Augustin sur la montagne 2071

CHAPITRE XXI. DU PRÉCEPTE DE LA PRIÈRE.

2071 Mt 7,7-8
71. A propos de cette défense de donner les choses saintes aux chiens et de jeter des perles devant les pourceaux, un auditeur ayant la conscience de son infirmité, et s'entendant défendre de donner ce qu'il n'a pas encore, aurait pu se présenter et dire: quelles sont donc ces choses saintes que je ne dois pas donner aux chiens, ces perles que vous me défendez de jeter aux pourceaux? Je ne m'aperçois encore pas que je les aie: c'est donc très à propos que le Seigneur ajoute: «Demandez et il vous sera donné; cherchez et vous trouverez; frappez et il vous sera ouvert.» Car quiconque demande reçoit; et qui cherche trouve; et à qui frappe il sera ouvert. Demander a pour objet d'obtenir la santé et la force de l'âme, afin de pouvoir accomplir les commandements: cherchera pour but de découvrir la vérité. En effet le bonheur parfait consistant dans l'action et la connaissance, l'action exige la libre disposition des forces, et la contemplation, la manifestation des choses; il faut donc demander l'un pour l'obtenir, et chercher l'autre pour le trouver. Or la connaissance en cette vie, est moins celle du bien à posséder que celle de la voie à suivre; mais quand on aura trouvé la véritable voie, on parviendra à la possession du bien qui cependant ne s'accordera qu'à celui qui frappe.

2072 72. Pour rendre sensibles ces trois choses demander, chercher, frapper, donnons un exemple. Supposons un homme infirme des pieds, et ne pouvant marcher; il faut d'abord le guérir et le consolider pour qu'il marche: c'est l'objet de ce mot: «demandez.» Mais à quoi sert de marcher et même de courir, si l'on s'égare dans une fausse route? Le second point est donc de trouver le chemin qui mène au but où l'on veut parvenir. Quand on l'a trouvé, et qu'on arrive au domicile qu'on veut habiter, si celui-ci est fermé, il ne servira à rien d'avoir pu marcher, 312 d'avoir marché et d'être arrivé, si on n'ouvre pas. Voilà pourquoi le Seigneur dit: «Frappez (1).»

1 Rét. l. 1,ch. 19,n. 9.

2073 73. Or celui dont les promesses ne mentent jamais, nous a donné et nous donne une grande espérance, car il dit: «Quiconque demande reçoit; et qui cherche trouve; et à qui frappe il sera ouvert.» Il faut donc de la persévérance pour obtenir ce que nous demandons, trouver ce que nous cherchons et nous raire ouvrir quand nous frappons. Comme le Seigneur a cité l'exemple des oiseaux du ciel et du lis des champs, pour nous donner espoir que la nourriture et le vêtement ne nous manqueraient pas, élevant ainsi notre pensée du petit au grand; de même agit-il ici: «Quel est, dit-il, l'homme d'entre vous, qui, si son fils lui demande du pain, lui présentera une pierre? Ou si c'est un poisson qu'il lui demande, lui présentera-t-il un serpent? Si donc vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants: combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent?» Comment les méchants donnent-ils de bonnes choses? Mais le Seigneur appelle ici méchants les amateurs de ce monde et les pécheurs. Quant aux bonnes choses qu'ils donnent, elles ne sont bonnes qu'à leur sens, parce qu'ils les estiment telles. Du reste elles sont bonnes aussi de leur nature, mais passagères et relatives à cette misérable vie; et tout méchant qui les donne, ne les donne pas de son fond car la terre et tout ce qu'elle renferme appartient au Seigneur (2), qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent (3). Combien donc nous devons espérer que Dieu nous accordera les biens que nous lui demandons et ne nous trompera pas, en nous donnant une chose pour une autre, puisque nous, qui sommes mauvais, nous savons donner ce qu'on nous demande; car nous ne trompons pas nos enfants, et toutes les bonnes choses que nous leurs donnons, ne viennent pas de nous, mais de Dieu.

