Augustin, du Baptême - CHAPITRE XXXIV.OPINION DE QUIÉTUS DE BURUCH.

CHAPITRE XXXIV.OPINION DE QUIÉTUS DE BURUCH.

65. «Nous qui vivons de la foi, nous devons observer fidèlement les instructions que l'antiquité nous a transmises. Salomon nous adresse ces paroles: Celui qui est baptisé par un mort, à quoi peut lui servir cette ablution (Si 34,30)? L'auteur parle évidemment de ceux qui sont baptisés par les hérétiques qui confèrent le baptême. D'ailleurs, si le baptême donné par les hérétiques confère la rémission des péchés, et par là même la vie éternelle, pourquoi ceux qui l'ont reçu demandent-ils à entrer dans l'Eglise? Au contraire, si le baptême donné par un mort est inutile au salut, je comprends que, sentant leur erreur première, ils s'abandonnent au repentir et reviennent à la vérité; mais alors il est de toute évidence qu'ils doivent être sanctifiés par le baptême de vie, lequel ne se trouve que dans l'Eglise catholique».
66. Sans refuser aucunement d'apporter à ce texte de l'Ecriture un examen plus attentif, j'ai dit précédemment dans quels cas le baptême me paraît être conféré par un mort ( Contre Parménien, liv., 2,ch X. ). Or, je demande pourquoi les Donatistes s'obstinent à ne regarder comme morts que les seuls hérétiques, tandis que l'apôtre saint Paul, parlant du péché en général, n'a pas craint de dire: «Le salaire du péché, c'est la mort (Rm 6,23)»; et encore: «Juger des choses selon la chair, c'est la mort (Rm 8,6)». Il appelle morte toute veuve qui vit dans les délices (1Tm 5,6); comment donc ne pas regarder comme morts tous ceux qui ne renoncent au ciel que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres? À quoi dès lors peut servir l'ablution de celui qui est baptisé par de tels hommes? Nous disons néanmoins que celui qui en est là possède validement le baptême, quoique ce baptême ne lui soit d'aucune utilité pour le salut.D'un autre côté, lors même que le ministre serait mort, si le sujet se présente devant Dieu dans les sentiments d'un véritable repentir, ce n'est point précisément par la mort qu'il est baptisé, mais par l'auteur même de la vie, dont il a été dit: «C'est lui-même qui baptise (Jn 1,33)», quel que soit l'organe extérieur dont il se serve pour baptiser. Quand donc Quiétus s'écrie: «Si le baptême conféré par les hérétiques confère la vie éternelle par la rémission des péchés, pourquoi ceux qui l'ont reçu demandent-ils à entrer dans l'Eglise?» Je lui réponds: Ils y viennent, parce que, malgré la validité intrinsèque du baptême de Jésus-Christ, tel qu'ils l'ont reçu, ils ne peuvent parvenir à la vie éternelle que par la charité de l'unité. Ces hommes malveillants et jaloux ne sauraient obtenir la rémission de leurs péchés, surtout s'ils conservaient de la haine contre ceux qui (167) leur ont fait quelque injure; car, c'est la souveraine Vérité qui a dit: «Si vous ne pardonnez pas, votre Père céleste ne vous pardonnera pas davantage (Mt 6,15)»; combien plus étaient-ils indignes de ce pardon s'ils haïssaient ceux auxquels ils rendaient le mal pour le bien (Ps 34,12)! Cependant, supposé que ces hommes qui n'avaient renoncé au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres, reviennent à Dieu sincèrement, à personne ne viendrait la pensée de leur réitérer le baptême; ils trouveraient dans le seul baptême de vie qu'ils ont reçu le principe d'une entière sanctification. Ce baptême est dans l'Eglise catholique, mais il est encore ailleurs; comme il n'habite pas seulement dans les saints qui sont édifiés sur la pierre et dont la multitude compose cette colombe unique sous les traits de laquelle l'Eglise nous est dépeinte (Ct 6,8).


CHAPITRE XXXV.OPINION DE CASTUS DE SICCA.

