Augustin, du Baptême - CHAPITRE VI.DISCOURS DE SAINT CYPRIEN, À L'OUVERTURE DU CONCILE.

CHAPITRE VI.DISCOURS DE SAINT CYPRIEN, À L'OUVERTURE DU CONCILE.

9. Rappelons d'abord les paroles prononcées par Cyprien lui-même, car il suffit de lesénoncer pour comprendre son ardent amour de la paix et son ardente charité. «Bien-aimés collègues, vous venez d'entendre ce que notre coévêque Jubaianus nous écrit, nous consultant, malgré notre médiocrité, sur le baptême illicite et profane des hérétiques. Vous avez vu que dans ma réponse je déclare, comme nous l'avons souvent déclaré, que les hérétiques qui reviennent à l'Eglise, doivent être baptisés et sanctifiés par le baptême de l'Eglise. Enfin, la seconde lettre de Jubaianus, écrite dans toute la sincérité de sa foi et de sa religion, nous apprend, non-seulement qu'il adhère à notre décision, mais encore qu'il nous remercie de l'avoir instruit et éclairé. Ce qu'il nous reste à faire, c'est donc d'émettre chacun notre opinion sur ce point, sans prétendre toutefois ni juger personne, ni priver du droit de communion celui qui formulerait une opinion contraire. En effet, aucun d'entre nous ne s'est constitué l'évêque des évêques; aucun n'aspire à frapper d'une crainte tyrannique ses propres collègues, pour les contraindre à suivre son avis. Car tout évêque jouit de sa pleine liberté et de toute sa puissance, et ne peut pas plus être jugé par un autre évêque, qu'il ne peut le juger lui-même. Attendons le jugement suprême de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui seul a le pouvoir de nous préposer au gouvernement de son Eglise, et de nous juger selon nos oeuvres (Concile de Carthage).


CHAPITRE VII.NÉCESSITÉ DE CONSERVER LA PAIX ET L'UNITÉ.

10. Dans les livres précédents nous avons discuté assez longuement la lettre de Cyprien à Jubaianus, celle à Quintus, celle qu'il écrivit de concert avec quelques collègues et qu'il adressa à d'autres collègues, et celle enfin qu'il composa pour Pompélus; dans toutes ces lettres nous avons constaté l'attachement de Cyprien et de ses collègues pour l'unité catholique dont ils se faisaient gloire d'être les membres. Il ne nous reste donc plus qu'à examiner (152) l'opinion formulée par chacun de ses collègues; c'est ce que nous ferons avec toute la liberté que nous donnent ces paroles du saint martyr: «Ne jugeant personne, et nous abstenant de priver du droit de communion celui qui émettrait une opinion contraire ».Ces paroles n'étaient point de sa part une embûche qu'il dressait pour surprendre les secrets de ses collègues, mais l'expression franche et sincère de son amour pour la paix et pour l'unité; on peut d'ailleurs s'en convaincre très-facilement en le voyant écrire à chacun des évêques, dans le même sens qu'il écrivait à Jubaianus: «C'est là», lui dit-il, «la réponse que j'ai cru devoir vous faire dans ma médiocrité; je ne prescris rien à personne, je ne préjuge rien, chaque évêque reste parfaitement le maître d'agir comme il l'entend et conserve pleinement son libre arbitre». Craignant même qu'on ne vînt à conclure de ses paroles l'expulsion de tout évêque qui userait de toute la liberté qui lui était laissée, Cyprien ajoute: «Pour ce qui nous regarde, nous évitons avec soin la dénomination d'hérétiques dans toutes nos discussions avec nos collègues et coévêques, et notre plus grand soin est de conserver entre nous la concorde divine et la paix du Seigneur». Un peu plus loin il continue: «Nous conservons dans la patience et la douceur, la charité de l'esprit, l'honneur du collège sacerdotal, le lieu de la foi, la concorde du sacerdoce (Cyp., Lettre LXXXIII)».Dans sa lettre à Magnus, saint Cyprien, examinant la question de savoir s'il y a une différence entre le baptême par immersion et le baptême par ablution, ajoute: «Sur ce sujet nous ne voulons imposer à personne, comme règle de conduite, notre humilité et notre modestie; chacun reste libre de penser ce qu'il voudra, et d'agir en conséquence ( Cyp., Letre LXIX )». Tout cela nous prouve qu'à l'époque de saint Cyprien, ces questions, bien loin d'être résolues, étaient l'objet d'actives recherches, et soulevaient de grandes difficultés.Plus heureux aujourd'hui nous enseignons l'unité et la simplicité du baptême, telle qu'elle est prouvée par l'antique coutume de l'Eglise, et solennellement confirmée par décret d'un concile général. Toutefois les paroles mêmes de Cyprien ne font qu'augmenter ma confiance, car elles me prouvent que sur les points restés libres je puis émettre telle ou telle opinion, pourvu que je reste sincèrement attaché à l'unité. C'est ainsi qu'ont agi Cyprien et ses collègues dans le concile de Carthage. ils n'ignoraient pas que l'opinion qu'ils formulaient n'était point partagée par tous les évêques catholiques; cependant ils s'y attachèrent, et ne craignirent pas de lancer l'anathème contre les calomnies séditieuses des hérétiques et des schismatiques, les foudroyant au nom de ce même Jésus-Christ qui a dit par son Apôtre: «Vous supportant réciproquement dans la charité; vous appliquant à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (Ep 4,2-3)»; et encore: «Si vous avez sur d'autres points des opinions différentes, Dieu vous révélera ce «que vous devez en croire (Ph 3,15)». Ainsi donc, tout en conservant avec ces évêques le lien de la paix et de l'unité, tout en cherchant à les imiter sur ce point, autant que Dieu nous en fait la grâce, nous allons citer et réfuter les diverses opinions émises dans le concile par les collègues de Cyprien.


