Augustin, De la Genèse 114

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CHAPITRE 14.

LE SOLEIL ET LES ASTRES.

20. " Et Dieu dit : Qu'il y ait des astres dans le firmament du ciel, pour qu'ils luisent sur la terre, qu'ils fassent la division entre le jour et la nuit, qu'ils servent de signes et fassent les temps, les jours et les années, et qu'ils brillent au firmament du ciel afin d'éclairer la terre. Et cela l'ut fait ainsi. Et Dieu fit deux corps lumineux, l'un plus grand et l'autre moindre, le plus grand pour le mettre à la tête du jour, et le moindre à la tête de la nuit. Dieu fit encore les étoiles et les plaça au firmament du ciel pour que la terre en fût éclairée. Et tous ces corps lumineux durent présider au jour et à la nuit et faire la division entre l'un et l'autre. Et Dieu vit que, cela était bon. Et le soir se fit, puis le matin et il y eut un quatrième jour (1). "
Les Manichéens demandent d'abord ici comment les astres, c'est-à-dire le soleil, la lune et les étoiles, n'ont été faits que le quatrième jour. Comment en effet les trois jours précédents outils pu être sans soleil, puisque nous voyons maintenant que le jour est limité par le lever et le coucher du soleil, et que la nuit nous vient de l'absence de cet astre, quand passant de l'autre côté du monde, il retourne à l'Orient? Nous leur répondrons que les trois premiers jours ont pu consister chacun dans un espace de temps égal à celui qu'emploie le soleil pour opérer sa révolution, depuis l'heure où il part de l'Orient jusqu'au moment ou il y revient. Même en habitant de sombres cavernes où on ne saurait voir ni le lever ni le coucher du soleil, on pourrait mesurer cet espace et cette longueur du temps ; et l'on voit que même sans le soleil, avant que le soleil eût été formé, la suite du temps a pu être saisie et supputée pour chacun des trois premiers jours. Nous bornerions là notre réponse si nous ne savions qu'il est dit au sujet des mêmes jours : "Et le soir se fit, puis le matin, " chose que maintenant nous voyons impossible sans le cours du soleil. Il nous reste donc à comprendre que les distinctions mêmes des ouvrages de Dieu dans les intervalles du temps ont été ainsi appelées, soir, à cause de la fin de l'ouvrage accompli, matin, à cause du commencement de l'ouvrage à faire ; cela par comparaison avec les travaux de l'homme, qui ordinairement commencent le matin et finissent le soir. Car c'est l'usage des divines Écritures de transporter aux choses divines les termes employés pour exprimer les choses humaines.

1. Gn 3,14-19

21. Ils demandent ensuite pourquoi il a été dit des astres : " Qu'ils servent de signes et fassent le temps. " Est-ce donc, s'écrient-ils, que ces trois premiers jours ont pu être sans aucun temps, ou n'appartiennent pas aux espaces du temps? Mais s'il a été dit : Qu'ils servent de signes et fassent les temps, c'est afin qu'au moyen de ces astres les temps soient distingués et que les hommes puissent les démêler. Car si les temps courent et qu'il n'y ait pas pour les distinguer certaines divisions qui sont marquées par la marche des astres, ils peuvent à la vérité courir et s'écouler, mais ne peuvent être connus ni discernés par les hommes. Ainsi, quand le jour est nébuleux, les heures passent, il est vrai, et achèvent leur carrière, mais ne peuvent être distinguées ni remarquées par nous.

22. Quant aux paroles : " Et Dieu fit deux corps lumineux, un plus grand, pour le mettre à la tête du jour, et un moindre, pour le mettre à la tête de la nuit ; " on doit les entendre dans ce sens que les deux corps ont été formés, l'un pour dominer pendant le jour et l'outra durant la nuit, et non pour commencer le jour et la nuit. Car le soleil non seulement commence le jour, mais encore il le continue et l'achève, tandis que la lune ne se montre quelquefois à nous qu'au milieu et même à la fin de la nuit. Si donc elle ne commence pas les nuits où elle paraît tard, comment a-t-elle été faite pour commencer la nuit, inchoationem noctis? Mais si l'on comprend que le mot inchoationem signifie principe et que par principe on entende le premier rang, il est manifeste que le soleil tient le premier rang pendant le jour et que la lune le tient pendant la nuit. Car bien qu'alors paraissent les autres astres, elle les domine tous par son éclat ; ainsi elle en est appelée la reine à très juste titre.

23. Pour les paroles : " Et qu'ils fassent la division entre le jour et la nuit, " elles peuvent devenir l'objet d'une injuste critique. Comment, dira-t-on peut-être, Dieu avait-il déjà précédemment séparé le jour et la nuit, si c'est là l'effet des astres au quatrième jour? Quand donc il est dit en ce lieu : " Qu'ils fassent la division entre le jour et la nuit, " c'est comme s'il était dit : Qu'ils se partagent entre eux le jour et la nuit, de manière que le jour soit donné au soleil et la nuit à la lune et aux autres corps lumineux. Le jour et la nuit avaient été déjà séparés, mais non encore divisés entre les astres, de manière qu'on fût certain jusqu'alors quel était dans le nombre des astres celui qui apparaîtrait aux hommes pendant le jour, quels étaient ceux qui leur apparaîtraient pendant la nuit.

