Augustin contre Cresconius - L'AFFAIRE DES MAXIMIENS

30. J'ai ajouté: «Si parmi les premiers chrétiens ceux qui se disaient appartenir à Paul (4) étaient dans une erreur grossière, que peuvent espérer ceux qui veulent être du parti de Donat (5)?» Or, dans les premières parties de votre lettre, vous laissez cette question absolument sans réponse; peut-être pensez-vous que dans tout ce qui précède nous avons suffisamment parlé de cela. Mais alors, vous avez donc tort de célébrer, sur un ton de triomphe, la vérité de tout ce qui a été dit par Pétilien ou par d'autres. Quant à moi, qui ai repris dans leur ordre naturel chacun

1. Ac 2,38 - 2. Ex 14,22 - 3. 1Co 10,2 - 4. 1Co 1,12 - 5. Réfut. de Pétilien, liv. 1,n. 5.

de vos arguments, je me crois plus que jamais le droit d'affirmer que ces arguments ne prouvent rien dans la cause des Maximiens, puisque la cause de Félicianus n'était pas sainte, pendant qu'il restait lié à Maximien par la chaîne du sacrilège. Vous avez dit vous-mêmes qu'il était coupable d'un crime fameux; par conséquent, tous ceux qu'il baptisait étaient baptisés par un pécheur public. Dans de telles conditions, cet homme sacrilège pouvait-il être pour eux l'origine, la source et le principe du salut? Celui qui avait été condamné pour sa participation au schisme, et qui, nonobstant cette condamnation, persévérait dans ce schisme, pouvait-il être un bon arbre? le bien pouvait-il découler du trésor de son coeur (1) quand on se croyait le droit de dire de lui et de ses adeptes: «Leur bouche est pleine de malédiction et d'amertume (2)?» Et cependant, quand vos évêques firent la paix avec lui, ils se sentirent tellement écrasés sous le poids de la vérité, qu'il leur fallut reconnaître que le baptême qu'il conférait n'était pas son propre baptême, mais le baptême de Jésus-Christ.


31. Mais procédons avec ordre et voyons comment vous vous tirez de la cause des Maximiens. Tous ceux, en effet, qui lisent nos lettres prêtent une attention particulière à chacune de vos paroles et à chacune de mes réponses. Je ne m'occuperai donc pas d'Optat le Gildonien, malgré la singularité des réponses que vous m'avez faites .à son sujet; je me reprocherais à moi-même de perdre un temps précieux sur une simple question d'une personne, dont la condamnation ne touche point à la question qui m'occupe. Je n'ignore pas cependant que ce personnage me fournirait une matière abondante, dont je prive ainsi la postérité, car bientôt ces détails, si intéressants en eux-mêmes, tomberont dans l'oubli; quant à nos contemporains qui connaissent sa vie et ses moeurs, loin de supposer la moindre fausseté dans tout ce que je pourrais dire de lui, ils me reprocheraient plutôt de n'en pas dire assez. Ne croyez pas, en effet, qu'ils lisent nos lettres dans le même esprit que vous les lisez vous-même, vous qui me demandez ce qu'a donc englouti celui que j'ai appelé un torrent furieux, comme si vous oubliez Prétextat et Félicianus. Voici les termes dont je me suis servi: «Ils outragent leurs


1. Mt 12,35 - 2. Ps 13,3

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schismatiques jusqu'à les appeler des cadavres sans sépulture; et pourtant ils devraient désirer qu'ils fussent ensevelis, s'ils ne veulent pas qu'Optat le Gildonien traversant, comme un torrent furieux, avec son armée, cette multitude de cadavres gisant sur le rivage, n'engloutisse ensuite Félicianus et Prétextat (1)».Puisque vous aviez sous les yeux ce passage tout entier, pourquoi ne le citiez-vous pas textuellement? Pourquoi me demander ce que le torrent furieux a dévoré, puisque j'avais dit qu' «il dévorerait Félicianus et Prétextat?»


