Augustin, les Psaumes 6

DISCOURS SUR LE PSAUME VI - LE JUGEMENT DE DIEU.

6 Ps 6

L'âme fidèle supplie le Seigneur de lui accorder le salut, de la maintenir dans la justice, comme s'il devait être plus glorieux pour Dieu de faire éclater sa bonté que sa justice. Elle veut s'éloigner des pécheurs impénitents, s'ils ne se convertissent au Seigneur.

POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, POUR LES CHANTS DU HUITIÈME JOUR (Ps 6,1)

601 1. Cette expression, «huitième jour», est obscure; mais le reste du titre est clair. Quelques-uns ont cru qu'elle signifiait le jour du jugement, ou ce temps de l'avènement de Jésus-Christ qui descendra pour juger les vivants et les morts. Cet avènement, selon cette croyance, aura lieu après sept milliers d'années, à compter depuis Adam; ces sept milliers d'années s'écouleraient comme sept jours, et le huitième serait celui de l'avènement. Mais le Seigneur a dit: «Ce n'est point à vous de connaître les temps que mon Père a disposés dans sa puissance (Ac 1,7)»; et encore : «Quant à ce jour et à cette heure, nul ne les sait, ni les Anges, ni les Vertus, ni le Fils lui-même; le Père seul les connaît (Mt 24,36)»: et enfin saint Paul a écrit, que ce jour du Seigneur nous surprendra comme le voleur (1Th 5,2) tout cela nous montre clairement qu'on ne doit point chercher à connaître ce jour par la supputation des années. Or, s'il devait arriver après sept milliers d'années, tout homme pourrait le connaître au moyen d'un calcul. Comment donc se fait-il que le Fils ne le connaît point? Parole qui signifie qu'il ne l'apprendra point aux hommes, et non qu'il ne le sait point en lui-même. C'est ainsi qu'il est dit: «Le Seigneur vous tente afin de savoir (Dt 3,3)», c'est-à-dire, «afin de vous faire connaître», comme: «Levez-vous, Seigneur (Ps 3,7)», signifie, aidez-nous à nous relever. Si donc le Fils ne connaît point le jour, non qu'il l'ignore, mais parce qu'il ne l'enseigne point à ceux qui n'ont aucun avantage à le connaître; n'y a-t-il pas une certaine présomption à compter les dates pour affirmer que le jour du Seigneur doit arriver après sept milliers d'années?

602 2. Pour nous, ignorons de bon coeur ce (140) qu'il n'a pas plu à Dieu de nous révéler, et cherchons ce que veut dire cette expression du titre: «Pour le huitième jour». Sans recourir à des calculs téméraires on peut entendre par huitième jour celui du jugement, car la tin de ce monde nous ouvrira la vie éternelle; et alors les âmes des justes ne seront plus assujetties aux temporelles vicissitudes; et comme tous les temps roulent périodiquement de sept jours en sept jours, on appellerait huitième jour celui qui serait en dehors de cette révolution. Dans un autre sens qui n'est pas sans justesse, on appellerait huitième jour, celui du jugement, parce qu'il doit arriver après deux genres de vie, dont l'un tient à la chair, et l'autre à l'esprit. Depuis Mam jusqu'à Moïse, la vie humaine est une vie corporelle, une vie selon la chair, ce que saint Paul appelle vie de l'homme extérieur, du vieil homme (Ep 4,22). A cette génération fut donné l'Ancien Testament, dont le culte était grossier, quoique religieux, et figurait le culte spirituel de l'avenir. Pendant cette période où l'on vivait selon la chair, «la mort a régné», dit l'Apôtre, «même sur ceux qui n'avaient point péché». Et comme il l'a dit encore, «elle a régné parce qu'on imitait la prévarication d'Adam (Rm 5,14)». Mais «jusqu'à Moïse», signifie tant qu'ont duré les oeuvres de la loi, ces rites sacrés, observés d'une manière charnelle, et qui néanmoins tinrent enchaînés ceux-là mêmes qui croyaient à un seul Dieu, pour leur donner la foi au mystère de l'avenir.

Mais depuis l'avènement de Jésus-Christ, qui nous a fait passer de la circoncision de la chair, à la circoncision du coeur, nous sommes appelés à vivre selon l'esprit, c'est-à-dire selon l'homme intérieur, appelé homme nouveau (Col 3,10) à cause de sa régénération baptismale, et de ses moeurs devenues plus spirituelles. Car il est évident que le nombre quatre appartient au corps à cause des éléments dont il est formé, et de ces quatre qualités, du chaud, du froid, du sec, de l'humide. Delà vient que Dieu le fait passer par les quatre saisons du printemps, de l'été, de l'automne, de l'hiver. Tout cela est connu; et il est démontré ailleurs, par des raisons plus subtiles, que le nombre quatre appartient au corps; mais évitons ces raisons assez obscures, dans un discours que nous voulons mettre à la portée des moins instruits. Le nombre trois appartient à l'âme, comme nous l'apprend le précepte d'aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, et de tout notre esprit (Dt 6,5 Mt 22,37). De plus longs détails viendraient dans l'explication de l'Evangile et non d'un psaume; mais cela suffit, je crois, pour montrer que le nombre ternaire appartient à l'âme. Donc, lorsque les nombres du corps, qui tiennent au vieil homme et à l'Ancien Testament, et les nombres de l'esprit ou de l'homme régénéré et de la loi nouvelle, seront écoulés comme un nombre de sept jours; puisque toute action en cette vie se rapporte au corps ou au nombre quatre, ou à l'âme dont le nombre est ternaire; après cela viendra le huitième jour qui, rendant à chacun ce qu'il a mérité, appellera les justes, non plus à des oeuvres passagères, mais à la vie sans fin, et condamnera les impies aux supplices éternels.

603 3. Telle est la damnation que redoute l'Eglise, qui s'écrie dans ce psaume: «Seigneur, ne m'accusez pas dans votre colère (Ps 6,2)». Saint Paul parle aussi de colère à propos du jugement: «Tu amasses pour toi, dit-il, un trésor de colère, pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu (Rm 2,5)». C'est dans ce jour que ne veut pas être accusé celui qui cherche à se guérir en cette vie. «Et ne me «reprenez point dans votre fureur». Reprendre est plus doux, car il tend à l'amendement; au lieu que, quand on est accusé, ou mis en jugement, on doit craindre pour issue une condamnation. Mais la fureur paraît être plus grande que la colère, et l'on peut s'étonner que reprendre, qui est plus doux, soit placé avec fureur, qui est l'expression la plus sévère. Pour moi, je crois que ces deux expressions n'ont qu'un même sens; car le mot grec tumos du premier verset a la même signification que orphe, qui est dans le second. Mais comme la version latine a voulu employer aussi deux expressions, elle en a cherché une qui se rapprochât le plus de colère, et a mis fureur. De là des variantes dans les versions; car, dans l'une, c'est la colère qui est avant la fureur, dans l'autre, c'est la fureur avant la colère; d'autres, au lieu de fureur ont indignation, et même bile. Quoi qu'il en soit, ces deux termes expriment un mouvement de l'âme qui veut punir, mouvement que nous ne pourrons attribuer à Dieu dans le même sens qu'à notre (141) âme, puisqu'il est dit «Pour vous, Dieu des vertus, vous nous jugez dans le calme (Sg 12,18)». Mais ce qui est dans le calme, est opposé au trouble. Dieu donc dans ses jugements est inaccessible au trouble; mais on a appelé sa colère, cette émotion occasionnée par ses lois chez ses ministres. Or, l'âme qui supplie dans ce psaume, redoute d'être accusée dans cette colère, elle ne veut pas même cette réprimande qui la corrigerait ou l'instruirait. Car il y a dans le grec paideustes, c'est-à-dire enseignez. Au jour du jugement seront convaincus tous ceux qui ne sont pas fondés sur Jésus-Christ; mais ceux qui sur cette base auront bâti avec le bois, le foin et la paille, ils seront amendés ou purifiés, ils souffriront un dommage et néanmoins seront sauvés, mais comme par le feu (1Co 3,11). Que peut-on demander à Dieu, quand on ne veut être ni accusé ni repris dans sa colère? Que demander, sinon d'être guéri, puisque la guérison ne nous laisse à craindre ni la mort, ni la main du médecin qui emploie le feu ou le fer?