- 2
Ps 23,1. - 3 Ps 145,6.

CHAPITRE XXII. FAIRE A AUTRUI CE QU'ON DÉSIRE POUR SOI.

2074 Mt 7,12
74. Or la fermeté et la force nécessaire pour marcher dans la voie de la sagesse se trouve dans les bonnes moeurs: et celles-ci vont jusqu'à la pureté et à la simplicité dont le Seigneur a si longtemps parlé; après quoi il tire cette conclusion: «Ainsi tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent de bien, faites-le-leur aussi: car c'est la loi et les prophètes.» On lit dans les exemplaires grecs: «Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi,» Je pense que les latins ont ajouté de bien,» pour mieux expliquer la pensée. En effet, le cas peut se présenter que quelqu'un, s'autorisant de ce texte, demande qu'on fasse pour lui une chose criminelle, comme par exemple de le provoquer à boire outre mesure et à se plonger dans l'ivresse, et qu'il fasse le premier ce qu'il désire d'un autre; il serait ridicule alors de s'imaginer qu'il a rempli ce précepte. C'est, je pense, pour éviter cette fausse interprétation, et pour mieux préciser le sens, qu'après ces mots: «Ainsi tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent,» on a ajouté «de bien.» Si ce mot manque dans les exemplaires grecs, il faut les corriger: mais qui l'oserait? Il faut donc admettre que la pensée est complète même sans cette addition. Car c'est dans le sens propre, et non d'après la signification ordinaire qu'il faut entendre ces expressions: «tout ce que vous voulez.» En effet il n'y a proprement de volonté que pour le bien; car pour les actions mauvaises et criminelles, c'est de la passion et non de la volonté. Non que les Ecritures emploient toujours le mot dans son sens propre; mais, quand il faut, elles y tiennent tellement qu'il n'est pas possible d'en donner un autre.

2075 75. Or ce commandement paraît se rattacher à l'amour du prochain, mais non également à l'amour de Dieu: le Seigneur nous disant ailleurs qu'il ya deux commandements auxquels se rattachent toute la loi et les prophètes.» En effet si l'on eût dit: tout ce que vous voulez qu'on vous fasse, faites-le vous-mêmes, les deux commandements se fussent trouvés renfermés en une seule formule, puisqu'on se serait empressé de dire que chacun désirant être aimé de Dieu et des hommes, et l'ordre étant donné de faire ce qu'on désire se voir fait à soi-même, on est obligé d'aimer Dieu et le prochain. Mais comme le Seigneur dit expressément: «Ainsi tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi,» il semble que cela signifie simplement: «Vous aimerez votre prochain comme vous-même.» Toutefois il faut bien remarquer ce que le Christ (313) ajoute ici: «Car c'est la loi et les prophètes;» tandis qu'en parlant des deux commandements il n'a pas dit simplement: à eux se rattachent la loi et les prophètes, mais: «Toute la loi et les prophètes (1),» c'est-à-dire toutes les prophéties. Et comme il n'emploie pas ici cette expression, «toute,» il réserve évidemment la place de l'autre commandement, du commandement de l'amour de Dieu. Pour le moment il s'agit de ce qui regarde ceux qui ont le coeur simple; et comme il est à craindre que l'on n'ait un coeur double à l'égard de ceux à qui le coeur peut être caché, c'est-à-dire à l'égard des hom mes, voilà pourquoi il a fallu donner ce commandement. Car il n'est à peu près personne qui veuille avoir à faire à un coeur double. Or il ne peut se faire qu'un homme accorde quelque chose à un homme avec un coeur simple, s'il n'exclut pas toute vue de profit temporel et n'agit pas avec cette intention désintéressée que nous avons assez longtemps expliquée plus haut, quand nous parlions de l'oeil simple.

