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CHAPITRE 25,APPARITIONS DE JÉSUS RESSUSCITÉ.


70. Il nous faut maintenant étudier les diverses apparitions du Sauveur à ses disciples, après la résurrection, pour faire ressortir l'accord qui existe non-seulement entre les Evangélistes (1), mais encore entre les Evangiles et saint Paul, qui s'exprime ainsi à ce sujet, dans sa première épître aux Corinthiens: "Je vous ai rapporté tout d'abord ce que j'avais appris, savoir, que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures; qu'il a été enseveli et que selon les Ecritures encore, le troisième jour il est ressuscité; qu'il apparut ensuite à Pierre, puis aux douze et ensuite à plus de cinq cents frères dont le plus grand nombre est encore sur la terre, et dont quelques-uns se sont endormis; il apparut plus tard à Jacques, puis à tous les apôtres; enfin il m'apparut à moi-même, qui ne suis au milieu d'eux que comme un avorton (2)." Cet ordre d'apparitions n'est observé par aucun évangéliste; nous devons donc examiner si l'ordre qu'ils ont suivi est en contradiction avec celui de saint Paul. Il est certain, d'abord, que saint Paul n'a pas tout dit; les évangélistes n'ont pas tout raconté non plus; nous allons voir seulement si dans ce que les uns et les autres ont dit, on ne peut surprendre aucune contradiction.
Saint Luc est le seul des évangélistes qui garde le silence. sur les apparitions du Sauveur aux saintes femmes, il ne parle que de l'apparition des anges. Saint Matthieu dit que Jésus leur apparut au moment.où elles revenaient du sépulcre;

1 Mt 28 Mc 16 Lc 24 Jn 20,21- 3 1Co 15,3-8.

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saint Mc comme saint Jn rapporte que le Seigneur se montra d'abord à Marie-Magdeleine, mais il ne décrit pas cette apparition que nous ne trouvons détaillée que dans saint Jean. Non-seulement saint Luc ne nous dit pas que Jésus se montra aux saintes femmes, mais en nous rapportant la conversation qu'eurent avec Jésus les deux disciples d'Emmaüs, dont l'un s'appelait Cléophas, il laisse supposer que les femmes n'avaient vu que les anges. "Ce jour là même, dit-il, deux d'entre eux s'en allaient à un bourg, nommé Emmaüs, éloigné de soixante stades de Jérusalem. Et ils parlaient ensemble de tout ce qui s'était passé. Or il arriva que pendant leur entretien, Jésus lui-même les joignit et se mit à marcher avec eux, mais leurs yeux étaient retenus, en sorte qu'ils ne pouvaient le reconnaître. Et il leur dit: De quoi vous entretenez-vous ainsi, en marchant, et d'où vient que vous êtes tristes? L'un deux nommé Cléophas, lui répondit: Etes-vous seul si étranger dans Jérusalem, que vous ne sachiez pas ce qui s'y est passé ces jours-ci? Quoi donc? leur dit-il. Ils répondirent: Relativement à Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant en oeuvres et en paroles, devant Dieu et devant tout le peuple, et de quelle manière les princes des prêtres et les anciens l'ont livré, pour être condamné à mort, et l'ont crucifié. Cependant nous espérions que ce serait lui qui rachèterait Israël; et après tout cela néanmoins, voici le troisième jour que ces choses se sont passées. Il est vrai que quelques femmes de celles qui étaient avec nous, nous ont effrayés; car étant allées dès le grand matin à son sépulcre et n'y ayant point trouvé son corps, elles sont venues dire qu'elles avaient vu même des anges qui disaient qu'il est vivant. Et quelques uns des nôtres, étant aussi allés au sépulcre, ont trouvé toutes ces choses comme les femmes les avaient rapportées, mais pour lui ils ne l'ont point vu." Voilà, selon saint Lc comment ils racontent les événements, c'est-à-dire selon que leur mémoire a pu leur rappeler ce qu'avaient rapporté les femmes ou les disciples qui avaient couru au sépulcre en apprenant que le corps de Jésus avait disparu. Saint Luc ne cite même que saint Pierre qui ait couru au tombeau: il nous le représente se courbant à l'entrée du sépulcre, n'y voyant plus que les linceuls, et s'en retournant tout préoccupé de ce qui s'était passé. Saint Luc nous raconte ce fait de saint Pierre, avant de parler de l'apparition aux disciples d'Emmaüs, et après avoir rapporté l'histoire des saintes femmes, qui avaient vu les anges et qui en avaient appris que Jésus était ressuscité; mais il ne faut voir ici qu'une sorte de récapitulation de la part de saint Lc au sujet de saint Pierre. En effet, Pierre courut au tombeau avec.saint Jn aussitôt qu'ils apprirent des saintes femmes, et surtout de Marie-Magdeleine, que le corps avait été enlevé; or elle vint le leur annoncer aussitôt qu'elle eut aperçu que la pierre ne fermait plus le tombeau; ce n'est qu'après cela qu'eut lieu la vision des anges et la double apparition du Sauveur aux femmes, la première quand elles étaient auprès du tombeau et la secondé au moment où elles retournaient à Jérusalem. Tout cela se passa avant l'événement des disciples d'Emmaüs,dont l'un était Cléophas. En effet Cléophas, s'adressant à Jésus, qu'il ne reconnaissait point, ne dit pasque Pierre alla au sépulcre, mais: "Quelques-uns des nôtres se sont rendus au tombeau et ont reconnu la vérité de ce que les femmes avaient dit." Ce n'est donc que par forme de récapitulation qu'il rapporte ce que les femmes avaient annoncé à Pierre et à Jean sur l'enlèvement du corps de Jésus.
Ainsi donc saint Luc nous dit d'abord que saint Pierre courut au sépulcre, puis il fait dire à Cléophas que quelques-uns d'entre eux étaient allés au tombeau, évidemment c'est de saint Jean qu'il est ici question; saint Pierre avait été nommé seul la première fois, uniquement parce que c'était d'abord à lui que Magdeleine avait annoncé ce qu'elle avait vu. D'un autre côté saint Luc ne dit pas que Pierre soit entré dans le tombeau; il se contente de dire qu'il s'inclina, aperçut les linceuls et s'en retourna, en proie à un grand étonnement. Saint Jn au contraire, dit du disciple bien-aimé ou de lui-même, qu'il n'entra pas d'abord; mais qu'il se courba et vit les linceuls pliés; pendant ce temps, Pierre arrivait, regardait, entrait ensuite et était suivi du disciple bien-aimé. Ainsi nous devons conclure que Pierre, à son arrivée, regarda d'abord, comme l'affirme saint Lc saint Jean n'en disant rien, ensuite il entra, mais il entra avant saint Jean; de cette manière tout se concilie parfaitement.