604 4. Le Psalmiste poursuit donc: «Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme, guérissez-moi, parce que mes os sont ébranlés (Ps 6,3)», et par ces os il entend la force de l'âme ou le courage. L'âme donc, en parlant de ses os, se plaint de son courage qui est ébranlé; mais gardons-nous de croire qu'elle ait des os comme ceux du corps. Expliquant donc ce qui précède, le Prophète ajoute «Et mon âme est dans un trouble «profond», afin que l'on n'applique point au corps, ce qu'il appelait des os. « Et vous, Seigneur, jusques à quand (Ps 6,4)?» Qui ne verrait ici une âme qui lutte avec ses infirmités, et que le médecin ne se presse pas de guérir, afin de lui faire sentir dans quel abîme de maux le péché l'a précipitée? On ne cherche guère à éviter ce qui se guérit facilement; mais une guérison difficile nous rend plus attentifs à conserver la santé quand nous l'avons recouvrée. Loin de nous cette pensée qu'il y ait de la cruauté dans ce Dieu à qui l'on dit: «Jusques à quand tarderez-vous à me guérir?» mais il veut dans sa bonté montrer à l'âme quelle blessure elle s'est faite. Car cette âme ne prie pas encore avec une telle ferveur que Dieu puisse lui dire: «Ta prière ne sera pas achevée que je répondrai: Me voici (Is 65,21)». Dieu veut encore nous montrer quel sera le châtiment des impies qui refusent de retourner à lui, si la conversion nous est si difficile; dans ce sens il est dit ailleurs: «Si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et l'impie (1P 4,18)?»

605 5. «Revenez à moi, Seigneur, et délivrez «mon âme (Ps 6,5)». En revenant à Dieu, le pécheur le supplie de se tourner vers lui, comme il est écrit: «Revenez à moi, dit le Seigneur, et je reviendrai à vous (Za 1,3)» Mais cette expression: «Revenez, Seigneur», voudrait-elle dire: Aidez-moi dans mon retour, à cause des difficultés et du labeur que rencontre un retour à Dieu? Car notre conversion parfaite au Seigneur, le trouvera toujours prêt, ainsi que l'a dit le Prophète: «Nous le trouvons prêt comme la lumière du matin (Os 6,3 suiv. les LXX)». Nous l'avons perdu, en effet, non qu'il se soit retiré de nous, puisqu'il est présent partout, mais bien parce que nous lui avons tourné le dos. «Il était en ce monde», est-il dit, «et le monde a été fait par lui, et le monde ne l'a pas connu (Jn 1,10)». Si donc il était en ce monde sans que le monde le connût, c'est que nos souillures ne supportent point sa présence. Mais pour nous convertir, ou pour effacer notre vie passée en taillant de nouveau notre âme à l'image de Dieu, nous ressentons le douloureux labeur d'échanger les terrestres voluptés contre le calme serein de la divine lumière. Et dans cette pénible tâche nous disons

«Revenez à moi, Seigneur», c'est-à-dire, aidez-moi, afin que se perfectionne en moi ce retour qui vous trouvera toujours prêt, et vous donnera en jouissance à ceux qui vous aiment. Aussi, après avoir dit: «Revenez à moi, Seigneur», le Prophète a-t-il ajouté : «Et délivrez mon âme», que retiennent encore les soucis du monde, et qui, dans son retour à vous, se sent déchirer par l'aiguillon des désirs. «Sauvez-moi», dit-il, « à cause de votre miséricorde (Ps 6,3)». Il sent qu'il n'est point guéri par ses propres mérites, puisqu'un pécheur, un violateur de la loi ne devait s'attendre en justice qu'à la damnation. Sauvez-moi donc, dit-il, non point que je l'aie mérité, mais à cause de votre miséricorde.

606 6. «Car nul après la mort ne se souvient de vous (Ps 6,6)». Il comprend que c'est en cette vie qu'il faut nous convertir, car après la mort il ne reste plus à chacun qu'à recevoir (142) selon ses oeuvres. «Qui vous confessera dans les enfers (Ps 6,6)?» Le riche dont parle Jésus-Christ, confessa Dieu dans les enfers, quand il se plaignit de ses tortures, en voyant Lazare au sein du repos; il confessa Dieu au point de vouloir avertir les siens de s'abstenir du péché, en vue de ces tourments de l'enfer, auxquels on ne croit point (Lc 16,23-31). Ce fut en vain, il est vrai, mais enfin il confessa qu'il souffrait justement, puisqu'il désirait avertir ses frères de ne point encourir ces châtiments. Qu'est-ce à dire alors: «Qui confessera votre nom dans les enfers?» Entendrait-il par là ce profond abîme, où sera précipité l'impie après le jugement, et dont les épaisses ténèbres ne laisseront échapper aucune lueur de Dieu pour le confesser? Toutefois ce riche, eu élevant les yeux, put apercevoir Lazare au sein du repos, nonobstant les ténébreuses profondeurs qui l'environnaient lui-même; et la comparaison qu'il dut faire lui arracha l'aveu de ses fautes. Le Prophète pourrait donner aussi le nom de mort au péché que l'on commet au mépris de la loi divine; et nous faire appeler mort ce qui n'en est que l'aiguillon, parce qu'il aboutit à la mort; car l'aiguillon de la mort c'est le péché (1Co 15,56). Dans cette mort l'oubli de Dieu serait le mépris de ses lois et de ses préceptes; ainsi le Prophète appellerait enfer cet aveuglement de l'esprit, qui saisit et enveloppe le pécheur, ou l'âme qui meurt par le péché. «Comme ils n'ont pas fait usage», dit saint Paul, «de la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rm 1,28)». C'est de cette mort et de cet enfer que l'âme demande à Dieu de la préserver, quand elle cherche à revenir à lui, et sent les difficultés du retour.

607 7. Aussi le Prophète continue en disant «Je me suis fatigué dans mon gémissement», et comme si c'était peu, il ajoute: «Chaque nuit je laverai ma couche de mes larmes (Ps 6,7)». Il appelle ici couche tout ce qu'une âme faible et malade cherche pour son repos, comme la volupté charnelle et les plaisirs du monde. C'est laver de ses larmes ces mêmes plaisirs, que chercher à s'en arracher. On voit que ses appétits charnels sont condamnables, et toutefois on est assez faible pour s'y attacher par goût, pour s'y reposer à l'aise; et notre âme ne peut s'en relever qu'après sa guérison. Mais en disant: «Chaque nuit», le Prophète a voulu peindre sans doute l'homme dont l'esprit est prompt et reçoit quelque lueur de vérité, mais dont la chair est assez faible pour mettre parfois son bonheur dans les plaisirs du siècle, en sorte qu'il subit dans ses affections une alternative de lumière et de ténèbres: c'est le jour pour lui quand il dit : «Par l'esprit, j'obéis à la loi de Dieu», mais il décline vers la nuit à ces mots: «Et par la chair à la loi du péché (Rm 7,25)», jusqu'à ce qu'enfin toute nuit se dissipe, et que vienne ce jour unique dont il est dit: «Au matin je serai debout, et je verrai (Ps 6,7)». C'est alors qu'il se tiendra debout; mais aujourd'hui, il est étendu sur cette couche que chaque nuit il doit mouiller de ses larmes, et de larmes si abondantes, qu'il obtienne de la bonté de Dieu le remède infaillible. « J'arroserai mon lit de mes pleurs», est une répétition; car «mes pleurs» montrent comment il a dit plus haut: «Je laverai» . «Son lit» a le même sens que «sa couche», et toutefois, «j'arroserai» dit plus que «je laverai»: laver peut se borner à mouiller à la surface, tandis que l'arrosage pénètre dans l'intérieur, ce qui marquerait des larmes jusqu'aux profondeurs de l'âme. Le Prophète change les temps du verbe; il a dit au passé: «Je me suis fatigué dans mes gémissements»; puis au futur: «Chaque nuit je laverai ma couche», puis encore: «J'arroserai mon lit de mes larmes», afin de nous montrer ce qui nous reste à faire quand nous nous sommes fatigués en vain à gémir; comme s'il disait: Ce que j'ai fait ne m'a servi de rien, voici désormais ce que je vais faire.

608 8. «Mon oeil s'est troublé dans la colère (Ps 8)»: est-ce dans sa propre colère, ou cette colère de Dieu par laquelle il a demandé de n'être ni accusé ni repris? Mais si la colère de Dieu signifie le jugement, comment l'entendre dès cette vie? Ou cette colère commencerait dès cette vie, dans les douleurs et les maux des hommes, et surtout dans leur impuissance à comprendre la vérité, selon le mot de saint Paul cité plus haut: «Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rm 1,28)». Tel est en effet l'aveuglement de l'esprit, que tout homme dans cet état se trouve privé de toute lumière intérieure de Dieu, mais pas absolument, tant que dure cette vie. Car il y a des ténèbres extérieures «qui sont réservées plus (143) spécialement au jour du jugement, et qui éloigneront complètement de Dieu quiconque aura négligé de se corriger ici-bas. Mais être complètement en dehors de Dieu, qu'est-ce autre chose que l'aveuglement complet? Car Dieu habite une lumière inaccessible (1Tm 6,16), et dans laquelle entreront ceux qu'il invitera, en disant: « Entrez dans la joie de votre Seigneur (Mt 25,21-22)». Cette colère commence donc dès cette vie à peser sur tout pécheur. La crainte du dernier jugement arrache au Prophète des gémissements et des larmes; il craint d'arriver à cette colère dont le commencement lui est déjà si douloureux; aussi ne dit-il pas que «son oeil s'est éteint», mais «qu'il a été troublé par cette colère». Rien ne nous étonnerait encore s'il disait que son oeil a été troublé par sa propre colère; c'est peut-être en ce sens qu'il est dit: «Que le soleil ne se couche point sur votre colère (Ep 4,26)» parce que l'âme, dans ce trouble, ne pouvant voir Dieu, s'imagine que cette sagesse divine, ce soleil intérieur est en quelque sorte couché pour elle.

