Augustin, Cité de Dieu 1606

1606

CHAPITRE VI.

COMMENT IL FAUT ENTENDRE QUE DIEU PARLE AUX ANGES.

On pourrait croire que les paroles de la Genèse: «Faisons l'homme», auraient été aussi adressées aux anges, si Dieu n'ajoutait: «A notre image». Ce dernier trait est décisif et ne nous permet pas de croire que l'homme ait été fait à l'image des anges, ou que Dieu et les anges n'aient qu'une même image. Nous avons donc raison d'entendre ce pluriel: «Faisons», des personnes de la Trinité. Et néanmoins comme cette Trinité n'est qu'un Dieu, après que Dieu a dit: «Faisons», l'Ecriture ajoute: «Et Dieu fit l'homme à l'image de Dieu 3». Elle ne dit pas: Les dieux firent; ou: A l'image des dieux. - Or, dans le passage discuté tout à l'heure, on pourrait également trouver une trace de la Trinité, comme si le Père, s'adressant au Fils et au Saint-Esprit, leur eût dit: «Venez, descendons et confondons leur langage»; mais ce qui retient l'esprit, c'est qu'ici rien n'empêche d'appliquer le pluriel aux anges. Ces paroles, en effet, leur conviennent mieux, parce que c'est surtout à eux à s'approcher de Dieu par de saints mouvements, c'est-à-dire par de pieuses pensées, et à consulter les oracles de la vérité immuable qui leur sert de loi éternelle dans leur bienheureux séjour. ils ne sont pas eux-mêmes la vérité; mais participant à cette

1. Gn 2,6-7 -2. 1Co 3,9 -3. Gn 1,26-27

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vérité créatrice de toutes choses, ils s'en approchent comme de la source de la vie, afin de recevoir d'elle ce qu'ils ne trouvent pas en eux. Ç'est pourquoi le mouvement qui lei porte vers elle est stable en quelque façon, parce qu'ils ne s'éloignent jamais d'elle. Or, Dieu ne parle pas aux anges comme nous nous parlons les uns aux autres, ou comme nous parlons à Dieu ou aux anges, ou comme les anges nous parlent, ou comme Dieu nous parle par les anges; il leur parle d'une manière ineffable, et cette parole nous est transmise d'une manière qui nous est proportionnée. La parole de Dieu, supérieure à tous ses ouvrages, est la raison même, la raison immuable de ces ouvrages; elle n'a pas un son fugitif, mais une vertu permanente dans l'éternité et agissante dans le temps. C'est de cette parole éternelle qu'il se sert pour parler aux anges; et quand il lui plaît de nous parler de la sorte au fond du coeur, nous leur devenons semblables en quelque façon: pour l'ordinaire, il nous parle autrement. Afin clone de n'être pas toujours obligé dans cet ouvrage de rendre raison des paroles de Dieu, je dirai ici, une fois pour toutes, que la vérité immuable parle par elle-même à la créature raisonnable d'une manière qui ne se peut expliquer, soit qu'elle s'adresse à la créature par l'entremise de la créature, soit qu'elle frappe notre esprit par des images spirituelles, ou nos oreilles par des voix ou des sous.Expliquons encore ces mots: «Et maintenant qu'ils ont commencé ceci, ils ne s'arrêteront qu'après l'avoir achevé». Quand Dieu parle de la sorte, ce n'est pas une affirmation, c'est plutôt une interrogation menaçante comme celle-ci dans Virgile:

«On ne prendra pas les armes! toute la ville ne se mettra pas à leur poursuite 1»

La parole de Dieu doit donc être entendue ainsi: Ils ne s'arrêteront donc pas avant que d'avoir achevé 2! - Mais, pour revenir à la suite du récit de la Genèse, disons que des trois enfants de Noé sortirent soixante et treize ou plutôt soixante et douze nations d'un langage différent qui commencèrent à se répandre par toute la terre et ensuite à peupler les îles. Mais les peuples se sont bien plus multipliés que les langues; car nous savons que dans l'Afrique plusieurs nations barbares n'usent que d'un seul langage. A l'égard des îles, qui peut douter que, le nombre des hommes croissant, ils n'aient pu y passer à l'aide de vaisseaux?

1. Enéide, livre 4,v. 592
2. Il y a ici sur la différence de non et de nonne en latin une remarque intraduisible




1607

CHAPITRE VII.

COMMENT, DEPUIS LE DÉLUGE, TOUTES SORTES DE BÊTES ONT PU PEUPLER LES ÎLES LES PLUS ÉLOIGNÉES.

