Augustin, lettres - LETTRE CXXII. (Année 410)

LETTRE CXXIII. (A la fin de l'année 410)

Les commentateurs se sont exercés sur cette courte lettre de saint Jérôme; le solitaire de Béthléem y présente sa pensée sous des voiles qui ne sauraient être entièrement soulevés; les premières lignes ont évidemment trait à des hérétiques vaincus et non soumis; et quant à la phrase sur Jérusalem et Nabuchodonosor, il faut entendre peut-être Rome au pouvoir d'Alaric et ne. comprenant pas dans sa chute les enseignements divins.

SAINT JÉRÔME A SAINT AUGUSTIN.

Plusieurs boîtent des deux pieds; et quoique leur tète soit fracassée, ils ne la baissent pas; ils n'ont plus la même liberté pour publier leurs erreurs, mais ils y demeurent attachés.

Les saints frères qui sont avec moi, surtout vos saintes et vénérables filles (2), vous saluent humblement. Je prie votre grandeur de saluer en mon nom vos frères, mes seigneurs Alype et Evode.

Jérusalem, prise et occupée par Nabuchodonosor, ne veut pas écouter les conseils de Jérémie elle préfère l'Égypte pour mourir, à Taphné (3), et périr dans une éternelle servitude.

2. Paula, Eustochium, etc. - 3. Tanis.




TROISIÈME SÉRIE.

LETTRES CXXIV - CCXXXI.

LETTRES ÉCRITES DEPUIS L'ANNÉE DE LA CONFÉRENCE DE CARTHAGE,

EN 411, JUSQU'À SA MORT, EN 450.




LETTRE CXXIV. (Au commencement de l'année 411).

Albine, Pinien et Mélanie désiraient voir saint Augustin et s'étaient rendus en Afrique; nous ignorons quels motifs les avaient d'abord empêchés d'aller à Hippone; c'est à Thagaste, la cité natale du grand évêque, que ces pieux personnages avaient passé l'hiver Saint Augustin écrit à ces illustres chrétiens de Rome pour leur expliquer comment il a été obligé de rester tout l'hiver sans aller les visiter. Son peuple d'Hippone était en proie aux tribulations; le pasteur ne pouvait pas se séparer du troupeau.

AUGUSTIN AUX ILLUSTRES SEIGNEURS EN JÉSUSCHRIST, A SES FRÈRES TRÈS-SAINTS, TRÈS-CHERS, ET TRÈS-DÉSIRÉS, ALBINE, PINIEN ET MÉLANIE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Par faiblesse de santé ou par tempérament je ne puis supporter le froid; toutefois, dans cet horrible hiver, moi qui aurais passé les mers pour vous joindre, j'ai bien plus souffert de ne pouvoir, je ne dis pas aller, mais voler vers vous qui étiez si près de moi et qui étiez venus de si loin pour nous voir. Votre sainteté croira peut-être que la rigueur de la saison a été la cause unique de ma peine; non, mes amis, non. Que pouvaient me faire ces pluies, et qu'avaient-elles d'incommode et même de dangereux, lorsqu'il s'agissait de me rendre auprès de vous, vous, mes consolations si grandes dans de si grands maux au milieu d'une génération tortueuse et perverse, vous, ardents flambeaux allumés aux rayons éternels, grands par l'humilité, plus illustres par le mépris de la gloire? J'aurais aussi pris ma part des joies spirituelles que votre présence fait goûter à la ville où je suis né; avant de vous avoir vus, lorsqu'elle entendait parler de la grandeur de votre origine et de ce que vous êtes devenus par la grâce du Christ, elle y croyait par la charité, cependant elle n'osait peut-être pas le raconter elle-même, craignant de trouver des incrédules.

2. Je dirai donc pourquoi je ne suis pas allé vers vous, et par quels maux j'ai été privé d'un si grand bien; non-seulement j'espère que vous m'accorderez mon pardon, mais j'espère aussi, par vos prières, obtenir la miséricorde de celui qui opère en vous ce qui fait,que vous vivez pour lui. Le peuple d'Hippone, à qui Dieu m'a donné pour serviteur, est presque tout entier si faible que la moindre tribulation suffit pour l'abattre; mais tel est aujourd'hui l'excès de son affliction (1) que, ne fût-il pas faible, il pourrait à peine en porter le poids sans succomber. A mon dernier retour, j'ai reconnu que mon absence avait été pour ce peuple un dangereux sujet de scandale; or, vous savez, vous dont la force m'est une joie dans le

1. Le pays d'Hippone commençait alors à souffrir de l'invasion des Barbares.

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Seigneur, vous savez par quelle sagesse l'Apôtre a dit: «qui est faible sans que je le devienne avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle (1)?» D'ailleurs il y a bien des gens ici qui, ne nous épargnant pas dans leurs attaques, s'efforcent d'exciter centre nous ceux qui nous aiment et de faire entrer le démon dans leur âme. Or quand nous sommes ainsi poursuivis par ceux dont le salut nous occupe, leur grand dessein de vengeance est un désir de mourir, non dans le corps, mais dans l'âme où l'on sent une secrète odeur de sépulcre avant même que notre pensée ait pu découvrir que la vie n'est plus là. Vous pardonnerez, sans aucun doute, à ces sollicitudes; si vous m'en blâmiez et vouliez me punir, vous ne trouveriez rien de plus pénible à m'imposer que ce que je souffre, lorsque vous êtes à Thagaste et que je ne vous y vois pas. Mais, aidé par vos prières, dès que les obstacles qui maintenant me retiennent auront disparu, j'espère qu'il me sera donné d'aller vous joindre, en quelque lieu de l'Afrique que vous vous trouviez, si, comme je le crains, la ville où. je porte le fardeau de mes devoirs n'est pas digne de se réjouir avec nous de votre présence.