609 9. «J'ai vieilli au milieu de tous mes ennemis (Ps 6,8)». Il avait parlé de colère, si c'est toutefois de sa propre colère; mais en considérant tous les autres vices, il trouve qu'il en est environné. Comme ces vices nous viennent de notre première vie et du vieil homme dont il faut nous dépouiller pour revêtir l'homme nouveau, le psalmiste dit fort bien: «J'ai vieilli».  «Au milieu de tous mes ennemis» peut s'entendre ou des vices, ou des hommes qui ne veu1ent point retourner à Dieu; car ces hommes, quoiqu'à leur insu, malgré leurs ménagements, bien qu'ils vivent en paix avec nous, dans les mêmes villes, sous le même toit, à la même table, qu'ils s'entretiennent souvent et paisiblement avec nous; ces hommes, par leurs intentions contraires aux nôtres, sont ennemis de quiconque veut retourner à Dieu. Car si les uns aiment le monde et s'y attachent, et que les autres désirent en être délivrés, qui ne voit que les premiers sont ennemis des seconds, qu'ils entraînent, quand ils peuvent, dans les mêmes châtiments? Et c'est une grande faveur de Dieu d'entendre journellement leur conversation, et de ne point s'écarter de la voie des commandements de Dieu. Souvent une âme qui s'efforce d'aller à Dieu, se laisse ébranler et s'effraie dans sa route, et la plupart du temps elle abandonne ses résolutions, parce qu'elle craint d'offenser ceux qui vivent avec elle, et qui recherchent avidement les biens passagers et périssables. Tout coeur parfaitement sain s'en sépare non de lieu, mais d'affection; car l'amour est à l'âme ce qu'est pour les corps le lieu qui les contient.

610 10. Donc, après le labeur, le gémissement, et ces fréquentes effusions de larmes, comme on ne peut adresser en vain de si ferventes supplications à celui qui est la source de toutes les miséricordes, et dont il est dit, avec tant de vérité: «Le Seigneur est tout près des coeurs contrits (Ps 33,19)»; après ces difficultés donc, toute âme pieuse, ou même l'Eglise, si vous le voulez, témoigne qu'elle a été exaucée. Voyez donc ce qu'elle ajoute: «Retirez-vous de moi, vous tous, artisans d'iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de mes larmes (Ps 6,9)». Ou le prophète annonce qu'au jour du jugement, les impies devront s'éloigner des bons et en seront séparés: ou il leur dit de se séparer à l'instant; car s'ils font partie avec nous des mêmes grappes, néanmoins, jusque dans l'aire, les grains sont déjà dépouillés et séparés de cette paille qui les recouvre encore. Ils peuvent bien être entassés ensemble, mais le vent ne peut les enlever ensemble.

611 11. «Parce que le Seigneur a écouté la voix de mes larmes, le Seigneur a entendu mes supplications, le Seigneur a reçu ma prière (Ps 10)». Cette répétition fréquente de la même pensée indique moins chez le psalmiste la nécessité de ce langage que le transport de sa joie. Quiconque est dans l'allégresse ne se contente point de nous en dire une fois le motif. Tel est le fruit de ce gémissement douloureux qui lui fait mouiller sa couche de ses larmes, et arroser son lit: «Car on ne sème dans les larmes que pour moissonner dans la joie (Ps 125,5)»; et: «Bienheureux ceux qui  pleurent, parce qu'ils seront consolés (Mt 5,5) !»

612 12.  «Confusion et trouble pour tous mes ennemis (Ps 6,11)». Naguère le Prophète disait: «Eloignez-vous tous de moi», ce qui peut avoir lieu en cette vie, comme nous l'avons vu; mais quand il parle de «confusion et d'effroi», je ne vois pas que cela se puisse entendre autrement que du jour qui mettra (144) en évidence la récompense des justes et le châtiment des pécheurs. Jusqu'à ce jour, en effet, l'impie est loin de rougir et de cesser de nous insulter. Souvent même ses moqueries en viennent jusqu'à faire rougir de Jésus-Christ les hommes faibles dans la foi. De là cette menace: «Quiconque aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père  (Lc 9,26)». Quiconque dès lors veut suivre les sublimes conseils de l'Evangile, de partager son bien, de le donner aux pauvres, afin de demeurer juste pour l'éternité (Ps 111,9) , de vendre ses possessions terrestres pour assister les indigents et suivre le Christ en disant : «Nous n'avons rien apporté en ce monde, nous n'en pouvons rien emporter: contentons-nous d'avoir de quoi vivre et nous vêtir (1Tm 6,7)»; celui-là tombe sous les railleries sacrilèges des impies; ceux qui repoussent le sens droit le traitent d'insensé. Souvent, pour éviter ce surnom de la part des incurables, il craint de faire, il remet au lendemain ce que prescrit le médecin le plus fidèle comme le plus puissant. Ceux-là donc ne peuvent rougir en cette vie; souhaitons au contraire qu'ils s'aient pas la puissance de nous faire rougir, de nous détourner du chemin que nous avons pris, de ne point nous y causer d'embarras ou de retard. Mais un temps viendra qu'ils rougiront et répéteront ces paroles de l'Ecriture «Les voilà, ceux qui étaient l'objet de nos mépris et même de nos outrages. Insensés que nous étions, nous estimions leur vie une folie, et leur fin un opprobre: et les voilà comptés parmi les fils de Dieu, et leur  partage est avec les saints! Nous avons donc erré hors de la vérité, et la lumière de la justice n'a pas lui à nos yeux, et le soleil ne s'est pas levé pour nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l'iniquité et de la perdition; nous avons marché par des chemins «difficiles, et nous avons ignoré la voie du Seigneur. A quoi bon noire orgueil, à quoi bon l'ostentation de nos richesses? Toutes ces choses ont passé comme l'ombre (Sg 5,3-9)».

613 13. Dans ces paroles: «Qu'ils se convertissent pour leur confusion (Ps 6,11)», qui ne voit un juste châtiment qui tourne à leur confusion dans cette conversion qu'ils ont refusé de faire pour leur salut? «Et cela bien vite», ajoute le Prophète:car ils ne compteront plus sur le jour du jugement, et comme ils diront: «La paix est à nous; une ruine soudaine les surprendra (1Th 5,3)». Quel que soit le moment, ce que l'on n'attendait pas arrive toujours bien vite, et il n'y a que l'espérance de vivre encore qui nous fasse croire que cette vie est longue. Rien ne nous paraît plus rapide que ce qui en est déjà passé. Quand donc viendra le jour du jugement, alors les pécheurs sentiront combien est courte une vie qui passe; et ils ne pourront croire qu'il ait été long à venir, ce jour qu'ils ne désiraient point, ou plutôt à l'arrivée duquel ils n'avaient point cru. On pourrait dire encore que l'âme dont Dieu a exaucé les gémissements et les pleurs si fréquents et si durables, sentant qu'elle est délivrée du péché, et qu'elle a dompté tous les mouvements pervers des sensuelles affections, en leur disant: «Retirez-vous de moi, artisans d'iniquité, parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes larmes (Ps 6,9)», se trouve arrivée à cet état de perfection, où elle peut prier pour ses ennemis. C'est dans ce sens peut-être qu'il est dit: «Que tous mes ennemis soient dans la confusion et dans le trouble», afin qu'ils fassent pénitence de leurs fautes, ce qui est impossible sans trouble ni confusion. Rien n'empêche d'entendre les paroles suivantes: «Qu'ils se convertissent pour leur confusion», dans le sens d'un retour à Dieu et d'une confusion de s'être jadis glorifiés dans les ténèbres du péché, comme l'a dit l'Apôtre: «Quelle gloire avez-vous tirée de ce qui est maintenant pour vous un sujet de honte (Rm 6,21)?» Cette autre expression, «et cela au plus vite», peut désigner la ferveur du désir ou se rapporter à la puissance du Christ qui, dans un temps si court, a converti à la foi de l'Evangile, ces nations qui défendaient leurs idoles en persécutant l'Eglise.



DISCOURS SUR LE PSAUME VII - LE SILENCE DE JÉSUS-CHRIST. 

7 Ps 7

Ce psaume est le chant de l'âme arrivée à la perfection, et à qui la foi découvre les mystères de la passion inconnus aux Juifs et aux pécheurs actuels. Elle comprend la patience silencieuse de Jésus à l'égard de Judas; et pourquoi, lui qui était juste, a voulu souffrir.