1
Mt 22,37-40.

2076 76. L'oeil purifié et rendu simple sera donc capable de voir et de contempler sa lumière intérieure. Car c'est l'oeil du coeur. Or celui-là a cet oeil, qui pour rendre ses actions vraiment bonnes, ne se propose point pour but de plaire aux hommes, mais, dans le cas où il lui arrive de plaire, y cherche le salut de ses frères et la gloire de Dieu, et non une vaine jactance; qui ne travaille pas au salut du prochain dans l'intention de se procurer les choses nécessaires à la vie; qui ne condamne pas témérairement l'intention et la volonté dans un acte où l'intention et la volonté ne sont pas manifestes; qui rend à l'homme tous les services possibles dans l'intention où il voudrait qu'on les lui rendît, c'est-à-dire sans en attendre aucun profit temporel. Voilà le coeur simple et pur qui cherche Dieu: «Bienheureux donc ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu.»

CHAPITRE XXIII. LA PORTE ÉTROITE ET LA PORTE LARGE.

2077 Mt 7,13-14
77. Mais, comme c'est là le partage d'un petit nombre, le Seigneur commence à parler de la recherche et de la possession de la sagesse, qui es l'arbre de vie. Or, pour la rechercher et la posséder, c'est-à-dire la contempler, l'oeil a été préparé par tout ce qui a été dit plus haut, de manière à connaître la voie resserrée et la porte étroite. Et c'est ce que dit ensuite le Seigneur Entrez par la porte étroite; parce que large est la porte et spacieuse la voie qui conduit à la perdition, et nombreux,sont ceux qui entrent par elle. Combien est étroite la porte et resserrée la voie qui conduit à la vie et qu'il en est peu qui la trouvent!» Il ne dit pas pour cela que le joug du Seigneur soit dur ni son fardeau pesant; mais seulement que bien peu veulent supporter le fardeau jusqu'au bout, faute d'une foi suffisante en celui qui crie: «Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur: car mon joug est doux et mon fardeau léger (1).» C'est précisément par là que ce sermon a commencé, en parlant de ceux qui sont humbles et doux. Mais beaucoup rejettent, bien peu acceptent ce joug si doux, ce fardeau si léger; et voilà pourquoi resserrée est la voie qui conduit à la vie, et étroite est la porte par laquelle on y entre.

1 Mt 11,28-30.

CHAPITRE XXIV. PRENDRE GARDE AUX FAUX PROPHÈTES.

2078 Mt 7,15-20
78. Il faut donc surtout se tenir en garde contre ceux qui promettent la sagesse et la connaissance de la vérité qu'ils n'ont pas, comme les hérétiques, par exemple, qui le plus souvent essaient de se recommander par leur petit nombre. Aussi, après avoir dit que bien peu trouvent la porte étroite et la voie resserrée; de peur que ces sectaires ne s'imaginent être ce petit nombre, le Christ ajoute: «Gardez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous sous des vêtements de brebis, tandis qu'au dedans ce sont des loups ravisseurs.» Mais ces loups ne trompent pas l'oeil simple, qui sait distinguer l'arbre à ses fruits: car, dit le Seigneur, «Vous les connaîtrez à leurs fruits.» Puis il ajoute des comparaisons: «Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des ronces? Ainsi tout arbre bon produit des fruits bons; mais tout mauvais arbre produit de mauvais fruits. «Un arbre bon ne peut produire de mauvais fruits, ni un arbre mauvais produire de bons fruits. Or tout arbre qui ne produit pas de bon (314) fruit sera coupé et jeté au feu. Vous les connaîtrez donc à leurs fruits.»