32. Quand nous reprochons à vos évêques d'avoir accueilli dans leurs rangs Prétextat et Félicianus, après les avoir solennellement condamnés, pourquoi se croient-ils parfaitement justifiés quand ils nous ont répondu: «Optat l'a voulu ainsi, c'est là son oeuvre?» Consultez les villes d'Assuritanum et de Vustitanum, elles vous répondront que, menacées par Optat de subir toutes les vengeances dont une armée est capable, elles ont contraint leurs évêques à rentrer dans la communion de Primianus. Et maintenant, parce que vous avez eu l'impudence de nier ces faits, vous avez osé nier que je les eusse consignés par écrit; vous pensiez sans doute que ma lettre pouvait être plus facilement ignorée que ces faits. Mais, grâce à je ne sais quel privilège donatien ou numidique, vos évêques se sont cru le droit d'ignorer à l'égard d'un de leurs collègues ce que toutes les voix redisaient en Afrique; et quand ces mêmes crimes que des Africains se reprochaient réciproquement, n'ont jamais pu être prouvés et ont été si souvent pardonnés, vous prétendez qu'ils n'ont pu être ignorés sur les plages les plus lointaines de l'Orient et de l'Occident. Libre à vous d'accepter comme valide le baptême conféré par Optat que vous avez refusé de condamner, sans toutefois oser le justifier, et de déclarer invalide le baptême conféré dans les églises apostoliques de Corinthe, de Galatie, d'Ephèse, de Colosse, de Philippe, de Thessalonique et autres, dont vous lisez les noms dans les Ecritures, et qui n'ont jamais entendu parler ni de Cécilianus ni de son crime, fût-il vrai ou faux. Regardez comme parfaitement innocente la conscience d'Optat, que vous n'avez osé condamner à cause de nous, ni absoudre à cause de Dieu, et


1. Réfut. de Pétilien, liv. 1,n. 11.

cela quoique la renommée publique vous ait facilement permis de sonder tous les replis de cette conscience; mais, en même temps, ne craignez pas d'accuser la conscience de tant de nations chrétiennes de s'être permis d'ignorer les querelles que se faisaient les Africains, placés, pour ainsi dire, à l'extrémité du monde. Ont-elles pu également ignorer les crimes de Félicianus et de Prétextat, solennellement condamnés dans un concile de trois cent dix évêques?


33. Et vous osez encore opposer à l'unité catholique je ne sais quels faits particuliers qui sont faux, ou qui ne sont pas des péchés et qui, fussent-ils vrais et criminels, ne peuvent souiller la société des bons! En effet, les bons ne sauraient être souillés des péchés des autres, quand ils s'opposent à leur perpétration. Mais, dites-vous, ils sont en communion avec les pécheurs. Oui, eu attendant que le Seigneur, au jugement dernier, ait purifié son aire, ils sont en communion avec les méchants, mais en communion de sacrements et non en communion de péchés. Oui, en attendant que Dieu fasse la séparation suprême à la fin des siècles, les bons sont mêlés aux méchants dans les mêmes filets; mais s'il y a union des corps, il y aune grande séparation de vie et de moeurs. Les onze Apôtres ne participaient aucunement aux vols de Judas; et cependant, tous ensemble étaient visiblement unis au même maître, entendaient le même docteur, recevaient la foi au même Evangile, participaient aux mêmes sacrements (1) entre Judas et eux il y avait rapprochement corporel, mais la différence spirituelle mettait entre eux un chaos immense. De même Paul ne participait aucunement à l'audace et à la jalousie, c'est-à-dire aux vices diaboliques de ceux qui souillaient la prédication de l'Evangile; et cependant, eux et lui prêchaient le même Jésus-Christ, participaient aux sacrements de Jésus-Christ, et c'est d'eux que l'Apôtre disait: «Mais qu'importe, pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière que ce soit, par occasion ou par un vrai zèle (2)?» Le glorieux martyr Cyprien, cet amant passionné de l'unité catholique, repoussant toute séparation du schisme ou de l'hérésie, a toujours compris et enseigné que les fidèles doivent former, une seule et même


