- CHAPITRE 28. LE SAINT DOCTEUR CONCLUT QUE TOUS ONT BESOIN DE LA MORT DE JÉSUS-CHRIST, POUR ÊTRE SAUVÉS. LES PETITS ENFANTS NON BAPTISÉS SERONT DANS LA DAMNATION AVEC LES DÉMONS. COMMENT TOUS LES HOMMES VONT A LA DAMNATION PAR ADAM, ET A LA JUSTIFICAT

CHAPITRE 28. LE SAINT DOCTEUR CONCLUT QUE TOUS ONT BESOIN DE LA MORT DE JÉSUS-CHRIST, POUR ÊTRE SAUVÉS. LES PETITS ENFANTS NON BAPTISÉS SERONT DANS LA DAMNATION AVEC LES DÉMONS. COMMENT TOUS LES HOMME


55. Cela étant ainsi, la vraie foi et la sainte doctrine n'ont jamais admis qu'aucun de ceux qui sont venus à Jésus-Christ par le baptême n'ait pas eu besoin de cette grâce de la rémission des péchés, ni que personne puisse, en dehors de son royaume, obtenir la vie éternelle. Voilà le salut que Dieu préparait pour le révéler dans les derniers temps (1), c'est-à-dire à la résurrection des morts, pourvu toutefois qu'ils appartiennent non pas à la mort éternelle que l'Ecriture appelle la seconde mort, mais à la vie éternelle que Dieu, incapable de mentir, promet à ses saints et fidèles serviteurs; encore est-il que tous ceux qui auront part a la vie éternelle devront avoir reçu la vie uniquement par Jésus-Christ, comme déjà tous par Adam reçoivent la mort (2). De même en effet que tous ceux, absolument dont la génération est due à la volonté de la chair, ne meurent qu'en Adam en qui tous ont péché; ainsi, dans ce nombre même des morts, tous ceux absolument dont la régénération est due à la volonté de l'esprit, ne sont vivifiés non plus qu'en Jésus-Christ en qui tous sont justifiés. D'un côté, tous par un seul arrivent à la condamnation; de l'autre, tous par un seul aussi arrivent à la, justification (3). Il n'y a pour personne aucun lieu mitoyen où l'on puisse ne pas être avec le démon, si l'on n'est pas avec Jésus-Christ. Aussi est-il une idée que le Seigneur a voulu arracher de tous les coeurs, où la foi serait altérée: c'est celle de je ne sais quel milieu où quelques-uns s'efforcent de placer les enfants morts sans baptême, prétendant que leur innocence est une sorte de mérite qui leur vaudrait la vie éternelle, mais que la privation du baptême les empêcherait d'être avec Jésus-Christ dans son royaume. Lui-même a prononcé cette maxime pour leur fermer la bouche: «Celui qui n'est pas avec moi est contre moi (4)». Et maintenant,


1. 1P 1,5 - 2. 1Co 15,22 - 3. Rm 5,18 - 4. Mt 12,30

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offrez-nous tel petit enfant qu'il vous plaira; s'il est déjà avec Jésus-Christ, pourquoi le baptise-t-on? Si, su contraire, selon la doctrine de la vérité, on le baptise précisément pour qu'il soit avec Jésus-Christ, donc évidemment celui qui n'est pas baptisé n'est pas non plus avec Jésus-Christ; et, n'étant pas avec Jésus-Christ, il est contre Jésus-Christ; car nous ne pouvons ni infirmer ni commuer une sentence aussi manifeste du Seigneur: Mais par où est-il contre Jésus-Christ, sinon par le péché, puisque ce ne peut être ni par son corps ni par son âme, l'un et l'autre créés de Dieu? Et si c'est par un péché, quel est-il à pareil âge, sinon une faute originelle et antique? Car il n'y a qu'une chair de péché dans laquelle tous viennent au monde pour la damnation; et il n'y a non plus qu'une chair qui ait revêtu la ressemblance du péché, et par laquelle tous sont délivrés de la damnation. Toutefois l'expression tous n n'a pas été écrite pour faire entendre que ceux qui naissent dans la chair de péché soient identiquement et tous purifiés par cette autre chair qui a porté la ressemblance de la chair de péché; «Car la foi n'appartient pas à tous (1)». La vérité est donc que tous ceux qui doivent la vie à la génération d'un mariage charnel, ne naissent non plus que dans une chair de péché; et tous ceux au contraire qui doivent la vie à la génération d'un mariage spirituel, ne sont purifiés non plus que par la chair qui a pris la ressemblance de notre chair pécheresse. Une comparaison éclaircira notre pensée. Supposons qu'une ville possède une sage-femme seulement qui soit au service de tous les habitants; et seulement aussi un maître des lettres humaines, qui donne de même à tous l'enseignement. L'expression «tous v ne pourra s'entendre, dans le premier cas, que de ceux qui naissent; et dans le second que de ceux qui reçoivent l'enseignement; et cependant ceux qui naissent ne vont pas tous en classe. Mais l'on voit clairement la justesse de l'expression «tous», dans les deux cas: la sage-femme est vraiment au service de tous, puisqu'aucun habitant ne naît que par ses mains; et le professeur donne à tous l'enseignement, puisqu'aucun n'est instruit qu'à son école.


