Augustin, Cité de Dieu 1711

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CHAPITRE 11. DE LA SUBSTANCE DU PEUPLE DE DIEU, LAQUELLE SE TROUVE EN JÉSUS-CHRIST FAIT HOMME, SEUL CAPABLE DE DÉLIVRÉR SON AME DE L'ENFER.

Le Prophète adresse ensuite une prière à Dieu; mais sa prière même est une prophétie: «Jusques à quand, Seigneur, détournerez-vous jusqu'à la fin?» il faut sous-entendre votre face ou votre miséricorde. Par la fin, sont exprimés les derniers temps où cette nation même croira en Jésus-Christ. Mais, avant cela, il faut que tous les malheurs que le Prophète a déplorés arrivent. C'est pourquoi il ajoute: «Votre colère s'allumera comme un feu. Souvenez-vous quelle est ma substance». Par cette substance, l'on ne peut rien concevoir de mieux que Jésus-Christ même, qui a tiré de ce peuple sa substance et sa nature humaine. «Car ce n'est pas en vain, dit-il, que vous avez créé tous les enfants des hommes». En effet, sans ce fils de l'homme, sans cette substance d'Israël par qui sont sauvés plusieurs enfants des hommes, ce serait en vain que les enfants des hommes auraient été créés, tandis que maintenant il est vrai que toute la nature humaine est tombée de la vérité dans la vanité par le péché du premier homme, d'où vient cette parole d'un autre psaume: «L'homme est devenu semblable à une chose vaine et chimérique; ses jours s'évanouissent comme l'ombre Ps 143,5; mais ce n'est pourtant pas en vain que Dieu a créé tous les enfants des hommes, puisqu'il en délivre plusieurs par le médiateur Jésus, et que les autres, qu'il a prévus ne devoir pas délivrer, il les a créés en vertu d'un dessein très beau et très juste, pour servir au bien des élus, et pour relever (376) par l'opposition des deux cités l'éclat et la gloire de la céleste. Le Psalmiste ajoute: «Quel est cet homme qui vivra et ne mourra point; il délivrera son âme des mains de l'enfer Ps 88,49». Quel est-il, en effet, sinon cette substance d'Israël tirée de David, c'est-à-dire Jésus-Christ, dont l'Apôtre dit Rm 6,9: «Une fois ressuscité des morts, il ne meurt plus, et la mort n'a plus d'empire sur lui». Bien qu'il vive maintenant et qu'il ne soit plus sujet à la mort, il n'a pas laissé de mourir; mais il a délivré son âme de l'enfer, où il était descendu pour rompre les liens du péché qui en retenaient quelques-uns captifs. Or, il l'a délivrée par cette puissance dont il dit dans l'Evangile: «J'ai le pouvoir de quitter mon âme et j'ai le pouvoir de la reprendre Jn 10,18».


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CHAPITRE XII. COMMENT IL FAUT ENTENDRE CES PAROLES DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME: «OU SONT, SEIGNEUR, LES ANCIENNES MISÉRICORDES ETC.»