CHAPITRE VIII.OPINION DE CÉCILIUS DE BILTA.

11. Cécilius de Bilta s'exprima en ces termes: «Je ne connais qu'un seul baptême, lequel ne se trouve que dans l'Eglise; hors de l'Eglise, point de baptême. Le baptême unique ne peut se trouver que là où règnent l'espérance véritable et la foi certaine. De là ces paroles: Une seule foi, une seule espérance, un seul baptême (Ep 4,4-5). Comment se trouverait-il parmi les hérétiques, puisque leur espérance est nulle, et leur foi radicalement fausse? Parmi eux, d'ailleurs, tout n'est que mensonge, les démoniaques eux-mêmes ne craignent pas d'y exorciser. Celui dont la bouche et les paroles lancent le poison interroge sur le sacrement; l'infidèle donne la foi, le scélérat accorde la rémission des péchés; l'antéchrist baptise au nom de Jésus-Christ, celui qui est maudit de Dieu verse d'abondantes bénédictions; celui qui est mort promet la vie, celui qui n'aime que la guerre donne la paix; le blasphémateur invoque le Très-Haut, le profane administre le sacerdoce, le sacrilège érige l'autel. A tous ces maux ajoutez celui-ci: Le ministre du démon ose offrir l'Eucharistie. Je défie ceux dont je parle de soutenir que (153) sur tous ces points nous calomnions les hérétiques. Voilà cependant à quelle triste nécessité l'Eglise se voit réduite; on la condamne à rester en communion avec des hommes qui ne possèdent ni le baptême ni la rémission des péchés. Nous devons, mes frères, repousser de toutes nos forces cette dure nécessité, protester contre une conduite aussi criminelle et proclamer l'unité du baptême, dont la possession ne se trouve que dans l'Eglise».
12. A cela je réponds que l'on peut confesser Dieu dans ses paroles et le nier par ses oeuvres. Tels sont les avares, les envieux et tous ceux que l'apôtre saint Jean nous signale comme homicides (1Jn 3,15), à cause de la haine qu'ils nourrissent dans leur coeur; ils n'ont pas l'espérance, puisqu'ils portent une conscience mauvaise; ils sont parjures, puisqu'ils n'accomplissent pas les serments qu'ils ont faits à Dieu; ils sont menteurs, puisqu'ils professent l'erreur; ils sont démoniaques, puisqu'ils donnent entrée dans leur coeur au démon et à ses anges; leur langage produit la corruption, puisqu'ils corrompent les bonnes moeurs par leurs conversations mauvaises; ils sont infidèles, puisqu'ils se rient des menaces que Dieu fait entendre à ces sortes de pécheurs; ils sont criminels, puisqu'ils mènent une vie coupable; ils sont antéchrists, puisque leurs moeurs sont en opposition directe avec Jésus-Christ; ils sont maudits de Dieu, puisque la sainte Ecriture n'a pour de tels hommes que des malédictions; ils sont morts, puisqu'ils sont privés de la vie de la justice; ce sont des profanes, puisqu'ils sont spirituellement séparés du sanctuaire intérieur du Tout-Puissant; ce sont des sacrilèges, puisque par leur vie coupable ils souillent en eux-mêmes le temple de Dieu; ils sont les suppôts du démon, puisqu'ils se rendent les esclaves de la fraude et de l'avarice, qui est une espèce d'idolâtrie.Or, l'apôtre saint Paul et Cyprien lui-même nous affirment qu'il se trouve de tels hommes jusque dans l'unité. Pourquoi donc baptisent-ils? Pourquoi donc des hommes qui ne renoncent au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres, reçoivent-ils le baptême avant d'avoir changé de conduite, et pourquoi ne pas leur réitérer le baptême quand ils se convertissent? Mais voici le sublime de l'indignation: «Telle est cependant», s'écrie-t-il, «la triste nécessité à laquelle l'Eglise se voit réduite: on la condamne à rester en communion avec des hommes qui n'ont reçu ni le baptême ni la rémission des péchés!» Ce langage ne prouve-t-il pas qu'il est des évêques qui imposent à leurs collègues ce triste devoir? C'est ce qui prouve le sage parti qu'avaient embrassé tous ceux qui restèrent strictement fidèles à l'antique coutume, confirmée depuis par l'autorité d'un concile général. Mais que signifient les paroles suivantes: «Nous devons, mes frères, repousser de toutes nos forces cette dure nécessité et protester contre une conduite aussi criminelle?» Si ces paroles prouvent qu'il agit autrement et qu'il réprouve cette conduite, c'est autre chose; mais s'il entend par là condamner et réprouver ceux qui partagent l'opinion contraire à la sienne, il se met en contradiction formelle avec les paroles de Cyprien, précédemment citées: «Ne jugeant personne et nous abstenant de priver du droit de communion ceux qui partagent l'opinion contraire».