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CHAPITRE 15. LES POISSONS ET LES OISEAUX.

24. " Et Dieu dit : Que les eaux produisent des poissons qui vivent dans leur sein et des oiseaux qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel. Et il en fut ainsi. Et Dieu fit les grands poissons et tous les animaux et reptiles aquatiques que les eaux produisirent chacun selon son espèce, ainsi que tous les oiseaux chacun selon son espèce. Et Dieu vit que ces choses étaient bonnes ; et Dieu les bénit en disant : Croissez, multipliez-vous et remplissez les eaux de la mer et que les oiseaux se multiplient sur la terre. Et le soir se fit, puis le matin, et il y eut un cinquième jour (Gn 1,20 Gn 1,24). " Les Manichéens critiquent ordinairement ce passage en demandant, ou plutôt en objectant avec fourberie, pourquoi il est écrit que sont nés des eaux, non seulement les êtres animés qui vivent dans l'eau, mais encore tous ceux qui volent dans l'air et tous ceux qui sont pourvus de plumes. S'ils s'émeuvent d'une pareille difficulté, qu'ils apprennent que des hommes très-savants, qui s'appliquent avec grand soin à l'étude de ces matières, confondent ordinairement avec les eaux l'air nébuleux et humide dans lequel les oiseaux volent. Cet air prend du corps et s'épaissit en recevant les exhalations et pour ainsi dire les vapeurs de la mer et de la terre ; il s'engraisse en quelque sorte de cette humidité de manière à pouvoir soutenir le vol des oiseaux. D'où vient que même pendant les nuits sereines, il se fait une rosée dont on voit le matin les gouttes sur les herbes. On dit que cette montagne de Macédoine qui porte le nom d'Olympe est d'une telle hauteur, qu'à son sommet ne se fait sentir aucun vent et que, les nuages ne s'y amassent point, attendu qu'elle excède par son élévation toute la masse de l'air humide où volent les oiseaux : aussi affirme-t-on encore que les oiseaux ne volent pas au sommet de l'Olympe. On tient, dit-on, cette remarque de ceux qui chaque année, pour offrir je ne sais quels sacrifices, gravissaient le sommet de cette montagne et traçaient sur le sable certains caractères que l'année suivante ils retrouvaient sans altération ; ce qui n'aurait pu arriver si le vent y avait soufflé ou qu'il y fût tombé de la pluie. Ensuite parce que l'air était trop subtil pour fournir à leur respiration, ils ne pouvaient demeurer en ce lieu qu'en approchant de leurs narines des éponges mouillées pour avoir un air plus épais et respirer comme à l'ordinaire. Ces hommes firent connaître aussi que jamais ils n'avaient vu là aucun oiseau. Ce n'est donc pas sans raison que l'Écriture, si digne de foi, montre comme issus des eaux, non seulement les poissons et les autres créatures qui ont les eaux pour séjour, mais encore les oiseaux puisqu'ils ne volent que dans l'air formé des vapeurs de l'eau et du sol.


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CHAPITRE 16. ANIMAUX NUISIBLES.

25. " Et Dieu dit : Que la terre produise des animaux vivants chacun selon son espèce, les quadrupèdes, les serpents et les bêtes sauvages de la terre. Et il en fut ainsi. Et Dieu fit les bêtes sauvages de la terre selon leurs espèces, les animaux domestiques et tous les reptiles terrestres, chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon (Gn 1,24-25). " Les Manichéens agitent ici la même question qu'au sujet des plantes. Etait-il besoin, disent-ils, que Dieu créât soit dans les eaux soit sur la terre tant d'animaux qui ne sont pas nécessaires à l'homme et dont plusieurs même sont nuisibles et à craindre? Mais en parlant ainsi ils ne comprennent pas comment tout est excellent pour l'ouvrier suprême qui emploie tout au gouvernement de l'univers, qu'il conduit avec une autorité souveraine. Un homme ignorant les règles d'un art entré dans l'atelier de celui qui l'exerce, il y voit beaucoup d'instruments dont il ne connaît pas la raison, et s'il est y a des plus sots, il les croit superflus. Lui arrive-t-il de tomber dans une fournaise à laquelle il ne prenait point garde ou de se blesser avec un fer aiguisé qu'il manie mal adroitement? il pense aussitôt qu'il y a là beaucoup de choses dangereuses et nuisibles. Cependant l'ouvrier en connaît l'usage, se rit de la folie de cet homme et sans prendre nul souci de plaintes ridicules, il continue à exercer son industrie. Mais il y a des hommes si dépourvus de sens, que, n'osant blâmer chez un ouvrier mortel ce qu'ils ignorent, le jugeant même nécessaire et préparé pour quelque usage quand ils le voient ; ils ont néanmoins la témérité de reprendre et de critiquer une foule de choses dans ce monde, dont Dieu est proclamé l'auteur aussi bien que le modérateur, et veulent paraître savoir ce qui leur échappe dans les ouvrages et les moyens du tout-puissant architecte?