67. «Celui qui, au mépris de la vérité, se flatte de suivre la coutume, fait preuve ou bien de jalousie et de méchanceté contre ceux de ses frères à qui la vérité est révélée, ou bien d'ingratitude envers Dieu, de qui seul l'Eglise reçoit l'instruction et la lumière».
68. A tous ceux qui partageaient l'opinion contraire et s'en tenaient à la pratique générale confirmée plus tard par un concile général, si Castus parvenait à prouver que suivre l'antique coutume c'est faire un mépris formel de la vérité, assurément la proposition qu'il vient d'émettre nous frapperait de terreur. Mais comme cette antique coutume a été propagée et corroborée par la vérité, les paroles de Castus ne nous causent plus aucun effroi. Pourtant «ces hommes qui faisaient preuve de jalousie et de méchanceté contre leurs frères, et d'ingratitude envers Dieu», c'est avec eux que ces évêques du concile restaient en communion; ce sont eux qu'ils refusaient de priver du droit de communion, comme l'a dit Cyprien, malgré la diversité de leurs opinions; c'est avec eux qu'ils conservaient l'unité, sans se croire souillés par ce contact, et pour mieux prouver jusqu'à quel point nous devons aimer le lien de la paix. Qu'ils y réfléchissent donc, ces Donatistes qui, pour nous confondre, ne savent que nous jeter au visage ce concile des évêques de Carthage, dont ils sont loin d'imiter la charité et dont les exemples sont pour eux une solennelle condamnation. La coutume était, selon Castus lui-même, de recevoir dans l'unité de l'Eglise les hérétiques convertis, avec le seul baptême qu'ils possédaient déjà. Par conséquent, de deux choses l'une, ou bien cette coutume était légitime, ou bien les méchants ne souillent pas les bons dans l'unité. Si cette coutume était légitime, pourquoi donc reprochent-ils à l'univers entier de recevoir ainsi les hérétiques? Et si les méchants ne souillent pas les bons dans l'unité, comment peuvent-ils se disculper du crime dont ils se sont rendus coupables par leur séparation sacrilège?


CHAPITRE XXXVI.OPINION D'EUCRATIUS DE THÈNE.

69. «Notre foi, la grâce du baptême, la règle de la discipline ecclésiastique ont été formulées par notre Dieu et Notre-Seigneur Jésus-Christ dans ces paroles qu'il adresse à ses Apôtres: Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). Nous devons donc repousser le baptême des hérétiques comme faux et inique, et le rejeter avec un profond mépris, car ce n'est que le poison et non pas la vie qui peut sortir de leurs lèvres; au lieu de conférer la grâce céleste, ils ne peuvent que blasphémer la Trinité. Ainsi donc tous les hérétiques qui viennent à l'Eglise doivent recevoir le baptême intègre et catholique, afin qu'étant purifiés du blasphème de leur présomption, ils puissent être régénérés par la grâce du Saint-Esprit».
70. Assurément, si le baptême conféré au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit n'est pas le baptême valide, nous devons rejeter celui des hérétiques et le repousser avec le plus profond mépris. Mais si nous acceptons comme valide tout baptême ainsi conféré, il ne nous reste plus qu'à distinguer les paroles évangéliques de l'erreur des hérétiques, qu'à approuver ce qu'ils peuvent avoir de bon, et à réformer ce qu'ils auraient de défectueux. (168)


CHAPITRE XXXVII.OPINION DE LIBOSUS DE VAGA.

71. «Dans l'Evangile le Seigneur nous dit: Je suis la vérité (Jn 14,6); il ne dit pas: Je suis la coutume. Par conséquent, dès que la vérité nous est manifestée, la coutume doit le céder à la vérité; et dès lors celui qui précédemment recevait les hérétiques sans les baptiser, doit désormais les baptiser».
72. Pourquoi donc l'évêque de Vaga, Libosus, n'a-t-il pas déroulé dans tout son jour cette vérité devant laquelle, dit-il, toute coutume doit s'avouer impuissante? N'oublions pas toutefois qu'en constatant l'existence de cette coutume, il nous a fourni, contre les Donatistes séparés de l'unité, un argument irréfutable devant lequel pâlit tristement la conclusion dans laquelle il affirme que cette coutume doit céder à une vérité dont il omet de poser les fondements et les preuves. En vertu de cette coutume l'Eglise admettait à l'autel de Jésus-Christ et sans aucune réitération du baptême les hérétiques qui présentaient des signes suffisants de conversion, et enseignait que les bons ne sont nullement souillés dans l'unité par leur mélange avec les méchants; par conséquent, rien n'autorisait les Donatistes à se séparer de l'unité, et leur schisme est manifestement un crime et un sacrilège. D'ailleurs, supposé que par suite de cette coutume tous les bons eussent péri souillés par leur contact avec les méchants, de quel antre ténébreux ces Donatistes sortent-ils? je vois bien la ruse de leur calomnie, mais qu'ils me montrent la vérité de leur origine. Si donc la coutume de recevoir les hérétiques sans les baptiser est parfaitement légitime, qu'ils déposent leur fureur, qu'ils confessent leur erreur et qu'ils viennent à l'Eglise catholique, non pas pour y recevoir de nouveau le baptême, mais pour y recevoir le pardon de leur schisme sacrilège.


