Augustin, Cité de Dieu 2203

2203

CHAPITRE 3. DE LA PROMESSE D'UNE BÉATITUDE ÉTERNELLE POUR LES SAINTS ET D'UN SUPPLICE ÉTERNEL POUR LES IMPIES.

Donc, pour ne rien dire de mille autres questions, de même que nous voyons maintenant s'accomplir en Jésus-Christ ce que Dieu promit à Abraham en lui disant: «Toutes les nations seront bénies en vous» (Gn 22,18), ainsi s'accomplira ce qu'il a promis à cette même race, quand il a dit par son Prophète: «Ceux qui étaient dans les tombeaux ressusciteront»; et encore: «Il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle, et ils ne se souviendront plus du passé, et ils en perdront entièrement la mémoire; mais ils trouveront en elle des sujets de joie et d'allégresse. Et voici que je ferai de Jérusalem et de mon peuple une (514) fête et une réjouissance, et je prendrai mon plaisir en Jérusalem et mon contentement en mon peuple, et l'on n'y entendra plus désormais ni plaintes ni soupirs (Is 26,19 Is 65,17-19)». Même prédiction par la bouche d'un autre prophète: «En ce temps-là, tout votre peuple qui se trouvera écrit dans le livre sera sauvé, et plusieurs de ceux qui dorment dans la poussière de la terre (ou, selon d'autres interprètes, sous un amas de terre) ressusciteront les uns pour la vie éternelle, et les autres pour recevoir un opprobre et une confusion éternelle (Da 12,1-2)». Et ailleurs par le même prophète: «Les saints du Très-Haut recevront le royaume, et ils le posséderont jusque dans le siècle, et jusque dans les siècles des siècles (Da 7,18)»; et un peu après: «Et son royaume sera éternel (Da 7,27)». Ajoutez à cela tant d'autres promesses semblables que j'ai rapportées dans le vingtième livre 5,ou que j'ai omises et qui se trouvent néanmoins dans l'Ecriture. Tout cela arrivera comme les merveilles dont l'accomplissement a déjà été un sujet d'étonnement pour les incrédules. C'est le même Dieu qui a promis, lui devant qui tremblent les divinités des païens, de l'aveu d'un éminent philosophe païen 6.

5. Aux chap. XXI et suiv
6. Porphyre. Voyez plus haut, livre 19,ch. 23


2204

CHAPITRE IV. CONTRE LES SAGES DU MONDE QUI PENSENT QUE LES CORPS TERRESTRES DES HOMMES NE POURRONT ÊTRE TRANSPORTÉS DANS LE CIEL.

Mais ces personnages si remplis de science et de sagesse, et en même temps si rebelles à une autorité qui a soumis, comme elle l'avait annoncé bien des siècles à l'avance, tant de générations humaines, ces philosophes, dis-je, s'imaginent avoir trouvé un argument fort décisif contre la résurrection des corps, quand ils allèguent un certain passage de Cicéron, au troisième livre de sa République. Après avoir dit qu'Hercule et Romulus sont devenus des dieux, d'hommes qu'ils étaient auparavant, Cicéron ajoute: «Mais leurs corps n'ont pas été enlevés au ciel, la nature ne souffrant pas que ce qui est formé de la terre subsiste autre part que dans la terre». Voilà le grand raisonnement de ces sages dont le Seigneur connaît les pensées, et les. connaît pour vaines1. Car supposez que nous soyons ces esprits purs, c'est-à-dire des esprits sans corps, habitant le ciel sans savoir s'il existe des animaux terrestres, si l'on venait nous dire qu'un jour nous serons unis par un lien merveilleux aux corps terrestres pour les animer, n'aurions-nous pas beaucoup plus de sujet de n'en rien croire, et de dire que la nature ne peut souffrir qu'une substance incorporelle soit emprisonnée dans un corps? Cependant la terre est pleine d'esprits à qui des corps terrestres sont unis par un lien mystérieux. Pourquoi donc, s'il plaît à Dieu, qui a fait tout cela, pourquoi un corps terrestre ne pourrait-il pas être enlevé parmi les corps célestes, puisqu'un esprit, plus excellent que tous les corps, et, par conséquent, qu'un corps céleste, a pu être uni à un corps terrestre? Quoi donc! une si petite particule de terre a pu retenir un être fort supérieur à un corps céleste, afin d'en recevoir la vie et le sentiment, et le ciel dédaignerait de recevoir ou ne pourrait retenir cette terre vivante et animée qui tire la vie et le sentiment d'une substance plus excellente que tout corps céleste? Si cela ne se fait pas maintenant, c'est que le temps n'est pas venu, le temps, dis-je, déterminé par celui-là même qui a fait une chose beaucoup plus merveilleuse, mais que l'habitude a rendue vulgaire. Car enfin, que des esprits incorporels, plus excellents que tout corps céleste, soient unis à des corps terrestres, n'est-ce pas là un phénomène qui doit nous étonner plutôt que de voir des corps, quoique terrestres, être élevés à des demeures célestes, il est vrai, mais corporelles? Mais nous sommes accoutumés à voir la première de ces merveilles, qui est nous-mêmes; au lieu que nous n'avons jamais vu L'autre, qui n'est pas encore devenue notre propre nature. Certes, si nous consultons la raison, nous trouverons qu'il est beaucoup plus merveilleux de joindre des corps à des esprits que d'unir des corps à des corps, bien que ces corps soient différents, les uns étant célestes et les autres terrestres.

1. Ps 93,11 (515)


2205

CHAPITRE V.

DE LA RÉSURRECTION DES CORPS, BIEN QUE CERTAINS ESPRITS NE VEULENT PAS ADMETTRE, BIEN QUE PROCLAMÉE PAR LE MONDE ENTIER.