CHAPITRE IX.OPINION DE FÉLIX DE MIGIRPA.

13. Félix de Migirpa opina en ces termes: «Je pense que le baptême doit être réitéré à quiconque sort de l'hérésie. En effet, c'est en vain qu'il se flatterait d'être déjà baptisé, puisqu'il n'y a de baptême unique et véritable que dans l'Eglise, car il n'y a qu'un seul Seigneur, une seule foi et une seule Eglise, dans laquelle se trouvent le baptême unique, la sainteté et les autres biens spirituels. Tout ce qui s'accomplit hors de l'Eglise n'est d'aucune utilité pour le salut».
14. Nous répondons à Félix de Migirpa: S'il n'y avait de baptême unique et véritable que dans l'Eglise, il ne pourrait être possédé par aucun de ceux qui se séparent de l'unité. Or, ils le possèdent, car si à leur retour ils ne sont pas soumis à la réitération de ce sacrement, c'est uniquement parce qu'ils n'avaient pas cessé de le posséder en se séparant de l'Eglise. Il ajoutait: «Tout ce qui se fait hors de l'Eglise n'est d'aucune efficacité pour le salut»; cette proposition est d'une parfaite exactitude, j'y applaudis sans réserve. Car autre chose est de ne rien posséder hors de l'Eglise, autre chose est de le posséder (154) inutilement. Que les hérétiques rentrent dans le sein de l'Eglise, et ce qui leur était inutile produira en abondance des fruits de salut.


CHAPITRE X.OPINION DE POLYCARPE D'ADRUMÈTE.

15. Polycarpe d'Adrumète s'écria: «Ceux qui approuvent le baptême des hérétiques, invalident le nôtre». Je réponds: Si vous appelez baptême des hérétiques celui qui est conféré par les hérétiques, vous appellerez donc baptême des avares et des homicides celui qui est conféré par des avares et des homicides. Nier cette conséquence rigoureuse, c'est également nier le principe; et par conséquent le baptême est toujours le baptême de Jésus-Christ, quels que soient d'ailleurs les ministres qui le confèrent.


CHAPITRE 11.OPINION DE NOVATUS DE THAMUGADE.

