Augustin, lettres - LETTRE CCLXVII.

LETTRE CCLXVIII.

Saint Augustin avait emprunté, pour libérer un catholique d'Hippone qui, poursuivi par ses créanciers et voulant échapper à la contrainte par corps, s'était réfugié dans l'Eglise. Le catholique ayant fait d'inutiles efforts pour trouver la somme que l'évêque s'était engagé à rendre au prêteur, saint Augustin, alors absent, s'adresse à la charité des fidèles d'Hippone.

AUGUSTIN AUX BIEN-AIMÉS SEIGNEURS, AU SAINT PEUPLE QU'IL SERT, AUX MEMBRES DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je connais et j'ai éprouvé votre attachement pieux à Notre-Seigneur Jésus-Christ; dans la confiance que m'inspire cette pensée, j'ose vous demander, quoique absent, ce que souvent vous faites pour moi, quand je suis auprès de vous. Et du reste, je ne vous quitte jamais en esprit; ce n'est pas seulement parce que je sens le parfum qu'exhalent vos bonnes oeuvres par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais c'est encore parce que vous ne permettez pas que moi, qui vous sers dans l'Evangile, je demeure dans la détresse.

Notre frère Fascius, débiteur de dix-sept sous d'or, s'est trouvé fort pressé par ses prêteurs; il ne pouvait pour le moment les satisfaire; craignant qu'on ne mît la main sur lui, il a cherché asile dans la sainte église. Les gens chargés de le poursuivre, obligés de partir et ne voulant accorder aucun délai, sont venus m'accabler de leurs plaintes; ils demandaient que je leur livrasse Fascius, ou que je nie misse en mesure de payer sa dette. J'ai (122) proposé à Fascius de faire part à votre sainteté de la nécessité où il se trouvait; saisi de honte, il m'a supplié de n'en rien faire. Me voyant ainsi contraint plus fortement, j'ai emprunté à notre frère Macédonius dix-sept sous d'or; Fascius, pour qui j'ai payé, me promettait de me remettre la somme à un jour marqué; passé ce jour, s'il se trouvait dans l'impossibilité de rembourser, il consentait à ce que je fisse appel à cette miséricorde fraternelle que vous avez coutume de montrer envers vos frères.

2. Maintenant donc que Fascius est absent, il faut que vous veniez en aide, non pas à lui, que personne n'inquiète, mais à moi, qui ai pris un engagement, et dont la réputation est comme un bien dont vous avez toujours la garde. Le jour marqué pour la remise de la somme est passé; je ne trouve rien à répondre à celui qui m'a prêté les dix-sept sous d'or sur ma parole, si ce n'est que je tiendrai la promesse que j'ai faite. Mais on ne m'a pas fait souvenir de vous entretenir de cette affaire, le saint jour de la Pentecôte, où vous étiez en plus grand nombre à l'église; je demande donc que cette lettre me tienne lieu de discours; le Seigneur notre Dieu, en qui vous croyez; achèvera de vous parler au coeur; il ne vous a jamais abandonnés, vous tous qui craignez et honorez son nom. C'est en lui que nous vous sommes unis, quoique, par notre absence corporelle, nous paraissions éloignés de vous, et il vous promet la moisson de la vie éternelle en échange des bonnes oeuvres comme celle que je recommande à vos soins. «Ne nous lassons donc pas de faire le bien, dit l'Apôtre; si nous ne perdons pas courage, nous en recueillerons le fruit en son temps. C'est pourquoi, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, principalement à ceux qui sont de la même foi que nous (1).» Or, celui pour lequel je vous demande de faire ce que le Seigneur ordonne, est de la même foi que nous; il est chrétien fidèle, il est catholique; faites-le sans déplaisir, sans murmure, avec joie et de bon coeur. Ce n'est pas dans un homme que vous avez confiance, c'est en Dieu; il vous a promis que rien de ce que vous aurez fait miséricordieusement ne sera perdu, mais qu'au dernier jour vous retrouverez tout avec une immortelle usure (2). Puisque l'Apôtre nous dit: «Or, je le déclare, celui qui sème peu recueillera peu (3),» vous

1. Ga 6,9-10. - 2. Mt 25,34-40. - 3. 2Co 9,6.

devez comprendre que, pendant que nous sommes en cette vie, nous devons nous hâter d'amasser des trésors pour l'éternité. En effet, quand la fin des temps viendra, il ne sera donné qu'à ceux qui, avant devoir les biens éternels, les auront achetés par les saintes oeuvres de leur foi.

