Augustin, les Psaumes 82

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXI - JUGEMENT DE DIEU CONTRE LA SYNAGOGUE.

82 Ps 82


Dans ce psaume Asaph signifie la synagogue, dont les fils étaient les fils adoptifs de Dieu. C'est au milieu d'eux que Dieu a pris séance. Ce Dieu est le Fils envoyé aux brebis d'Israël, issu des patriarches comme ceux qu'il vient juger. Il a fait le discernement en permettant qu'une partie d'Israël tombât dans l'aveuglement, jusqu'après l'entrée des nations Dieu reproche aux uns d'avoir tué l'héritier de la vigile, aux autres, qui étaient en grand nombre, de ne l'avoir point défendu. Toutefois ni les uns, ni les autres n'ont vu en lui le Christ. De sa mort vient cet ébranlement de la terre à la parole des Apôtres, et qui fit mépriser la terre mur le ciel. Le Christ est venu combattre l'orgueil par ‘humilité, et si nous n'embrassons cette humilité nous mourrons comme des hommes terrestres, nous tomberons comme les princes du monde. Levez-vous donc, Seigneur, et jugez la terre, afin d'en prendre possession.

1. «Psaume pour Asaph». Ce titre que nous trouvons aussi, dans plusieurs autres psaumes, désigne ou bien le nom de celui qui l'a composé, ou du moins ce que figure ce même nom, en sorte que nous pouvons le rapporter à la synagogue, ainsi qu'on interprète le nom d'Asaph, d'autant plus que tel est le sens indiqué par le premier verset. C'est ainsi qu'il commence: «Dieu a pris séance dans l'assemblée des dieux». Et par ces dieux n'allons pas comprendre les dieux des nations, comme les idoles, ou toute autre créature céleste ou terrestre qui ne serait point l'homme; puisque peu après ce verset, le même psaume nous désigne plus clairement ceux que nous devons entendre par ces dieux dans l'assemblée desquels le Seigneur a pris séance: «Je l'ai dit», s'écrie le Prophète, « vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut, et néanmoins vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes 2». C'est donc dans la synagogue de ces fils du Très-Haut, dont le Très-Haut lui-même disait par la bouche du prophète Isaïe : «J'ai nourri des enfants, je les ai élevés, puis ils m'ont

1. Ps 81,1. - 2. Ps 6,7

méprisé 1», c'est là que Dieu s'est assis. Par «la synagogue» nous entendons le peuple juif, car c'est à eux qu'appartient ce nom de synagogue, bien qu'on le donne parfois à l'Eglise. Toutefois les Apôtres n'ont jamais donné le nom de synagogue, mais bien celui d'Eglise à notre assemblée; soit qu'ils aient voulu distinguer l'une de l'autre, soit qu'il y ait réellement cette différence entre le rassemblement qu'on nomme synagogue et la convocation qui prend le nom d'Eglise, que l'on rassemble les animaux, d'où leur est venu ce nom de troupeau qui leur est propre, tandis que l'on convoque principalement des êtres doués de raison tels que les hommes. C'est pourquoi il est dit d'Asaph lui-même, dans un autre psaume : « Je suis devenu devant vous comme l'animal stupide, et je suis toujours avec vous 2». Et en effet, quoique soumis en apparence au seul Dieu véritable, il donnait néanmoins la préférence aux biens charnels, terrestres et temporels qu'il lui demandait comme les principales richesses. Nous voyons aussi que l'Ecriture leur donne souvent le nom de fils, non plus dans le sens de cette grâce qui appartient au

1 Is 1,2.- 2. Ps 72,23

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Nouveau Testament, mais bien dans la faveur de l'Ancien. C'était aussi une faveur de Dieu qui lui faisait choisir Abraham, pour le rendre père d'une si nombreuse postérité; aimer Jacob, et haïr Esaü, avant qu'ils fussent nés; délivrer son peuple de l'Egypte, pour l'introduire dans cette terre promise d'où il avait chassé les Gentils. S'il n'y avait point là une grâce, quand il s'agit de nous qui avons reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu 1, non pour acquérir un royaume temporel, mais le royaume des cieux, le même Evangile ne dirait pas un peu après, que nous avons reçu grâce pour grâce 2,c'est-à-dire les promesses du Nouveau Testament, au lieu des promesses de l'Ancien. Nous voyons évidemment, je pense, dans quelle synagogue a pris séance le Dieu des dieux.

