Augustin, les Psaumes 373

TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVI - ENCORE LA FORCE DU JUSTE

373TROISIÈME SERMON. Ps 37,25-40

L'Eglise qui a été jeune et qui a vieilli, n'a point vu le juste manquer de pain ou de la parole de Dieu qui est le vrai pain. Elle a vu au contraire ce juste prêter, et surtout prêter au Seigneur en secourant les pauvres. Evitons le mal, mais cela est insuffisant si nous ne faisons le bien. Laissons faire l'impie dont la ruine sera complète; dans sa malice il peut bien épier le juste, mais il ne surprendra que le corps: l'âme lui échappera toujours. Ce que les Donatistes peuvent dire d'Augustin.

1. Il nous reste, mes frères, à vous exposer à discuter la troisième partie du psaume.

Je le vois; Dieu me rappelle pour m'acquitter de ma dette, à la vérité contre mon dessein, mais non contre les desseins de sa Providence. bien donc attentifs, mes frères, afin que, s'il v'est possible, avec le secours de Dieu, je fasse droit à une obligation dont je reconnais l'existence. De qui sont ces paroles que nous venons de chanter? «J'ai été jeune, maintenant j'ai vieilli; et je n'ai point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendier son pain Ps 36,25)». Si ce n'est qu'un seul homme qui parle ainsi, quelle durée peut avoir la vie un seul homme, et quelle merveille serait-ce qu'un homme placé dans quelque coin du monde, pendant toute sa vie qui est bien courte, comme toute vie humaine, quel que soit l'espace qui sépare la jeunesse de la vieillesse, n'eût point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendier son pain? Il n'y a là rien d'étonnant. Il est très-possible qu'avant sa naissance un juste ait demandé son pain; il est possible que cela soit arrivé dans un pays qu'il n'habitait pas. Ecoutez encore une difficulté qui m'embarrasse: voilà que le premier d'entre vous, qui a déjà de longues années, en jetant les yeux sur les jours qu'il a vus s'écouler, et en ramenant dans sa pensée tout ce qu'il a pu connaître, ne voit pour mendier son pain,ni le juste, ni le fils du juste; et néanmoins, en feuilletant les Ecritures, il voit qu'Abraham, tout juste qu'il était,

383

souffrit la faim dans le pays qu'il habitait, et dut changer de contrée 1; il voit que son fils Isaac, pressé aussi par la disette, alla chercher des vivres 2 en d'autres contrées. Où est maintenant la vérité de cette parole: «Je n'ai point vu le juste abandonné, ni sa postérité chercher du pain?» Et quand même cette parole se vérifierait dans le cours de sa vie, la lecture des livres saints, plus croyable que la vie des hommes, lui montre néanmoins le contraire.

2. Que faire donc? Aidez-moi, je vous prie, de votre zèle et de votre piété, à comprendre dans les versets du psaume quelle est la volonté de Dieu, et les instructions qu'il veut nous donner. Il est à craindre, en effet, qu'un homme faible et incapable de comprendre les saintes Ecritures, voyant de bons serviteurs de Dieu dans quelque détresse et dans la nécessité de mendier leur pain, et réfléchissant à cette parole de saint Paul: «Nous travaillons dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la nudité 3», ne vienne à se scandaliser et à dire en lui-même: De bonne foi, ce que je viens de chanter est-il donc vrai; est-ce bien vrai, ce que je viens de chanter avec piété et debout dans l'Eglise: «Je n'ai jamais vu le juste abandonné, ni sa race mendier son pain?» Il est à craindre qu'il ne se dise que l'Ecriture le trompe; que ses membres ne se ralentissent dans l'exercice des bonnes oeuvres; et, ce qui est pire encore, que ces membres ne se ralentissent chez l'homme intérieur, qu'il n'abjure toute oeuvre pieuse et ne se dise dans son âme: A quoi bon faire le bien? à quoi bon partager mon pain avec l'indigent et vêtir celui qui est nu, et loger chez moi celui qui n'a point de refuge, dans la foi en cette parole: «Je n'ai jamais vu le juste abandonné ni sa race mendier son pain», quand je vois tant de vrais serviteurs de Dieu en proie à la faim? Et si je me trompe, ajoutera-t-il, au point de prendre pour juste et celui qui vit bien et celui qui vit mal, tandis que Dieu en juge tout autrement, et voit un méchant dans celui que je crois bon, du moins que dirai-je d'Abraham, que I'Ecriture elle-même appelle juste? Que dire de l'Apôtre saint Paul qui dit: «Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ 4?» Veut-il me souhaiter aussi les

1. Gn 12,10. -  2. Gn 26,1. - 3. 2Co 11,27. - 4. 1Co 4,16.

maux qu'il a dû endurer: «La faim et la soif, le froid et la nudité 1?»

3. Un homme qui est dans ces pensées, et dont les forces intérieures sont, tomme je l'ai dit, affaiblies pour tout bien, pouvons-nous le prendre comme un paralytique, ouvrir le toit de ce passage de l'Ecriture, et le descendre aux pieds du Seigneur? Vous le voyez, il y a là de l'obscurité. S'il y a de l'obscurité, c'est qu'il y a un toit qui nous dérobe le sens, et je vois devant moi un paralytique spirituel. Je vois donc ce toit, et je sais que le Seigneur est caché sous ce toit. Je ferai alors, autant qu'il me sera possible, ce que le Seigneur approuva dans ceux qui découvrirent le toit et descendirent le paralytique aux pieds du Christ qui lui dit: «Mon fils, prenez courage, vos péchés vous sont remis 2». Puis il guérit cet homme de la paralysie intérieure, en lui remettant ses péchés et en affermissant sa foi. Mais il y avait là des hommes dont les yeux ne pouvaient voir la guérison de la paralysie intérieure, et qui prirent pour un blasphémateur le médecin qui l'avait faite. «Quel est», disaient-ils, «cet homme qui remet les péchés? Il blasphème. Quel autre que Dieu peut remettre les péchés 3?» Et comme ce médecin était Dieu, il entendit ces pensées dans leurs coeurs. Ils croyaient que cette oeuvre était vraiment de Dieu, et ils ne voyaient point Dieu présent devant eux. Ce médecin agit donc aussi sur le corps du paralytique, afin de guérir encore la paralysie intérieure de ceux qui tenaient ce langage. Il fit une oeuvre qu'ils pussent voir et il leur donna la foi. Courage donc! ô toi dont le coeur est faible, languissant jusqu'à laisser toute bonne oeuvre, à la vue de tout ce qui se passe dans le monde; toi qui es perdu intérieurement courage! découvrons ce toit, s'il nous est possible, afin de descendre aux pieds du Seigneur.