On demande comment les bêtes qui ne naissent pas de la terre ainsi que les grenouilles 1, mais par accouplement, comme les loups et autres animaux, ont pu se trouver dans les îles après le déluge, à moins qu'elles ne soient provenues de celles qui avaient été sauvées dans l'arche. Pour les îles qui sont proches, on peut croire qu'elles y ont passé à la nage; mais il y en a qui sont si éloignées du continent qu'il n'est pas probable qu'aucun de ces animaux ait pu y arriver de la sorte. On peut répondre à cela que les hommes les y ont transportées sur leurs vaisseaux pour les faire servir à la chasse, et enfin que Dieu même a fort bien pu les y transporter par le ministère des anges. Que si elles sont sorties de la terre, comme à la création du monde, quand Dieu dit: «Que la terre produise une âme vivante 2», cela fait voir clairement que des animaux de tout genre ont été mis dans l'arche, moins pour en réparer l'espèce que pour être une figure de l'Eglise qui devait être composée de toutes sortes de nations.

1608

CHAPITRE VIII.

SI LES RACES D'HOMMES MONSTRUEUX DONT PARLE L'HISTOIRE VIENNENT D'ADAM OU DES FILS DE NOÉ.

On demande encore s'il est croyable qu'il soit sorti d'Adam ou de Noé certaines races d'hommes monstrueux dont l'histoire fait mention 3. On assure, en effet, que quelques-uns n'ont qu'un oeil au milieu du front, que d'autres ont la pointe du pied tournée en

1. Ici, comme plus haut, saint Augustin parait favorable aux générations spontanées. Voyez livre 15,ch. 8
2. Gn 1,24
3. Voyez Pline (Hist. nat., lib. VII,cap.2), Solinus (Polyhist., capp. 28 et 55), Aulu-Gelle (Noct. Att., lib. Ix, cap. 4), Isidore (Origin., lib. 11,cap. 3) et ailleurs

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dedans; d'autres possèdent les deux sexes dont ils se servent alternativement, et ils ont la mamelle droite d'un homme et la gauche d'une femme; il y en a qui n'ont point de bouche et ne vivent que de l'air qu'ils respirent par le nez; d'autres n'ont qu'une coudée de haut, d'où vient que les Grecs les nomment Pygmées 1; on dit encore qu'en certaines contrées il y a des femmes qui deviennent mères à cinq ans et qui n'en vivent que huit. D'autres affirment qu'il y a des peuples d'une merveilleuse vitesse qui n'ont qu'une jambe sur deux pieds et ne plient point le jarret; on les appelle Sciopodes 2,parce que l'été ils se couchent sur le dos et se défendent du soleil avec la Plante de leurs pieds; d'autres n'ont point de tête et ont les yeux aux épaules; et ainsi d'une infinité d'autres monstres de la sorte, retracés en mosaïque sur le port de Carthage et qu'on prétend avoir été tirés d'une histoire fort curieuse. Que dirai-je des Cynocéphales 3,dont la tête de chien et les aboiements montrent que ce sont plutôt des bêtes que des hommes? Mais nous ne sommes pas obligés de croire tout cela. Quoi qu'il en soit, quelque part et de quelque figure que naisse un homme, c'est-à-dire un animal raisonnable et mortel, il ne faut point douter qu'il ne tire son origine d'Adam, comme du père de tous les hommes.La raison que l'on rend des enfantements monstrueux qui arrivent parmi nous peut servir pour des nations tout entières. Dieu, qui est le créateur de toutes choses, sait en quel temps et en quel lieu une chose doit être créée, parce qu'il sait quels sont entre les parties de l'univers les rapports d'analogie et de contraste qui contribuent à sa beauté. Mais nous qui ne le saurions voir tout entier, nous sommes quelquefois choqués de quelques-unes de ses parties, par cela seul que nous ignorons quelle proportion elles ont avec tout le reste. Nous connaissons des hommes qui ont plus de cinq doigts aux mains et aux pieds; mais encore que la raison nous en soit inconnue, loin de nous l'idée que le Créateur se soit mépris! Il en est de même des autres différences plus considérables: Celui dont personne ne peut justement blâmer les ouvrages, sait pour quelle raison il les a faits de la

1. De pugmé, coudée
2. De skia, ombre, et pous, podos, pied
3. De kuon, kunos, chien, et kephale, tête

sorte. Il existe un homme à Hippone-Diarrhyte1, qui a la plante des pieds en forme de croissant, avec deux doigts seulement aux extrémités, et les mains de même. S'il. y avait quelque nation entière de la sorte, on l'ajouterait à cette histoire curieuse et surprenante. Dirons-nous donc que cet homme ne tire pas son origine d'Adam? Les androgynes, qu'on appelle aussi hermaphrodites, sont rares, et néanmoins il en paraît de temps en temps en qui les deux sexes sont si bien distingués qu'il est difficile de décider duquel ils doivent prendre le nom, bien que l'usage ait prévalu en faveur du plus noble. Il naquit en Orient, il y a quelques années, un homme double de la ceinture en haut; il avait deux têtes, deux estomacs et quatre mains, un seul ventre d'ailleurs et deux pieds, comme un homme d'ordinaire, et il vécut assez longtemps pour être vu de plusieurs personnes qui accoururent à la nouveauté de ce spectacle. Comme on ne peut pas nier que ces individus ne tirent leur origine d'Adam, il faut en dire autant des peuples entiers en qui la nature s'éloigne de son cours ordinaire, et qui néanmoins sont des créatures raisonnables, si, après tout, ce qu'on en rapporte n'est point fabuleux: car supposez que nous ignorassions que les singes, les cercopithèques 1 et les sphinx sont des bêtes, ces historiens nous feraient peut-être croire que ce sont des nations d'hommes 2. Mais en admettant que ce qu'on lit des peuples en question soit véritable, qui sait si Dieu n'a point voulu les créer ainsi, afin que nous ne croyions pas que les monstres qui naissent parmi nous soient des défaillances de sa sagesse? Les monstres dans chaque espèce