2. Cherchons maintenant si c'est le Père, ou le Fils, ou le Saint-Esprit, ou la sainte Trinité elle-même, qui s'est assis «dans la synagogue des dieux, qui a pris place pour les juger». Chaque personne est Dieu en effet, et la Trinité n'est qu'un seul Dieu. C'est un point qu'il n'est pas facile d'éclaircir; car, on ne peut le nier, ce n'est point d'une manière corporelle que Dieu est présent dans les créatures, mais d'une manière spirituelle qui convient à sa substance, manière tout à fait admirable, et que comprennent à peine quelques intelligences. C'est en ce sens que le même Prophète a dit ailleurs: «Si je monte aux cieux, vous y êtes; si je descends aux enfers, vous voilà 3». Dieu donc se trouve dans l'assemblée des hommes d'une manière invisible, comme il remplit le ciel et la terre, ainsi qu'il le dit lui-même par son Prophète 4. Cela est non-seulement évident, mais l'esprit humain, nonobstant sa faiblesse, comprend que Dieu se trouve dans tout ce qu'il a créé, pourvu que l'homme se tienne ferme, et qu'il l'écoule, et qu'il tressaille de joie à sa voix intérieure 5. Ce psaume toutefois, autant que j'en puis juger, semble préciser un fait qui, depuis un certain temps, a motivé la présence de Dieu dans la synagogue des dieux. Car cette présence dans le ciel et sur la terre, n'est point particulière à la synagogue, et ne change point avec le temps. Donc ce «Dieu qui s'est assis dans la synagogue des dieux», est bien celui qui a dit

1. Ml 1,2-3. - 2. Jn 1,12-16. - 2. Ps 138,8. - 3. Jr 23,24. - 4. Jn 3,29

de lui-même «Je ne suis envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui sont perdues 1». Le Prophète nous en dit la raison: c'est «pour juger les dieux, au milieu d'eux». Je le reconnais donc; Dieu s'est assis dans la synagogue des dieux, «issus des patriarches, et dont le Christ est né selon la chair». Car il n'a pris parmi eux une naissance charnelle, qu'afin que Dieu se trouvât dans la synagogue des dieux. Mais quel est ce Dieu? Car il n'est pas semblable aux dieux parmi lesquels il s'assied: aussi, comme l'a dit saint Paul, ce Dieu est-il «par-dessus toutes choses béni dans tous les siècles 2». Je reconnais, dis-je, que Dieu s'est assis, je reconnais au milieu, ce Dieu qui est l'Epoux, et dont l'ami a dit: «Il en est un au milieu de vous, que vous ne connaissez point 3». Car «ils ne l'ont point connu», dit peu après notre psaume: «Ils ne l'ont point su, ils n'ont point l'intelligence, ils marchent dans les ténèbres». A son tour l'Apôtre nous dit qu' «une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement, jusqu'à ce que la plénitude des nations entrât 4». Ils le voyaient donc présent au milieu d'eux, mais ils ne voyaient pas en lui un Dieu tel qu'il voulait paraître, et qui disait: «Celui qui me voit, voit aussi mon Père 5». Le discernement qu'il fait des dieux n'a point pour base leurs mérites, mais sa grâce; car de la même masse d'argile il tire des vases destinés à la gloire, d'autres destinés à l'opprobre 6. Quel est en effet celui qui te discerne? Qu'as-tu que tu n'aies pas reçu? Si donc tu as reçu, pourquoi te glorifier, comme si tu n'avais point reçu 7?

3. Ecoute encore la voix de ce Dieu qui fait le discernement, écoute la voix du Seigneur, qui divise la flamme du feu 8 : «Jusques à quand jugerez-vous injustement, et accueillerez-vous le visage des méchants 9?» C'est ainsi que le Prophète a dit ailleurs: «Jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis 10?» Jusqu'à l'avènement de Celui qui est la lumière du coeur. Je vous ai donné une loi, vous y avez opposé une obstination inflexible; je vous ai envoyé des Prophètes, et vous les avez accablés d'outrages, ou mis à mort, ou applaudi à ceux qui le faisaient.