4. Dans l'Eglise, qui est son corps mystique, le Seigneur fut jeune dans les premiers temps et maintenant il a vieilli. C'est là ce que vous savez, ce que vous reconnaissez, ce que vous comprenez, parce que vous faites partie de ce corps et que vous comprenez que le Christ est notre chef, et que nous sommes les membres de ce chef 4? Mais n'y a-t-il que nous, et tous ceux qui nous ont précédés ne le sont-ils pas comme nous? Tous ceux qui ont été justes

1. 2Co 11,17. - 2. Lc 5,18-22. - 3. Lc 5,18-22 Mt 9,3. - 4.  1Co 12,27 Ep 4,15.

385

dès l'origine du monde ont le Christ pour chef. Car ils ont cru qu'il viendrait comme sous croyons qu'il est venu; et tout comme nous, ils ont été guéris par la foi qu'ils avaient en lui: c'est ainsi qu'il est le chef de toute la cité de Jérusalem, formée de tous les fidèles depuis le commencement du monde jusqu'à la fin, en y ajoutant les légions et les armées les anges, de manière à ne composer qu'une seule cité sous un seul roi, comme une seule province soumise à un seul empereur, heureuse dans une paix, dans un salut inaltérable, bénissant Dieu sans fin dans une félicité sans fin. Or, ce corps de Jésus-Christ, ou l'Eglise 1, ressemble à un homme: il a été jeune, et voilà qu'à la fin des siècles il jouit d'une vieillesse heureuse, de celle dont il est dit: «Ils se multiplieront dans une vieillesse féconde 2». Elle lest multipliée en effet parmi les nations, et sa voix est comme celle d'un homme qui consi1ère d'abord ses jeunes années, puis celles de son déclin; il considère tout, parce que l'Ecriture lui fait connaître tous ses âges; et dans un transport de joie il nous donne cet avis: «J'ai été jeune», dans le premier âge du monde, « et voilà que j'ai vieilli», car j'en suis aux derniers temps «et jamais je n'ai vu le juste abandonné, non plus que sa race mendiant son pain».

5. Nous connaissons donc cet homme, jeune autrefois, maintenant vieilli, et par l'ouverture du toit nous arrivons au Christ. Mais quel est donc ce juste que l'on n'a point vu dans l'abandon, et dont la race n'a pas mendié son pain? Savoir quel est ce pain, c'est connaître injuste. Or, le pain est la parole de Dieu, qui ne sort jamais de la bouche du juste. C'est là ce que répondit ce juste lui-même tenté dans son chef. Quand le diable dit à Jésus-Christ qui souffrait du jeûne et de la faim: «Dis que ces pierres se changent en pain», il répondit: «L'homme ne vit pas seulement-de pain, mais de toute parole de Dieu». Or, soyez, mes frères, quand est-ce que le juste ne fait point la volonté de Dieu? Il la fait toujours, puisqu'il conforme sa vie à cette volonté, et que cette volonté de Dieu ne sort point de son coeur, car la volonté de Dieu, c'est la loi de Dieu. Or, qu'est-il dit de lui? « Qu'il méditera cette loi jour et nuit». Tu manges du pain matériel pendant une heure,

1 Col 1,18 Col 1,24. - 2. Ps 91,15. - 3. Mt 4,3-4. -  Ps 1,2.

puis c'est assez; mais le pain de la parole, tu en manges nuit et jour. L'écouter ou la lire, c'est manger; y penser, c'est la ruminer, afin d'être parmi les animaux purs, et non parmi les impurs 1. C'est là ce que vous dit la sagesse par la bouche de Salomon: «Un trésor désirable demeure dans la bouche de l'homme sage; mais l'homme insensé l'avale d'un trait 2». Or, avaler de manière à ne rien laisser voir de ce qu'on a avalé, c'est oublier ce que l'on a entendu. Mais l'homme qui ne l'oublie point, le rumine dans sa pensée, et trouve son plaisir à ruminer ainsi. De là cette parole: «Une sainte pensée te gardera 3.» Si donc en ruminant ce pain, tu as pour gardienne une sainte pensée, «tu n'as jamais vu le juste délaissé, ni sa race mendiant son pain».

6. «Chaque jour il est pris de pitié et il prête 4». Le mot latin foeneratur peut se dire de celui qui prête et de celui qui reçoit en prêt. Il serait plus clair pour nous de dire: Il prête, foenerat. Que nous importe ce qu'en diront les grammairiens? Il vaut mieux me mettre à votre portée avec un barbarisme, que d'être si disert, pour vous laisser dans le désert. Donc ce juste «est chaque jour pris de pitié, et il prête». Mais que les prêteurs ne s'en réjouissent point. De même, en effet, qu'il y a pain et pain, nous trouvons aussi prêteur et prêteur; afin que nous découvrions totalement le toit pour arriver à Jésus-Christ. Je ne veux point que vous soyez prêteurs; et si je ne le veux point, c'est que Dieu lui-même ne le veut point. Car si je le défends seul, et que Dieu le permette, agissez, prêtez; mais, si Dieu ne le veut point, j'aurai beau le vouloir, celui qui le ferait courrait à sa perte. Comment savoir que Dieu ne le veut point? Il est dit ailleurs: Le juste «n'a point donné son argent à usure 5». Et tous les prêteurs, ce me semble, comprennent combien l'usure est un crime détestable, odieux, exécrable. Et pourtant, moi qui vous parle, ou plutôt Dieu que nous adorons, et qui vous défend de prêter à usure, vous ordonne ailleurs de prêter à usure; il vous dit: Prêtez à Dieu avec usure. Tu as de l'espérance en prêtant à un homme, et tu n'en aurais pas en prêtant à Dieu? Si tu as prêté ton argent à usure, c'est-à-dire si tu l'as confié à un homme dont tu espères retirer