56. Si l'on a bien pesé la divine parole, soit dans tous ces textes dont j'ai discuté quelques-


1. 2Th 3,2

uns à part; tandis que j'ai groupé les autres en une masse imposante; soit même encore dans tous ceux qui vont au même sens et que je n'ai pas rappelés, on n'y trouvera rien absolument que cette vérité enseignée par l'Église universelle, qui a la mission de veiller contre les nouveautés profanes.

Tout homme est séparé de Dieu, sauf celui qui par Jésus médiateur est réconcilié avec Dieu. Les péchés, d'ailleurs, sont les seuls obstacles qui puissent créer cette séparation; donc aussi la rémission des péchés est le seul moyen de réconciliation; et cette rémission s'opère uniquement par la grâce d'un Sauveur infiniment miséricordieux, uniquement par la victime que daigna offrir ce Prêtre très-véritable. Ainsi tous les enfants de cette femme qui a cru aux paroles du serpent jusqu'à céder aux appétits corrompus de la chair (1), ne sont délivrés d'un corps de mort que par le Fils de cette Vierge qui a cru aux paroles de l'Ange jusqu'à mériter un enfantement sans oeuvre de chair (2).

CHAPITRE XXIX. EN QUOI CONSISTE LE BIEN DU MARIAGE. QUATRE USAGES DIFFÉRENTS DU BIEN ET DU MAL.


57. Aussi le bien, le droit du mariage ne consiste pas dans l'ardeur de la concupiscence, mais dans une certaine manière d'user de cette ardeur de concupiscence, en tout honneur et selon la loi, la faisant servir à la propagation de la famille et non pas à la satisfaction d'une passion grossière. Cette noble volonté fait le mariage, et non pas cette autre et ignoble volupté. Il y a donc dans notre corps mortel un principe qui se meut en nos membres avec désobéissance, s'efforce de dégrader notre coeur et de l'attirer tout à lui, ne s'élève pas toujours quand notre âme le voudrait, et qui ne cesse pas non plus d'agir malgré notre volonté: ce principe, c'est le mal du péché, dans lequel tout homme vient au monde. Mais aussi, qu'on l'empêche de s'adonner à des actes illicites de corruption; qu'on lui permette seulement de réparer, par l'honnête propagation de l'espèce humaine, les pertes que celle-ci fait tous les jours: ce principe devient le bien du mariage, auquel tout homme doit la vie en toute société bien ordonnée. D'ailleurs, personne ne renaît dans


1. Gn 3,1-6 - 2. Lc 1,26-38

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le corps innocent de Jésus-Christ, avant d'être né d'abord dans ce corps de péché. Maintenant remarquez que mal user d'un bien, c'est péché; comme bien user du mal, c'est vertu. Ainsi ces deux idées: le bien et le mal, et ces deux autres: le bon usage et le mauvais usage d'une Chose, en se couplant, engendrent quatre sortes d'actions différentes. Par exemple, tel voue à Dieu la continence: c'est le bon usage d'un bien; tel, au contraire, la voue à une idole, c'est le mauvais usage d'un bien. De même 'encore, celui-ci satisfait sa concupiscence par l'adultère: il fait mauvais usage d'un mal; cet autre restreint sa: concupiscence par le mariage: il use bien d'un mal. Comme donc le bon usage d'un bien est plus louable encore que le bon usage d'un mal; bien qu'il y ait d'ailleurs vertu dans les deux cas, concluez que «celui qui marie sa fille fait bien, et que celui qui ne la marie pas fait mieux (1)». - Mais, autant que Dieu m'en a fait la grâce, et dans la mesure de mes.forces si chétives, j'ai traité plus largement et plus convenablement ces questions en deux livres, l'un du Bien du mariage, l'autre De la sainte virginité.