1.Il y avait deux Hippones en Afrique: Hippone la Royale (d'où la Bône actuelle tire son nom) et Hippone-Diarrhyte. en arabe Ben Zert, d'où est venu le nom de Biserte. C'est Hippone la Royale qui a eu pour évêque saint Angustin
2. Les cercopithèques sont des singes à longue queue (de kerkos, queue, et pitheko, singe)
3. Il est intéressant de rapprocher ici la Cité de Dieu et le Discours sur les révolutions du globe. Le bon sens de saint Augustin semble aller quelquefois au-devant de la science de Cuvier. L'illustre naturaliste se défie de ces espèces monstrueuses qu'on suppose perdues
aujourd'hui: «C'est, dit-il, une erreur qui vient d'une critique imparfaite. On a pris des peintures d'animaux fantastiques pour des descriptions d'animaux réels... C'est dans quelque recoin d'un de ces monuments (les monuments d'Egypte, ornés de peintures) qu'Agatharchides aura vu son taureau carnivore, dont la gueule, fendue jusqu'aux oreilles, n'épargnait aucun autre animal, mais qu'assurément les naturalistes n'avoueront pas; car la nature ne combine ni des pieds fourchus, ni des cornes, avec des dents tranchantes». - D'autre fois, selon Cuvier, on se sera trompé à quelque ressemblance: «Les grands singes auront paru de vrais cynocéphales, de vrais sphinx, de vrais hommes à queue, et c'est ainsi que saint Augustin aura cru voir un satyre». (Discours sur les révol. du globe, page 87)

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seraient alors ce que sont les races monstrueuses dans le genre humain. Ainsi, pour conclure avec prudence et circonspection: ou ce que l'on raconte de ces nations est faux, ou ‘ce ne sont pas des hommes, ou, si ce sont des hommes, ils viennent d'Adam.


1609

CHAPITRE IX.

S'IL Y A DES ANTIPODES.

Quant à leur fabuleuse opinion qu'il y a des antipodes, c'est-à-dire des hommes dont les pieds sont opposés aux nôtres et qui habitent cette partie de la terre où le soleil se lève quand il se couche pour nous, il n'y a aucune raison d'y croire. Aussi ne l'avancent-ils sur le rapport d'aucun témoignage historique, mais sur des conjectures et des raisonnements, parce que, disent-ils, la terre étant ronde, est suspendue entre les deux côtés de la voûte céleste, la partie qui est sous nos pieds, placée dans les mêmes conditions de température, ne peut pas être sans habitants 1 . Mais quand on montrerait que la terre est ronde, il ne s'ensuivrait pas que la partie qui nous est opposée ne fût point couverte d'eau. D'ailleurs, ne le serait-elle pas, quelle nécessité qu'elle fût habitée, puisque, d'un côté, l'Ecriture ne peut mentir, et que, de l'autre, il y a trop d'absurdité à dire que les hommes aient traversé une si vaste étendue de mer pour aller peupler cette autre partie du monde 2. - Voyons donc si nous pourrons trouver la Cité de Dieu parmi ces hommes qui, selon la Genèse, furent divisés en soixante-douze nations et autant de langues. Il est évident qu'elle a persévéré dans les enfants de Noé, surtout dans l'aîné, qui est Sem, puisque la bénédiction de Japhet enferme en quelque sorte celle de Sem, et qu'il doit habiter dans les demeures de ses frères.

1. Voyez sur la notion des Antipodes chez les géographes anciens la note de Louis Vivès, en son commentaire de la Cité de Dieu, tome 2,page 118
2. On remarquera que saint Augustin, sans nier d'une manière absolue la possibilité physique des antipodes, se borne à élever une difficulté très sérieuse en elle-même et particulièrement délicate pour on chrétien, celle de concilier les données de la géographie avec l'unité des races humaines. Lactance s'était montré beaucoup moins réservé, quand il traitait d'inepte la conception d'une terre ronde et d'hommes ayant la tête plus bas que les pieds. (Inst. lib., 3,cap. 24). Est-ce par ces puissantes raisons que le pape Zacharie accusa la théorie des antipodes de perversité et d'iniquité (Epist. X ad Bonif.)? Je ne sais, mais la postérité a dit avec Pascal: «Ne vous imaginez pas que les lettres du pape Zacharie pour l'excommunication de saint Virgile, sur ce qu'il tenait qu'il y avait des antipodes, aient anéanti ce nouveau monde, et qu'encore qu'il eût déclaré que cette opinion était une erreur bien dangereuse, le roi d'Espagne ne se soit pas bien trouvé d'en avoir plutôt cru Christophe Colomb, qui en revenait, que le jugement de ce pape qui n'y avait pas été (Provinciales, lettre 13).»