LETTRE CXXV. (Au commencement de l'année 411)

Nous avons raconté, dans l'Histoire de saint Augustin (2), comment Pinien, s'étant rendu à Hippone et assistant à la célébration des saints mystères, fut surpris par les acclamations du peuple qui demanda de l'avoir pour prêtre et sollicita son ordination. Cette sorte de violence à l'égard de Pinien déplut à sa famille et devint une grande affaire. L'évêque Alype avait été présent aux scènes bruyantes du peuple d'Hippone; on l'accusait de vouloir garder pour son église de Thagaste l'illustre et riche Romain. Cette affaire donna à saint Augustin bien du souci; voici une lettre qu'il écrivit à cette occasion à son cher et vénérable collègue de Thagaste. On y trouve un grand sentiment des devoirs chrétiens et surtout des, devoirs des évêques, On y remarquera aussi la fermeté de la doctrine de saint Augustin sur le serment.

AUGUSTIN ET LES FRÈRES QUI SONT AVEC LUI,AU BIENHEUREUX SEIGNEUR ET TRÈS-CHER ET VÉNÉRABLE FRÈRE ALYPE, SON COLLÈGUE DANS L'ÉPISCOPAT, ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC LUI,SALUT DANS LE SEIGNEUR.

l. Notre affliction est grande; il ne nous est pas possible de rester insensibles à ces clameurs injurieuses du peuple d'Hippone contre votre sainteté; mais ce qui doit nous affliger beaucoup plus sensiblement, bon frère, ce n'est

1. 2Co 11,29 - 2. Chap. 26.

pas que l'on crie ainsi contre nous, c'est qu'on ait de nous l'idée qu'on en a. Quand on nous accuse de vouloir retenir les serviteurs de Dieu par le désir ardent de l'argent et non par l'amour de la justice, n'est-il pas désirable que ceux qui le pensent fassent voir ce u 1!s ont dans le coeur afin qu'on puisse chercher, si c'est possible, des remèdes proportionnés à un si grand mal; et cela ne vaut-il pas mieux que de les laisser périr en silence dans le poison de leurs mauvaises pensées? C'est pourquoi., ainsi que nous le disions avant tout ceci, il importe bien plus de détromper les hommes auxquels nous devons l'exemple des bonnes oeuvres, que de chercher les moyens de reprendre ceux qui expriment leurs soupçons par des cris ou des paroles.

2. Aussi je ne me fâche pas contre la sainte dame Albine (1), et ne veux pas l'accuser, mais je pense qu'il faut la guérir de ces soupçons. Elle ne m'a pas personnellement accusé, mais ses plaintes paraissent tomber sur les gens d'Hippone qui auraient laissé éclater leur cupidité, et auraient voulu garder au milieu d'eux, non pas dans un intérêt ecclésiastique, mais dans un intérêt purement temporel, un homme riche, ne faisant aucun cas de l'argent et le répandant à pleines mains; cependant il s'en faut de peu qu'elle n'en ait publié autant de moi; et non-seulement Albine, mais même ses saints fils ont tenu ce langage le même jour dans l'abside (2). Il faut, je le répète, les guérir de ces soupçons plutôt que les en blâmer. Où sera pour nous la tranquille sécurité contre de telles épines si elles ont pu pousser en dés coeurs si Saints et qui nous sont si chers? Vous avez été soupçonné par le vulgaire ignorant; moi je l'ai été par clés lumières de l'Eglise: voyez lequel de nous deux est le plus à plaindre. N'accusons pas, mais cherchons à guérir les uns et les autres; ce sont des hommes qui accusent dès hommes, et si. ce qu'on reproche est faux, ce n'est du moins pas incroyable. De semblables personnages: ne perdent pas le sens au point de penser que le peuple désire leur argent; ils ont déjà vu que le peuple de Thagaste n'en a rien reçu, il en serait de même du peuple d'Hippone.

1. Ces préventions vives n'atteignent que les ecclésiastiques et surtout les évêques, dont on voit Albine était la belle-mère de Pinien. - 2. L'abside était l'ancienne désignation de la portion du choeur où se tenait l'évêque entouré de son clergé.