71. En admettant que les femmes eurent les premières l'honneur de voir et d'entendre Jésus, on peut ainsi, d'après les évangélistes et d'après (239) saint Paul, établir l'ordre des apparitions aux disciples. Le, contexte de tous ces auteurs prouve que le Sauveur apparut d'abord à Pierre. Qui néanmoins oserait avancer ou nier en face du silence de l'Ecriture, qu'un autre que Pierre eut la préférence? Saint Paul ne dit pas: Jésus. apparut d'abord, mais: "Jésus apparut à Pierre, ensuite aux douze et enfin à plus de cinq cents de nos frères en même temps." L'Apôtre ne dit ni quels étaient les onze auxquels il apparut, ni quels étaient ces cinq cents. Il peut se faire que ces douze ont été du nombre des disciples, je ne sais lesquels, car les apôtres n'étaient plus douze, mais onze; aussi quelques exemplaires ne portent que le chiffre onze; ce que j'explique assez facilement en supposant que les copistes se souvenant. que la mort de Judas réduisait à onze 1e nombre des disciples, auront corrigé dans ce sens le texte primitif. Cependant, soit que les véritables exemplaires soient ceux qui écrivent onze, soit que saint Paul ait voulu désigner par ce nombre de douze des disciples différents des Apôtres, ou même ces onze apôtres par le nombre de douze, car le nombre douze était pour eux si sacré et si mystérieux qu'il fallut pour eu conserver la signification profonde, le compléter par l'élection de saint Matthias, en remplacement de Judas (1); toujours est-il que l'on ne peut signaler entre tous ces textes aucune contradiction réelle. Disons néanmoins qu'il est assez probable que Jésus apparut d'abord à Pierre, puis aux deux disciples d'Emmaüs dont l'un s'appelait Cléophas, et dont nous a parlé saint Lc et auxquels saint Mc fait allusion dans les paroles suivantes: "Après cela il apparut dans une autre forme à deux d'entre eux qui se dirigeaient vers une villa." Rien n'empêche, en effet, de désigner le bourg sous le nom de villa ou maison des chamPs N'est-ce pas sous ce nom que l'on désigne aujourd'hui Bethléem qui autrefois portait le nom de cité? et cependant jamais Bethléem ne fut entourée d'autant de gloire et de renommée que depuis la naissance du Messie, dont le nom est si hautement célébré dans toutes les Eglises. Les exemplaires grecs emploient plutôt le nom de champ que le nom de villa; or ce mot champ désigne non-seulement les châteaux ou maisons détachées, mais aussi les municipes et les colonies, situées en dehors de la ville, qui en est comme le chef et la mère, d'où lui vient le nom de métropole.

1 Ac 2,26.

72. Saint Mc nous dit que Jésus apparut sous une autre forme aux deux disciples; saint Luc a exprimé la même pensée en disant que leurs yeux étaient retenus pour qu'ils ne le reconnussent pas. En effet, quelque chose était venu affecter leurs yeux et y resta jusqu'à la fraction du pain, en sorte que, jusqu'à ce moment, ils ne virent le Sauveur que sous une forme étrangère qui disparut à la fraction du pain, comme le rapporte saint Luc. C'était par une sorte d'aveuglement d'esprit qu'ils ignoraient qu'il fallait que le Christ mourût et ressuscitât; et pour ce motif quelque chose de semblable affecta leurs yeux et les rendit incapables de découvrir la vérité; ce n'était pas la vérité qui les trompait, c'était eux qui voyaient autre chose que ce qui était. De même que personne ne se flatte de connaître Jésus-Christ, s'il ne participe pas à son corps, c'est-à-dire à l'Eglise dont l'unité nous est figurée dans le sacrement du pain, d'après ce témoignage de l'Apôtre: "Tout nombreux que nous soyons, nous sommes un seul pain, un seul corps (1)." Aussi, c'est quand Jésus leur présenta le pain consacré, que leurs yeux s'ouvrirent et qu'ils le reconnurent; ils s'ouvrirent à sa connaissance, parce que l'obstacle qui les empêchait de le reconnaître, disparut aussitôt. Ils ne marchaient pas les yeux fermés, mais quelque chose les empêchait de reconnaître ce qu'ils voyaient: un brouillard ou une humeur produisent d'ordinaire des effets semblables. Je ne veux pas dire cependant que le Seigneur ne pouvait pas transformer son corps et se revêtir d'un autre extérieur que celui sous lequel ils avaient coutume de le contempler; avant sa passion, il s'était ainsi transformé, et son visage brillait de tout l'éclat du soleil (2). Celui qui a le pouvoir de changer l'eau en vin ne pouvait-il pas faire d'un corps véritable un autre corps véritable (3)? Mais ce n'est pas ce changement que le Sauveur avait opéré, en apparaissant d'une autre manière aux deux disciples. Comme leurs yeux étaient retenus, afin qu'ils ne le reconnussent pas, il ne leur apparut pas réellement ce qu'il était. Rien n'empêche d'admettre que ce fut le démon lui-même qui plaça devant leurs yeux un obstacle qui les empêcha de reconnaître Jésus; mais le Sauveur ne le permit que jusqu'à la fraction du pain sacramentel; aussitôt qu'on a participé à l'unité de son corps, tout obstacle ennemi doit disparaître et on peut reconnaître Jésus.

1 1Co 10,17. - 2 Mt 17,2. - 3 Jn 2,7-11.

