Augustin, du Baptême - CHAPITRE XVIII.DOCTRINE DE SAINT CYPRIEN SUR LE BAPTÊME.

CHAPITRE XVIII.DOCTRINE DE SAINT CYPRIEN SUR LE BAPTÊME.

27. Si je ne me trompe, la question du baptême me paraît suffisamment discutée. D'un autre côté, comme il est de toute évidence que les Donatistes sont réellement dans le schisme, il n'y a pour nous d'autre doctrine à embrasser que celle de l'Eglise universelle, restée entièrement pure de tout schisme et de tout sacrilège. D'ailleurs, supposé que les (81) docteurs fussent encore séparés d'opinions sur des points accidentels, qui ne touchent en rien à l'unité, plus tard, il sera donné à quelque concile général de réunir toutes ces opinions dans une doctrine clairement formulée; jusque-là, les erreurs de faiblesse humaine sont suffisamment couvertes par la charité de l'unité, selon cette parole: «La charité couvre la multitude des péchés (1P 4,8)». Que cette charité disparaisse, tout le reste devient absolument inutile; avec la charité, au contraire, certains errements ne sont pas même des fautes légères.
28. Mais venons à la doctrine du bien heureux martyr Cyprien, dont la puissante autorité est sans cesse et charnellement invoquée par les Donatistes, tandis que sa charité les confond et les écrase spirituellement. Avant donc qu'un concile général eût tranché la question, avant que l'accord unanime de toute l'Eglise se fût prononcé sur ce point, Cyprien, de concert avec environ quatre-vingts évêques de l'Afrique, avait cru devoir décider que le baptême devait être réitéré à quiconque avait reçu ce sacrement en dehors de la communion de l'Eglise catholique. Le Seigneur permit que ce grand homme tombât ainsi dans l'erreur, afin de n'en faire éclater que mieux sa pieuse humilité, et son ardente charité à conserver précieusement la paix dans l'Eglise. A ce titre donc, ne peut-il pas être proposé comme modèle non-seulement aux chrétiens de ce temps, mais encore à ceux des siècles futurs, car à tous il apprend dans sa personne que le remède à tous les maux, c'est l'union parfaite avec l'Eglise catholique? On vit alors, d'un côté, ce grand évêque, occupant l'un des premiers siéges de l'Afrique, aussi illustre par ses mérites que par son zèle et par son éloquence, embrasser sur le baptême une opinion contre laquelle la vérité mieux connue et un examen plus approfondi devaient protester; d'un autre côté, l'immense majorité de ses collègues, sur une question qui n'était point encore tranchée dogmatiquement, soutenaient la doctrine fondée sur les anciens usages de l'Eglise, et destinée à recevoir la sanction de l'Eglise universelle. Or, malgré cette diversité d'opinions, Cyprien se garda bien de se séparer de ses contradicteurs, et ne cessa de rappeler à tous le besoin et le devoir de se supporter réciproquement dans la charité, et de s'appliquer à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (Ep 4,2-3). De cette manière le corps tout entier restait sain, malgré l'infirmité de quelques-uns de ses membres; ceux-ci, de leur côté, devaient recouvrer la santé parfaite en restant unis au corps, tandis que s'ils se fussent séparés, leur guérison devenait bien plus difficile et la mort presque certaine. Et puis, si saint Cyprien se fût séparé, combien d'antres l'auraient suivi? Quelle influence son nom seul n'aurait-il pas exercée parmi les hommes? Les schismatiques n'auraient-ils pas été fiers de s'appeler Cyprianistes, et non point Donatistes? Mais loin d'être du nombre de ces fils de perdition, dont il est dit: «Vous les avez précipités dans l'abîme, alors même qu'ils aspiraient à s'élever (Ps 73,18)», Cyprien était l'enfant de la paix de l'Eglise; et si, malgré les lumières dont il était doué, Dieu permit qu'il tombât dans l'erreur, c'était pour que sa chute éclairât le monde de lumières plus éclatantes encore. «Je vais encore vous montrer», dit l'Apôtre, «une voie beaucoup plus excellente: quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges eux-mêmes, si je n'avais point la charité, je ne serais que comme un airain sonnant et une cymbale retentissante (1Co 12-31 1Co 13,1)». Sans doute, Cyprien n'eut pas toute la pénétration suffisante pour sonder les secrets cachés du sacrement; mais eût-il possédé la science parfaite de tous les sacrements, sans la charité, il n'eût rien été. Quelque chose lui reste inconnu, mais parce qu'il a gardé la charité, humblement, fidèlement, courageusement, il a mérité de parvenir à la couronne du martyre; quelques ténèbres, triste condition de notre nature humaine, auraient pu faire ombre au sein des splendeurs de son esprit, mais ces ombres devaient disparaître devant la glorieuse sérénité de l'effusion de son sang. Ce n'est pas en vain que le Seigneur Jésus, se nommant la vigne et nommant ses disciples les rameaux, ordonne de trancher parmi ces rameaux et de couper comme des sarments inutiles ceux qui ne donneraient aucun fruit. Or, ce fruit, quel est-il, sinon celui dont il est dit: «Je vous donne, pour commandement nouveau, de vous aimer les uns les autres (Jn 13,34)». Telle est cette charité sans (82) laquelle tout le reste devient inutile. L'Apôtre dit encore: «Les fruits de l'esprit soit la charité, la joie, la paix, la longanimité, la bienveillance, la bonté, la foi, la mansuétude, la continence (Ga 5,22-23).» Tous ces fruits découlent de la charité, et avec elle et par elle, forment comme une admirable grappe de raisin. Toutefois, ce n'est pas en vain que le Seigneur ajoutait: «Quant aux sarments qui donnent du fruit en moi, mon Père les émonde «afin qu'ils portent des fruits plus abondants (Jn 15,1-5)». Ces paroles ne prouvent-elles pas que ceux-là mêmes qui portent des fruits de charité, peuvent encore avoir besoin de quelque purification? et cette purification est toujours opérée par notre Père qui est au ciel. Si donc le bienheureux Cyprien eut sur le baptême des opinions erronées qui plus tard durent disparaître devant l'évidence produite par un examen plus attentif; du moins il persévéra dans l'unité catholique; son erreur se trouva compensée par l'abondance de sa charité, et purifiée par l'effusion de son sang et la gloire de son martyre.