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la grande autorité et qu'on suppose user et jouir en maîtres des biens de l'Eglise. Si c'est possible, mon cher Alype, ne doutions pas aux faibles des motifs de croire à cette coupable et mortelle cupidité. Rappelez-vous ce que nous avons dit avant ce qui vient d'arriver, avant cette pénible épreuve qui nous y oblige davantage. Entendons-nous plutôt et tâchons d'y pourvoir à l'aide de Dieu; notre conscience ne doit pas nous suffire. Il faut ici quelque chose de plus. Si nous ne sommes pas de mauvais serviteurs de Dieu, s'il demeure en nous quelque chose de cette flamme sainte par laquelle la charité ne cherche pas son bien propre; nous devons accomplir le bien, non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes, de peur que, tout en buvant une eau pure dans notre conscience, nous ne troublions d'un pied imprudent l'eau où s'abreuvent les brebis du Seigneur.

3. Vous m'avez invité à rechercher avec vous la valeur d'un serment arraché par la violence; il ne faut pas, je vous en conjure, que nos raisonnements obscurcissent ce qu'il y a de plus clair. Si un serviteur de Dieu était placé entre une mort certaine et le serment de faire quelque chose d'illicite et de coupable, il devrait préférer la mort à ce serment qu'il ne pourrait tenir que par un crime. Ici les persévérantes clameurs du peuple n'ont pas contraint un homme à rien de mauvais, à rien dont l'exécution fût illicite; on craignait bien que quelques-uns de ces misérables qui se mêlent souvent à la foule de gens de bien, faisant les indignés et trouvant une occasion de désordres, ne se portassent, par amour du pillage, à quelque violence coupable, mais ce n'était là qu'une crainte: qui donc soutiendra qu'on doive se parjurer certainement, je ne dis pas pour échapper à des dommages incertains, à des outrages et à des coups, mais pour échapper même à la mort? Ce je ne sais quel Régulus n'avait rien appris de nos Ecritures sur l'impiété d'un faux serment, il n'avait pas entendu parler de la faux de Zacharie (1), et certainement ce n'était pas par le Christ, mais par les démons qu'il avait juré aux Carthaginois; toutefois la crainte de tortures certaines et d'une horrible mort ne le détermina point à prêter un serment forcé, mais comme il

1. Au lieu du livre marqué dans la Vulgate, au chapitre cinquième de Zacharie, et où sont inscrites des malédictions contre les parjures, la Bible des Septante, dont l'ancienne italique de saint Augustin n'était que la traduction, porte une faulx: d?epa???.

avait juré avec une volonté libre, il les accepte pour ne point se parjurer. Et. les censeurs de Rome refusèrent alors de recevoir non point au nombre des saints, mais au nombre des sénateurs, non point dans la céleste gloire, mais dans une cour terrestre, ceux qui, par crainte de la mort et de peines cruelles, aimèrent mieux se parjurer ouvertement que de retourner au milieu d'intraitables ennemis; bien plus ils repoussèrent celui qui s'était cru justifié du reproche de parjure parce que, après son serment, il était retourné à l'ennemi par je ne sais quel semblant de nécessité. En le repoussant du sénat ils ne considérèrent donc point quelle avait été son intention quand il prêtait serment, mais ce qu'attendaient de lui ceux à qui il avait juré. Et ils n'avaient pas lu ce que nous chantons toujours: «Celui qui fait serment à son prochain et ne le trompe pas (1).» Nous avons coutume de louer ces choses avec grande admiration, quoique nous les trouvions dans des hommes étrangers au nom et à la grâce du Christ; et pourtant nous croyons devoir chercher encore dans les livres divins s'il est quelquefois permis de parjurer, et ces mêmes livres, de peur que la facilité du serment ne nous fasse tomber dans le parjure, nous défendent de jurer!

4. Je n'hésite pas à établir comme une règle très juste, que le serment n'est tenu dans sa plénitude que quand il l'est conformément à ce que nous savions qu'attendait de nous celui à qui nous l'avions prêté, plutôt que conformément aux paroles prononcées. Les. mots, surtout quand il y en a peu, renferment. difficilement toute la pensée de celui qui a. juré. D'où il arrive qu'on est parjure lorsque, tout en restant fidèle aux mots, on trompe l'attente de ceux à qui on a fait le serment; et que l'on n'est point parjure, lorsque, ne suivant pas les termes mêmes du serment, on satisfait aux intentions de celui à qui on l'a prêté. Les gens d'Hippone n'ont pas voulu avoir dans leur ville le saint homme Pinien comme un condamné, mais comme un habitant qui leur serait cher; et quoique les termes de son serment n'exprimassent pas bien ce qu'on attendait de lui, son absence actuelle n'émeut aucun de ceux qui ont pu apprendre qu'il avait dû partir pour un motif particulier, mais avec la volonté de revenir. Il ne sera pour cela ni parjure ni réputé tel par les gens (252) d'Hippone, à moins qu'il ne trompe leur attente; il ne la tromperait que s'il n'était plus d'avis de s'établir au milieu d'eux, ou s'il s'éloignait sans la pensée du retour: à Dieu ne plaise que rien de pareil se montre dans la vie d'un homme si fidèle au Christ et à l'Eglise! Car, sans rien dire ici de ce que vous savez comme moi sur la sévérité des jugements divins contre le parjure, j'affirme que nous ne devrions plus reprocher à personne de ne pas croire à nos serments, si nous devions, non-seulement être insensibles au parjure d'un tel homme, mais même le justifier. Puissions-nous en être préservés, lui et nous, par la miséricorde de ce Dieu qui délivre de la tentation ceux qui espèrent en sa bonté! Ainsi que vous le lui avez conseillé dans votre réponse, que Pinien tienne donc la promesse qu'il a faite de demeurer à Hippone, comme les gens d'Hippone et moi nous y demeurons, tout en restant libres d'aller et de revenir: avec cette seule différence que ceux qui ne sont pas liés par un serment, peuvent, sans tomber dans le parjure, quitter Hippone sans y revenir jamais.

