Augustin sur Jean 90

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QUATRE-VINGT-DIXIÈME TRAITÉ

Jn 15,23

LA VÉRITÉ HAIE SANS ÉTRE CONNUE

SUR CES PAROLES: "CELUI QUI ME HAIT, HAIT AUSSI MON PÈRE".



Comment les Juifs ont-ils pu haïr le Père, puisqu'ils ne le connaissaient pas? Une comparaison va le faire comprendre. Nous ne pouvons lire dans le coeur d'autrui, et si nous aimons la vertu et que nous haïssions le vice, il peut se faire que nous aimions sans le savoir un homme bon que nous croyons mauvais, ou que nous détestions un homme méchant qui nous semble bon. Ainsi les Juifs détestaient les peines infligées à leur conduite blâmable par la Vérité, sans savoir si c'était la Vérité qui les condamnait; ils ne la connaissaient donc pas, et ils baissaient, par conséquent, sans le connaître, le Père de la Vérité.



1. Vous avez entendu dire au Seigneur "Celui qui me hait, hait aussi mon Père"; il avait dit plus haut: "Ils vous feront ces choses parce qu'ils ne connaissent pas Celui qui m'a envoyé n. De là naît une difficulté qu'il ne faut pas éluder, la voici: Comment peuvent-ils haïr celui qu'ils ne connaissent pas? Car s'ils supposent ou croient que Dieu est, non pas ce qu'il est, mais je ne sais quelle autre chose, et si c'est cela qu'ils haïssent, alors ce n'est pas lui qu'ils haïssent, mais bien ce dont ils se font l'idée dans leur supposition trompeuse ou leur vaine crédulité; mais si, au contraire, ils se représentent Dieu tel qu'il est réellement, comment peut-on dire qu'ils ne le connaissent pas? Quand il s'agit des hommes, il peut se faire que souvent nous aimions ceux que nous n'avons jamais vus; et, par contre, il n'est pas impossible que nous haïssions aussi ceux que nous n'avons jamais vus. La renommée nous parlant de quelqu'un en bien ou en mal, il en résulte naturellement que nous aimons ou que nous haïssons un inconnu. Mais si la renommée dit vrai, comment pouvons-nous donner le nom d'inconnu à celui sur le compte duquel nous avons appris la vérité? Est-ce parce que nous n'avons pas vu son visage? Il ne le voit pas lui-même, et cependant il ne peut être plus connu à personne qu'à lui-même. Ce n'est donc pas par la vue du visage extérieur que nous acquérons la connaissance de quelqu'un; mais nous le connaissons quand nous savons quelle est sa vie et quelles sont ses moeurs. Autrement personne ne pour. rait même se connaître, puisque personne ne peut voir son propre visage. Cependant chacun se connaît lui-même mieux que les autres ne le connaissent; il se connaît d'autant plus sûrement qu'il peut mieux considérer son intérieur, voir ce qu'il pense, ce qu'il désire, comment il vit; lorsque tout cela nous est connu dans un homme, cet homme lui-même nous est vraiment connu. Aussi, comme toutes ces choses nous sont rapportées sur les absents ou sur les morts, soit pur la renommée, soit par les lettres, il arrive souvent que nous aimons ou que nous haïssons des hommes dont nous n'avons jamais vu le visage (mais qui cependant ne nous sont pas tout à fait inconnus).

2. En cela, le plus souvent notre bonne foi se trouve trompée, car quelquefois l'histoire et encore plus la renommée sont mensongères. Mais comme nous ne pouvons scruter la conscience des hommes, c'est à nous de veiller, pour n'être pas induits en erreur par une dangereuse opinion, à avoir de ces choses une (50) connaissance vraie et certaine. Je m'explique. Nous ignorons si cet homme ou cet autre est chaste ou impudique, mais nous devons haïr l'impureté et aimer la chasteté; nous ne savons si tel ou tel est juste ou injuste, toutefois, nous devons aimer la justice et haïr l'injustice, non pas telles que nous pourrions nous les représenter par une fausse imagination, mais telles que nous les voyons dans la vérité de Dieu, afin de suivre les règles de l'une et d'éviter l'autre; par là, nous rechercherons en toutes choses ce que nous devons y chercher, nous éviterons ce que, nous devons éviter, et ainsi mériterons-nous que Dieu nous pardonne, si parfois, et même souvent, nous nous trompons sur les dispositions secrètes des hommes. Ce dernier point me semble appartenir à cette tentation humaine, sans laquelle la vie ne saurait se passer et dont parle l'Apôtre, lorsqu'il dit: "Que la tentation ne vous saisisse pas, sinon celle qui est humaine (1)". En effet, y a-t-il rien de plus conforme à la nature humaine que de ne pouvoir connaître le coeur humain et de n'en point sonder tous les replis, et par suite de soupçonner tout autre chose que ce qui s'y passe? Comme, en raison de ces ténèbres des choses humaines, c'est-à-dire des pensées des hommes, nous ne pouvons éclaircir nos soupçons parce que nous sommes hommes, nous devons nous abstenir de jugements, c'est-à-dire d'opinions arrêtées et définitives, et ne nous prononcer sur rien avant le temps de la venue du Seigneur. Alors il éclairera les choses cachées dans les ténèbres, et il manifestera les pensées du coeur; alors aussi chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due (2". Quand donc on ne se trompe pas sur les choses et qu'avec justice on condamne le vice et on approuve la vertu, si l'on se trompe sur les hommes, ce n'est qu'une tentation humaine toute vénielle.