PSAUME DE DAVID QU'IL CHANTA AU SEIGNEUR, POUR LES PAROLES DE CHUSI, FILS DE GÉMINI.

701 1. Il est facile de connaître par l'histoire du second livre des Rois, ce qui donna occasion à cette prophétie. Elle nous apprend que Chusi ami du roi David, passa dans les rangs d'Absalon révolté contre son père, afin de reconnaître ses desseins, et de rapporter à David toutes les trames que ce fils ourdissait contre lui avec Achitopel, qui avait trahi l'amitié du père, pour soutenir de tous les conseils qu'il pourrait donner, la révolte du fils. Mais dans ce psaume, il faut envisager l'histoire, moins en elle-même, que comme un voile jeté par le Prophète sur un grand mystère; levons donc ce voile (2Co 3,16) si nous avons passé au Christ. Cherchons d'abord quel sens peuvent avoir les noms; car on n'a pas manqué d'interprètes pour les étudier, non plus à la lettre et d'une manière charnelle, mais dans un sens figuré, et pour nous dire que Chusi signifie Silence, Gémini, la Droite, et Achitopel, la Ruine du frère; dénominations qui ramènent une seconde fois sous nos yeux ce traître Judas, figuré ainsi par Absalon dont le nom signifie Paix de son père. David, en effet, eut toujours des sentiments de paix pour ce fils au coeur plein d'artifices et de rébellion, ainsi qu'il a été dit au psaume troisième (Enarrat. in Ps 3,n.1). De même que dans l'Evangile nous voyons Jésus-Christ donner le nom de fils à ses disciples (Mt 9,15), nous le voyons aussi les appeler ses frères. Après sa résurrection, le Seigneur dit en effet: «Allez, et annoncez à mes frères (Jn 20,17)». Saint Paul appelle Jésus-Christ le premier-né de tant de frères (Rm 8,29). On peut donc désigner la ruine du disciple qui le trahit, sous le nom de ruine du frère, selon le sens que nous avons donné au nom d'Achitopel. Chusi, qui signifie Silence, désigne très-bien ce silence que Notre-Seigneur opposait aux perfidies de ses ennemis, ce profond mystère qui a frappé de cécité une partie d'Israël, alors qu'ils persécutaient le Seigneur, jusqu'à ce que la multitude des nations entrât dans l'Eglise, et qu'ensuite tout Israël fût sauvé. Aussi l'Apôtre, abordant ces secrètes profondeurs, ce redoutable silence, s'écrie, comme frappé d'horreur à la vue de ces mystères: «O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! combien sont impénétrables ses jugements; et ses voies incompréhensibles! qui connaît les desseins de Dieu, et qui est entré dans ses conseils (Rm 11,33-34)?» L'Apôtre nous fait donc moins connaître ce profond silence, qu'il ne le recommande à notre admiration. C'est à la faveur de ce silence, que le Seigneur, dérobant le mystère sacré de sa passion, a fait entrer dans les vues de sa providence miséricordieuse, la ruine volontaire du frère, le crime détestable du traître, afin que la mort d'un seul homme, que se proposait le perfide Judas, devînt, par la sagesse ineffable du Sauveur, le salut de tous les hommes.

Ce psaume est donc le chant d'une âme parfaite et déjà digne de connaître le secret de Dieu. Elle chante: «Pour les paroles de Chusi», paroles de ce silence qu'elle a mérité de connaître. C'est en effet un silence et un secret pour les infidèles et les persécuteurs du Christ; pour ceux au contraire à qui Jésus-Christ a. dit: «Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître; mais je vous appellerai mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père Jn 15,15)», pour (147) ces amis du Christ il n'y a plus de silence, mais les paroles du silence, ou la raison de ce mystère du Christ que Dieu leur a donné de pénétrer et de connaître. Ce silence, ou Chusi, est appelé fils de Gémini ou de la droite. Car il ne fallait pas dérober aux saints ce qu'il a fait pour eux, et pourtant «notre gauche», est-il dit, «ne doit point savoir ce que fait notre droite Mt 6,3)». L'âme parfaite, qui a compris ce secret, chante alors cette prophétie: « Pour les paroles de Chusi», ou pour la découverte de ce mystère, que Dieu, qui est la droite, lui a fait connaître par une faveur spéciale: de là vient que ce silence est appelé fils de la droite, ou Chusi, fils de Gémini.

702 2. «Seigneur, mon Dieu, mon espoir est en vous, sauvez-moi de tous ceux qui me  persécutent, et délivrez-moi (Ps 7,2)». Toute guerre, toute hostilité contre les vices est surmontée, et l'âme parfaite n'ayant plus à combattre que la jalousie du démon, s'écrie : «Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi, de peur que comme un lion, il ne ravisse mon âme (Ps 7,3)». Car saint Pierre nous dit que «le démon notre ennemi, rôde autour de nous, comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un à dévorer (1P 5,8)». Aussi le Prophète, après avoir dit au pluriel ! «Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent», reprend ensuite le singulier, en disant: «De peur qu'il ne ravisse mon âme, comme un lion», non pas: «Qu'ils ne ravissent», car il n'ignore pas l'ennemi qui reste à vaincre, le redoutable adversaire de toute âme parfaite. Et que je ne trouve ni rédempteur, ni sauveur»; c'est-à-dire, de peur qu'il ne ravisse mon âme, tandis que vous ne la rachetez et ne la sauvez point; puisqu'il nous ravit, si Dieu ne nous rachète et nous sauve.

703 3. Ce qui nous montre que ce langage est celui de l'âme parfaite, qui n'a plus à redouter que les piéges si artificieux du démon, c'est le verset suivant: «Seigneur mon Dieu, si j'ai fait cela (Ps 7,4)». Qu'est-ce à dire: e Cela? s S'il ne nomme aucun péché, les voudrait-il désigner tous? Si nous rejetons une telle interprétation, rattachons alors cette expression à ce qui suit; et comme si nous demandions au Prophète ce qu'il entend par «cela, istud», il nous répondra: «Si l'iniquité est dans mes mains». Mais il nous montre qu'il entend parler de tout péché, puisqu'il dit: «Si j'ai rendu le mal pour le mal (Ps 7,5)», parole qui n'est vraie que dans la bouche des parfaits. Le Seigneur nous dit en effet: «Soyez parfaits, comme votre Père du ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, qui donne la pluie aux justes et aux criminels (Mt 5,45-48)». Celui-là donc est parfait qui ne rend pas le mal pour le mal. L'âme parfaite prie donc «pour les paroles de Chusi, fils de Gérnini», ou pour la connaissance de ce profond secret, de ce silence que garda Jésus-Christ pour nous sauver, dans sa bonté miséricordieuse, en souffrant avec tant de patience les perfidies de celui qui le trahissait. Comme si le Sauveur lui découvrait les raisons de ce silence et lui disait: «Pour toi, qui étais impie et pécheur, et pour laver dans mon sang tes iniquités, j'ai mis le plus grand silence, et une longanimité invincible à souffrir près de moi un traître; n'apprendras-tu pas, à mon exemple, à ne point rendre le mal pour le mal?» Cette âme, considérant et comprenant ce que le Sauveur a fait pour elle, et s'animant par son exemple à marcher vers la perfection, dit à Dieu: «Si j'ai rendu le mal pour le mal», si je n'ai point suivi dans mes actes vos saintes leçons, « que je tombe sans gloire sous les efforts de  mes ennemis». Il a raison de ne pas dire: «Si j'ai tiré vengeance du mal qu'ils me faisaient», mais bien, «qu'ils me rendaient», puisqu'on ne peut rendre que quand on a reçu quelque chose. Or, il y a plus de patience à épargner celui qui nous rend le mal pour les bienfaits qu'il a reçus de nous, que s'il voulait nous nuire, sans nous être aucunement redevable. «Si donc j'ai tiré vengeance du mal qu'ils me rendaient»; c'est-à-dire, si je ne vous ai point imité dans ce silence, ou plutôt dans cette patience dont vous avez usé à mon égard, que je tombe sans gloire sous  les efforts de mes ennemi». Il y a une vaine jactance chez l'homme qui, tout homme qu'il est, veut se venger d'un autre. Il cherche à vaincre un adversaire, et lui-même est à l'intérieur vaincu par le démon; la joie qu'il ressent d'avoir été comme invincible, lui enlève tout mérite. Le Prophète sait donc bien ce qui rend la victoire plus glorieuse, et ce que nous rendra notre Père qui voit dans le secret (Mt 6,6) . Pour ne pas tirer vengeance de ceux (147) qui lui rendent le mal, il cherche à vaincre sa colère, et non son ennemi: instruit qu'il est de ces paroles de l'Ecriture: «il y a plus de gloire à vaincre sa colère, qu'à prendre une ville (Pr 16,32 suiv. les LXX)». Si donc «j'ai tiré vengeance  de ceux qui me rendaient le mal, que je tombe sans gloire sous la main de mes ennemis (Ps 7,5)». Il paraît en venir à l'imprécation, qui est le plus grave des serments pour tout homme qui s'écrie: «Mort à moi si je suis coupable». Mais autre est l'imprécation dans la bouche d'un homme qui fait serment, et autre, dans le sens d'un prophète, qui annonce les malheurs dont sera infailliblement frappé l'homme qui tire vengeance du mai qu'on lui rend, mais ne les appelle ni sur lui, ni sur d'autres par ses imprécations.