26. J'avoue pour mon compte, ne pas savoir pour quelle fin ont été créés les rats et les grenouilles, les moucherons et les vers. Je vois cependant que tout est fort bon dans son genre, bien qu'à raison de nos péchés beaucoup de choses nous paraissent nuisibles. Car je ne puis considérer le corps et les membres d'aucun animal sans remarquer que les mesures, les membres et l'ordre se rapportent d'une manière exacte à l'unité de l'ensemble, toutes choses dont je ne vois la source que dans la mesure souveraine, le nombre et l'ordre souverain, c'est-à-dire dans la puissance supérieure de Dieu, puissance immuable et éternelle. S'ils voulaient y réfléchir, ces hommes dont l'ineptie égale le verbiage, ils nous épargneraient l'ennui qu'ils nous donnent ; en considérant toutes les beautés du premier ordre, ils ne cesseraient de louer Dieu qui en est l'auteur, et comme nulle part la raison n'est blessée, si le sens charnel vient à se choquer, ils attribueraient cela non au vice des choses elles-mêmes, mais à la misère de notre mortalité. Et certainement tous les animaux sont pour nous utiles, nuisibles, ou superflus. Contre ceux qui sont utiles ils n'ont rien à dire. Les animaux nuisibles servent à nous punir, à nous exercer ou à nous effrayer, afin que nous détachant de cette vie sujette à tant de périls, nous aimions, nous désirions, et méritions de posséder par notre piété cette autre vie meilleure, où nous devons jouir d'une paix souveraine. Du côté des animaux superflus qu'avons-nous à nous plaindre? S'il te déplaît qu'ils ne soient pas utiles, sois content de n'en rien avoir à redouter. Encore qu'ils ne soient (98) pas nécessaire dans notre demeure, par eux cependant est complétée l'intégrité de cet univers, beaucoup plus important et bien meilleur que la demeure habitée par nous. Car Dieu gouverne cet univers beaucoup mieux que chacun de nous ne gouverne sa maison. Servez-vous donc de ceux qui sont utiles, prenez garde à ceux qui sont nuisibles et négligez ceux qui sont superflus. Mais en voyant dans tous, mesures, nombres et ordre, cherchez l'auteur et vous ne trouverez que Celui en qui résident la mesure souveraine, le souverain nombre et l'ordre souverain : vous ne trouverez que Dieu lui-même dont il est dit si justement qu'il a tout disposé avec nombre poids et mesure (Sg 11,21). Ainsi pouvez-vous retirer plus de fruit lorsque vous louez Dieu dans la petitesse de la fourmi, que quand vous traversez un fleuve sur le dos de quelque bête de somme.


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CHAPITRE 17. L'HOMME CRÉÉ A L'IMAGE DE DIEU.

27. " Et Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, et qu'il ait puissance sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les animaux domestiques, sur les bêtes sauvages, sur toute la terre et tous les reptiles qui s'y meuvent, " et le reste, jusqu'au soir et au matin par lequel est achevé le sixième jour (1). Les Manichéens agitent surtout cette question avec beaucoup de bruit, et sont dans l'usage de nous faire un insolent reproche de ce que nous croyons l'homme formé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Car ils s'arrêtent à la forme de notre corps, et dans leur pitoyable grossièreté ils demandent si Dieu a des narines, des dents, de la barbe ; si les membres même intérieurs et les autres organes qui en nous sont nécessaires appartiennent à l'être divin. Comme il est ridicule, impie même d'avoir une telle idée de Dieu, ils nient que l'homme ait été formé à l'image et à la ressemblance divine. Nous leur répondons qu'en effet les noms de ces membres paraissent ordinairement dans les Ecritures quand il s'agit d'insinuer aux petits l'idée de Dieu, et non seulement dans les livres de l'ancien Testament mais encore dans ceux du nouveau. Car il y est fait mention des yeux dé Dieu, de ses oreilles, de ses lèvres et de ses pieds ; et il est dit du Fils qu'il est assis à la droite de Dieu le Père. Le Seigneur y dit lui-même : " Ne jurez point par le ciel, parce qu'il est le trône de Dieu, ni parla terre parce qu'elle est l'escabeau de ses pieds (2). " Il dit encore qu'il chassait les démons par la vertu du doigt de Dieu (3). Mais tous ceux qui entendent le sens spirituel des Ecritures, savent comprendre, sous ces dénominations non des membres corporels, mais des forces purement spirituelles, comme ils font encore quand il est parlé dé casque, de bouclier, de glaive et d'autres choses semblables (4). Il faut donc dire d'abord à ces hérétiques, qu'ils calomnient avec une souveraine impudence dans l'ancien Testament ces sortes d'expressions, puisque dans le nouveau, ils les voient aussi employées ; mais peut-être ne les voient-ils pas, aveugles qu'ils sont quand ils disputent.