CHAPITRE XIX.EXAMINE LA LETTRE DE SAINT CYPRIEN SUR LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME.


29. Ce qui précède suffirait sans doute pour venger la gloire du bienheureux martyr dans une cause qui n'est pas à proprement parler la sienne, mais celle de l'auteur même de la grâce. Toutefois, si je me bornais à ces simples réflexions, je pourrais paraître quelque peu incertain de la solidité des preuves; c'est pourquoi, sa lettre en main, je veux en tirer des témoignages qui réduiront les Donatistes au plus honteux silence. Ne sait-on pas avec quelle affectation ils invoquent l'autorité de ce grand homme, pour prouver qu'ils sont parfaitement en droit de réitérer le baptême aux fidèles qui, s'enrôlent dans leur secte? Malheureux schismatiques! ils se précipitent eux-mêmes dans une infaillible réprobation, s'ils persévèrent dans cette voie; la seule chose qu'ils imitent dans ce grand homme, c'est l'erreur, mais une erreur qui ne compromit nullement son innocence, parce qu'il resta jusqu'à la fin inébranlablement attaché à cette unité que les Donatistes ont criminellement déchirée, pour n'avoir pas connu la voie de la paix (Ps 12,3). Quelque part qu'il se trouve, le baptême y porte toujours sa sainteté essentielle; fût-il conféré par des hérétiques ou des schismatiques, il n'est le baptême ni de l'hérésie, ni du schisme; d'où je conclus que l'Eglise catholique n'a jamais à le réitérer. Cependant, autre chose est d'enseigner la réitération du baptême, autre chose est de prononcer que tous ceux qui errent loin de la paix catholique et se précipitent dans le gouffre du schisme doivent être baptisés de nouveau. De la part d'un catholique, l'erreur sur la réitération du baptême est facilement couverte par l'éclat et l'abondance de la charité; mais, de la Part des schismatiques, elle imprime sur leur front un caractère de réprobation de plus en plus prononcé. Mais réservons pour un autre livre ce que nous avons à dire au sujet du bienheureux Cyprien. (83)




LIVRE DEUXIÈME

Autorité de Saint Cyprien.