CHAPITRE XXXVIII.OPINION DE LUCIUS DE THÉBESTE.

73. «Je prononce anathème contre les hérétiques, les blasphémateurs et tous ces hommes coupables qui interprètent en sens divers les saintes et adorables Ecritures; par conséquent, je déclare qu'on doit les «exorciser et les baptiser».
74. Je crois également qu'ils sont dignes d'anathème; mais je suis loin d'en conclure qu'on doive les exorciser et les baptiser. Ce que je repousse en eux, c'est ce qui leur est propre; mais ce qui leur vient de Jésus-Christ, c'est-à-dire le baptême, je le vénère et le ratifie.


CHAPITRE XXXIX.OPINION D'EUGÈNE D'AMMÉDERA.

75. «Je déclare également que les hérétiques doivent être baptisés».
76. Je réponds: Tel n'est pas l'enseignement de l'Eglise, à laquelle, par l'organe d'un concile universel, Dieu a révélé ce que vous deviez croire sur ce point en litige 8 Philipp., 3,15 ); toutefois vous ne cessiez pas d'appartenir à l'unité, parce que vous persévériez dans la charité.


CHAPITRE XL.OPINION DE FÉLIX D'AMACCURA.

77. «Appuyé sur l'autorité des divines Ecritures, je déclare que l'on doit baptiser les hérétiques, ainsi que tous ceux qui prétendent avoir reçu le baptême parmi les schismatiques. Selon la doctrine infaillible de Jésus-Christ, le baptême est un bien qui nous est propre; que tous les adversaires de notre Eglise comprennent donc qu'il ne peut appartenir à des étrangers, et que ce souverain pasteur d'un seul troupeau n'a pu attribuer à deux peuples cette eau salutaire. Il est donc évident que les hérétiques et les schismatiques ne reçoivent aucun don céleste quand ils osent demander le baptême à des pécheurs et à des ministres séparés de l'Eglise. Tenter de donner ce que l'on n'a pas, c'est laisser le demandeur dans l'indigence».
78. Je réponds: Nulle part les saintes Ecritures ne commandent de réitérer le baptême aux hérétiques qui ont été baptisés par des hérétiques. Bien souvent, au contraire, elle nous présente comme étrangers à l'Eglise ceux qui ne sont pas sur la pierre, ou n'appartiennent pas aux membres de la colombe, et cependant elle constate en même temps qu'ils baptisent, qu'ils sont baptisés et qu'ils ont le sacrement du salut, sans cependant avoir le (169) salut lui-même. Que notre fontaine soit semblable à la fontaine du paradis terrestre, et que, comme cette dernière, elle coule hors du paradis, c'est ce que nous vous avons déjà suffisamment prouvé ( Chap., XXI. ). J'accorde d'ailleurs que le souverain Pasteur d'un seul troupeau ne puisse accorder cette eau salutaire à deux peuples différents, c'est-à-dire à son peuple et à un peuple étranger; à cela je n'ai rien à opposer. Mais, de ce que cette eau n'est point salutaire aux étrangers, doit-on en conclure que ce n'est pas la même eau? Pour ceux qui étaient dans l'arche, l'eau du déluge fut salutaire, tandis que pour les autres elle fut une cause de mort; pourtant c'était bien la même eau. Beaucoup d'étrangers et particulièrement ces envieux que Cyprien, s'appuyant sur l'Ecriture, range parmi les partisans du démon, semblent appartenir à l'unité, et cependant s'ils n'étaient pas hors de l'arche, ils ne mourraient point par l'eau. Le baptême, parce qu'ils en font un mauvais usage, n'est-il point pour eux une cause de mort, comme la bonne odeur de Jésus-Christ était pour la mort de ceux dont nous parle l'Apôtre (2Co 2,15-16)? Pourquoi donc ni les hérétiques ni les schismatiques ne reçoivent-ils rien de céleste? Comme les épines ou la zizanie reçoivent la pluie, de même ceux qui, au temps du déluge, ne purent entrer dans l'arche, reçurent l'eau qui tombait des cataractes du ciel, mais ce fut pour leur mort et non point pour leur salut. L'auteur ajoute: Tenter de donner «ce que l'on n'a pas, c'est laisser le demandeur dans l'indigence». Je ne m'attacherai pas à réfuter ces paroles, car nous aussi nous disons que le baptême conféré aux hérétiques ne leur est d'aucune utilité, tant qu'ils restent attachés à l'hérésie. Voilà pourquoi, s'ils reviennent à la paix et à l'unité catholique, ce n'est point pour y recevoir le baptême, mais pour mériter que ce sacrement déjà reçu produise en eux ses effets salutaires.