1. Gn 1,26-31 - 2. Mt 5,34-35 - 3. Lc 11,20 - 4. Ep 6,16-17

28. Cependant qu'ils sachent bien que, formés à l'école Catholique, les fidèles ne croient pas Dieu circonscrit dans une forme corporelle et, s'il est dit que l'homme a été fait à l'image de Dieu, cela s'entend de l'homme intérieur, où est la raison et l'intelligence, qui assurent à l'homme la domination sur les poissons de la mer et les oiseaux du ciel, sur les animaux domestiques et les bêtes sauvages, sur toute la terre et tous les reptiles qui s'y meuvent. Aussi, après avoir dit : " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, " Dieu ajouta aussitôt : " Et qu'il ait puissance sur les poissons de la mer et les oiseaux du ciel, " etc ; pour nous faire comprendre que ce n'est point à raison du corps que l'homme est dit avoir été créé à l'image de Dieu, mais à raison de cette puissance par laquelle il domine tous les animaux. Car toutes les bêtes ont été mises sous son empire, non à cause de la dignité du corps humain ; mais à cause de l'intelligence que nous avons et qu'elles n'ont pas : d'ailleurs notre corps lui-même a été formé de manière à indiquer que nous sommes supérieurs aux bêtes et semblables à Dieu. En effet les corps de tous les animaux qui vivent soit dans les eaux, soit sur la terre ferme ou qui volent dans l'air, ont une forme naturellement inclinée vers la terre et ne sont point droits comme celui de l'homme. Cette attitude signifie qu' à son tour notre esprit doit être élevé aux choses d'en haut qui font son objet propre, c'est-à-dire aux choses spirituelles et éternelles. Ainsi donc, comme le témoigne même la forme droite du corps humain, c'est proprement par son âme que l'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu.

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CHAPITRE 18.

PUISSANCE DE L'HOMME SUR LES ANIMAUX.

29. On les entend dire aussi quelquefois : Comment l'homme a-t-il reçu puissance sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur tous les animaux domestiques et toutes les bêtes sauvages, quand nous voyons que beaucoup de ces dernières ôtent le plus souvent la vie aux hommes, que beaucoup d'oiseaux nous nuisent sans que nous puissions les éloigner ou les prendre malgré nos désirs? Comment donc avons nous reçu puissance sur eux? Il faut ici leur répondre d'abord qu'ils se trompent considérablement, s'ils ne voient l'homme qu'après son péché, quand il a dû subir la condition mortelle de cette vie, et quand il est déchu de la perfection avec laquelle il fût créé à l'image de Dieu. Mais si dans son état de condamnation il a un tel pouvoir, qu'il commande à tant d'animaux domestiques ; si d'ailleurs, quoiqu'à raison de la fragilité de son corps, il y ait beaucoup de bêtes sauvages capables de lui donner la mort, aucune ne peut le soumettre, tandis que lui les dompte en grand nombre et presque toutes ; si, dis-je, malgré la condamnation qui pèse sur lui, il a tant de pouvoir ; que faut-il penser de sa royauté, royauté dont il jouira encore suivant la promesse divine une fois qu'il sera renouvelé et délivré?

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CHAPITRE 19.

UNION SPIRITUELLE.

30. A propos de ces mots : " Dieu les créa mâle et femelle, et Dieu les bénit en disant : Croissez et multipliez-vous, engendrez et remplissez la terre (1) ; " on a raison dé demander de quelle manière il faut comprendre l'union de l'homme et de la femme avant le péché et dans quel sens, charnel ou spirituel, doit être entendue cette bénédiction : " Croissez et multipliez-vous, engendrez et remplissez la terre. " Rien n'empêche que nous la prenions dans un sens spirituel, en pensant que pour son objet elle a été changée en fécondité charnelle après le péché (2). C'était donc d'abord entre l'homme et la femme une union toute chaste, assortie au commandement de l'un et à l'obéissance de l'autre, et le fruit de cette union était un fruit spirituel de joies invisibles et immortelles, qui remplissait la terre, c'est-à-dire vivifiait et dominait le corps ; en d'autres termes le tenait dans une telle soumission qu'il n'y avait à craindre de sa part aucun obstacle ni aucune contrariété. Il faut le croire ainsi, par la raison qu'avant de pécher l'homme et la femme n'étaient pas encore enfants de ce siècle, et c'est le propre des enfants de ce siècle d'engendrer et d'être engendrés, comme s'en explique Notre-Seigneur, lorsqu'il déclare cette génération charnelle digne de mépris, en comparaison de la vie future qui nous est promise (3).


1. Gn 1,28. - 2. 1 Rétract. ch. 40. n. 2 - 3. Lc 20,34-36

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CHAPITRE 20.

SENS ALLÉGORIQUE DE LA DOMINATION DE L'HOMME SUR LES ANIMAUX.