Mais je veux que-cela ait été autrefois incroyable. Voilà le monde qui croit maintenant que le corps de Jésus-Christ, tout terrestre qu'il est, a été emporté au ciel; voilà les doctes et les ignorants qui croient que la chair ressuscitera-et. qu'elle montera au ciel; et il en est très peu qui demeurent incrédules. Or, de deux choses l'une: s'ils croient une chose croyable, que ceux qui-ne la croient pas s'accusent eux-mêmes de stupidité; et s'ils croient une chose incroyable, il -n'est pas moins incroyable qu'on soit porté à croire une chose de cette espèce. Le même Dieu a donc prédit ces deux choses incroyables, que les corps ressusciteraient et que le monde le croirait; et il les a prédites toutes deux, bien longtemps avant que l'une des deux arrivât. De ces deux choses incroyables, nous en voyons déjà une accomplie, qui est que le monde croirait une chose incroyable; pourquoi désespérerions-nous de voir l'autre, puisque celle lui est arrivée n'est pas moins difficile à croire? Et, si l'on y songe, la manière même dont le monde a cru est une chose encore plus incroyable. Jésus-Christ a envoyé un petit nombre d'hommes sans lumières et sans politesse, étrangers aux belles connaissances, ignorant les ressources de la grammaire, les armes de la dialectique, les artifices pompeux de la rhétorique, en un mot de pauvres pécheurs; il les a envoyés à l'océan du siècle avec les seuls filets de la foi, et ils ont pris une infinité de poissons de toute espèce, de l'espèce même la plus merveilleuse et la plus rare, je veux parler des philosophes. Ajoutez, si vous voulez, ce troisième miracle aux deux autres. Voilà en tout trois choses incroyables qui néanmoins sont arrivées: il est incroyable que Jésus-Christ soit ressuscité en sa chair, et qu'avec cette même chair il soit monté au ciel; il est incroyable que le monde ait cru une chose aussi incroyable; il est incroyable enfin qu'un petit nombre d'hommes de basse condition, inconnus, ignorants, aient pu persuader une chose aussi incroyable au monde et aux savants du monde. De ces trois choses incroyables, nos adversaires ne veulent pas croire la première; ils sont contraints de voir la seconde, et ils ne sauraient la comprendre, à moins de croire la troisième. En effet, la résurrection de Jésus-Christ, et son ascension au ciel en la chair où il est ressuscité, sont choses déjà prêchées et crues dans tout l'uni. vers; si elles ne sont pas croyables, d'où vient que l'univers les croit? Admettez qu'un grand nombre de personnages illustres, doctes, puissants, aient déclaré les avoir vues et se soient chargés de les publier en tout lieu, il n'est plus étrange que le monde les ait crues; et en ce cas il y a bien de l'opiniâtreté à ne pas les croire. Mais si, comme il est vrai, le monde a cru un petit nombre d'hommes inconnus et ignorants sur leur parole, comment se fait-il qu'une poignée d'incrédules entêtés ne veuille pas croire ce que le monde croit? Et si le monde a cru à ce peu de témoins obscurs, infimes, ignorants, méprisables, c'est qu'en eux elle a vu paraître avec plus d'éclat la majesté de Dieu. Leur éloquence a été toute en miracles, et non en paroles; et ceux qui n'avaient pas vu Jésus-Christ ressusciter et monter au ciel avec son corps, n'ont pas eu de peine à le croire, sur la foi de témoignages confirmés par une infinité de prodiges. En effet, des hommes qui ne pouvaient savoir au plus que deux langues, ils les entendaient parler soudain toutes les langues du monde 1 . Ils voyaient un boiteux de naissance, après quarante ans d'infirmité, marcher d'un pas égal, à leur parole et au nom de Jésus-Christ; les linges qu'ils avaient touchés guérissaient les malades; et tandis que des milliers d'hommes infirmes se rangeaient sur leur passage, il suffisait que leur nombre les couvrît en passant pour les rendre à la santé. Et combien ne pourrais-je pas citer d'autres prodiges, sans parler même des morts qu'ils ont ressuscités au nom du Sauveur 2! Si nos adversaires nous accordent la réalité de ces miracles, voilà bien des choses incroyables qui viennent s'ajouter aux trois premières; et il faut être singulièrement opiniâtre pour ne pas croire une chose incroyable, telle que la résurrection du corps de Jésus-Christ et son ascension au ciel, du moment qu'elle est confirmée par tant d'autres choses non moins incroyables et pourtant réelles. Si, au contraire, ils ne-croient pas que les Apôtres aient fait ces miracles pour établir la croyance à la résurrection et à l'ascension de Jésus-Christ, ce seul grand miracle nous suffit, que toute la terre ait cru sans miracles.

1. Ac 2 – 2. Ac 3,4
(516)



2206

CHAPITRE VI.

ROME A FAIT UN DIEU DE ROMULUS, PARCE QU'ELLE AIMAIT EN LUI SON FONDATEUR; AU LIEU QUE L'ÉGLISE A AIMÉ JÉSUS-CHRIST, PARCE QU'ELLE L'A CRU DIEU.

Rappelons ici le passage où Cicéron s'étonne que la divinité de Romulus ait obtenu créance. Voici ses propres paroles: «Ce qu'il y a de plus admirable dans l'apothéose de Romulus, c'est que les autres hommes qui ont été a faits dieux vivaient dans des siècles grossiers, où il était aisé de persuader aux «peuples tout ce qu'on voulait. Mais il n'y a «pas encore six cents ans' qu'existait Romulus, et déjà les lettres et les sciences fionsusaient depuis longtemps dans le monde, et «y avaient dissipé la barbarie'». Et un peu après il ajoute: «On voit donc que Romulus «a existé bien des années après 1-Iomère, et «que, les hommes commençant à être éclairés, il était difficile, dans un siècle déjà u poli, de recourir à des fictions. Car l'antiquité «a reçu des fables qui étaient quelquefois «bien grossières; mais le siècle de Romulus «était trop civilisé pour rien admettre qui ne «fût au moins vraisemblable». Ainsi, voilà un des hommes les plus savants et les plus éloquents du monde, Cicéron, qui s'étonne qu'on ait cru à la divinité de Romulus, parce que le siècle où-il est venu était assez éclairé pour répudier des fictions. Cependant, qui a cru que Romulus était un dieu, sinon Rome, et encore Rome faible et -naissante-? Les générations suivantes furent obligées de conserver la tradition des ancêtres; et, après avoir sucé cette superstition avec le lait, elles la répandirent parmi les peuples que Rome fit passer sous son joug. Ainsi, toutes ces nations vaincues, sans ajouter foi à la divinité de Romulus, ne laissaient pas de la proclamer pour ne pas offenser la maîtresse du monde, trompée elle-même, sinon par amour de l'erreur, du moins par l'erreur de son amour. Combien est différente notre foi dans la divinité de Jésus-Christ!

1. Ce n'est pas Cicéron en personne qui donne le chiffre de six cents ans, et comment le donnerait-il, lui qui écrivait la République sept cents ans environ après la fondation de Rome? Il faut mettre les paroles citées par saint Augustin dans la bouche d'un des interlocuteurs du dialogue, le second Africain ou Lélius
2. De Republ., lib., 2,cap. 10







Il est sans doute le fondateur de la Cité éternelle; mais tant s'en faut qu'elle l'ait cru dieu, parce qu'il l'a fondée, qu'elle ne mérite d'être fondée que parce qu'elle le croit dieu. Rome, déjà bâtie et dédiée, a élevé à son fondateur un temple où elle l'a adoré comme un dieu; la nouvelle Jérusalem, afin d'être bâtie et dédiée, a pris pour base de sa foi son fondateur, Jésus-Christ Dieu. La première, par amour pour Romulus, l'a cru dieu; la seconde, convaincue que Jésus-Christ était Dieu, l'a aimé. Quelque chose a donc précédé l'amour de celle-là, et l'a portée à croire complaisamment à une perfection, même imaginaire, de celui qu'elle aimait; et de même, quelque chose a précédé la foi de celle-ci, pour lui-faire aimer sans témérité un privilége très véritable dans celui en qui elle croit. Sans parler, en effet, de tant de miracles qui ont établi la divinité de Jésus-Christ, nous avions sur lui, avant qu'il ne parût sur la terré, des prophéties divines parfaitement dignes de foi et dont nous n'attendions pas l'accomplissement, comme nos pères, mais qui sont déjà accomplies. Il n'en est pas ainsi de Romulus. On sait par les historiens qu'il a bâti Rome et qu'il y a régné, sans qu'aucune prophétie antérieure eût rien annoncé de cela. Main tenant, qu'il ait été transporté parmi les dieux, l'histoire le rapporte comme une croyance, elle ne le prouve point comme un fait. Point de miracle pour témoigner de la vérité de cette apothéose. On parle d'une louve qui nourrit les deux frères comme d'une grande merveille. Mais qu'est-ce que cela pour prouver qu'un homme est un dieu? Alors même que cette louve aurait été Une vraie louve et non pas une courtisane 1, le prodige aunait été commun aux deux-frères, et cependant il n'y en a qu'un qui passe pour un dieu. D'ailleurs, à qui a-t-on défendu de croire et de dire que Romulus, Hercule et autres personnages semblables étaient des dieux? Et qui a mieux aimé mourir que de cacher sa foi? Ou plutôt se serait-il jamais rencontré une seule nation qui eût adoré Romulus sans la crainte du nom romain? Et cependant qui pourrait compter tous ceux qui ont mieux aimé perdre la vie dans les plus cruels tourments que de nier la divinité de Jésus-Christ? Ainsi la crainte, fondée ou non, d'encourir une légère