1. Lv 1. - 2. Pr 21,20. - 3. Pr 2,11. - 4. Ps 36,26. -  5. Ps 14,5.

386

plus que tu n'as donné, non pas ton argent seulement, mais quelque chose de plus que tu n'as prêté, soit en froment, soit en vin, soit en huile, soit en toute autre denrée; si, dis-je, tu espères plus que tu n'as donné, tu es usurier, et en cela tu es plus blâmable que louable. Comment donc faire, me diras-tu, pour tirer un certain profit d'un prêt? Vois ce que fait le prêteur à usure. Il veut assurément donner moins et retirer plus; fais de même donne peu, et reçois plus. Vois les proportions larges que prendra ton usure. Donne les biens temporels et tu recevras ceux de l'éternité; donne la terre, tu recevras le ciel. Mais à qui la donner? me diras-tu peut-être. Voilà Dieu qui se présente, pour que tu la lui prêtes à usure, lui qui te défendait l'usure. Ecoute dans l'Ecriture comment tu prêteras au Seigneur: «Celui-là prête à usure au Seigneur», est-il dit, «qui a pitié du pauvre 1». Assurément Dieu n'a pas besoin de toi, mais un autre en a besoin. Ce que tu donnes à l'un, l'autre le reçoit pour lui. Car le pauvre n'a rien à te rendre; il le voudrait faire, mais il ne trouve rien; il ne lui reste que la bonne volonté de prier pour toi. Or, un pauvre qui prie pour toi, semble dire à Dieu: Seigneur, j'ai fait un emprunt, soyez ma caution. En ce cas, si le pauvre n'est pas solvable, tu auras dans Dieu une belle garantie. Voilà que Dieu te dit dans les Ecritures: Donne sans crainte, c'est moi qui suais caution. Que disent ordinairement les hommes qui garantissent? Quel est leur langage? C'est moi qui vous le rendrai, c'est moi qui reçois, c'est à moi que vous le donnez. Croyez-vous que Dieu vous dise aussi: C'est moi qui reçois, c'est à moi que tu donnes? Oui, assurément, si le Christ est Dieu, comme je n'en doute pas, lui qui a dit: «J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger». Et comme on lui demandait : «Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim?» afin de nous montrer qu'il est réellement caution pour les pauvres, qu'il répond pour tous ses membres, car il est le chef et eux sont les membres, et ce que reçoivent les membres, le chef le reçoit aussi: «Ce que vous avez fait au moindre de ceux qui m'appartiennent», répond-il, «c'est à moi que vous l'avez fait». Courage donc, usurier avare, vois ce que tu as donné, vois ce que tu recevras. Si tu n'avais donné qu'une modique somme d'argent,

1. Pr 19,17.

et que l'emprunteur te donnât pour cette modique somme une magnifique villa d'un prix bien supérieur à l'argent que tu as donné, quelles actions de grâces tu lui rendrais, quelle joie serait la tienne ! Ecoute quel domaine va te donner ton emprunteur: «Venez, bénis de mon Père, recevez», quoi? ce que vous avez donné? Oh! non. Vous avez donné des richesses terrestres, qui se seraient rouillées en terre, si vous ne les aviez prêtées. Qu'en eussiez-vous fait si vous ne les eussiez données? Ce qui devait périr dans la terre, se conserve dans le ciel. C'est donc ce dépôt conservé que nous devons recevoir. C'est votre mérite qui est conservé, et c'est ce mérite qui est votre trésor. Vois, en effet, ce qui va t'échoir: « Recevez le royaume qui vous été préparé dès l'origine du monde». Quelle parole, au contraire, entendront ceux qui n'ont rien voulu prêter? «Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges». Et que faut-il entendre par ce royaume? Ecoutes ce qui suit: «Ceux-ci iront au feu éternel, et les justes dans la vie éternelle 1». Voilà ce qu'il faut ambitionner, ce qu'il faut acheter, ce qu'il faut acquérir par des usures. Celui qui vous tend la main sur la terre, c'est le Christ qui règne dans les cieux. Voilà comment prête le juste: «Tout le jour il est pris de pitié, et il prête à usure».

7. «Et sa race sera en bénédiction 2». Ici rejetons toute pensée charnelle. Nous voyons bien souvent mourir de faim les enfants du justes; comment donc «sa postérité sera-t-elle dans la bénédiction?» Cette race doit s'entendre de ses oeuvres, ce qu'il sème pour récolter ensuite. Car l'Apôtre a dit: «Ne nous lassons pas de faire le bien; car nous moissonnerons dans le temps, sans nous fatiguer. C'est pourquoi, pendant qu'il en est temps, faisons du bien à tous 3». Telle est votre postérité qui sera en bénédiction. Tu confies une semence à la terre, et tu la recueilles au centuple, et tu la perdrais en la confiant au Christ? Remarque bien le mot de semence expressément employé par l'Apôtre à propos des aumônes. Voici ses paroles: «Celui qui sème peu recueillera peu; et celui qui sème dans la bénédiction moissonnera dans les bénédictions4». Mais peut-être est-ce pour toi une peine de semer, et ton coeur est-il

1. Mt 25,34-46. - 2. Ps 36,26.- 3. Ga 6,9.- 4. 2Co 9,6.

387

ému à la vue des malheureux. Car nul doute qu'un jour nous ne soyons plus heureux de n'avoir plus personne à soulager. Quand tous seront devenus incorruptibles, il n'y aura plus ni affamé à qui tu puisses donner à manger, ni altéré à qui donner à boire, ni homme nu à revêtir, ni étranger à recevoir; nais ici-bas nous semons dans les larmes, dans les tentations, dans les douleurs, dans les gémissements. Vois ce que dit un autre psaume: «  Ils allaient et pleuraient en répandant leur semence». Vois aussi que «sa semence sera en bénédiction: - mais ils reviendront avec joie en portant leurs gerbes 1».