Examinons maintenant la fin de ce psaume, qui est ainsi conçu: «Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment d'exercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre de vos serviteurs, et qu'il m'a fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis m'ont faits du changement de votre Christ». En méditant ces paroles, il est permis de demander si elles s'appliquent aux Israélites, qui désiraient que Dieu accomplît la promesse qu'il avait faite à David, ou bien à la personne des chrétiens qui sont Israélites selon l'esprit et non selon la chair. Il est certain, en effet, qu'elles ont été dites ou écrites du vivant d'Aethan, dont le nom est à la tête de ce psaume et sous le règne de David; et par conséquent il n'y a point d'apparence que l'on pût dire alors: «Seigneur, où sont les anciennes «miséricordes que vous avez fait serment d'exercer envers David?» à moins que le Prophète ne se mît à la place de ceux qui devaient venir longtemps après et à l'égard de qui ces promesses faites à David étaient anciennes. On peut donc entendre que lorsque les Gentils persécutaient les chrétiens, ils leur reprochaient la passion de Jésus-Christ, que l'Ecriture appelle un changement, parce qu'en mourant il est devenu immortel. On peut aussi entendre que le changement du Christ a été reproché aux Juifs, en ce qu'au lieu qu'ils l'attendaient comme leur sauveur, il est devenu le sauveur des Gentils. C'est ce que plusieurs peuples, qui ont cru en lui par le Nouveau Testament, leur reprochent encore aujourd'hui; de sorte que c'est en leur personne qu'il est dit: «Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre de vos serviteurs», parce que Dieu, ne les oubliant pas, mais ayant compassion de leur misère, doit les attirer un jour eux-mêmes à la grâce del'Evangile. Mais il me semble que le premier sens est meilleur. En effet, il ne paraît pas à propos d'appeler serviteurs de Dieu les ennemis de Jésus-Christ à qui l'on reproche que le Christ les a abandonnés pour passer aux Gentils, et que cette qualité convient mieux à ceux qui, exposés à de rudes persécutions pour le nom de Jésus-Christ, se sont souvenus du royaume promis à la race de David, et touchés d'un ardent désir de le posséder, ont dit à Dieu: «Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment d'exercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre de vos serviteurs, et qu'il m'a fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis m'ont faits du changement de votre Christ», ce changement étant pris par eux pour un anéantissement. Que veut dire: Souvenez-vous, Seigneur, sinon ayez pitié de moi, et, pour les humiliations que j'ai souffertes avec tant de patience, donnez-moi la gloire que vous avez promise à David avec serment. Que si nous attribuons ces paroles aux Juifs, assurément ces serviteurs de Dieu, qui furent emmenés captifs à Babylone après la prise de la Jérusalem terrestre et avant la naissance de Jésus-Christ, ont pu les dire aussi, entendant par le changement du Christ, qu'ils ne devaient pas attendre de lui une félicité temporelle semblable à celle dont ils avaient joui quelques années auparavant sous le règne de Salomon, mais une félicité céleste et spirituelle; et c'est le changement que les nations idolâtres reprochaient, sans s'en douter, au peuple de Dieu, lorsqu'elles l'insultaient dans sa captivité. C'est aussi ce qui se trouve ensuite dans le même psaume et qui en fait la conclusion: «Que la bénédiction du Seigneur (377) demeure éternellement; ainsi soit-il, ainsi soit-il»; voeu très convenable à tout le peuple de Dieu qui appartient à la Jérusalem céleste, soit à l'égard de ceux qui étaient cachés dans l'Ancien Testament avant que le Nouveau ne fût découvert, soit pour ceux qui dans le Nouveau sont manifestement à Jésus-Christ. La bénédiction du Seigneur promise à la race de David n'est pas circonscrite dans un aussi petit espace de temps que le règne de Salomon, mais elle ne doit avoir d'autres bornes que l'éternité. La certitude de l'espérance que nous en avons est marquée par la répétition de ces mots: «Ainsi soit-il, ainsi soit-il». C'est ce que David comprenait bien quand il dit, au second livre des Rois, qui nous a conduits à cette digression du Psaume: «Vous avez parlé pour longtemps en faveur de la maison de David 2S 7,19»; et un peu après: «Commencez donc maintenant, et bénissez pour jamais la maison de votre serviteur, etc. 2S 7,25» parce qu'il était prêt d'engendrer un fils dont la race était destinée à donner naissance à Jésus-Christ, qui devait rendre éternelle sa maison et en même temps la maison de Dieu. Elle est la maison de David à raison de sa race, et la maison de Dieu à cause de son temple, mais d'un temple qui est fait d'hommes et non de pierres, et où le peuple doit demeurer éternellement avec son Dieu et en son Dieu, et Dieu avec son peuple et en son peuple, en sorte que Dieu remplisse son peuple et que le peuple soit plein de son Dieu, lorsque Dieu sera tout en tous 1Co 15,28, Dieu, notre récompense dans la paix et notre force dans le combat. Comme Nathan avait dit à David: «Le Seigneur vous avertit que vous lui bâtirez une maison 2S 7,11»; David dit ensuite à Dieu: «Seigneur tout-puissant, Dieu d'Israël, vous avez révélé à votre serviteur que vous lui bâtiriez une maison 2S 7,27». En effet, nous bâtissons cette maison en vivant bien, et Dieu la bâtit aussi en nous aidant à bien vivre; car, «si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent Ps 126,1.» Lorsque le temps de la dernière dédicace de cette maison sera venu, alors s'accomplira ce que Dieu dit ici par Nathan: «J'assignerai un lieu à mon peuple, et l'y établirai, afin qu'il «y demeure séparé des autres nations et que rien ne trouble son repos à l'avenir. Les méchants ne l'opprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire 2S 7,10».

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CHAPITRE XIII. LA PAIX PROMISE A DAVID PAR NATHAN N'EST POINT CELLE DU RÈGNE DE SALOMON.

C'est une folie d'attendre ici-bas un si grand bien, ou de s'imaginer que ceci ait été accompli sous le règne de Salomon, à cause de la paix dont on y jouit. L'Ecriture ne relève cette paix que parce qu'elle était la figure d'une autre; et elle-même a eu soin de prévenir cette interprétation, lorsque, après avoir dit: «Les méchants ne l'opprimeront plus», elle ajoute aussitôt: «comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire». Ce peuple, avant d'être gouverné par des rois, fut gouverné par des Juges, et les méchants, c'est-à-dire ses ennemis, l'opprimaient par moments; mais, avec tout cela, on trouve sous les Juges de plus longues paix que celle du règne de Salomon, qui dura seulement quarante ans. Or, il y en eut une de quatre-vingts ans sous Aod. Loin donc, loin de nous l'idée que cette promesse regarde le règne de Salomon, et beaucoup moins celui d'un autre roi, puisque pas un d'eux n'a joui de la paix aussi longtemps que lui, et que cette nation n'a cessé d'appréhender le joug des rois, ses voisins. Et n'est-ce pas une suite nécessaire de l'inconstance des choses du monde qu'aucun peuple ne possède un empire si bien affermi qu'il n'ait pas à redouter l'invasion étrangère? Ainsi, ce lieu d'une habitation si paisible et si assurée, qui est ici promis, est un lieu éternel, et qui est dû à des habitants éternels dans la Jérusalem libre où régnera véritablement le peuple d'Israël; car Israël signifie voyant Dieu. Et nous, pénétrés du désir de mériter une si haute récompense, que la foi nous fasse vivre d'une vie sainte et innocente à travers ce douloureux pèlerinage!