1. Voyez plus haut ce qui est dit sur ce point, au livre 18,ch. 21

(517)


indignation des Romains contraignait quelques peuples vaincus à adorer Romulus comme un dieu; et la crainte des plus horribles supplices et de la mort même, n'a pu empêcher sur toute la terre un nombre immense de martyrs, non-seulement d'adorer Jésus-Christ comme un dieu, mais de le confesser publiquement. La Cité de Dieu, étrangère encore ici-bas, mais qui avait déjà recruté toute une armée de peuples, n'a point alors combattu contre ses persécuteurs pour la conservation d'une vie temporelle; mais au contraire elle ne leur a point résisté, afin d'acquérir la vie éternelle. Les chrétiens étaient chargés de chaînes, mis en prison, battus de verges, tourmentés, brûlés, égorgés, mis en pièces, et leur nombre augmentait 1. Ils ne croyaient pas combattre pour leur salut éternel, s'ils ne méprisaient leur salut éternel pour l'amour du Sauveur.Je sais que Cicéron, dans sa République, au livre huitième, si je ne me trompe, soutientqu'un Etat bien réglé n'entreprend jamais la guerre que pour garder sa foi ou pour veiller à son salut. Et Cicéron explique ailleurs ce qu'il entend par le salut d'un Etat, lorsqu'il dit: «Les particuliers se dérobent souvent par une prompte mort à la pauvreté, à l'exil, à la prison, au fouet, et aux autres peines auxquelles les hommes les plus grossiers ne sont pas insensibles; mais la mort même, qui semble affranchir de toute peine, est une peine pour un Etat, qui doit être constitué pour être éternel. Ainsi la mort n'est point naturelle à une république comme elle l'est à un individu, qui doit non-seulement la subir malgré lui, mais souvent même la souhaiter. Lors donc qu'un Etat succombe, disparaît, s'anéantit, il nous est (si l'on peut comparer les petites choses aux grandes), il nous est une image de la ruine et de la destruction du monde entier». Cicéron parle ainsi, parce qu'il pense, avec les Platoniciens, que le monde ne doit jamais périr2. Il est donc avéré que, suivant Cicéron,

1. Ces mots rappellent l'éloquent passage de Tertullien: «Nous ne somes que d'hier et nous remplissons vos ville, vos îles, vos châteaux, vos municipes, vos conseils, vos camps, vos tribus, vos décuries, le palais, le sénat, le forum; nous ne vous laissons que vos temples. Qu'il nous serait aisé de vous rendre guerre pour guerre, même à nombre inégal, nous qui nous laissons massacrer sans aucun regret, si ce n'était une de nos maximes qu'il vaut mieux subir la mort que de la donner? .» (Apolog., ch. 37).
2. Cicéron semble dire le contraire au chapitre 24 du livre VI de la République; mais, en cet endroit, il ne parle pas en son nom; il est l'interprète des croyances populaires. Voyez, à l'appui de l'interprétation de saint Augustin, De somn. Scip., li. 2,cap. 12 et seq


un Etat doit entreprendre la guerre pour son salut, c'est-à-dire pour subsister éternellement ici-bas, tandis que ceux qui le composent, naissent et meurent par une continuelle révolution: comme un olivier, un laurier, ou tout autre arbre semblable, conserve toujours le même ombrage, malgré la chute et le renouvellement de ses feuilles. La mort, selon lui, n'est pas une peine pour les particuliers, puisqu'elle les délivre souvent de toute autre peine, mais elle est une peine pour un Etat. Ainsi l'on peut demander avec raison si les Sagontins firent bien d'aimer mieux que leur cité pérît que de manquer de foi aux Romains, car les citoyens de la cité de la terre les louent de cette action. Mais je ne vois pas comment ils pouvaient suivre cette maxime de Cicéron: qu'il ne faut entreprendre la guerre que pour sa foi ou son salut, Cicéron ne disant pas ce qu'il faut faire de préférence dans le cas où l'on ne pourrait conserver l'un de ces biens sans perdre l'autre. En effet, les Sagontins ne pouvaient se sauver sans trahir leur foi envers les Romains, ni garder cette foi sans périr, comme ils périrent en effet. Il n'en est pas de même du salut dans la Cité de Dieu: on le conserve, ou plutôt on l'acquiert avec ta foi et par la foi, et la perte de la foi entraîne celle du salut. C'est cette pensée d'un coeur ferme et généreux qui a fait un si grand nombre de martyrs, tandis que Romulus n'en a pu avoir un seul qui ait versé son sang pour confesser sa divinité.


2207

CHAPITRE VII.

SI LE MONDE A CRU EN JÉSUS-CHRIST, C'EST L'OUVRAGE D'UNE VERTU DIVINE, ET NON D'UNE PERSUASION HUMAINE.

Mais il est parfaitement ridicule de nous opposer la fausse divinité de Romulus, quand nous parlons de Jésus-Christ. Si, dès le temps de Romulus, c'est-à-dire six cents ans avant Cicéron 1, le monde était déjà tellement éclairé qu'il rejetait comme faux tout ce qui n'était pas vraisemblable, combien plutôt encore, au temps de Cicéron lui-même, et surtout plus tard, sous les règnes d'Auguste et de Tibère,

1. Au lieu de lire avant Cicéron, Vivès propose avant Scipion, et en effet, comme nous l'avons remarqué plus haut, l'exactitude historique s'accommoderait très bien de cette correction que les éditeurs de Louvain ont adoptée; mais il faut céder, comme ont fait les Bénédictins, à l'autorité unanime des manuscrits


(518)



époques de civilisation de plus en plus avancée, eût-on rejeté bien loin la résurrection de Jésus-Christ en sa chair et son ascension au ciel comme choses absolument impossibles! Il a fallu, pour ouvrir l'oreille et le coeur des hommes à cette croyance, que la vérité divine ou la divinité véritable et une infinité de miracles eussent déjà démontré que de tels miracles pouvaient se faire et s'étaient effectivement accomplis. Voilà pourquoi, malgré tant de cruelles persécutions, on a cru et prêché hautement la résurrection et l'immortalité de la chair, lesquelles ont d'abord paru en Jésus-Christ pour se réaliser un jour en tous les hommes; voilà pourquoi cette croyance a été semée par toute la terre pour croître et se développer de plus en plus par le sang fécond des martyrs; car l'autorité des miracles venant confirmer l'autorité des prophéties, la vérité a pénétré enfin dans les esprits, et l'on a vu qu'elle était plutôt contraire à la coutume qu'à la raison, jusqu'au jour où le monde entier a embrassé par la foi ce qu'il persécutait dans sa fureur.