Dans le deuxième livre, l'évêque d'Hippone prouve que les Donatistes ont tort d'invoquer en leur faveur l'autorité de saint Cyprien; le bienheureux martyr a toujours soutenu la nécessité de maintenir l'unité de l'Eglise. Par une contradiction manifeste, les schismatiques s'armaient de l'autorité de Cyprien dans la réitération du baptême, et la repoussaient dans les questions de paix, de concorde et de fraternité; ils glorifiaient une moitié de l'évêque et rejetaient l'autre moitié.

CHAPITRE PREMIER.SAINT PIERRE PRESCRIVANT LA CIRCONCISION, ET SAINT CYPRIEN LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME.

1. Avec l'aide de Dieu, je me propose de démontrer que les arguments, tels que les Donatistes les empruntent à l'autorité de Cyprien et qu'ils veulent retourner contre nous, prouvent au contraire en notre faveur, c'est-à-dire en faveur de la paix catholique, et par là même contre nos adversaires. D'un autre côté, si, pour le besoin de la réfutation, je me trouve obligé de répéter ce que j'ai déjà dit dans quelques-uns de mes autres ouvrages, je le ferai aussi brièvement que possible, afin de ne pas être trop à charge à mes lecteurs. D'ailleurs, il est toujours des esprits lents pour lesquels on ne saurait revenir trop souvent sur les éléments essentiels d'une discussion; quant aux intelligences plus développées, la multiplicité et la variété des développements leur facilite la connaissance du sujet et leur permet de l'envisager sous des aspects plus larges et plus nombreux. Enfin, je sais par expérience tout l'ennui qu'éprouve un lecteur quand, placé tout à coup en face d'une question importante, il se voit renvoyé, pour en trouver la solution, à un autre ouvrage qu'il n'a peut-être pas à sa disposition. Si donc les questions présentes m'obligent à répéter brièvement ce que j'ai déjà dit ailleurs, que les plus savants me pardonnent en faveur des ignorants; ne vaut-il pas mieux offrir une chose à celui qui déjà la possède, que de la refuser à celui qui en est privé?
2. Que disent donc ces Donatistes, accablés qu'ils sont par l'évidence d'une vérité que pourtant ils ne veulent pas admettre? «Cyprien, dont nous connaissons les grandes vertus et l'étonnante doctrine, après en avoir conféré avec un grand nombre de ses collègues dans l'épiscopat, statua dans un concile qu'on ne saurait admettre l'existence du baptême dans les hérétiques ou les schismatiques, c'est-à-dire dans tous ceux qui sont hors de l'unique et véritable Eglise; d'où il suit que l'on doit réitérer le baptême à tous ceux qui reviennent à l'Eglise, après avoir été baptisés dans le schisme ou l'hérésie». L'autorité de Cyprien ne m'effraie pas, parce que l'humilité de Cyprien me rassure. Grande est sans doute l'autorité morale de Cyprien, évêque et martyr; mais celle de Pierre, apôtre et martyr, n'est-elle pas encore plus grande? Parlant de ce prince des Apôtres, le même Cyprien écrivait à Quintus:«On se souvient de la discussion soulevée entre Pierre et Paul au sujet de la circoncision; or, Pierre, que le Seigneur avait choisi avant tous les autres, et sur lequel il a bâti son Eglise (Mt 16,18), ne témoigne aucune insolence, aucune arrogance à se prévaloir de sa primauté et à exiger avant tout l'obéissance absolue de la part de ses inférieurs plus récemment appelés à l'apostolat; il se garde bien de reprocher à Paul de s'être fait d'abord le persécuteur de l'Eglise. Loin de là, il adopte le conseil de la vérité et approuve facilement les raisons légitimes que Paul lui oppose. Pouvait-il nous donner une plus haute leçon de concorde et de patience? n'était-ce pas nous dire que nous devons nous défier de toute obstination dans