8. Vois donc ce qui suit et abjure la paresse: «Evite le mal et fais le bien 2». Garde-toi de croire qu'il te suffira de ne point enlever à un homme son vêtement. Ne pas le dépouiller, c'est s'abstenir du mal; mais ne le dessèche pas, ne deviens pas stérile. Sache tout à la fois, et ne pas dérober le vêtement, et revêtir celui qui est nu. C'est là éviter le mal pour faire le bien. Que m'en reviendra-t-il, diras-tu? Déjà celui à qui tu as prêté, t'a dit ce qui t'en reviendra; il te donnera la vie éternelle, prête-lui sans crainte. Ecoute encore ce qui suit: «Détourne-toi du mal et fais le bien; et tu habiteras les siècles des siècles». Et ne va point croire que tes dons ne soient vus de personne, ou que Dieu t'abandonne quand, après une aumône faite à l'indigent, il te survient quelque dommage ou quelque perte à déplorer; ne dis pas: De quoi me sert d'avoir fait de bonnes oeuvres? Je crois que Dieu n'aime point ceux qui font le bien. - D'où vient, mes frères, ce bruit, ce murmure, si ce n'est que l'on entend souvent ce langage? Chacun le reconnaît à cet instant, ou dans sa propre bouche, ou dans bouche d'un voisin, ou dans celle d'un ami. Je supplie Dieu de le faire disparaître et d'arracher toutes les épines de son champ; qu'il y mette le bon grain et l'arbre fruitier. - Pourquoi donc, ô homme, après avoir fait aumône, t'affliger d'une perte que tu es-les? Ne vois-tu pas que tu perds ce que tu avais pas donné. Pourquoi ne pas jeter les feux sur le Dieu que tu sers? Où est donc ta loi? Pourquoi dort-elle ainsi? Réveille-la dans ton coeur. Ecoute ce que le Seigneur lui-même t'a dit, quand il t'exhortait à faire ces sortes de bonnes oeuvres: «Faites-vous des

1. Ps 125,6.- 2. Ps 36,27.

bourses qui ne s'usent point, un trésor qui ne s'épuise jamais, dans ce ciel dont n'approche pas le voleur» . Rappelle-toi ces paroles quand une perte t'afflige. Pourquoi pleurer, ô insensé, ô homme au coeur étroit, sinon dépravé? Pourquoi as-tu perdu, sinon parce que tu n'as pas prêté? Pourquoi cette perte? qui te la fait essuyer? Le voleur, diras-tu. Ne t'avais-je donc point averti de ne rien mettre où le voleur peut venir? Si donc il s'afflige, celui qui essuie une perte, qu'il s'afflige de n'avoir point placé son argent où il n'aurait pu le perdre.

9. «Car le Seigneur aime la justice, et il n'abandonnera point ses saints 2». Quand les saints sont dans la peine, gardez-vous de croire que Dieu ne juge point les hommes, ou qu'il les juge sans équité. Celui qui t'avertit de juger avec justice, pourrait-il juger d'une manière perverse? «Il aime donc la justice et n'abandonne point ses saints». Mais il agit de manière que la vie des saints soit cachée en lui, et que tous ceux qui souffrent sur la terre soient comme des arbres que l'hiver a dépouillés de leurs fruits et de leur feuillage; mais, quand il apparaîtra comme un soleil nouveau, ils montreront par des fruits la vie qu'ils conservaient dans leur racine. «Il aime donc la justice et n'abandonnera point ses saints». Mais ce saint souffre de la faim? Dieu ne l'abandonnera pas, «lui qui afflige celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants 3». Tu le méprises quand il est dans la peine, tu seras dans la stupeur à la vue de ses richesses. D'où lui vient sa peine? Des maux passagers. Quand sera-t-il dans les richesses? Quand il entendra: «Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous est préparé dès  l'origine du monde 4». Ne recule donc point devant la peine, afin d'être parmi ceux qui méritent d'être admis. Dieu aime tellement la justice qu'il n'abandonne point les saints, bien qu'il les afflige pour un temps; et comme il afflige celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants, il n'a pas épargné son Fils unique, bien qu'il ne trouvât en lui aucun péché. «Le Seigneur donc aime la justice, et il n'abandonne point ses saints». Mais s'il ne les abandonne pas, leur donnera-t-il par hasard ce que tu désires ici-bas, des années

1. Lc 12,33. - 2. Ps 36,28. - 3. He 12,6. - 4. Mt 25,34

388

nombreuses, une vieillesse prolongée? Tu ne vois pas qu'en désirant la vieillesse, tu désires ce qui sera un sujet de plainte quand il arrivera. Ferme donc l'oreille à toute âme ou méchante, ou infirme, ou bornée, qui te dirait «Comment se peut-il que Dieu aime la justice et n'abandonnera point ses saints?» A la vérité, il n'a point abandonné les trois enfants qui le bénissaient dans la fournaise: le feu ne les toucha point 1; mais les Macchabées n'étaient-ils pas des saints, quand leur corps et non leur foi succomba dans les flammes 2? Il est vrai, diras-tu, que c'est là une grande difficulté, de voir que ces hommes demeurent fermes dans la foi et que Dieu les abandonne. Ecoute ce qui suit: «Ils seront conservés pour l'éternité». Tu leur souhaitais quelques années; et, pour le Seigneur, les leur accorder, c'eût été, penses-tu, ne pas les abandonner. Il accordait une protection visible aux enfants de la fournaise, aux Macchabées une protection invisible; il confondait les infidèles en donnant aux premiers la vie du temps; il préparait à l'impiété des juges en couronnant les seconds d'une manière invisible; et il n'abandonnait ni les uns ni les autres, lui «qui n'abandonnera point ses saints». Et les trois enfants n'eussent obtenu qu'une mince faveur, s'ils n'eussent eu l'éternité pour expectative «Ils seront conservés pour l'éternité».

