Augustin, les Psaumes 10

CONTINUATION DU PSAUME 9, INSCRITE DANS L'HÉBREU SOUS LE NUMÉRO X.

10 Ps 10

1020 20. Comme l'Antéchrist ou l'homme de péché s'élèvera, croit-on, jusqu'à un tel degré de vaine gloire, déploiera un tel pouvoir sua tous les hommes et sur les élus de Dieu, que plusieurs auront la faiblesse de croire que Dieu ne s'intéresse plus aux hommes; le Prophète, après un Diapsalma, exprime en quelque sorte les gémissements et les plaintes que soulève le retard du jugement. «Pourquoi dit-il, pourquoi, Seigneur, tant vous éloigner (Ps 9,1)?» Et aussitôt l'interrogateur, comme s'il avait une illumination soudaine, ou comme s'il n'eût demandé ce qu'il savait bien que pour nous l'apprendre, ajoute: «Vous vous dérobez dans le temps propice, dans la tribulation»; c'est-à-dire, vous vous dérobes à propos, et vous suscitez la tribulation pour attiser dans les coeurs le désir de votre avènement; plus est longue la soif qui les dévore, et plus agréable sera la source de vie. Aussi le Prophète a-t-il pénétré la cause de ces retardements, quand il dit: « L'orgueil du méchant est un stimulant pour le pauvre». C'est chose incroyable et vraie néanmoins, que la vue des pécheurs embrase les petits d'une vive ardeur, de sainte espérance qui les porte à une vie meilleure. La même raison mystérieuse  a fait permettre à Dieu qu'il y eût des hérésies. Tel n'est pas sans doute le dessein des hérétiques, mais la sagesse de Dieu sait tirer avantage de leur perversité, elle qui crée et qui règle la lumière, qui règle seulement les ténèbres (Gn 1,3-4), afin qu'en les comparant à la lumière, on trouve celle-ci plus gracieuse, (168) comme en face de l'hérésie on se trouve plus heureux de rencontrer la vérité. Cette comparaison fait découvrir dans le monde les hommes d'une vertu éprouvée, que Dieu seul connaissait.

1021 21. «Ils se prennent dans les pensées qu'ils enfantent»; c'est-à-dire que leurs pensées perverses deviennent des liens qui les enchaînent. Mais pourquoi des liens? « Parce que le pécheur est loué dans les desseins de son âme (Ps 9,3)». Les paroles de la flatterie garrottent l'âme dans ses péchés; car on se plaît à faire ce qui, non seulement ne laisse à craindre aucun blâme, mais attire les applaudissements. «Et parce que l'on applaudit à celui qui fait le mal; les coupables sont enlacés dans les pensées qu'ils enfantent».

1022 22. «L'impie a irrité le Seigneur». Ne félicitons point l'homme qui prospère en cette vie, dont les fautes demeurent sans vengeance, et rencontrent l'applaudissement. C'est là le plus grand effet de la colère divine. Il faut qu'un pécheur ait bien irrité Dieu, pour être ainsi traité, pour ne point ressentir le châtiment qui corrige. «Il a donc irrité le Seigneur, qui, dans sa grande colère, ne le recherchera point (Ps 4)». La colère de Dieu est à son comble quand il ne recherche plus nos péchés, qu'il paraît les oublier, n'y faire aucune attention, et qu'il permet que l'impie arrive à la richesse et aux honneurs, par la fraude et les forfaits c'est ce que nous verrons surtout dans l'antéchrist, que les hommes croiront heureux jusqu'à le prendre pour un Dieu. Mais la suite du psaume va nous montrer combien cette colère de Dieu est redoutable.

1023 23. «Dieu n'est point en sa présence ses voies sont toujours souillées (Ps 5)». Celui qui a goûté les vrais plaisirs et les joies de l'âme, comprend combien il est malheureux d'être privé de la lumière de la vérité. Si la privation des yeux du corps, qui nous dérobe cette lumière du jour, est regardée comme une grande calamité parmi les hommes, quel ne sera point le malheur d'un homme qui prospère dans ses péchés, jusqu'à n'avoir plus Dieu en sa présence, et ne marche que dans des voies souillées, c'est-à-dire que ses pensées et ses desseins sont criminels? «Vos jugements ne sont plus rien à ses yeux». L'âme qui a conscience de sa culpabilité, et qui ne se voit point châtiée, s'imagine que Dieu ne la juge point; et ainsi les jugements du Seigneur ne sont plus devant ses yeux, ce qui est pour elle une terrible damnation. «Il se rendra maître de ses ennemis (Ps 9,5)». Car on croit qu'il vaincra tous les rois, et régnera seul sur la terre; et même saint Paul qui nous l'annonce, va jusqu'à dire: «Il s'assoira dans le temple de Dieu, et s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, et adoré (2Th 2,4)».

1024 24. Et comme il est livré aux convoitises de son coeur, et destiné aux dernières vengeances, voilà que par de criminels artifices il va s'élever au comble de cette gloire vaine et futile, et à la domination. De là vient que le Prophète ajoute: « Il a dit dans son coeur: A moins de faire le mal, je ne passerai point de race en race (Ps 9,6)», c'est-à-dire, mon nom et ma gloire ne s'en iront pas d'âge en âge à la postérité, si la ruse du mal ne me fait acquérir une telle domination que les siècles futurs ne puissent en garder le silence. Car l'esprit pervers qui ne connaît pas le bien, qui est étranger aux lumières de la justice, cherche par des actions criminelles à se frayer le chemin d'une renommée si éclatante, qu'elle retentisse dans les siècles. Et ceux qui ne peuvent se signaler par le bien, veulent au moins se rendre fameux par le crime, et répandre au loin leur renommée. Tel est, je crois, le sens de ces paroles: «Ce n'est que par le mal que je passerai de génération en génération». On peut encore appliquer ces paroles à l'homme dont l'esprit vain et plein d'erreur ne croit pouvoir passer de cette vie mortelle à la vie éternelle que par la voie du crime C'est ce qui est rapporté de Simon (Ac 8,9-23), qui croyait pouvoir s'élever au ciel par les coupables artifices de la magie, et passer de la nature humaine à la nature divine. Faut-il s'étonner maintenant que cet homme de péché, qui doit personnifier en lui-même toute la malice et toute l'impiété, dont tous les faux prophètes n'ont donné que l'ébauche, qui aura le don des miracles au point de séduire les justes, s'il était possible, aille jusqu'à dire en son coeur: «Je ne puis que par le mal être fameux d'âge en âge?»