704 4. «Que mon ennemi poursuive mon âme, et qu'il l'atteigne (Ps 7,6)». Il parle une seconde fois de son ennemi au singulier, et nous montre de plus en plus celui qu'il représentait but à l'heure sous l'aspect d'un lion; cet ennemi qui poursuit l'âme et s'en rend maître, s'il parvient à la séduire. Les hommes peuvent sévir jusqu'à tuer le corps, mais cette mort extérieure ne leur assujettit point notre âme, au lieu que le diable possède les âmes qu'il atteint dans ses poursuites. «Qu'il foule ma vie sur la terre», c'est-à-dire qu'il fasse de ma vie une boue qui lui serve de pâture. Car cet ennemi n'est pas seulement appelé lion, mais encore serpent; et Dieu lui a dit: «Tu mangeras la terre», quand il disait à l'homme pécheur: «Tu es terre et tu re«tourneras dans la terre (Gn 3,14-19)». «Qu'il traîne ma gloire dans la poussière»; dans cette poussière que le vent soulève de la surface de la terre (Ps 1,4): car la vaine et puérile jactance de l'orgueilleux, n'est qu'une enflure et n'a rien de solide; c'est un nuage de poussière chassé par le vent. Le Prophète veut avec raison une gloire plus solide qui ne se réduise pas en poussière, nous qui subsiste dans la conscience et devant Dieu, qui ne souffre point la jactance. « Que celui qui se glorifie», est-il dit, «ne le fasse que dans le Seigneur (1Co 1,31)». Cette stabilité se réduit en poussière quand l'homme, dédaignant le secret de la conscience, où Dieu seul nous approuve, cherche les applaudissements des hommes. De là cette autre parole de l'Ecriture: «Dieu brisera les os de ceux qui veulent plaire aux hommes (Ps 53,6)». Mais celui qui connaît pour l'avoir appris ou éprouvé, dans quel ordre il fait surmonter nos vices, sait bien que celui de la vaine gloire est le seul, ou du moins le plus à craindre pour les parfaits. C'est le premier ou l'âme soit tombée, c'est le dernier qu'elle peut vaincre. «Car le commencement de tout péché, c'est l'orgueil», et «le commencement de l'orgueil chez l'homme, c'est de se séparer de Dieu (Si 10,14-15)

705 5. «Levez-vous, Seigneur, dans votre colère (Ps 7,7)». Comment cet homme que nous disions parfait, vient-il exciter Dieu à la colère? et la perfection ne serait-elle pas plutôt en celui qui dit: «Seigneur, ne leur imputez point ce crime (Ac 7,59)?» Mais est-ce bien sur les hommes que tombe cette imprécation du Prophète, et ne serait-ce point contre le diable et contre ses anges qui ont en leur possession le pécheur et l'impie? C'est donc par un sentiment de pitié et non de colère, que l'on demande au Dieu qui justifie l'impie (Rm 4,5) d'arracher cette proie au démon. Car justifier l'impie c'est le taire passer de l'impiété à la justice, et changer cet héritage du démon en temple de Dieu. Et comme c'est châtier quelqu'un, que lui arracher une proie qu'il veut garder en son pouvoir, le Prophète appelle colère de Dieu, ce châtiment qu'il exerce contre le démon, eu lui arrachant ceux qu'il possède. «Levez-vous donc, Seigneur, dans votre colère». «Levez-vous», montrez-vous, dit-il, expression figurée, mais ordinaire dans le langage humain, comme si Dieu dormait quand il nous dérobe ses desseins. «Signalez votre puissance dans les régions de mes ennemis».Le Prophète appelle région, ce qui est sous la puissance du démon, et il veut que Dieu y règne, c'est-à-dire qu'il y soit honoré et glorifié plutôt que noire ennemi, par la justification de l'impie, et ses chants de triomphe. «Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, selon la «loi que vous avez portée (Ps 7,7)», c'est-à-dire, montrez-vous humble, puisque vous recommandez l'humilité; accomplissez vous-même avant nous votre précepte, afin que votre exemple détruise l'orgueil, et que nous ne soyons pas au pouvoir du démon qui souffla l'orgueil contre vos préceptes, en disant: «Mangez, et vos yeux s'ouvriront, et vous serez comme des dieux (Gn 3,5)». (148)

706 6. «Et l'assemblée des peuples vous environnera (Ps 7,8)». Cette assemblée des peuples peut s'entendre des peuples qui ont cru, ou des peuples persécuteurs, car l'humilité de notre Sauveur a obtenu ce double effet: les persécuteurs l'ont environné parce qu'ils méprisaient cette humilité, et c'est d'eux qu'il est dit: «A quoi bon ces frémissements des nations, et ces vains complots chez les peuples (Ps 2,1)?» Ceux qui ont cru en vertu de cette humilité, l'ont environné, et ont fait dire avec, beaucoup de vérité, «qu'une partie des Juifs sont  tombés dans l'aveuglement, afin que la multitude des nations entrât dans l'Eglise (Rm 11,25)». Et ailleurs: «Demande-moi, et je te «donnerai les nations en héritage, et jusqu'aux  confins de la terre pour ta possession (Ps 2,8)». «Et en sa faveur, remontez en haut», c'est-à-dire, en faveur de cette multitude; et nous savons que le Seigneur l'a fait par sa résurrection et son ascension. Ayant obtenu cette gloire, il a donné le Saint-Esprit qui ne pouvait descendre avant que Jésus fût glorifié, selon cette parole de l'Evangile: «Le Saint-Esprit n'était point encore descendu, parce que Jésus n'était pas encore entré dans sa gloire (Rm 11,25)». Donc après s'être élevé au ciel en faveur de la multitude des peuples, il envoya l'Esprit-Saint, dont les prédicateurs de l'Evangile étaient remplis, quand, à leur tour, ils remplissaient d'églises l'univers entier.

707 7. Ces paroles: «Levez-vous, Seigneur, dans votre colère, planez au-dessus des régions de mes ennemis (Ps 7,7)», peuvent encore s'entendre ainsi : Levez-vous dans votre colère, et que mes ennemis ne vous comprennent point, alors «exaltare, soyez au-dessus», signifierait: Elevez-vous à une telle hauteur que vous soyez incompréhensible ; ce qui a rapport au silence de tout à l'heure. Un autre psaume a dit à propos de cette élévation: «Il est monté au-dessus des Chérubins, et il a «pris son vol et s'est dérobé dans les ténèbres (Ps 17,11-12)». Cette élévation vous cachait à ceux que leurs crimes empêchaient de vous connaître, et qui vous ont crucifié; et voilà que l'assemblée des fidèles vous environnera. C'est à son humilité que le Seigneur doit d'être élevé; c'est-à-dire incompris. Tel serait le sens de: «Elevez-vous selon la loi que vous avez portée (Ps 7,7)», c'est-à-dire, dans votre humiliation apparente soyez tellement élevé que mes ennemis ne vous comprennent point. Car les pécheurs sont les ennemis du juste, et les impies de l'homme pieux. «Et les peuples vous  environneront en foule (Ps 7,8)»; car ce qui porte à vous crucifier ceux qui ne vous connaissent pas, fera que les nations croiront en vous, et ainsi les peuples vous adoreront en foule. Mais si tel est vraiment le sens du verset suivant, il faut plutôt nous attrister à cause de l'effet que nous en ressentons dès ici-bas, que nous réjouir de l'avoir compris. Il porte, eu effet: «Et à cause d'elle remontez en haut (Ps 7,8)»; c'est-à-dire, à cause de ces hommes dont la foule encombre vos églises, remontez bien haut, ou cessez d'être connu. Qu'est-ce à dire: «A cause de cette foule?» sinon, parce qu'elle doit, vous offenser, et ainsi justifier cette, parole: «Pensez-vous que le Fils de l'homme, revenant sur la terre, y trouvera de la foi (Lc 18,8)?» Il est dit encore, à propos des faux prophètes ou des hérétiques: «A cause de leur iniquité, la charité se refroidira chez un grand nombre (Mt 24,12)». Or, quand au sein de l'Eglise, ou dans la société des peuples et des nations que le nom du Christ a si complètement envahis, le crime débordera avec cette fureur que nous lui voyons en grande partie déjà, n'est-ce point alors que se fera sentir la disette de la parole, annoncée par un autre prophète (Am 8,11)? N'est-ce point à cause de cette congrégation qui, à force de crimes, éloigné de ses yeux la lumière de la vérité, que Dieu remonte en haut, de manière que la vraie foi, pure de tout alliage d'opinions perverses, ne se trouve plus nulle part, sinon dans le petit nombre dont il est dit: «bienheureux celui qui aura persévéré jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé (Mt 10,22)?». C'est donc à bon droit qu'il est dit: «Et à cause de cette assemblée, remontez en haut». Retirez-vous dans vos secrètes profondeurs, justement à cause de cette assemblée des peuples qui portent votre nom, sans accomplir vos oeuvres.