1. Jn 12,4-6 Jn 13,26 - 2. Ph 1,17-18

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société extérieure (1). Parmi ses collègues, il en était qui se livraient à l'avarice, à la rapine, à l'injustice; il disait d'eux qu'ils avaient faim et soif de posséder des richesses, de s'en procurer par la fraude, de multiplier l'usure pour accroître leur patrimoine, et cette passion, il la comparait à l'idolâtrie (2). Sans vouloir participer en quoi que ce fût à ces désordres, il ne refusait -pas de rester extérieurement uni avec ces malheureux, de siéger sur les mêmes autels, de participer à la même nourriture eucharistique. En effet, ces pécheurs mangeaient et buvaient non pas pour les autres, mais pour eux-mêmes, leur jugement et leur condamnation (3). De son côté, Cyprien partageait avec eux, non pas leurs péchés, mais les mystères de Jésus-Christ; les assemblées étaient les mêmes, mais les moeurs étaient bien différentes. Toutes ces comparaisons tirées de l'Ecriture, tous ces exemples empruntés à l'histoire ecclésiastique nous apprennent que nous devons être le bon grain, sans cependant nous séparer de l'aire à cause de la paille qui s'y rencontre (4); que nous devons être les bons poissons, sans sortir des filets à cause des mauvais poissons qui s'y trouvent (5); que nous devons être des vases d'honneur et d'innocence, sans cependant sortir de la grande demeure à cause des vases d'ignominie qu'elle renferme (6). Dans tous ces mélanges temporels, s'il est si louable de tolérer les méchants, c'est uniquement dans le but de ne pas exposer les bons à leur perte en se séparant. C'est sans doute dans ce but que vous tolérez au milieu de vous un si grand nombre des vôtres, dont les cri mes sont aussi nombreux que manifestes; ne vous est-il pas facile d'en conclure que, en vous séparant de tant de nations chrétiennes, vous ne pouvez que faire preuve d'une animosité véritablement sacrilège?

34. Ainsi donc qu'Optat, si fameux dans votre secte, ou que tout autre, jusqu'au plus inconnu parmi vous, commette tel ou tel crime dont vous avez pleine et entière connaissance, vous ne pourrez le séparer de votre communion, soit parce qu'on n'ajoute pas foi à votre déposition, soit parce que vous n'osez pas déposer contre lui dans la crainte de ne pouvoir prouver vos accusations. Mais alors quel parti prendrez-vous? ou bien vous


1. Lettre à Maxime. - 2. Disc. sur les Tombés. - 3. 1Co 11,29 - 4. Mt 3,12 - 5. Mt 13,47-48 - 6. 2Tm 2,20-21

quitterez la secte de Donat, ou bien vous deviendrez aussi criminel que ce malheureux dont vous connaissez la faute, quoique votre vie soit toute différente de la sienne. En soi cette conséquence est fausse, je le sais parfaitement, mais enfin elle découle nécessairement de vos principes. Personne ne doute que vous ne soyez étranger à ce crime, si vous n'y participez pas par un consentement libre et volontaire. Mais du moins, comprenez donc qu'il est de la dernière absurdité de reprocher à l'univers chrétien des crimes faux ou inconnus, commis en Afrique, tandis que vous ne voulez pas qu'on vous reproche le crime de l'un de vos coreligionnaires, crime dont vous ne pouvez prouver l'authenticité à ceux avec lesquels vous voulez rester en communion. Ainsi, pour ne point vous séparer de ceux que vous croyez bons, vous êtes obligé de tolérer ceux dont vous connaissez l'iniquité. Il me semble qu'ici la vérité s'impose aux plus rebelles et convainc de méchanceté ceux qui, sous prétexte de crimes vrais ou faux, mais en tout cas inconnus, et dont ils n'avaient à craindre aucune responsabilité, ont brisé l'unité catholique et se sont séparés des bons chrétiens qui la composent. Et pour que vous n'ayez aucune excuse à apporter dans le but de disculper les Donatiens de cet horrible crime, vous vous êtes trouvés en face de la cause des Maximiens; et cette cause devient pour vous, si vous le voulez, un miroir qui, en vous montrant votre dépravation, doit vous aider à la corriger. Si, au contraire, vous ne voulez pas vous y reconnaître, je n'ai plus rien à vous dire de plus sérieux, car- je sais que vous avez du coeur. Eh! qu'opposerez-vous aux arguments que je vous propose?