16. Novatus de Thamugade s'exprima en ces termes: «Nous savons que toute la sainte Ecriture rend témoignage au baptême et à son efficacité, et cependant nous n'en devons pas moins exprimer notre foi. Je soutiens donc que les hérétiques et les schismatiques qui reviennent à I'Eglise doivent de nouveau recevoir le baptême, car c'est à tort qu'ils paraissent baptisés. Voilà pourquoi, selon le témoignage des Ecritures et la décision de nos saints et illustres collègues, nous baptisons tous ceux des hérétiques et des schismatiques qui reviennent à l'Eglise, et nous traitons comme de simples laïques ceux d'entre eux qui passaient pour revêtus des saints ordres».
17. Novatus nous dit bien ce qu'il faisait, mais il n'apporte aucune raison pour prouver que c'était là ce qu'il devait faire. «Il invoque le témoignage des Ecritures et la décision de ses collègues», mais il ne cite aucune preuve dont nous ayons à examiner la valeur.


CHAPITRE XII.OPINION DE NÉMÉSIANUS DE TUBUNIS.

18. «Toutes les pages des saintes Ecritures nous prouvent que le baptême conféré par les hérétiques et les schismatiques n'est pas le véritable baptême; en effet, leurs ministres ne sont que de faux chrétiens et de faux prophètes, à qui s'applique parfaitement cet oracle divin formulé par Salomon: Celui qui s'appuie sur le mensonge, nourrit les vents et suit les oiseaux dans leur vol (Pr 10,4), En effet, il déserte les voies de sa vigne, et s'éloigne des sentiers de son champ. Au contraire, il s'élance dans les lieux abrupts et arides, sur une terre destinée à la soif, et se condamne à des travaux infructueux. Il est dit encore: Abstenez-vous de l'eau étrangère et ne buvez pas à la source inconnue, afin que vous viviez longtemps et qu'il vous soit donné de longs jours. Dans l'Evangile, le Seigneur Jésus nous adresse ces solennelles paroles: Celui qui ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit, ne peut entrer dans le royaume des cieux (Jn 3,3). C'est là cet Esprit qui dans le principe était porté sur les eaux (Gn 1,2). En effet, l'Esprit ne peut opérer sans l'eau, ni l'eau sans l'Esprit. C'est donc une fausse interprétation de dire qu'ils reçoivent le Saint-Esprit par l'imposition des mains, et qu'ils
sont ainsi reçus dans l'Eglise; n'est-il pas évident qu'ils doivent renaître dans l'Eglise catholique par chacun de ces deux sacrements? Alors seulement ils pourront être les enfants de Dieu, selon cette parole de l'Apôtre: S'appliquant à conserver l'unité d'un même esprit par le lien de la paix. Vous n'êtes tous qu'un corps, qu'un esprit, comme vous n'avez tous été appelés qu'à une même espérance. Il n'y a qu'un Seigneur, une foi, un baptême, un Dieu (Ep 4,3-5). Tel est aussi le langage de l'Eglise catholique. Nous lisons également dans l'Evangile: Ce qui est né de la chair, est chair; et ce qui est né de l'Esprit, est esprits; car l'Esprit est Dieu et il est né de Dieu . Donc toutes les oeuvres des hérétiques et des schismatiques sont charnelles, selon cette parole de l'Apôtre. Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair, qui sont la fornication, l'impureté, l'impudicité, l'inceste, l'idolâtrie, les empoisonnements, les inimitiés, les dissensions, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies et autres choses semblables; et je vous déclare, comme je vous l'ai déjà dit, que ceux qui commettent ces crimes ne seront point (155) héritiers du royaume de Dieu (Ga 5,19-21). Au nombre des criminels qu'il condamne, l'Apôtre signale ceux qui sèment la division, c'est-à-dire les hérétiques et les schismatiques. Si donc ils ne reçoivent pas le baptême salutaire dans l'Eglise catholique essentiellement une, ils ne peuvent être sauvés et seront condamnés au jugement de Dieu avec tous les hommes charnels».
19. Némésianus a fait preuve d'érudition en citant tous ces témoignages de la sainte Ecriture; mais il ignorait sans doute qu'il plaidait lui-même en faveur de l'Eglise catholique dont nous embrassons et défendons la doctrine. A moins peut-être que ce ne soit pas s'appuyer sur le mensonge, que de mettre sa confiance dans les choses temporelles, comme font les avares, les voleurs et tous ceux qui ne renoncent au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres toutes personnes qui cependant baptisaient et étaient baptisées dans l'unité, comme nous l'atteste Cyprien lui-même (Lettre 13,aux Clercs). Ces hommes ne sont-ils pas de ceux «qui suivent les oiseaux dans leur vol rapide ()», car ils ne saisissent jamais ce qu'ils désirent? «Il déserte les voies de sa vigne, et s'écarte du sentier de son champ; il