708 8. Que l'on adopte la première explication, ou cette dernière, ou toute autre de valeur égale, et mémé supérieure, le Prophète n'a pas moins raison de dire que «le Seigneur  juge les peuplés (Ps 7,9)». Si non entend par s'élever en haut, qu'il est ressuscité pour monter (149) au ciel, on peut dire fort bien que «le Seigneur juge les peuples», puisqu'il en descendra pour juger les vivants et les morts. S'il remonte dans les hauteurs, parce que le péché fait perdre aux fidèles l'intelligence de la vérité, comme il est dit à propos de son avènement: «Pensez-vous que le Fils de l'homme venant en ce monde y trouvera de la foi (Lc 18,8)?» «Le Seigneur juge encore les peuples». Mais quel Seigneur, sinon Jésus-Christ? «Car le Père ne juge personne; il a donné au Fils le pouvoir de juger (Jn 5,22)». Voyez alors comme cette âme si parfaite en sa prière, s'émeut peu du jour du jugement, et avec quelle sécurité de désir elle dit à Dieu dans sa ferveur: «Que votre règne arrive (Mt 6,10)», puis: «Jugez-moi, Seigneur, selon votre justice (Ps 7,9)». Dans le psaume précédent, c'était un infirme qui priait, sollicitant le secours de Dieu bien plus qu'il ne faisait valoir ses propres mérites, car le Fils de Dieu est venu pour appeler à la pénitence tous les pécheurs (Lc 5,32). Aussi disait-il : «Sauvez-moi, Seigneur, à cause de votre miséricorde (Ps 7,5)», et non à cause de mes mérites. Maintenant que docile à l'appel de Dieu, il a gardé les préceptes qu'il a reçus, il ose bien dire: «Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice, et selon mon innocence d'en haut (Ps 7,9).» La véritable innocence est de ne pas nuire, même à ses ennemis. Il peut donc demander à être jugé selon son innocence, celui qui a pu dire en toute vérité «Si j'ai tiré vengeance de celui qui me rendait le mal (Ps 7,5)». Cette expression «d'en haut, super me», doit s'appliquer à sa justice aussi bien qu'à son innocence, et alors il dirait: «Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice et selon mon innocence, justice et innocence d'en haut»; expression qui nous montre que l'âme n'a point en elle-même la justice et l'innocence, et qu'elle les reçoit de la lumière dont il plaît à Dieu de nous éclairer. Aussi dit-elle dans un autre psaume: «C'est vous, Seigneur, qui faites briller mon flambeau Ps 17,29)». Et il est dit de Jean: «Qu'il n'était point la lumière, mais qu'il rendait témoignage à la lumière (2Jn 1,8) , qu'il était une torche enflammée et brillante (Ps 5,35)».Cette lumière donc, à laquelle nos âmes s'illuminent comme des flambeaux, ne brille point d'un éclat d'emprunt, mais d'un éclat qui lui est propre et qui est la vérité. «Jugez-moi donc», est-il dit, «selon ma justice et selon mon innocence d'en haut», comme si la torche allumée et brillante disait: Jugez-moi selon cette splendeur d'en haut, c'est-à-dire qui n'est point moi-même, et dont je brille néanmoins, quand vous m'avez allumée.

709 9. «Que la malice des pécheurs se consomme (Ps 7,10)». Cette consommation est ici le comble, d'après cette parole de l'Apocalypse: « Que celui qui est juste le devienne plus encore, et que l'homme souillé se souille davantage (Ac 22,11)». L'iniquité paraît consommée dans ceux qui crucifièrent le Fils de Dieu, mais elle est plus grande chez ceux qui refusent de vivre saintement, qui haïssent les lois de la vérité, pour lesquelles a été crucifié ce même Fils de Dieu. Que la malice donc des pécheurs se consomme, dit le Prophète, qu'elle s'élève jusqu'à son comble et qu'elle appelle ainsi votre juste jugement. Toutefois, non seulement il est dit Que l'homme souillé se souille encore; mais il est dit aussi: Que le juste devienne plus juste; c'est pourquoi le Prophète poursuit en disant: «Et vous dirigerez le juste, ô Dieu qui sondez les coeurs et les reins (Ps 7,10)». Mais comment le juste peut. il être dirigé, sinon d'une manière occulte? puisque les mêmes actions que les hommes admiraient dans les premiers temps du christianisme, quand les puissances du siècle mettaient les saints sous le pressoir de la persécution, ces actions, aujourd'hui que le nom chrétien est arrivé à l'apogée de sa gloire, servent à développer l'hypocrisie ou la dissimulation chez des hommes qui sont chrétiens de nom, pour plaire aux hommes plutôt qu'à Dieu? Dans cette confusion de pratiques hypocrites, comment le juste peut-il être dirigé, sinon par le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, qui voit nos pensées, désignées ici sous l'expression de coeur, et nos plaisirs, que désignent les reins? Le Prophète a raison d'attribuer à nos reins le plaisir que nous font éprouver les biens temporels; c'est en effet la partie inférieure de l'homme, et comme le siège de cette voluptueuse et charnelle génération, qui perpétue la race humaine, et nous donne cette vie calamiteuse dont les joies sont mensongères. Donc, ce Dieu qui sonde les coeurs et voit qu'ils sont (150) où est notre trésor (Mt 6,21), qui sonde les reins, et voit que loin de nous arrêter au sang et à la chair (Ga 1,16), nous mettons nos délices dans le Seigneur, ce même Dieu dirige le juste dans cette conscience même, où il est présent, où l'oeil de l'homme ne pénètre point, mais seulement l'oeil de celui qui connaît l'objet de nos pensées et de nos plaisirs. Car le but de nos soucis est le plaisir, et nul dans ses soins et dans ses pensées ne se propose que d'y parvenir. Dieu qui sonde les coeurs voit nos soucis, et il en voit le but ou le plaisir, lui qui sonde aussi nos reins; et quand il verra que nos soucis, loin de s'arrêter à la convoitise de la chair, à la convoitise des yeux, ou à l'ambition mondaine, choses qui passent comme l'ombre (1Jn 2,16-17), s'élèvent jusqu'aux joies éternelles que ne trouble aucune vicissitude, ce Dieu qui sonde les reins et les coeurs conduit le juste par la voie droite, Telle oeuvre que nous faisons, peut être connue des hommes, si elle consiste en paroles ou en actes extérieurs; mais notre intention en la faisant, et le but qui nous pousse à la faire, ne sont connus que de Dieu qui sonde les reins et les coeurs.

710 10. «J'attends un juste secours du Seigneur, qui sauve les hommes au coeur droit (Ps 7,11)». La médecine a une double tâche, d'abord de guérir la maladie, ensuite de conserver la santé. C'est dans le premier but qu'un malade disait dans le psaume précédent: «Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible (Ps 6,3)». En vue du second but, nous trouvons dans le psaume qui nous occupe: «Si l'iniquité souille mes mains, que je tombe justement sous les efforts de mes ennemis (Ps 7,4-5)». Dans le premier cas, le malade implore sa guérison, et dans le second, l'homme en santé demande à n'être point malade. L'un s'écrie donc: «Sauvez-moi dans votre miséricorde (Ps 7,5)»; et l'autre: «Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice». Le premier demande le remède qui le guérira, le second le préservatif contre la maladie. Aussi le premier dit-il: Sauvez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde, et le second: J'attends un secours juste du Seigneur, qui sauve l'homme au  coeur droit. Dans l'un comme dans l'autre cas, c'est la miséricorde qui nous sauve: dans le premier, en nous faisant passer de la maladie à la santé; dans le second, en nous maintenant en santé. Il y a dans le premier un secours de miséricorde, puisqu'il n'y a nul mérite chez le pécheur qui désire seulement être justifié par la foi en celui qui justifie l'impie (Rm 4,5): dans le second, un secours de justice, car il est accordé à celui qui est déjà justifié. Que ce pécheur alors qui disait: Je suis infirme, dise maintenant: Sauvez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde; et que le juste qui pouvait dire: Si j'ai tiré vengeance de ceux qui me rendaient le mal, dise maintenant: J'attends un juste jugement du Seigneur qui sauve l'homme au coeur droit. Car si Dieu nous donne le remède qui guérit notre maladie, combien plus nous donnera-t-il le moyen de conserver la santé? Car si Jésus-Christ est mort pour nous quand nous étions pécheurs, maintenant que nous sommes justifiés, nous serons, à plus forte raison, délivrés par lui de la colère du Seigneur (Rm 5,8-9).