1025 25. «Sa bouche est pleine de blasphèmes, d'amertume et de fourberie (Ps 9,7)» C'est en effet (169) un horrible blasphème, que d'aspirer au ciel par d'aussi coupables artifices, et de prétendre à la vie éternelle, avec de semblables mérites. Aussi n'est-ce que sa bouche qui est pleine de ce blasphème; car sa prétention ne peut aboutir, et ne demeurera dans sa bouche que pour sa perdition, de lui qui osait bien se promettre le ciel au moyen de cette amertume et de cette fourberie, c'est-à-dire au moyen de cette exaltation, et de ces embûches qui lui gagnaient la foule. «Sous sa langue est le travail et la douleur». Nul travail n'est plus pénible que l'injustice et l'impiété; et ce travail engendre la douleur, parce qu'il est non-seulement sans profit, mais encore nuisible. Travail et douleur qui caractérisent ce langage: «Ce n'est que par le mal que je puis passer d'âge en âge». Aussi est-il dit que cela est «sous sa langue», et non dans sa langue, parce qu'il renfermera ces pensées dans l'intérieur de son âme, et tiendra aux hommes un tout autre langage, afin qu'on le regarde comme le champion du bien et de la justice, et même comme le Fils de Dieu.

1026 26. «Il se met en embuscade avec les riches (Ps 9,8)». Quels riches, sinon ceux qu'il comblera des biens de ce monde? Il se mettra donc, est-il dit, en embuscade avec eux, parce qu'il fera ostentation de leur faux bonheur pour tromper les hommes; et ceux-ci, pris du désir, fatal d'acquérir de semblables richesses, négligent les biens éternels et tombent ainsi dans ses piéges. «Il veut tuer l'innocent dans l'obscurité (Ps 9,9)». Par «obscurité» il entend, je crois, l'état de l'âme qui discerne à peine ce qu'il faut désirer, de ce qu'il faut fuir; et tuer l'innocent, c'est amener au péché celui qui était sans tache.

1027 27. «Ses yeux sont en arrêt sur le pauvre». Car il s'attache principalement à poursuivre les justes, dont il est dit: «Bienheureux ceux qui sont pauvres de gré, car le royaume des cieux leur appartient (Mt 5,3). Il les «épie en secret, comme le lion en sa bauge». Il appelle lion dans sa bauge, celui qui emploie la violence et l'artifice. La première persécution de l'Eglise fut violente, car alors on contraignait les chrétiens à sacrifier, par la proscription, les tourments et la mort l'autre persécution soulevée par les hérétiques et les faux frères, et qui dure encore, est caractérisée par l'artifice; la troisième et la plus dangereuse sera celle de l'antéchrist, qui sera caractérisée par l'artifice et par la violence. Il aura la force par l'empire, et l'artifice de la séduction par les prodiges. La violence est précisée par cette expression, «dans sa bauge». Les paroles suivantes nous expriment le même sens, mais dans l'ordre inverse: «Il tend des embûches pour enlever le pauvre». Voilà bien la ruse; et «pour le ravir après l'avoir attiré», marque la violence; car «l'attirer» nous montre qu'à force de le tourmenter, il parvient à s'assujettir l'homme pauvre.

1028 28. La suite répète encore ce qui vient d'être dit: «Il l'humiliera dans un piég», c'est la ruse. «Il s'inclinera et tombera, quand il aura les pauvres sous sa domination (Ps 9,10)», c'est la violence. Le piège désigne bien les fourberies, et la domination indique évidemment la terreur. «Il humiliera donc le pauvre dans son piége», dit avec raison le Prophète; car plus paraîtront merveilleux les signes qu'il entreprendra d'opérer, et plus les saints d'alors seront méprisés, et tomberont dans l'opprobre; et comme ils doivent lui résister dans leur innocence et leur justice, il passera pour les avoir vaincus par l'éclat de ses prodiges. Mais à son tour «il s'inclinera et tombera, après les avoir dominés», c'est-à-dire, quand il aura tourmenté par toutes sortes de supplices les serviteurs de Dieu qui lui résisteront.

1029 29. Mais pourquoi sera-t-il abaissé jusqu'à tomber? C'est qu' «il a dit dans son coeur: Dieu a tout oublié, il a détourné sa face pour ne rien voir à jamais (Ps 11)». C'est pour l'esprit humain un abaissement et une chute effroyable, de trouver sa félicité dans le crime, et de croire à son pardon, quand il est frappé d'aveuglement, et réservé pour cette dernière et exemplaire vengeance marquée par le Prophète qui s'écrie: «Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main (Ps 12)»: c'est-à-dire, manifestez votre puissance. Il avait dit plus haut: «Levez-vous, Seigneur, et que l'homme ne s'affermisse point, que les peuples soient jugés en votre présence (Ps 9,20)», c'est-à-dire, dans ce secret que Dieu seul peut pénétrer. C'est ce qui est arrivé quand l'impie est parvenu à ce que les hommes regardent comme un grand bonheur, et que Dieu les a soumis à un législateur, tel qu'ils le (170) méritaient, et dont il est dit: «Etablissez sur eux un législateur, et que ces peuples sachent bien qu'ils sont des hommes (Ps 9,14)». Et après ce châtiment juste et secret, il est dit: «Levez-vous, Seigneur, ô mon Dieu, étendez votre main», non plus dans le secret, mais dans la splendeur de votre gloire. «N'oubliez point à jamais les opprimés», comme l'imagine l'impie qui dit: «Le Seigneur a tout oublié;  il a détourné sa tête pour ne rien voir à jamais (Ps 9,11).» Car c'est bien nier que Dieu voie à jamais, ou jusqu'à la fin, que dire qu'il ne prend aucun soin des actions des hommes sur la terre. La terre est, en effet, la fin des choses, comme le dernier des éléments, où les hommes travaillent dans un ordre admirable, mais ordre qui leur échappe dans leurs travaux, car il appartient aux secrets du Fils. Donc, au milieu du labeur pénible d'ici-bas, l'Eglise, comme un navire au milieu des flots et des tempêtes, semble éveiller le Seigneur qui dort, afin qu'il commande aux vents déchaînés et ramène le calme. «Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, lui dit-elle, étendez votre  main, et n'oubliez point les pauvres sur la terre».