2208

CHAPITRE VIII.

DES MIRACLES QUI ONT ÉTÉ FAITS POUR QUE LE MONDE CRUT EN JÉSUS-CHRIST ET QUI N'ONT PAS CESSÉ DEPUIS QU'IL Y CROIT.

Pourquoi, nous dit-on, ces miracles qui, selon vous, se faisaient autrefois, ne se font-ils plus aujourd'hui? Je pourrais répondre que les miracles étaient nécessaires avant que le monde crût, pour le porter à croire, tandis qu'aujourd'hui quiconque demande encore des miracles pour croire est lui-même un grand miracle de ne pas croire ce que toute la terre croit; mais ils ne parlent ainsi que pour faire douter de la réalité des miracles. Or, d'où vient qu'on publie si hautement partout que Jésus-Christ est monté au ciel avec son corps? d'où vient qu'en des siècles éclairés, où l'on rejetait tout ce qui paraissait impossible, le monde a cru sans miracles des choses tout à fait incroyables? Aiment-ils mieux dire qu'elles étaient incroyables, et que c'est pour cela qu'on les a crues? Que ne les croient-ils donc eux-mêmes? Voici donc à quoi se réduit tout notre raisonnement: ou bien des choses incroyables que tout le monde voyait ont persuadé une chose incroyable que tout le monde ne voyait pas; ou bien cette chose était tellement croyable qu'elle n'avait pas besoin de miracles pour être crue, et, dans ce dernier cas, où trouver une opiniâtreté plus extrême que celle de nos adversaires? Voilà ce qu'on peut répondre aux plus obstinés. Que plusieurs miracles aient été opérés pour assurer ce grand et salutaire miracle par lequel Jésus-Christ est ressuscité et monté au ciel avec son corps, c'est ce que l'on ne peut nier. En effet, ils sont consignés dans les livres sacrés qui déposent tout ensemble et de la réalité de ces miracles et de la foi qu'ils devaient fonder. La renommée de ces miracles s'est répandue pour donner la foi, et la foi qu'ils leur ont donnée ajoute à leur renommée un nouvel éclat. On les lit aux peuples afin qu'ils croient, et néanmoins on ne les leur lirait pas, si déjà ils n'avaient été crus. Car il se fait encore des miracles au nom de Jésus-Christ, soit par les sacrements, soit par les prières et les reliques des saints, mais ils ne sont pas aussi célèbres que les premiers. Le canon des saintes Lettres, qui devait être fixé par l'Eglise, fait connaître ces premiers miracles en tous lieux et les confie à la mémoire des peuples. Au contraire, ceux-ci ne sont connus qu'aux lieux où ils se passent, et souvent à peine le sont-ils d'une ville entière, surtout quand elle est grande, ou d'un voisinage restreint. Ajoutez enfin que l'autorité de ceux qui les rapportent, tout fidèles qu'ils sont et s'adressant à des fidèles, n'est pas assez considérable pour ne laisser aucun doute aux bons esprits.Le miracle qui eut lieu à Milan (j'y étais alors), quand un aveugle recouvra la vue, a pu être connu de plusieurs; en effet, la ville est grande, l'empereur était présent, et ce miracle s'opéra à la vue d'un peuple immense accouru de tous côtés pour voir les corps des saints martyrs Gervais et Protais, qui avaient été découverts en songe à l'évêque Ambroise. Or, par la vertu de ces reliques, l'aveugle sentit se dissiper les ténèbres de ses yeux et recouvra la vue 1 .Mais qui, à l'exception d'un petit nombre, a entendu parler à Carthage de la guérison miraculeuse d'Innocentius, autrefois avocat de la préfecture, guérison que j'ai vue de mes propres yeux? C'était un homme très pieux,

1. Saint Augustin raconte ce même miracle avec plus de détails au premier livre des Confessions (ch. 13,n. 7); il le rappelle en son Sermon CCCXVII1,n.1, et dans ses Rétractations (livre 1,ch. 13,n. 7). Comparez saint Ambroise (Epist. LXXXV, et Serm. XCI) et Sidoine Apollinaire (lib. 7,epist. 1)

(519)


ainsi que toute sa maison, et il nous avait reçus chez lui, mon frère Alype 1 et moi, au retour de notre voyage d'outre-mer, quand nous n'étions pas encore clercs, mais engagés cependant au service de Dieu; nous demeurions donc avec lui. Les médecins le traitaient de certaines fistules hémorroïdales qu'il avait en très grande quantité, et qui le faisaient beaucoup souffrir. Ils avaient déjà appliqué le fer et usé de tous les médicaments que leur conseillait leur art. L'opération avait été fort douloureuse et fort longue; mais les médecins, par mégarde, avaient laissé subsister une fistule qu'ils n'avaient point vue entre toutes les autres. Aussi, tandis qu'ils soignaient et guérissaient toutes les fistules ouvertes, celle-là seule rendait leurs soins inutiles. Le malade, se défiant de ces longueurs, et appréhendant extrêmement une nouvelle incision, comme le lui avait fait craindre un médecin, son domestique, que les autres avaient renvoyé au moment de l'opération, ne voulant pas de lui, même comme simple témoin, et que son maître, après l'avoir chassé dans un accès de colère, n'avait consenti à recevoir qu'avec beaucoup de difficulté, le malade, dis-je, s'écria un jour, hors de lui: Est-ce que vous allez m'inciser encore? et faudra-t-il que je souffre ce que m'a prédit celui que vous avez éloigné? - Alors ils commencèrent à se moquer de l'ignorance de leur confrère et à rassurer le malade par de belles- promesses. Cependant plusieurs jours se passent, et tout ce que l'un tentait était inutile. Les médecins persistaient toujours à dire qu'ils guériraient cette hémorroïde par la force de leurs médicaments, sans employer le fer. Ils appelèrent un vieux praticien, fameux par ces sortes de cures, nommé Ammonius, qui, après avoir examiné le mal, en porta le même jugement. Le malade, se croyant déjà hors d'affaire, raillait le médecin domestique, sur ce qu'il avait prédit qu'il faudrait une nouvelle opération. Que dirai-je de plus? Après bien des jours, inutilement reculés, ils en vinrent à avouer, las et confus, que le fer pouvait seul opérer la guérison. Le malade épouvanté, pâlissant, aussitôt que son extrême frayeur lui eût permis de parler, leur enjoignit de se retirer et de ne plus revenir.