s'élance dans des lieux abrupts et arides, sur une terre destinée à la soif, et se condamne à des travaux infructueux»; ces paroles s'appliquent non-seulement à l'hérétique, mais à quiconque s'abandonne au péché, car toute justice porte des fruits, et toute iniquité est stérile. Quant à ceux «qui boivent de l'eau étrangère à une source étrangère e, ce ne sont pas seulement les hérétiques, mais encore tous ceux qui ne vivent pas selon les préceptes du Seigneur, et règlent leur conduite selon les enseignements du démon. D'ailleurs, si le Prophète eût parlé du baptême, il n'aurait pas dit: «Ne buvez pas à une source étrangère»; mais: Ne vous lavez pas à une source étrangère.Quant à ces paroles du Sauveur: «Celui qui ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit «ne peut entrer dans le royaume de Dieu (Jn 3,5)», je ne vois pas quelle utilité Némésianus peut en tirer pour le but qu'il se propose. En effet, autre chose est de dire: Quiconque entrera dans le royaume des cieux a dû d'abord renaître de l'eau et du Saint-Esprit, car s'il ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit, il n'entrera pas dans le royaume des cieux, et tel est le sens véritable de la parole du Sauveur; autre chose est de dire: Quiconque renaît de l'eau et du Saint-Esprit entrera dans le royaume des cieux; une telle proposition est évidemment fausse. Simon le Magicien était né de l'eau et du Saint-Esprit (Ac 8,13), et cependant il n'entra pas dans le royaume des cieux. La même chose peut - arriver aux hérétiques. D'un autre côté, s'il n'y a pour renaître du Saint-Esprit que celui qui se convertit sincèrement, tous ceux qui ne renoncent au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres, sont donc nés, non point de l'Esprit, mais uniquement de l'eau; et cependant, Cyprien nous les présente comme appartenant à l'unité. Nécessairement donc, il faut nous concéder l'une ou l'autre de ces deux propositions: ou bien ceux qui ne renoncent pas sincèrement au siècle naissent de l'Esprit, quoique ce soit pour leur ruine et non pas pour leur salut, et alors, nous pourrons ranger les hérétiques dans cette catégorie; ou bien, s'il est impossible de naître de l'Esprit quand on ne renonce que mensongèrement au siècle, car la sainte Ecriture a dit: «Le Saint-Esprit fuit avec horreur toute feinte dans la discipline (Sg 1,5)», alors il faut conclure que l'on peut être baptisé dans l'eau, sans naître de l'Esprit, et c'est à tort que Némésianus a dit: «L'Esprit ne peut opérer sans l'eau, «ni l'eau sans l'Esprit».Or, dans les livres précédents, nous avons souvent montré comment il peut se faire que ceux qui n'appartiennent pas à une seule et même Eglise, reçoivent cependant un seul et même baptême. De même, parmi ceux qui appartiennent à l'unité de l'Eglise, les uns possèdent le Saint-Esprit à cause de leur justice, tandis que d'autres l'ont chassé par leur avarice, et cependant, tous n'ont qu'un seul et même baptême. Comme il a été dit: «Un seul corps», c'est-à-dire l'Eglise, il a été dit également: «Un seul Esprit et un seul baptême».Quant aux autres passages cités par Némésianus, ils sont tous en faveur de la thèse que nous soutenons. D'abord ces paroles de l'Evangile: «Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit (Jn 3,6); car «Dieu est esprit et l'Esprit est né de Dieu (Jn 4,24) - Il en tire cette conclusion: «Donc, toutes les (156) oeuvres des hérétiques et des schismatiques sont des oeuvres charnelles, selon cette parole de l'Apôtre: Il est aisé de connaître les oeuvres de la Chair, qui sont la fornication, l'impudicité», et autres crimes semblables parmi lesquels l'Apôtre énonce les hérésies, en ajoutant que «ceux qui commettent ces crimes ne seront point héritiers du royaume de Dieu (Ga 5,19-21). Némésianus continue: «L'Apôtre met donc au nombre de tous ces criminels ceux qui sèment la division, c'est-à-dire les hérétiques et les schismatiques». Il était fort à propos que dans cette énumération des oeuvres de la chair, il trouvât signalées les hérésies, et que toutes ces oeuvres fussent frappées d'une seule et même condamnation. Maintenant donc, qu'il interroge saint Cyprien et qu'il apprenne de ce saint martyr qu'il est beaucoup de chrétiens qui appartiennent à l'unité et qui cependant vivent selon les oeuvres de la chair, réprouvées par l'Apôtre en même temps que l'hérésie, et que, malgré cette vie charnelle, ils baptisent et sont baptisés. Pourquoi donc soutenir que les hérétiques seuls n'ont pas le baptême, quand la condamnation qui les frappe leur associe un si grand nombre de compagnons d'infortune?


