Augustin, De la Genèse 1536

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CHAPITRE 36.

QUEL SERA LE CARACTÈRE DE CETTE TRIPLE VISION DANS LA BÉATITUDE?

69. En effet trois espèces de vision se retrouveront dans la béatitude, mais en dehors de toutes les illusions que nous valent les sens et l'imagination : à plus forte raison en sera-t-il de même. des visions intellectuelles qui auront un degré de clarté et de vivacité bien supérieur à l'évidence qu'ont aujourd'hui pour nous les perceptions sensibles. Cependant, ce sont ces perceptions auxquelles tant de gens s'abandonnent et en dehors desquelles ils ne veulent reconnaître rien de réel. Les vrais sages au contraire, quoiqu'ils soient plus fortement frappés par les sensations, regardent comme infiniment plus certaines les idées qu'ils découvrent avec la raison, indépendamment des sens et de l'imagination : et pourtant ils sont impuissants à percevoir ces vérités par la raison avec autant de vivacité qu'ils perçoivent les corps avec les sens. Quant aux saints Anges, ils président à ces visions pour les contrôler, sans toutefois s'y abandonner comme si elles étaient plus frappantes et plus naturelles; ils discernent le sens caché sous les images, ils manient pour ainsi dire les symboles avec tant de puissance, qu'ils peuvent les communiquer à l'imagination humaine dans une révélation; ils voient en même temps l'essence immuable du Créateur si parfaitement, qu'ils la contemplent et l'aiment de préférence à tout le reste : c'est le principe de tous leurs jugements, le centre et la fin de tous leurs actes et des directions qu'ils impriment. L'Apôtre eut beau être arraché à l'influence des sens, ravi au troisième ciel et transporté dans le paradis, il lui manqua, pour avoir des choses une connaissance pleine et achevée, le privilège des Anges; car il ignora s'il était avec ou sans son corps. Nous aurons aussi ce privilège, quand la résurrection nous aura rendu nos organes, quand ce corps corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l'immortalité (1). " L'évidence seule, sans mélange d'illusion et d'ignorance, avec un ordre lumineux, régnera dans les visions sensibles, spirituelles, rationnelles, au sein de la perfection et du bonheur dont jouira alors la créature.

1. 1Co 15,53

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CHAPITRE 37.

DE L'OPINION DE QUELQUES DOCTEURS SUR LE TROISIÈME CIEL.

70. Quelques-uns de ceux qui ont commenté avant moi l'Ecriture sainte en restant fidèles à la doctrine catholique, ont soutenu, je le sais, que le troisième ciel dont parle l'Apôtre, laissait apercevoir une triple distinction entre l'homme corporel, animal, spirituel, et que l'Apôtre eut un ravissement pour contempler dans la vision la plus haute ce troisième ordre des vérités de l'esprit, ordre qui, même ici-bas, provoque chez l'homme spirituel un enthousiasme au-dessus de tout et devient le but de ses aspirations. J'ai adopté les termes de spirituel et de rationnel pour désigner ce qu'ils entendent peut-être sous les mots d'homme animal et spirituel. Je n'ai fait que changer les mots, et j'ai expliqué suffisamment, je crois, au début de ce livre, les motifs de ma préférence.Si cette discussion est exacte, autant qu'il a dépendu de ma faiblesse, le lecteur spirituel l'approuvera et même, avec la grâce de Dieu, en profitera pour arriver à un plus haut degré de spiritualité. Terminons ici cet ouvrage divisé en douze livres.

FIN.

Cette traduction est l'œuvre de M. CITOLEUX.

Augustin, De la Genèse 1536