1610

CHAPITRE X.

GÉNÉALOGIE DE SEM, DANS LA RAGE DE QUI LE PROGRÈS DE LA CITÉ DE DIEU SE DIRIGE VERS ABRAHAM.

Il faut donc prendre la suite des générations depuis Sem, afin de faire voir la Cité de Dieu à partir du déluge, comme la suite des générations de Seth l'a montrée auparavant. C'est pour cela que l'Ecriture, après avoir montré la cité de la terre dans Babylone, c'est-à-dire dans la confusion, retourne au patriarche Sem, et commence par lui l'ordre des générations jusqu'à Abraham, marquant combien chacun a vécu, avant que d'engendrer celui qui continue cette généalogie, et combien il a vécu depuis. Mais il faut, en passant, que je m'acquitte de ma promesse, et que je rende raison de ce que dit l'Ecriture, que l'un des enfants d'Héber fut nommé Phalec, parce que la terre fut divisée de son temps 1. Que doit-on entendre par cette division, si ce n'est la diversité des langues?L'Ecriture, laissant de côté les autres enfants de Sem, qui ne contribuent en Tien la suite des générations, parle seulement de ceux qui la conduisent jusqu'à Abraham; ce qu'elle avait déjà fait avant le déluge dans la généalogie de Seth. Voici comme elle commence celle de Sem: «Sem, fils de Noé, avait cent ans lorsqu'il engendra Arphaxat, la seconde année après le déluge; et il vécut, encore depuis cinq cents ans, et engendra des fils et des filles 2». Elle poursuit de même pour les autres avec le soin d'indiquer l'année où chacun a engendré celui qui sert à cette généalogie, et la durée totale de sa vie, et elle ajoute toujours qu'il a eu d'autres enfants, afin que nous n'allions pas demander sottement comment la postérité de Sem a pu peupler tant de régions et fonder ce puissant empire des Assyriens que Ninus étendit si loin.Mais, pour ne pas flous arrêter plus qu'il ne convient, nous ne marquerons que l'âge auquel chacun des descendants de Sem a eu le fils qui continue la suite de cette généalogie, afin de supputer combien d'années se sont écoulées depuis le déluge jusqu'à Abraham.

1. Gn 10,25 -2. Gn 11,10-11

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Deux ans donc après le déluge, Sem, âgé de cent ans, engendra Arphaxat; Arphaxat engendra Caïnan à l'âge de cent trente-cinq ans; Caïnan avait cent trente ans quand il engendra Salé; Salé en avait autant lorsqu'il engendra Héber; Héber cent trente-quatre lorsqu'il engendra Ragau; Ragau cent trente-deux quand il engendra Seruch; Seruch cent trente quand il eut Nachor; Nachor soixante-dix-neuf à la naissance de son fils Tharé; et Tharé, à l'âge de soixante-dix ans, engendra Abram 1, que Dieu appela depuis Abraham 2 . Ainsi, depuis le déluge jusqu'à Abraham, il y a mille soixante-douze ans, selon les Septante 3,car on dit qu'il y en a beaucoup moins, selon l'hébreu: ce dont on ne rend aucune raison bien claire.Lors donc que nous cherchons la Cité de Dieu dans ces soixante-douze nations dont parle l'Ecriture, nous ne saurions affirmer positivement si dès ce temps, où les hommes ne parlaient tous qu'un même langage4, ils abandonnèrent le culte du vrai Dieu, de telle sorte que la vraie piété ne se soit conservée que dans les descendants de Sem par Arphaxat jusqu'à Abraham; ou bien si la cité de la terre ne commença qu'à la construction de la tour de Babel; ou plutôt si les deux cités subsistèrent, celle de Dieu dans les deux fils de Noé, qui furent bénis dans leurs personnes et dans leur race, et celle de la terre, dans le fils qui fut maudit ainsi que sa postérité. Peut-être est-il plus vraisemblable qu'avant la fondation de Babylone il y avait des idolâtres dans la postérité de Sem et de Japhet, et des adorateurs du vrai Dieu dans celle dè Cham; au moins devons-nous croire qu'il y a toujours eu sur la terre des hommes de l'une et de l'autre sorte. Dans les deux psaumes 5 où il est dit: «Tous ont quitté le droit chemin et se sont corrompus; il n'y en «a pas un qui soit homme de bien, il n'y en «a pas un seul», on lit ensuite: «Ces impies «qui ne font que du mal et qui dévorent «mon peuple comme ils feraient un morceau «de pain, ne se reconnaîtront-ils jamais?»Le peuple de bLeu était donc alors; et ainsi ces paroles: «Il n'y en a pas un qui soit homme de bien, il n'y en a pas un seul», doivent s'entendre des enfants des hommes, et non de ceux de Dieu. Le Prophète avait dit