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CHAPITRE XIV. DES PSAUMES DE DAVID.

La Cité de Dieu poursuivant son cours dans le temps, David régna d'abord sur la Jérusa1cm terrestre, qui était une ombre et une figure de la Jérusalem à venir. Ce prince était savant dans la musique, et il aimait l'harmonie, non pour le plaisir de l'oreille, mais avec une intention plus élevée, pour consacrer à son Dieu des cantiques remplis de grands mystères. L'assemblage et l'accord de plusieurs tons différents sont en effet une image fidèle de l'union qui enchaîne les différentes parties d'une cité bien ordonnée. On sait que toutes les prophéties de David sont contenues dans les cent cinquante psaumes que nous appelons le Psautier. Or, les uns veulent qu'entre ces psaumes, ceux-là seulement soient de lui qui portent son nom; d'autres ne lui attribuent que ceux qui ont pour titre de David, et disent que ceux où on lit à David ont été faits par d'autres et appropriés à sa personne. Mais ce sentiment est réfuté par le Sauveur même dans l'Evangile, lorsqu'il dit Mt 22,42 que David lui-même a appelé le Christ son Seigneur dans le psaume cent neuf, en ces termes: «Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie abattu vos ennemis sous vos pieds Ps 109,1» . Or, ce psaume n'a pas pour titre de David, mais â David. Il lui semble donc que l'opinion la plus vraisemblable, c'est que tous les psaumes sont de David, et que, s'il en a intitulé quelques-uns d'autres noms que du sien, c'est que ces noms ont un sens figuratif, quant à ceux qu'il a laissés sans y mettre de nom, c'est par une inspiration de Dieu, dont le motif caché couvre sans doute de profonds mystères. Il ne faut point s'arrêter à ce que certains psaumes portent en tête les noms de quelques prophètes qui ne sont venus que longtemps depuis David, et qui semblent toutefois y parler; car l'esprit prophétique qui inspirait ce prince a fort bien pu aussi lui révé1er les noms de ces prophètes, et lui suggérer des chants qui leur étaient appropriés, comme nous voyons 1R 13 qu'un certain prophète a parlé de Josias et de ses actions plus de trois cents ans avant la naissance de ce roi.


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CHAPITRE XV. S'IL CONVIENT D'ENTRER ICI DANS L'EXPLICATION DES PROPHÉTIES CONTENUES DANS LES PSAUMES TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET SON ÉGLISE.

Je vois bien qu'on attend de moi que j'explique ici les prophéties de Jésus-Christ et de son Eglise qui sont dans les psaumes; mais ce qui me retient, quoique ayant déjà donné l'explication d'un de ces divins cantiques, c'est plutôt l'abondance que le défaut de la matière. Il serait trop long, en effet, d'expliquer ces prophéties; et si je restreignais mon choix, j'aurais à craindre que les hommes versés en ces problèmes ne m'accusassent d'avoir omis les plus essentielles. D'ailleurs, un témoignage qu'on produit d'un psaume doit être confirmé par toute la suite du psaume, afin que, si tout ne sert pas à l'appuyer, rien au moins n'y soit contraire. En procédant de toute autre façon, on ferait des centons que l'on appliquerait à son sujet dans un sens tout différent de celui que les pièces ont à leur place naturelle. Pour montrer ce rapport de toutes les parties du psaume, avec le témoignage qu'on en voudrait faire sortir, il serait besoin de l'expliquer tout entier. Or, quel travail exigerait cette méthode, il est aisé de l'imaginer, pour peu qu'on sache ce que d'autres ont entrepris en ce genre et ce que nous avons nous-même essayé ailleurs. Que celui qui en aura la volonté et le loisir lise ces commentaires, et il y verra combien de grandes choses David a prophétisées de Jésus-Christ et de son Eglise, c'est-à-dire de la cité qu'il a fondée et de son roi.


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CHAPITRE XVI. LE PSAUME QUARANTE-QUATRE EST UNE PROPHÉTIE, TANTÔT EXPRESSIVE ET TANTÔT FIGURÉE, DE JÉSUS-CHRIST ET DE SON ÉGLISE.