1. Mt 15,24. - 2. Rm 9,5. - 3. Jn 1,26. - 4. Rm 11,25.- 5. Jn 14,9.-6. Rm 9,21. - 7. 1Co 4,7.- 8. Ps 28,7. - 9. Ps 81,2. - 10. Ps 4,3

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Mais si des hommes qui ont fait mourir les envoyés de Dieu ne méritent pas qu'on leur adresse la parole, vous qui avez gardé le silence pendant ces cruautés, c'est-à-dire, vous qui avez voulu imiter, comme s'ils eussent été innocents, ceux qui se taisaient alors : « Jusques à quand jugerez-vous injustement, et prendrez-vous le visage des pécheurs?»Voulez-vous aujourd'hui encore tuer l'héritier qui vient? N'est ce point lui qui a voulu pour vous être sans père comme un orphelin? N'est-ce point pour vous qu'il a enduré la faim et la soif comme un pauvre? N'est-ce point lui qui vous a dit: « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur 1?» N'est-ce point lui qui, étant riche, s'est fait pauvre pour l'amour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté 2? «Rendez donc justice à l'orphelin et à l'indigent, prenez en main la cause de l'homme faible et du pauvre 3». Proclamez la justice, non point de ceux qui sont riches et orgueilleux pour eux-mêmes, mais de celui qui a daigné se faire humble et pauvre pour l'amour de vous.

4. Mais, hélas ! ils lui porteront envie, et loin de l'épargner, ils diront: «Voici l'héritier, tuons-le, et l'héritage sera pour nous 4». «Arrachez donc le pauvre à l'oppression, et délivrez l'indigent de la main du pécheur 5». Ainsi dit le Prophète, afin que dans ce peuple où est né le Christ et où il est mort, on sache qu'ils n'ont pas été innocents d'un si grand crime, ceux dont le nombre allait, selon le langage de l'Evangile, jusqu'à inspirer aux Juifs la crainte de n'oser mettre la main sur le Christ 6, et qui en vinrent ensuite à une telle connivence, qu'ils l'abandonnèrent à la criminelle jalousie des princes des Juifs, quand ils pouvaient, s'ils l'eussent voulu, se faire redouter et empêcher que l'on mit la main sur lui. C'est d'eux qu'il est dit ailleurs: « Ces chiens muets n'ont su aboyer 7». Et cette autre parole: « Ainsi périt le juste, et nul n'y fait attention 8». Il a péri, en effet, autant qu'il était au pouvoir de ceux qui voulaient sa perte comment eût-il pu périr en mourant, celui qui recherchait ainsi ce qui avait péri? Or, si le Prophète adresse un reproche si sévère et

1. Mt 11,29.- 2. 2Co 8,9.- 3. Ps 81,3.- 4. Mt 21,31.- 5. Ps 71,4. - 6. Lc 22,2. - 7 Is 57,10. - 8. Is 57,1

si juste à ceux dont le silence a permis de commettre un tel crime : quels reproches, ou plutôt quels châtiments ne mériteront point ceux qui l'ont accompli par malice et de propos délibéré?

5. Toutefois le verset suivant leur convient admirablement à tous: «Ils n'ont point su, ils n'ont point compris, ils marchent dans les ténèbres 1». Car si les uns l'eussent connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire 2,et si les autres l'eussent connu, ils n'auraient jamais consenti à demander la délivrance de Barabbas, et la mort du Christ. Mais comme nous l'avons dit, «une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement, jusqu'à ce que la plénitude des nations entrât 3». C'est par l'aveugleraient de ce peuple, qu'après la mort du Christ, «tous les fondements de la terre ont été ébranlés». Ils ont donc été ébranlés et le seront encore, jusqu'à ce que soit entrée cette plénitude des nations, marquée dans la prédestination de Dieu. Car à la mort du Christ, la terre trembla, les pierres se fendirent 4. Et si nous entendons par les fondements de la terre ceux qui jouissent ici-bas de grands biens, c'est avec raison que le Prophète prédit ici leur trouble, car ils ne verront qu'avec étonnement les hommes aimer et embrasser l'humilité, la pauvreté, la mort, qui leur paraissent une affreuse misère dans le Christ; ou bien eux-mêmes, à leur tour, mépriseront les vaines félicités d'ici-bas, pour aimer et embrasser ce genre de vie, Ainsi s'ébranlent les fondements de la terre, quand les uns admirent ces changements, et que les autres les éprouvent en eux-mêmes. C'est ainsi que nous appelons avec quelque raison, fondements du ciel, les saints et les fidèles, qui entrent dans l'édifice du royaume des cieux, et que l'Ecriture en nomme les pierres vivantes 5,et dont la base primitive est le Christ né d'une vierge, et dont l'Apôtre a dit: «Nul ne peut poser un autre fondement s que celui qui a été posé, et ce fondement c'est Jésus-Christ 6». Viennent ensuite les Apôtres, les Prophètes, dont l'autorité affermit le céleste édifice, afin qu'en marchant à leur suite, nous entrions dans cette même construction. Aussi l'Apôtre dit-il aux Ephésiens: «Déjà vous n'êtes plus des étrangers et des