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73. Nous devons regarder les deux disciples dont parle saint Mc comme étant les deux disciples d'Emmaüs; cet auteur en effet ajoute qu'ils allèrent aussitôt raconter à leurs frères ce qu'ils avaient vu; comme saint Luc rapporte de son côté qu'ils se levèrent aussitôt, rentrèrent à Jérusalem, et trouvèrent les onze réunis et les autres qui étaient avec eux, disant que le Seigneur était ressuscité, et qu'il avait apparu à Pierre; ils racontèrent de leur côté ce qui leur était arrivé en route et comment ils avaient.reconnu Jésus à la fraction du. pain. En ce moment donc, il n'était plus question que de la résurrection, qu'attestaient les saintes femmes ainsi que Pierre qui avait déjà eu le bonheur de voir Jésus; et c'est de cela qu'ils s'entretenaient tous, quand arrivèrent au milieu d'eux les deux disciples d'Emmaüs. Il peut se faire que retentis par la crainte, ils n'aient pas osé avouer, dans leur voyage, qu'ils avaient appris que Jésus était ressuscité, et se contentèrent de dire que les femmes avaient vu des anges; comme ils ne connaissaient pas celui qui s'entretenait ainsi avec eux, le long du chemin, ils pouvaient craindre d'avoir affaire à un ennemi, et de tomber entre les mains des Juifs s'ils proclamaient hautement la résurrection de Jésus-Christ. Saint Mc ajoute: "Ils vinrent l'annoncer aux autres, quine les crurent pas;" de son côté, saint Luc fait entendre que les disciples réunis s'entretenaient de la résurrection de Jésus et de son apparition à Pierre; pour dissiper toute apparence de contradiction entre ces deux textes, il suffit de dire que dans la foule des disciples quelques-uns refusèrent de croire. 2 n'est pas moins évident, que saint Mc a omis de parler de la conversation, que le Sauveur engagea avec les deux disciples le long du chemin, et de la manière dont ils le reconnurent à la fraction du pain. Il n'y a là qu'une omission, car immédiatement après avoir rapporté qu'il apparut sous une autre forme à deux d'entre eux, qui allaient à une maison des champs, l'auteur ajoute: "Et ils vinrent le dire aux autres, quine les crurent pas." Or pouvaient-ils annoncer un homme qu'ils n'avaient pas connu, ou pouvaient-ils reconnaître un homme sous une autre forme Saint Mc a donc omis de nous dire comment ils étaient arrivés à le connaître. Et ceci est d'autant plus important à remarquer, que nous avons besoin d'admettre que les Evangélistes sont réellement dans l'usage de passer ainsi sous silence une multitude de détails, et de continuer sans aucune autre transition, leur récit, en sorte qu'il suffit de méconnaître cet usage pour s'exposer à voir des contradictions là où il n'y en a aucune.

74. Saint Luc continue: "Pendant qu'ils parlaient ainsi, Jésus se présenta debout au milieu d'eux et leur dit: La paix soit avec vous, c'est moi, ne craignez pas. Ils furent tout troublés et effrayés et croyaient voir un fantôme. Jésus leur dit: Pourquoi vous troublez-vous et pourquoi ces pensées montent-elles dans votre coeur? Voyez mes mains et mes pieds et reconnaissez que c'est bien moi: palpez et voyez, un esprit n'a ni chair ni os, comme vous m'en voyez. Après avoir dit ces paroles, il leur montra ses mains et ses pieds." C'est à cette apparition du Sauveur après sa résurrection que nous devons rapporter les paroles suivantes de saint Jean: "Le soir du premier jour de la semaine étant venu, les portes de la salle où les disciples étaient réunis avaient été fermées parce qu'on craignait les Juifs; Jésus se présenta, se tint de bout au milieu d'eux, et leur dit: La paix soit avec vous. Et après avoir ainsi parlé il leur montra ses mains et son côté." A ces paroles de saint Jean on peut ajouter ce que dit ensuite saint Lc quoique saint Jean n'en parle pas: "Mais comme ils ne croyaient, point encore, tant ils étaient transportés de joie et d'admiration, il leur dit Avez-vous là quelque chose à manger? Ils lui présentèrent un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Après qu'il eut mangé devant eux, prenant les restes il les leur donna." Il faut ajouter ici avec saint Jean: "La vue du Seigneur remplit les disciples d'une grande joie. Jésus leur dit de nouveau: La paix soit avec vous: comme mon Père m'a envoyé je vous envoie. Ayant dit ces paroles, il souffla sur eux et ajouta: Recevez le Saint-Esprit: les péchés seront remis à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à qui vous les retiendrez." Continuons avec saint Luc: "Il leur dit encore: Voilà ce que je vous disais, étant encore avec vous, qu'il fallait que tout ce qui a été écrit de moi, dans les psaumes, s'accomplit. Alors il leur ouvrit l'esprit, afin qu'ils entendissent les Ecritures, et il leur dit: Il est ainsi écrit et il fallait que le Christ souffrit de la sorte, qu'il ressuscitât le troisième jour et qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés, parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem. Or vous êtes témoins de ces choses. Et (241) je vais vous envoyer le don que mon Père vous a promis; cependant tenez-vous dans la ville, jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut." C'est ainsi que saint Luc mentionne la promesse du Saint-Esprit, que nous ne trouvons faite par le Seigneur que dans l'Evangile de saint Jean (1). Ceci nous prouve de nouveau que les Evangélistes s'appuyent l'un l'autre, même dans ce qu'ils ne disent pas personnellement, quoiqu'ils sachent que telle parole a été dite, ou telle action faite. Saint Luc ne dit plus rien des apparitions du Sauveur, il transporte subitement son récit à l'ascension de Jésus au ciel. Et cependant ce récit continue sans aucune suspension, quoiqu'il sût fort bien que ce qu'il venait de raconter s'était passé le jour même de la résurrection et que l'ascension n'eut lieu que quarante jours après, comme il l'atteste lui-même dans le livre des Actes 9. Quant à saint Jn il nous rapporte que Thomas n'était pas avec les autres, à cette apparition du Sauveur, et saint Luc nous avait dit qu'à leur retour à Jérusalem, les deux disciples d'Emmaüs avaient trouvé réunis les onze et ceux qui étaient avec eux. Il faut en conclure que Thomas sortit avant que se montrât le Sauveur.