nos propres idées, et adopter comme nôtres, si elles sont vraies et légitimes, les observations qui nous sont soumises, d'une manière aussi utile que salutaire, par nos frères et par nos collègues (Lettre 71,à Quintus)?» Tel est le passage dans lequel Cyprien, rappelant ce que nous avons appris dans les saintes Ecritures, nous montre l'apôtre saint Pierre, en qui la primauté sur les Apôtres brille avec tant d'éclat, émettant sur la circoncision une doctrine contraire à la vérité, et corrigée par saint Paul, appelé (84) à l'apostolat longtemps après saint Pierre. Ainsi donc, Pierre lui-même a pu ne pas suivre parfaitement la vérité de l'Evangile, et vouloir contraindre les Gentils à judaïser, comme nous l'atteste saint Paul dans cette lettre où il affirme par serment qu'il ne ment pas: «Je prends Dieu à témoin que je ne mens point en tout ce que je vous écris (Ga 1,20)». Or, c'est après cette sainte et terrible attestation que Paul nous rapporte ce fait auquel il mêle ces paroles: «Quand je vis qu'ils ne marchaient pas selon la vérité de l'Evangile, je dis à Pierre, en face de toute e l'assistance: Si vous, qui êtes juif, vous vivez à la manière des Gentils et non pas judaïquement, pourquoi contraindre les Gentils à judaïser Iid., 2,11-14)?» Or, si saint Pierre, contre la règle de la vérité formulée depuis par 1'Eglise, a pu vouloir contraindre les Gentils à judaïser, comment ne pas admettre que Cyprien, contrairement à la règle de la vérité, formulée plus tard par l'Eglise, n'a pu vouloir contraindre les hérétiques et les schismatiques à recevoir une seconde fois le baptême? Je pense que l'évêque Cyprien ne doit pas être blessé de se voir comparé à l'apôtre saint Pierre, quant à ce qui regarde la couronne du martyre. Bien plutôt je dois craindre de paraître injurieux à l'égard de saint Pierre. En effet, qui pourrait ignorer que cette primauté de l'apostolat conférait à saint Pierre une prééminence réelle sur tout l'épiscopat? Toutefois, si nous oublions le pouvoir de juridiction universelle, pour ne parler que de la gloire du martyre, ici cette gloire est commune à tous; et si cette gloire admet des degrés différents, selon la différence des dispositions du coeur et selon l'intensité de la foi dans l'unité de la charité, ces secrets mystérieux ne relèvent que de Dieu, et ce serait de notre part le comble de la témérité de vouloir nous expliquer pourquoi le bon larron sur la croix ne confesse qu'une seule fois la divinité de Jésus-Christ, et le jour même est admis dans les joies du paradis a, tandis que saint Pierre renie trois fois son Maître et voit la couronne s'éloigner de son front pour plusieurs années encore.Cependant, si avant de baptiser un catéchumène on l'obligeait à subir la circoncision selon la manière des Juifs, assurément cette mesure lui inspirerait plus de répugnance que rie peut en inspirer la réitération du baptême. Quand donc nous voyons saint Pierre repris par saint Paul son inférieur, et couronné de la palme du martyre sans avoir porté aucune atteinte aux liens de la paix et de l'unité; combien ne doit-il pas nous être plus facile de nous attacher indissolublement à ce qui a été décrété par l'Eglise universelle, quelle que soit d'ailleurs l'opinion émise, soit par tel évêque de sa propre autorité, soit même par un concile provincial? Cyprien formulait sa propre opinion, mais avec la volonté formelle de rester dans l'unité de la paix, et en parfaite harmonie avec ceux de ses collègues qui soutenaient le sentiment contraire. C'est ce qui résulte clairement du premier discours qu'il prononça à l'ouverture du concile, et qui nous est rapporté par nos adversaires en ces termes:


CHAPITRE II.DISCOURS DE SAINT CYPRIEN A L'OUVERTURE DU CONCILE.

3. «Aux calendes de septembre, on vit se réunir en concile à Carthage un grand nombre d'évêques africains, des provinces de Numidie et de Mauritanie, accompagnés de prêtres et de diacres, et en présence de l'immense majorité du peuple. On donna d'abord lecture de la lettre de Jubaianus à Cyprien, de la réponse de Cyprien à Jubaianus, et de la réplique opposée par ce dernier au sujet du baptême des hérétiques. C'est alors que Cyprien s'exprima en ces termes: Bien-aimés collègues, vous venez d'entendre ce que notre coévêque Jubaianus nous écrit, nous consultant, malgré notre médiocrité, sur le baptême illicite et profane des hérétiques; vous avez vu que dans ma réponse je déclare, comme nous l'avons souvent déclaré, que les hérétiques qui reviennent à l'Eglise doivent être baptisés et sanctifiés par le baptême de l'Eglise. Enfin, la seconde lettre de Jubaianus, écrite dans toute la sincérité de sa foi et de sa religion, nous apprend non-seulement qu'il adhère à notre décision, mais encore qu'il nous remercie de l'avoir instruit et éclairé. Ce qu'il nous reste à faire, c'est donc d'émettre chacun notre opinion sur ce point, sans prétendre toutefois ni juger personne, ni priver du droit de communion celui qui (85) formulerait une opinion contraire. En effet, aucun d'entre nous ne s'est constitué l'évêque des évêques, aucun n'aspire à frapper d'une crainte tyrannique ses propres collègues pour les contraindre à suivre son avis, car tout évêque jouit de sa pleine liberté et de toute sa puissance, et ne peut pas plus être jugé par un autre évêque qu'il ne peut le juger lui-même. Attendons le jugement suprême de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui seul a le pouvoir de nous préposer au gouvernement de son Eglise, et de nous juger selon nos oeuvres».


CHAPITRE 3.AUTORITÉ INFAILLIBLE DES SAINTES ÉCRITURES.

4. Maintenant, que ces orgueilleux hérétiques s'élèvent, s'ils en ont l'audace, contre l'humilité de ce discours. Qu'avez-vous à y opposer, vous surtout, Donatistes insensés, que nous rappelons de tous nos voeux à la paix et à l'unité de la sainte Eglise, car c'est là seulement que vous trouverez le salut? Vous nous opposez sans cesse les lettres de Cyprien, la doctrine de Cyprien, le concile de Cyprien; mais puisque vous invoquez l'autorité de Cyprien en faveur de votre schisme, pourquoi donc ne l'imitez-vous pas dans son amour sincère pour la paix de l'Eglise? Personne n'ignore que la sainte Ecriture, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, est renfermée dans des termes précis et certains, qu'elle jouit d'une autorité bien supérieure à celle des écrits épiscopaux, et qu'il n'est permis de révoquer en doute aucune de ses propositions, dès qu'il est certain qu'elle l'a formellement exprimée. Quant aux lettres épiscopales écrites depuis la fixation du canon, elles peuvent être discutées, soit par tel ou tel docteur plus habile, soit par les autres évêques, soit par les conciles, toutes les fois que la vérité paraît y recevoir quelque atteinte. D'un autre côté, les conciles particuliers qui se tiennent dans les provinces doivent évidemment céder devant l'autorité des con-cites universels; ces derniers enfin reçoivent parfois des conciles postérieurs certains développements à mesure que la vérité se fait jour et se développe selon le besoin des époques et des siècles. Or, toutes ces améliorations restent parfaitement étrangères à toute inspiration d'un orgueil sacrilège, à tout sentiment d'arrogance, à toute inspiration de jalousie, et concordent très-bien avec la sainte humilité, avec la paix catholique et la charité chrétienne.


CHAPITRE IV.L'ESPRIT DE PAIX DANS LES DISCUSSIONS ENTRE CATHOLIQUES.

5. Autant était grande l'autorité doctrinale de Cyprien, autant était profonde son humilité; voilà pourquoi, rappelant avec amour l'exemple de Pierre, il s'écrie: «Pouvait-il nous donner une plus haute leçon de concorde et de patience? n'était-ce pas nous dire que nous devons nous défier de toute obstination dans nos propres jugements, et adopter comme nôtres, si elles sont vraies et légitimes, les observations qui nous sont soumises d'une manière aussi utile que salutaire par nos frères et par nos collègues?»Un tel langage ne prouve-t-il pas que Cyprien était tout disposé à modifier son opinion, dès qu'il lui serait démontré que le baptême de Jésus-Christ peut être validement conféré hors de l'Eglise par ceux qui n'ont pu le perdre en se séparant de cette même Eglise? Dans plusieurs circonstances, nous avons déjà formulé notre conviction sur ce point. D'ailleurs, nous n'oserions tenir ce langage si nous n'étions appuyés par l'imposante autorité de l'Eglise; devant cette autorité, il se serait courbé lui-même, si la question eût été tranchée par décret d'un concile universel. En effet, s'il fait de saint Pierre un si brillant éloge, parce que cet apôtre, dans une opinion particulière, a reçu avec amour et concorde les observations de Paul, plus récemment appelé à l'apostolat; avec quel empressement il se serait soumis, lui et son concile provincial, à l'imposante décision d'un concile général? Bien plus, cette âme si sainte et si pacifique aurait très-facilement accueilli toute parole qui l'eût éclairé par des raisons solides; peut-être même l'a-t-il fait, mais nous l'ignorons. Car, à cette époque, il a dû se passer entre les évêques bien des choses qui n'ont pu être écrites, ou du moins que nous ne connaissons pas. Avant que cette importante question, jusque-là noyée dans des discussions sans fin, fût soumise à l'imposante autorité d'un concile général, combien de conférences elle a dû provoquer de la part des évêques! Or, c'est bien ici le lieu d'admirer la puissante influence de l'esprit de paix, car, au sein de ces opinions diverses, provoquées par l'obscurité d'une question et par la difficulté de la résoudre, une chose domine tous les débats, l'unité la plus indissoluble et la crainte de frapper d'une plaie invulnérable les partisans de l'opinion condamnée.