10. «Quant aux injustes, ils seront châtiés, et la race des impies périras.» De même que la race du juste sera en bénédiction, « la race de l'impie périra». Car sa race signifie ses oeuvres. Autrement, nous avons vu le fils de l'impie florissant dans le monde, parfois devenir juste et fleurir en Jésus-Christ. Cherche donc bien le sens, afin d'ouvrir le toit et de parvenir jusqu'au Seigneur 3. Le sens charnel serait une erreur pour toi. Mais ce que sème l'impie, ou les oeuvres des impies, périront et ne fructifieront point; car ils n'ont de la force que pour un temps; ils chercheront plus tard et ne trouveront rien de ce qu'ils auront fait. Car voici les plaintes de ceux qui auront perdu leurs oeuvres: «De quoi nous a servi notre orgueil et le vain étalage de nos richesses? Tout cela s'est dissipé comme l'ombre 4». Donc la race de l'impie périra.

11. «Quant aux justes, ils posséderont la terre en héritage 5». Encore une fois, loin

1. Da 3,50. - 2. 2M 7,7. - 3. Lc 5,19. - 4. Sg 5,8. - 5. Ps 36,29

de toi l'avarice; qu'elle ne vienne point te promettre de vastes domaines et te faire espérer ce que tu as ordre de mépriser. Cette terre est celle des vivants, celle des saints. C'est pour cela qu'il est dit: «Vous êtes mon espérance, mon héritage sur la terre des vivants 1». Car si telle est ta vie, comprends alors la terre qui doit t'échoir. C'est la terre des vivants, tandis que celle-ci est la terre des mourants, et qui recevra morts ceux qu'elles nourris vivants. Donc, telle terre, telle vie; si la vie est éternelle, la terre aussi sera éternelle. Mais comment cette terre sera-t-elle éternelle? «Ils l'habiteront pendant les siècles des siècles». Il y aura donc une autre terre que nous habiterons éternellement. Car il est dit de celle-ci que «le ciel et la terre passeront 2»

12. «La bouche du juste méditera la sagesse 3». C'est là le pain dont nous avons parlé: voyez avec quelles délices notre juste s'en nourrit, comment, dans sa bouche, il savoure la sagesse. «Sa langue publiera la justice, La loi de son Dieu est dans son  coeur 4». L'on ne peut croire qu'il a dans la bouche ce qu'il n'a pas dans le coeur, à le comparer à ceux dont il est dit: « Ce peuple m'honore des lèvres, mais leurs coeurs sont loin de moi 5 . Sa langue publiera la justice  parce que la loi de Dieu est dans son coeur.» Et quel est son avantage? C'est que ses pieds «ne seront point pris au piége». La parole de Dieu, dès qu'elle est dans notre coeur, nous préserve de tout piége; la parole de Dieu, si elle est dans notre coeur, nous détourne de la voie mauvaise; la parole de Dieu dans notre coeur nous éloigne de toute chute. Il est avec toi celui dont la parole ne s'éloigne point de ton coeur. Mais quel mal peut arriver à celui dont Dieu est le gardien? Tu commets un homme pour garder ta vigne, et tu oses sûreté contre les voleurs; et toutefois, un gardien peut s'endormir, il peut s'abattre et laisser passer le voleur: «Or, celui qui garde Israël ne dormira point, ne s'assoupira point 6 car la loi de Dieu est dans son coeur; et ses pieds ne seront point pris au piége» Qu'il vive donc en paix, qu'il soit en paix parmi les méchants, en paix parmi les impies. Quel mal peut faire au juste l'homme impie, l'homme d'iniquité?

1. Ps 141,6. - 2. Mt 34,35.- 3. Ps 36,30 - 4. Ps 36,31 - 5 Is 29,13.- 6. Ps 140,4.

389

Considère la suite: «Le pécheur épie le juste, il cherche à lui donner la mort 1». Il tient en effet ce langage consigné au livre de la Sagesse: «Nous sommes fatigués de le voir, car sa vie diffère de la vie des autres 2» Il cherche donc à le faire mourir. Mais quoi? Le Seigneur qui le garde, qui habite avec lui, qui ne sort ni de sa bouche ni de son coeur, l'abandonnera-t-il? Où est donc ce que nous lisions plus haut: «Il n'abandonnera point ses saints 3?»

13. Donc «le pécheur épie le juste et cherche à lui donner la mort; mais le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre les nains 4». Pourquoi donc a-t-il abandonné les martyrs aux mains des impies? Pourquoi ceux-ci en ont-ils fait ce qu'ils ont voulu? Ils ont frappé celui-ci du glaive, cloué cet autre à la croix, livré celui-là aux bêtes, condamné ceux-ci au feu, jeté ces autres dans les cachots, pour les faire mourir plus lentement. Il est certain toutefois que le Seigneur n'abandonnera point ses saints; «car le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre les mains». Pourquoi donc enfin a-t-il abandonné son Fils aux mains des Juifs? Ici, ouvre le toit 5,situ veux être guéri de toute paralysie intérieure; arrive jusqu'au Seigneur, écoute ce que l'Ecriture nous dit ailleurs, car elle prévoyait ce que les impies feraient souffrir su Sauveur; que dit-elle donc? «La terre est livrée aux mains de l'impie 6». Qu'est-ce à dire que la terre est livrée aux mains de l'impie ? La chair est entre les mains des persécuteurs. Car le Seigneur, dans cette occasion, n'a point abandonné son juste, et de cette chair captive il a tiré une âme indomptée. Le Seigneur abandonnerait le juste au pouvoir des méchants, s'il le laissait consentir à leurs desseins; et c'est pour éviter ce malheur que dans un autre psaume le Prophète faisait cette prière: «Ne me livrez point, Seigneur, à l'homme du péché, d'accord avec mes désirs 7». Il est à craindre que vous ne tombez de vos désirs dans les mains du pécheur, et que votre amour pour cette vie d'un jour ne vous jette sous sa puissance, et ne vous fasse perdre ainsi la vie éternelle. De quel désir encore ne veut-il point tomber entre les mains du pécheur? De celui dont un autre prophète a dit: «Je n'ai point désiré le jour