CHAPITRE XIII.OPINION DE JANUARIUS DE LAMBÈSE.

20. Voici les paroles de Januarius de Lambèse: «M'appuyant sur l'autorité des saintes Ecritures, je déclare que tous les hérétiques doivent être baptisés, et que ce n'est qu'à cette condition qu'ils doivent être admis dans l'Eglise».
21. Je réponds: Selon l'autorité des divines Ecritures, un concile universel a décrété qu'on ne doit jamais invalider le baptême de Jésus-Christ, même quand on le rencontre dans les hérétiques. D'ailleurs, si Januarius avait daigné citer ces passages de l'Ecriture, nous lui aurions prouvé ou qu'ils ne sont pas contre nous, ou qu'ils sont pour nous. C'est ce que nous ferons pour l'orateur suivant.


CHAPITRE XIV.OPINION DE LUCIUS DE CASTRES.

22. Lucius de Castres s'exprima ainsi: «Le Seigneur a dit dans l'Evangile: Vous êtes le sel de la terre; si donc le sel s'affadit, ce qui aura été salé ne méritera plus que d'être jeté dehors et foulé par les passants (Mt 5,13). De même, après la résurrection, quand il envoie ses Apôtres, il leur dit: Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre, allez donc et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,18-19). Or, il est certain que les hérétiques, c'est-à-dire les ennemis de Jésus-Christ, ne possèdent pas la profession intègre du sacrement; de même il est certain que les schismatiques ne peuvent donner le sel de la sagesse spirituelle, car, en se séparant de l'Eglise, ils sont devenus insensés et rebelles. Par là même, il n'y a plus à attendre que la réalisation de cette parole: La demeure des profanateurs de la loi devra être purifiée (Pr 14,9 selon les Sept); et dès lors, tous ceux qui ont été baptisés par ces ennemis de Dieu sont sortis de ce baptême beaucoup plus coupables qu'ils n'étaient et doivent enfin être baptisés».
23. Et d'abord, Lucius nous oppose ce passage de l'Evangile «Vous êtes le sel de la terre; si donc le sel s'affadit, ce qui aura été salé ne méritera plus que d'être jeté dehors et foulé par les passants». Quand donc avons-nous soutenu que les hommes jetés hors de l'Eglise eussent quelque pouvoir pour leur salut ou pour le salut des autres? Quant à ces sels affadis que l'on trouve dans l'unité, non-seulement ils en sont séparés spirituellement, mais, à la tin du monde, ils se verront encore rejetés corporellement. Ils ne peuvent absolument rien, et cependant on ne saurait regarder comme radicalement nul le sacrement de baptême qu'ils ont reçu. Tout séparés qu'ils sont, qu'ils se convertissent et reviennent, et le salut qu'ils avaient perdu leur sera rendu; mais, quant au baptême, il n'a pas à leur revenir, puisqu'il ne les avait pas quittés.Viennent ensuite ces autres paroles du Sauveur: «Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit» Ce n'est qu'aux bons queJésus-Christ permet de baptiser, car il n'aurait pas dit aux méchants: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les (157) retiendrez (Jn 20,23). Comment donc des méchants qui ne peuvent remettre les péchés peuvent-ils baptiser dans l'unité? Comment osent-ils baptiser des méchants dont ils ne reçoivent aucun signe de conversion, et qui portent sur eux le poids de leurs péchés, selon cette parole de saint Jean: «Celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres (1Jn 2,9)?» Au contraire, dès que ces pécheurs se convertissent, dès qu'ils s'unissent, par les liens de la charité, à ceux qui, dans l'Eglise, ont le pouvoir de pardonner; aussitôt, eussent-ils été baptisés par des méchants, ils obtiennent la rémission de leurs péchés. De même en est-il de ceux qui reviennent de l'hérésie et rentrent sincèrement dans l'unité du corps de Jésus-Christ, et s'unissent par le lien de la paix.Toutefois, qu'il s'agisse des uns ou des autres, le baptême ne dois être méconnu ni en lui-même, ni dans sa validité, soit avant qu'ils se convertissent, quoiqu'alors le sacrement ne leur soit d'aucune utilité, soit lorsqu'ils se convertissent, car alors le sacrement produit tous ses effets, «tandis qu'en se séparant de l'unité de l'Eglise, ils étaient devenus insensés et rebelles et n'avaient plus à attendre que l'accomplissement de cette parole: La demeure des profanateurs de la loi devra être purifiée. Par conséquent», dit-il, «tous ceux qui ont été baptisés par ces ennemis de Dieu sont sortis de ce baptême beaucoup plus coupables qu'ils n'étaient, et doivent enfin être baptisés». Or, des voleurs et des homicides ne sont-ils pas les profanateurs d'une loi formulée en ces termes: «Vous ne tuerez point, vous ne prendrez pas le bien d'autrui (Ex 20,13-15)?» «Qu'ils doivent donc être purifiés», qui pourrait en douter? Et cependant, ni ceux qui sont baptisés dans l'unité par ces homicides et ces voleurs, ni même ceux qui, apportant au baptême ces crimes ou autres semblables sans en éprouver aucun repentir, sortent du sacrement plus coupables et plus obligés encore à une conversion véritable; ni les uns ni les autres n'ont besoin de recevoir de nouveau le baptême, quand Dieu leur donne la grâce de se convertir. A nos yeux, tant est grande l'efficacité du baptême une fois conféré, que nous en défendons la réitération à tous ceux qui l'ont reçu, quel qu'ait été d'ailleurs le désordre de leur conduite.