3. Mais à cause de ces ténèbres qui enveloppent le coeur humain, il arrive une chose également surprenante et douloureuse. Parfois l'homme que nous regardons comme méchant est juste, et nous aimons la justice qui réside en lui sans que nous le sachions; c'est pourquoi nous l'évitons, nous le méprisons, nous lui défendons de nous approcher, nous ne voulons rien avoir de commun avec lui dans les usages de la vie, et même,



1. 2Co 10,13. - 2. 2Co 4,5.


lorsque l'obligation de maintenir la discipline nous y force, et que nous voulons l'empêcher de nuire aux autres ou le forcer à devenir plus régulier, nous le traitons avec une salutaire sévérité; et cet homme qui est bon, nous l'affligeons comme s'il était mauvaise, tout en l'aimant sans le savoir. C'est ce qui arrive quand, par exemple, un homme réellement chaste est regardé par nous comme impudique. Dès lors, en effet, que j'aime celui qui est chaste, et que cet homme a la vertu de chasteté en partage, je l'aime évidemment, mais sans m'en douter. Comme, d'ailleurs c'est l'impudique que je hais, je ne hais donc pas cet homme, puisqu'il n'est pas ce que je déteste. Néanmoins, à cet homme, objet de mon affection, avec qui mon âme se trouve sans cesse unie dans l'amour de la chasteté, je lui fais injure sans le savoir, parce que si je ne me trompe pas dans le discernement des vertus et des vices, je m'égare dans les ténèbres du coeur humain. Il peut donc se faire qu'un homme de bien haïsse, sans le savoir, un autre homme de bien, ou plutôt qu'il l'aime sans le savoir (car il l'aime en aimant le bien, et ce qu'est cet homme est précisément ce qu'il aime). Il peut arriver aussi que, sans le savoir, il haïsse, non ce qui est réellement son semblable, mais ce qu'il le croit: de même peut-il se faire qu'un homme injuste haïsse un homme juste, et que cependant il pense aimer une personne injuste et semblable à lui; il aime donc sans le savoir quelqu'un de juste; mais en celui qu'il croit injuste, il n'aime pas la réalité, il n'aime que ce qu'il croit y rencontrer. Ce qui arrive pour les hommes, arrive aussi pour Dieu. Si, en effet, on avait demandé aux Juifs s'ils aimaient Dieu, qu'auraient-ils pu répondre, sinon qu'ils l'aimaient? En cela, ils n'auraient pas eu l'intention de mentir, mais ils se seraient trompés dans leur opinion. Car, comment pourraient-ils aimer le Père de la vérité, ceux qui haïraient la vérité? Ils ne veulent pas que leurs actions soient condamnées, et la vérité veut que de telles actions soient condamnées. Leur haine pour la vérité est donc en proportion de la haine qu'ils ressentent pour les châtiments que la vérité inflige à de telles gens. Mais, dans leur opinion, ce n'était pas la vérité qui condamnait des hommes pareils à eux; ils haïssaient la vérité sans la connaître, et en la (51) haïssant, ils ne pouvaient que haïr celui de qui la vérité est née. Et comme ils ignorent que la vérité, qui les juge et les condamne, est née de Dieu le Père, ils ne connaissent pas Dieu non plus, et ils le haïssent. O les misérables! Ils veulent être méchants, et ils ne veulent pas de la vérité qui les condamne. Ils ne veulent pas qu'elle soit ce qu'elle est, quand ils devraient ne vouloir plus être ce qu'ils sont; quand ils devraient se changer eux-mêmes et désirer que la vérité restât ce qu'elle est, afin de ne pas être condamnés par elle, quand elle viendra les juger.




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QUATRE-VINGT-ONZIÈME TRAITÉ

Jn 15,24-25

LES MIRACLES DE JÉSUS-CHRIST

SUR CES PAROLES: "SI JE N'AVAIS PAS FAIT AU MILIEU D'EUX DES CEUVRES QUE NUL N'A FAITES, "ILS N'AURAIENT POINT DE PÉCHÉ, ETC."



Par leur incrédulité, les Juifs rendaient irrémissibles leurs autres péchés: en effet, Jésus-Christ avait fait devant eux par lui-même, en leur faveur, des miracles si nombreux et si merveilleux, qu'en réalité ils étaient inexcusables de ne pas croire en lui et même de le haïr sans sujet.



1. Le Seigneur avait dit: "Qui me hait, hait aussi mon Père". Assurément, celui qui hait la vérité doit haïr celui de qui elle est née: nous vous avons déjà donné l'explication de ce passage, autant que Dieu nous en a fait la grâce. Ensuite il ajouta ces paroles dont il nous reste à parler aujourd'hui: "Si je n'avais pas fait au milieu d'eux des oeuvres que nul n'a faites, ils n'auraient point de péché", c'est-à-dire ce grand péché dont le Seigneur avait déjà dit: "Si je n'étais pas venu et si je ne leur avais parlé, ils n'auraient pas de péché"; ceci doit s'entendre du péché qu'ils ont commis en ne croyant ni à ses paroles, ni à ses oeuvres, car ils n'étaient pas sans péché, avant qu'il leur eut parlé, et qu'il eut opéré ses oeuvres merveilleuses au milieu d'eux; mais le péché, dont ils se sont rendus coupables en ne croyant point en lui, il le rappelle ici, parce qu'en lui sont renfermés tous les autres. En effet, s'ils n'avaient point eu ce péché, ils auraient cru en lui, et les autres péchés leur auraient été remis.