CHAPITRE XLI.OPINION DE JANUARIUS DE MUZULUM.

79. «Tous confessent qu'il n'y a qu'un seul baptême, voilà pourquoi je m'étonne que tous ne comprennent pas l'unité de ce même baptême. L'Eglise et l'hérésie sont deux choses parfaitement distinctes. Si donc les hérétiques ont le baptême, nous ne pouvons pas l'avoir; et si nous l'avons, les hérétiques ne peuvent pas l'avoir. Or, il est sans aucun doute que l'Eglise seule possède le baptême de Jésus-Christ, puisque seule elle possède la grâce et la vérité de Jésus-Christ».
80. Un autre pourrait dire également et avec aussi peu de raison: Tous confessent qu'il n'y a qu'un seul baptême, voilà pourquoi je m'étonne que tous ne comprennent pas l'unité de ce même baptême. En effet, la justice et l'iniquité sont deux choses parfaitement distinctes. Si donc les pécheurs ont le baptême, les justes ne l'ont pas; et si les justes l'ont, les pécheurs ne peuvent pas l'avoir. Or, il est sans aucun doute que les justes seuls possèdent le baptême de Jésus-Christ, puisque seuls ils possèdent la grâce et la vérité de Jésus-Christ. Eh bien I de l'aveu même de nos adversaires, une telle doctrine serait une erreur. Ces hommes envieux, signalés par Cyprien, très-connus de saint Paul, et appartenant extérieurement à l'unité, avaient le baptême, et cependant ils n'étaient pas membres de cette colombe qui repose en sûreté sur la pierre.


CHAPITRE XLII.OPINION D'ADELPHIUS DE THASBALTE.

81. «C'est calomnier injustement et par jalousie la vérité, que de nous accuser de réitérer le baptême, puisque l'Eglise ne rebaptise pas les hérétiques, mais se contente de les baptiser».
82. Non, certes, elle ne rebaptise pas, puisqu'elle ne baptise que ceux qui n'ont pas encore été baptisés. Telle a toujours été sa coutume, confirmée plus tard par la sentenced'un concile général.

CHAPITRE XLIII.OPINION DE DÉMÉTRIUS DE LEPTIS.


83. «Nous nous posons les gardiens d'un seul baptême, parce que nous conservons à I'Eglise ce qui n'appartient qu'à elle seule. Ceux qui soutiennent que les hérétiques confèrent un baptême valide et légitime, ce sont ceux-là mêmes qui établissent non pas seulement deux, mais plusieurs baptêmes; autant il y a d'hérésies (170) différentes, autant ils comptent de baptêmes numériquement distincts».
84. Je réponds: S'il en est ainsi, les baptêmes sont donc aussi nombreux que sont nombreuses ces oeuvres de la chair dont l'Apôtre a dit: «Ceux qui accomplissent ces oeuvres ne posséderont pas le royaume de Dieu (Ga 5,21)». Parmi ces oeuvres, l'Apôtre énumère les hérésies; elles sont tolérées comme la paille dans l'unité de l'Eglise, et cependant il n'y a pour toutes qu'un seul et même baptême dont l'intégrité ne peut être violée par aucune oeuvre d'iniquité.


CHAPITRE XLIV.OPINION DE VINCENT DE THIBARIS.