1030 30. La connaissance du dernier jugement nous a fait dire avec joie: «Pourquoi l'impie  a-t-il irrité le Seigneur (Ps 9,13)?» De quoi lui a servi de commettre ces forfaits? «  Il disait dans son coeur: Dieu ne les recherchera point. Vous le voyez, Seigneur», poursuit le Prophète, «mais vous considérez le travail et la colère, pour les livrer entre vos mains (Ps 9,14)». Prononçons bien ces paroles pour en voir le sens; une fausse prononciation nous amène l'obscurité. L'impie a dit dans son coeur : «Dieu ne recherchera point les crimes», comme si le Seigneur voyant ce qu'il lui en coûtera de labeur et de peine pour les faire tomber entre ses mains, et dédaignant le labeur comme la colère, pardonne à ces impies, pour ne point prendre la peine de les châtier, ni se troubler par la colère. C'est ce qui arrive souvent aux hommes, qui dissimulent plutôt que de châtier, afin de s'épargner la peine de la colère.

1031 31. «C'est à vous que le pauvre abandonne sa défense (Ps 9,14)» . Car il n'est pauvre, ou plutôt il n'a méprisé tous les biens passagers de cette vie que pour mettre en vous seul son espoir. «Vous serez le protecteur de l'orphelin (Ps 9,14) c'est-à-dire de celui pour qui le monde est mort, ce monde qui était son père, qui l'avait engendré selon la chair, de celui qui peut dire: «Le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde (Ga 9,14)». Dieu devient un père à de tels orphelins; et le Sauveur enseigne à ses disciples à le devenir, quand il dit: «N'appelez ici-bas personne votre père (Mt 23,9)». Lui-même en donne l'exemple tout le premier, en disant: «Quelle est ma mère, ou quels sont mes frères (Mt 12,48) ?» C'est de là que certains hérétiques très-dangereux ont avoué qu'ils n'avaient pas de mère; ils n'ont point vu qu'en prenant ces paroles à la lettre, les disciples n'auraient point eu de pères. Car s'il dit lui-même: «Quelle est ma mère?» il leur donnait cet enseignement: «N'appelez ici-bas personne votre père».

1032 32. «Brisez le bras de l'impie et du méchant (Ps 9,15), de cet homme dont il est dit plus haut, qu'il se rendra maître de tous ses ennemis. Son bras, c'est sa puissance, à laquelle est opposée cette puissance du Christ, dont le Prophète a dit: «Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main (Ps 9,5). On recherchera son péché; mais lui, ne reparaîtra plus» à cause de ce péché; c'est-à-dire, on le jugera sur ses crimes, et ces crimes l'auront fait disparaître. Alors qu'y a-t-il d'étonnant dans les paroles suivantes: «Le Seigneur sera roi des siècles et de l'éternité; nations, vous serez retranchées de la terre qui lui appartient (Ps 9,16)?» Il désigne .par nations, les pécheurs et les impies.

1033 33. «Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres (Ps 9,17)». Ce désir dont ils étaient embrasés, quand au milieu des angoisses et des tribulations, ils soupiraient après le jour du Seigneur: «Votre oreille, ô Dieu, a entendu que leur coeur était prêt». Cette préparation du coeur est celle que le Prophète a chantée dans un autre Psaume: «Mon coeur est préparé, ô Dieu, mon coeur est préparé (Ps 57,8)»; et dont saint Paul dit: «Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons par la patience (Rm 6,25)». Par l'oreille de Dieu, nous ne devons rien entendre de corporel, mais cette puissance qui le porte à nous exaucer: et pour ne plus revenir à ce sujet,  (171) quand l'Ecriture attribue à Dieu ces membres qui sont en nous visibles et corporels, nous devons entendre sa puissance d'action. Car il ne faut rien voir ici de corporel, quand Dieu écoute, non plus le son de la voix, mais la préparation du coeur.

1034 34. «Vous rendrez justice à l'orphelin et au pauvre (Ps 9,18)»; c'est-à-dire à celui qui ne se conforme pas au monde, et qui n'est point superbe. Juger l'orphelin, n'est pas rendre justice à l'orphelin. On juge l'orphelin même en le condamnant, maison lui rend justice quand on prononce en sa faveur. «Afin que l'homme ne cherche plus à s'agrandir sur la terre (Ps 9,8)». Car ce sont des hommes ceux dont il est dit: «Seigneur, élevez au-dessus d'eux un législateur, afin que les peuples sachent bien qu'ils sont des hommes (Ps 9,21)». Mais celui qu'il est question d'élever en cet endroit sera un homme aussi, et c'est de lui qu'il est dit «Afin que l'homme renonce à s'agrandir sur la terre». Ce qui arrivera quand le Fils de l'homme viendra juger cet orphelin qui s'est dépouillé du vieil homme et qui a ainsi comme exalté son Père.