5. J'ignore s'il est possible de prouver que quelques-uns de nos clercs ou des frères établis dans notre monastère se soient rencontrés parmi ceux qui vous ont injurié, ou les aient excités à le faire. Ayant pris à cet égard des informations, on m'a dit qu'un seul de nos frères, un Carthaginois, avait crié avec le peuple quand on demandait Pinien pour prêtre, mais non pas quand on vous outrageait. J'ai joint à cette lettre une copie de la promesse de Pinien, faite d'après la feuille qu'il a signée et corrigée sous mes yeux.




LETTRE CXXVI. (Année 411)

Saint Augustin raconte comment l'affaire de Pinien s'est passée dans l'église d'Hippone; il venge son peuple d'injustes soupçons, et comme les plaintes d'Albine n'avaient pas épargné le saint évêque, il parle de lui avec une simplicité très- belle et une attachante humilité. sa doctrine sur le serment se produisit de nouveau dans cette lettre avec inflexibilité.

AUGUSTIN A LA SAINTE DAME ALBINE, VÉNÉRABLE SERVANTE DE DIEU, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Il est juste de consoler et non d'accroître la douleur de votre âme que vous ne sauriez m'exprimer, comme vous dites dans votre lettre; nous vous guérirons ainsi de vos soupçons si c'est possible, et en ne vous les reprochant point dans l'intérêt de notre cause, nous éviterons de troubler davantage votre coeur pieux et consacré à Dieu. Nulle menace de mort contre notre saint frère, votre saint fils Pinien, n'a été proférée par les gens d'Hippone, malgré la crainte qu'il a pu avoir à cet égard. Nous redoutions que des misérables, qui se mêlent souvent à la multitude pour exécuter quelque complot secret, ne prissent occasion de ces scènes pour commettre des violences et exciter une sédition sous prétexte d'indignation légitime. Mais, comme nous l'avons entendu dire après, rien de tel n'a été dit ni entrepris par personne; seulement il est vrai que mon frère Alype a été en butte à des clameurs outrageantes, et puissent ses prières mériter aux coupables le pardon d'une si grande injustice! Pour moi, après les premiers cris, après avoir annoncé que je m'étais engagé à ne pas ordonner Pinien malgré lui, et que si on l'avait pour prêtre contrairement à ce que j'avais promis, on ne m'aurait plus pour évêque, je laissai la foule et retournai à mon siège. Cette réponse a laquelle on ne s'attendait pas mit de l'hésitation et du trouble parmi le peuple; mais comme une flamme excitée par le vent, le peuple laissa éclater une ardeur nouvelle, pensant qu'il pourrait ou m'arracher la violation de ma promesse ou obtenir, si je gardais ma parole, que Pinien fût ordonné par un autre évêque. Je disais aux personnes les plus graves et les plus respectables, montées à l'abside auprès de nous et de qui je pouvais me faire entendre, que je ne pourrais m'écarter de ma promesse, ni Pinien être ordonné, sans ma permission, par un autre évêque dans l'Eglise confiée à mes soins, et qu'en y consentant je ne manquerais pas moins à ma parole. J'ajoutais que vouloir que Pinien fût ordonné malgré lui, c'était vouloir qu'il s'en allât après son ordination; c'est ce qu'on ne croyait pas. La multitude, établie sur les marches, persistait dans la même volonté en poussant de longs et horribles cris, et nous ne savions que faire. Ce fut alors qu'on hurla tant d'indignes outrages contre mon frère Alype, ce fut alors que je craignis de plus graves excès.

2. Malgré mon émotion au milieu de ce tumulte populaire et d'un pareil désordre dans l'Eglise, ma seule réponse à ceux qui me (253) serraient de près, c'est que je ne pouvais pas ordonner Pinien malgré lui, et cependant je ne fus pas amené à manquer à ma promesse de ne rien faire pour l'engager à recevoir la prêtrise; si j'avais pu le lui persuader, il n'aurait pas été ordonné contre sa volonté. Je gardai les deux promesses, celle que j'avais fait connaître au peuple, et celle dont un seul homme avait été le témoin. Je gardai, dis-je, dans un si grand danger, la fidélité à une promesse qui n'était pas un serment; ce péril que nous redoutions n'était pas véritable, comme nous le sûmes après; s'il avait été sérieux, nous aurions été tous menacés; la crainte était donc commune, et, voulant épargner quelque profanation odieuse à l'Eglise où nous étions, je songeais à me retirer. Mais je dus trembler que, moi absent, le respect ne fût moindre et le ressentiment plus violent, et qu'il n'arrivât quelque chose. D'ailleurs si je sortais avec mon frère Alype à travers les rangs serrés du peuple, il fallait veiller à ce que nul n'osât porter la main sur lui; si je sortais sans lui; que de reproches à me faire en cas de malheur! n'avais-je pas l'air d'abandonner Alype pour le livrer à la fureur du peuple?