Cessez toutefois, cessez de faire l'apologie de la concupiscence, comme si elle était le bien du mariage, vous qui élevez la chair et le sang du premier prévaricateur contre la chair et le sang du Rédempteur; cessez de vous enorgueillir de l'erreur d'autrui, vous dont le Seigneur accuse la puérilité en nous donnant l'exemple de l'humilité. Seul, il est né sans péché celui que sans le concours d'un homme une Vierge a conçu, non par un désir charnel, mais par une obéissance toute spirituelle. Seule la Vierge aussi a pu produire le remède à notre blessure, parce qu'en dehors elle-même de la blessure du péché, elle a mis au monde l'Enfant béni.

CHAPITRE XXX. EN QUEL SENS LE BAPTÊME EST NÉCESSAIRE D'APRÈS LES PÉLAGIENS.


58. Actuellement examinons .plus à fond encore, autant que- le Seigneur voudra bien nous aider, le passage même de l'Évangile où Jésus a dit: «Si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit, il n'entrera pas


1. Cor. 7,38.

dans le royaume de Dieu». Car c'est la maxime qui fait sur nos adversaires une telle impression, que, sans elle, ils se refuseraient absolument à croire à la nécessité du baptême pour les petits enfants.

«Remarquez», nous disent-ils, «que Jésus-Christ n'a pas dit: Si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit, il n'aura point le salut ou la vie éternelle; mais seulement: Il n'entrera pas dans le royaume de Dieu. Par suite on doit baptiser les petits enfants pour qu'ils aient part au royaume de Dieu avec Jésus-Christ, puisqu'ils n'y seront point admis sans avoir été baptisés; et toutefois, si les petits enfants meurent sans baptême, ils auront le salut et la vie éternelle, parce qu'ils ne sont sous le poids d'aucun péché».

D'abord ceux qui tiennent ce langage n'ont jamais expliqué ce que devient la justice, si elle prononce ainsi l'exclusion du royaume de Dieu contre l'image de Dieu même non souillée par le péché. - Puis, étudions ici la pensée du Seigneur Jésus, seul et unique bon Maître; voyons si, dans ce passage même de l'Évangile, il n'a pas indiqué, démontré même que la rémission des péchés est le seul moyeu pour les baptisés s'arriver .au royaume de Dieu. Certes, à tout esprit droit il devrait suffire que le Maître ait prononcé, comme il l'a fait: «Si quelqu'un ne reçoit pas une seconde naissance, il ne peut voir le royaume de Dieu»; et encore: «Si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume.de Dieu». En effet, pour; quoi naître à nouveau, sinon parce qu'il faut être renouvelé? et de quoi faut-il être renouvelé, sinon d'un vieil état? et quel est ce vieil état, sinon celui où le vieil homme en nous a été crucifié avec Jésus-Christ pour faire disparaître ce corps du péché (1)? - Mais, comme nous l'avons annoncé, étudions plutôt avec toute l'attention et le soin dont nous sommes capables tout le contexte du passage de l'Evangile où est traité le sujet qui nous occupe.

Le voici.


59. «Il y avait un homme d'entre les pharisiens, nommé Nicodème, sénateur des Juifs, qui vint trouver Jésus pendant la nuit, et lui dit: Maître, nous savons que vous êtes, venu de la part de Dieu pour nous instruire, comme un docteur; car personne ne saurait faire les miracles que