1. Ps 36,32. - 2. Sg 2,15.- 3. Ps 36,28. - 4. Ps 36,33. - 5. Lc 5,19. - 6. Jb 9,24. - 7. Ps 139,9.

de l'homme, vous le savez 1». Car celui qui désire vivement le jour de l'homme, et qui n'a point l'espérance de la vie éternelle, ne peut que s'abandonner aux volontés d'un adversaire qui le menace de le tuer, et dès lors de lui faire perdre cette vie ou le jour de l'homme. Mais pour celui qui écoute cette parole du Seigneur: «Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'âme 2», quand ce qui est terre serait livré entre les mains des impies, l'esprit s'en irait, la terre seule serait captive; et, l'âme demeurant libre, la terre ressusciterait. L'esprit est changé pour aller à Dieu, la terre sera changée pour aller au ciel. Rien ne périt de cette terre livrée pour un temps aux mains des pécheurs: «Les cheveux de votre tête sont comptés 3».Soyez donc en sûreté, si Dieu est en votre intérieur. En chasser le diable, c'est y admettre Dieu. «Le Seigneur n'abandonnera pas le juste aux mains du méchant, et ne le condamnera point quand il le jugera». On lit dans quelques exemplaires: «Et quand Dieu le jugera, le jugement sera pour lui». «Pour lui», signifie qu'il sera l'objet du jugement. C'est ainsi que nous pouvons dire à quelqu'un: Jugez-moi, pour: entendez ma cause. Lors donc que le Seigneur entendra la cause de son juste: «Car nous devons tous comparaître au tribunal  du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu'il était revêtu de son corps 4»; quand donc arrivera le jugement du juste, Dieu ne le condamnera point, bien qu'en cette vie les hommes paraissent le condamner. Et si le proconsul prononça une sentence contre Cyprien, il y a une différence entre le tribunal de la terre et le tribunal du ciel: celui de la terre le condamna, celui du ciel lui décerna la couronne. «Il ne le condamnera point lorsqu'il passera au jugement».

14. Mais quand cela sera-t-il? Ne croyez point que ce soit maintenant; car maintenant c'est le temps de travailler, le temps de semer, le temps d'endurer le froid; mais semez en dépit des vents et de la pluie, ne soyez point paresseux; viendra l'été qui vous consolera, et alors vous vous réjouirez d'avoir semé. Que faire donc maintenant? «Attends le Seigneur». Et en l'attendant, que faire?

1. Jr 17,16. - 2. Mt 10,28. - 3. Mt 10,30. - 4. 2Co 5,10.

390

«Garde ses voies». Et si je les garde, quelle sera ma récompense? «Il t'élèvera, afin que tu aies la terre en héritage 1». Quelle terre? Encore une fois, ne porte point ta pensée sur quelque villa; c'est la terre dont il est dit «Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès l'origine du monde 2». Et qu'arrivera-t-il à ceux qui nous ont torturés, au milieu desquels nous gémissons, dont nous avons supporté les scandales, et dont les fureurs ont rendu vaines toutes les prières que nous faisions pour eux? Voici la suite: «Tu seras témoin de la perte des méchants»; et tu la verras de tout près, car tu seras à la droite et eux à la gauche. C'est ce que l'on voit des yeux de la foi; or, ceux qui ne les ont point, s'affligent du bonheur des méchants, ils croient que leur propre justice est inutile, quand ils voient l'impie en honneur. Mais pour celui qui a l'oeil de la foi, quel est son langage? «J'ai vu l'impie élevé, il dépassait en hauteur les cèdres du Liban 3». Le voilà donc élevé, il plane dans les hauteurs, et après? «Et j'ai passé, et il n'était déjà plus; et je l'ai cherché sans trouver même sa place 4». Pourquoi n'était-il plus, et sa place ne se trouvait-elle point? Parce que tu as passé. Mais si tu as encore des pensées charnelles, si un bonheur terrestre te paraît encore le vrai bonheur, tu n'as pas encore passé, tu es égal ou même inférieur à l'impie; marche donc et passe; et lorsque dans ta marche tu l'auras dépassé, regarde avec foi, et en voyant sa fin tu diras en toi-même: Ce n'est point là cet homme si enflé d'orgueil; tu croiras passer près d'une grosse fumée. Car c'est encore là ce qu'a dit plus haut notre psaume : « Ils s'évanouiront comme s'évanouit la fumée». La fumée s'élance dans les airs, s'élève comme un épais tourbillon. Plus elle s'élève, plus elle se dilate. Mais quand tu seras passé, regarde en arrière; il n'y aura que de la fumée derrière toi, si Dieu est devant toi. Ne regarde point derrière avec des regrets, comme regarda la femme de Loth, qui demeura en chemin; mais regarde avec mépris, et tu verras que le méchant n'est plus nulle part, et tu chercheras sa place. Quelle est sa place? Sa place consiste dans son pouvoir, dans ses richesses, dans le rang

1. Ps 35,34.- 2. Mt 25,34.- 3. Ps 36,35.- 4. Ps 36,36.- 5. Gn 19,26

qu'il occupe dans Je monde, qui lui assujettit le grand nombre, en sorte qu'il commande et qu'on lui obéit. Cette place donc n'existera plus, mais elle passera et tu pourras dire:

«J'ai passé et voilà qu'il n'était plus». Qu'est. ce à dire: j'ai passé? Je me suis avancé, je suis arrivé à la vie spirituelle, je suis entré dans le sanctuaire de Dieu, afin de contempler la fin du méchant 1 «Et voilà qu'il n'était plus; je l'ai cherché sans même trouver sa place».