1035 35. Les secrets du Fils dont il est beaucoup parlé dans ce Psaume, seront suivis des manifestations de ce même Fils, dont il est quelque peu fait mention à la fin. Mais le sujet indiqué par le titre, en occupe la principale partie. On peut même ranger parmi les secrets du Fils le jour de son avènement, quoique sa présence doive être manifestée pour tous. Car il est dit de ce jour qu'il n'est connu de personne, ni des Anges, ni des Vertus, ni même du Fils de l'homme (Mt 24,36). Or, quel secret est plus impénétrable que celui que l'on dit être dérobé au juge même, non qu'il l'ignore,  mais parce qu'il ne doit point le révéler? Si toutefois quelqu'un veut attribuer ces secrets du Fils, non plus au Fils de Dieu, mais au Fils de David même, dont tout le psautier porte le nom, car tous les Psaumes sont appelés Psaumes de David, qu'il écoute ces paroles adressées à Notre-Seigneur: «Fils de David, ayez pitié de nous (Mt 20,30)», et qu'il reconnaisse ce même Seigneur Jésus-Christ dont les secrets ont inspiré le titre du Psaume. Il en est de même de ces paroles de l'Ange: «Dieu lui donnera le trône de David son père (Lc 1,32)». Cette interprétation n'est point démentie par cette question du Christ aux Juifs: «Si le Christ est Fils de David, comment David inspiré de l'Esprit-Saint, l'appelle-t-il son  Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'abatte vos ennemis à vos pieds (Mt 22,11 Ps 109,1)?» Cette parole s'adressait à des hommes ineptes qui, dans le Christ dont ils attendaient l'arrivée, ne voyaient qu'un homme, et non point la puissance et la sagesse de Dieu. Dieu donc les formait à croire selon la vérité la plus pure, que le Christ est le Seigneur de David, puisqu'il était au commencement le Verbe, Dieu en Dieu, par qui tout a été fait; qu'il est aussi le fils de David, puisque selon la chair il est né de la race de David, Le Seigneur ne dit pas que le Christ n'est point fils de David; mais bien: Si vous êtes certain qu'il est son fils, apprenez encore qu'il est son Seigneur; ne vous arrêtez pas à voir dans le Christ sa qualité de fils de l'homme, ce qui fait qu'il est fils de David, pour abandonner sa qualité de Fils de Dieu qui le rend Seigneur de David. (172)



DISCOURS SUR LE PSAUME X - L'HÉRÉSIE EN FACE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE.

11 Ps 11

L'âme catholique et fidèle répond aux invitations de l'hérésie, que sa confiance est dans le Seigneur et non dans les hommes, tandis que l'hérésie se confie dans les mérites du ministre des sacrements. Le Seigneur, par une même parole, aveugle les méchants et sauve les justes.

POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps 10,1).

1101 1. Ce titre n'a pas besoin d'être expliqué de nouveau, nous avons exposé suffisamment le sens de cette expression: «In finem, pour la fin» . Voyons donc le texte du psaume, qui me parait un chant contre les hérétiques. Ceux-ci, en effet, rappelant sans cesse avec exagération les fautes de plusieurs membres de l'Eglise, comme si, dans leurs sectes, tous les membres, ou du moins le plus grand nombre, étaient des justes, s'efforcent de nous détourner et de nous arracher des mamelles de l'Eglise, unique et véritable mère. Ils affirment que le Christ est parmi eux; ils affectent de nous avertir, par intérêt pour nous et par charité, de passer dans leur parti pour y trouver Jésus-Christ, qu'ils se vantent faussement de posséder. On sait que dans ces dénominations allégoriques données par les Prophètes à Jésus-Christ, se trouve aussi celle de Montagne. Il faut donc répondre à l'hérésie en loi disant: «Ma confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous à mon âme: Va sur la montagne, comme un passereau Ps 10,2)?» Il n'est qu'une seule montagne en qui j'aie mis mon espoir; pourquoi me dire d'aller à vous, comme s'il y avait plusieurs Christs? Et si, dans votre orgueil, vous prétendez être cette montagne, j'avoue que je dois être ce passereau, et que mes ailes sont les forces et les préceptes de Dieu; mais ces ailes m'empêchent de voler vers de semblables montagnes, et de reposer mon espoir en des hommes orgueilleux. J'ai un nid où je puis reposer, puisque ma confiance est dans le Seigneur. Car le passereau trouve une demeure (Ps 83,4), et le Seigneur est un refuge pour le pauvre (Ps 9,10). Ainsi, de peur qu'en cherchant le Christ chez les hérétiques, nous ne le perdions réellement, chantons avec la plus entière confiance: «Ma confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous à mon âme: Va sur la montagne comme le passereau?»

1102 2. «Voilà que les pécheurs ont bandé l'arc, ils ont rempli de flèches leur carquois, afin de tirer, dans l'obscurité de la lune, sur ceux qui ont le coeur droit (Ps 10,3)». Vaines terreurs de ceux qui nous menacent de la colère des pécheurs, pour nous pousser dans leur parti, comme dans celui des justes. «Voilà», disent-ils, «que les pécheurs ont bandé l'arc». Cet arc me paraît être l'Ecriture, qu'ils interprètent dans un sens charnel, et qui ne leur fournit alors que des maximes empoisonnées. «Ils ont préparé leurs flèches dans leur carquois»; c'est-à-dire, qu'ils ont préparé dans leurs coeurs, ces paroles qu'ils doivent nous lancer avec l'autorité des saintes Ecritures. «Afin de tirer sur l'innocent dans l'obscurité de la lune»; c'est-à-dire, qu'ils ont cru que la foule des hommes ignorants et charnels avait obscurci la lumière de l'Eglise, et qu'eux-mêmes ne pourraient être convaincus; ainsi ils corrompent les bonnes moeurs par des discours pervers (Ps 10,3). Mais à toutes ces terreurs nous répondrons: «Ma confiance est dans le Seigneur (1Co 15,33)».

