tu ne condamnes ceux-ci ou ceux-là. Ne peut-on pas avec une parfaite justesse et beaucoup de pénétration assigner aux mêmes choses des dénominations et des divisions variant à l'infini? Chacun choisit dans ce grand nombre, celles qu'il juge convenables à son dessein.



CHAPITRE XXXVI.

MERVEILLEUSE HARMONIE ENTRE L'UNIVERS ET LA RELIGION VÉRITABLE. LES AUTRES QUESTIONS RELATIVES A L'AME SE TROUVENT RÉSOLUES.

80. En vertu donc de cette loi sacrée et inaltérable par laquelle il gouverne tout ce qu'il a formé, le Dieu souverain et véritable a soumis le corps à l'âme, l'âme à lui-même et par là tout à lui. Jamais non plus il ne l'abandonne dans aucun de ses actes, soit pour la punir, soit pour la récompenser; car il a jugé qu'il serait très-beau que tout ce qui est fût comme il est, que la variété fît l'ordre dans la nature, qu'il n'y eût rien de choquant pour qui considérerait l'ensemble, que les châtiments et les récompenses, à cause de la justice qui les décerne, ajoutassent à la beauté générale et à l'ordre universel.

Car l'âme a reçu de lui le libre arbitre,, et ceux dont les raisonnements frivoles travaillent à le nier, sont aveuglés au point de ne pas comprendre que rien ne les force à publier tant d'inepties et de blasphèmes. Le libre arbitre, toutefois, ne permet point à l'âme de troubler aucunement par des entreprises coupables l'ordre divin et la loi générale; car il vient du sage et invincible Seigneur de toute créature.

Mais peu d'hommes sont capables de comprendre ces vérités comme elles doivent être comprises, et la vraie religion seule peut en rendre capable. Elle consiste effectivement en ce que l'âme, après s'être séparée de Dieu par le péché, se rattache à lui par la réconciliation. C'est donc au troisième acte qu'elle s'empare de l'âme et commence à la conduire; au quatrième elle la purifie, la réforme au cinquième, l'introduit au sixième et la nourrit au septième. Elle produit ces effets plus ou moins rapidement selon l'amour et les mérites de chaque âme; mais quelles que soient les dispositions de ces âmes, Dieu en agissant sur elles fait tout avec une justice parfaite, une parfaite sagesse et une beauté parfaite.

A quoi sert la consécration des tout petits enfants? Cette question est fort obscure; on doit croire cependant que ces consécrations ne sont point sans avantage. La raison les découvrira lorsqu'elle devra s'en occuper, ainsi que de tant d'autres sujets; car depuis longtemps, je l'avoue, je te propose plutôt des questions que je ne t'en donne l'intelligence. Il te sera très-utile de les examiner, pourvu que tu prennes la piété pour guide.

81. Les choses étant ainsi, qui aurait droit de se plaindre que l'âme ait été unie au corps pour le conduire et le diriger; puisque c'était le meilleur moyen d'établir la liaison dans ce grand et magnifique ordre de l'univers? Qui voudrait demander encore ce que l'âme devient dans ce corps fragile et mortel, puisqu'elle est justement condamnée à mort à cause du péché et qu'elle peut dans ce même [320] corps se perfectionner en vertu? Ce qu'elle deviendra en le quittant, puisque la peine de mort doit subsister nécessairement, si le péché subsiste, et que Dieu lui-même, c'est-à-dire la vérité en personne, sera la récompense de la piété et de la vertu?

Ainsi donc, s'il te plait, finissons ce long entretien et appliquons-nous avec tout le soin et toute la religion possibles, à accomplir les préceptes de Dieu: on ne peut autrement échapper à tant de maux. Si en quelques endroits j'ai parlé pour toi d'une manière trop obscure, marque-les dans ta mémoire et prends un meilleur moment pour y revenir, Car Celui qui est là-haut, notre Maître à tous, ne nous manquera pas si nous le cherchons. - Ev. Je suis tellement impressionné de ce discours que je me serais cru coupable de l'interrompre. Mais s'il te convient de le finir ici; si tu as cru pour le moment passer aussi vite sur les trois dernières questions, je m'en rapporte à ton jugement, et désormais quand il s'agira d'examiner d'aussi importants sujets, non-seulement je choisirai le temps qui convient à tes occupations, mais aussi j'aurai soin de me disposer mieux moi-même.



De la grandeur de l'âme - CHAPITRE XXXIII.