15 «Garde l'innocence». Garde-la avec le même soin que tu gardais ton argent lorsque tu étais avare; comme tu gardais ta bourse de peur qu'elle ne devînt la proie du voleur; veille avec le même soin sur ton innocence, de peur que le démon ne te la ravisse; qu'elle te soit un patrimoine assuré, elle qui enrichit même les pauvres. «Garde ton innocence». De quoi te servirait de gagner de l'or et de perdre l'innocence? «Garde l'innocence et considère la justice 2». Que tes yeux soient droits pour voir ce qui est droit, mais non mauvais pour voir les méchants, ni obliques de manière que Dieu lui-même te paraisse oblique ou injuste, favorisant l'impie et persécutant le fidèle. Ne vois-tu point combien ta vue est oblique? Corrige alors tu yeux «et regarde en droite ligne». Quelle droite ligne? Ne considère pas les choses présentes. Et que verras-tu? «Qu'il reste quelque chose à l'homme de la paix». Quel est ce «reste?» Qu'après ta mort tu rie seras point mort; voilà ce qui reste. Il y aura donc pose le juste quelque chose après cette vie; c'est-à-dire que sa semence sera en bénédiction. De là vient que le Seigneur a dit: «Celui qui croira en moi vivra quand même il serait mort 3»; car il reste quelque chose à l'homme de la paix.

16. «Quant aux méchants, ils périront, in idipsum», dit le latin. Qu'est-ce à dire, in idipsum? Ou bien, pour l'éternité, ou toi ensemble. «Ce qui reste de l'impie périra 4. Mais il reste quelque chose à l'homme pacifique; donc tous ceux qui ne sont point pacifiques sont impies. «Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfant de Dieu».

17. «Mais le salut des justes vient du Seigneur, il est leur soutien au jour de la

1. Gn 72,17. - 2. Gn 36,37. - 3. Jn 11,25. - 4. Ps 36,38.- 5. Mt 5,9.

391

tribulation: Le Seigneur les aidera, les sauvera, les délivrera des mains des pécheurs 1». Que les justes tolèrent donc maintenant les pécheurs, que le bon grain tolère l'ivraie, que le froment tolère la paille; car viendra le temps de la séparation, et l'on tirera le bon grain de ce que le feu doit consumer; l'un sera mis dans les greniers célestes, l'autre jeté aux flammes éternelles; Dieu n'avait laissé le juste et l'injuste vivre ensemble qu'afin que l'un tendît des piéges, que l'autre fût éprouvé, et qu'ensuite le premier fût condamné, le second couronné.

18. Grâces à Dieu, mes frères; par la grâce du Christ nous avons acquitté notre dette, sais la charité me tient toujours en redevance; car elle est une, et l'acquitter tous les jours, c'est la devoir tous les jours. Nous avons beaucoup parlé contre les Donatistes, nous avons apporté beaucoup de faits, beaucoup d'actes en dehors des règles des Ecritures, parce qu'ils nous y ont forcé. Car s'ils me blâment de vous avoir fait ces lectures, j'accepte leur blâme, pourvu que vous soyez instruits. En ce cas, en effet, nous pouvons leur répondre: « J'ai fait une folie, et vous m'y avez contraint 2». Du reste, mes frères, conservez avant tout notre héritage, dont nous sommes assurés par le testament de notre Père, non par l'acte frivole d'un homme, mais bien par le testament de notre Père. Soyons en pleine sécurité; car celui qui a fait ce testament vit toujours. Lui qui a fait le testament à l'héritier, jugera lui-même de son testament. Chez les hommes, autre est le testateur et autre le juge; et pourtant, celui qui s'en tient au testament gagne sa cause auprès d'un autre qui est juge, non auprès d'un juge qui serait mort. Combien nous devons être certains de la victoire, quand c'est le testateur qui doit nous juger! Car si le Christ est mort pour un temps, il vit pour l'éternité 3.

19. Qu'ils disent donc de nous ce qui leur plaira, nous les aimerons même en dépit d'eux. Nous connaissons, mes frères, nous connaissons ce qu'ils savent dire; gardons-nous de nous en irriter contre eux, supportez-le patiemment avec nous. Ils voient qu'il ne leur reste aucune réplique, et ils se tournent contre nous-même, versant le blâme sur nous, disant bien des choses qu'ils savent,

1. Ps 36,39-40.- 2. 2Co 12,11. - 3. Rm 5,9.

et bien des choses qu'ils ne savent pas. Ce qu'ils savent, c'est notre passé; car, dit l'Apôtre, «nous fûmes jadis insensés, incrédules, éloignés de toute bonne oeuvre». Contre toute sagesse et avec folie nous avons donné dans une erreur funeste, nous sommes loin de le nier; et moins nous nions notre passé, plus nous bénissons Dieu qui nous l'a pardonné. Pourquoi donc, ô hérétique, abandonner ta cause pour te prendre à un homme? Qui suis-je, moi? qui suis-je? Est-ce que je suis l'Eglise catholique? est-ce que je suis l'héritage du Christ répandu chez toutes les nations? Il me suffit d'être dans cette Eglise. Tu me reproches mes fautes passées, que fais-tu là de si bien? Je suis pour mes fautes plus sévère que tu ne peux l'être, et ce que tu blâmes, je l'ai condamné. Puisses-tu m'imiter un jour, afin que ton erreur soit aussi du passé! Mes fautes passées, on les connaît principalement dans cette ville. Ici, je l'avoue, j'ai vécu dans le désordre; et plus la grâce que Dieu m'a faite m'est un sujet de joie, plus mon passé, que dirai-je? me cause de douleur. Oui, ce serait de la douleur s'il durait encore. Mais que dirai-je? qu'il me réjouit? je ne puis le dire; plût à Dieu que je n'eusse jamais été de la sorte! Mais ce que j'étais, grâce au Christ, je ne le suis plus. Quant à ce qu'ils blâment du présent, ils ne le connaissent pas. Il y a sans doute en moi quelques défauts à blâmer, mais les connaître est une grande prétention de leur part. Je fais de grands efforts dans le secret de mes pensées, pour combattre les désirs mauvais; j'ai des luttes bien longues, presque incessantes contre les assauts de l'ennemi qui cherche ma perte. Je gémis devant Dieu, dans ma faiblesse; et il sait ce qu'enfante mon coeur, lui qui connaît ce que je dois produire. «Peu m'importe», dit l'Apôtre, «que je sois jugé par vous ou au tribunal d'un homme; mais je ne me juge point moi-même». Je me connais mieux qu'eux, et Dieu mieux que moi. Je demande au Christ qu'ils n'aient rien à vous reprocher à cause de moi. Car ils disent: Quels sont ces gens? d'où viennent-ils? nous les avons vus dans le dérèglement; qui les a baptisés? S'ils nous connaissent bien, ils savent que nous avons autrefois passé la mer. Ils savent que nous avons vécu en pays étranger, et que nous en sommes revenu autre