31. De même pour ces paroles adressées à nos premiers parents : " Ayez puissance sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et tous les reptiles qui se meuvent sur la terre (1) ; " sans rejeter l'interprétation bien certaine, suivant laquelle l'homme est au dessus de tous les animaux par sa raison, c'est avec vérité qu'on les entend d'une manière spirituelle, en ce sens que nous devons tenir dans la soumission, et dominer parla tempérance et la modestie tous les appétits et tous les mouvements de l'âme qui nous sont communs avec les brutes. Car si ces mouvements ne sont pas réglés, ils font naître et entretiennent les plus honteuses habitudes, ils nous entraînent dans une foule de jouissances pernicieuses et nous rendent semblables à toute espèce de bêtes. Sont-ils au contraire bien réglés et soumis? ils s'apprivoisent tout-à-fait et vivent avec nous en bonne harmonie. Les mouvements naturels de notre âme en effet ne nous sont pas étrangers ; ils se nourrissent même avec nous de la connaissance des principes des bonnes moeurs et de la vie éternelle ; ces connaissances sont comme des graines, des fruits, des herbes verdoyantes ; et pourtant la vie heureuse et tranquille est celle dont nous jouissons quand tous ces mouvements sont en accord avec la raison et la vérité ; alors on les appelle joies saintes, chastes délices, inclinations louables. Mais s'ils n'y sont pas conformes, pour être gouvernés avec négligence, ils divisent, déchirent l'âme, et par eux la vie devient fort misérable : on les appelle alors désordres, instincts pervers et penchants mauvais. C'est ce qu'il nous est ordonné de crucifier en nous avec toute l'énergie possible jusqu'à ce que la mort soit absorbée dans sa victoire (2). L'Apôtre dit en effet : " Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés (3). "Ce qui d'ailleurs montre qu'il faut prendre autrement qu'à la lettre les paroles citées plus haut, c'est que les herbes verdoyantes et les fruits des arbres sont donnés pour nourriture à toutes les espèces des bêtes, aux oiseaux et aux serpents : mais nous voyons les lions, les vautours, les milans et les aigles ne se nourrir que de chair, et ne vivre due par la mort d'autres animaux : ce que je crois aussi de quelques serpents qui habitent les lieux sablonneux et déserts où ne s'élève point d'arbres, et oit l'herbe ne croît pas (4).

1. Gn 1,28 - 2. . - 3. Ga 5,24 - 4. 1 Rétract. ch, 10. n. 2

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CHAPITRE 21.

BEAUTÉ DE L'UNIVERS.

32. Assurément nous ne pouvons négliger ni passer sous silence ces paroles : " Et Dieu vit que tout ce qu'il avait fait était très bon (1). " Au sujet de chaque chose prise à part, il est dit seulement : " Et Dieu vit que cela était bon ; " mais quand il est parlé de toutes les choses ensemble, le terme bon ne suffit plus ; c'est le mot très bon qui doit être employé. Car si les hommes capables d'en juger, trouvent que chacune des oeuvres de Dieu, vue séparément et considérée en elle-même, fournit matière à louanges par les mesures, les nombres et le bel ordre qu'elle présente ; combien plus méritent d'être louées ces mêmes oeuvres prises toutes à la fois, c'est-à-dire dans cet univers, formé du concours de chacune d'elles à l'imité de l'ensemble? Sans contredit, un bel objet quelconque formé de plusieurs parties diverses est beaucoup plus louable dans le tout que dans une partie. Si dans le corps humain, en isolant les membres les uns des autres, nous louons les yeux, le nez, les joues, la tète, les mains, les pieds, si nous louons chaque belle partie considérée seule ; combien plus louons-nous le corps lui-même ; auquel tous les membres apportent la beauté particulière que chacun possède? Observation si vraie, qu'une belle main qui, prise à part excitait la louange étant unie au corps, perd, une fois coupée, sa grâce naturelle, et que le reste sans elle n'a plus de beauté ; Telle est la force, telle est la puissance de l'intégrité de l'ensemble et de l'imité, que les choses bonnes d'elles-mêmes et dans leur isolement, plaisent bien davantage quand elles sont réunies et concourent à faire un tout universel. Ce dernier terme vient, comme on le voit, de celui d'unité. Si les Manichéens voulaient y réfléchir, ils loueraient Dieu, l'auteur et le modérateur de l'univers, et ce qui, à raison de la condition de notre mortalité, les offense dans la partie, ils le ramèneraient à la beauté de l'ensemble et verraient comment Dieu a fait toutes choses non-seulement bonnes, mais de plus très-bonnes. Ainsi encore si dans un discours élégant et orné, nous considérons les unes après les autres les syllabes ou même les lettres qui passent aussitôt qu'elles ont fait entendre leur son, nous ne trouvons point là ce qui plaît et mérite d'être loué. Car la beauté de ce discours ne vient pas de chaque syllabe ou de chaque lettre en particulier, mais de la réunion et de l'arrangement de toutes.

1. Gn 1,31

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CHAPITRE 22.

SENS ALLÉGORIQUE DU REPOS DU SEPTIÈME JOUR.