Quelles que soient, en toutes choses, la propriété et la clarté des expressions prophétiques, il faut aussi qu'il y en ait de figurées, et ce sont celles-là qui donnent de l'exercice aux savants, quand ils veulent les expliquer à des esprits moins ouverts. Il en est toutefois qui désignent, à la première vue, le Sauveur et son Eglise, quoiqu'il y reste toujours quelque chose d'obscur qui demande à être expliqué à loisir; par exemple, ce passage du psaume quarante-quatre: «Mon coeur me presse de dire de grandes choses; je veux consacrer mes ouvrages à la gloire de mon Roi. Ma langue est comme la plume d'un écrivain qui écrit très vite. Vous êtes le plus beau des enfants des hommes; les grâces sont répandues sur vos lèvres; c'est pourquoi Dieu vous a comblé de ses (379) bénédictions pour jamais. Très-puissant, ceignez votre épée. Beau et gracieux comme vous l'êtes, vous ne sauriez manquer de réussir dans vos entreprises et de vous rendre maître des coeurs. La vérité, la douceur et la justice accompagnent vos pas, et vous signalerez votre puissance par des actions miraculeuses. Dieu tout-puissant, que vos flèches sont aigües! vous en percerez le coeur de vos ennemis, et les peuples tomberont à vos pieds. Votre trône, mon Dieu, est un trône éternel, et le sceptre de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice et haï l'iniquité; aussi votre Dieu a rempli votre coeur de joie comme d'un heaume exquis, dont il vous a sacré avec plus d'abondance que tous vos compagnons. Vos vêtements sont imprégnés de myrrhe et d'aloès; des essences de parfum s'exhalent de vos palais d'ivoire, et c'est ce qui vous a gagné le coeur des jeunes filles au jour de votre triomphe». Quel est l'esprit assez grossier pour ne pas reconnaître dans ces paroles le Christ que nous prêchons et en qui nous croyons? Qui ne le voit désigné par ce Dieu dont le trône est éternel, et que Dieu sacre en Dieu, c'est-à-dire d'un chrême spirituel et invisible?Est-il un homme assez étranger à notre religion et assez sourd au bruit qu'elle fait de toutes parts pour ignorer que le Christ s'appelle ainsi de son sacre et de son onction? Or, ce roi une fois reconnu, que signifient les autres traits de cette peinture symbolique, par exemple, qu'il est le plus beau des enfants des hommes, d'une beauté sans doute d'autant plus digne d'amour et d'admiration qu'elle est moins corporelle? Que veut dire cette épée, et que sont ces flèches? c'est à quiconque sert ce Dieu et règne par la vérité, la douceur et la justice, à examiner ces questions à loisir. Jetez ensuite les yeux sur son Eglise, sur cette compagne unie à un si grand époux par un mariage spirituel et par les liens d'un amour divin, elle, dont il est dit peu après: «La reine s'est assise à votre droite avec un habit rehaussé d'or et de broderie. Ecoutez, ma fille, voyez et prêtez l'oreille; oubliez votre pays et la maison de votre père; car le roi a été pris d'amour pour votre beauté, et il est le Seigneur votre Dieu. Les habitants de Tyr l'adoreront avec des présents; les plus riches du peuple vous feront la cour. Toute la gloire de la fille du roi vient du dedans, et elle est vêtue d'une robe à franges d'or, toute couverte de broderies. On amènera au roi les filles de sa suite; on vous offrira celles qui approchent de plus près de sa personne. On les amènera avec joie et allégresse; on les fera entrer dans le palais du roi. Il vous est né des enfants à la place de vos pères; vous les établirez princes sur tout l'univers. Ils se souviendront de votre nom, Seigneur, dans la suite de tous les âges. C'est pourquoi tous les peuples vous loueront éternellement et dans tous les siècles». Je ne pense pas que quelqu'un soit assez fou pour s'imaginer que ceci doit s'entendre d'une simple femme, puisque cette femme est l'épouse de celui à qui il est dit: «Votre trône, mon Dieu, est un trône éternel, et le sceptre de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice et haï l'iniquité; aussi votre Dieu a rempli votre coeur de joie comme d'un beaume exquis, dont il vous a sacré avec plus d'abondance que tous vos compagnons.» C'est Jésus-Christ qui a été ainsi sacré d'une onction plus pleine que tout le reste des chrétiens; et ceux-là sont les compagnons de sa gloire, dont l'union et la concorde par tout l'univers sont figurées par cette reine appelée dans un autre psaume la cité du grand roi Ps 47,2. Voilà cette spirituelle Sion dont le nom signifie contemplation, parce qu'elle contemple les grands biens de l'autre vie et y tourne toutes ses pensées;voilà cette Jérusalem céleste dont nous avons dit tant de choses, et qui a pour ennemie la cité du diable, Babylone, c'est-à-dire confusion. C'est par la régénération que cette reine est délivrée de la domination de Babylone, et passe de la domination d'un très méchant prince sous celle d'un très bon roi. On lui dit pour cette raison: «Oubliez votre pays et la maison de votre père». Les Israélites, qui ne sont tels que selon la chair et non par la foi, font partie de cette cité impie, et sont ennemis du grand roi et de la reine, son épouse. Car, puisqu'ils ont mis à mort celui qui était venu vers eux, le Christ a été plutôt le sauveur de ceux qu'il n'a pas vus, alors qu'il était sur la terre revêtu d'une chair mortelle. Aussi dit-on à notre roi dans un psaume: «Vous me délivrerez des révoltes de ce peuple, vous m'établirez chef des (380) nations. Un peuple que je ne connaissais point m'a servi; il m'a obéi aussitôt qu'il a entendu parier de moi 1» Le peuple des Gentils que le Christ n'a pas connu lorsqu'il était au monde, et qui néanmoins croit en lui sur ce qu'il a appris, en sorte que c'est justement qu'il est écrit de lui: «Il m'a obéi aussitôt qu'il a entendu parler de moi»; car «la loi vient de l'ouïe 2» ce peuple, dis-je, joint aux vrais Israélites selon la chair et selon la foi, compose la cité de Dieu, qui a aussi engendré le Christ selon la chair, quand elle n'était qu'en ces seuls Israélites. De là était la vierge Marie, dans le sein de laquelle le Christ a pris chair pour devenir homme. C'est de cette cité qu'un autre psaume dit: «On dira de Sion, notre mère: Un. homme et un homme par excellence a été fait en elle, et c'est le Très-Haut lui-même qui l'a fondé 3». Quel est ce Très-Haut, sinon Dieu? Et par conséquent le Christ, qui est Dieu et qui l'était avant que de devenir homme dans cette cité par l'entremise de Marle, l'a fondée lui-même dans les patriarches et dans les Prophètes. Puis donc que le Sauveur a été prédit si longtemps auparavant à cette cité de Dieu, à cette reine, suivant cette parole que nous voyons maintenant accomplie: «Il vous est né des enfants à la place de vos pères, que vous établirez princes sur tout l'univers Ps 44,18» quelque obscurité qu'il y ait ici dans les autres expressions figurées, et de quelque façon qu'on les explique, elles doivent s'accorder avec des choses qui soit si claires.