85. «Nous savons que les hérétiques sont pires que les païens. S'ils se convertissent et qu'ils veuillent revenir à Dieu, ils ont à se soumettre à cette règle de vérité formulée par le Seigneur à ses Apôtres, quand il leur dit: Allez imposer les mains en mon nom, chassez les démons (Mc 16,17); et ailleurs: Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). Pour avoir part à la promesse«de Jésus-Christ, ils doivent donc subir l'imposition de la main dans l'exorcisme, et ensuite la régénération du baptême; en dehors de ces conditions, je déclare qu'on ne doit point les recevoir».
86. En vertu de quel principe l'évêque de Thibaris dit-il que les hérétiques sont pires que les païens, je l'ignore; car le Seigneur s'est contenté de dire: «S'il n'écoute pas l'Eglise, qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain (Mt 18,17)». Mais enfin l'hérétique est-il pire que celui dont parlait le Sauveur? Je ne m'y oppose pas; cependant, de ce qu'un homme est pire qu'un gentil et un païen, on ne doit pas en conclure que le sacrement de Jésus-Christ, s'il l'a reçu, se mêle à ses vices et à ses crimes, et qu'il périt sous le poids de cette corruption. Prenons pour exemple ceux qui se séparent de l'Eglise et deviennent non-seulement les sectateurs, mais même les fauteurs des hérésies; du moment qu'ils étaient baptisés, fussent-ils devenus pires que des païens, ils ne laissent pas d'avoir le baptême; car si plus tard ils se convertissent, ce sacrement ne leur sera pas réitéré. C'est ce qui prouve qu'ils ne l'ont pas perdu, car autrement il faudrait le leur rendre.Il peut donc se faire qu'un homme soit pire qu'un païen, et cependant qu'il ait en lui le sacrement de Jésus-Christ, voire même que ce sacrement soit en lui ce qu'il est dans un saint et un juste. Sans doute, en ce qui le regarde, cet homme, loin de conserver la grâce du sacrement, l'a violée par les dispositions criminelles de son esprit et de son coeur, mais pour ce qui regarde le sacrement lui même il est demeuré dans toute son intégrité et toute son inviolabilité, malgré le mépris et l'outrage de celui qui le possédait. Les Sodomites n'étaient-ils pas des païens, c'est-à-dire des Gentils? Donc ils étaient moins mauvais que les Juifs auxquels le Seigneur disait: «Au jour du jugement Sodome sera traitée avec plus d'indulgence que vous (Mt 11,24)». Le Prophète d'ailleurs avait déjà dit à ces mêmes Juifs: «Vous avez justifié Sodome (Ez 16,51)»; c'est-à-dire, qu'en la comparant à vous, la ville de Sodome serait regardée comme juste. Or, cela prouve-t-il que les sacrements divins que possédaient les Juifs leur étaient devenus semblables? Pourtant nous voyons le Sauveur recevoir lui-même ces sacrements; nous l'entendons ordonner aux lépreux qu'il avait guéris d'aller les célébrer (Lc 17,14); enfin, pendant que Zacharie les célébrait, l'ange du Très-Haut se tenait à ses côtés pour l'assister, et il ne craint pas de lui annoncer que c'est pendant qu'il sacrifiait dans le temple, que ses prières ont été exaucées (Lc 1,11-13). Ainsi donc, dès cette époque, les sacrements de l'ancienne loi se conféraient non-seulement à des justes, mais encore à de plus grands pécheurs que n'étaient les païens eux-mêmes, à des hommes dont la culpabilité l'emportait sur celle des Sodomites eux-mêmes. Toutefois, pour les uns et pour les autres, ces sacrements restaient dans toute leur intégrité et leur divinité.
87. Les quelques débris de vérité divine conservés par les païens dans leurs croyances, nos pères se sont bien gardés de les méconnaître, quoique d'ailleurs ces païens, par leurs superstitions, leur idolâtrie, leur orgueil et la dissolution de leurs moeurs, aient (171) mérité tous les anathèmes et une éternelle réprobation, s'ils ne revenaient pas sincèrement à la vérité et à la justice. L'apôtre saint Paul, développant devant les Athéniens quelques attributs de Dieu, s'empressa de leur citer le témoignage de quelques-uns de leurs philosophes (Ac 17,28); si ces philosophes s'étaient convertis à la foi, les sages notions qu'ils pouvaient avoir sur tel ou tel point auraient été confirmées, au lieu d'être désapprouvées. Cyprien lui-même n'a pas craint, pour confondre les païens, d'invoquer le témoignage des païens. Voici comme il s'exprimait au sujet des mages: «Le plus distingué de tous, Hostane, enseigne que Dieu est essentiellement invisible et que les anges véritables se tiennent debout autour de son trône. En cela il est d'accord avec Platon qui proclame l'unité de Dieu et divise les autres esprits en anges et en démons. Hermès Trismégiste nous enseigne l'unité de Dieu, son incompréhensibilité et son infinité ( Livre de la vanité des idoles. )».Si donc ces philosophes païens s'étaient présentés pour recevoir le salut chrétien, on se serait bien gardé de leur dire: Ces croyances que vous professez sont mauvaises et erronées; au contraire, on leur aurait dit: Ces doctrines sont vraies et exactes, mais elles auraient été pour vous absolument inutiles si vous n'étiez pas venus implorer la grâce de Jésus-Christ. Si donc on peut trouver dans les païens quelque chose à approuver et à conserver, quoiqu'ils aient besoin de recevoir le salut de Jésus-Christ, que nous importe pour le moment qu'on dise des hérétiques qu'ils sont pires que les païens? il nous suffit de vouloir corriger en eux ce qu'il y a de mauvais, en reconnaissant comme bon ce qu'ils tiennent de Jésus-Christ. Mais comme il nous reste encore d'autres opinions à examiner, je crois devoir les renvoyer au livre suivant. (172).