33. Voyons encore maintenant ce que les Manichéens tournent en dérision avec plus d'effronterie que d'ignorance ; savoir, ce passage où il écrit que Dieu après avoir achevé le ciel et la terre et toutes les choses qu'il a faites, s'est reposé de tous ses ouvrages le septième jour, a béni et sanctifié ce jour pour la raison qu'il s'y est ainsi reposé (1). Quel besoin avait Dieu de se reposer, disent-ils? Est-ce que par hasard il était épuisé de fatigues pour six j ours de travail? Ils allèguent encore le témoignage de. Notre-Seigneur quand il dit : " Mon Père jusques maintenant ne cesse d'agir (2) ; " et par là ils trompent beaucoup d'ignorants, à qui ils s'efforcent de persuader que le nouveau Testament est en opposition avec l'Ancien. Mais comme ceux à qui Notre-Seigneur dit : " Mon Père jusques maintenant ne cesse d'agir, " prenaient le repos de Dieu dans le sens de la lettre et qu'en appuyant sur cette idée grossière leur observation du sabbat, ils ne voyaient pas quelle était la mystérieuse signification de ce jour ; ainsi les Manichéens dans un autre dessein, il est vrai, ignorent également ce que signifie le sabbat. Les premiers en l'observant charnellement, ceux-ci en le repoussant avec horreur parce qu'ils le considèrent aussi d'une manière charnelle, sont convaincus de ne le connaître aucunement. Que tous donc, Juifs et Manichéens, viennent à Jésus-Christ, afin que dé leurs yeux soit enlevé ce voile dont parle l'Apôtre (3). Car le voile est enlevé, quand l'enveloppe de la similitude et de l'allégorie venant à disparaître, la vérité se trouve mise à nu de manière à pouvoir être vue.

1. Gn 11,1-3 - 2. Jn 5,17 - 3. 2Co 3,16

34. Il faut donc bien remarquer d'abord et savoir que cette façon de parler se rencontre dans beaucoup d'endroits des divines Ecritures. Que signifie ce repos de Dieu après qu'il a fait très bons tous ses ouvrages, sinon le repos qu'il doit nous donner un jour après toutes nos œuvres, si toutefois nous avons fait de bonnes oeuvres? C'est suivant la même figure de langage que l'Apôtre dit aussi : " Nous ne savons ce que nous devons demander dans nos prières, pour le demander comme il faut ; mais le Saint-Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements inénarrables (1). " Le Saint-Esprit en effet, lorsque près de Dieu il interpelle pour les saints, ne gémit pas comme s'il était dans le besoin ou souffrait quelque détresse ; mais parce que c'est lui qui nous excite à prier lorsque nous gémissons, on dit qu'il fait lui-même ce que nous faisons sous l'inspiration qu'il nous donne. Ainsi encore ces paroles " Le Seigneur votre Dieu vous tente afin qu'il sache si vous l'aimez (2). " Puisque rien ne lui est inconnu, s'il permet que nous soyons tentés, ce n'est pas pour savoir lui-même, mais pour nous faire savoir combien nous avons profité dans son amour. Notre-Seigneur aussi use d'un langage semblable en disant qu'il ne sait ni le jour ni l'heure de la fin du monde (3). En effet que peut-il y avoir qu'il ignore? Mais comme il cachait utilement ce point aux disciples, il dit n'en avoir pas connaissance ; parce qu'en le tenant secret il le leur faisait ignorer. Selon la même figure il a dit aussi que ce jour était seulement connu du Père, parce qu'il le faisait savoir au Fils. Avec la connaissance de cette figure on résout sans aucune difficulté une foule de questions dans les divines Ecritures. Nos discours ordinaires sont même remplis de semblables expressions. Ainsi nous disons que le jour est joyeux, parce qu'il nous inspire la joie ; que le froid est lent parce, qu'il nous engourdit ; qu'une fosse est aveugle, parce que nous ne la voyons pas ; qu'une langue est polie, parce qu'elle est l'instrument de belles paroles ; enfin nous disons que le temps est tranquille et libre de toute sorte d'incommodités, quand nous y vivons tranquilles et sans crainte. Or, de même il a été dit que Dieu s'est reposé de tous ses ouvrages après les avoir faits très-bons, pour signifier que nous nous reposerons en lui de toutes nos oeuvres, si elles ont été bonnes ; car les bonnes oeuvres que nous faisons doivent être attribuées à Celui qui nous appelle, qui nous commande, qui nous montre la voie de la vérité, qui nous excite à vouloir et nous donne la force d'accomplir ce qu'il prescrit.

1. Rm 8,26 - 2. Dt 13,3 - 3. Mt 24,36

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CHAPITRE 23.

LES SEPT JOURS DE LA CRÉATION ET LES SEPT AGES DU MONDE.

35. PREMIER AGE - Mais je crois devoir examiner avec plus de soin pourquoi ce repos est affecté au septième jour. Dans toute la suite du texte des divines Ecritures je vois comme six âges de travail séparés les uns des autres par des espèces de limites bien marquées, et la promesse du repos dans un septième; et ces six époques laborieuses ressemblent aux six jours pendant lesquelles ont été faites les oeuvres, que l'Ecriture attribue au Créateur. En effet les premiers temps où le genre humain commence à jouir de cette lumière, sont comparés justement au premier jour où Dieu l'a faite. Regardons cet âge comme la première enfance de tout ce monde que, dans la proportion de sa grandeur, nous devons envisager à l'instar d'un seul homme; car tout homme en naissant et en paraissant à la lumière entre par la première enfance dans la carrière de la vie. Cet âge va depuis Adam jusqu'à Noé par dix générations, et le déluge en est comme le soir; et aussi bien notre première enfance disparaît comme dans le déluge de l'oubli.