1. Ps 17,44 –2. Rm 10,17 –3. Ps 86,5 –4.


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CHAPITRE XVII. DU SACERDOCE ET DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST PRÉDITS AUX CENT NEUVIÈME ET VINGT-UNIÈME PSAUMES.


C'est ainsi que dans cet autre psaume où le sacerdoce de Jésus-Christ est déclaré ouvertement, comme ici sa royauté, ces paroles pouvaient sembler obscures: «Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'abatte vos ennemis sous vos pieds». En effet, nous ne voyons pas Jésus-Christ assis à la droite de Dieu le père, nous le croyons; ni ses ennemis abattus sous ses pieds, cela ne se verra qu'à la fin du monde. Mais lorsque le Psalmiste chante: «Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre empire, et vous régnerez souverainement au milieu de vos ennemis»; cela est si clair qu'il faudrait être aussi impudent qu'impie pour le nier. Nos adversaires mêmes avouent que la loi de Jésus-Christ, que nous appelons l'Evangile, et que nous reconnaissons pour le sceptre de son empire, est sortie de Sion. Quant au règne qu'il exerce au milieu de ses ennemis, ceux mêmes sur qui il l'exerce le témoignent assez par leur rage et leur jalousie. On lit un peu après: «Le Seigneur a juré, et il ne s'en dédira point, que vous serez le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech»; or, puisqu'il n'y a plus maintenant nulle part de sacerdoce ni de sacrifice selon l'ordre d'Aaron, et qu'on offre partout sous le souverain pontife, Jésus-Christ, ce qu'offrit Melchisédech quand il bénit Abraham Gn 14,18, qui peut ne pas voir de qui ceci est dit? Il faut donc rapporter à ces choses claires et évidentes celles qui dans le même psaume sont un peu obscures et que nous avons déjà expliquées dans les sermons que nous en avons faits au peuple. Ainsi, ce que Jésus-Christ dit dans un autre psaume où il parle de sa propre passion: «Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ont compté mes os; ils m'ont considéré et regardé Ps 21,18»; cela, dis-je, est clair, et l'on voit bien qu'il parle de son corps étendu sur la croix, pieds et mains cloués, et servant en cet état de spectacle à ses ennemis; d'autant plus qu'il ajoute: «Ils ont partagé entre eux mes vêtements et jeté ma robe au sort»: prophétie dont l'accomplissement se trouve marqué dans le récit de l'Evangile. Les traits tout aussi clairs qui sont dans ce psaume doivent servir de lumière aux autres; car, entre les faits qui y sont évidemment prédits, il y en a qui s'accomplissent encore tous les jours à nos yeux, comme ce qui suit: «Toutes les parties de la terre se souviendront du Seigneur, et se convertiront à lui, et toutes les autres nations du monde «lui rendront leurs adorations et leurs hommages, parce que l'empire appartient au Seigneur, et il dominera sur toutes les nations».

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CHAPITRE XVIII. DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DU SAUVEUR PRÉDITES DANS LES PSAUMES TROIS, QUARANTE, QUINZE ET SOIXANTE-SEPT.