2079 79. A ce propos il faut surtout se défier de l'erreur de ceux qui entendent, par ces deux arbres, deux natures: la nature de Dieu, et une autre qui n'est pas celle de Dieu et ne provient pas de Dieu. J'ai déjà longuement discuté cette erreur dans d'autres livres, et, s'il le faut, je la discuterai encore; il s'agit maintenant de faire voir qu'elle ne peut s'appuyer sur la comparaison des deux arbres. D'abord le Christ parle ici des hommes, et cela est tellement clair qu'en lisant ce qui précède et ce qui suit, on ne peut que s'étonner de l'aveuglement de ces hérétiques. Ensuite, ils insistent sur ces mots: «Un arbre bon ne peut produire de mauvais fruits, ni un arbre mauvais produire de bons fruits,» et ils s'imaginent qu'une âme mauvaise ne peut pas s'améliorer, ni une âme bonne se détériorer; comme si on avait dit: Un arbre bon ne peut pas devenir mauvais, ni un arbre mauvais devenir bon; tandis que le texte porte: «Un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits, ni un arbre mauvais produire de bons fruits.» Or l'arbre c'est l'âme même, l'homme même; et le fruit de l'arbre, les oeuvres de l'homme; un homme mauvais ne peut donc faire le bien, ni l'homme bon, le mal. Par conséquent si l'homme mauvais veut faire le bien, il faut d'abord qu'il devienne bon. C'est ce que le Seigneur exprime ailleurs plus clairement: «Ou rendez l'arbre bon, ou rendez l'arbre mauvais,» Or, si les deux arbres eussent signifié les deux natures dont parlent ces hérétiques, le Christ ne dirait pas: Rendez; car qui d'entre les hommes peut faire une nature? Ensuite, là encore, après avoir parlé des deux arbres, le Seigneur ajoute: «Hypocrites, comment pouvez-vous dire de bonnes choses, puisque vous êtes mauvais (Mt 12,33-34)?» Donc tant qu'on est mauvais on ne peut produire de bons fruits, et si on produit de bons fruits, c'est qu'on n'est plus mauvais. C'est ainsi qu'on peut dire avec une exacte vérité: la neige ne saurait être chaude; car, dès qu'elle est chaude, nous ne l'appelons plus neige mais eau. Il peut donc se faire que ce qui était neige ne le soit plus, mais non qu'il y ait de la neige chaude. Ainsi il peut arriver que celui était mauvais cesse de l'être, et néanmoins il est impossible qu'un homme mauvais fasse le bien, quoiqu'il puisse parfois être utile: mais alors ce n'est pas lui qui fait le bien; le bien se fait à son occasion, par l'action de la divine Providence. C'est ainsi qu'il a été dit des pharisiens: «Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font.» S'ils disaient de bonnes choses, et si ce qu'ils disaient était utile à entendre et à pratiquer, ce n'était point leur oeuvre. Car, dit le Seigneur, «ils sont assis sur la chaire de Moïse (1).» Ils pouvaient donc, grâce à la divine Providence, être utiles en prêchant la Loi de Dieu et faire du bien à leurs auditeurs sans s'en faire à eux-mêmes. C'est des hommes de ce genre qu'un prophète a dit ailleurs: «Vous avez semé du froment et vous recueillerez des épines (2);» parce qu'ils enseignaient le bien et faisaient le mal. Ceux qui les écoutaient et mettaient leurs maximes en pratique ne cueillaient donc pas des raisins sur des épines, mais cueillaient des raisins sur la vigne à travers les épines; comme si quelqu'un, passant la main par une haie, cueillait un raisin sur le cep que la haie entoure. Ce serait bien le fruit, non des épines, mais de la vigne.