1103 3. J'ai promis (Ci-dessus, Ps 8,n. 9), il m'en souvient, de considérer dans ce psaume comment la lune est une figure convenable de l'Eglise. Il y a deux opinions probables au sujet de la lune: savoir quelle est la véritable, c'est là ce qui est, selon moi, sinon impossible, du moins très difficile aux hommes. Si vous demandez d'où vient à la lune sa lumière, les uns répondent qu'elle a une lumière qui lui est propre, mais que son globe est moitié lumineux et moitié (173) obscur, et qu'ainsi, dans sa révolution, la partie lumineuse se tourne peu à peu vers la terre, et devient visible; c'est pourquoi elle nous apparaît d'abord comme un croissant. Car si vous prenez une sphère à moitié blanche, et à moitié noire, et que vous mettiez sous les yeux la partie noire, vous ne verrez rien de blanc, mais ensuite, commencez à tourner vers vous le côté blanc, et faites-le peu à peu, vous verrez cette face blanche apparaître d'abord comme un croissant, puis se développer peu à peu, jusqu'à ce que la face blanche vous apparaisse complètement, et ne laisse rien voir d'obscur. Continuez encore la révolution de votre sphère, et peu à peu la partie obscure se montrera, tandis que la partie blanche ira en diminuant, jusqu'à ce qu'elle redevienne un croissant, pour échapper bientôt à la vue, et ne laisser sous vos yeux que la partie obscure; c'est ce qui a lieu, nous dit-on, quand la lumière de la lune va toujours en augmentant jusqu'au quinzième jour, puis diminue jusqu'au trentième, redevient un croissant, puis bientôt nous dérobe complètement sa lumière. Dans cette opinion, la lune pourrait être la figure allégorique de l'Eglise, qui brille dans sa partie spirituelle, tandis qu'elle est obscure dans ses membres charnels; et souvent ses oeuvres spirituelles la signalent aux hommes; souvent aussi ce côté spirituel se réfugie dans la conscience, où Dieu seul peut le voir, et ne laisse voir aux hommes que la face corporelle, comme il arrive quand nous prions intérieurement, sans aucune apparence extérieure, alors que nos coeurs ne sont plus à la terre, mais élevés à Dieu, selon qu'il nous est recommandé.

D'autres disent que la lune n'a point une lumière qui lui soit propre, et qu'elle la reçoit du soleil; que quand elle est en face du soleil, elle nous présente le côté qui n'est point éclairé, et paraît ainsi sans lumière; mais qu'à mesure qu'elle s'éloigne du soleil, cette partie même qu'elle présentait à la terre est illuminée; elle commence nécessairement comme un croissant, jusqu'au quinzième jour, qu'elle est complètement opposée au soleil: c'est alors qu'elle se lève quand le soleil se couche; de sorte qu'un homme qui observerait le coucher du soleil, pourrait aussitôt qu'il le perd de vue, se tourner vers l'orient, et verrait la lune à son lever. Mais à mesure que la lune tend à se rapprocher du soleil, elle nous montre peu à peu sa face obscure, puis redevient un croissant, pour disparaître totalement; car alors sa partie lumineuse est toute vers le ciel, tandis qu'elle ne montre à la terre que la face que le soleil ne saurait éclairer. Dans cette seconde opinion, la lune serait la figure de l'Eglise qui n'a point une lumière propre, car sa lumière lui vient de ce Fils unique de Dieu, appelé souvent dans les saintes Ecritures, Soleil de justice. Incapable de connaître et de voir ce Soleil invisible, certains hérétiques s'efforcent d'attirer les esprits simples et sensuels, au culte de ce soleil visible et corporel, qui éclaire les yeux des mouches aussi bien que les yeux corporels des hommes. Ils parviennent même à entraîner ceux qui, dans leur impuissance de découvrir des yeux de l'âme la lumière intérieure de la vérité, ne peuvent se con-tenter de la simplicité de la foi catholique; et pourtant il n'y a pour les faibles que ce moyen de salut, que ce lait qui puisse les fortifier et les rendre capables d'une plus solide nourriture. De ces deux opinions, quelle que soit la vraie, le nom allégorique de la lune convient parfaitement à l'Eglise. Toutefois, s'il nous répugne de nous engager dans ces obscurités plus pénibles qu'elles ne sont utiles, ou si le temps nous manque, ou même si notre esprit s'y refuse, il peut nous suffire de regarder la lune avec le peuple, et sans en rechercher péniblement les raisons, de voir avec tout le monde qu'elle croît, qu'elle arrive à son plein, pour décroître ensuite. Et si elle ne disparaît que pour revenir encore, elle devient pour la multitude la moins exercée la figure de l'Eglise, dans laquelle on croit à la résurrection des morts.

1104 4. Examinons ensuite pourquoi, dans ce psaume, il est parlé de «lune obscure» qui sert aux pécheurs pour décocher leurs flèches sur les coeurs droits. Car on peut dire de plusieurs manières que la lune est obscurcie; elle l'est à la fin de sa révolution mensuelle, puis quand un nuage nous dérobe sa lumière, puis quand elle s'éclipse totalement. Nous pouvons dire alors que les persécuteurs des martyrs ont voulu décocher leurs flèches sur les coeurs droits, pendant l'obscurité de la lune; soit que l'Eglise naissante n'ait pas encore jeté sur la terre tout son éclat, ni dissipé les ténébreuses superstitions du paganisme; soit que les blasphèmes et les (174) calomnies contre le nom chrétien aient enveloppé la terre comme d'un nuage et rendu invisible la lune ou l'Eglise; soit que tant de martyrs égorgés et tant de sang répandu, aient détourné du nom chrétien les âmes faibles, en couvrant l'Eglise d'un voile sanglant, comme celui qui paraît quelquefois sur la lune et qui l'obscurcit; dans ces jours de terreur, les impies décochaient comme autant de flèches, ces paroles artificieuses et sacrilèges, qui pervertissaient même les coeurs purs. On peut encore entendre ce passage, des pécheurs qui sont dans l'Eglise, qui ont saisi l'occasion d'un obscurcissement de la lune, pour commettre les forfaits que nous reprochent maintenant les hérétiques, accusés d'en être les auteurs. Mais quelle que soit la source des crimes commis pendant l'obscurité de la lune, maintenant que la religion catholique est répandue et respectée dans tout l'univers catholique, pourquoi m'inquiéter de faits que j'ignore? Ma confiance est au Seigneur, et loin de moi, « ceux qui disent à mon âme: Va, chétif passereau, vers les montagnes. Car voilà que les pécheurs ont préparé leur arc pour décocher leurs flèches sur les coeurs droits, dans l'obscurité de la lune». Et cette lune leur paraît encore obscure, parce qu'ils s'efforcent de jeter l'incertitude sur la véritable Eglise catholique, et qu'ils arguent contre elle des fautes de ces hommes charnels qu'elle contient en grand nombre. Qu'est-ce que ces tentatives, pour celui qui dit véritablement: Ma confiance est dans le Seigneur, qui montre par ce langage qu'il est le froment de Dieu, et qu'il supporte la paille avec patience, jusqu'à ce que viendra le temps de la vanner?