1. Alype, compatriote de saint Augustin, un de ses plus fidèles disciples et de ses plus tendres ami. Il fut évêque dans sa ville natale à Tagaste Voyez les lettres de saint Augustin et ses Confessions (livre 6,ch. 10 et 12; livre 8,ch. 12 et ailleurs)


Cependant, après avoir longtemps pleuré, il n'eut d'autre ressource que d'appeler un certain Alexandrin, chirurgien célèbre, pour faire ce qu'il n'avait pas voulu que les autres fissent. Celui-ci vint donc; mais après avoir reconnu par les cicatrices l'habileté de ceux qui l'avaient traité, il lui conseilla, en homme de bien, de les reprendre, et de ne pas les priver du fruit de leurs efforts. Il ajouta qu'Innocentius ne pouvait guérir, en effet, qu'en subissant une nouvelle incision, mais qu'il ne voulait point avoir l'honneur d'une cure si avancée, et dans laquelle il admirait l'adresse de ceux qui l'avaient précédé. Le malade se réconcilia donc avec ses médecins; il fut résolu qu'ils feraient l'opération en présence de l'Alexandrin, et elle fut remise par eux au lendemain. Cependant, les médecins s'étant retirés, le malade tomba dans une si profonde tristesse que toute sa maison en fut remplie de deuil, comme s'il eût déjà été mort. Il était tous les jours visité par un grand nombre de personnes pieuses, et entre autres par Saturnin, d'heureuse mémoire, évêque d'Uzali, et par Gélose, prêtre, ainsi que par quelques diacres de l'Eglise de Carthage. De ce nombre aussi était l'évêque Aurélius, le seul de tous qui ait survécu, personnage éminemment respectable avec lequel nous nous sommes souvent entretenus de ce miracle de Dieu, dont il se souvenait parfaitement. Comme ils venaient, sur le soir, voir le malade, suivant leur ordinaire, il les pria de la manière la plus attendrissante d'assister le lendemain même à ses funérailles plutôt qu'à ses souffrances, car les incisions précédentes lui avaient causé tant de douleur qu'il croyait fermement mourir entre les mains des médecins. Ceux-ci le consolèrent du mieux qu'ils purent, et l'exhortèrent à se confier à Dieu et à se soumettre à sa volonté. Ensuite nous nous mîmes en prière; et nous étant agenouillés et prosternés à terre, selon notre coutume, il s'y jeta lui-même avec tant d'impétuosité qu'il semblait que quelqu'un l'eût fait tomber rudement, et il commença à prier. Mais q ai pourrait exprimer de quelle manière, avec quelle ardeur, quels transports, quels torrents de larmes, quels gémissements et quels sanglots, tellement enfin que tous ses membres tremblaient et qu'il était comme suffoqué! Je ne sais si les autres priaient et si tout cela ne les détournait point; pour (520) moi, je ne le pouvais faire, et je dis seulement en moi-même ce peu de mots: Seigneur, quelles prières de vos serviteurs exaucerez-vous, si vous n'exaucez pas celles-ci? Il me paraissait qu'on n'y pouvait rien ajouter, sinon d'expirer en priant. Nous nous levons, et, après avoir reçu la bénédiction de l'évêque, nous nous retirons, le malade priant les assistants de se trouver le lendemain matin chez lui, et nous, l'exhortant à avoir bon courage. Le jour venu, ce jour tant appréhendé, les serviteurs de Dieu arrivèrent, comme ils l'avaient promis. Les médecins entrent; on prépare tout ce qui est nécessaire à l'opération, on tire les redoutables instruments; chacun demeure interdit et en suspens. Ceux qui avaient le plus d'autorité encouragent le malade, tandis qu'on le met sur son lit dans la position la plus commode pour l'incision; on délie les bandages, on met à nu la partie malade, le médecin regarde, et cherche de l'oeil et de la main l'hémorroïde qu'il devait ouvrir. Enfin, après avoir exploré de toutes façons la partie malade, il finit par trouver une cicatrice très ferme. - Il n'y a point de paroles capables d'exprimer la joie, le ravissement, et les actions de grâces de tous ceux qui étaient présents. Ce furent des larmes et des exclamations que l'on peut s'imaginer, mais qu'il est impossible de rendre.Dans la même ville de Carthage, Innocentia, femme très pieuse et du rang le plus distingué, avait au sein un cancer, mal incurable, à ce que disent les médecins 1. On a coutume de couper et de séparer du corps la partie où est le mal, ou, si l'on veut prolonger un peu la vie du malade, de n'y rien faire; et c'est, dit-on, le sentiment d'Hippocrate 2. Cette dame l'avait appris d'un savant médecin, son ami, de sorte qu'elle n'avait plus recours qu'à Dieu. La fête de Pâques étant proche, elle fut avertie en songe de prendre garde à la première femme qui se présenterait à elle au sortir du baptistère 3,et de la prier de faire le signe de la croix sur son mal. Cette femme le fit, et Innocentia fut guérie à l'heure même. Le médecin qui lui

1. Voyez Galien, Therap. ad Glauc., lib. 2,cap. 10
2. Voyez les Aphorismes, sect. 6,aph. 2
3. De toute antiquité, dans la primitive Eglise, le jour de Pâques et celui de la Pentecôte étaient prescrits pour le baptême, sauf le cas de nécessité. Voyez Tertullien (De Baptismo, cap. 19; De cor. mil., cap. 3) et les Sermons de saint Augustin


avait conseillé de n'employer aucun remède, si elle voulait vivre un peu plus longtemps, la voyant guérie, lui demanda vivement ce qu'elle avait fait pour cela, étant bien aise sans doute d'apprendre un remède qu'Hippocrate avait ignoré. Elle lui dit ce qui en était, non sans craindre, à voir son visage méfiant, qu'il ne lui répondît quelque parole injurieuse au Christ: «Vraiment, s'écria-t-il, je pensais que vous m'alliez dire quelque chose de bien merveilleux!» Et comme elle se révoltait déjà: «Quelle grande merveille, ajouta-t-il, que Jésus-Christ ait guéri un cancer au sein, lui qui a ressuscité un mort de quatre jours 1?» Quand j'appris ce qui s'était passé, je ne pus supporter la pensée qu'un si grand miracle, arrivé dans une si grande ville, à une personne de si haute condition, pût demeurer caché; je fus même sur le point de réprimander cette dame. Mais quand elle m'eut assuré qu'elle ne l'avait point passé sous silence, je demandai à quelques dames de ses amies intimes, qui étaient alors avec elle, si elles le savaient. Elles me dirent que non. «Voilà donc, m'écriai-je, de quelle façon vous le publiez! vos meilleures amies n'en savent rien!» Et comme elle m'avait rapporté le fait très brièvement, je lui en fis recommencer l'histoire tout au long devant ces dames, qui en furent singulièrement étonnées et en rendirent gloire à Dieu.Un médecin goutteux de la même ville, ayant donné son nom pour être baptisé, vit en songe, la nuit qui précéda son baptême, des petits enfants noirs et frisés qu'il prit pour des démons, et qui lui défendirent de se faire baptiser cette année-là. Sur son refus de leur obéir, ils lui marchèrent sur les pieds, en sorte qu'il y sentit des douleurs plus cruelles que jamais. Cela ne l'empêcha point de se faire baptiser le lendemain, comme il l'avait promis à Dieu, et il sortit du baptistère non-seulement guéri de ses douleurs extraordinaires, mais encore de sa goutte, sans qu'il en ait jamais rien ressenti, quoique ayant encore longtemps vécu. Qui a entendu parler de ce miracle? Cependant nous l'avons connu, nous et un certain nombre de frères à qui le bruit en a pu parvenir.