711 11. «J'attends un juste secours du Seigneur, «qui sauve l'homme au coeur droits. Le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, donne aussi la droiture au juste; et par un juste secours il sauve ceux qui ont le coeur droit. Toutefois, il ne donne pas le salut à ceux qui ont la droiture dans le coeur et dans les reins, de la même manière qu'il sonde les reins et les coeurs. Dans le coeur, en effet, siègent les pensées: mauvaises, quand il est dépravé; bonnes, quand il est droit; mais aux reins appartiennent les plaisirs condamnables qui ont quelque chose de bas et de terrestre, tandis qu'un plaisir pur n'est plus dans les reins, mais dans le coeur. Aussi ne peut-on pas dire: La droiture des reins, comme on dit: La droiture du coeur; car où est la pensée, là aussi est la jouissance: cette droiture ne peut avoir lieu que si nous pensons aux choses divines et éternelles. Aussi le Prophète s'écriait-il: «Vous avez mis la joie dans mon coeurs, après avoir dit: «La lumière de votre face est empreinte sur nous (Ps 4,7)». Ce n'est point le coeur, en effet, mais bien les reins qui trouvent une certaine jouissance dans cette joie folle et délirante que nous causent de vaines imaginations, quand les fantômes des choses temporelles, que se forme notre esprit, le bercent d'un espoir vain et passager; tous ces fantômes nous viennent d'en bas, ou des choses terrestres et charnelles. De là vient que Dieu, (151) sondant les coeurs et les reins, et voyant le coeur occupé de pensées droites, les reins sevrés de toute volupté, donne un juste secours à ce coeur droit qui sait allier à des pensées pures d'irréprochables délices. Aussi, après avoir dit dans un autre psaume: «Jusque dans la nuit mes reins m'ont tourment», le Prophète parlait du secours divin, et s'écriait: «J'avais toujours le Seigneur présent devant moi, parce qu'il est à ma droite, et  je ne serai point ébranlé (Ps 15,7-8)», marquant ainsi que ses reins lui ont seulement suggéré, mais non causé la volupté, qui l'eût ébranlé, s'il l'avait ressentie. Il dit donc: « Le Seigneur est à ma droite, et je ne serai point ébranlé»; puis il ajoute: «Aussi mon coeur a-t-il tressailli de joie (Ps 15,9)». Les reins ont bien pu le tourmenter, mais non lui donner la joie. Ce n'est donc point dans les reins qu'il a senti la joie, mais dans ce coeur qui lui a montré que Dieu le soutiendrait contre les suggestions de ses reins.

712 12. « Dieu est un juge équitable, il est fort et patient (Ps 7,12)». Quel est ce Dieu juge, sinon le Seigneur qui juge les peuples? Il est juste, car il rendra à chacun selon ses oeuvres (Mt 16,27); il est fort, puisque nonobstant sa toute-puissance, il a enduré pour notre salut les persécutions des méchants; il est patient, puisqu'il n'a point livré ses bourreaux au supplice, aussitôt après sa résurrection, mais il a différé afin qu'ils pussent détester cette impiété, et se sauver; il diffère encore aujourd'hui, réservant le supplice éternel pour le dernier jugement, et chaque jour appelant les pécheurs au repentir. «Il n'appelle point chaque jour sa colère». Cette expression: «Appeler sa colère», est plus significative que se mettre en colère, et nous la trouvons dans la version grecque (Me orge epogon); elle nous montre que cette colère, qui le porte au châtiment, n'est point en lui-même, mais dans les sentiments de ses ministres qui obéissent aux lois de la vérité: ce sont eux qui ordonnent aux ministres inférieurs, appelés anges de colère, de châtier le péché. Ceux-ci, à leur tour, éprouvent, en châtiant les hommes, la satisfaction, non de la justice, mais de la méchanceté. «Dieu donc n'appelle point chaque jour sa colère»; c'est-à-dire, ne convoque point chaque jour les ministres de ses vengeances. Maintenant, sa patience nous invite au repentir; mais au dernier jour, quand les hommes, par leur dureté et l'impénitence de leur coeur, se seront amassé un «trésor de colère pour le jour où se révélera la colère et le juste jugement de Dieu (Rm 2,5)», alors il brandira son glaive.

713 13. «Si vous ne retournez à lui»,dit le Prophète, «il brandira son glaive (Ps 7,13)». On peut dire de Jésus-Christ, qu'il est le glaive de Dieu, glaive à deux tranchants, framée qu'il n'a point brandie à son premier avènement, mais qu'il a tenue cachée dans le fourreau de son humilité; mais au second avènement, quand il viendra juger les vivants et les morts, les éclairs de cette framée brilleront de tout l'éclat de sa splendeur, pour illuminer les justes, et jeter les impies dans l'effroi. D'autres versions, au lieu de: «Brandira son glaive», portent: « Fera briller sa framée»: expression qui s'applique fort bien, selon moi, à cette splendeur de Jésus-Christ, au dernier avènement; car en parlant au nom de Jésus-Christ même, le psalmiste a dit ailleurs: «Seigneur, délivrez mon âme des mains de l'impie, et votre glaive des ennemis de votre puissance (Ps 16,13-14)». «Il a tendu son arc et l'a préparé». Il ne faut point négliger ce changement de temps dans les verbes: il est dit au futur que Dieu brandira son épée»; et au passé, qu'il a tendu son arc», et le discours continue au passé.

714 14. «Il a mis en lui l'instrument de la mort: il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents (Ps 7,14)». Dans cet arc, je verrais volontiers les saintes Ecritures, où la force du Nouveau Testament, pareille à un nerf, a fait fléchir et a dompté la raideur de l'Ancien. Cet arc a lancé comme des flèches; les Apôtres ou les saints prédicateurs. Ces flèches que Dieu a fabriquées avec le charbon ardent, embrasent de l'amour divin ceux, qu'elles ont frappés. De quelle autre flèche serait blessée l'âme qui chante ainsi: «Conduisez-moi dans les lieux où se garde le vin, établissez-moi dans les parfums, environnez-moi de miel, parce que l'amour m'a blessée (Ct 2,4 suiv. les LXX)?» De quelle autre flèche peut être embrasé celui qui veut revenir à Dieu, qui quitte le chemin de l'exil, qui implore du secours, contre les langues menteuses, et s'entend dire: «Que vous donner? comment vous secourir (152) contre les langues menteuses? les flèches du vainqueur sont aiguës; ce sont des charbons ardents (Ps 79,3-4)?» c'est-à-dire, si vous en  étiez atteint, vous brûleriez d'un tel amour du royaume de Dieu, que vous dédaigneriez tous ceux. qui vous résisteraient, et qui tâcheraient de vous détourner de votre dessein: vous vous ririez de leurs persécutions et vous diriez: «Qui me séparera de l'amour de Jésus-Christ? L'affliction, les angoisses, la faim, la nudité, les périls, la persécution ou le glaive? J'ai la certitude», poursuit l'Apôtre, «que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni les vertus, ni ce qu'il y a de plus haut, ni ce qu'il y a de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rm 8,35-39).» C'est ainsi qu'il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents. Car la version grecque porte: « Ses flèches sont fabriquées au moyen de charbons ardents», quand, presque toujours, nous lisons dans la version latine. « Ses flèches sont ardentes»; mais que les flèches brûlent, ou qu'elles allument le feu, ce qui leur serait impossible si elles n'étaient brûlantes, le sens est le même.

715 15. Le Prophète ne parle pas seulement de flèches que le Seigneur a préparées pour son arc, mais encore d'instruments de mort et l'on peut se demander, si des instruments de mort ne désigneraient point les hérétiques, car, eux aussi, s'élancent du même arc du Seigneur, ou des saintes Ecritures, non pour enflammer les âmes, de la charité, mais pour les tuer de leurs poisons ce qui n'arrive qu'à celles qui l'ont mérité par leurs crimes: et cette décision est encore l'oeuvre de la divine Providence, non qu'elle porte les hommes au péché, mais parce qu'elle dispose des pécheurs dans l'ordre de sa sagesse. Le péché leur fait lire les Ecritures avec mauvaise intention, et le sens dépravé qu'ils sont forcés d'y donner, devient le châtiment du péché, et leur mort funeste devient comme un aiguillon, qui stimule les enfants de l'Eglise catholique, les tire de l'assoupissement et leur fait comprendre les saintes Ecritures. «Il faut, en effet, qu'il y ait des hérésies», dit l'Apôtre, «afin qu'on reconnaisse ceux d'entre vous, dont la vertu est  éprouvée (1Co 11,19)»; c'est-à-dire, afin qu'on les reconnaisse parmi les hommes, car ils sont connus de Dieu. Ces flèches, ces instruments-de mort, ne seraient-ils point préparés pour l'extermination des infidèles, et Dieu ne les aurait-il pas faites brûlantes, ou avec des charbons ardents, afin d'embraser les fidèles? Car elle n'est point mensongère, cette parole de l'Apôtre.: «Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, et aux autres une s odeur de mort pour la mort; et qui est propre à ce ministère (2Co 2,16)?» Il n'est donc pas étonnant que les mêmes Apôtres soient des instruments de mort pour ceux qui les ont persécutés, et des flèches de feu pour embraser les coeurs de ceux qui ont cru.