1105 5. «Ma confiance est donc au Seigneur». Que ceux-là tremblent qui mettent leur confiance dans un homme, et qui ne peuvent nier qu'ils lui appartiennent, puisqu'ils jurent sur ses cheveux blancs.; et si vous leur demandez en conversation à quelle communion ils appartiennent, ils ne peuvent se faire connaître qu'en se proclamant de son parti. Mais dites-moi ce qu'ils peuvent répondre, quand on leur représente ces crimes, ces forfaits innombrables qui remplissent chaque jour leur parti? Peuvent-ils dire: «Ma confiance est au Seigneur; et comment dites-vous à mon âme de se réfugier dans les montagnes comme le passereau?» Car ils n'ont plus confiance dans le Seigneur, en soutenant que les sacrements ne sanctifient que quand ils sont administrés par des hommes saints? Aussi, demandez-leur quels sont les saints, ils rougiront de dire: C'est nous; et s'ils ne rougissent de le dire, ceux qui les entendront, rougiront pour eux. Ils forcent donc ceux qui reçoivent les sacrements, à mettre leur confiance dans un homme, dont le coeur échappe à nos yeux. Or, «maudit soit celui qui met son espoir dans un homme (Jr 17,5)». Dire en effet: C'est ce qui est administré par moi, qui est saint, n'est-ce pas dire: Mettez votre espérance en moi? Mais que sera ce sacrement si vous n'êtes pas saint? Alors montrez-moi votre coeur. Et si vous ne le pouvez, comment saurai-je que vous êtes saint? Alléguerez-vous ce passage de l'Ecriture: «Vous les connaîtrez à leurs oeuvres (Mt 7,16)?» Assurément, je vois chez vous des oeuvres merveilleuses; je vois chaque jour les Circoncellions courir ça et là sous la conduite de leurs évêques et de leurs prêtres, et donner le nom d'Israël à de terribles bâtons; c'est là ce que les hommes de nos jours ne voient et n'éprouvent que trop. Quant aux actes du temps de Macaire, qu'ils nous reprochent amèrement, peu les ont vus, nul ne les voit maintenant; et quand on les voyait, tout catholique n'en pouvait pas moins dire, s'il voulait être serviteur de Dieu: «Ma confiance est dans le Seigneur». C'est le langage que tient encore celui qui voit dans l'Eglise ce qu'il voudrait n'y point voir, qui se sent nager dans ces filets pleins de poissons, bons et mauvais, jusqu'à ce que l'on arrive sur les sables de la mer, pour séparer les bons des mauvais (Mt 13,47). Que peuvent répondre ces hérétiques, si l'homme qu'ils veulent baptiser leur fait cette question: Comment m'ordonnez-vous d'avoir confiance? Car si le mérite d'un sacrement est basé sur celui qui le donne et sur celui qui le reçoit, si c'est Dieu qui le donne et ma conscience qui le reçoit, voilà deux termes dont j'ai la certitude, sa bonté, et ma foi. Pourquoi venir vous interposer, vous dont je ne puis tirer, aucune certitude? Laissez-moi chanter: « Ma confiance est dans le  Seigneur». Car si je mettais ma confiance en vous, qui peut me garantir que vous n'avez commis aucune faute cette nuit? Enfin, si vous voulez que j'aie confiance en vous, puis-je avoir d'autre motif que votre parole?  (175)

Mais alors quelle confiance puis-je avoir, que ceux qui étaient hier en communion avec vous, qui communiquent aujourd'hui, qui communiqueront demain, n'auront commis aucune faute, après ces trois jours? Et si ni vous ni moi ne sommes souillés par ce que nous ignorons, pourquoi rebaptisez-vous ceux qui n'ont rien connu de la trahison de Macaire ni de ses persécutions? Et ces chrétiens qui viennent de la Mésopotamie, qui ne savent le nom ni de Cécilien ni de Donat, comment osez-vous les rebaptiser, et nier qu'ils soient chrétiens? S'ils sont souillés par les péchés des autres, vous aussi, vous êtes sous le poids des crimes qui se commettent chaque jour, à votre insu, dans votre parti; et c'est en vain que vous objectez aux catholiques les décrets impériaux, vous qui sévissez dans votre camp avec les bâtons et les flammes. Tel est donc l'abîme où sont tombés ceux qui, voyant les désordres dans l'Eglise catholique, n'ont pu dire: «Ma confiance est au Seigneur n, et qui ont mis leur espoir dans les hommes. Ils l'auraient dit sans doute, s'ils n'eussent été les uns ou les autres tels qu'ils croyaient ceux dont ils ont feint de se séparer par un sacrilège orgueil.