1. Gn 10-26 -2. Gn 17,5
3. Ce chiffre est aussi celui de Sulpice Sévère ( Hist. sac., lib. 1,cap. 5)
4. Gn 11,1 -4. Ps 13,2-4 Ps 53,4-8

auparavant: «Dieu a jeté les yeux du haut du ciel sur les enfants des hommes, pour voir s'il y en a quelqu'un qui le connaisse et qui le cherche»; après quoi il ajoute: «Il n'y en a pas un qui soit homme de bien», pour montrer qu'il ne parle que des enfants des hommes, c'est-à-dire de ceux qui appartiennent à la cité qui vit selon l'homme, et non selon Dieu.


1611

CHAPITRE 11.

LA LANGUE HÉBRAÏQUE, QUI ÉTAIT CELLE DONT TOUS LES HOMMES SE SERVAIENT D'ABORD, SE CONSERVA DANS LA POSTÉRITÉ D'HÉBER, APRÈS LA CONFUSION DES LANGUES.

De même que l'existence d'une seule langue avant le déluge n'empêcha pas qu'il n'y eût des méchants et que tous les hommes n'encourussent la peine d'être exterminés par les eaux, à la réserve de la maison de Noé, ainsi, lorsque les nations furent punies par la diversité des langues, à cause de leur orgueil impie, et répandues par toute la terre, et que la cité des méchants fut appelée Confusion ou Babylone, la langue dont tous les hommes se servaient auparavant demeura dans la maison d'Héber. De là vient, comme je l'ai remarqué ci-dessus, que l'Ecriture, dans le dénombrement des enfants de Sem, met Héber le premier, quoiqu'il ne soit que le cinquième de ses descendants. Comme cette langue demeura dans sa famille1, tandis que les autres nations furent divisées suivant les temps, celle-là fut depuis appelée hébraïque. Il fallait bien en effet lui donner un nom pour la distinguer de toutes les autres qui avaient aussi chacune le sien, au lieu que, quand elle était seule, elle n'avait point de nom particulier.On dira peut-être: Si la terre fut divisée eu plusieurs langues du temps de Phalech, fils d'Héber, celle de ces langues qui était auparavant commune à tous les hommes devait plutôt prendre son nom de Phalech. Mais il faut répondre qu'Héber n'appela son fils Phalech, c'est-à-dire Division, que parce qu'il vint au monde lorsque la terre fut divisée par langues, et que c'est ce qu'entend l'Ecriture, quand elle dit: «La terre fut divisée de son temps». Si Héber n'eût encore été vivant lors de cette division, il n'eût pas donné son
1. Voyez plus bas, livre 18,ch. 39
2. Gn 10,25

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nom à la langue qui demeura dans sa famille 1. Ce qui nous porte à croire que cette langue est celle qui était d'abord commune à tous let hommes, c'est que le changement et la multiplication des langues ont été une peine du péché, et partant que le peuple de Dieu a dire être exempt de cette peine. Aussi n'est-ce pas sans raison que cette langue a été celle d'Abraham, et qu'il ne l'a pu transmettre à tous ses enfants, mais seulement à ceux qui, issus de Jacob, ont composé le peuple de Dieu, reçu son alliance, et mis au monde le Christ. Héber lui-même n'a pas fait passer cette langue à toute sa postérité, mais seulement à la branche d'Abraham. Ainsi, bien que l'Ecriture ne marque pas précisément qu'il y eût des gens de bien, lorsque les méchants bâtissaient Babylone, cette obscurité n'est pas tant pour nous priver de la vérité que pour exercer notre attention. Lorsqu'on voit, d'un côté, qu'il,existe d'abord une langue commune à tous les hommes, qu'il est fait mention d'Héber avant tous les autres enfants de Sem, encore qu'il n'ait été que le cinquième de ses descendants, et que la langue des patriarches, des prophètes et de l'Ecriture même est appelée langue hébraïque, et lorsqu'on demande, de l'autre côté, où cette langue, qui était commune avant la division des langues, s'est pu conserver, comme il n'est point douteux d'ailleurs que ceux parmi lesquels elle s'est conservée n'aient été exempts de la peine du changement des langues, que se présente-t-il à l'esprit, sinon qu'elle est demeurée dans la famille de celui dont elle a pris le nom, et que ce n'est pas une petite preuve de la vertu de cette famille d'avoir été à couvert de cette punition générale?Mais il se présente encore une autre difficulté: comment Béber et Phalech son fils ont-ils pu chacun faire une nation? Il est certain au fond que le peuple hébreu est descendu d'Héber par Abraham. Comment donc tous les enfants des trois fils de Nué, dont parle l'Ecriture, ont-ils établi chacun une