1 Mt 23,2-3. - 2 Jr 12,13.

2080 80. On a certainement très-grande raison de demander à quels fruits le Seigneur veut que nous fassions attention pour connaître l'arbre. Car beaucoup estiment comme fruits, ce qui fait partie des vêtements des brebis, et, par là, sont trompés par les loups: tels sont le: jeûnes par exemple, les prières où les aumônes: toutes oeuvres qui peuvent être faites par des hypocrites, autrement on n'aurait pas dit plus haut: «Prenez garde à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d'eux.» Ce principe une fois passé, le Sauveur détaille ces trois espèces de bonnes oeuvres: l'aumône, la prière, le jeûne. Beaucoup donnent abondamment aux pauvres, non par pitié mais par ambition; beaucoup prient, ou plutôt paraissent prier, sans avoir Dieu en vue, mais dans le désir de plaire aux hommes; beaucoup jeûnent, et font parade d'une abstinence prodigieuse aux yeux de ceux qui regardent cette vertu comme difficile et honorable; et par ces ruses il se séduisent, trompant, d'une part, par des fausses apparences, et de l'autre, pillant et tuant ceux qui ne savent pas voir les loups sous ces peaux de brebis. Le Seigneur nous avertit donc que ce ne sont pas là des fruits auxquels on puisse juger un arbre. En effet, quand tout cela procède d'un coeur droit et sincère, ce sont là des véritables 315 vêtements de brebis; mais quand une erreur coupable en est la source, cela ne couvre pas autre chose que des loups. Cependant les brebis ne doivent pas répudier leurs vêtements, parce que le plus souvent les loups s'en servent pour se cacher.

2081 81. C'est donc l'Apôtre qui nous dira à quels fruits nous reconnaîtrons l'arbre mauvais: «On connaît aisément les oeuvres de la chair, qui sont: les fornications, les impuretés, la luxure, le culte des idoles, les empoisonnements, les inimitiés, les contestations, les jalousies, les colères, les dissensions, les hérésies, les sectes, les envies, les ivrogneries, les débauches de table, et «autres choses semblables; je vous le dis, comme je vous l'ai déjà dit: ceux qui font de telles choses n'obtiendront point le royaume de Dieu.» Le même Apôtre nous dit ensuite à quels fruits nous connaîtrons qu'un arbre est bon: «Au contraire les fruits de l'Esprit sont: la charité, la joie, la paix, la longanimité, la bienveillance, la bonté, la foi, la mansuétude, la continence (1).» Il faut savoir que le mot joie est pris ici dans son sens propre; car à la rigueur les méchants ne peuvent goûter la joie, mais seulement s'étourdir; comme nous avons dit plus haut que le mot volonté a aussi son sens propre qui ne saurait s'appliquer aux méchants dans la pensée de ce texte: «Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur aussi.» Le prophète donne encore la même signification au mot joie, et suppose qu'elle n'existe que chez les bons, quand il dit: «Il n'y a pas de joie pour les impies, dit le Seigneur (2).» Il en est de même de la foi, qui strictement ne s'entend pas d'une foi quelconque, mais de la véritable foi. Tout cela ne peut avoir son simulacre chez les hommes méchants et imposteurs, au point de tromper celui qui n'a pas encore l'oeil simple pour tout démêler. Il était donc tout à fait dans l'ordre de parler d'abord de la nécessité de purifier l'oeil, et de dire ensuite contre quoi il faut se tenir en garde.

1
Ga 5,19-23. - 2 Is 57,91 selon les Sept.

CHAPITRE XXV. NÉCESSITÉ DE PRATIQUER.

2082 Mt 7,21-29
82. Mais comme, même avec un oeil pur, c'est-à-dire avec un coeur simple et sincère, on ne peut lire dans le coeur d'un autre, ce sont les tentations qui mettent au jour ce que les actes ou les paroles laissent ignorer. Or il y a deux espèces de tentations: ou l'espoir d'acquérir quelque avantage temporel, ou la crainte de le perdre. Il faut bien prendre garde, tout en cherchant la sagesse qui ne se trouve que dans le Christ en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (Col 2,3), il faut bien prendre garde à ne pas nous laisser tromper, sous le nom du Christ, par des hérétiques ou par des gens peu éclairés et partisans de ce siècle. Voilà pourquoi le Seigneur continue et nous dit: «Ce ne sont pas tous ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux; mais celui qui fait la volonté de mon Père, celui-là entrera dans le royaume des cieux.» Par là nous sommes avertis de ne pas nous imaginer qu'il suffise de dire: «Seigneur, Seigneur,» pour être un arbre bon et porter de bons fruits. Les bons fruits consistent à faire la volonté du Père qui est dans les cieux, selon l'exemple que le Seigneur lui-même nous en a donné dans sa personne.