35. Voici ce que vous écrivez: «Après avoir lu dans ma lettre ce que j'ai dit des Maximiens que nous avons accueillis après les avoir condamnés, j'ai été vivement impressionné». Je le crois bien, car une telle affaire me paraît fort capable d'impressionner. Voyons donc quel moyen vous avez pris pour calmer ces émotions. «Aussitôt», dites-vous, «vous avez consulté vos évêques, et vous avez connu par eux le décret du concile, la sentence portée contre ceux qu'il avait condamnés, et toute la procédure de cette affaire». Puis, vous persuadant bien à tort que j'ignorais ce qui s'était passé, et (458) m'invitant à m'enquérir des faits, vous vous donnez la peine de me raconter, non pas la vérité, mais ce que vos évêques substituent à la vérité pour mieux tromper les simples et les ignorants. Voici vos paroles: «Comme Maximien multipliait ses efforts pour associer à son erreur un grand nombre d'évêques, les nôtres convoquèrent un grand concile et formulèrent une sentence de condamnation contre tous ceux qui s'obstineraient dans le schisme»; vous rappelez même que j'ai lu cette sentence; «elle fut rendue à l'unanimité; cependant le concile jugea convenable de proposer un délai pendant lequel quiconque voudrait se corriger serait réputé innocent. C'est ce qui eut lieu, car non-seulement les deux dont je parle, mais une multitude d'autres se convertirent et rentrèrent dans le sein de l'Eglise. Vous pensez donc que le baptême reçu ou donné par ces hommes ne doit pas être invalidé, puisqu'ils se sont soumis dans le délai fixé, et qu'ainsi la loi est restée pour eux à l'état de menace, la séparation est restée pour eux purement comminatoire, ce qui prouve que quand ils baptisaient ils n'étaient pas séparés de l'Eglise». Ayant à coeur de signaler toutes les erreurs de votre narration, j'ai cité, non pas seulement les pensées principales, mais vos propres paroles, et vraiment je m'étonne que vous ayez pu résister à l'évidence. Jamais on n'eut une preuve plus frappante du pouvoir exercé par les préjugés de la présomption humaine, soit pour empêcher de voir la vérité la plus manifeste, suit pour affirmer les plus impudentes faussetés. Est-il possible que vous n'ayez pas remarqué dans votre langage des contradictions telles qu'on ne saurait s'imaginer qu'elles eussent échappé à un même homme? Vous dites d'abord: «Une sentence fut rendue contre tous ceux qui persévéreraient dans le schisme de Maximien, et cependant on jugea convenable d'accorder un délai pendant lequel qui«conque voudrait se corriger serait réputé innocent». Comment donc osez-vous dire vous-même: «Ils n'ont pas baptisé hors de l'Eglise avant d'avoir renoncé à leur schisme?» pendant qu'ils étaient avec Maximien, ils n'étaient donc pas hors de l'Eglise? Comprenez-vous ce que vous dites? Comment sortirez-vous de là, où vous cacherez-vous?


36. Vous voyez donc qu'en essayant de défendre les erreurs évidentes de vos évêques, le seul résultat que vous obtenez, c'est de rendre les vôtres plus évidentes encore. Lisez vos propres paroles; je vais vous les citer textuellement comme vous les avez écrites. «Comme Maximien cherchait à associer à son erreur le plus grand nombre d'évêques qu'il lui était possible, nos évêques convoquèrent un concile et rendirent contre tous ceux qui persévéreraient dans le schisme une sentence de condamnation, que vous avez lue vous-même. Cette sentence fut signée à l'unanimité; cependant on crut convenable de fixer un délai pendant lequel quiconque voudrait se corriger, serait réputé innocent». Quand vous parliez ainsi, quel aveuglement vous empêchait donc de remarquer que tous ceux contre lesquels la sentence du concile fut portée, en leur qualité de Maximiens, appartenaient véritablement à ce schisme, avant qu'ils n'eussent profité du délai pour se corriger? Ils baptisaient donc dans le schisme. Pourquoi alors, je vous prie, entasser à plaisir de vaines obscurités sur les faits les plus évidents, et dissiper vous-même ces obscurités par vos paroles? Je déclare que les ordonnateurs de Maximien, Prétextat et Félicianus, ont baptisé pendant leur schisme, ce qui n'a pas empêché qu'eux-mêmes et ceux qu'ils avaient baptisés, ne fussent reçus plus tard dans vos rangs, sans qu'on eût invalidé le baptême qu'ils avaient conféré malgré leur double crime de schisme et de sacrilège, malgré leur bouche remplie de malédiction, malgré leurs lèvres distillant un venin d'aspic. Vous ne niez pas, je pense, que ce soit à eux que s'appliquent ces passages empruntés à l'Ecriture, et cette sentence formulée parle concile.