75. Saint Jean nous décrit ensuite une autre apparition du Sauveur à ses disciples. Elle eut lieu huit jours après, et cette fois Thomas était présent: "Huit jours après, dit-il, les disciples étaient de nouveau enfermés et Thomas avec eux. Jésus apparut, les portes étant closes, se tint au milieu d'eux, et leur dit: La paix soit avec vous. Il dit ensuite à Thomas: Avance ton doigt ici, et vois mes mains; avance ta main et plonge-la dans mon côté, et ne sois point incrédule, mais fidèle. Thomas lui répondit: Mon Seigneur et mon Dieu! Jésus lui dit Parce que tu m'as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru." Cette apparition, que saint Jean nous présente comme étant la seconde du Sauveur, se trouverait brièvement rapportée par saint Mc quand il dit, avec sa: concision ordinaire: "Comme les onze étaient à table, Jésus leur apparut une dernière fois." Sans doute saint Jean ne dit pas que les disciples étaient à table, mais il a pu omettre cette circonstance. Quant au mot: "Une dernière fois" ce qui supposerait que le Sauveur ne leur apparut plus, doit-il nous empêcher de

1 Jn 14,26 Jn 15,26. - 2 Ac 1,2-9.

rapporter cette apparition à la seconde de saint Jn qui en décrit une troisième auprès de la mer de Tibériade? Du reste saint Mc ajoute Il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur coeur, par ce qu'ils n'avaient point cru au témoignage de ceux qui l'avaient vu ressuscité." Il s'agit ici du témoignage des deux disciples d'Emmaüs, de Pierre à qui le Sauveur apparut d'abord, selon saint Lc et peut-être aussi de celui de Marie-Magdeleine et des autres femmes qui étaient avec elle quand elles virent le Sauveur auprès du tombeau et pendant leur retour à Jérusalem. Enfin l'auteur unit étroitement ce récit à ce qu'il vient de dire des disciples d'Emmaüs: "En dernier lieu, dit-il, il apparut aux onze lorsqu'ils étaient à table. Il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur coeur, parce qu'ils n'avaient point cru au témoignage de ceux qui l'avaient vu ressuscité." Ce mot: "en dernier lieu," ne doit pas s'appliquer à une dernière apparition; car la dernière apparition eut lieu seulement quarante jours après la résurrection, le jour même de l'ascension. Ce jour là le Sauveur devait-il leur reprocher de n'avoir pas cru au témoignage de ceux qui l'avaient vu ressuscité, quand ils l'avaient vu eux-mêmes si souvent depuis, quanti ils l'avaient vu surtout le soir même du jour de la résurrection, le premier jour de la semaine, comme saint Luc et saint Jean nous -l'attestent? Par conséquent, c'est le jour même de la résurrection ou le premier jour de la semaine, le jour où Marie-Magdeleine et les autres femmes virent le Sauveur de grand matin; le jour où le virent saint Pierre d'abord, puis les deux disciples d'Emmaüs dont semble parler saint Mc enfin vers le soir les onze, excepté Thomas, et ceux qui étaient réunis avec eux quand ces disciples leur racontaient ce qu'ils avaient vu, que Saint Mc a voulu désigner brièvement à son ordinaire, dans les paroles que nous examinons. Ce mot employé par lui: "en dernier lieu," signifie seulement que ce fut là le dernier événement du jour, et que la nuit commençait déjà, ce qui suivit d'assez près le retour des disciples d'Emmaüs. Ceux-ci, en rentrant à Jérusalem, trouvèrent les disciples réunis et s'entretenant de la résurrection et de l'apparition faite à Pierre; ils racontèrent eux-mêmes avec empressement ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils avaient reconnu Jésus à la fraction du pain. Malgré tous ces témoignages il s'en trouvait encore qui refusaient de croire, et de (242) là ce mot de saint Mare: "Ils ne le crurent pas." C'est alors qu'eut lieu la dernière apparition du jour; les disciples étaient à table, d'après saint Mc ils s'entretenaient entre eux, nous dit saint Luc; le Sauveur se tint de bout au milieu d'eux et leur dit: La paix soit avec vous, disent également saint Luc et saint Jean; de plus les portes étaient fermées, c'est saint Jean seul qui nous en fait la remarque. Aux paroles que nous avons citées de saint Luc et de saint Jn il faut donc joindre encore les reproches que leur attira, selon saint Mc le refus qu'ils firent de croire au témoignage de ceux qui avaient vu Jésus ressuscité.

76. Mais voici une nouvelle difficulté. Comment saint Mc peut-il dire que le Sauveur apparut aux onze apôtres, quand ils étaient à table, si cette apparition se confond avec celle dont parlent saint Luc et saint Jean. et qui eut lieu le soir du jour de la résurrection? En effet, saint Jean dit clairement qu'au moment de cette apparition Thomas était absent; et en réalité nous croyons qu'il quitta ses frères après l'arrivée des deux disciples d'Emmaüs, et avant l'apparition de Jésus-Christ. Saint Luc dans sa narration laisse croire, de même, que Thomas était parti, pendant que les deux disciples parlaient, et avant que le Sauveur entrât. Et voici saint Mc qui affirme qu'en dernier lieu Jésus apparut aux onze réunis à table, ce qui nous force de conclure que Thomas était avec eux. A cela on peut d'abord répondre que malgré cette précision du nombre onze, on peut admettre l'absence de saint Thomas, parce que ce nombre était alors la dénomination reçue pour désigner le collège apostolique, avant l'élection de saint Matthias en remplacement de Judas. Si cette interprétation parait forcée, regardons cette apparition dont parle saint Mc comme ayant eu lieu, après une multitude d'autres, le quarantième jour qui suivit la résurrection. Comme alors le Sauveur était sur le point de monter au ciel, il saisit l'occasion pour adresser publiquement un reproche d'incrédulité à ceux qui avaient refusé de croire à sa résurrection avant de l'avoir vu ressuscité; et pour rendre ce reproche encore plus vif, il leur annonce: que quand ils prêcheront l'Évangile, ils verront les nations croire sans avoir vu. Et en effet, le reproche est immédiatement suivi de ces paroles: "Et Jésus leur dit: Allez par tout le monde, prêchez l'Évangile à toute créature; celui qui croira et sera baptisé sera sauvé; mais celui qui ne croira pas sera condamné." Bientôt ils vont prêcher que celui qui ne croira pas sera condamné, même en refusant de croire ce qu'il n'a pas vu; comment d'abord ne pas leur reprocher à eux-mêmes, d'avoir refusé de croire au témoignage de ceux qui avaient vu le Seigneur, avant de l'avoir vu?