3. Au milieu de ces tourments et de ces inquiétudes où pas un bon espoir ne me permettait de prendre haleine, voilà que tout à coup et inopinément notre saint fils Pinien m'envoie un serviteur de Dieu; il vient me dire que Pinien veut jurer au peuple que s'il est ordonné malgré lui, il quittera l'Afrique; celui-ci, je crois, espérait ainsi mettre un terme aux cris du peuple qui pensait bien qu'il ne se parjurerait pas, et qui ne voudrait pas chasser un homme que nous aurions au moins pour voisin. Mais je ne voyais dans un semblable serment qu'un motif nouveau de mécontentement pour le peuple, je ne répondis rien; et comme Pinien me faisait demander en même temps d'aller vers lui, j'y allai aussitôt. II me répéta la même chose, ajoutant ce qu'il venait de me faire dire par un autre serviteur de Dieu, que j'avais rencontré en me rendant auprès de Pinien, savoir qu'il resterait à Hippone si on n'imposait pas à son refus le fardeau de la cléricature. Eu proie à tant de perplexités, je fus soulagé par ces paroles comme on l'est par un peu d'air quand on étouffe; je ne répondis rien, mais je me dirigeai vivement du côté de mon frère Alype, et je lui dis ce que je venais d'entendre. Alype, comme je la crois, désirant échapper à la responsabilité d'une décision qu'il supposait devoir vous être désagréable, me répondit: «Que là-dessus personne ne me consulte.» Je m'avançai alors vers le peuple en tumulte; le silence se fit, et j'annonçai ce que Pinien promettait sous la foi du serment. Les gens d'Hippone qui ne songeaient qu'à le voir prêtre et ne désiraient que cela, n'acceptèrent pas, contre mon attente, ce qui leur était offert; après s'être un peu concertés entre eux et à voix basse, ils demandèrent qu'il fût ajouté à la promesse et au serment que quand il plairait à Pinien d'entrer dans les ordres, il ne choisirait pas d'autre église que celle d'Hippone. Je me rendis auprès de lui; il y consentit sans hésitation. Je l'annonçai au peuple qui poussa des cris de joie et bientôt demanda le serment promis.

4. Je retournai vers notre fils et le trouvai incertain sur les termes de ce serment, à cause des nécessités violentes qui pouvaient le contraindre de s'éloigner. Il craignait, disait-il, une invasion ennemie à laquelle on ne pourrait échapper que par la fuite. La sainte dame Mélanie (1) voulait ajouter des cas de maladies produites par un mauvais air; mais Pinien la reprit pour cette observation. Je lui dis que la raison grave qu'il venait d'alléguer en serait une aussi pour les citoyens d'Hippone qu'une attaque de ce genre forcerait à s'éloigner; mais que si je déclarais cela au peuple, il était à craindre qu'il ne le prit pour un mauvais présage; je dis aussi que si on stipulait une cause d'éloignement sous le nom général de nécessité, le peuple y soupçonnerait quelque arrière-pensée. Il fut convenu, toutefois, qu'on ferait une tentative à cet égard; mais la proposition ne trouva que l'accueil auquel je m'attendais. Les premiers mots du serment, lus par un diacre, plurent à tout le monde; mais au mot de nécessité, des cris éclatèrent, on ne voulut plus de la promesse, le tumulte recommença, et le peuple crut qu'on ne cherchait qu'à le tromper. Notre saint fils ayant vu cela, il ordonna la suppression du mot de nécessité, et tout de suite le peuple revint à la joie.

5. Pinien ne voulut pas aller vers le peuple sans moi, quoique je m'en fusse excusé à cause de ma fatigue; nous nous avançâmes donc ensemble. Il dit au peuple que les paroles lues par le diacre l'avaient été par ses ordres, qu'il s'y engageait par serment et qu'il le tiendrait

1 C'était la femme de Pinien.

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il répéta tout ce que le diacre avait dit en son nom. On répondit: Grâces à Dieu, et l'on demanda que le tout fût écrit et signé. Nous renvoyâmes les catéchumènes, on écrivit, et Pinien signa. On nous demanda ensuite, à nous évêques, non pas tumultueusement, mais par l'intermédiaire respectueux de quelques fidèles considérables, de signer, nous aussi. Dès que je commençai à le faire, la sainte dame Mélanie s'y opposa. J'admirai qu'on se ravisât si tard, comme si, en ne pas signant cette promesse et ce serment, nous pouvions leur ôter leur valeur; j'obéis cependant; ma signature demeura inachevée, et personne ne crut devoir insister pour nous faire signer.