1. Les avis, dit un habile commentateur de la Cité de Dieu, Léonard Coquée, sont partagés sur cette question. Dans leur chronique, nommée Seder-Holam, c'est-à-dire Ordre des temps, les Juifs placent l'époque de la division des langues aux dernières années de la vie de Phalech, trois cent quarante ans après le déluge, dix ans avant la mort de Noé. Maintenant, pourquoi Héber donna-t-il à son fils le nom de Phalech, qui signifie division? C'est qu'il possédait le don de prophétie et lisait la prochaine division des langues dans l'avenir. Tel parait être le sentiment de saint Jérôme en son livre des traditions hébraïques, et saint Chrysostome abonde dans le même sens (Hom. XXX in Genes


nation, si Héber et Phalech n'en ont fait qu'une? Il est fort probable que Nebroth a fondé aussi sa nation, et que l'Ecriture a fait mention à part de. ce personnage, à cause de sa stature extraordinaire et de la vaste étendue de son empire; de sorte que le nombre des soixante-douze langues ou nations demeure toujours. Quant à Phalech, elle n'en parle pas pour avoir donné naissance à une nation; mais à cause de cet événement mémorable de la division des langues qui arriva de son temps. On ne doit point être surpris que Nebroth ait vécu jusqu'à la fondation de Babylone et à la confusion des langues; car de ce qu'Héber est le sixième, depuis Noé, et Nebroth seulement le quatrième, il ne s'ensuit pas que Nebrotb n'ait pas pu vivre jusqu'au temps d'Héber. Lorsqu'il y avait moins de générations, les hommes vivaient davantage, ou venaient au monde plus tard. Aussi faut-il entendre que, quand la terre fut divisée en plusieurs nations, non-seulement les descendants de Noé, qui en étaient les pères et les fondateurs, étaient nés, mais qu'ils avaient déjà des familles nombreuses et capables de composer chacune une nation. C'est pourquoi il ne faut pas s'imaginer qu'ils soient nés dans le même ordre où l'Ecriture les nomme; autrement, comment les douze fils de Jectan, autre fils d'Héber et frère de Phalech, auraient-ils pu déjà faire des nations, si Jectan ne vint au monde qu'après Phalech, puisque la terre fut divisée à la naissance de Phalech? Il est donc vrai que Phalech a été nommé le premier, mais Jectan n'a pas laissé que de venir au monde bien avant lui; en sorte que les douze enfants de Jectan avaient déjà de si grandes familles qu'elles pouvaient être divisées chacune en leur langue. On aurait tort de trouver étrange que l'Ecriture en ait usé de la sorte, puisque dans la généalogie des trois enfants de Noé, elle commence par Japhet, qui était le cadet. Or, les noms de ces peuples se trouvent encore aujourd'hui en partie les mêmes qu'ils étaient autrefois comme ceux des Assyriens et des Hébreux; et en partie ils ont été changés par la suite des temps, tellement que les plus versés dans l'histoire en peuvent à peine découvrir l'origine. En effet, on dit que les Egyptiens viennent de Mesraïm, et les Ethiopiens de Chus, deux des fils de Cham, et cependant on ne voit aucun rapport entre leurs noms (341) actuels et leur origine. A tout considérer, on trouvera que, parmi ces noms, il y en a plus de ceux qui ont été changés que de ceux qui sont demeurés jusqu'à nous.

1612

CHAPITRE XII.

DU PROGRÈS DE LA CITÉ DE DIEU, A PARTIR D‘ABRAHAM.

Voyons maintenant le progrès de la Cité de Dieu, depuis le temps d'Abraham, où elle a commencé à paraître avec plus d'éclat et où les promesses que nous voyons aujourd'hui accomplies en Jésus-Christ sont plus claires et plus précises. Abraham, au rapport de l'Ecriture 1, naquit dans la Chaldée, qui dépendait de l'empire des Assyriens. Or, la superstition et l'impiété régnaient déjà parmi ces peuples, comme parmi les autres nations. La seule maison de Tharé, père d'Abraham, conservait le culte du vrai Dieu et vraisemblablement aussi la langue hébraïque, quoique Jésus-Na'vé5 témoigne qu'Abraham même était d'abord idolâtre. De même que la seule maison de Noé demeura pendant le déluge pour réparer le genre humain, ainsi, dans ce déluge de superstitions qui inondaient l'univers, la seule maison de Tharé fut comme l'asile de la Cité de Dieu; et comme, après le dénombrement des généalogies jusqu'à Noé, l'Ecriture dit: «Voici la généalogie de Noé 3»,de même, après le dénombrement des générations de Sem, fils de Noé, jusqu'à Abraham, elle dit: «Voici la généalogie de Tharé. Tharé engendra Abram, Nachor et Aran. Aran engendra Lot, et mourut du vivant de son père Tharé, au lieu de sa naissance, au pays des Chaldéens, Abram et Nachor se marièrent. La femme d'Abram s'appelait Sarra, et celle de Nachor, Melca, fille d'Aran 4». Celui-ci eut aussi une autre fille nommée Jesca, que l'on croit être la même que Sarra, femme d'Abraham.