Un ancien mime de Curube 2 fut guéri

1. Jn 11
2. Curobe ou Curubis est le nom d'une ville autrefois située près de Carthage. Voyez Pline, Hist. nat., livre 5,ch. 3

(521)

de même d'une paralysie et d'une hernie, et sortit du baptême comme s'il n'avait jamais rien eu. Qui connaît ce miracle, hors ceux de Curube, et peut-être un petit nombre de personnes? Pour nous, quand nous l'apprîmes, nous fîmes venir cet homme à Carthage, par l'ordre du saint évêque Aurélius, bien que nous en eussions été informés par des personnes tellement dignes de foi que nous n'en pouvions douter.Hespérius, d'une famille tribunitienne, possède dans notre voisinage un domaine sur les terres de Fussales 1, appelé Zubédi. Ayant reconnu que l'esprit malin tourmentait ses esclaves et son bétail, il pria nos prêtres, en mon absence, de vouloir bien venir chez lui afin d'en chasser les démons. L'un d'eux s'y rendit, et offrit le sacrifice du corps de Jésus-Christ, avec de ferventes prières, pour faire cesser cette possession. Aussitôt elle cessa par la miséricorde de Dieu. Or, Hespérius avait reçu d'un de ses amis un peu de la terre sainte de Jérusalem où Jésus-Christ fut enseveli et ressuscita le troisième jour. Il avait suspendu cette ferre dans sa chambre à coucher, pour se mettre lui-même à l'abri des obsessions du démon. Lorsque sa maison en fut délivrée, il se demanda ce qu'il ferait de cette terre qu'il ne voulait plus, par respect, garder dans sa chambre. Il arriva par hasard que mon collègue Maximin, évêque de Sinite, et moi, nous étions alors dans les environs. ilespérius nous fit prier de l'aller voir, et nous y allâmes. Il nous raconta tout ce qui s'était passé, et nous pria d'enfouir cette terre en un lieu où les chrétiens pussent s'assembler pour faire le service de Dieu. Nous y consentîmes. Il y avait près de là un jeune paysan paralytique, qui, sur cette nouvelle, pria ses parents de le porter sans délai vers ce saint lieu; et à peine y fut-il arrivé et eut-il prié, qu'il put s'en retourner sur ses pieds, parfaitement guéri.Dans une métairie nommée Victoriana, à trente milles d'Hippone, il y a un monument en l'honneur des deux martyrs de Milan, Gervais et Protais. On y porta un jeune homme qui, étant allé vers midi, pendant l'été, abreuver son cheval à la rivière, fut possédé par le démon. Comme il était étendu mourant et semblable à un mort, la maîtresse du lieu vint sur le soir, selon sa coutume, près du

1. Ville située près d'Hippone

monument, avec ses servantes et quelques religieuses, pour y chanter des hymnes et y faire sa prière. Alors le démon, frappé et comme réveillé par ces voix, saisit l'autel avec un frémissement terrible, et sans oser ou sans pouvoir le remuer, il s'y tenait attaché et pour ainsi dire lié. Puis, priant d'une voix gémissante, il suppliait qu'on lui pardonnât, et il confessa même comment et en quel endroit il était entré dans le corps de ce jeune homme. A la fin, promettant d'en sortir, il en nomma toutes les parties, avec menace de les couper, quand il sortirait, et, en disant cela, il se retira de ce jeune homme. Mais l'oeil du malheureux tomba sur sa joue, retenu par une petite veine comme par une racine, et la prunelle devint toute blanche. Ceux qui étaient présents et qui s'étaient mis en prière avec les personnes accourues au bruit, touchés de ce spectacle et contents de voir ce jeune homme revenu à son bon sens, s'affligeaient néanmoins de la perte de son oeil et disaient qu'il fallait appeler un médecin. Alors le beau-frère de celui qui l'avait transporté prenant la parole: «Dieu, dit-il, qui a chassé le «démon à la prière de ces saints, peut bien aussi rendre la vue à ce jeune homme». Là-dessus il remit comme il put l'oeil à sa place et le banda avec son mouchoir; sept jours après, il crut pouvoir l'enlever, et il trouva l'oeil parfaitement guéri. D'autres malades encore trouvèrent en ce lieu leur guérison; mais ce récit nous mènerait trop loin.Je connais une fille d'Hippone, qui, s'étant frottée d'une huile où le prêtre qui priait pour elle avait mêlé ses larmes, fut aussitôt délivrée du malin esprit. Je sais que la même chose arriva à un jeune homme, la première fois qu'un évêque, qui ne l'avait point vu, pria pour lui.Il y avait à Hippone un vieillard nommé Florentius, homme pauvre et pieux, qui vivait de son métier de tailleur. Ayant perdu l'habit qui le couvrait et n'ayant pas de quoi en acheter un autre, il courut au tombeau des Vingt. Martyrs 1, qui est fort célèbre chez nous, et les pria de le vêtir. Quelques jeunes gens qui se trouvaient là par hasard, et qui avaient envie de rire, l'ayant entendu, le suivirent quand il sortit et se mirent à le railler, comme s'il eût

1. Voyez le sermon CCCXXV de saint Augustin, prononcé en l'honneur de ces vingt Martyrs

(522)

demandé cinquante oboles aux martyrs pour avoir un habit. Mais lui, continuant toujours son chemin sans rien dire, vit un grand poisson qui se débattait sur le rivage; il le prit avec le secours de ces jeunes gens, et In vendit trois cents oboles à un cuisinier nommé Catose, chrétien zélé, à qui il raconta tout ce qui s'était passé. Il se disposait à acheter de la laine, afin que sa femme lui en fît tel habit qu'elle pourrait; mais le cuisinier ayant ouvert le poisson, trouva dedans une bague d'or. Touché à la fois de compassion et de pieux effroi, il la porta à cet homme, en lui disant: Voilà comme les vingt Martyrs ont pris soin de vous vêtir.L'évêque Projectus ayant apporté à Tibilis des reliques du très glorieux martyr saint Etienne, il se fit autour du reliquaire un grand concours de peuple. Une femme aveugle des environs pria qu'on la menât à l'évêque qui portait ce sacré dépôt, et donna des fleurs pour les faire toucher aux reliques. Quand on les lui eut rendues, elle les porta à ses yeux, et recouvra tout d'un coup la vue. Tous ceux qui étaient présents furent surpris de ce miracle; mais elle, d'un air d'allégresse, se mit à marcher la première devant eux et n'eut plus besoin de guide.Lucillus, évêque de Sinite, ville voisine d'Hippone, portait en procession les reliques du même martyr, fort révéré en ce lieu. Une fistule, qui le faisait beaucoup souffrir et que son médecin était sur le point d'ouvrir, fut tout d'un coup guérie par l'effet de ce pieux fardeau; car il n'en souffrit plus désormais.Eucharius, prêtre d'Espagne, qui habitait à Calame 1, fut guéri d'une pierre, qui le tourmentait depuis longtemps, par les reliques du même martyr, que l'évêque Possidius y apporta. Le même prêtre, étant en proie à une autre maladie qui le mit si bas qu'on le croyait mort et que déjà on lui avait lié les mains, revint par le secours du même martyr. On jeta sur les reliques sa robe de prêtre que l'on remit ensuite sur lui, et il fut rappelé à la vie.Il y avait là un homme fort âgé, nommé Martial, le plus considérable de la ville, qui avait une grande aversion pour la religion chrétienne. Sa fille était chrétienne et son