1. Rm 6,6

vous faites, si Dieu n'est avec lui. Jésus lui répondit: En vérité, en vérité, je vous le dis: Personne ne peut voir le royaume de Dieu, s'il ne naît de nouveau. Nicodème lui dit: Comment peut naître un homme qui est déjà vieux? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère, pour naître une seconde fois? Jésus lui répondit: En vérité, en vérité, je vous le dis: Si un homme ne renaît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit. Ne vous étonnez pas de ce que je vous ai dit, qu'il faut que vous naissiez de nouveau. L'Esprit souffle où il veut, et vous entendez sa voix; mais vous ne savez d'où il vient ni où il va; il en est de même de tout homme qui est né de l'Esprit. Nicodème lui répondit: Comment cela peut-il se faire? Jésus lui dit: Quoi! vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses? En vérité, en vérité, je vous dis que nous ne disons que ce que nous savons, et que nous ne rendons témoignage que de ce que nous avons vu; et cependant, vous ne recevrez point notre témoignage. Mais si vous ne m'avez pas cru lorsque je vous parle des choses de la terre, comment me croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel? Aussi personne n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, savoir le Fils de l'homme, qui est dans le ciel. Et comme Moïse éleva dans le désert le serpent d'airain, il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique; afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n'est pas condamné; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu'il ne croit pas au nom du Fils unique de Dieu. Et le sujet de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière; parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal, hait la lumière, et ne s'approche point de la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient condamnées. Mais celui qui fait ce que la vérité lui prescrit, s'approche de la lumière, afin que ses oeuvres soient découvertes, parce qu'elles sont faites en Dieu (1)». Ici s'arrête, quant à la question qui nous occupe, le passage évangélique, qui jusque-là s'y rapporte tout entier; l'écrivain sacré passe à un autre sujet.

CHAPITRE XXXI. JÉSUS-CHRIST NOTRE CHEF ET NOTRE CORPS. - A CAUSE DE L'UNITÉ DE SA PERSONNE, IL DEMEURAIT AU CIEL, ET MARCHAIT SUR LA TERRE. - EN QUEL SENS JÉSUS-CHRIST MONTE AU CIEL: LA TÊTE ET LE COR


60. Ainsi, Nicodème ne comprenant pas le langage du Seigneur, lui demande comment ces choses peuvent s'accomplir. Voyons ce que le Seigneur lui répond. Voici bien, en effet, la question posée: «Comment cela se peut-il faire?» Et si c'est bien à cette question que le Seigneur daigne répondre, il nous apprendra par là même précisément comment peut s'opérer là régénération par l'Esprit de tout homme que produit au monde la génération par la chair.

Le Seigneur commence par signaler en passant l'ignorance de ce docteur qui se préférait aux autres hommes à raison de ses fonctions magistrales, et par blâmer tous les hommes de cette espèce, dont l'incrédulité se refusait à recevoir le témoignage de la vérité. Il ajoute qu'ils ne l'ont point cru, alors même que ses discours ne traitaient que des choses de la terre, et demande ou s'étonne comment ils croiront les choses du ciel.

Il poursuit toutefois et fait une réponse que d'autres croiront, si eux-mêmes se refusent à la croire. On lui a demandé: «Comment cela se peut il faire?» - «Personne», dit-il, «n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, à savoir le Fils de l'homme qui est dans le ciel».Jésus l'affirme donc: la génération par l'Esprit s'accomplira de telle sorte que de terrestres les hommes deviendront célestes; et cet état, ils ne pourront l'acquérir s'ils ne deviennent ses membres, de sorte que, même en eux, celui-là seul monte qui est descendu; car «personne ne monte sinon celui qui est descendu». Il le faut donc indispensablement: ceux qui doivent être


1. Jn 3,1-21

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changés et grandis en Jésus-Christ, doivent d'abord concourir avec lui en l'unité de son corps; car il faut que Jésus-Christ, qui est descendu, remonte lui-même; or, il ne met aucune différence entre lui et son corps; et ce corps, c'est l'Eglise; parce qu'on entend de Jésus-Christ et de son Eglise, plus véritablement encore que de toute alliance, le texte: «Ils seront deux en une seule chair (1)», maxime que Jésus a reproduite sur le même sujet en ces termes: «Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair (2)»: Ainsi, sans cette unité avec le corps de Jésus-Christ, nul homme absolument ne pourra monter au ciel, puisque «personne ne monte au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, ce Fils de l'homme qui est au ciel».