LIVRE SEPTIÈME

Le Concile de Carthage.

Examen des autres opinions émises dans le concile de Carthage.


CHAPITRE PREMIER.LES DONATISTES ET CYPRIEN, LES CHRÉTIENS JUDAÏSANTS ET SAINT PIERRE.

1. Je prie mes lecteurs de me pardonner si la discussion que je soutiens sur le même sujet revêt une forme trop longue et trop variée. Sur cette question du baptême, malgré les obscurités de toute sorte dont on s'est plu à l'entourer, l'Eglise catholique, s'appuyant sur l'antique coutume et sur l'autorité d'un concile général, a toujours proclamé au milieu des nations que le baptême conféré par les hérétiques et les schismatiques est absolument le même que celui qui est conféré dans son sein. Cependant l'opinion contraire s'est vue affirmée par des hommes d'une grande autorité, restés fidèles à l'unité de l'Eglise, et surtout par l'illustre martyr Cyprien. Nos adversaires n'ont pas manqué de nous opposer l'opinion de ces évêques, dont ils sont loin d'imiter la charité. De là pour nous la nécessité d'approfondir tout ce qui s'est dit et fait sur cette matière dans le concile de Carthage; la nécessité de reprendre en main de nouveau et pour quelque temps encore cette même question, et de montrer que l'Eglise catholique est parfaitement dans la vérité quand elle reçoit les hérétiques et les schismatiques avec le seul baptême de Jésus-Christ, tel qu'ils l'ont reçu, ne leur connaissant d'autre besoin que celui de se corriger de leur erreur et de s'enraciner dans la charité. Quant au baptême en lui-même, elle en reconnaît en eux la présence et la validité, mais elle fait disparaître les obstacles qui empêchaient ce sacrement de produire ses effets.Quant au bienheureux Cyprien, depuis que son âme n'est plus accablée sous le poids du corps; depuis que cette enveloppe terrestre n'entrave plus le libre essor de son esprit (Sg 9,15); depuis qu'il jouit de toute la sérénité du ciel, il lui est donné de contempler la vérité dont sa charité lui a mérité la complète révélation. Nous qui gémissons encore dans cette misérable mortalité de la chair et dans les ténèbres de cette vie, nous l'en supplions, qu'il nous aide de ses puissantes prières, qu'il nous obtienne, avec la grâce de Dieu, de suivre la trace des vertus dont il nous a donné l'exemple. Autrefois il a cru devoir embrasser et persuader à ses collègues une opinion dont il comprend aujourd'hui toute l'erreur; assurément nous lui sommes de beaucoup inférieur en mérites, toutefois nous appuyant, dans notre faiblesse, sur l'infaillible autorité de l'Eglise catholique dont il fut toujours le membre dévoué, nous devons défendre courageusement la vérité contre les attaques des hérétiques et des schismatiques. Ils ont rompu l'unité qu'il conserva toujours; ils ont éteint la flamme de la charité dont il brûla sans cesse; ils ont renoncé à l'humilité dont il ne se départit jamais; ce qu'il éprouve à leur égard, n'est-ce point un sentiment de réprobation d'autant plus vif, qu'il les voit tout désireux d'abuser de ses écrits pour tromper et séduire, et de souffler le feu de la discorde au lieu d'imiter son amour de la paix? Aujourd'hui encore nous trouvons de ces chrétiens Nazaréens qui prétendent judaïser et imposer la circoncision charnelle, et rattachent ainsi leur hérésies à cette erreur contre laquelle saint Paul osa prémunir l'apôtre saint Pierre (Ga 2,11). Or, tandis que saint Pierre, établi le chef des Apôtres, a été couronné de la gloire du martyre, nous voyons ces chrétiens judaïsants s'obstiner dans leur perversité et dans leur schisme sacrilège; de même, tandis que Cyprien, par l'éclat de son martyre et par l'abondance de sa charité, a mérité d'être associé à la gloire des saints, nous voyons les Donatistes s'obstiner dans leur séparation de l'unité, et par leurs calomnies opposer le plus généreux citoyen de l'unité à la patrie même de l'unité. Mais après avoir rappelé ces principes, continuons l'examen des opinions émises par le concile de Carthage. (173)


CHAPITRE II.OPINION DE MARC DE MACTARUM.