6. J'ai eu soin d'informer suffisamment votre sainteté de ce qui avait été fait ou dit à Nippone un autre jour, après que, le peuple avait su le départ de Pinien; quiconque a pu vous faire à cet égard un récit contraire au mien a menti ou a été trompé. J'ai omis des détails qui m'ont paru rie pas devoir m'occuper, mais je n'ai rien dit de faux. Il est donc vrai que notre saint fils Pinien a juré en ma présence et avec ma permission; mais il est faux qu'il ait juré par rires ordres. Il le sait lui-même, les serviteurs de Dieu qu'il m'a envoyés le savent aussi: notre saint frère Barnabé, ensuite notre saint frère Timasse, chargés de me porter sa promesse de rester à Hippone. Le peuple lui-même le contraignait, par ses cris, à la prêtrise, et non point au serment. Le serment lui ayant été offert, il ne le repoussa pas, dans l'espérance que le séjour de Pinien au milieu de nous l'amènerait à consentir à l'ordination on craignait qu'ordonné malgré lui, il ne partît d'Hippone, ainsi qu'il l'avait juré. Ainsi les gens d'Hippone ont crié en vue de l'oeuvre de Dieu (car la sanctification de la prêtrise est toujours l'oeuvre de Dieu), et quant à leur mauvais accueil fait à la promesse de ne point quitter Hippone à moins d'ajouter que si Pinien entrait dans les ordres, il ne choisirait pas d'autre église que la nôtre, c'est une preuve assez évidente de ce qu'ils attendaient de la présence du saint homme parmi eux, et par là ils n'ont pas cessé de désirer l'oeuvre de Dieu.

7. Comment donc dites-vous qu'ils ont fait cela pour un honteux amour de l'argent? D'abord l'argent ne regarde en rien la foule qui criait; de même que les gens de Thagaste n'ont eu de ce que vous avez donné à l'église de cette ville que la joie de votre bonne oeuvre, ainsi ceux d'Hippone ou de tout autre lieu n'auraient rien autre à gagner de l'usage chrétien que vous pourriez faire au milieu d'eux de la mammone d'iniquité. Le peuple, en demandant ardemment pour son église un si grand personnage, n'a donc pas cherché par vous son avantage pécuniaire, mais il a aimé en vous votre mépris de l'agent. Car s'il a été prévenu en ma faveur pour avoir entendu dire que j'avais abandonné quelques petits champs paternels afin de me consacrer avec plus de liberté au service de Dieu (et il n'a pas été jaloux de l'église de Thagaste, ma patrie selon la chair, mais ceux de Thagaste ne m'ayant point imposé la cléricature, ceux d'Hyppone ont rais la main sur moi lorsqu'ils l'ont pu ); si donc il en a été ainsi de moi, avec quelle ardeur ils ont dû aimer dans notre Pinien une triomphante conversion qui lui a fait fouler aux pieds tant de désirs, tant de richesses, tant d'espérances de ce monde! En ce qui me touche, selon le sentiment de bien des gens qui ne jugent que d'après eux-mêmes, je n'ai pas l'air d'avoir laissé des richesses, mais de m'être enrichi, Car mon bien paternel pourrait à peine être estimé la vingtième partie des biens de l'Eglise, dont je suis censé le maître aujourd'hui. Mais partout, et principalement dans les églises d'Afrique, partout où Pinien serait, je ne dis pas prêtre, mais évêque, si on comparait ce qu'il pourrait posséder à ce qu'il possédait auparavant, dût-il en jouir en maître, il serait très-pauvre. La pauvreté chrétienne est donc plus appréciée, mieux aimée, là où ne peut apparaître le soupçon de chercher rien de plus que ce qu'on a quitté. Voila ce qui a ému les gens d'Hippone, voila ce qui explique la persévérance de leurs cris. Ne les accusons donc pas d'une cupidité honteuse, mais laissons-les au moins aimer sans crime dans les autres un bien qu'ils n'ont pas. Quoique des pauvres et des mendiants, mêlés à la foule, aient aussi crié et qu'ils aient espéré tirer de votre honorable opulence un secours pour leur misère, ce n'est pas là, je pense, une honteuse cupidité.