2083 83. On pourrait être embarrassé d'arranger ce passage avec cet autre de l'Apôtre: «Personne parlant dans l'Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus; et personne ne peut dire Seigneur Jésus, que par l'Esprit-Saint (2).» En effet, d'une part, nous ne pouvons dire que des hommes ayant l'Esprit-Saint n'entreront pas dans le royaume des cieux, s'ils persévèrent jusqu'à la fin; et, de l'autre, nous ne pouvons affirmer que ceux qui disent Seigneur, Seigneur,» et n'entrent pas dans le royaume des cieux, ont l'Esprit-Saint. Que signifient donc ces paroles: «dire Seigneur Jésus», sinon que, sous ce mot dire, l'Apôtre sous-entend la volonté et l'intelligence de celui qui parle? De son côté le Seigneur a dit cri général: «Ce ne sont pas tous ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux.» Car celui qui ne veut pas ou ne comprend pas ce qu'il dit, a cependant l'air de dire; mais celui-là seul dit réellement qui exprime sa volonté et sa pensée par le son de sa voix. C'est ainsi que, plus haut, dans l'énumération des fruits du Saint-Esprit, le mot joie, est pris dans son sens propre, et non dans celui où l'Apôtre l'emploie quand il dit: «Elle (la charité) ne se réjouit point de l'iniquité (3).» Comme si on pouvait se réjouir de l'iniquité! comme si ce

- 2
1Co 12,8. - 3 1Co 13,6.

316

n'était pas là une agitation, un trouble de l'âme, et non la joie, que les bons seuls peuvent goûter! Donc on peut avoir l'air de dire, quand on se contente de parler, sans comprendre et sans pratiquer ce qu'on exprime; et c'est en ce sens que le Seigneur dit: «Ce ne sont pas tous ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux.» Mais ceux-là parlent véritablement et proprement chez qui la volonté et l'intelligence sont d'accord avec la parole, et c'est à ce point de vue que l'Apôtre a dit: «Personne ne peut dire Seigneur Jésus que par l'Esprit-Saint.»

2084 84. Un point très-important et relatif à ce sujet, c'est donc qu'en cherchant à connaître la vérité, nous ne nous laissions point tromper, non-seulement par ceux qui se couvrent du nom du Christ sans que leur conduite y réponde, mais encore par certains faits et par certains prodiges, comme le Seigneur en a fait en vue des infidèles, tout en nous avertissant de ne pas nous y laisser prendre et de ne pas toujours supposer une sagesse invisible là où nous voyons un miracle visible. C'est pourquoi il ajoute: «Beaucoup me diront en ce jour-là: Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, en votre nom que nous avons chassé les démons, et en votre nom que nous avons fait beaucoup de miracles? Et alors je leur dirai: Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité.» Le Seigneur ne reconnaîtra donc que celui qui pratique la justice. Car il a défendu même à ses disciples de se réjouir de telles choses, par exemple, de ce que les démons leur obéissaient. «Mais, leur dit-il, réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux (1),» c'est-à-dire, je pense, dans cette cité de la Jérusalem céleste, où régneront seulement les justes et les saints. «Ne savez-vous pas, dit l'Apôtre, que les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu (2)?»

1
Lc 10,20. - 2 1Co 6,9.

2085 85. Mais peut-être quelqu'un dira-t-il que les injustes ne peuvent faire ces miracles visibles, et regardera-t-il commodes menteurs ceux qui diront: «C'est en votre nom que nous avons prophétisé, et chassé les démons et fait beaucoup de miracles.» Qu'il lise alors tout ce qu'ont fait les magiciens d'Égypte par opposition à Moïse, le serviteur de Dieu (3); ou s'il ne le veut pas, par la raison que ces magiciens n'agissaient pas au nom

- 3
Ex 7,8.

du Christ, qu'il lise au moins ce que le Christ lui-même a dit, en parlant des faux prophètes: «Alors si quelqu'un vous dit: Voici le Christ, ici ou là, ne le croyez pas. Car il s'élèvera de faux «Christs et de faux prophètes; ils feront de grands signes et des prodiges, jusqu'à induire en erreur, s'il peut se faire, même les élus (1).»