CHAPITRE XV.OPINION DE CRESCENT DE CIRTA.

24. Crescent de Cirta s'exprima en ces termes: «En présence de cette auguste assemblée de nos collègues dans le sacerdoce; après la lecture des lettres de notre bien-aimé Cyprien à Jubaianus et à Etienne; après l'interprétation qui y est donnée des passages les plus formels et les plus imposants des saintes Ecritures; frappé par l'évidence et persuadé par la grâce de Dieu qui nous rassemble, je déclare que les hérétiques et les schismatiques qui veulent entrer dans l'unité de l'Eglise catholique ne doivent y être reçus qu'après avoir reçu l'exorcisme et le baptême; je n'excepte que ceux qui ont été baptisés dans l'Eglise catholique avant de tomber dans l'hérésie, car pour les réconcilier à l'Eglise il leur suffit de l'imposition des mains pour la pénitence».
25. Nous devons nous demander de nouveau pourquoi il excepte «ceux qui ont été baptisés dans l'Eglise catholique avant de tomber dans l'hérésie». Est-ce parce qu'ils n'ont pas perdu ce qu'ils avaient reçu dans l'unité? Mais pourquoi ne pouvaient-ils pas donner dans le schisme ce qu'ils pouvaient posséder dans le schisme? Cette collation serait-elle illicite? mais la possession même est illicite; et cependant elle existe; ne doit-il pas en être de même de la collation du sacrement? elle est illicite hors de l'Eglise, mais elle n'en est pas moins valide. D'un autre côté, la condition de celui qui revient à l'Eglise après y avoir été baptisé, est la même que pour celui qui demande à y entrer après avoir été baptisé dans le schisme; à tous deux il est donné de posséder licitement dans l'unité ce qu'ils possédaient illicitement dans le schisme.On demandera peut-être ce qu'a dit sur cette question le bienheureux Cyprien dans sa lettre à Etienne, puisque l'évêque Crescent invoque l'autorité de cette lettre, tandis qu'il n'en avait été fait aucune mention dans les préliminaires du concile. Or, je crois que cette lettre ne pouvait être d'aucune importance dans le débat engagé. Crescent affirme que cette lettre a été lue dans l'assemblée des évêques, et je le crois sans aucune difficulté, car il était tout naturel que ces évêques fussent tout désireux de connaître ce que cette (158) pièce pouvait leur apprendre sur la question qui les occupait. Or, elle est absolument étrangère à la matière que nous discutons, et si quelque chose m'étonne, ce n'est pas qu'elle ait été omise dans les préliminaires du concile, mais que l'évêque de Cirta ait cru devoir la mentionner. D'ailleurs, si quelqu'un pouvait m'accuser de n'oser produire une pièce importante du procès, je me contenterais de l'inviter à la lire attentivement et à se convaincre de la justesse de mon observation; du reste, s'il y trouve quelque argument à faire valoir, qu'il l'expose et nous y répondrons. En attendant, je soutiens que cette lettre est absolument étrangère à la question du baptême conféré dans les rangs des hérétiques ou des schismatiques.