1613

CHAPITRE XIII.

POURQUOI L'ÉCRITURE NE PARLE POINT DE NACHOR, QUAND SON PÈRE THARÉ PASSA DE CHALDÉE EN MÉSOPOTAMIE.

L'Ecriture raconte ensuite comment Tharé avec tous les siens laissa la Chaldée, vint en

1. Gn 11,28 -2. Jos 24,2 –3. Gn 6,9 -4. Gn 11,27-29




Mésopotamie et demeura à Charra; mais elle ne parle point de son fils Nachor, comme s'il ne l'avait pas emmené avec lui. Voici de quelle façon elle fait ce récit: «Tharé prit donc son fils Abram, Lot, fils de son fils Aran, et Sarra, sa belle-fille, femme de son fils Abram, et il les emmena de Chaldée en Chanaan, et il vint à Charra où il établit sa demeure». Il n'est point ici question de Nachor ni de sa femme Melca. Lorsque plus tard Abraham envoya son serviteur chercher une femme à son fils Isaac, nous trouvons ceci: «Le serviteur prit dix chameaux du troupeau de son maître et beaucoup d'autres biens, et se dirigea vers la Mésopotamie, en la ville de Nachor 2». Par ce témoignage et plusieurs autres de l'histoire sacrée, il paraît que Nachor sortit de la Chaldée, aussi bien que son frère Abraham, et vint habiter avec lui en Mésopotamie. Pourquoi l'Ecriture ne parle-t-elle donc point de lui, lorsque Tharé passe avec sa famille en Mésopotainie, tandis qu'elle ne marque pas seulement qu'il y mena son fils Abraham, mais encore Sarra, sa belle-fille, et son petit-fils Lot? pourquoi, si ce n'est peut-être qu'il avait quitté la religion de son père et de son frère pour embrasser la superstition des Chaldéens, qu'il abandonna depuis, ou parce qu'il se repentit de son erreur, ou parce qu'il devint suspect aux habitants du pays et fut obligé d'en sortir, afin d'éviter leur persécution. En effet, dans le livre de Judith, quand Holopherne, ennemi des Israélites, demande quelle est cette nation et s'il lui faut faire la guerre, voici ce que lui dit Achior, général des Ammonites: «Seigneur, si vous vouiez avoir la bonté de m'entendre, je vous dirai ce qui en est de ce peuple qui demeure dans ces montagnes prochaines, et je ne vous dirai rien que de très vrai. Il tire son origine des Chaldéens; et comme il abandonna la religion de ses pères pour adorer le Dieu du ciel, les Chaldéens le chassèrent, et il s'enfuit en Mésopotamie, où il demeura longtemps. Ensuite leur Dieu leur commanda d'en sortir, et de s'en aller en Chanaan, où ils s'établirent, etc. 3» On voit clairement par là que la maison. de Tharé fut persécutée par les Chaldéens, à cause de la religion et du culte du vrai Dieu.

1. Gn 11,31 -2. Gn 24,10 -3. Jdt 5,5-9

(342)


1614

CHAPITRE XIV.

DES ANNÉES DE THARÉ, QUI MOURUT A CHARRA.

Or, après la mort de Tharé, qui vécut, dit-on, deux cent cinq ans en Mésopotamie, l'Ecriture commence à parler des promesses que Dieu fit à Abraham; elle s'exprime ainsi:«Tout le temps de la vie, de Tharé à Charra fut de deux cent cinq ans, puis il mourut 1». Il ne faut pas entendre ce passage comme si Tharé avait passé tout ce temps à Charra; l'Ecriture dit seulement qu'il y finit sa vie, qui fut en tout de deux cent cinq ans: on ignorerait autrement combien il a vécu, puisque l'on ne voit point quel âge il avait quand il vint dans cette ville; et il serait absurde de s'imaginer que, dans une généalogie qui énonce si scrupuleusement le temps que chacun a vécu, il fût le seul oublié. Cette omission, il est vrai, a lieu pour quelques-uns; mais c'est qu'ils n'entrent point dans l'ordre de ceux qui composent la série de générations depuis Adam jusqu'à Noé, et depuis Noé jusqu'à Abraham: il n'est aucun de ces derniers dont l'Ecriture ne marque l'âge.

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CHAPITRE XV.

DU TEMPS DE PROMISSION OU ABRAHAM SORTIT DE CHARRA, D'APRÈS L'ORDRE DE DIEU.