3. J'écris aussi aux prêtres que si la collecte faite par votre sainteté n'est pas suffisante, ils aient à compléter la somme avec le bien de l'Eglise; pourvu cependant que vous donniez avec joie ce qu'il vous plaît. Que ce soit par vous ou par l'Eglise que cela se fasse, tout est de Dieu, et votre empressement nous sera plus doux que les trésors de l'Eglise. Je vous dirai avec l'Apôtre: «Ce ne sont pas vos dons que je désire, mais le profit qui vous en reviendra (1).» Réjouissez donc mon coeur; c'est dans vos profits qu'il veut mettre sa joie; car vous êtes les arbres de Dieu qu'il daigne arroser par notre ministère d'une pluie continuelle. Que Dieu vous défende de tout mal en ce monde et dans l'autre, mes bien-aimés seigneurs et chers frères.

1. Ph 4,17.




LETTRE CCLXIX.

Saint Augustin, infirme et vieux, s'excuse de ne pouvoir se mettre en route pendant l'hiver pour aller assister à la dédicace d'une église.

AUGUSTIN A SON BIENHEUREUX ET VÉNÉRABLE FRÉRE ET COLLÈGUE NOBILIUS.

C'est une grande fête que celle à laquelle votre affection fraternelle me convie; j'y voudrais traîner mon pauvre corps, sans les infirmités qui me retiennent. J'aurais pu m'y rendre si nous n'étions pas en hiver; je pourrais braver l'hiver si j'étais jeune: la chaleur de l'âge me ferait aisément triompher de la saison rigoureuse, comme le froid de mes vieux ans se trouverait bien des feux de l'été. Maintenant, ma vieillesse glacée ne supporterait pas un si long voyage en hiver, bienheureux seigneur, saint, et vénérable frère et collègue. Je vous salue donc à mon tour comme vous le méritez, me recommandant à vos prières, et demandant à Dieu qu'une heureuse paix suive la dédicace d'une aussi grande église.




LETTRE CCLXX.

Celui qui a écrit cette lettre nous est inconnu; il exprime affectueusement à saint Augustin le regret de ne pas l'avoir rencontré dans une ville d'Afrique où il espérait le joindre, et où il avait seulement trouvé un doua ami de l'évêque d'Hippone, Sévère, évêque de Milève, dont nos lecteurs savent le nom (1). On a quelquefois attribué cette lettre à saint Jérôme. On oubliait que ce grand commentateur des divines Ecritures n'est jamais allé en Afrique.

A mon récent passage dans la ville de Lois, j'ai été contristé de n'avoir pu vous y rencontrer tout entier; je n'ai trouvé que la moitié de vous-même, et, pour ainsi parler, une portion de votre âme, c'est-à-dire, votre cher Sévère. Je ne me suis donc réjoui qu'à moitié; ma joie en a été complète si je vous avais trouvé tout entier. Heureux de ce que je rencontrais, je m'affligeais de ce que je n'avais pas, et j'ai dit à mon âme: «Pourquoi es-tu triste, et pourquoi me troubles-tu? Espère en Dieu (2),» et Dieu te fera jouir de la présence de l'ami que tu aimes. Je mets donc ma confiance dans le Seigneur, j'espère qu'il m'accordera la grâce de vous voir.

1. Voir la lettre C10,n. 4. - 2. Ps 41,6.

O si l'amour pouvait se voir avec les yeux! c'est alors que vous sauriez combien je vous aime, et comparant mon affection à la vôtre, vous seriez porté à me rendre ce que je vous donne. Puisque je vous aime dans le Seigneur, aimez-moi, et engagez ceux qui vous écoutent et vous obéissent à m'aimer aussi. Vous me demandez de prier pour vous; je le ferais, si, délivré moi-même de mes péchés, il m'était permis de prier pour les autres. C'est pourquoi, de mon côté, je vous demande d'adresser assidûment pour moi vos prières au Seigneur; et, vous souvenant des devoirs de ma profession, ayez présent à vos yeux ce jour où le juste n'aura rien de mauvais à redouter (1); il ne craindra point, parce que ce n'est pas à lui qu'on dira: «Vas au feu éternel,» mais c'est à lui que s'adresseront ces paroles: «Viens, le béni de mon Père, possède le royaume (2).» Puissions-nous y arriver par la grâce de Celui qui vit et règne dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il (3).

1. Ps 3,7. - 2. Mt 25,34-41. - 3. La traduction des Lettres de saint Augustin est l'oeuvre de M. POUJOULAT.
Augustin, lettres - LETTRE CCLXVII.