2. Mais pourquoi le Seigneur, après avoir dit: "Si je n'avais pas fait au milieu d'eux des oeuvres", ajoute-t-il aussitôt, "que nul autre n'a faites?" Entre les oeuvres de Jésus-Christ, aucune ne paraît plus grande que la résurrection des morts; or, cette oeuvre, les Prophètes anciens, nous le savons, l'avaient déjà accomplie. Elie l'avait accomplie (1), Elisée l'accomplit et pendant qu'il vivait (2), et même alors qu'il gisait couché dans son tombeau. Quelques hommes portaient un mort; les ennemis s'étant précipités sur eux, ils prirent la fuite, laissant le corps sur le tombeau; et aussitôt il ressuscita (3). Cependant Jésus-Christ a fait des oeuvres due nul autre n'a faites; par exemple, lorsqu'avec cinq pains il rassasia cinq mille hommes, et qu'avec quatre pains, il nourrit sept mille hommes (4); lorsqu'il marcha sur les eaux, et qu'il y fit marcher l'apôtre Pierre (5); lorsqu'il changea l'eau en vin (6),:lorsqu'il ouvrit les yeux de l'aveugle-né (7); et opéra beaucoup d'autres prodiges qu'il serait trop long d'énumérer. Mais peut-être nous répondra-t-on que d'autres ont fait des oeuvres que Jésus-Christ lui-même n'a pas faites, et que personne autre n'a faites. Quel autre en effet que Moïse a frappé les Egyptiens de tant et de si grandes plaies (8), conduit tout un peuple à travers la



1. 1R 17,21-22. - 2. 2R 4,35. - 3. 2R 13,21. - 4. Mt 14,15-21 Mt 15,32-38. - 5. Mt 14,25-29. - 6. Jn 2,9. - 7. Jn 9,7. - 8. Ex 7,12.


52



mer (1), fait descendre du ciel la manne pour calmer sa faim (2) et tiré l'eau de la pierre pour apaiser sa soif (3)? Quel autre que Jésus Navé a divisé les eaux du Jourdain pour y faire passer son peuple (4), et par une prière adressée à Dieu, a arrêté le soleil dans sa course et l'a rendu immobile (5)? Quel autre que Samson a fait sortir de la mâchoire d'un âne mort une fontaine pour étancher sa soif (6)? quel autre qu'Elie a été enlevé au ciel sur un char de feu (7)? quel autre qu'Elisée, ainsi que je viens de le rappeler, a rendu la vie à un mort, par le seul attouchement de son corps enseveli dans le tombeau? quel autre que Daniel a vécu enfermé au milieu des lions affamés sans éprouver aucun mal (8)? quel autre que les trois jeunes hébreux, Ananias, Azarias et Mizaël, s'est promené sans être consumé au milieu des flammes d'une fournaise ardente (9)?

3. J'en omets bien d'autres; mais ce que je viens de rapporter suffit, je pense, pour montrer que plusieurs saints ont aussi fait des oeuvres merveilleuses, que nul autre n'a faites. Cependant, nous ne voyons personne qui, avant Jésus-Christ, ait, avec une puissance si grande, délivré les hommes de tant de maux. Passons sous silence tous ceux qui se présentaient à lui, et qu'il guérit d'une seule parole; ne citons que ce passage de Marc l'évangéliste: "Le soir étant arrivé et le soleil étant couché, on lui amenait tous les malades et tous les possédés; et toute la ville était assemblée devant la porte, et il guérit un grand nombre de malades de plusieurs maladies, et il chassa plusieurs démons (10)". Matthieu ayant rapporté la même chose, ajoute en ces termes le témoignage des Prophètes: "Afin que s'accomplit la parole du prophète Isaïe: Il a pris nos infirmités, et il a porté nos maladies (11)". Marc dit encore dans un autre passage: "Et en quelque endroit qu'il entrât, soit dans les bourgs, soit dans les villages, soit dans les villes, on plaçait les malades sur les places publiques, et on le priait de leur laisser toucher seulement le bord de son vêtement; et tous ceux a qui le touchaient étaient guéris (12)". Voilà ce que nul autre n'a fait pour les Juifs; car ces deux mots: "Sur eux", ne doivent pas



1. Ex 14,21-29. - 2. Ex 16. - 3. Ex 17,6. - 4. Jos 3. - 5. Jos 10,12-14. - 6. Jg 15,19. - 7. 2R 2,11. - 8. Da 6,22. - 9. Da 3,93. - 10. Mc 1,32-31.- 11. Mt 8,17.- 12. Mc 6,56.