Les oracles des psaumes n'ont pas non plus gardé le silence sur la résurrection du Christ. Que signifient en effet ces paroles du troisième psaume: «Je suis endormi et j'ai sommeillé, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m'a pris?» Y a-t-il quelqu'un d'assez peu sensé pour croire que le Prophète nous aurait voulu apprendre comme une chose considérable qu'il s'est éveillé après s'être endormi, si ce sommeil n'était la mort, et ce réveil la résurrection de Jésus-Christ, qu'il devait prédire de la sorte? Le psaume quarante en parle encore plus clairement, lorsqu'en la personne du médiateur, le Prophète, selon sa coutume, raconte comme passées des choses qu'il prophétise pour l'avenir, parce que, dans la prescience de Dieu, les choses à venir sont en quelque sorte arrivées, à cause de la certitude de leur accomplissement. «Mes ennemis, dit-il, ont fait des imprécations contre moi: quand mourra-t-il, et quand sa mémoire sera-t-elle abolie? S'il venait me voir, il me parlait avec déguisement, et se fortifiait dans sa malice; et il n'était pas plutôt sorti qu'il s'attroupait avec les autres. Tous mes ennemis formaient des complots contre moi; ils faisaient tous le dessein de me perdre. Ils ont pris contre moi des résolutions injustes; mais celui qui dort ne se réveillera-t-il pas?» C'est comme s'il disait: Celui qui meurt ne ressuscitera-t-il pas? Ce qui précède montre-assez que ses ennemis avaient conspiré sa mort, et que toute cette trame avait été conduite par celui qui entrait et sortait pour le trahir. Or, à qui ne se présente ici le traître Judas, devenu, de disciple de Jésus, le plus cruel de ses ennemis? Pour leur faire sentir qu'ils l'immoleraient en vain, puisqu'il devait ressusciter, il leur dit: «Celui qui dort ne se réveillera-t-il pas?» ce qui revient à ceci: Que faites-vous, pauvres insensés? ce qui est un crime pour vous n'est qu'un sommeil pour moi. Celui qui dort ne se réveillera-t-il pas? - Et néanmoins, pour prouver qu'un crime si énorme ne demeurerait pas impuni, il ajoute: «Celui qui vivait avec moi dans une si grande union, en qui j'avais mis ma confiance, et qui mangeait de mon pain, m'a mis le pied sur la gorge. Mais vous, Seigneur, ayez pitié de moi, et me rendez la vie, et je me vengerai d'eux». Ne voit-on pas cette vengeance, quand on considère les Juifs expulsés de leur pays après de sanglantes défaites depuis la mort et la passion de Jésus-Christ? Après qu'il eut été mis à mort par eux, il est ressuscité, et les a châtiés de peines temporelles, en attendant celles qu'il leur réserve pour ne s'être pas convertis, lorsqu'il jugera les vivants et les morts. Le Sauveur même montrant le traître à ses Apôtres en lui présentant un morceau de pain, fit mention de ce verset du psaume 1, et dit qu'il devait s'accomplir en lui: «Celui qui mangeait de mon pain m'a mis le pied sur la gorge». Quant à ce qu'il ajoute: «En qui j'avais mis ma confiance», cela ne convient pas au chef, mais au corps; car le Sauveur connaissait bien celui dont il avait déjà dit: «L'un de vous est le diable 2»; mais il a coutume d'attribuer à sa personne ce qui appartient à ses membres, parce que la tête et le corps ne font qu'un Christ, d'où viennent ces paroles de l'Evangile: «J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger 3»; ce que lui-même explique ainsi: «Quand vous avez, dit-il, rendu ces services aux plus petits de ceux qui sont à moi, c'est à moi que vous les avez rendus». S'il dit qu'il avait mis sa confiance en Judas, c'est que ses disciples avaient bien espéré de celui-ci, quand il fut mis au nombre des Apôtres.
Quant aux Juifs, ils ne croient pas que le Christ qu'ils attendent doive mourir. Aussi ne pensent-ils pas que celui que la loi et les Prophètes ont annoncé soit pour nous; mais ils prétendent qu'il doit leur appartenir unique-nient, et qu'il sera exempt de la mort. Ils soutiennent donc, par une folie et un aveuglement merveilleux, que les paroles que nous venons de rapporter ne doivent pas s'entendre de la mort et de la résurrection, mais du sommeil et du réveil. Mais le psaume quinze leur crie: «C'est pour cela que mon coeur est plein de joie, que ma langue se répand en «des chants d'allégresse, et que vous ne laisserez point mon âme en enfer, et que vous ne «permettrez pas que votre saint souffre aucune corruption». Quel autre parlerait avec autant de confiance de celui qui est ressuscité le

1. Jn 13,26 -2. Jn 6,71 -3. Mt 25,35 -4. Mt 40

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troisième jour? Peuvent-ils l'entendre de David? Le psaume soixante-sept crie de son côté: «Notre Dieu est un Dieu qui sauve, et le Seigneur même sortira par la mort». Que peut-on dire de plus clair? Le Seigneur Jésus n'est-il pas un Dieu qui sauve, lui dont le nom même signifie Sauveur? En effet, c'est la raison qui en fut rendue quand l'ange dit à la Vierge: «Vous enfanterez un fils que vous «nommerez Jésus, parce qu'il sauvera son peuple en le délivrant de ses péchés 1». Comme il a versé son sang pour obtenir la rémission de ces péchés, il n'a pas dû autrement sortir de cette vie que par la mort. C'est pour cette raison que le Prophète, après avoir dit: «Notre Dieu est un Dieu qui sauve», ajoute aussitôt: «Et le Seigneur même sortira par la mort», pour montrer que c'était en mourant qu'il devait sauver. Or, il dit avec admiration: «Et le Seigneur même», comme s'il disait: Telle est la vie des hommes mortels que le Seigneur même n'en a pu sortir que par la mort.

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CHAPITRE XIX.

LE PSAUME SOIXANTE-HUIT MONTRE L'OBSTINATION DES JUIFS DANS LEUR INFIDÉLITÉ.