L'Ecriture, après avoir parlé de la mort de Tharé, père d'Abraham, ajoute: «Et Dieu dit à Abram: Sortez de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père 2». Il ne faut pas penser que cela soit arrivé dans l'ordre qu'elle rapporte; cette opinion donnerait lieu à une difficulté insoluble.En effet, à la suite de ce commandement de Dieu à Abraham, on lit dans la Genèse: «Abram sortit donc avec Lot pour obéir aux paroles de Dieu; et Abram avait soixante-quinze ans lorsqu'il sortit de Charra 3» . Comment cela se peut-il, si la chose arriva après la mort de Tharé? Tharé avait soixante-dix ans quand il engendra Abraham; si l'on ajoute les soixante-quinze ans qu'avait Abraham lorsqu'il partit de Charra, on a cent quarante-cinq ans. Tharé avait donc:cet âge à l'époque où son fils quitta cette ville de Mésopotamie. Ce dernier n'en sortit donc pas après la mort de son père, qui vécut deux cent cinq ans: il faut entendre dès lors que

1. Gn 11,32 -2. Gn 11,1 -3. Gn 4

c'est ici une récapitulation assez ordinaire dans l'Ecriture 1, qui, parlant auparavant des enfants de Noé, après avoir dit 2 qu'ils furent divisés en plusieurs langues et nations, ajoute:«Toute la terre parlait un même langage 3». Comment étaient-ils divisés en plusieurs langues, si toute la terre ne parlait qu'un même langage, sinon parce que la Genèse reprend ce qu'elle avait déjà touché? Elle procède de même dans la circonstance qui nous occupe elle a parlé plus haut de la mort de Tharé 4, mais elle revient à la vocation d'Abraham, qui arriva du vivant de son père, et qu'elle avait omise pour ne point interrompre le fil de son discours. Ainsi, lorsque Abraham sortit de Charra, il avait soixante-quinze ans, et son père cent quarante-cinq 5. D'autres ont résolu autrement la question: selon eux, les soixante-quinze années de la vie d'Abraham doivent se compter du jour qu'il fut délivré du feu où il fut jeté par les Chaldéens pour ne vouloir pas adorer cet élément, et non du jour de sa naissance, comme n'ayant proprement commencé à naître qu'alors 6.Mais saint Etienne dit, touchant la vocation d'Abraham, dans les Actes des Apôtres: «Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham lorsqu'il était en Mésopotamie, avant qu'il demeurât à Charra, et lui dit: Sortez de votre pays, et de votre parenté, et de la maison de votre père, et venez en la terre que je vous montrerai 7». Ces paroles de saint Etienne font voir que Dieu ne parla pas à Abraham après la mort dé son père, qui mourut à Charra, où Abraham demeura avec lui, mais avant qu'il habitât cette ville, bien qu'il fût déjà en Mésopotamie. Il en résulte toujours qu'il était alors sorti de la Chaldée; et ainsi ce que saint Etienne ajoute: «Alors Abraham sortit du pays des Chaldéens et vint demeurer à Charra 8», ne montre pas ce qui arriva après que Dieu lui eut parlé (car il ne sortit pas de la Chaldée après cet avertissement du ciel, puisque saint Etienne dit qu'il le reçut dans la Mésopotamie), mais se rapporte à tout le temps qui se passa depuis qu'il en fut sorti et qu'il eut fixé son séjour à Charra. Ce qui suit le prouve encore: «Et

1. Saint Augustin en cite plusieurs exemples dans non livre De doctr. Christ., lib. 3,n. 52-54
2. Gn 31 -3. Gn 11,1 -4. Gn 11,31
5. Comp.- Quoest. in Gn qu. 28
6. Cette solution du problème est celle de saint Jérôme
7. Ac 7,2-3 -8. Gn 4

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après la mort de son père, dit le premier martyr, Dieu l'établit en cette terre que vos pères ont habitée et que vous habitez encore aujourd'hui». Il ne dit pas qu'il sortit de Charra après la mort de son père, mais que Dieu l'établit dans la terre de Chanaan après que son père fut mort. Il faut dès lors entendre que Dieu parla à Abraham lorsqu'il était en Mésopotamie, avant de demeurer à Charra, où il vint dans la suite avec son père, conservant toujours en son coeur le commandement de Dieu, et qu'il en sortit la soixante-quinzième année de son âge et la cent quarante-cinquième de celui de son père. Saint Etienne place son établissement dans la terre de Chanaan, et non sa sortie de Charra, après la mort de son père, parce que son père était déjà mort, quand il acheta cette terre et commença à la posséder en propre. Ce que Dieu lui dit: «Sortez de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père», bien qu'il fût déjà sorti de la Chaldée et qu'il demeurât en Mésopotamie, ce n'était pas un ordre d'en sortir de corps, car il l'avait déjà fait, mais d'y renoncer sans retour. Il est assez vraisemblable qu'Abraham sortit de Charra avec sa femme Sarra, et Lot, son neveu, pour obéir à l'ordre de Dieu, après que Nachor eut suivi son père.



Augustin, Cité de Dieu 1606