signifier qu'il a fait ces choses au milieu d'eux ou devant eux, mais qu'il les faisait pour eux, puisqu'il les guérissait. Il ne s'agit pas, en effet, de prodiges faits seulement pour attirer l'admiration, mais, bien de miracles destinés à procurer évidemment le salut des Juifs; c'étaient là des bienfaits destinés à attirer leur amour et non pas leur haine. Ce qui surpasse tous les miracles opérés par d'autres hommes, c'est qu'il est né d'une Vierge, c'est qu'il a été conçu dans le sein de sa mère et qu'il en est sorti sans donner atteinte à sa virginité; mais ce miracle n'a été fait ni sur les Juifs, ni en leur présence. Car si les Apôtres sont arrivés à connaître la vérité de ce miracle, ce n'a pas été par une notion qui leur fût commune avec les Juifs, mais parce que leur qualité de disciples les avait séparés d'eux. Si vous ajoutez que, le troisième jour après sa mort, il a lui-même fait sortir vivante du sépulcre cette chair dans laquelle il était mort, et qu'avec elle il est monté au ciel pour ne plus mourir, je vous dirai que voilà le plus grand de tous ses miracles; mais ce miracle-là n'a pas été fait sur les Juifs, ni devant eux, et il ne les avait pas encore opérés lorsqu'il disait: "Si je n'avais fait sur eux des oeuvres que nul autre n'a faites".

4. Ces oeuvres sont donc les miracles qu'il a faits pour guérir leurs malades, et personne n'en avait fait en si grand nombre au milieu d'eux. Les Juifs les ont vues, et il le leur reproche quand il ajoute: "Mais maintenant ils les ont vues et ils m'ont haï, moi et mon Père; mais c'est pour que soit accomplie la parole qui est écrite dans leur loi: Ils m'ont haï sans sujet". Il dit: "leur loi", non pas qu'ils en soient les auteurs, mais parce qu'elle leur a été donnée; comme nous appelons "notre pain quotidien, ce pain que nous demandons à Dieu en lui disant: "Donnez-nous notre pain (1)". Il hait sans sujet celui qui par sa haine ne recherche aucun avantage ou ne se garantit d'aucune incommodité; c'est ainsi que les impies haïssent Dieu, c'est ainsi que les justes l'aiment, c'est-à-dire gratuitement, sans attendre d'autres biens que lui-même; car il sera tout en tous. Mais quiconque voudra faire une attention plus particulière à ces paroles de Jésus-Christ: "Si je n'avais pas, fait au milieu d'eux des oeuvres que nul autre n'a faites", (quand

1. Mt 6,11.


53 même le Père ou le Saint-Esprit aurait fait ces oeuvres, il serait encore vrai de dire que nul autre que lui ne les a faites, parce que la Trinité tout entière n'est que d'une substance), quiconque approfondira ces paroles trouvera que c'est encore Jésus-Christ seul qui a fait ces oeuvres, lors même qu'elles auraient été faites par quelque homme de Dieu. Jésus-Christ, en effet, peut faire toutes choses en lui-même et par lui-même, et sans lui personne ne peut rien. Car Jésus-Christ, et le Père, et le Saint-Esprit, sont non pas trois dieux, mais un seul Dieu dont il est écrit "Béni soit le Seigneur Dieu d'Israël, qui seul a fait des choses admirables (1)". Donc nul autre n'a fait les oeuvres qu'il a faites sur les Juifs; car si un homme en a fait quelques-unes, il les a faites par la puissance du Christ, tandis que le Christ a fait les siennes par sa propre puissance et sans la coopération de personne.


1. Ps 71,18.





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QUATRE-VINGT-DOUZIÈME TRAITÉ

Jn 15,26-27

LE TÉMOIGNAGE DU SAINT-ESPRIT

SUR CES PAROLES: "MAIS QUAND SERA VENU LE CONSOLATEUR QUE JE VOUS ENVERRAI DE LA PART DU PÈRE, ESPRIT DE VÉRITÉ, ETC."



Les Juifs avaient résisté au témoignage des miracles de Jésus-Christ; mais le Saint-Esprit devait, à la Pentecôte, venir à la rescousse; les Apôtres eux-mêmes, Pierre en particulier, se déclareraient publiquement pour lui et ouvriraient les yeux à beaucoup d'incrédules.