Observons, en effet, que notre Sauveur, qui s'est fait sur la terre Fils de l'homme, reste en même temps au ciel dans cette divinité avec laquelle il descend ici-bas; et cependant il ne croit pas déshonorer cette divinité en la désignant sous le nom de Fils de l'homme; comme aussi il a daigné honorer sa chair du nom de Fils de Dieu; et pourquoi? c'est pour qu'en ces deux choses, on ne suppose pas deux Christs, dont l'un serait un Dieu et l'autre un homme, mais bien le même Christ, Dieu, et homme tout ensemble: Dieu, parce qu' «au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu»; homme, parce que «le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous (1)». Ainsi, à cause de la distance qui sépare toujours la divinité de l'infirmité humaine, le Fils de Dieu gardait sa demeure au ciel, et le Fils de l'homme cheminait sur la terre; mais, à cause de l'unité de personne, par, laquelle l'une et l'autre substance ne sont ensemble qu'un seul Jésus-Christ, le Fils de Dieu aussi cheminait sur la terre, et le même, comme Fils de l'homme, habitait le ciel.

Ainsi, la foi de vérités plus incroyables nous conduit à celle de vérités plus faciles à croire. Admettez, en effet, que la substance divine, si fort éloignée de la nôtre, si incomparablement différente et plus sublime, ait bien pu, pour notre salut, revêtir à ce point l'humaine substance, qu'il n'y ait eu après cette union qu'une seule personne, et qu'ainsi le Fils de l'homme, tout en habitant ce bas monde par la faiblesse de sa chair, était toutefois


1. Gn 2,24 - 2. Mc 10,8 - 3. Jn 1,14

identiquement ai! ciel par sa divinité qui s'était associé la chair: combien plus facilement vous croirez que d'autres hommes, ses saints et ses fidèles, deviennent un seul Christ avec l'Homme-Christ, de sorte que tous, par la grâce qu'il leur fait de se les unir ainsi, montent et s'élèvent sans doute, mais qu'en dernière analyse ce soit ainsi Jésus-Christ lui. même et lui seul qui monte au: ciel, comme il en est descendu? - Or; telle est aussi la doctrine de l'Apôtre: «Comme nous avons plusieurs membres dans notre corps unique, et comme tous les membres, bien que nombreux, de notre corps, ne font qu'un corps, néanmoins .tel est le Christ (1)». Il n'a pas dit: Ainsi en est-il des christs ou du corps de Jésus-Christ, ou des membres de Jésus-Christ; mais bien: «Tel est le Christ», appelant ainsi du nom unique de Jésus-Christ, et le chef et les membres.

CHAPITRE 32. LE SERPENT ÉLEVÉ DANS LE DÉSERTA FIGURÉ JÉSUS-CHRIST SUSPENDU SUR LA CROIX. LES PETITS ENFANTS EUX-MÉMES SONT EMPOISONNÉS PAR LA MORSURE DU SERPENT INFERNAL.


61. Grande et admirable bonté de Jésus-Christ, qui ne peut, se produire que par la rémission des péchés, comme le déclare la suite de son discours: «Et comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tous ceux qui croiront en lui ne périssent point, mais qu'ils aient la vie éternelle». Nous connaissons ce qui s'est alors passé dans le désert. Une foule d'Israélites périssaient par, la morsure des serpents; le peuple alors, avouant ses péchés, pria le Seigneur, par l'organe de Moïse, de vouloir bien les délivrer de ce fléau; et par suite Moïse, d'après l'ordre de Dieu, éleva dans le désert un serpent d'airain, et avertit le peuple que chacun de ceux qui seraient atteints de la dent des serpents, eût à regarder la figure d'airain qu'il venait de dresser, et tous ceux, qui suivaient cet avis, guérissaient. Qu'est-ce que ce serpent dressé en l'air, sinon la mort de Jésus-Christ, d'après la figure que prend la cause pour l'effet? En effet, la mort est venue par le serpent, dont les conseils entraînèrent l'homme à ce


1. 1Co 12,12

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péché qui lui a depuis mérité la mort. Or, le Seigneur n'a pas transporté dans sa chair le péché qui ressemble à ce venin du serpent; mais il y a transporté la mort cependant, afin que le châtiment sans la faute se trouvât dans cette chair semblable à notre chair de péché, et qu'ainsi dans la vraie chair de péché, la faute et le châtiment fussent abolis. Comme donc alors le blessé qui regardait le serpent dressé, se trouvait à la fois guéri d'un poison terrible et délivré de la mort; ainsi maintenant celui qui se modèle sur la ressemblance de la mort de Jésus-Christ, en acceptant la foi et le baptême de ce divin Sauveur, se trouve aussi délivré tout ensemble, et du péché par la justification, et de la mort par la résurrection. C'est bien le sens de la.parole de Jésus: «Afin que celui qui croit en lui ne périsse pas, mais possède la vie éternelle». Mais aussi, en quoi un petit enfant aurait-il besoin d'être, par le baptême, modelé sur la ressemblance de la mort de Jésus-Christ, s'il n'est pas infecté lui-même par la morsure du serpent infernal?