36. SECOND AGE. -Le second âge du monde, qui est semblable à la seconde enfance de l'homme, a son matin dans les temps de Noé et s'étend jusqu'à Abraham par dix autres générations. Il est comparé avec raison au second jour, où le firmament a été fait pour séparer les eaux, parce que l'arche où était Noé avec sa famille était aussi comme un firmament entre les eaux inférieures qui la soutenaient et les eaux supérieures qui tombaient sur elle. Cet âge ne finit point par un déluge, parce que notre secondé enfance n'est point effacée non plus de notre mémoire par l'oubli. Nous nous souvenons en effet de cette enfance ; mais non de la précédente. Le soir de cet âge est fa confusion des langues parmi ceux qui élevaient la tour de Babel ; et le matin de l'âge suivant se lève avec Abraham. Mais, pas plus que le premier, le second âge ne donna (102) connaissance au peuple de Dieu, parce que la seconde enfance n'est pas plus apte que la première à la génération.

37. TROISIÈME AGE. -Le matin donc se fait avec Abraham et alors commence pour le monde un troisième âge semblable à l'adolescence de l'homme. On a raison de le comparer au troisième jour où la terre fut séparée des eaux. En effet la mer représente avec beaucoup de justesse ces nations dont l'erreur inconstante flotte au gré des vaines doctrines de l'idolâtrie comme au souffle de tous les vents, et le peuple de Dieu fut séparé par Abraham des superstitions et des -agitations de ces gentils, comme la terre, quand dégagée des eaux, elle apparut aride: il avait soif de la rosée céleste des divins commandements. En adorant le seul vrai Dieu, ce peuple reçut les Ecritures et les prophéties, afin de rapporter des fruits utiles comme une terre bien arrosée ; et ce troisième âge put donner un peuplé à Dieu, comme le troisième âge de l'homme, c'est-à-dire l'adolescence, peut donner le jour à des enfants. C'est pourquoi Dieu dit à Abraham : " Je t'ai établi le père d'une multitude de nations, je ferai croître ta race à l'infini ; je te rendrai chef de nations, et des rois sortiront de toi. J'établirai mon alliance entre moi et toi, et après toi avec ta race dans la suite de leurs générations ; ce sera une alliance éternelle, et je serai ton Dieu et le Dieu de ta postérité et je te donnerai pour toujours à toi et à ta postérité la terre où tu habites, toute la terre de Chanaan, et je serai leur Dieu (1). " Ce troisième âge s'étend depuis Abraham jusqu'à David par quatorze générations. Le soir de cet âge est dans les péchés du peuple contre la loi de Dieu, avant le règne de Saül, et il se termine par le désordre et l'impiété de ce méchant roi.

1. Gn 17,6-8

38. QUATRIÈME AGE - Avec le règne de David apparaît le matin d'un autre âge. Cet âge est semblable à la jeunesse. C'est en effet la jeunesse qui prime entre tous les âges dont elle est l'ornement et le solide appui. C'est pourquoi on peut le comparer au quatrième jour, où ont été faits les astres au firmament du ciel. Est-il rien qui représente mieux la splendeur de la royauté que le brillant éclat du soleil? Pour la clarté de la lune elle désigne le peuple obéissant à l'empire du souverain, et la synagogue elle-même: les étoiles représentent les princes de ce peuple et tout ce qui est fondé sur la stabilité du trône comme les astres fixés au firmament. Les péchés des Rois qui ont mérité à la nation juive d'être menée en captivité et réduite à l'esclavage, sont comme le soir de cette époque.

39. CINQUIÈME AGE - Les Juifs passent à Babylone; ils sont traités avec douceur dans leur captivité et trouvent le repos sur la terre étrangère c'est le matin de l'âge suivant qui s'étend jusqu'à l'arrivée de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Cet âge est le cinquième, c'est-à-dire le déclin de la jeunesse à la vieillesse, déclin qui n'est pas encore la vieillesse, mais n'est déjà plus la jeunesse. C'est l'âge de l'homme mûr que les Grecs appellent presbutes, car le vieillard chez eux n'est pas appelé presbutes, mais yeros. Et de fait cet âge du monde a été celui où le peuple Juif a vu fléchir et tomber la force de son royaume, de la même manière que pour l'homme la vigueur de la jeunesse disparaît quand il passe à l'âge mûr. C'est avec raison qu'on le compare au cinquième jour, où ont été créés dans les eaux les poissons, et les oiseaux du ciel; les Juifs ayant dû vivre alors parmi les nations comme au milieu de l'Océan, sans avoir de lieu fixe et assuré non plus que les oiseaux qui volent. Mais il y avait là aussi de grands poissons : à savoir ces hommes illustres qui eurent le pouvoir de rester maîtres des flots de ce monde plutôt que de subir un joug honteux dans cette captivité, la crainte en effet ne put jamais les faire succomber au culte des idoles. Remarquons encore que Dieu bénit en ces termes les êtres vivants tirés des eaux : " Croissez, multipliez-vous, et remplissez les eaux de la mer ; et que les oiseaux se multiplient sur la terre (1). " C'est ainsi que la nation juive depuis qu'elle fut dispersée au milieu des gentils s'accrut considérablement. Ce qui fait comme le soir de cet âge, c'est la multiplication des péchés parmi les Juifs; car ils devinrent si aveugles qu'ils ne purent reconnaître le Seigneur Jésus-Christ.