Certes, les Juifs ne résisteraient pas à des témoignages si clairs confirmés par l'événement, si la prophétie du psaume soixante-huit ne s'accomplissait en eux. Après que David a introduit Jésus-Christ, qui dit, en parlant de sa passion, ce que nous voyons accompli dans l'Evangile: «Ils m'ont donné du fiel à manger, et du vinaigre à boire quand j'ai eu soif 2»; il ajoute: «Qu'en récompense leur table devienne un piège et une pierre d'achoppement; que leurs yeux «soient obscurcis, afin qu'ils ne voient point, et chargez-les de fardeaux qui les fassent marcher tout courbés», et autres malheurs qu'il ne leur souhaite pas, mais qu'il leur prédit comme s'il les leur souhaitait. Quelle merveille donc qu'ils ne voient pas des choses si évidentes, puisque leurs yeux ne sont obscurcis qu'afin qu'ils ne les voient pas? quelle merveille qu'ils ne comprennent pas les choses du ciel, eux qui sont toujours accablés de pesants fardeaux qui les courbent contre terre? Ces métaphores prises du corps marquent réellement les vices de l'esprit. Mais

1. Lc 1,31 -2. Mt 1,21 -3. Mt 27,34

c'est assez parler des psaumes, c'est-à-dire de la prophétie de David, et il faut mettre quelques bornes à ce discours. Que ceux qui savent toutes ces choses m'excusent et ne se plaignent pas de moi, si j'ai peut-être omis d'autres témoignages qu'ils estiment encore plus forts.


1720

CHAPITRE XX.

DU RÈGNE ET DES VERTUS DE DAVID, ET DES PROPHÉTIES SUR JÉSUS-CHRIST QUI SE TROUVENT DANS LES LIVRES DE SALOMON.

David régna donc dans la Jérusalem terrestre, lui qui était enfant de la céleste, et à qui l'Ecriture rend un témoignage de gloire, parce qu'il effaça tellement ses crimes par les humiliations d'une sainte patience qu'il est sans doute du nombre de ces pécheurs dont il dit lui même: «Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées et les péchés couverts 1!» A David succéda son fils Salomon, qui, comme nous l'avons dit ci-dessus, fut couronné du vivant de son père. La tin de son règne ne répondit pas aux espérances que les commencements avaient fait concevoir; car la prospérité, qui corrompt d'ordinaire les plus sages, l'emporta sur cette haute sagesse dont le bruit s'est répandu dans tous les siècles. On reconnaît que ce prince a aussi prophétisé dans ses trois livres, que l'Eglise reçoit au nombre des canoniques et qui sont les Proverbes, l'Ecclésiaste et le Cantique des cantiques. Pour les deux autres, intitulés la Sagesse et l'Ecclésiastique, on a coutume de les lui attribuer, à cause de quelque ressemblance de style; mais les doctes tombent d'accord qu'ils ne sont pas de lui. Toutefois il y a longtemps qu'ils ont autorité dans l'Eglise, surtout dans celle d'Occident. La passion du Sauveur est clairement prédite dans celui qu'on appelle la Sagesse. Les infâmes meurtriers de Jésus-Christ y parlent de la sorte: «Opprimons le juste, il nous est incommode et il s'oppose sans cesse à nos desseins; il nous reproche nos péchés et publie partout nos crimes; il se vante de connaître Dieu et il se nomine insolemment son fils; il contrôle jusqu'à nos pensées, et sa vue même nous est à charge; car il mène une vie toute différente de celle des autres, et sa conduite est tout extraordinaire. Il nous regarde comme des bagatelles et fuit notre manière

1. Ps 31,1

(383)d'agir comme la peste; il estime heureuse la mort des gens de bien et se glorifie d'avoir Dieu pour père. Voyons donc si ce qu'il dit est vrai, et éprouvons quelle sera sa fin. S'il est vraiment fils de Dieu, Dieu le protégera et le tirera des mains de ses ennemis. Faisons-lui souffrir toutes sortes d'affronts et de tourments pour voir jusqu'où vont sa modération et sa patience. Condamnons-le à une mort ignominieuse, car nous jugerons de ses paroles par ses actions. Voilà quelles ont été leurs pensées; mais ils se sont trompés, parce que leur malice les a aveuglés». Quant à l'Ecclésiastique, la foi des Gentils y est prédite ainsi: «Seigneur, qui êtes le maître de tous les hommes, ayez pitié de nous, et que tous les peuples vous craignent. Etendez votre main sur les nations étrangères, afin qu'elles reconnaissent votre personne et que vous soyez glorieux en elles comme vous l'êtes en nous, et qu'elles apprennent avec nous qu'il n'y a point d'autre Dieu que vous, Seigneur». Cette prophétie conçue en forme de souhait, nous ta voyons accomplie par Jésus-Christ; mais comme ces Ecritures ne sont pas canoniques parmi les Juifs, elles ont moins de force contre les opiniâtres.Pour les autres trois livres, qui, certainement, sont de Salomon, et que les Juifs reconnaissent pour canoniques, il serait trop long et très pénible de montrer comment tout ce qui s'y trouve se rapporte à Jésus-Christ et à son Eglise. Toutefois ce discours des impies dans les Proverbes: «Mettons le juste au tombeau et dévorons-le tout vivant; abolissons-en la mémoire sur la face de la terre, emparons-nous de ce qu'il possède de plus précieux 1»; ce discours, dis-je, n'est pas si obscur qu'on ne le puisse aisément entendre de Jésus-Christ et de l'Eglise, qui est son plus précieux héritage. Notre-Seigneur lui-même, dans la parabole des mauvais vignerons, leur fait tenir un discours semblable, quand, apercevant le fils du père de famille: «Voici, disent-ils, l'héritier; allons, tuons-le, et nous serons maîtres de son héritage 2 »Tous ceux qui savent que Jésus-Christ est la Sagesse de Dieu n'entendent aussi que de lui et de son Eglise cet autre endroit des Proverbes que nous avons touché plus haut, lorsque nous parlions de la femme stérile qui a