CHAPITRE V.LA FAILLIBILITÉ HUMAINE.

6. N'est-ce pas là ce qui nous explique pourquoi très-souvent les plus habiles docteurs se trouvent, sur certains points, dans une ignorance qui étonne, Dieu le permettant ainsi afin de mettre à l'épreuve leur patience, leur humilité et leur charité, dont le fruit par excellence c'est l'unité au sein des opinions les plus diverses? Et puis, comment ne pas admirer la docilité avec laquelle ils accueillent la vérité dès qu'elle leur est manifestée, dût-elle contredire leurs précédentes opinions? Dans la personne de Cyprien, ce que nous admirons surtout, c'est de le voir rester en union parfaite avec ceux qui ne partageaient pas ses opinions. Il ne cesse de répéter: «Ne jugeons personne, et celui qui n'est pas de notre avis, gardons-nous bien de le retrancher de notre communion». Quant à la manière dont il accepta la réfutation de sa propre doctrine, si ses lettres gardent le silence, ses mérites parlent assez haut; si les preuves scripturales nous manquent, sa couronne est là pour l'attester; si le concile des évêques nous laisse tout ignorer, sa présence dans l'assemblée des anges est pour nous la manifestation la plus complète. Pour juger de son amour pour la paix, ne suffit-il pas de savoir qu'il a mérité les honneurs du martyre dans cette unité, dont il ne consentit jamais àse séparer, malgré sa diversité de doctrine? Nous sommes hommes; et l'une des preuves de notre faiblesse humaine, c'est de concevoir parfois de fausses idées sur la nature des choses. Mais s'attacher exclusivement à son propre sentiment, et jalouser ceux qui ont raison contre nous, et cela jusqu'à se séparer de l'unité et former schisme ou hérésie, c'est là une présomption véritablement diabolique. Enfin, ne jamais se tromper, c'est un privilège qui n'appartient qu'aux anges. Or, présentement nous ne sommes que des hommes, quoique nous ayons l'espérance de ressembler aux anges après la résurrection (Mt 22,30); si donc nous n'avons pas la perfection de ces esprits angéliques, gardons-nous également de la présomption du démon. De là ces paroles de l'Apôtre: «Qu'il n'y ait en vous que des tentations purement humaines et ordinaires (1Co 10,13)». Se tromper, c'est donc une chose tout humaine. Voilà pourquoi le même Apôtre nous dit, dans un autre endroit de ses épîtres: «Nous tous qui sommes parfaits, soyons dans ce sentiment, et si vous avez quelque autre opinion, Dieu vous révélera ce que vous devez en croire». Or, à qui Dieu fera-t-il cette révélation, soit en cette vie, soit dans l'autre? n'est-ce pas uniquement à ceux qui marchent dans la voie de la paix et ne s'écartent dans aucun schisme? Tels ne sont pas ceux qui n'ont point connu la voie de la paix (Ps 13,3), et ont par cela même brisé les liens de l'unité. Voilà pourquoi l'Apôtre, après ces mots: «Si vous avez quelque autre opinion, Dieu vous révélera ce que vous devez en croire», semble craindre que certains hommes ne se flattent d'obtenir cette révélation, quoiqu'ils soient séparés de l'unité; aussi s'empresse-t-il d'ajouter: «Cependant, pour ce qui regarde les connaissances auxquelles nous sommes déjà parvenus, ayons soin de marcher à leur lumière (Ph 3,15-16)» Telle fut la voie que suivit Cyprien avec une admirable persévérance; sa gloire fut, non pas de verser son sang, mais de le verser dans l'unité; car lors même qu'il aurait offert son corps aux flammes, s'il n'avait pas eu la charité, tout cela ne lui aurait servi de rien (1Co 13,3); il eut donc la charité dans l'unité; voilà pourquoi l'héroïsme de son martyre lui ouvrit les sphères lumineuses du séjour des anges. Supposé donc que jusqu'à sa mort il ail ignoré la vérité, du moins alors il en reçût l'entière révélation, puisqu'il était resté dans l'unité, malgré l'erreur particulière où il était tombé.