1. Sur Calame, voyez plus haut, livre xtv, eh. 24
2. Possidius, évêque de Calame, disciple et ami de saint Augustin dont il a écrit la vie



gendre avait été baptisé la même année. Ceux-ci le voyant malade, le conjurèrent en pleurant de se faire chrétien; mais il refusa, et les chassa avec colère d'auprès de lui. Son gendre trouva à propos d'aller au tombeau de saint Etienne, pour demander à Dieu la conversion de son beau-père. Il pria avec beaucoup de ferveur, et, prenant quelques fleurs de l'autel, les mit sur la tête du malade, comme il était déjà nuit., Le vieillard s'endormit; mais il n'était pas jour encore qu'il cria qu'on allât chercher l'évêque qui se trouvait alors avec moi à Hippone. A son défaut, il fit venir des prêtres, à qui il dit qu'il était chrétien, et qui le baptisèrent, au grand étonnement de fout le monde. Tant qu'il vécut, il eut toujours ces mots à la bouche: «Seigneur Jésus, recevez mon esprit»; sans savoir que ces paroles, les dernières qu'il prononça, avaient été aussi les dernières paroles de saint Etienne, quand il fut lapidé par les Juifs.Deux goutteux, l'un citoyen et l'autre étranger, furent aussi guéris par le même saint:le premier fut guéri instantanément; le second eut une révélation de ce qu'il devait faire, quand la douleur se ferait sentir; il le fit et fut soulagé.Audurus est une terre où il y a une église, et dans cette église une chapelle dédiée à saint Etienne. Il arriva par hasard que, pendant qu'un petit enfant jouait dans la cour, des boeufs qui traînaient un chariot, sortant de leur chemin, firent passer la roue sur lui et le tuèrent. Sa mère l'emporte et le place près du lieu consacré au saint; or, non-seulement il recouvra la vie, mais il ne parut pas même qu'il eût été blessé.Une religieuse qui demeurait à Caspalium, terre située dans les environs, étant fort malade et abandonnée des médecins, on porta sa robe à la même chapelle; mais la religieuse mourut avant qu'on eût eu le temps de la rapporter. Cependant ses parents en couvrirent -son corps inanimé, et aussitôt elle ressuscita et fut guérie.A Hippone, un nommé Bassus, de Syrie, priait devant les reliques du saint martyr pour sa fille, dangereusement malade; il avait apporté avec lui la robe de son enfant. Tout à coup ses gens accoururent pour lui annoncer qu'elle était morte. Mais quelques-uns de ses amis, qu'ils rencontrèrent en chemin, les empêchèrent de lui annoncer cette nouvelle, (523) de peur qu'il ne pleurât devant tout le monde. De retour chez lui, et quand la maison retentissait déjà des plaintes de ses domestiques, il jeta sur sa fille la robe qu'il apportait de l'église, et elle revint incontinent à la vie.Le fils d'un certain Irénéus, collecteur des impôts, était mort dans la même ville. Pendant que l'on se préparait à faire ses funérailles, un des amis du père lui conseilla de faire frotter le corps de son fils de l'huile du même martyr. On le fit, et l'enfant ressuscita.L'ancien tribun Eleusinus, qui avait mis son fils, mort de maladie, sur le tombeau du môme martyr, voisin du faubourg où il demeurait, le remporta vivant, après avoir prié et versé des larmes pour lui.Je pourrais encore rapporter un grand nombre d'autres miracles que je connais; mais comment faire? il faut bien, comme je l'ai promis, arriver à la fin de cet ouvrage. Je ne doute point que plusieurs des nôtres qui me liront ne soient fâchés que j'en aie omis beaucoup qu'ils connaissent aussi bien que moi; mais je les prie de m'excuser, et de considérer combien il serait long de faire ce que je suis obligé de négliger. Si je voulais rapporter seulement toutes les guérisons qui ont été opérées à Calame et à Hippone par le glorieux martyr saint Etienne, elles contiendraient plusieurs volumes; encore ne seraient-ce que celles dont on a écrit les relations pour les lire au peuple. Aussi bien, c'est par mes ordres que ces relations ont été dressées, quand j'ai vu se faire de notre temps plusieurs miracles semblables à ceux d'autrefois et dont il fallait ne pas laisser perdre la mémoire. Or, il n'y a pas encore deux ans que les reliques de ce martyr sont à Hippone 1; et bien qu'on n'ait pas donné de relation de tous les miracles qui s'y sont faits, il s'en trouve déjà près de soixante-dix au moment où j'écris ceci. Mais à Calame, où les reliques de ce saint martyr sont depuis plus longtemps et où l'on a plus de soin d'écrire ces relations, le nombre en -monte bien plus haut.Nous savons encore que plusieurs miracles sont arrivés à Uzales, colonie voisine d'Utique, grâce aux reliques du même martyr, que l'évêque Evodius 2 y avait apportées, bien avant qu'il y en eût à Hippone; mais on n'a pas

1. Ce passage a donné le moyeu de fixer la composition du dernier livre de la Cité de Dieu vers l'an 426
2. Evodius, évêque d'Uzales, disciple et ami de saint Augustin. Voyez les Confessions et les Lettres