2086 86. Combien donc un oeil pur et simple est nécessaire pour trouver la voie de la sagesse, autour de laquelle les hommes pervers déploient tant d'artifices et d'erreurs! Échapper, à toutes leurs embûches, c'est parvenir à la paix assurée, à l'immuable et solide sagesse. Car il est extrêmement à craindre de ne pas voir, dans la chaleur de la discussion et de la dispute, ce qu'il n'est donné qu'à un petit nombre de voir; vu que le bruit de la contradiction est peu de chose, quand on n'en fait pas soi-même. C'est à cela que se rattachent ces paroles de l'Apôtre: «Il ne faut pas qu'un serviteur de Dieu dispute, mais qu'il soit doux envers tous, docile, capable d'enseigner, parlent, reprenant modestement ceux qui sont d'une opinion opposée; dans l'espérance que Dieu leur donnera un jour l'esprit de pénitence pour connaître la vérité (2).» Donc: «Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu (3).»

1
Mt 24,23-26. - 2 2Tm 2,24. - 3 Mt 5,9.

2087 87. Il faut par conséquent bien faire attention à la terrible conclusion de tout ce discours. «Ainsi quiconque entend ces paroles que je dis et les accomplit, sera comparé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre.» En effet ce n'est qu'en agissant qu'on donne de la solidité à ce qu'on entend ou à ce qu'on comprend. Et si le Christ est la pierre, comme l'enseignent plusieurs endroits des Écritures(4), celui-là bâti t sur le Christ, qui met ses leçons en pratique. «La pluie est descendue, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur la pierre.» Celui-là ne craint donc pas les superstitions ténébreuses, car la pluie n'a pas d'autre signification, quand on la prend en mauvais sens; ni les vaines rumeurs des hommes, que l'on compare aux vents, je pense; ni le torrent de celle vie, l'entraînement des concupiscences charnelles qui inonde, pour ainsi dire, la terre. En effet, voilà les trois genres d'adversité qui abattent l'homme que la prospérité séduit, mais on n'a rien à en craindre quand on a une maison, fondée sur la pierre, c'est-à-dire,

- 4
1Co 10,4.

317

quand on ne se contente pas d'entendre les ordres du Seigneur, mais qu'on les accomplit. Celui au contraire qui les entend et ne les accomplit pas, est grandement exposé à tous ces périls: car il n'a pas de fondement solide; en entendant et en n'accomplissant pas, il élève un édifice ruineux. Le Christ ajoute donc: «Et quiconque entend ces paroles que je dis et ne les accomplit point, sera semblable à un homme insensé qui bâtit sur le sable; la pluie est descendue, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison, et elle s'est écroulée et sa ruine a été grande.
«Or il arriva que lorsque Jésus eut achevé ces discours le peuple était dans l'admiration de sa doctrine; car il les instruisait comme ayant autorité et non comme leurs scribes et leurs pharisiens.» J'ai indiqué plus haut que tout avait été prédit, par le Psalmiste, quand il disait: «J'agirai en mettant, ma confiance en lui; les paroles du Seigneur sont des paroles pures, de l'argent éprouvé par le feu, dégagé de la terre, purifié jusqu'à sept fois (1).» C'est ce nombre sept qui m'a fait rattacher ces préceptes aux sept sentences que le Seigneur a exprimées au commencement de ce discours, et aux sept opérations du Saint-Esprit mentionnées par le prophète Isaïe (2). Mais soit qu'on adopte cette division, soit qu'on en préfère une autre, il faut accomplir ce que nous avons appris du Seigneur, si nous voulons bâtir sur la pierre.

1 Ps 11,6-7. - 2 Is 11,2-3.

Traduction de M. l'abbé DEVOILLE.





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