1. Jésus venait d'achever son dernier repas, sa passion était proche, il allait quitter ses disciples et les priver de sa présence sensible; car, par sa présence spirituelle, il devait rester avec eux tous jusqu'à la consommation des siècles: en ce moment suprême, il leur adressa donc un discours où il les exhortait à supporter les persécutions des impies, qu'il désignait sous le nom de monde; il les avait, dit-il, tirés de ce monde pour en faire ses disciples, et ils devaient le savoir, c'était par la grâce de Dieu qu'ils étaient ce qu'ils étaient aujourd'hui; tandis que leurs propres vices les avaient faits ce qu'ils étaient auparavant. Ensuite il leur annonça clairement que les Juifs devaient être leurs persécuteurs et les siens, et par là il devait paraître avec évidence qu'ils faisaient partie de ce monde damnable, qui persécute les saints. Quand il leur eut dit que les Juifs ne connaissaient pas Celui qui l'avait envoyé et que cependant ils haïssaient et le Fils et le Père, c'est-à-dire Celui qui avait été envoyé et Celui qui l'avait envoyé (choses dont nous avons parlé dans nos discours précédents), il en vint à ce qui suit "C'est afin que soit accomplie la parole qui a est écrite dans leur loi: Ils m'ont haï sans a sujet". Ensuite il ajoute comme conséquence ces paroles que nous entreprenons d'expliquer aujourd'hui: "Mais quand sera venu le Paraclet que je vous enverrai de la part du Père, cet Esprit de vérité qui procède du Père rendra témoignage de moi; et vous aussi vous en rendrez témoignage, parce que depuis le commencement vous êtes avec moi". Quel rapport ces paroles ont-elles avec ce qu'il vient de dire: "Or, maintenant ils ont vu, et ils me haïssent moi et mon Père; mais c'est afin que soit accomplie la parole qui est écrite dans leur loi: Ils m'ont haï sans sujet". Quand le Paraclet est venu, cet Esprit de vérité a-t-il convaincu par un témoignage plus évident ceux qui avaient vu et qui le haïssaient? Il a fait plus, en se manifestant à eux il a converti à la foi qui opère par la charité plusieurs de ceux qui avaient vu et qui le haïssaient encore. Pour le bien comprendre, rappelons-nous ce (54) qui s'est passé. Au jour de la Pentecôte, le Saint - Esprit est descendu sur cent-vingt hommes réunis ensemble, et au nombre desquels se trouvaient tous les Apôtres: dès qu'ils furent remplis de cet Esprit, ils se mirent à parler toutes sortes de langues. Plusieurs de ceux qui avalent haï Notre-Seigneur furent frappés d'un si grand miracle, surtout quand ils virent que Pierre prenait la parole et rendait à Jésus-Christ un si grand et si divin témoignage, qu'ils durent reconnaître comme ressuscité et vivant celui qu'ils avaient tué et qu'ils croyaient relégué pour toujours parmi les morts; le coeur touché de componction, ils se convertirent et ils reçurent le pardon du crime qu'ils avaient commis, en versant avec tant d'impiété et de cruauté un sang si précieux; car le sang même qu'ils avaient répandu les avait rachetés (1). De fait, le sang de Jésus-Christ a été de telle manière répandu pour la rémission de tous les péchés, qu'il a pu effacer même le péché de ceux qui l'avaient répandu. C'est ce que Notre-Seigneur avait en vue lorsqu'il disait: "Ils m'ont haï sans sujet; mais quand sera venu le Paraclet, il rendra témoignage de moi". C'est comme s'il eût dit: Ils m'ont haï et ils m'ont mis à mort, pendant qu'ils me voyaient parmi eux; mais le Paraclet rendra de moi un tel témoignage, qu'il les obligera à croire en moi, même quand ils ne me verront plus.

2. "Et vous", ajoute Notre-Seigneur, "vous rendrez aussi témoignage, parce que depuis le commencement vous êtes avec moi". L'Esprit-Saint rendra témoignage, et vous aussi. Comme vous êtes avec moi depuis le commencement, vous pouvez annoncer ce que vous avez appris; et si vous ne le faites pas dès à présent, c'est que la plénitude de l'Esprit-Saint n'est pas encore descendue en vous. "Il rendra donc témoignage de moi, et vous aussi vous rendrez témoignage". Car la charité répandue dans vos coeurs par l'Esprit-Saint, qui vous sera donné (2), vous inspirera, la confiance de rendre ce témoignage. Elle manquait à Pierre, cette confiance, lorsque, effrayé par la question d'une simple servante, il ne put rendre témoignage à la vérité; sa terreur fut si grande qu'elle le poussa à renier trois fois son Maître (3), en dépit de la promesse qu'il lui avait faite. Or, cette crainte n'existe pas dans la charité; au



1. Ac 2,2. - 2. Rm 5,5. - 3. Mt 26,69-74.


contraire, la charité parfaite met dehors la crainte (1). Enfin, avant la passion de Notre-Seigneur, la crainte servile de Pierre fut interrogée par une servante: mais après la résurrection du Seigneur, son libre amour fut interrogé par le prince de la liberté (2). Aussi dans le premier cas fut-il troublé, tandis que, dans le second, il fut plein de calme; c'est qu'alors il avait renié celui qu'il aimait et qu'en ce moment il aimait celui qu'il avait renié. Cependant cet amour lui-même resta encore faible et étroit, jusqu'à ce que le Saint-Esprit l'eut fortifié et dilaté. Mais quand, par une grâce plus abondante, cet Esprit eut été répandu en lui, son coeur si froid fut enflammé pour rendre témoignage à Jésus-Christ, et sa bouche qui, dans sa frayeur, avait trahi la vérité, fut ouverte, et bien que tous ceux sur lesquels le Saint-Esprit était descendu parlassent toutes sortes de langues, Pierre fut le plus prompt et le seul de tous à rendre, devant la foule des Juifs assemblés, un témoignage éclatant de Jésus-Christ, et à confondre ses meurtriers par la preuve de sa résurrection. Si quelqu'un veut se donner la joie de voir un si doux et si saint spectacle, qu'il lise les Actes des Apôtres (3). Il y verra avec admiration Pierre prêchant Celui qu'il a eu la douleur de lui voir renier; il y verra cette langue, après avoir passé de la crainte à la confiance, et de la servitude à la liberté, décider à confesser le Christ une foule immense de langues, dont une seule avait suffi à pousser la sienne à le renier. Que dire de plus? En cet Apôtre apparaissait un tel éclat de la grâce, une plénitude si complète de l'Esprit-Saint; de sa bouche sortaient des vérités si précieuses et d'un si grand poids, qu'il mit en la disposition de mourir pour Jésus-Christ cette multitude immense des ennemis et des meurtriers du Sauveur, dont il craignait d'être victime avec. son Maître. Voilà les effets que produisit l'Esprit-Saint envoyé alors, mais promis à l'avance. Voilà les grands et admirables bienfaits que Notre-Seigneur prévoyait lorsqu'il disait: "Et ils ont vu, et ils m'ont haï moi et mon Père, afin que s'accomplisse la parole qui a été écrite dans leur loi: Ils m'ont haï sans sujet; mais quand sera venu le Paraclet, que je vous enverrai de la part de mon Père, cet Esprit de vérité, qui procède du