716 16. Après en avoir agi de la sorte, Dieu fera voir l'équité de ce jugement, dont le Prophète nous parle de manière à nous faire comprendre que le supplice de chacun sera dans son péché, et le châtiment dans son injustice même; et à nous prémunir contre cette pensée qu'il y aurait dans ce calme profond de Dieu, dans sa lumière ineffable, un désir de punir les crimes: toutefois il les dispose avec tant de sagesse, que cette joie même que goûtait l'homme dans son péché, devient un instrument de vengeance pour le Seigneur qui châtie. Voilà, dit le Prophète, «qu'il a enfanté l'injustice (Ps 7,15)». Mais qu'avait-il conçu pour enfanter ainsi l'injustice? «Il avait conçu le travail (Gn 3,17)», ce travail dont il est écrit: «Tu mangeras ton pain dans le labeur»; et ailleurs: «Venez à moi, vous tous qui travaillez, et qui êtes chargés; mon joug est doux, et mon fardeau léger Mt 11,28-30)». Car le labeur pénible ne finira point pour l'homme, tant qu'il n'aimera point ce qu'on ne pourra lui enlever malgré lui. En effet, tant que nous aimons ce qui peut nous échapper malgré notre volonté, nous subirons le travail et la peine: étroitement resserrés dans les difficultés de cette vie où chacun, pour posséder ces biens, s'efforce tantôt d'en prévenir un autre, tantôt de les extorquer au possesseur, nous ne pouvons les acquérir que par d'injustes combinaisons. Il est donc bien, il est parfaitement dans l'ordre que l'homme enfante l'injustice après avoir conçu le travail. Que peut-il enfanter, sinon ce qu'il a porté dans son sein, bien qu'il n'enfante (153) pas ce qu'il a conçu? Car le sujet à la naissance n'est plus celui de la conception: concevoir se dit d'un germe, mais c'est l'être que ce germe a formé, qui arrive à la naissance. Le travail est donc le germe de l'iniquité; et concevoir le travail, c'est concevoir le péché, ce premier péché qui nous sépare de Dieu (Si 10,14). Il a donc porté l'injustice, celui qui avait conçu le travail, et «il a mis au monde l'iniquité». Et comme l'iniquité c'est l'injustice, il a fait éclore ce qu'il avait porté. Que dit-il ensuite?

717 17. «Il a ouvert une fosse, il l'a creusée (Ps 7,16)». Ouvrir une fosse dans les affaires terrestres, aussi bien que dans la terre, c'est préparer un piége où puisse tomber celui que veut tromper l'homme injuste. Le pécheur ouvre cette fosse, quand il ouvre son âme aux suggestions des terrestres convoitises; il la creuse, quand il y donne son adhésion et s'occupe d'ourdir la fraude. Mais comment serait-il possible que l'iniquité blessât l'homme juste qu'elle attaque, avant d'avoir blessé le coeur injuste qui la commet? Un voleur, par exemple, reçoit de l'avarice une blessure, quand il cherche à endommager le bien d'autrui. Qui serait assez aveugle pour ne pas voir la distance qui sépare ces deux hommes, dont l'un subit la perte de son argent, l'autre de son innocence? «Ce dernier donc tombera dans la fosse qu'il aura creusée»; comme le psalmiste l'a dit encore ailleurs: «Le Seigneur se fait connaître dans ses jugements, et le pécheur s'est pris lui-même dans les oeuvres de ses mains (Ps 9,17)».

718 18. «Son travail pèsera sur lui, et son iniquité retombera sur sa tête (Jn 18,34)». C'est lui qui n'a pas voulu fuir le péché; mais il s'en est rendu volontairement l'esclave, selon cette parole du Seigneur: «Tout pécheur devient l'esclave du péché». Son péché donc sera sur lui, puisque lui-même s'est soumis au péché; dès lors qu'il n'a pu dire à Dieu, comme toute âme droite et innocente: «C'est vous qui êtes ma gloire et qui élevez ma tête (Ps 3,4)», c'est donc lui qui sera abaissé, de manière que l'iniquité le dominera et descendra sur lui: elle sera pour lui un poids très-lourd, et l'empêchera de prendre son essor vers le repos des saints. Voilà ce qui arrive chez le pécheur, quand l'âme est esclave, et que les passions dominent.

719 19. «Je confesserai le Seigneur selon sa justice (Ps 3,18)». Cette confession n'est point l'aveu des pécheurs; car celui qui parle ainsi disait plus haut avec beaucoup de vérité: «Si vous trouvez l'iniquité dans mes mains (Ps 7,18)». C'est donc un témoignage rendu à la justice de Dieu; comme s'il disait: Vraiment, Seigneur, vous êtes juste, et quand vous protégez les bons de manière à les éclairer par vous-même, et quand, par votre sagesse, le pécheur trouve son châtiment dans sa propre malice, et non dans votre volonté. Cette confession élève la gloire du Seigneur bien au-dessus des blasphèmes des impies, qui veulent des excuses pour leurs crimes, et refusent de les attribuer à leur faute, c'est-à-dire qu'ils ne veulent point que la culpabilité soit coupable. Ils accusent de leurs péchés, ou la fortune ou le destin, ou le démon auquel notre Créateur a voulu que nous pussions résister, ou même une nature qui ne viendrait point de Dieu; ils s'égarent en de misérables fluctuations, plutôt que de mériter de Dieu leur pardon par un aveu sincère. Car il n'y a de pardon possible que pour celui qui dit: J'ai péché. Or, celui qui comprend que Dieu, dans sa sagesse, rend à chacune des âmes ce qu'elle a mérité, sans déroger aucunement à la beauté de l'univers, loue Dieu dans toutes ses oeuvres; et ce témoignage ne vient pas des pécheurs, mais des justes. Ce n'est point avouer des fautes que de dire au Seigneur: « Je vous confesse, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez dérobé ces mystères aux savants, pour les révéler aux petits (Mt 11,25)». De même, nous lisons dans l'Ecclésiastique: «Confessez le Seigneur dans toutes sas oeuvres. Et voici ce que vous direz dans vos confessions: Tous les ouvrages du Seigneur proclament sa sagesse (Si 29,19-20)». Donc, cette confession dont parle ici David, consiste à comprendre, avec le secours de Dieu et une piété sincère, comment le Seigneur, qui récompense les justes, et qui châtie les méchants, par ce double effet de sa justice, maintient toute créature qu'il a faite et qu'il gouverne, dans une admirable beauté, que peu d'hommes comprennent. Il s'écrie donc: « Je confesserai le Seigneur selon sa justice», comme le ferait celui qui a compris que le Seigneur n'a point fait les ténèbres, quoiqu'il en dispose avec sagesse. Dieu dit en effet: «Que la (154) lumière soit faite, et la lumière fut (Gn 1,3)» ;  mais il ne dit pas: Que les ténèbres soient, et les ténèbres furent faites; et toutefois il les a réglées, puisqu'il est dit «qu'il sépara la lumière des ténèbres, qu'il donna le nom de jour à la lumière, et celui de nuit aux ténèbres (Gn 4,5)». Il y a donc cette différence qu'il fit l'un et le régla; et qu'il ne fit pas  l'autre, bien qu'il la réglât néanmoins. Que les ténèbres figurent le péché, c'est ce que nous apprend ce mot d'un Prophète: «Et vos ténèbres seront pour vous le soleil (Is 58,10)» ; et cette parole de saint Jean: «Celui-là est dans les ténèbres qui a de la haine contre son frère (1Jn 2,11).»; et surtout celle-ci de saint Paul: «Dépouillons-nous des oeuvres ténébreuses, pour revêtir les armes de la lumière (Rm 13,12)». Ce n'est pas qu'il y ait une nature  ténébreuse; car toute nature existe nécessairement comme nature. Mais exister, c'est le  propre de la lumière, tandis que ne pas exister, est le propre des ténèbres. Donc, abandonner celui qui nous a créés pour nous incliner vers ce néant d'où nous avons été tirés, c'est nous couvrir des ténèbres du péché; ce n'est point périr tout à fait, mais descendre au dernier rang. Aussi, quand le Prophète a dit: « Je confesserai devant le Seigneur» a-t-il soin d'ajouter, pour ne point nous laisser croire à un aveu de ses fautes: «Et je chanterai le nom du Seigneur Très-Haut (Ps 7,18)». Or, chanter est le propre de la joie, tandis que le repentir de nos fautes accuse la douleur.

720 20. On pourrait appliquer ce psaume à la personne de l'Homme-Dieu, en rapportant à notre nature infirme, qu'il avait daigné revêtir, tout ce qui est dit à notre confusion.




Augustin, les Psaumes 6