2. «Ne nous étonnons pas de voir les hérétiques, dans leur haine aveugle contre la vérité, s'attribuer un pouvoir et une dignité qui ne leur appartiennent pas. Ce qui doit nous étonner, c'est que parmi nous il se trouve des prévaricateurs qui prêtent main-forte aux hérétiques et combattent contre les chrétiens. Voilà pourquoi nous déclarons que l'on doit baptiser les hérétiques».
3. Je réponds: Ce qu'il faut admirer et célébrer avec éclat, c'est que ces évêques aient éprouvé pour l'unité un tel attachement qu'ils n'ont pas craint de se souiller en persévérant dans l'unité avec ceux-là mêmes qu'ils regardaient comme des prévaricateurs de la vérité. «On doit s'étonner», dit-il, «que parmi nous il se trouve des prévaricateurs qui prêtent main-forte aux hérétiques et combattent contre les chrétiens»; la conclusion naturelle devait être: Voilà pourquoi nous déclarons qu'on ne doit avoir avec eux aucune communication. Pourtant, au lieu de cette conclusion qui paraissait si naturelle, il émet la suivante: «Voilà pourquoi nous déclarons que l'on doit baptiser les hérétiques». Si cette conclusion n'est pas très logique, elle prouve du moins que cet évêque partageait entièrement les intentions pacifiques de Cyprien: «Ne jugeant personne et nous abstenant avec soin de priver du droit de communion celui qui partagerait une opinion contraire». On sait que les Donatistes nous prodiguent la calomnie et vont jusqu'à nous appeler des traditeurs; or, s'il arrivait qu'un juif ou un païen prît connaissance des opinions émises dans le concile, il aurait le droit, invoquant les principes donatistes, de nous flétrir tous, catholiques et Donatistes, du nom de prévaricateurs de la vérité; et alors je voudrais savoir sur quelle base commune nous pourrions nous appuyer pour réfuter cette grave accusation.Les Donatistes appellent traditeurs des hommes dont ils n'ont jamais pu et ne peuvent encore prouver la culpabilité; ce crime, d'ailleurs, ne pourrait-il pas leur être à plus juste titre reproché? Mais que nous importe? Contentons-nous de les regarder comme prévaricateurs, et voyons à quels titres? Ils nous flétrissent, bien à tort, sans doute, du titre de traditeurs (traîtres), parce qu'ils nous accusent d'avoir succédé aux traditeurs dans la même communion; mais nous succédons tous à ces prévaricateurs, puisqu'à l'époque du bienheureux Cyprien, la secte de Donat ne s'était point encore séparée de l'unité. En effet, ce n'est que quarante ans après son martyre que l'on vit certains évêques livrer les saints Livres et mériter par là le nom de traditeurs. Si donc nous sommes nous-mêmes des traditeurs, parce que, disent-ils, nous descendons des traditeurs, eux et nous ne tirons-nous pas tous notre origine de ces prévaricateurs? Qu'on ne dise pas qu'il n'y eut entre les uns et les autres aucune communication, car nous voyons au contraire qu'il régnait entre eux une parfaite unité, et jusque dans le concile, Marcus peut s'écrier: «Quelques-uns d'entre nous, se rendant prévaricateurs de la vérité, prêtent main-forte aux hérétiques». Ajoutons à cela le témoignage même de saint Cyprien, prouvant hautement qu'il était resté en communion avec ces prévaricateurs: «Ne jugeant personne», dit-il, «et nous abstenant de priver du droit de communion quiconque partage une opinion contraire». Ceux que Marcus appelle prévaricateurs partageaient assurément une opinion contraire, puisqu'ils recevaient les hérétiques sans les baptiser, et semblaient ainsi leur prêter main-forte. Quant à la coutume alors existante de recevoir ainsi les hérétiques, Cyprien lui-même la constate dans plusieurs endroits de ses lettres, et quelques évêques, dans le concile de Carthage, y ont fait clairement allusion. Par conséquent, si les hérétiques n'ont pas le baptême, l'Eglise catholique, à cette époque, n'était pour ainsi dire formée que de prévaricateurs, qui tous prêtaient main-forte aux hérétiques en les recevant sans baptême. Défendons-nous donc en commun du crime de prévarication, qu'ils ne peuvent nier; et alors, nous catholiques, nous nous justifierons du crime de tradition contre lequel ils n'ont aucune preuve sérieuse à apporter. Supposons même que ce crime soit prouvé; ce que, Donatistes et catholiques, nous répondrons à ceux qui nous objectent la prévarication de nos ancêtres, nous le répondrons également, nous catholiques, à ceux qui nous objectent la tradition de nos ancêtres. En effet, de même que nous sommes (174) morts par ce crime de tradition de nos ancêtres, contre lesquels ils ont fait schisme; de même, Donatistes et catholiques, nous sommes tous morts par la prévarication de ces évêques qui sont nos ancêtres à tous. Si donc, parce qu'ils se flattent de vivre, les Donatistes soutiennent que cette prévarication ne les concerne en aucune manière, nous dirons également de la tradition qu'elle ne saurait nous toucher. A les en croire, cette prévarication est certaine; tandis qu'à nos yeux il n'y a eu ni prévarication antérieure, puisque nous affirmons que les hérétiques peuvent avoir le baptême de Jésus-Christ; ni tradition postérieure, puisqu'ils n'ont jamais pu la prouver. Par conséquent, les Donatistes n'avaient aucun motif sérieux de se séparer de nous par un schisme sacrilège, car si nos ancêtres, comme nous l'affirmons, ne peuvent être accusés de tradition, nous n'avons plus à subir aucune solidarité sur ce point; au contraire, si, comme le soutiennent les Donatistes, nos ancêtres ont été traditeurs, nous ne sommes pas plus responsables de cette tradition que nous, Donatistes et catholiques, nous ne sommes responsables de la prévarication de nos prédécesseurs réciproques. Ainsi donc, puisque nous n'avons pas à répondre de l'iniquité de nos ancêtres, les Donatistes sont responsables du schisme sacrilège qu'ils ont osé consommer.