CHAPITRE VI.QUEL MOTIF SÉRIEUX AVAIENT DONC LES DONATISTES DE SE SÉPARER.

7. Et vous, Donatistes, qu'avez-vous à répondre? Si la doctrine que nous formulons sur le baptême est la véritable, tous ceux qui, du temps de Cyprien, professaient une opinion (87) contraire, sont restés étroitement unis à l'Eglise, jusqu'à ce que Dieu leur eût fait connaître la vérité; mais alors, pourquoi donc avez-vous brisé les liens de la paix par une séparation sacrilège? Mais si c'est vous qui avez raison, du moins est-il vrai de dire que Cyprien et ses collègues, réunis avec lui en concile, sont restés en unité parfaite de communion avec ceux qui soutenaient l'opinion contraire; encore ici, pourquoi donc avez-vous brisé les liens de la paix? Quelque parti que vous preniez, vous vous trouvez dans la nécessité de condamner votre schisme. Voyons, répondez, pourquoi vous êtes-vous séparés? Pourquoi avez-vous érigé autel contre autel en face de l'univers tout entier? Pourquoi n'êtes-vous plus en communion avec ces églises auxquelles furent adressées ces lettres apostoliques que vous avez entre les mains, que vous lisez, et sur lesquelles vous vous flattez de régler votre vie? Encore une fois, répondez; pourquoi donc vous êtes-vous séparés? C'est, sans doute, pour ne point vous exposer à une perte certaine dans la communion des méchants. Mais alors, comment n'ont point péri Cyprien et ses nombreux collègues? Ils croyaient les hérétiques et les schismatiques privés du baptême, et cependant, malgré les péchés et les sacrilèges dont ils devaient les croire coupables, ils crurent devoir rester en communion avec ceux qui étaient rentrés dans l'Eglise sans avoir de nouveau reçu le baptême, plutôt que de se séparer de l'unité, et adoptèrent pour règle de conduite ces paroles de Cyprien: «Ne jugeant personne, et se gardant bien de chasser de leur communion «celui qui professait une opinion contraire».
8. Si donc les justes périssent sous l'influence d'une telle communion, 1'Eglise avait sans doute cessé de vivre au temps de saint Cyprien. Mais alors, quelle fut l'origine de Donat? où fut-il catéchisé, baptisé, ordonné, puisque l'Eglise s'était éteinte sous le souffle contagieux d'une communion coupable? Et si l'Eglise existait encore, c'est donc que les bons n'ont eu nullement à souffrir de leur communion avec les méchants. Pourquoi donc vous êtes-vous séparés? Dans les rangs de l'unité j'aperçois Cyprien et ses collègues, qui tous déclarèrent en concile que le baptême conféré hors de l'Eglise est radicalement nul, et qu'il doit être réitéré à tous ceux qui rentrent dans l'Eglise catholique. Mais voici que dans les rangs de cette même unité j'aperçois d'autres évêques qui embrassent l'opinion contraire et qui refusent de réitérer le baptême à ceux qui sortent du schisme ou de l'hérésie, parce qu'ils croient à la validité du baptême qui leur a été conféré. Tous, quels qu'ils soient, l'unité catholique les renferme dans son sein maternel; ils se supportent les uns les autres avec charité et s'appliquent à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (Ep 4,2-3), jusqu'à ce que Dieu daigne révéler la vérité à ceux qui sont dans l'erreur. Ceux dont la doctrine était la véritable se souillaient-ils, oui ou non, en restant en communion avec les autres? Répondez ce que vous voudrez. S'ils se souillaient, l'Eglise avait donc cessé d'exister; mais alors, dites-moi d'où vous êtes sortis? Si vous admettez la permanence de l'Eglise, la conclusion nécessaire à tirer, c'est que les bons ne sont pas souillés précisément par leur communion avec les méchants; mais encore, répondez, pourquoi avez-vous rompu l'unité?