1106 6. Que l'âme catholique s'écrie donc: «Ma confiance est au Seigneur; comment osez-vous me dire: Passereau, va dans les montagnes? car voilà que les pécheurs ont bandé leur arc, ils ont rempli de flèches leur carquois, pour les décocher sur les justes durant une lune obscure». Puis, de ces pécheurs, s'élevant à Dieu, qu'elle dise: «Voilà qu'ils ont détruit ce que vous aviez rendu parfait (Ps 10,4)». Et qu'elle tienne ce langage, non-seulement contre ceux dont nous parlons, mais contre tous les hérétiques. Car tous, autant qu'il est en eux, ont détruit cette louange parfaite que Dieu a tirée de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle (Ps 8,3), quand, par de vaines et pointilleuses questions, ils tourmentent les faibles et ne les laissent point s'alimenter du lait de la foi. Et comme si l'on disait à cette âme: Pourquoi vous outils engagée à passer dans les montagnes comme le passereau; pourquoi vous effrayer au sujet des pécheurs qui ont bandé leur arc, pour percer les coeurs droits dans l'obscurité de la lune? la voilà qui répond: Ce qui m'effraie, c'est «qu'ils ont détruit ce que vous aviez rendu parfait». Où l'ont-ils détruit, sinon dans leurs conciliabules, où loin de donner du lait aux faibles et à ceux qui ne con naissent point la lumière intérieure, ils les tuent de leurs poisons? «Mais le juste, qu'a-t-il  fait?» Si Macaire et Cécilien sont coupables envers vous, que vous a fait le Christ qui a dit: «Je vous donne ma paix, je vous laisse  ma paix (Jn 19,27)»; cette paix que vous violez par le schisme le plus criminel? Que vous a fait le Christ, qui déploya tant de patience envers le disciple qui le trahissait, jusqu'à l'admettre à cette première Eucharistie qu'il consacrait de ses mains, qu'il instituait de sa parole, et qu'il lui présenta comme aux autres Apôtres (Lc 22,19-21)? Que vous a fait le Christ, qui donna mission de prêcher le royaume de Dieu à ce même traître qu'il avait appelé un démon (Jn 6,71), qui même avant de trahir le Seigneur, ne put en garder fidèlement les deniers Jn 12,6), et qu'il envoya néanmoins avec les autres disciples (Mt 10,5)», pour nous apprendre que les dons de Dieu arrivent en ceux qui les reçoivent avec foi, quand même le ministre qui les distribue serait semblable à Judas?

1107 7. «Le Seigneur habite son saint temple (Ps 10,5). C'est dans ce sens que l'Apôtre a dit: «Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple. Quiconque ose violer le temple de Dieu, Dieu le perdra (1Co 3,17)». Or, c'est violer le temple de Dieu que d'en rompre l'unité, c'est ne plus être dans l'union avec cette tête (Col 2,19)  dont tout le corps soutenu par ses liens et ses jointures avec une si juste proportion, reçoit l'accroissement dans la mesure qui est propre à chacun de ses membres, et se forme par la charité (Ep 4,16). Le Seigneur est donc dans ce temple formé de plusieurs membres, qui ont chacun leurs fonctions, et qui sont reliés par la charité, en un seul édifice. C'est violer ce temple, que se séparer de l'unité catholique, pour chercher ailleurs la dignité d'un chef. «Le Seigneur habite son temple saint, le Seigneur a son trône dans le ciel (Ps 10,5)» Si parte ciel vous entendez le juste, comme la terre nous désigne le pécheur, ainsi qu'il est dit: «Tu es terre, et tu retourneras en terre (Gn 3,19), ces expressions: «Le Seigneur a son trône dans le ciel», sont une répétition de ce qui a été dit: «Le Seigneur habite son saint temple».

1108 8. «Ses yeux regardent le ciel». C'est à lui que le pauvre s'abandonne, et il lui sert de refuge (Ps 10,10). C'est pourquoi toutes ces séditions, tous ces troubles que l'on soulève dans les filets jusqu'à ce qu'ils arrivent sur le rivage, ont pour auteurs des hommes qui refusent d'être les pauvres de Jésus-Christ; et c'est à leur perte, mais pour notre amendement, que les hérétiques prennent de ces troubles occasion de nous insulter. Mais pourront-ils détourner les regards de Dieu de ceux qui veulent bien être pauvres pour lui? «Car ses yeux regardent le pauvre». Avons-nous à craindre que dans la foule nombreuse des riches, il ne puisse discerner ces quelques pauvres, pour les conserver et les nourrir dans le giron de l'Eglise catholique? «Ses paupières interrogent les «enfants des hommes (Ps 10,5)». Selon la règle que nous avons posée, j'entendrais volontiers par ces «enfants des hommes» ceux que la foi a fait passer du vieil homme à l'homme nouveau. Car l'oeil de Dieu paraît se fermer pour eux, quand certains passages des Ecritures les stimulent par leur obscurité à en rechercher le sens; comme il semble s'ouvrir quand ils reçoivent avec joie la lumière de passages plus clairs. Or, ces vérités des livres saints, tantôt claires et tantôt voilées, sont comme les paupières de Dieu qui interrogent, ou plutôt qui approuvent ces enfants des hommes stimulés plutôt que lassés par les obscurités, affermis plutôt qu'enorgueillis par la découverte.

1109 9. «Le Seigneur interroge le juste et l'impie (Ps 10,6)». Et quand il interroge ainsi le juste et l'impie, quel mal pouvons-nous craindre de la part des impies qui pourraient être, avec des coeurs peu sincères, en communion de sacrements avec nous? «Mais celui qui aime  l'iniquité nuit à son âme(Ps 10,6). Ce n'est donc point à celui qui a mis sa confiance en Dieu, et qui n'espère point dans les hommes, c'est à son âme seulement que nuit celui qui aime le péché.