CHAPITRE XXXIII. PERSONNE NE PEUT ÊTRE RÉCONCILIÉ AVEC DIEU QUE PAR JÉSUS-CHRIST.


62. Jésus continue immédiatement: «Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que celui qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle». Ainsi la tendre enfance même devait périr, sil par le sacrement de baptême, elle ne croyait au Fils unique de Dieu, qui,heureusement est venu ainsi, non pour juger le, monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. C'est un point sur lequel, il insiste en ajoutant les paroles suivantes. «Celui qui croit en lui n'est point jugé; mais celui qui n'y croit pas, est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu». Où plaçons-nous, en effet, les petits enfants une fois baptisés, sinon parmi les fidèles, comme l'Eglise nous le crie avec son autorité partout retentissante? Donc aussi les voilà parmi ceux qui ont cru: ce bonheur leur est acquis par la vertu du sacrement et par la caution de ceux qui les présentent. Mais aussi les enfants non baptisés se trouvent parmi ceux qui M'ont pas cru. De là encore, ceux qui ont reçu le baptême ne sont pas jugés; et les autres, qui en sont privés, subissent le jugement.

Jésus-Christ ajoute: «Et voici le sujet de ce jugement: c'est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière». «Cette lumière est venue dans le monde», qu'est-ce à dire dans la bouche du divin Maître? Ne désigne-t-il pas évidemment ici son propre avènement dans le temps? Et, si l'on suppose les petits enfants privés du sacrement que cet avènement nous a valu, comment peut-on dire que ces enfants soient dans la lumière? Comment ne pas réserver au jugement aussi ces hommes qui dans leur amour pour les ténèbres, et incrédules déjà pour leur propre compte, ne pensent pas non plus devoir apporter au baptême leurs petits enfants, alors même qu'ils craignent pour eux une mort imminente?

Le Seigneur affirme que «les oeuvres de celui qui vient à la lumière, sont faites en Dieu», parce qu'est effet l'homme ainsi illuminé comprend que sa justification n'appartient pas à ses mérites, mais à la grâce de Dieu. «Car c'est Dieu», dit l'Apôtre, «qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir (1)». - Et voilà de quelle manière se fait la régénération spirituelle de tous ceux qui viennent à Jésus-Christ en sortant de la génération charnelle. C'est Jésus même qui nous l'a révélé; c'est lui-même qui nous l'a développé, quand on lui demandait comment cela pouvait s'accomplir; il n'a point laissé dans ce grave sujet libre carrière aux raisonnements humains; gardons-nous donc de croire les petits enfants même étrangers à la grâce de la rémission des péchés. Pour passer du côté de Jésus il n'est point d'autre voie; pour être réconcilié avec Dieu et venir jusqu'à lui, il n'est point d'autre médiateur possible que Jésus-Christ même.

CHAPITRE XXXIV. FORME OU CÉRÉMONIES DU BAPTÊME. - EXORCISME. - DOUBLE ERREUR AU SUJET DES PETITS ENFANTS.


63. Que dirai-je de la cérémonie même du Sacrement? Je voudrais qu'un de ceux qui soutiennent l'opinion contraire vînt me présenter un enfant à baptiser. Que fait en ce