37. Vous répondez: «Avec Prétextat et Félicianus, nous comptons beaucoup d'autres Maximiens qui, dans le délai fixé, ont fait leur soumission à l'Eglise». Cette réponse me vient eu aide, corrobore la vérité que j'avance et dissipe pleinement les obscurités que vous cherchiez à, entasser sur la question. En disant qu'ils rentrèrent dans l'Eglise n'assurez-vous pas qu'ils étaient hors de l'Eglise? D'un autre côté, il est certain qu'avant de rentrer, dans. l'Eglise, ils ont baptisé là où ils étaient; donc ils ont conféré le baptême hors de l'Eglise. Vous cherchez à sortir de cette impasse, mais vous ne faites que vous y enfoncer davantage. Ainsi vous (459) dites qu'on ne devait pas invalider leur baptême parce qu'ayant fait leur soumission dans le délai fixé, la sentence resta pour eux purement comminatoire». Comment dites-vous donc qu'avant le jour de leur soumission ils ne furent pas séparés de l'Eglise, puisque vous avouez d'un autre côté qu'ils furent réintégrés avant l'expiration du délai? Si nous sommes hommes, si nous sommes doués de quelque raison, de quelque sens commun, si nous ne. sommes pas des animaux parlant à des animaux, du bois;et des pierres parlant à du bois et à des pierres, vos paroles comme les miennes prouvent jusqu'à la dernière évidence que vos évêques n'ont pas osé invalider le baptême conféré dans le schisme sacrilège de Maximien, tandis que ces mêmes évêques' ne craignent pas de nier la qualité de chrétiens et de réitérer le baptême à des hommes qui ont été baptisés dans les Eglises que les Apôtres ont fondées avec la grâce de Dieu et au prix de leur sueur et de leur sang. Vous parlez, vous écrivez; écoutez donc vos paroles, lisez donc vos écrits. Vous dites, vous écrivez que «le concile lança une sentence de condamnation contre tous ceux qui avaient persévéré dans le schisme de Maximien». Vous dites, vous écrivez que «cette sentence fut rendue à l'unanimité, et que cependant on jugea convenable de fixer un délai pendant lequel quiconque voudrait se corriger serait réputé innocent». Vous dites, vous écrivez qu' «avec les deux évêques dont je cite les noms il y en eut un grand nombre d'autres, qui furent purifiés, déclarés innocents et réintégrés dans l'Eglise». Vous dites, vous écrivez que a le «baptême conféré par eux n'a pas dû être invalidé, parce qu'ils rentrèrent dans le délai fixé, et qu'ainsi la loi fut pour eux purement comminatoire».


38. D'où vient donc que, même dans un homme de coeur et d'esprit, une aussi mauvaise cause s'impose si cruellement à une aussi bonne intelligence? Ces évêques,contre lesquels la sentence de condamnation fut rendue parce qu'ils persévéraient, dites-vous, dans le schisme de Maximien, avant leur réintégration, célébraient nécessairement dans le schisme et y conféraient le baptême. Mais peut-être vaut-il mieux me servir des propres expressions du concile. Là, dit-il, «le fruit perfide d'une semence vénéneuse s'échauffait lentement à la chaleur»; là «ils engendraient les oeuvres criminelles de leur crime public et de leur parricide»; là «ils enfantaient l'injustice, concevaient le labeur et engendraient l'iniquité»; là, «sans que la multitude de leurs crimes eût produit la moindre confusion, le nom de chacun d'eux était voué au châtiment»; là, «tandis qu'on leur offrait la corde du salut et le lien de la miséricorde, la cause avait trouvé ceux qu'elle devait frapper»; là, «les flots de la vérité avaient jeté leurs membres en lambeaux contre les rochers arides, et le rivage était tout couvert de ces malheureux qui, comme autrefois les Egyptiens, périssaient tristement et ne trouvaient aucune sépulture (1)»; là, «Maximien, bourreau de la foi, adultère de la vérité, ennemi de l'Eglise sa mère, ministre de Dathan, Coré et Abinon, n'était pas seul frappé par la foudre sortie du sein de la paix, et condamné à la mort, trop juste châtiment de son crime; armé de la chaîne du sacrilège, il entraînait encore un grand nombre d'autres victimes dans le gouffre de son iniquité»; là, «leurs lèvres distillaient un venin d'aspic»; là, «leur bouche était pleine de malédiction et d'amertume»; là, «leurs pieds se portaient rapides à l'effusion du sang; là, «l'humiliation et l'infortune couvraient leurs voix, et ils ne connaissaient pas le chemin de la paix, la crainte de Dieu n'était pas devant leurs yeux (2)»; là, «gisaient leurs membres en lambeaux, en proie à une corruption tellement fétide et dangereuse, que le seul remède possible c'était de les séparer impitoyablement»; là, «on comptait comme coupables de ce crime fameux Victorien de Carcabianum», et beaucoup d'autres avec ces douze, au nombre desquels se trouvent Prétextat d'Assurium et Félician.us de Mustïtanum, dont la réintégration nous occupe en ce moment, et qui prirent part à l'ordination de Maximien, c'est-à-dire qu' «ils contribuèrent à former de leurs propres mains ce vase d'ignominie destiné à la pourriture et à la perdition». Là «aussi se trouvaient ces clercs de l'Eglise de Carthage, qui applaudirent à ce crime comme à l'inceste le plus criminel». Ce sont là tout autant de ministres des sacrements; peut-on douter qu'avant leur conversion, avant leur réintégration,