8. Il n'y a plus que les clercs et surtout l'évêque sur qui puisse tomber indirectement ce reproche de honteux amour de l'argent; car on croit que nous sommes les maîtres des biens de l'Eglise et que nous en jouissons. Or, ce que nous en avons reçu, ou nous le possédons encore, ou nous l'avons distribué comme il nous a plu; à l'exception d'un petit nombre (255) de pauvres, nous n'avons donné à personne en dehors du clergé et du monastère. Je ne dis donc pas que c'est surtout contre nous que vous avez dû diriger vos accusations, mais je dis que pour être croyables il faut que les reproches s'adressent à nous seuls. Que ferons-nous donc? Comment nous disculper au moins devant vous, si nous ne le pouvons. auprès de nos ennemis? C'est une chose de l'âme, une chose intérieure, cachée aux yeux des, mortels et connue de Dieu seul. Ainsi que reste-t-il à faire si ce n'est de prendre à témoin le Dieu à qui elle est connue? En nous soupçonnant de la sorte, vous ne nous ordonnez pas de jurer (ce qui est beaucoup mieux, et dans votre lettre vous me reprochez d'y avoir obligé Pinien), mais vous nous forcez tout à fait au serment; nous ne sommes point ici en face d'un péril de mort comme celui où l'on croit que Pinien s'est trouvé au milieu du peuple d'Hippone, nous sommes sous le coup du danger auquel notre réputation est exposée; cette réputation, nous devons la préférer à la vie, pour l'avantage des faibles à qui nous nous efforçons de donner en toute chose l'exemple des bonnes oeuvres.

9. Mais pendant que vous nous contraignez ainsi au serment, nous ne nous irritons pas contre vous comme vous le faites contre les gens d'Hippone. Vous avez jugé comme des hommes qui en jugent d'autres, et quoique nous n'ayons pas les torts que vous nous supposez, nous aurions pu les avoir. On doit tâcher de vous guérir de ces soupçons et non pas vous en faire un crime; il faut rendre à notre réputation toute sa pureté devant vous, si notre conscience est restée pure devant Dieu. Il nous accordera peut-être, ainsi que nous le disions, mon frère Alype et moi, avant que ces pénibles scènes arrivassent, il nous accordera de montrer clairement, non-seulement à vous, nos amis, membres comme nous du corps de Jésus-Christ, mais encore à nos plus implacables ennemis, que nulle pensée d'intérêt grossier ne nous souille dans les affaires ecclésiastiques. En attendant que cette lumière éclate, si le Seigneur le permet, nous faisons ce à quoi nous sommes contraints pour ne pas retarder d'un moment la guérison de votre âme. Dieu m'est témoin que cette administration des biens de l'Eglise où l'on croit que nous aimons à dominer, je ne l'aime pas; mais je la supporte à cause de mes devoirs de charité envers mes frères et de crainte envers Dieu; je voudrais en être affranchi si je le pouvais sans manquer aux obligations de ma charge. Le même Dieu m'est témoin que je ne pense pas autrement de mon frère Alype. Cependant le peuple, et ce qui est plus douloureux, le peuple d'Hippone ne l'a pas jugé ainsi et ne lui a épargné aucun outrage. Et vous, saints de Dieu, âmes miséricordieuses, vous avez cru cela de moi tout en ne parlant que du peuple d'Hippone, que ces reproches de cupidité ne pouvaient atteindre; vous avez voulu me toucher et m'avertir; vous l'avez fait pour nous reprendre et sans aucune haine, je n'en doute pas. Aussi je ne me fâche point, mais je vous rends grâces de ce mélange, de réserve et de liberté qui vous a fait avertir l'évêque par voie indirecte au lieu d'aller droit à lui et de paraître lui faire outrage en lui déclarant vos soupçons.

10. Que l'obligation où je me suis cru de jurer ne soit pour vous ni un regret ni une peine. L'Apôtre n'affligeait pas, ou n'aimait pas moins ceux à qui il disait: «Nous n'avons pas été «auprès de vous avec des discours de flatterie, «vous le savez, ni avec des sentiments de tupi«dité, Dieu nous en est témoin (1).» Il les a pris à témoin pour une chose manifeste; mais pour une chose cachée, qui prendre à témoin, si ce n'est Dieu! Si donc il a eu raison de redouter de tels soupçons de l'ignorance humaine, lui, dont le travail était connu de tous, et qui, sauf le cas d'extrême nécessité, ne demandait rien pour lui aux peuples auxquels il dispensait la grâce du Christ, pourvoyant de ses propres mains à ce qui était nécessaire à sa subsistance; à plus forte raison devons-nous tout faire pour qu'on nous croie, nous qui sommes si au-dessous de sa sainteté et de sa vertu, et qui ne pouvons travailler de nos mains afin de soutenir notre vie; et lors même que nous le pourrions, nous- n'en aurions jamais le loisir au milieu de plus d'occupations et de soins que n'en avaient, je crois, les apôtres! Qu'on cesse donc dans cette affaire de reprocher des calculs grossiers à un peuple chrétien qui est l'Eglise de Dieu. Il serait plus pardonnable de nous adresser ce reproche, à nous qui ne l'avons pas mérité, mais qui pouvons en être soupçonnés avec quelque vraisemblance, que de le faire peser sur ceux qui certainement méritent aussi peu le reproche que le soupçon même.