1. Gn 1,22

40. SIXIÈME AGE. -Le matin se fait à la prédication de l'Evangile par Notre-Seigneur Jésus-Christ, et le cinquième jour on âge du monde est fini. Alors commence le sixième, où apparaît la vieillesse de l'homme ancien. Car dans cet âge, le royaume temporel des Juifs reçoit un coup si funeste, quand le temple lui-même est ruiné et les sacrifices abolis, que ce malheureux peuple, pour ce qui est de son existence en corps de nation, exhale en quelque sorte le dernier soupir. Alors cependant, comme dans la vieillesse de l'homme ancien, vient l'homme nouveau qui commence à vivre d'une manière spirituelle; aussi bien, le sixième jour de la Création, il avait été dit: " Que la terre produise les âmes vivantes, " etc, tandis que le cinquième jour il avait été dit, non pas que la terre produise les âmes vivantes, etc. mais: " Qu'elle produise des reptiles d'âmes vivantes, " parce que les reptiles sont des corps et ils figurent bien le peuple juif qui parmi les nations, comme au milieu d'une vaste nier, était encore esclave de la loi par la circoncision corporelle et les sacrifices (1): tandis que le nom d'âme vivante désigne l'âme qui aspire déjà aux choses de l'éternité.
Les serpents et les animaux domestiques que produit la terre signifient donc les nations qui vont bientôt croire d'une manière solide à l'Evangile ;et dont il est dit au moment de la vision montrée à Saint Pierre dans les Actes des Apôtres : " Tue et mange. " Comme l'Apôtre objectait que ces animaux n'étaient point purs, il reçut cette réponse: " N'appelle pas impur ce que Dieu a purifié (2). " L'homme alors est fait à l'image et à l'a ressemblance de Dieu, de même qu'au sixième âge dont nous parlons naît dans la chair Notre-Seigneur, de qui un prophète avait dit : " Il est un homme, et qui le reconnaîtra? " Et comme au sixième jour naît la nature humaine avec les deux sexes, ainsi dans ce sixième âgé Jésus-Christ et l'Eglise. L'homme en ce jour reçoit la domination sur les bêtes de la terre, les serpents et les oiseaux du ciel ; ainsi Jésus-Christ dans cet âge gouverne les âmes qui lui sont soumises, et qui sont venues à l'Eglise de cet Homme-Dieu, partie des nations, partie du peuple Juif, afin que par lui fussent domptés et adoucis ces hommes livrés à la concupiscence charnelle comme un troupeau, ou enveloppés des ténèbres de la curiosité comme des serpents, ou emportés par l'orgueil comme des oiseaux. Et de même que l'homme avec les animaux qui sont autour de lui, se nourrit de graines, de fruits et d'herbes vivaces, ainsi dans le sixième âge tout homme spirituel, tout fidèle ministre du Christ, qui marche sur les traces du Sauveur autant qu'il lui est possible, se nourrit spirituellement avec le peuple rangé sous son autorité de la substance des Saintes-Ecritures et de la loi divine. Il y trouve comme des semences précieuses pour se rendre fécond en idées et en paroles, comme des arbres fruitiers pour soutenir ses moeurs au milieu des hommes, enfin comme des herbes vivaces, c'est-à-dire toujours vigoureuses et que ne peut jamais flétrir le souffle brûlant des tribulations, pour affermir la foi, l'espérance et la charité destinée à l'éternelle vie. En se nourrissant de ces aliments l'homme spirituel peut comprendre beaucoup de choses; mais l'homme encore charnel, c'est-à-dire peu avancé en Jésus-Christ et qu'on peut appeler le troupeau de Dieu, croit beaucoup sans comprendre encore. Tous cependant ont la même nourriture.

1. Rétract. ch. 10,n. 3 - 2. Ac 10,13-15

41. SEPTIÈME AGE. -Ce qui fait comme le soir de cet âge, et plaise à Dieu qu'il ne vienne pas de notre temps, si toutefois il n'a pas déjà commencé, le Seigneur nous le marque en disant: "Pensez-vous que quand viendra le Fils de l'homme il trouve encore de la foi sur la terre (1)? " Après ce soir aura lieu le matin, quand le Seigneur en personne apparaîtra dans sa gloire. Alors se reposeront avec Jésus-Christ de toutes leurs oeuvres, ceux à qui il a été dit : " Soyez parfaits comme votre Père qui est dans les cieux (2). " Ceux-là en effet font des oeuvres excellentes; et ils doivent espérer ensuite le repos d'un septième jour qui n'a point de soir.
On ne peut donc exprimer par le discours de quelle manière Dieu a fait -et formé le ciel, la terre et toutes les créatures sorties de ses mains. Mais cette exposition suivant l'ordre des jours retrace de telle sorte l'histoire des choses accomplies, qu'elle présente surtout le tableau des événements futurs.

1. Lc 18,8 - 2. Mt 5,48


Augustin, De la Genèse 114