1. 1Jn 4,18. - 2. Jn 21,15. - 3. Ac 2,5.


55



Père, rendra témoignage de moi, et vous "aussi vous en rendrez témoignage". Car cet Esprit, en rendant témoignage et en faisant des Apôtres des témoins inébranlables, a enlevé toute crainte aux amis de Jésus-Christ et a changé en amour la haine de ses ennemis.



93

QUATRE-VINGT-TREIZIÈME TRAITÉ

Jn 16,1-4

PRÉDICTION DE MALHEURS

DEPUIS CES LES DE NOTRE-SEIGNEUR: "JE VOUS AI DIT CES CHOSES, AFIN QUE VOUS NE SOYEZ POINT SCANDALISÉS", JUSQU'A CES AUTRES: "MAIS JE VOUS AI DIT CES CHOSES, AFIN QUE, QUAND LEUR HEURE SERA VENUE, VOUS VOUS SOUVENIEZ QUE JE VOUS LES AI DITES".



Jésus-Christ ne voulait pas voir ses Apôtres exposés, sans préparation, aux épreuves qui les attendaient: aussi, pour les préserver de tout scandale, il leur annonce qu'on les chassera des synagogues, qu'on ira jusqu'à les faire mourir: tant seront grands les succès de leur ministère! et que quiconque les tuera croira encore travailler à la gloire de Dieu.



1. Dans ce qui précède ce chapitre de notre Evangile, le Seigneur voulait confirmer ses disciples dans la disposition de supporter la haine de leurs ennemis. Il les y préparait en leur proposant son exemple: en l'imitant ils devaient devenir plus forts; il y ajoutait la promesse du Saint-Esprit qui devait venir et rendre témoignage de lui; enfin il leur annonçait qu'ils lui rendraient eux-mêmes témoignage sous l'influence du Saint-Esprit. Voici ce qu'il dit: "Il rendra témoignage de moi, et vous aussi vous en rendrez témoignage". Assurément, c'est parce que le Saint-Esprit rendra témoignage, que vous rendrez témoignage vous-mêmes. Il rendra témoignage dans vos coeurs, et vous, ce sera par vos paroles. Il vous inspirera, et vous, vous parlerez afin que puisse s'accomplir ce qui est dit: "Leur voix s'est répandue par "toute la terre (1)". C'eût été peu de les encourager par son exemple, s'il ne les eût encore remplis de son esprit. L'Apôtre avait entendu ces paroles de Notre-Seigneur: "Le serviteur n'est pas plus grand que son maître; s'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi (2)". Et il en voyait déjà l'accomplissement, et si l'exemple avait pu suffire pour cela, il aurait dû imiter la patience de son Maître; mais il succomba et le



1. Ps 18,5. - 2. Jn 15,20.


renia, car il ne pouvait souffrir ce qu'il lui voyait souffrir lui-même. Mais quand il eut reçu le don du Saint-Esprit, il annonça celui qu'il avait renié, et Celui qu'il avait craint de reconnaître pour son Maître, il ne craignit pas de le proclamer tel. D'abord l'exemple du Christ l'avait instruit en lui montrant ce qu'il devait faire; pourtant il n'avait pas encore reçu cette vertu qui devait le fortifier et lui faire exécuter ce qu'il savait; il avait appris ce qu'il fallait pour rester debout, mais il n'avait pas encore été assez affermi pour ne pas tomber. Comme dans la suite il fut affermi par le Saint-Esprit, il prêcha jusqu'à la mort Celui qu'il avait renié par crainte de la mort. C'est pourquoi le Seigneur commence le chapitre dont j'ai maintenant à vous parler, par les paroles suivantes: "Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez pas scandalisés". Nous chantons en effet dans le psaume: "Paix profonde à ceux qui aiment votre loi; rien n'ébranlera leur fidélité (1)". C'est donc avec raison qu'après avoir promis à ses Apôtres le Saint-Esprit qui leur ferait rendre témoignage de lui, Jésus ajoute: "Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez point scandalisés". Quand la charité est répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2), il se fait une grande paix,



1. Ps 118,16. - 2. Rm 5,5.


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car alors nous aimons la loi de Dieu, et pour de telles gens il n'y a point de scandale possible.