9. Vous direz peut-être que les schismatiques, reçus sans aucune réitération du baptême, ne souillent pas, tandis que l'on se souille en communiquant avec les traditeurs des saints Livres? Mais les documents les plus authentiques prouvent qu'il y a eu parmi vous des traditeurs de ces saints Livres. Et si vous étiez restés fidèles à la vérité dans les accusations que vous portiez contre eux, l'univers tout entier aurait pris parti pour vous; vous seriez restés dans l'unité et les autres en auraient été exclus. Si malgré des efforts de toutes sortes vous avez été déçus, nous pou-vous proclamer hautement l'innocence de l'univers catholique, car il a cru à la parole des juges ecclésiastiques et rejeté les vaines chicanes de discoureurs vaincus; et si vous avez refusé de plaider votre cause, l'innocence de l'univers n'en est pas moins constatée, car il n'a pu condamner des coupables sans les entendre. Pourquoi donc vous êtes-vous séparés des innocents? Jamais vous ne pourrez justifier ce schisme sacrilège. Mais je passe sur ce point et je dis: Si vous avez pu vous trouver souillés par des traditeurs qu'il vous a été impossible de convaincre et qui vous ont vaincus, à plus forte raison Cyprien a-t-il dû être souillé par les sacrilèges de ces schismatiques et de ces hérétiques avec lesquels il restait en communion, quoiqu'on ne leur eût pas réitéré le baptême? Et cependant il refusa de se séparer.D'un autre côté, comme l'Eglise restait toujours vivante et féconde, il est évident qu'elle n'a pu être souillée. Pourquoi donc vous êtes-vous séparés, je ne dis pas des innocents, ce qui est prouvé, mais des traditeurs eux-mêmes, ce qui n'est pas prouvé? Serait-ce, comme je l'indiquais plus haut, parce que les traditeurs vous paraissent plus coupables que les schismatiques eux-mêmes? Abstenons-nous de ces balances frauduleuses à l'aide desquelles nous pesons ce que nous voulons, et comme nous le voulons, disant à notre gré: Ceci est grave, ceci est léger. N'ayons d'autre balance que la sainte Ecriture, et par elle apprécions la véritable gravité des choses; ou plutôt, ce n'est point à nous à peser, nous n'avons qu'à accepter la décision formulée par le Seigneur. Dieu lui-même, rappelant les anciens crimes de son peuple, venait de leur infliger les plus rigoureux châtiments; néanmoins la foule se construisit une idole et l'adora, le livre prophétique fut sacrilègement jeté dans les flammes, et le schisme fut essayé. Or, l'idolâtrie fut punie par le glaive (Ex 22); la destruction du livre fut punie par le massacre et par la captivité (Jr 36), et le schisme vit la terre entr'ouvrir ses entrailles, les fauteurs de ce schisme engloutis tout vivants et les sectaires dévorés par le feu du ciel (Nb 16). C'est, d'ordinaire, d'après la gravité du châtiment que l'on juge de la gravité de la faute. Si de tels hommes, chargés de sacrilèges, et selon vous privés du baptême, ne souillaient pas Cyprien, comment des traditeurs pouvaient-ils vous souiller, avant même qu'on eût acquis la certitude de leur trahison? Au lieu de livrer les saintes Ecritures pour les faire jeter dans les flammes, s'ils les eussent brûlées de leurs propres mains, leur crime encore serait bien moins grave, que s'ils s'étaient jetés dans le schisme; et, en effet, nous voyons Dieu lui-même punir plus sévèrement le schisme que la destruction des saints Livres.



Augustin, du Baptême - CHAPITRE XVIII.DOCTRINE DE SAINT CYPRIEN SUR LE BAPTÊME.