77. Ce qui nous détermine encore à croire que cette apparition de saint Mc a été réellement la dernière apparition corporelle de Jésus, ce sont les paroles dont saint Mc la fait suivre: "Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru: ils chasseront les démons en mon nom; ils parleront de nouvelles langues; ils enlèveront les serpents, et s'ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal; ils imposeront les mains sur les malades, et ceux-ci seront guéris." L'Évangéliste ajoute immédiatement: "Et le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, "fut élevé au ciel, où il est assis à la droite de Dieu. Et eux, étant partis, prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux et confirmant sa parole par les miracles qui l'accompagnaient." En disant: "Et le Seigneur Jésus, "après leur avoir parlé, fut élevé au ciel," l'évangéliste veut-il nous faire entendre que ce fut là le dernier discours qu'il leur adressa sur la terre? C'est plus naturel de le croire; cependant rien ne force absolument à tirer cette conclusion. En effet, l'auteur ne dit pas: Après que Jésus leur eut ainsi parlé; mais seulement: "Après qu'il leur eut parlé." Si la nécessité y contraignait, on pourrait donc encore, malgré ces paroles, croire que ce ne fut pas là le dernier entretien du Sauveur, ni le dernier jour qu'il passa sur la terre; l'Évangile, par ces expressions: "Après qu'il leur eut parlé," aurait seulement fait allusion à tous les entretiens qu'eut Jésus avec ses disciples pendant ces quarante jours. Mais nous avons dit précédemment que la clarté avec laquelle saint Mc suppose la présence de saint Thomas à cette apparition et à cet entretien, nous amène à conclure qu'il est vraiment question ici des derniers moments que le Sauveur passa sur la terre. C'est donc après ces paroles et les autres détails, que nous rapportent les Actes des Apôtres (1), que le Sauveur monta au ciel, le quarantième jour qui suivit sa résurrection.

78. Saint Jn tout en avouant qu'il a

1 Ac 1,4-8.

243

passé sous silence un grand nombre des actions de Jésus, nous décrit cependant une troisième apparition du Sauveur à ses disciples; auprès de la mer de Tibériade. Ces disciples étaient au nombre de sept: Pierre, Thomas, Nathanaël, les fils de Zébédée et deux autres qui ne font pas désignés parleur nom et qui étaient aussi occupés à pêcher. D'après son ordre, ils jetèrent les filets sur la droite et retirèrent cent-cinquante trois grands poissons; c'est dans cette circonstance aussi qu'il fut trois fois demandé à Pierre s'il aimait son Maître et que, sur sa réponse affirmative, il lui fut dit de paître les agneaux et les brebis; Jésus lui prédit aussi son martyre et dit de saint Jean: "Je veux qu'il reste ainsi jusqu'à ce que je vienne." C'est par là que saint Jean termine son Évangile.

79. Il nous reste encore à rechercher à quel moment Jésus se montra pour la première fois en Galilée à ses disciples. En effet cette troisième apparition racontée par saint Jean eut lieu en Galilée, comme on le voit facilement par le récit du miracle des cinq pains, que saint Jean commence par ces paroles: "Après cela Jésus c se rendit au delà de la mer de Galilée ou la mer de Tibériade (1)." Il est certain que c'est en Galilée que l'on s'attend à voir le Sauveur apparaître tout d'abord à ses disciples, surtout si l'on se rappelle les paroles adressées par l'ange aux femmes venues au sépulcre. Voici le texte de saint Matthieu: "Pour vous, ne craignez pas, car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié; il n'est point ici, il est ressuscité, comme il l'avait dit; venez donc et voyez le lieu où le Seigneur avait été placé. Puis allez et dites à ses disciples qu'il est ressuscité, et voici qu'il vous précède en Galilée, c'est là que vous le verrez, je l'assure." Saint Mc nous montre le même Ange ou un autre disant également: ".Ne craignez rien; vous cherchez Jésus de Nazareth, crucifié; il est ressuscité, il n'est point ici; "voici le lieu où ils l'ont placé. Allez donc et dites à ses disciples. et à Pierre, qu'il vous précède en Galilée; vous l'y verrez, comme il vous l'a annoncé." La teneur de ces paroles semble devoir nous faire conclure, qu'après sa résurrection, le Sauveur ne devait apparaître à ses disciples, qu'en Galilée. Mais le contraire nous est attesté d'abord par saint Mc lui-même, d'après le récit duquel Jésus apparut à Marie-Magdeleine,

1, Jn 6,1.