coutume en ce pays d'en écrire dès relations, ou du moins cela ne se pratiquait pas autrefois. Peut-être le fait-on maintenant. Comme nous y étions, il n'y a pas longtemps, une dame de haute condition, nommée Pétronia, ayant été guérie miraculeusement d'une langueur qui avait épuisé tous les remèdes des médecins, nous l'exhortâmes, avec l'agrément de l'évêque, à en faire une relation qui pût être lue au peuple. Elle nous l'accorda fort obligeamment et y inséra une circonstance que je ne puis négliger ici, quoique pressé de passer à ce qui me reste à dire. Elle dit qu'un juif lui persuada de porter sur elle à nu une ceinture de cheveux où serait une bague dont le chaton avait été fait d'une pierre trouvée dans les reins d'un boeuf. Cette dame, portant cette ceinture sur elle, venait à l'église du saint martyr. Mais un jour partie de Carthage, comme elle s'était arrêtée dans une de ses terres sur les bords du fleuve Bagrada et qu'elle se levait pour continuer son chemin, elle fut tout étonnée de voir son anneau à ses pieds. Elle tâta sa ceinture pour voir si elle ne s'était pas détachée, et la trouvant bien liée, elle crut que l'anneau s'était rompu. Mais elle l'examina, le trouva parfaitement entier, et prit ce prodige pour une assurance de sa guérison. Elle délia donc sa ceinture et la jeta avec l'anneau dans le fleuve.Ils ne croiront pas ce miracle ceux qui ne croient pas que le Seigneur Jésus-Christ soit sorti du sein de sa mère sans altérer sa virginité, et qu'il soit entré, toutes portes fermées, dans le lieu où étaient réunis ses disciples. Mais qu'ils s'informent au moins du fait que je viens de citer, et s'ils le trouvent vrai, qu'ils croient aussi le reste. C'est une dame illustre, de grande naissance, et mariée en haut lieu; elle demeure à Carthage. La ville est grande, et la personne connue. Il est donc impossible que ceux qui s'enquerront de ce miracle n'apprennent pas ce qui en est. Tout au moins le martyr même, par les prières duquel elle a été guérie, a cru au fils d'une vierge, à celui qui est entré, les portes fermées, dans le lieu où étaient réunis ses disciples; en un mot, et tout ce que nous disons présentement n'est que pour en venir là, il a cru en celui qui est monté au ciel avec le même corps dans lequel il est ressuscité; et si tant de merveilles s'opèrent par l'intercession du saint martyr, c'est qu'il a donné sa (524) vie pour maintenir sa foi. Il s'accomplit donc encore aujourd'hui beaucoup de miracles; le même Dieu qui a fait les prodiges que nous lisons fait encore ceux-ci par les personnes qu'il lui plaît de choisir, et comme il lui plaît. Mais ces derniers ne sont pas aussi connus, parce qu'une fréquente lecture ne les imprime pas dans la mémoire aussi fortement que les autres. Aux lieux mêmes où l'on prend soin d'en écrire des relations, ceux qui sont présents, lorsqu'on les lit, ne les entendent qu'une fois, et il y a beaucoup d'absents. Les personnes mêmes qui les ont entendu lire ne les retiennent pas, et à peine s'en trouve-t-il une seule de celles-là qui les rapporte aux autres.Voici un miracle qui est arrivé parmi nous et qui n'est pas plus grand que ceux dont j'ai fait mention; mais il est si éclatant que je ne crois pas qu'il y ait à Hippone une personne qui ne l'ait vu, ou qui n'en ait ouï parler, et qui jamais puisse l'oublier: dix enfants, dont sept fils et trois filles, natifs de Césarée on Cappadoce, et d'assez bonne condition, ayant été maudits par leur mère pour quelque outrage qu'ils lui firent après la mort de son mari, furent miraculeusement frappés d'un tremblement de membres. Ne pouvant souffrir la confusion à laquelle ils étaient en butte dans leur pays, ils s'en allèrent, chacun de leur côté, errer dans l'empire romain. Il en vint deux à Hippone, un frère et une soeur, Paul et Palladia, déjà fameux en beaucoup d'endroits par leur disgrâce; ils y arrivèrent quinze jours avant la fête de Pâques, et ils visitaient tous les jours l'Eglise où se trouvaient les reliques du glorieux saint Etienne, priant Dieu de s'apaiser à leur égard et de leur rendre la santé. Partout où ils allaient, ils attiraient les regards, et ceux qui les avaient vus ailleurs disaient aux autres la cause de leur tremblement. Le jour de Pâques venu, et comme déjà un grand concours de peuple remplissait l'église, le jeune homme, tenant les balustres du lieu où étaient les reliques du martyr, tomba tout d'un coup, et demeura par terre comme endormi, sans toutefois trembler, comme il faisait d'ordinaire, même en dormant. Cet accident étonna tout le monde, et plusieurs en furent touchés. Il s'en trouva qui voulurent le relever; mais d'autres les en empêchèrent, et dirent qu'il valait mieux attendre la fin de son sommeil. Tout à coup le jeune homme se releva sur ses pieds sans trembler, car il était guéri, examinant tous ceux qui le regardaient. Qui put s'empêcher alors de rendre grâces à Dieu? Toute l'église retentit de cris de joie, et l'on courut promptement à moi pour me dire l'événement, à l'endroit où j'étais assis, prêt à m'avancer vers le peuple. Ils venaient l'un sur l'autre, le dernier m'annonçant cette nouvelle, comme si je ne l'avais point apprise du premier. Tandis que je me réjouissais et rendais grâces à Dieu, le jeune homme guéri entra lui-même avec les autres, et se jeta à mes pieds; je l'embrassai et le relevai. Nous nous avançâmes vers le peuple, l'église étant toute pleine, et l'on n'entendait partout que ces mots: Dieu soit béni! Dieu soit béni! Je saluai le peuple, et il recommença encore plus fort les mêmes acclamations. Enfin, comme chacun eut fait silence, on lut quelques leçons de l'Ecriture. Quand le moment où je devais parler fut venu, je fis un petit discours, selon l'exigence du temps et la grandeur de cette joie, aimant mieux qu'ils goûtassent l'éloquence de Dieu dans une oeuvre si merveilleuse, que dans mon propre discours. Le jeune homme dîna avec nous, et nous raconta en détail l'histoire de son malheur et celle de ses frères, de ses soeurs et de sa mère. Le lendemain, après le sermon, je promis au peuple de lui en lire le récit, au jour suivant 1. Le troisième jour donc après le dimanche de Pâques, comme on faisait la lecture promise 2,je fis mettre le frère et la soeur sur les degrés du lieu où je montais pour parler, afin qu'on pût les voir. Tout le peuple les regardait attentivement, l'un dans une attitude tranquille, l'autre tremblant de tous ses membres. Ceux qui ne les avaient pas vus ainsi apprenaient, par le malheur de la soeur, la miséricorde de Dieu pour le frère. Ils voyaient ce dont il fallait se réjouir pour lui et ce qu'il fallait demander pour elle. Quand on eut achevé de lire la relation, je les fis retirer. Je commençais à faire quelques observations sur cette histoire, lorsqu'on entendit de nouvelles acclamations qui venaient du tombeau du saint martyr. Toute l'assemblée se tourna de ce côté et s'y porta en masse. La jeune fille n'avait pas plus tôt descendu les degrés où je l'avais fait mettre, qu'elle avait couru se mettre en prières auprès du tombeau.

1. Voyez les Sermons de saint Augustin, serm. CCXXI.
2. Voyez le Sermon CCCXXII

(525)


A peine en eut-elle touché les balustres qu'elle tomba comme son frère et se releva parfaitement guérie. Or, comme nous demandions ce qui était arrivé, et d'où venaient ces cris de joie, les fidèles rentrèrent avec elle dans la basilique où nous étions, la ramenant guérie du tombeau du martyr. Alors il s'éleva un si grand cri de joie de la bouche des hommes et des femmes, que l'on crut que les larmes et les acclamations 1 ne finiraient point. Palladia fut conduite au même lieu où on l'avait vue un peu auparavant trembler de tous ses membres. Plus on s'était affligé de la voir moins favorisée que son frère, plus on se réjouissait de la voir aussi bien guérie que lui. On glorifiait la bonté de Dieu, qui avait entendu et exaucé les prières qu'on avait à peine eu le temps de faire pour elle. Aussi, il s'élevait de toute part de si grands cris d'allégresse qu'à peine nos oreilles pouvaient-elles les soutenir. Qu'y avait-il dans le coeur de tout ce peuple si joyeux, sinon cette foi du Christ, pour laquelle saint Etienne avait répandu son sang?



Augustin, Cité de Dieu 2203