1. Ph 2,13

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petit être mon exorcisme, s'il n'est pas enchaîné dans la famille du démon? Oui, si vous me l'aviez apporté, vous auriez sans doute répondu à sa place, puisqu'il ne pouvait répondre pour lui-même; comment donc auriez-vous déclaré qu'il renonçait au démon, lequel n'avait aucun droit sur lui? ou qu'il se convertissait à Dieu, dont il n'était point éloigné? ou que, entre autres vérités, il croyait la rémission des péchés, lorsqu'elle ne devait en rien l'atteindre? Pour moi, si je vous croyais opposé à toutes ces saintes croyances, je ne vous permettrais pas même de vous présenter à nos sacrements avec ce petit enfant. Je ne sais vraiment avec quel front, en pareil cas, vous oseriez paraître devant les hommes, avec quelle intention vous viendriez devant Dieu; encore ne veux-je pas vous parler plus sévèrement. - Ou bien, faudrait-il plutôt accuser de fausseté et de scandale les cérémonies qui entourent le baptême des petits enfants, puisqu'elles auraient l'air de promettre à grand bruit et d'opérer même une rémission des péchés, qui néanmoins n'aurait lieu en aucune manière? Ce serait là, et quelques-uns de nos adversaires mêmes l'ont bien vu, ce serait là une façon de s'exprimer ou de penser tout à fait exécrable et détestable. Aussi bien, quand il s'agit du baptême des petits enfants, voulant que le sacrement leur soit nécessaire, ils accordent qu'eux-mêmes aussi ont besoin de rédemption; c'est l'aveu que fait un d'entre eux dans un écrit fort court, tout en évitant de s'expliquer plus ouvertement quant à la rémission des péchés. Cependant, et vous me l'avez appris par votre lettre, très-cher Marcellin, ils commencent à avouer, ce sont vos expressions, que même dans les enfants il s'opère une rémission des péchés. Cet aveu n'a rien qui surprenne, car on ne peut autrement entendre l'idée de leur rédemption. «Cependant, ce n'est pas dans leur origine», nous disent-ils; «c'est bien dans leur vie personnelle et après leur naissance, qu'ils commencent à avoir le péché».


64. Nous voilà bien loin, n'est-ce pas, de ceux qui ont fait l'objet de cet ouvrage et de nos raisonnements multipliés et déjà prolongés? Nous n'en sommes plus au livre composé sur ces matières par un de leurs écrivains, que j'ai réfuté de tout mon possible. Oui, je le répète, dans la question des petits enfants, il y a loin, et vous le voyez, de ces premiers adversaires qui soutiennent leur pureté parfaite et leur exemption de tout péché originel ou personnel, à ces autres contradicteurs qui les regardent comme ayant contracté, après leur naissance même, des péchés personnels dont il est nécessaire, pensent-ils, de les purifier par le baptême. Ceux-ci, en effet, appréciant en ce sujet et les saintes Ecritures, et l'autorité de l'Église tout entière, et la forme du sacrement, ont bien vu que le baptême opère la rémission des péchés, même dans les petits enfants; mais reconnaître dans le péché, quel qu'il soit, dont cet âge si tendre est coupable, une faute originelle, c'est ce qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas faire. - De leur côté; les partisans de la première opinion, d'après la seule considération de la nature humaine, que tous les hommes sont à même d'étudier, ont bien vu, et c'était facile, que cet âge naissant n'avait pu encore contracter de péchés dans sa vie propre et personnelle; mais pour ne pas avouer cependant le péché d'origine, ils affirment que les petits enfants n'ont absolument aucun péché. Aux deux partis, que dirons-nous? Mettez-vous d'accord sur les deux points où chacun séparément vous êtes dans le vrai, et logiquement vous cesserez d'être en désaccord avec nous, Vous, accordez à l'autre opinion que les petits enfants reçoivent au baptême la rémission des péchés; et que la partie adverse vous accorde de son côté ce fait qui est le cri de la nature, je veux dire que les petits enfants n'ont contracté aucun péché dans leur vie personnelle. Dès lors, nécessairement, de pari et d'autre vous nous accorderez qu'il ne reste qu'une faute à effacer dans les petits enfants, et c'est le péché originel.

CHAPITRE XXXV. LES PETITS ENFANTS N'ONT POINT DE PÉCHÉS ATTRIBUABLES A LEUR VIE PROPRE.