1. Pr 1,11 -2. Mt 21,38

engendré sept enfants: «La Sagesse, dit Salomon, s'est bâti une maison, et l'a appuyée sur sep colonnes. Elle a immolé ses victimes, mêlé son vin dans une coupe et dressé sa table; elle a envoyé ses serviteurs pour convier hautement à boire du vin de sa coupe, disant: «Que celui qui n'est pas sage vienne à moi; et à ceux qui manquent de sens, elle a parlé ainsi: Venez, mangez de mes pains, et buvez le vin que je vous ai préparé 1». Ces paroles nous font connaître clairement que la sagesse de Dieu, c'est-à-dire le Verbe coéternel au Père, s'est bâti une maison dans le sein d'une vierge en y prenant un corps, qu'il s'est uni l'Eglise comme les membres à la tête, qu'il a immolé les martyrs comme des victimes, qu'il a couvert une table de pain et de vin, où se voit même le sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech, enfin, qu'il y a invité les fous et les insensés, parce que, comme dit l'Apôtre: «Dieu a choisi les faibles selon le monde pour confondre les puissants 2». Néanmoins, c'est à ces faibles que la Sagesse a dit ensuite: «Quittez votre folie afin de vivre, et cherchez la sagesse, afin d'acquérir la vie3». Or, avoir place à sa table, c'est commencer d'avoir la vie. Que peuvent signifier de mieux ces autres paroles de l'Ecclésiaste: «L'homme n'a d'autre bien que ce qu'il boit et mange 4?» qu'est-ce, dis-je, que ces paroles peuvent signifier, sinon la participation à cette table, où le souverain prêtre et médiateur du Nouveau Testament nous donne son corps et son sang selon l'ordre de Melchisédech, et ce sacrifice a succédé à tous les autres de l'Ancien Testament, qui n'étaient que des ombres et des figures de celui-ci? Aussi reconnaissons-nous la voix de ce même médiateur dans la prophétie du psaume trente-neuf: «Vous n'avez point voulu de victime ni d'offrande, mais vous m'avez disposé un corps 5», parce que, pour tout sacrifice et oblation, son corps est offert et servi à ceux qui y participent. Que l'Ecclésiaste n'entende pas parler de viandes charnelles dans son invitation perpétuelle à boire et à manger, cette parole le prouve clairement: «Il vaut mieux aller dans une maison de deuil que dans celle où l'on fait bonne chère 6»; et un peu après: «Les sages ai«ment à aller dans une maison de deuil, et

1. Pr 9,1-5 –2. 1Co 1,27 –3. Pr 9,6 – 4. Si 5,15 –5. Ps 39,9 –6. Si 7,3



et les fous dans une maison de festins et de débauches 1». Mais il vaut mieux rapporter ici de ce livre ce qui regarde les deux cités, celle du diable et celle de Jésus-Christ, et les rois de l'une et de l'autre: «Malheur à vous, terre, dont le roi est jeune et dont les princes mangent dès le matin! Mais bénie soyez-vous, terre, dont le roi est fils des libres, et dont les princes mangent dans le temps convenable, sans impatience et sans confusion 2». Ce jeune roi est le diable, que Salomon appelle ainsi à cause de sa folie, de son orgueil, de sa témérité, de son insolence, et des autres vices auxquels les jeunes gens sont sujets. Jésus-Christ, au contraire, est fils des libres, c'est-à-dire des saints patriarches appartenant à la cité libre dont il est issu selon la chair. Les princes de cette cité qui mangent dès le matin, c'est-à-dire avant le temps, désignent ceux qui se hâtent de goûter la fausse félicité de ce monde, sans vouloir attendre celle de l'autre, qui est la seule véritable, au lieu que les princes de la cité de Jésus-Christ attendent avec patience le temps d'une félicité qui ne trompe point. C'est ce qu'il veut dire par ces paroles, «sans impatience et sans confusion», parce qu'ils ne se repaissent point d'une vaine espérance, suivant cette parole de l'Apôtre: «L'espérance ne confond point 3», et cette autre du psaume: «Tous ceux qui vous attendent avec patience ne seront point confondus 4». Quant au Cantique des cantiques, c'est une réjouissance spirituelle des saintes âmes aux noces du roi et de la reine de la Cité céleste, c'est-à-dire de Jésus-Christ et de l'Eglise mais cette joie est cachée sous le voile de l'allégorie, afin qu'on ait plus d'envie de la connaître et plus de plaisir à la découvrir, et d'y voir cet époux à qui on dit au même cantique: «Ceux qui sont justes nous aiment 5», et cette épouse à qui l'on dit aussi: «La charité fait vos délices 6». Nous passons sous silence plusieurs autres choses pour ne pas excéder les bornes de ces, ouvrage.



Augustin, Cité de Dieu 1711