CHAPITRE 3.OPINION DE SATIUS DE SICILIBBA.

4. «Si dans leur baptême les hérétiques reçoivent la rémission des péchés, il n'y a plus pour eux aucune nécessité de revenir à l'Eglise. Au jour du jugement les péchés recevront le châtiment qu'ils méritent; pourquoi donc les hérétiques craindront-ils le jugement de Jésus-Christ, s'ils ont obtenu la rémission de leurs péchés?»
5. Telles qu'elles sont formulées, ces propositions ne nous paraissent nullement répréhensibles; tout dépend du sens particulier qu'y attachait l'auteur. Pour moi, j'y mettrais cette double restriction: d'abord les hérétiques peuvent avoir le baptême de Jésus-Christ; et ensuite, ils ne reçoivent pas la rémission de leurs péchés. Or, Satins ne dit pas: Si les hérétiques baptisent ou sont baptisés, mais: «Si dans leur baptême les hérétiques reçoivent la rémission de leurs péchés, il n'y a plus pour eux aucune nécessité de revenir à l'Eglise». A la place des hérétiques, substituons ceux que Cyprien signalait comme ne renonçant au siècle que du bout des lèvres, et non point par leurs oeuvres, et nous pourrons reproduire textuellement la proposition de l'auteur: Si tous ceux qui ne sont convertis qu'en apparence reçoivent dans le baptême la rémission de leurs péchés, il n'y a plus pour eux aucune nécessité de revenir à une conversion véritable. Au jour du jugement, les péchés recevront le châtiment qu'ils méritent; pourquoi donc ceux qui ne renoncent au siècle que du bout des lèvres, et non point par leurs oeuvres, craindraient-ils le jugement de Jésus-Christ, s'ils ont obtenu la rémission de leurs péchés? Toutefois, ce raisonnement doit être complété par l'addition suivante: Ils sont obligés de craindre le jugement de Jésus-Christ et d'opérer leur conversion véritable; leur salut n'est qu'à cette condition, sans qu'ils aient aucun besoin de recevoir de nouveau le baptême. Par conséquent, ils ont pu recevoir le baptême sans recevoir la rémission de leurs péchés, à moins qu'on admette que leurs péchés, à peine pardonnés, ont dû revivre et souiller de nouveau leur conscience. Or, ceci s'applique également aux hérétiques.



Augustin, du Baptême - CHAPITRE XXXIV.OPINION DE QUIÉTUS DE BURUCH.