65. Mais ne va-t-on pas ici nous poser une question, et ne faudra-t-il pas dépenser notre temps à là discuter? Est-il nécessaire de prouver et de démontrer que la volonté propre, sans laquelle la vie personnelle ne peut être souillée par le péché, se trouve n'avoir commis aucun mal chez les petits enfants, que tout le monde pour cette raison appelle des innocents? Telle est, n'est-il pas (515) vrai, telle est chez eux l'infirmité du corps et de l'âme; telle leur ignorance des choses et leur incapacité absolue de comprendre aucun précepte; la loi naturelle et la loi écrite sont également si impuissantes à produire en eux aucune impression ou détermination; il est si impossible à la raison de les faire pencher pour ou contre le devoir, que leur innocence se trouve proclamée et démontrée, par notre silence même, d'une façon plus convaincante encore que par tous nos discours. Accordons à l'évidence au moins quelque droit de se faire accepter par elle-même; car je ne trouve jamais moins à dire que quand le sujet dont on parle est plus clair que tout ce qu'on en peut dire.


66. Volontiers, toutefois, j'apprendrais d'un partisan de l'opinion contraire quel péché il a vu ou cru voir dans un enfant nouveau-né. Puisqu'il avoue que le baptême est nécessaire pour racheter cette petite créature, quel péché a-t-elle commis dans sa vie personnelle par son corps ou par son âme? Seraient-ce peut-être ses pleurs et les ennuis qu'il cause à ses aînés? Il serait étrange d'imputer ces faits à sa malice, et non pas plutôt à sa misère. Serait-il coupable encore, parce qu'aucun raisonnement, aucune défense ne peuvent arrêter ses vagissements? Mais n'accusez ici que cette ignorance où l'enfance est si profondément ensevelie, que dans quelques jours, devenu plus fort, il frappera dans sa colère sa mère même, et souvent portera ses coups jusque sur le sein où il puise la vie à l'heure de ses besoins. Et ces furies du premier âge, non-seulement on les supporte, mais on les aime.

Or, à quel sentiment obéit-on dans ce cas, sinon à cette passion charnelle qui porte la nature à s'amuser de tout ce qui est risible ou plaisant, au point que des hommes capables et habiles y donnent aussi leur absurde suffrage? Car tel nous fait rire, que nous appellerions, non pas un plaisant, mais un fou, si son langage exprimait ses vrais sentiments. Et toutefois nous voyons ces pauvres aliénés, que le peuple nomme des morions, être employés pour amuser les sages; et quand il s'agit du prix vénal des esclaves, les têtes saines se paient moins cher que ces misérables, tant est puissante, jusque dans les hommes mêmes non atteints de démence, cette passion charnelle qui s'amuse du malheur d'autrui!

Oui, la folie chez autrui plaît naturellement aux hommes, bien qu'eux-mêmes n'auraient jamais voulu passer par cet état. Ainsi un père est heureux d'attendre et de provoquer même certaines sottises en son petit enfant qui déjà babille; et pourtant, s'il prévoyait que cette habitude dût lui rester quand il aura grandi, sans aucun doute il voudrait le pleurer plus tristement que s'il était mort. Mais il y a un secret espoir de progrès; mais on pense bien qu'avec l'âge croissant croîtra aussi l'intelligence; par suite, les injures que les petits enfants profèrent même contre leurs parents, loin de blesser, plaisent et amusent. Et cependant, jamais homme sage n'approuvera que, pouvant empêcher des paroles ou des actions de ce genre, on n'ait pas soin de les interdire, et surtout que le plaisir de s'en amuser ou la vanité de leurs mères aillent jusqu'à les provoquer. En effet, l'enfant de cet âge connaît déjà son père et sa mère, et n'ose les injurier à moins que l'un des deux ou l'un et l'autre ne l'aient permis ou commandé.

Voilà toutefois des faits possibles aux seuls petits enfants qui déjà s'échappent à prononcer quelques mots, et chez qui la langue peut déjà d'une façon quelconque exprimer les émotions de l'âme. Apprécions plutôt l'ignorance si absolument profonde des nouveaux-nés; car c'est de ce point qu'ils sont arrivés progressivement à cette première folie de babil qui ne doit pas durer, et qui chez eux semble l'aspiration aux premières connaissances et au langage.


- CHAPITRE 28. LE SAINT DOCTEUR CONCLUT QUE TOUS ONT BESOIN DE LA MORT DE JÉSUS-CHRIST, POUR ÊTRE SAUVÉS. LES PETITS ENFANTS NON BAPTISÉS SERONT DANS LA DAMNATION AVEC LES DÉMONS. COMMENT TOUS LES HOMMES VONT A LA DAMNATION PAR ADAM, ET A LA JUSTIFICAT