1. Thess. 2,5.

256

11. Partout où la foi mutuelle est quelque chose, il n'est permis ni de manquer au serment, ni de soutenir, ni même de mettre en douce qu'on puisse le violer; ce devoir est bien plus impérieux parmi les chrétiens. Je crois m'être pleinement expliqué là-dessus dans nia lettre à mon frère Alype. Votre sainteté me demande si moi ou les gens d'Hippone nous croyons qu'un serment arraché par la violence soit obligatoire. Qu'en pensez-vous vous-même? Voulez-vous que, même en présence d'une mort certaine, et ce n'était pas le cas de Pinien, un chrétien fasse servir le nom de son Dieu à une tromperie? Voulez-vous qu'un chrétien prenne Dieu à témoin d'une fausseté? Mais, sans qu'il y ait serment, si un chrétien était poussé par des menaces de mort à un faux témoignage, il devrait mieux aimer mourir que de souiller sa vie. Il y a plus que des menaces de mort de la part d'armées qui en viennent aux mains; et cependant quand les combattants se jurent mutuellement quelque chose, nous louons ceux qui tiennent leurs promesses, nous détestons ceux qui violent leur foi. Et de quoi s'agit-il pour eux? que veulent-ils éviter? La mort ou la captivité? S'ils manquent à ce serment arraché par la crainte de la captivité ou de la mort, s'ils ne gardent pas la foi qui a été donnée, on regarde comme sacrilèges et parjures des hommes même qui craignent plus de se parjurer que de tuer; et nous, nous poserions la question de savoir si un serment arraché par la force, doit être tenu par des serviteurs de Dieu d'une haute sainteté, par des moines qui courent dans la voie de la perfection chrétienne après avoir distribué tous leurs biens!

12. En quoi, je vous prie, cette présence à Hippone que Pinien a promise, ressemble-t-elle à un exil, à une déportation, à une relégation? Je crois que le sacerdoce n'est pas un exil, et notre fils choisirait celui-ci plutôt que celui-là? Dieu nous garde de défendre de la sorte un saint homme qui nous est si cher! Dieu nous garde de dire qu'il a préféré l'exil à la prêtrise ou le parjure à l'exil! C'est ainsi que je parlerais, si le serment de rester à Nippone avait été véritablement arraché par nous ou par le peuple; mais ce serment n'a pas été arraché quand on le refusait; il a été accepté quand on l'offrait. Et, comme nous l'avons dit, ce fut dans l'espérance que le séjour à Nippone amènerait Pinien à se rendre aux voeux qui le pressaient d'entrer dans la cléricature. Enfin, quoi qu'on puisse penser de nous et des gens d'Hippone, il y aurait toujours une grande différence entre ceux qui auraient forcé de jurer et ceux qui auraient, je ne dis pas forcé, mais persuadé de se parjurer. Que celui dont il s'agit ne refuse pas de voir lui-même ce qui est le plus mauvais, de prêter un serment sous le coup d'une crainte quelconque, ou de le violer lorsqu'on ne craint plus rien.

13. Il faut remercier Dieu que les gens d'Hippone entendent la promesse qui leur a été faite de f,içon à se contenter de la volonté d'habiter parmi eux et de laisser aller Pinien où il a besoin d'aller pourvu qu'il songe à revenir. Car s'ils suivaient les termes mêmes du serment et qu'ils en exigeassent l'exécution formelle, le serviteur de Dieu ne pourrait jamais s'éloigner pas plus qu'il ne peut jamais se parjurer. Ce serait criminel de leur part de retenir ainsi, je ne dis pas un pareil homme, mais un homme quel qu'il fût; et ils ont bien prouvé ce qu'ils attendent de Pinien, car, en apprenant qu'il s'était absenté pour revenir, ils en ont été charmés, et le serment, dans toute sa vérité, ne leur doit rien autre que ce qu'ils en ont attendu. Pourquoi dit-on que, dans le serment sorti de sa bouche, il a fait de la nécessité une exception, comme si de sa bouche n'était pas parti l'ordre de supprimer ce mot? Certainement lorsqu'il parla lui-même au peuple il aurait pu placer ce mot; s'il l'avait fait, on n'aurait pas répondu: Grâces â Dieu! mais on aurait recommencé les cris qui avaient éclaté à la lecture du diacre. Et qu'importe que le mot qui indiquait la nécessité comme motif d'absence ait été ou n'ait pas été placé? On n'attend de Pinien rien autre que ce qui a été dit plus haut. Mais quiconque trompe l'attente de ceux à qui il a fait un serment, est certainement parjure.

14. Que la promesse soit donc accomplie, et que les âmes des faibles soient guéries, de peur que l'approbation d'un grand exemple de foi violée ne conduise au parjure, et que la désapprobation ne fasse dire avec raison qu'il ne faut plus nous croire, ni dans nos promesses ni même dans nos serments. Prenons garde plutôt aux langues de nos ennemis: elles sont comme autant de traits dont se sert un plus grand ennemi pour tuer les faibles. Mais à Dieu ne plaise que nous attendions d'une aussi (257) grande âme autre chose que ce qu'inspire la crainte de Dieu, et ce que conseille une sainteté aussi éminente! Vous dites que j'aurais dû empêcher ce serment; mais, je l'avoue, je n'ai pas pu penser qu'il valût mieux laisser périr dans un vaste et affligeant désordre l'Eglise que je sers, que d'accepter ce qui nous était offert par un tel homme.





Augustin, lettres - LETTRE CXXII. (Année 410)