de grand matin, le premier jour de la semaine; elle raconta cette apparition aux disciples et à tous ceux qui, comme eux, étaient livrés à la tristesse et aux larmes, mais ils ne la crurent point; il apparut ensuite aux deux disciples d'Emmaüs, dont le narré ne fut pas cru davantage, et, d'après saint Luc et saint Jn se fit à Jérusalem, le jour de la résurrection, quand la nuit commençait à étendre son voile. Saint Mc nous raconte ensuite cette dernière apparition aux onze qui étaient à table et après laquelle Jésus monta au ciel; or nous savons que ceci se passa sur le mont des Oliviers, non loin de Jérusalem. Il suit de là que saint Mc ne nous montre nulle part l'accomplissement de la parole de l'Ange.
Quant à saint Matthieu, il ne mentionne d'autre apparition du Sauveur à ses disciples que celle qui eut lieu en Galilée selon la prédiction de l'Ange. Aussi, après avoir rappelé ce qui fut dit par l'Ange aux femmes, et après avoir rapporté comment, après leur départ, les soldats furent corrompus à prix d'argent et excités à l'imposture; aussitôt, et comme si aucun événement n'était intervenu ( de fait il avait été dit sans interruption: "Il est ressuscité, voilà qu'il vous précède en Galilée c'est là que vous le verrez)" l'Évangéliste continue: "Cependant les onze s'en allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait indiquée. Et le voyant, ils l'adorèrent; quelques-uns néanmoins doutèrent r encore. Et Jésus s'approchant d'eux, leur parla ainsi: Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, "et du Fils et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai ordonné; et voici que je suis tous les jours avec r vous jusqu'à la consommation des siècles." C'est ainsi que saint Matthieu termine son Evangile.

80. Après cela, si les autres Evangiles n'étaient pas là pour nous inviter à un examen plus attentif, nous conclurions facilement que depuis sa résurrection le Seigneur n'apparut à ses disciples que dans le pays de Galilée. Bien plus, si saint Mc avait gardé le silence sur la prophétie de l'ange, on serait tenté de conclure, que si saint Matthieu nous représente les disciples se retirant sur une montagne de la Galilée et y adorant le Seigneur, c'est pour montrer l'accomplissement de l'ordre qui d'après lui avait (244) été donné par l'ange. Mais voici que saint Luc et saint Jean nous affirment clairement que le jour même de la résurrection le Seigneur apparut à ses disciples, dans la ville même de Jérusalem: or à la distance qui sépare la Galilée de Jérusalem, comment admettre que les disciples le virent, le même jour, dans chacun des deux pays? Enfin saint Mc qui cependant rapporte la prédiction de l'Ange, ne nous parle d'aucune apparition en Galilée. Tout cela dès lors nous impose la nécessité d'examiner le sens de ces paroles: "Voici qu'il vous précède en Galilée, et là vous le verrez."
Si saint Matthieu ne nous disait pas que les onze disciples se retirèrent sur une montagne en Galilée, que le Sauveur leur apparut et qu'ils l'adorèrent, nous jugerions que la prophétie ne reçut aucun accomplissement littéral et dès lors qu'elle doit être interprétée dans un sens figuré. Nous raisonnerions sur cette prophétie comme sur celle-ci, rapportée pas saint Luc: "Voici qu'aujourd'hui et demain je chasse les démons et rends la santé, et le troisième jour je suis consommé;" ce qui ne s'est pas accompli à la lettre (1). De même, si l'Ange avait dit: Il vous précède en Galilée, c'est là que vous le verrez d'abord; ou bien: Là seulement vous le verrez, ou erre: Vous ne le verrez que là; saint Matthieu serait évidemment en contradiction avec les autres Évangélistes. Mais il dit, sans aucune espèce d'exclusion: "Voilà qu'il vous précède en Galilée, là vous le verrez;" il ne précise pas le temps où cette prophétie doit s'accomplir, si ce sera immédiatement et avant que Jésus leur apparaisse ailleurs; ou bien si ce sera après qu'ils l'auront déjà vu en dehors de la Galilée. Enfin, en racontant que les disciples sont allés sur une montagne en Galilée, saint Matthieu n'indique pas le jour où ce voyage s'est accompli, et il n'y a rien dans sa narration qui force à croire que ce fut là le premier acte et la première démarche après la résurrection. De là je conclus que la narration de saint Matthieu n'est point en contradiction réelle avec celle des autres Évangélistes, et donne toute faculté pour les interpréter et les expliquer. Cependant s'il n'est pas dit explicitement en quel endroit le Seigneur doit d'abord apparaître en Galilée, comme l'ange l'avait annoncé positivement: "Voici qu'il vous précède en Galilée, là vous le verrez;"Jésus avait dit lui-même: "Allez, dites à mes frères qu'il saillent en Galilée, là ils me verront." Il

1 Ci-dessus,1. 2,c. LXXV, n. 115.

est naturel, après cela, pour peu qu'on y réfléchisse, de se demander quel mystère est renfermé dans ces paroles.

81. Mais voyons d'abord quand le Sauveur a pu se montrer corporellement en Galilée, d'après ces paroles de saint Matthieu: "Or onze disciples se retirèrent en Galilée sur la montagne que Jésus leur avait déterminée; en le voyant ils l'adorèrent; quelques uns cependant doutèrent encore." Il est d'abord certain que ceci n'eut pas lieu le jour même de la résurrection, car saint Luc et saint Mc nous disent d'une manière formelle, que le jour de la résurrection, à la nuit tombante, Jésus apparut à set disciples dans la ville même de Jérusalem. Saint Mc n'est pas aussi explicite. Quand donc le Seigneur apparut-il en Galilée? Il ne peut être question ici de l'apparition qui eut lieu auprès de la mer de Tibériade et que nous rapporte saint Jean; car les apôtres n'étaient alors qu'au nombre de sept et se livraient à la pêche; tandis que dans l'apparition dont il nous parle, saint Matthieu déclare qu'ils étaient onze sur la montagne, où Jésus les avait précédés, selon la prédiction de l'Ange. En effet, la narration fait supposer qu'ils y trouvèrent Jésus et qu'il les y avait précédés, comme on en était convenu par avance. Cette apparition n'eut donc pas lieu le jour même de la résurrection; elle ne se fit pas davantage dans les huit jours qui suivirent, car saint Jean nous raconte que, le huitième jour, le Seigneur apparut à ses disciples, et qu'il rencontra pour la première fois saint Thomas qui ne l'avait pas vu le jour de sa résurrection. Or, si cette apparition eut lieu pendant les huit jours qui suivirent la résurrection, comment expliquer que saint Thomas qui était un des onze ne l'avait pas vu? A moins qu'on ne réponde que onze personnes se trouvaient en effet sur 1a montagne, mais que ce nombre était formé d'apôtres et de disciples. Il n'y avait que onze apôtres, mais les apôtres n'étaient pas les seuls disciples de Jésus. Si donc il y avait des Apôtres et des disciples pour former ce nombre onze, il est possible que saint Thomas eût encore été absent et que ce fut seulement le huitième jour qu'il vit Jésus pour la première foIs D'ailleurs quand saint Mc parle des onze apôtres il particularise: les onze." Saint Luc dit de même: "Ils rentrèrent à Jérusalem et y trouvèrent les onze assemblés et ceux qui étaient avec euX," C'est dire clairement que par ces onze il entend parler des apôtres, à qui, (245) dans sa narration il donne la place d'honneur, en les distinguant des autres. Jusque-là on pourrait donc admettre que parmi les onze, dont parle saint Matthieu, d'une manière générale, il y avait à la fois des apôtres et des disciples.