1110 10. «Il fera tomber des piéges sur les pécheurs (Ps 10,7)». Si l'on désigne sous le nom de nuages les Prophètes en général, soit les bons soit les mauvais appelés aussi faux prophètes (Mt 24,24), les faux prophètes sont destinés parle Seigneur à devenir des piéges qu'il fait tomber sur les pécheurs. Car il n'y a pour les suivre, que le pécheur, qui se prépare ainsi le dernier supplice, s'il persévère dans le crime, ou qui abjure son orgueil, s'il cherche un jour le Seigneur avec plus de sincérité. Mais si les nuées ne doivent désigner que les bons, les vrais prophètes, il est encore évident que leurs paroles, entre les mains de Dieu, sont des piéges pour les pécheurs, en même temps qu'une rosée qu'il répand sur les justes pour leur faire porter de bons fruits. «Aux uns», dit l'Apôtre, «nous sommes une odeur de vie pour la vie, aux autres, une odeur de mort pour la mort (2Co 2,16)». Car on peut, sous le nom de nuages, désigner non-seulement l'Apôtre, mais quiconque donne aux âmes la rosée de la parole de Dieu. Pour celui qui comprend mal ces paroles, c'est le piége que Dieu fait tomber sur les méchants; et pour celui qui les entend dans le vrai sens, c'est la rosée qui féconde les coeurs pieux et fidèles. Cette parole de l'Ecriture, par exemple: «Ils seront deux dans une même chair (Gn 2,24)», peut devenir un piége pour celui qui l'interprète dans le sens de l'incontinence. Mais si vous l'entendez avec saint Paul qui s'écrie: «Moi, je le dis dans le Christ et dans I'Eglise Ep 5,23)», c'est une rosée sur un champ fertile. C'est le même nuage, ou l'Ecriture sainte qui produit ces deux effets. De même encore le Seigneur nous dit: «Ce n'est point ce qui entre dans votre bouche, mais bien ce qui en sort, qui souille votre âme Mt 15,11)». A cette parole, un pécheur se dispose à la bonne chère; tandis qu'elle prévient le juste contre le discernement des viandes, Cette même nuée de l'Ecriture laisse donc tomber, selon le mérite de chacun, et des piéges pour le pécheur, et pour le juste une pluie fécondante.

1111 11. «Des torrents de feu et de souffre, la fureur des tempêtes, c'est là le calice qu'il leur prépare Ps 10,7)».  Tel est le châtiment et la fin de ceux qui blasphèment le nom du Seigneur; d'abord ils sont dévorés par l'incendie de leurs passions, ensuite l'odeur fétide de leurs oeuvres corrompues les éloigne de l'assemblée des saints; enfin, entraînés et submergés dans l'abîme, ils subissent d'indicibles tourments. Telle est, Seigneur, la part de leur calice, tandis que vous avez pour le juste un calice enivrant et glorieux Ps 22,5). «Car ils seront  enivrés par la sainte abondance de votre maison Ps 35,9)». Si le Prophète emploie cette (177) expression, «la part de leur calice», c'est, je crois, pour nous détourner de croire que, même dans le supplice des méchants, la Providence outrepasse les bornes de l'équité. Aussi a-t-il ajouté, comme pour nous rendre raison de ces châtiments: «C'est que le Seigneur est juste, et qu'il aime les justices Ps 10,8)». Et ce n'est pas sans raison qu'il dit les justices, au pluriel, afin de nous montrer dans ces justices les justes eux-mêmes. Car il semble que dans plusieurs justes, il y ait plusieurs justices, bien qu'il n'y en ait qu'une seule en Dieu, qui est la source des autres; comme si un seul visage se trouvait en face de plusieurs miroirs, ceux-ci le refléteraient et feraient apparaître plusieurs fois ce visage, néanmoins unique. Aussi le Prophète revient-il au singulier, en s'écriant: «Sa face a vu l'équité». Et peut-être a-t-il dit: «Sa face a vu l'équité», dans le même sens qu'il dirait: C'est dans sa face que l'on voit l'équité, c'est-à-dire quand on connaît sa face. Car la face de Dieu, c'est la puissance qu'il a de se faire connaître à ceux qui en sont dignes. Ou bien: «Sa face a vu l'équité», parce qu'il ne se fait pas connaître aux méchants, mais aux bons; et c'est là l'équité.

1112 12. Si l'on veut que la lune soit la synagogue, il faut alors entendre le psaume de la passion du Sauveur, et dire des Juifs, «qu'ils ont détruit ce que Dieu avait rendu parfait»; et du Seigneur: «Pour le juste, qu'a-t-il fait?» lui qu'ils accusaient de détruire la loi, tandis qu'eux-mêmes en détruisaient les préceptes par une vie coupable, et les méprisaient jusqu'à les remplacer par leurs traditions. Alors Jésus-Christ, selon sa coutume, parlerait dans son humanité, et dirait: «Ma confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous à mon âme: Va, passereau, vers les montagnes?» répondant ainsi aux menaces de ceux qui le cherchaient pour le prendre et le crucifier. Alors les pécheurs voulaient décocher leurs flèches sur les justes ou sur ceux qui croyaient en Jésus-Christ, et l'obscurité de la lune peut fort bien désigner la synagogue remplie d'hommes pervers. C'est à cela que se rapporterait ce passage: «Le Seigneur habite son saint temple; le Seigneur a son trône dans le ciel», c'est-à-dire le Verbe, ou le Fils de Dieu qui est dans le ciel, habite aussi dans l'homme. «Ses yeux regardent le pauvre», c'est-à-dire cet homme dont il s'est revêtu, tout Dieu qu'il était, ou celui pour lequel il a souffert dans son humanité. «Ses paupières interrogent les enfants des hommes». Fermer les yeux, puis les ouvrir, voilà probablement ce qu'il désigne sous le nom de paupières, et que nous pouvons entendre de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ; car alors il éprouva les fils des hommes ou ses disciples, que sa mort avait effrayés, et que réjouit sa résurrection. «Le Seigneur interroge le juste et l'impie», en gouvernant l'Eglise du haut du ciel. «Mais celui-là hait son âme qui aime l'iniquité», et la suite nous en montre la raison. Ce passage: «Il fera pleuvoir des piéges sur l'impie», ainsi que le reste du psaume jusqu'à la fin, doit s'entendre dans le sens indiqué plus haut. (178)




Augustin, les Psaumes 10