2. Il leur annonce ensuite ce qu'ils doivent souffrir, et il leur dit: "Ils vous mettront hors des synagogues". Quel malheur pour les Apôtres d'être chassés des synagogues juives, puisqu'ils s'en seraient eux-mêmes séparés, quand même personne ne les en eût chassés? Le Seigneur voulait par là leur annoncer que les Juifs ne recevraient pas Jésus-Christ, dont ils ne devaient pas eux-mêmes se séparer; ils devaient donc s'attendre à être chassés avec lui par ceux qui ne voulaient pas rester en lui, quoiqu'ils ne pussent rester sans lui. Comme il n'y avait point d'autre peuple de Dieu que cette postérité d'Abraham, s'ils avaient reconnu et reçu Jésus-Christ, ils auraient été entés sur lui comme des branches naturelles sont entées sur l'olivier franc (1), et nous n'aurions pas vu, d'un côté les églises du Christ, et de l'autre les synagogues des Juifs; elles eussent été confondues ensemble, si elles avaient voulu se réunir en lui. Mais puisqu'elles ne l'ont pas voulu, que restait-il à attendre? C'est que ceux qui demeuraient séparés de Jésus-Christ mettraient hors des synagogues ceux qui ne voulaient pas l'abandonner. Après avoir reçu le Saint-Esprit, les Apôtres rendirent donc témoignage à Jésus-Christ, et ainsi furent-ils bien éloignés de ressembler à ceux dont il est dit: "Plusieurs princes des Juifs crurent en lui; mais par crainte des Juifs, ils n'osaient pas le confesser, de peur d'être chassés des synagogues; "car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu (2)". Ils crurent donc en lui, mais non pas comme l'entend Celui qui a dit: "Comment pouvez-vous croire, vous qui cherchez la gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul (3)?" Les disciples crurent donc en lui, remplis de l'Esprit-Saint, c'est-à-dire du don de la grâce de Dieu; ils ne furent ni du nombre de ceux a qui, ignorant la justice a de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à celle de Dieu (4)"; ni du nombre de ceux dont il est dit: "Ils "ont mieux aimé la gloire des hommes que "celle de Dieu". C'est à eux que s'applique cette prophétie, puisqu'en eux elle se trouve accomplie: "Seigneur, ils marcheront dans



1. Rm 11,17. - 2. Jn 12,42-43. - 3. Jn 5,41. - 4. Rm 10,3.


la lumière de votre visage; ils se réjouiront tout le jour en votre nom et ils seront a élevés dans votre justice, parce que c'est vous qui êtes la gloire de leur vertu (1)". C'est donc avec raison qu'il leur dit: "Ils vous mettront hors des synagogues, ceux qui ont dit zèle pour Dieu, mais dont le zèle n'est pas selon la science"; c'est pourquoi, "ignorant la justice de Dieu et voulant établir leur propre justice (2)", ils chassent ceux qui s'enorgueillissent non de leur propre justice, mais de la justice de Dieu et qui, chassés par les hommes, n'en rougissent nullement, parce que c'est Dieu lui-même qui est la gloire de leur vertu.

3. Enfin, ayant ainsi parlé, Jésus ajoute "Mais l'heure vient où quiconque vous fera mourir croira être agréable à Dieu: et ils vous feront ces choses, parce qu'ils n'ont connu ni mon Père, ni moi"; c'est-à-dire, ils n'ont connu ni Dieu, ni son Fils, auquel ils croient se rendre agréables en vous mettant à mort. Le Seigneur ajoute ceci, pour consoler ses disciples de ce que les Juifs les chasseront de leurs synagogues. D'avance il leur annonce les maux qu'ils souffriront pour lui rendre témoignage: "Ils vous mettront hors des synagogues". Et il ne dit pas: Et l'heure vient où quiconque vous tue croira obéir à Dieu; que dit-il donc? "Mais l'heure vient": comme si par ces paroles il voulait leur annoncer une compensation à tous ces maux. Que signifient donc ces mots: "Ils vous mettront hors des synagogues; mais l'heure vient?" C'est comme s'il voulait leur dire: Ils vous disperseront, mais je vous réunirai; ou bien: Ils vous disperseront, mais voici venir l'heure de votre joie. Et cependant, que veut dire cette parole: "Mais a l'heure vient n, qui semble leur promettre des consolations à la suite de leurs tribulations? Ne semble-t-il pas qu'il eût dû employer cette expression démonstrative: Et l'heure vient? Pourtant il ne dit pas: Et l'heure vient, quoiqu'en réalité il leur annonce tribulations sur tribulations, au lieu de leur prédire une consolation à titre de récompense pour leurs peines. Cette expulsion hors des synagogues devait-elle les troubler au point d'aimer mieux mourir que de vivre séparés de l'assemblée des Juifs? Ah 1 qu'ils étaient loin de se laisser ainsi troubler,