1. Ex 14,31 - 2. Ps 13,3

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ils aient baptisé dans le schisme de Maximien? Et cependant le baptême conféré par de tels ministres n'a pas été réitéré par vos évêques à ceux qui s'étaient repentis et qu'ils recevaient dans leurs rangs!

39. N'y aura-t-il donc que la haine qui puisse avoir sur vous quelque ascendant? Permettez à la vérité de se laisser voir et de se faire entendre. A l'occasion du délai accordé aux coupables, pourquoi entasser vainement de ridicules ténèbres? Ce délai, en effet, n'a pas été accordé à ceux dont on a dit: «Regardez-les comme réellement condamnés». Un peu plus haut on avait dit ce qu'ils étaient, ce qu'ils avaient fait, pourquoi on était obligé de les condamner sans répit: n'avaient-ils pas imposé les mains à Maximien? C'est là ce qu'ils exprimaient par cette formule: «De leurs propres mains ils ont criminellement formé ce vase de perdition». Quant à ceux qui n'avaient pas assisté à l'ordination de Maximien, on leur accorda un délai, quoiqu'ils fussent en communion avec lui et comme lui dans le schisme. La distinction entre les prélats consécrateurs et ceux qui étaient absents est clairement établie dans le décret. En effet, après avoir dit de ceux dont il avait décliné les noms: «Regardez-les comme réellement coupables», le décret ajoute: «Quant à ceux qui auraient rougi, pour leur foi, d'imposer les mains à Maximien, nous leur avons permis de rentrer dans le sein de l'Eglise». Se peut-il quelque chose de plus clair, de plus explicite, de plus évident? «Regardez», disent-ils, comme formellement condamnés ceux qui «n'ont pas craint de former de leurs propres mains ce vase de perdition et d'ignominie. Quant à ceux qui auraient rougi pour leur foi d'imposer les mains à Maximien, nous leur avons permis de rentrer dans le sein de l'Eglise». Et comme, dans la suite, deux de ces évêques condamnés ont été réintégrés dans leurs anciens honneurs, quel moyen peut-il y avoir de justifier cette mesure, si ce n'est de dire que le délai était offert à tous sans aucune distinction?

40. Admettons cette supposition purement gratuite. Il n'en est pas moins vrai que tous ceux qui ont quitté le schisme, avant d'y renoncer, y ont adhéré réellement, et pendant la durée de cette adhésion ont conféré le baptême. De là ils sont rentrés dans vos rangs sans rien perdre de leurs anciens honneurs, sans voir invalider les sacrements qu'ils avaient conférés; j'admets que cette réintégration ne vous fasse pas rougir, mais en tout cas elle vous condamne au plus honteux silence. Avant de rentrer dans l'Eglise, avant l'expiration du délai, où étaient-ils donc? Répondez; mais que pouvez-vous répondre? Les faits sont évidents, ils étaient dans le schisme de Maximien, et c'est contre tous les fauteurs de ce schisme qu'a été rendue la terrible sentence. Ils ont donc baptisé pendant ce schisme, et ce baptême par eux conféré, vous n'avez pal osé l'invalider dans la personne de ceux qui sont rentrés dans vos rangs; ne l'ayant pas invalidé, vous l'avez donc reconnu comme étant réellement le baptême de Jésus-Christ. D'où il suit que votre conduite et vos oeuvres donnent le droit de conclure que le baptême conféré hors de l'Eglise n'en reste pas moins le baptême de Jésus-Christ. Telle est la doctrine que nous observons pieusement à votre égard; pourquoi poussez-vous donc l'impiété jusqu'à prononcer la nullité du baptême dans tous ceux qui nous sont restés fidèles?