CHAPITRE XVI.OPINION DE NICOMÈDE DE SÉGERME.

26. Voici comment s'exprima Nicomède de Ségerme: «Mon avis est que l'on doit conférer le baptême aux hérétiques qui veulent entrer dans l'Eglise, car hors de l'unité les pécheurs ne peuvent obtenir la rémission de leurs péchés».
27. Je réponds: L'Eglise catholique enseigne qu'on ne doit point réitérer le baptême à ceux des hérétiques qui, après avoir été baptisés dans l'hérésie, demandent à entrer dans l'Eglise. En effet, s'il n'y a point de rémission des péchés parmi les pécheurs, les pécheurs, dans l'unité, ne peuvent pas davantage remettre les péchés; et cependant on ne réitère pas le baptême à ceux que ces pécheurs ont baptisés.


CHAPITRE XVII.OPINION DE MONNULUS DE GIRBA.

28. Monnulus de Girba s'exprima en ces termes: «Nous conservons et nous avons toujours conservé la vérité de l'Eglise catholique notre mère, et surtout quant au baptême conféré au nom de la Trinité, selon cette parole du Sauveur: Allez, baptisez les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). Or, nous savons d'une manière certaine que les hérétiques n'ont ni le Père, ni le Fils ni le Saint-Esprit; par conséquent, lorsqu'ils demandent à entrer dans l'Eglise, ils doivent renaître et recevoir le baptême, afin de trouver dans ce bain salutaire le remède au chancre qui les dévorait et le pardon des crimes qui faisaient peser sur eux tout le poids de la vengeance divine».
29. Je réponds que tous ceux qui reçoivent le baptême avec la forme prescrite dans l'Evangile ont la foi au Père, au Fils et au Saint-Esprit; quant à traduire cette foi dans leur conduite et dans leurs oeuvres, le font-ils ceux qui jusque dans le sein de l'unité se couvrent de honte et d'exécration?


CHAPITRE XVIII.OPINION DE SÉCUNDINUS DE CÉDIAS.

30. Le Sauveur a dit: «Celui qui n'est point avec moi est contre moi (Mt 12,30); et l'apôtre saint Jean appelle antéchrists ceux qui sortent de l'unité de l'Eglise (1Jn 2,18). Il est donc certain que les ennemis de Jésus-Christ et tous ceux qui méritent le nom d'antéchrists, ne peuvent conférer la grâce du baptême salutaire; d'où je conclus pour les hérétiques qui renoncent à l'erreur afin d'entrer dans l'Eglise, l'absolue nécessité d'être baptisés par nous à qui Dieu dans sa bonté veut bien donner le nom d'amis».
31. Je réponds que nous devons regarder comme adversaires de Jésus-Christ, nonobstant cette protestation et autres semblables: «Seigneur, n'avons-nous pas accompli beaucoup de prodiges en votre nom?» tous ceux à qui il sera dit à la fin des temps: «Je ne vous connais pas, retirez-vous de moi, vous tous qui accomplissez l'iniquité (Mt 7,22-23)». Si toute cette paille persévère jusqu'à la fin dans sa malice, soit qu'elle s'envole hors de l'Eglise avant la ventilation, soit qu'elle paraisse encore appartenir à l'unité, toute la destinée qui l'attend ce sont les flammes éternelles. Si donc ceux des hérétiques qui reviennent à l'Eglise doivent être baptisés, afin qu'ils puissent recevoir le baptême de la main des amis de Dieu; va-t-on regarder comme amis de Dieu ces avares, ces voleurs, ces homicides? ou bien faudra-t-il réitérer le baptême à tous ceux qu'ils ont baptisés?



Augustin, du Baptême - CHAPITRE VI.DISCOURS DE SAINT CYPRIEN, À L'OUVERTURE DU CONCILE.