1. Ps 88,16-18. - 2. Rm 10,2-3.


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puisqu'ils recherchaient la gloire de Dieu, et non celle des hommes! Que signifient donc ces mots: "Ils vous mettront hors des synagogues; mais l'heure vient"; quand il semble que Jésus aurait dû dire plutôt: Et l'heure vient, "où quiconque vous tuera croira rendre hommage à Dieu?" Il ne dit pas non plus: Mais l'heure vient où ils vous tueront; comme pour leur annoncer que la mort les consolerait de cette séparation, il dit: "Mais l'heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre hommage à Dieu". Notre-Seigneur n'a pas voulu leur marquer et leur faire entendre autre chose que la joie qu'ils ressentiraient après avoir été chassés des assemblées des Juifs. Vous gagnerez tant de fidèles à Jésus-Christ, veut-il leur dire, qu'il ne leur suffira plus de vous chasser, il leur faudra vous faire mourir, de peur que par votre prédication vous ne convertissiez tout le monde à Jésus-Christ, et que vous ne le détourniez de la pratique du judaïsme, qu'ils regardent comme la vérité divine. Car évidemment c'est des Juifs qu'il veut parler ici, comme c'est d'eux qu'il a dit: "Ils vous met"front hors des synagogues n. Sans doute, certains témoins, c'est-à-dire certains martyrs de Jésus-Christ ont été mis à mort par les païens. Mais, remarquez-le, ces païens, en les mettant à mort, croyaient rendre hommage non à Dieu, mais à leurs faux dieux. Or, ceux d'entre les Juifs qui mettaient à mort les prédicateurs de Jésus-Christ, croyaient rendre hommage à Dieu; car ils s'imaginaient que c'était abandonner le Dieu d'Israël que se convertir à Jésus-Christ. Telle fut en effet la raison qui les poussa à faire mourir Jésus-Christ lui-même. Car ce sont eux qui ont prononcé ces paroles: "Vous voyez que tout le monde court après lui (1)! Si nous le laissons faire, les Romains viendront et ils ruineront et notre ville et notre nation". Caïphe n'a-t-il pas dit encore: "Il est avantageux qu'un seul homme meure pour le peuple, et que toute la nation ne périsse pas (1)?" Dans ce discours, Notre-Seigneur encourageait donc ses disciples par son exemple en leur disant: "S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi (3)", et comme en me mettant à mort ils croiront rendre hommage à Dieu, il en sera de même pour vous.



1. Jn 12,19. - 2. Jn 11,48-50. - 3. Jn 15,20.


4. Voici donc le sens de ces paroles: "Ils vous mettront hors des synagogues"; mais n'ayez pas peur de vous trouver seuls; car à peine séparés de leur assemblée, vous réunirez un si grand nombre d'hommes en mon nom, que craignant de voir leur temple désert et tous les sacrements de l'ancienne loi abandonnés, ils vous mettront à mort et, en répandant votre sang, ils croiront rendre hommage à Dieu. C'est là ce que l'Apôtre nous dit à leur sujet: "Ils ont le zèle de Dieu, mais leur zèle n'est pas selon la science (1)"; car ils croient rendre hommage à Dieu en mettant à mort ses serviteurs. O égarement horrible! Eh quoi! pour plaire à Dieu tu fais mourir ceux qui lui plaisent et tu détruis par la mort le temple vivant de Dieu, dans la crainte de voir son temple de pierre abandonné! O aveuglement exécrable! Mais une partie d'Israël y est tombée, afin que la plénitude des nations entrât dans l'Eglise. Je dis une partie d'Israël, et non pas Israël tout entier; car toutes les branches n'ont pas été brisées; il n'y a eu de rompus que quelques rameaux à la place desquels a été greffé le sauvageon (2). En effet, lorsque les disciples de Jésus-Christ furent remplis du Saint-Esprit, ils se mirent à parler toutes sortes de langues, lorsque par eux furent accomplis un grand nombre de miracles divins, et qu'ils répandirent partout la parole de Dieu, Jésus quoique crucifié fut tellement aimé que ses disciples, après avoir été chassés de l'assemblée des Juifs, réunirent même d'entre les Juifs une grande multitude, et ne craignirent pas d'être seuls a. Pour ceux qui restèrent réprouvés et aveugles, ayant le zèle de Dieu, mais non selon la science, ils croyaient rendre hommage à Dieu en faisant mourir ses Apôtres; mais Celui qui était mort pour eux les rassemblait; avant sa mort il les avait instruits de ce qui devait leur arriver, car il ne voulait pas que ces maux inattendus et imprévus pussent, malgré leur peu de durée, jeter le trouble dans leurs esprits ignorants et nullement préparés à pareille épreuve. Connues d'avance et endurées patiemment, ces tribulations devaient au contraire les conduire aux biens éternels. Que telle ait été la cause de cette prédiction, c'est ce que nous indique Notre-Seigneur quand il ajoute: "Mais je vous ai dit ces choses, afin que

1. Rm 10,2. - 2. Rm 11,17-25. - 3. Ac 2,4.


58 l'heure en étant venue, vous vous rappeliez que je vous les ai dites". Heure de ténèbres, heure nocturne. "Mais le Seigneur qui a signalé sa miséricorde dans le jour, l'a encore signalée dans la nuit (1)"; quand la nuit des Juifs a repoussé loin d'elle le jour des chrétiens sans pouvoir l'obscurcir, et qu'elle a fait mourir leurs corps sans être à même de plonger leur foi dans les ténèbres.

1. Ps 41,9.






Augustin sur Jean 90