82. Mais voici une autre difficulté contre cette interprétation. Quand saint Jean nous raconte l'apparition de Jésus à sept disciples, auprès de la mer de Tibériade, il ajoute: "Et ce fut là la troisième manifestation de Jésus à ses disciples, "après sa résurrection." Si donc on veut que l'apparition de Jésus aux onze disciples, racontée par saint Matthieu, ait eu lieu dans les huit jours qui suivirent la résurrection, et avant que saint Thomas eut vu le Sauveur, celle-ci n'est plus la troisième mais la quatrième. Une observation, toutefois: Quand saint Jean ajoute: "Ce fut la troisième fois que Jésus apparut à ses disciples," il ne dit pas qu'il ne leur apparut que trois fois, il indique seulement l'ordre et les jours où se firent ces apparitions; il ne dit pas, non plus, qu'elles,se firent successivement, d'un jour à l'autre, mais par intervalle. En effet le jour même de la résurrection, Jésus apparut trois fois, sans compter les apparitions aux saintes femmes; une première fois, à Pierre, une seconde aux deux disciples d'Emmaüs, et une troisième, au commencement de la nuit, aux apôtres et aux disciples réunIs Or, toutes ces manifestations ne sont comptées, par saint Jn que comme une seule, parce qu'elles se firent dans un seul et même jour. La seconde fat celle à laquelle assistait saint Thomas et où il vit le Seigneur pour la première fois; la troisième eut lieu auprès de la merde Tibériade. C'est donc ici le troisième jour de manifestation ou la troisième manifestation; et ce n'est que plus tard, sur la montagne de Galilée, qu'eut lieu l'apparition dont parle saint Matthieu, apparition où se trouvèrent onze disciples que le Sauveur avait devancés sur la montagne, pour accomplir même à la lettre ce qu'il avait prédit par lui-même ou par l'ange.

83. Si donc nous résumons toutes les apparitions consignées dans les Evangiles, nous les trouvons au nombre de di10,La première auprès du tombeau, aux saintes femmes (1); la seconde, à ces mêmes femmes, au moment où elles revenaient du sépulcre (2); la troisième, à saint Pierre (3); la quatrième, aux deux disciples d'Emmaüs (4); la cinquième, aux Apôtres et

1 Jn 20,14. - 2 Mt 28,9. - 3 Lc 24,35. - 4 Lc 15.

aux disciples, pendant l'absence de saint Thomas (1); la sixième,'quand saint Thomas vit Jésus, pour la première fois (2); la septième, auprès de la mer de Tibériade (3); la huitième, d'après saint Matthieu, sur la montagne de Galilée (4); la neuvième, dont nous parle saint Mc au moment où les apôtres étaient à table, car ils ne devaient plus manger avec Jésus sur la terre (5); la dixième eut lieu le même jour, au moment où Jésus quitta la terre pour monter au ciel. Cette dernière apparition nous est rapportée par saint Mc et par saint Luc. Saint Mc après avoir raconté l'apparition de Jésus aux apôtres qui étaient à table, ajoute immédiatement: "Et après que le Seigneur eut parlé, il monta au ciel (6)." Saint Lc après avoir gardé le silence sur tout ce qui s'accomplit pendant les quarante jours qui suivirent la résurrection, passe immédiatement, sans, en avertir, de la résurrection, au jour de l'ascension; voici ses paroles: "Il les conduisit hors de Béthanie, et levant ses mains, il les bénit, et pendant qu'il les bénissait, il s'éloigna d'eux et était porté vers le ciel (7)." Les disciples le virent donc encore, après qu'il eut quitté la terre, et pendant qu'il s'élevait vers le ciel. Ainsi les Livres saints nous apprennent que Jésus se fit voir à ses disciples neuf fois sur la terre, depuis sa résurrection, et une dixième fois, au moment où il montait au ciel.

84. Mais, comme le dit saint Jean (8), tout n'a pas été écrit. En effet, pendant ces quarante jours, avant de monter au ciel, Jésus s'entretenait fréquemment avec ses apôtres (9), sans cependant que nous prétendions qu'il leur eut apparu chaque jour. Ainsi, depuis le; jour même de la résurrection, huit jours se passèrent sans aucune apparition de sa part. Le huitième jour, il leur apparut de nouveau et peut-être que ce fut dès le lendemain qu'il se montra à eux sur les bords de la mer de Tibériade. Depuis, il leur apparut sur la montagne de Galilée, où il leur avait annoncé qu'il les précéderait, et pendant le reste du temps il apparut aussi, souvent, à qui et comme il voulut. Saint Pierre disait effectivement à Corneille et à ceux qui l'accompagnaient: "Nous avons mangé et bu avec lui pendant quarante jours, après qu'il fut ressuscité d'entre les morts (10)." Saint Pierre ne dit pas qu'ils ont mangé et bu avec lui chaque jour, depuis la résurrection;

1 Jn 20,19-24. - 2 Jn 26. - 3 Jn 21,1. - 4 Mt 28,16-17. - 5 Mc 16,14. - 6 Mc 19. - 7 Lc 24,50-51. - 8 Jn 21,25. - 9 Ac 1,3. - 10 Ac 10,41.