41. Peut-être regrettez-vous ces paroles qui portent avec elles votre condamnation! En disant qu' «ils rentrèrent dans le sein de l'Eglise, et qu'en faisant leur soumission avant le jour fixé ils ont rendu pour eux la sentence purement comminatoire», vous vous attirez vous-même cette réponse: Comment ont-ils pu rentrer dans l'Eglise et y être réintégrés, s'ils n'en sont pas sortis? Et s'ils en étaient sortis, comment baptisaient-ils? Contre de semblables faits vous n'avez, je crois, d'autre réponse que celle qui vous a été suggérée par ceux que vous avez consultés, quand l'émotion s'est emparée de vous à la lecture de ma lettre; et peut-être même qu'ils vous blâment réellement et vous reprochent l'imprudence de vos paroles. Mais il vous reste une protection puissante contre le danger, et une consolation dans votre tristesse. En effet, dans la rédaction de leur décret, ils se sont exprimés comme vous l'avez fait. Il suit de là que si, après avoir lu notre opuscule, ils nous répondaient que les paroles d'un laïque ne font pas autorité en cette matière, nous leur rappellerions textuellement leurs propres paroles. «Quant à ceux», disent-ils, «qui par respect pour leur foi n'ont pas imposé les (461) mains à Maximien, nous leur avons permis de rentrer dans le sein de l'Église notre mère». Il suffit donc de leur demander où étaient ceux à qui ils ont permis de rentrer dans l'Église, pour qu'on les jette dans l'embarras par leurs propres aveux, comme on vous y a jeté vous-même. Où peuvent-ils dire qu'étaient ces évêques, si ce n'est dans le schisme de Maximien? Du reste, qu'ils les placent où ils voudront; toujours est-il que ceux à qui ils ont permis de rentrer dans l'Église n'y étaient assurément pas. Ils ont donc baptisé hors de l'Église; et quand tous, baptiseurs et baptisés, rentrèrent dans l'Église, les premiers ne perdirent aucun de leurs anciens honneurs, ni les autres le baptême qu'ils avaient reçu hors de l'Église.


42. Dans ce qui vous regarde, malgré la cause mauvaise que vous aviez à soutenir, vous avez fait preuve d'habileté, quand vous avez dit: «Le concile cependant crut devoir offrir un délai, pendant lequel quiconque voudrait se corriger serait réputé innocent.» Vos évêques en statuant ce délai n'avaient pas précisément en, vue la correction des coupables; ils l'offraient uniquement à ceux qui étaient restés purs et innocents dans la secte de Maximien. C'est là du moins ce qui ressort clairement de ces paroles: «Quant à ceux que les rejetons du sacrilège n'ont pas souillés, nous leur avons permis de rentrer dans le sein de l'Église notre mère». Ils vont plus loin encore et ajoutent: «Plus nous tenons à nous purifier de la mort des coupables, plus nous nous félicitons du retour des innocents». Puisque vous voyez que le délai n'est octroyé qu'en faveur des innocents, pourquoi donc osez-vous dire: «On crut convenable de fixer un délai, pendant lequel quiconque voudrait se corriger serait réputé innocent?» Peut-être craigniez-vous qu'on ne vous répondît Pourquoi offrir un délai à ceux que Maximien n'avait pas souillés par ses erreurs? Pour prévenir cette objection, vous supposez que ceux à qui on offre ce délai ont tous besoin de conversion. De leur côté vos évêques ont craint qu'on ne leur dit. Pourquoi avez-vous consenti à recevoir des hommes qui s'étaient souillés dans les honneurs dont ils jouissaient? C'est pour prévenir cette objection qu'ils ont dit avoir offert un délai à ceux qui jusque-là ne s'étaient pas encore rendus coupables.