1. Tt 3,3

392

que nous n'étions parti. Ce n'est point ici que nous avons été baptisé; mais l'Eglise dans laquelle nous avons été baptisé 1, est célèbre dans l'univers entier. Il y a plusieurs de nos frères qui connaissent que nous avons reçu le baptême, parce qu'ils l'ont reçu avec nous. Il est aisé de savoir tout cela, pour peu que nos frères eu soient dans l'inquiétude. Mais serait-ce satisfaire les Donatistes que leur apporter le témoignage d'une Eglise avec laquelle ils ne communiquent pas? C'est avec raison qu'ils ignorent qu'au-delà des mers j'ai été baptisé dans le Christ, puisqu'au-delà des mers ils n'ont point de Christ. Celui-là seul possède le Christ au-delà des mers, qui est outre-mer en communion avec l'Eglise universelle. Comment un Donatiste pourrait-il savoir où j'ai été baptisé, lui dont la communion passe à peine la mer? Toutefois, mes frères, que leur dirai-je? Pensez de moi comme il vous plaira: si je suis bon, je suis froment dans l'Eglise du Christ; si je suis mauvais, je ne suis que paille dans l'Eglise du Christ, et néanmoins je ne sors pas de l'aire. Mais toi, emporté dehors par le vent de la tentation, qui es-tu? Le vent n'emporte pas le froment hors de l'aire; par le lieu où tu es, reconnais ce que tu vaux.

20. Mais, me diras-tu, qui es-tu donc pour tant parler contre nous? Qui que je sois, fais attention aux paroles, non à celui qui parle. Pourtant, diras-tu, le Seigneur a dit au pécheur: «Pourquoi ouvrir la bouche pour parler de mon alliance 2?» Que Dieu parle ainsi, je le sais, il y a une sorte de pécheurs auxquels Dieu le dit avec raison; mais à quelque pécheur qu'il tienne ce langage, s'il le fait, c'est qu'il ne sert de rien au pécheur de parler de la loi de Dieu. Mais cela ne peut-il être avantageux à ceux qui l'écoutent? Selon Jésus-Christ nous avons dans l'Eglise deux sortes de prédicateurs, des bons et des méchants. Que disent les bons en prêchant : «Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ 3?» Qu'est-il dit aux bons? : «Soyez l'exemple des fidèles 4». Voilà ce que nous tâchons d'être; ce que nous sommes, celui-là le sait qui entend nos gémissements. Toutefois il est dit à propos des méchants: «Les

1. Voy. liv. IX des Confes. ch. 6. - 2. Ps 149,16. -  3. 1Co 4,10. - 4. 1Tm 4,12

scribes et les pharisiens sont assis sur la «chaire de Moïse; faites ce qu'ils vous disent et non ce qu'ils font 1».Tu le vois, dans la chaire de Moïse, à laquelle a succédé la chaire du Christ, on voit s'asseoir des bons et des méchants; mais en disant le bien, ils ne nuisent pas à l'auditeur. Pourquoi donc as-tu abandonné la chaire à cause du méchant qui s'y assied? Reviens à la paix, reviens à la concorde qui ne t'est point nuisible. Si mes paroles sont bonnes, mes oeuvres bonnes, imite-moi; si je ne fais pas le bien que je prêche, tu as le conseil du Seigneur; fais ce que je dis, évite ce que je fais; mais ne te sépare point de la chaire catholique. Voilà qu'au nom du Christ nous allons partir, et ils vont parler beaucoup. Qui les arrêtera? Méprisez tout ce qui regarde notre personne. Ne leur dites que ceci: Mes frères, répondez à la question; l'évêque Augustin est dans l'Eglise catholique; il porte sa besace dont il rendra compte à Dieu; je l'ai vu parmi les bons; s'il est mauvais, il le sait; s'il est bon, ce n'est pas même en lui que j'espère. J'ai appris avant tout, dans l'Eglise catholique, à ne pas mettre mon espoir dans un homme. Vous avez donc raison, vous autres, de reprendre les hommes, puisque c'est dans l'homme que repose votre espoir. Oui, quand ils accuseront notre vie, méprisez tout cela. Nous savons quelle placet nous avons dans vos coeurs, parce que nous savons quelle place vous occupez dans le nôtre. Ne prenez point contre eux notre parti. Quoi qu'ils vous disent de nous, passez vite, de peur que, en vous fatiguant à me défendre, vous n'abandonniez votre propre cause. Ils agissent avec adresse; et, dans la craince qu'on n'aborde la discussion de leur cause, ils s'efforcent de nous détourner ailleurs, afin que, tout entiers à nous justifier, nous ne puissions rien dire pour les convaincre. Vous dites que je suis mauvais, et j'en dis bien plus de moi-même; laissez là ce sujet, traitons la question même, écoutez la cause de l'Eglise et voyez où vous en êtes, Que la vérité vous parle de tous côtés, écoutez-la avec avidité; de peur que le pain ne vous manque à jamais, quand vous cherchez toujours à blâmer, à dédaigner, à calomnier le vase dans lequel on vous le présente.

1. Mt 23,2-3.







Augustin, les Psaumes 373