246

rection;car il serait en contradiction avec saint Jn qui ne suppose aucune apparition pendant les huit jours qui suivirent la résurrection. A partir de l'apparition aux bords du lac de Tibériade, rien n'empêche d'admettre qu'il se montra à eux, et mangea avec eux chaque jour. L'expression: "Pendant quarante jours," peut donc être ici comme une formule mystérieuse, figurant par les deux termes qui la composent, quatre et dix, le monde tout entier ou la durée temporelle du siècle, et dans la première dizaine qui contient les huit premières jours de la résurrection, on peut prendre facilement la partie pour le tout, selon le langage de l'Écriture.

85. On peut maintenant rapprocher de ces textes, celui de saint Paul, pour voir s'il s'y rencontre quelque difficulté. "Jésus-Christ, dit-il, est ressuscité le troisième jour, conformément à l'Écriture et il a apparu à Pierre." Saint Paul ne dit pas: il a apparu d'abord à Pierre, car il serait en opposition avec l'Évangile, qui déclare que Jésus est d'abord apparu aux saintes femmes. "Il apparut ensuite à douze, dit encore saint Paul." Quels étaient ces douze; à quelle heure? L'Apôtre ne le dit pas, il affirme seulement que ce fut le jour même de la résurrection. "Ensuite à plus de cinq cents frères en même temps;" étaient-ils réunis avec les onze, les portes fermées, par crainte des Juifs, quand Jésus se présenta après le départ de saint Thomas? Est-ce après les huit jours qui suivirent la résurrection? Toutes ces suppositions sont admissibles. "Ensuite à Jacques;" ici nous ne devons pas supposer que Jésus apparut d'abord à cet apôtre; mais seulement qu'il jouit d'une manifestation particulière. "Ensuite encore à tous les apôtres;" cette apparition n'eut lieu non plus que dans la suite, quand Jésus voulut converser jusqu'à l'Ascension plus familièrement avec eux. "Enfin il m'a apparu à moi-même, qui ne suis entre tous que comme un avorton (1)." Mais cette apparition se fit du haut du ciel, longtemps après l'ascension.

86. Nous avons dit enfin qu'il y avait un mystère caché dans ces paroles rapportées par saint Matthieu et par saint Marc: "Je vous précèderai en Galilée, et là vous me verrez (2)." C'est ce mystère qu'il nous reste à étudier. Cet ordre du Sauveur a été accompli, mais il ne l'a pas été immédiatement; beaucoup de choses se sont

1 1Co 15,4-8. - 2 Mt 21,32 Mt 28,7 Mc 14,28 Mc 16,7.

passées auparavant,: et néanmoins, sans toutefois imposer de nécessité, ces apparitions en Galilée étaient annoncées, comme devant avoir lieu seules ou du moins avant toute autre., Cependant comme ces paroles ne viennent pas de l'Évangéliste lui-même, mais de l'Ange, qui en cela ne faisait qu'accomplir t'ordre du Seigneur; et comme le Seigneur en personne les a redites peu de temps après, nous devons y voir un sens mystérieux et prophétique.
Le mot Galilée signifie transmigration ou révélation. Prenons d'abord ce mot dans le sens de transmigration et cherchons-en l'explication. "Il vous précède en Galilée, là vous le verrez:" n'est-ce pas annoncer que la grâce de Jésus-Christ quittera le peuple d'Israël pour passer ou émigrer chez les Gentils? La prédiction de l'Évangile faite par les Apôtres eût-elle été reçue parles païens, si le Seigneur ne lui avait préparé la voie dans le coeur des hommes? Et c'est là ce que signifient ces mots: "Il vous précède en Galilée." La joie qu'éprouvèrent les Apôtres, en voyant que les obstacles de toute sorte se levaient si aisément et qu'ils trouvaient eux-mêmes une entrée si facile pour éclairer les intelligences, cette joie est prédite par ces mots: "Là vous le verrez," c'est-à-dire, là vous trouverez ses membres, là vous reconnaîtrez son corps vivant dans la personne de ceux qui vous recevront.
Si maintenant nous interprétons le mot Galilée dans le sens de révélation,; if ne s'agit plus d'une manifestation faite sous la forme d'un esclave, mais dans la gloire d'un Fils, en tout semblable à son Père (1); manifestation promise, en saint Jn à ceux qui sont ses amis: "Et je l'aimerai, dit-il, et je me manifesterai à lui (2)." Il ne s'agit donc plus seulement de le voir, après sa résurrection, portant la cicatrice de ses blessures, ni de le toucher; mais on le verra dans cette lumière ineffable dont il illumine tout homme venant en ce inonde, et dont il brille dans les ténèbres, mais dans les ténèbres qui ne le comprennent point (3). C'est là qu'il nous précède, quoi qu'en venant à nous il n'en soit point sorti, comme en nous précédant il ne nous abandonne pas. Cette révélation, véritable Galilée, s'opérera quand nous lui serons semblables et que nous le verrons comme il est en. lui-même (4). Ce sera aussi notre transmigration de ce monde à l'éternité; elle sera heureuse si nous nous dévouons à

1 Ph 2,6-7. - 2 Jn 14,21. - 1 Jn 1,5-9. - 4 1Jn 3,2.

247

l'accomplisse ment. de ses préceptes jusqu'à mériter d'être rangés à sa droite à l'heure du jugement. Alors en effet ceux qui seront à la gauche seront précipités dans les flammes éternelles, tandis que, les justes entreront dans l'éternelle vie (1). Là ceux-ci le verront, comme ne le voient pas les impies; car l'impie disparaîtra pour ne point voir la clarté du Seigneur (2); ces impies n'en

1 Mt 25,23 Mt 23,46. - 2 Is 26,10.

verront pas même le reflet. "Or, est-il, dit voici la vie éternelle, vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (1);" vous connaître et le connaître comme on connaîtra dans cette éternité, où sous la forme d'esclave il conduira les esclaves, afin que, devenus libres, ils contemplent en lui sa nature de Seigneur.

1 Jn 17,3.


Augustin acc. évangélistes 325