43. Ainsi des craintes se présentaient des deux côtés; mais en voulant échapper aux unes, vous êtes devenus la proie des autres. Comment parlez-vous de la nécessité de se corriger à des hommes que vos évêques déclarent innocents? D'un autre côté, on peut dire à vos évêques: Comment déclarez-vous innocents des hommes qui, sans doute, n'ont pas imposé les mains à Maximien, mais qui se sont souillés en participant à son schisme? Quel esprit, quelles forces, quelle langue pourraient suffire à décrire cette intolérable douleur? Quoi! la secte des Donatiens, déchirée par les schismes, pourra se reconstituer! Maximien, au sein même de l'Afrique, ne souille pas ses sectaires africains! Et pour empêcher que les rameaux brisés ne puissent rentrer dans l'unité, on soutient que de Carthage Cécilianus souille les nations les plus lointaines!


44. Depuis le jour du concile deBagaïum, c'est-à-dire depuis le huit des calendes de mai jusqu'à l'expiration du délai, c'est-à-dire jusqu'au huit des calendes de janvier, nous comptons huit mois. Pendant ce long intervalle, ou bien ceux à qui ce délai était offert se souillaient par leur communion avec Maximien personnellement condamné, ou bien ils ne se souillaient pas. S'ils se souillaient, comment a-t-on pu dire: «Quant à ceux que les rameaux du sacrilège n'ont pas souillés, nous leur avons permis de rentrer dans le sein de l'Église notre mère?» S'ils ne se souillaient pas, comment admettre que toutes les nations chrétiennes aient pu être souillées par la contagion des péchés d'autrui, péchés qu'elles ne connaissaient pas, pour ne pas dire qu'ils étaient faux? «Mais», dit le concile, «après l'expiration du délai, ceux qui n'auraient pas fait leur soumission seraient souillés et encourraient leur condamnation». Ce qui les souillait, ce n'est donc pas le crime du schisme, mais la fixation même du délai; à cette condition il suffisait de ne déterminer aucun jour, pour les empêcher de se souiller à tout jamais. En quoi donc l'univers a-t-il si fortement démérité à vos yeux? Pourquoi le regardez-vous comme souillé de péchés qu'il n'a pas commis, quand vous ne lui avez fixé aucun délai? D'où vous vient cette puissance étonnante qui vous permet d'autoriser les hommes à s'associer aux pécheurs quand ils veulent, et de les déclarer (462) souillés par ce contact, quand c'est votre bon plaisir? On devait regarder comme innocents et sans tache ceux à qui l'on fixait un délai dans le schisme de Maximien; et si, avant l'expiration de ce délai, ils rentraient dans vos rangs, ils recouvraient la foi et leurs premiers honneurs. Au contraire, passé ce délai, s'ils n'avaient pas fait leur soumission, on les regardait comme autant de criminels, dé scélérats, pour lesquels le supplice de la condamnation paraissait trop léger, et qu'on devait humilier dans toutes les rigueurs de la pénitence. O dégradation étonnante de ces hommes qui ne se contentent plus de dire, selon l'ancien proverbe: «Ce que nous voulons est saint»; mais qui osent affirmer: Cela est saint quand nous le voulons, et tout le temps que nous le voulons! Qu'il arrive à l'un des vôtres de prier avec nous sur un vaisseau, aussitôt il est souillé, aussitôt il est appelé du nom de traître. Les condamnateurs de Primianus communiquent à l'autel avec Maximien, l'adultère de la vérité, l'ennemi de l'Eglise sa mère, le ministre de Dathan, Coré et Abiron, et pendant huit mois ils restent, en cet état, parfaitement purs et innocents. Supposé que le neuvième jour des calendes de janvier quelques-uns d'entre eux soient passés dans vos rangs, aussitôt grande joie parmi vous, sur le retour de ces innocents que les rameaux du sacrilège n'ont pas souillés. A quoi vous ont servi ces huit mois, depuis le huitième jour des calendes de mai jusqu'au huitième des calendes de janvier? pouvait-on mieux les sanctifier qu'en déclarant purs et innocents tous ceux qui pendant ce temps adhéreraient à la communion de Maximien visiblement sacrilège et solennellement condamné? En quoi donc le saint jour de la naissance du .Sauveur, peut-il vous irriter, au point que sa, présence seule suffise pour souiller des innocents? Comment peut-il se faire que le baptême conféré dans le schisme, pendant ces huit mois, soit resté le saint baptême de Jésus-Christ, et qu'il devienne tout à coup invalide et impur par l'arrivée du jour de Noël?



Augustin contre Cresconius - L'AFFAIRE DES MAXIMIENS