1. Ps 81,5. - 2. 1Co 2,8. - 3. Rm 11,25. - 4. Mt 27,51. - 6. 1P 2,5. - 7. 1Co 3,11

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hôtes, mais vous êtes de la cité des saints, et de la maison de Dieu; établis sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, et dont Jésus-Christ lui-même est la principale pierre de l'angle. C'est sur lui que tout l'édifice construit s'élève en un temple consacré au Seigneur 1». C'est en ce sens que nous pouvons appeler fondements de la terre ceux dont les hommes envient sur la terre la puissance et le bonheur, et dont l'autorité les porte à désirer ces mêmes biens terrestres, et en les acquérant ils paraissent élever terre sur terre, comme l'édifice supérieur est ciel sur ciel. Aussi est-il dit au pécheur: « Tu es terre, et tu retourneras en terre 2»; et encore: « Les cieux racontent la gloire de Dieu, quand leur voix se fait entendre dans tout le monde, et que leurs paroles gagnent les confins de la terre 3».

6. Or, le règne de la félicité ici-bas n'est qu'orgueil; cet orgueil qu'est venu combattre l'humilité du Christ, en faisant ces reproches à ceux qu'il veut rendre par l'humilité enfants du Très-Haut: « J'ai dit: Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut. Et toutefois vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes 4». Soit qu'en disant: «Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut»; il s'adresse à ceux qu'il a prédestinés à la vie éternelle; et qu'il dise aux autres: «Pour vous, vous mourrez comme u des hommes, vous tomberez comme un des princes», faisant ainsi un discernement entre les dieux eux-mêmes; soit qu'il leur adresse à tous un même reproche, afin de discerner ensuite ceux qui se corrigeront par l'obéissance; «Pour moi», dirait-il, « je l'ai dit : Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut»: c'est-à-dire, je vous ai promis à tous le bonheur céleste: «Mais vous , à cause de la faiblesse de la chair»,

1. Ep 2,19-22 - 2. Gn 3,19. - 3. Ps 18,2-5 - 4. Ps 81,6-7

vous mourrez comme des hommes», et l'orgueil de votre coeur «vous fera non plus vous élever, mais bien tomber comme un des princes», c'est-à-dire comme le démon. Comme s'il disait: Telle est la brièveté de votre vie, que vous mourez avec la même rapidité que les autres hommes, et pourtant cela ne vous corrige point mais comme le diable, dont les jours sont nombreux en ce siècle, puisqu'il n'est point revêtu d'une chair mortelle, vous vous élevez de manière à tomber. C'est par l'orgueil du démon que les princes des Juifs se sont aveuglés jusqu'à être perfidement jaloux de la gloire du Christ; tel est le vice qui a porté et qui porte encore à mépriser un Christ qui s'abaisse jusqu'à la mort de la croix, des hommes qui aiment l'éclat du monde.

7. C'est donc pour guérir cette plaie que le Prophète a dit en son propre nom: «Levez-vous, ô Dieu, et jugez la terre 1». La terre s'est enflée d'orgueil quand on vous a crucifié: levez-vous d'entre les morts, et jugez la terre. «Car vous exterminerez dans toutes les nations»; et que devez-vous exterminer, sinon la terre? c'est-à-dire ceux qui ont des goûts terrestres, soit que vous détruisiez, dans les fidèles, tout orgueil et toute affection pour la terre, soit que vous sépariez d'eux les fidèles, comme une terre qu'il faut oublier et fouler aux pieds. C'est ainsi que Dieu juge la terre, et la détruit parmi les peuples, au moyen de ses membres dont la conversation est dans le ciel. N'oublions pas de le remarquer, dans plusieurs exemplaires: «Parce que toutes les nations seront votre héritage», ce qui peut très-bien s'adapter avec notre sens, et rien n'empêche d'accepter l'un et l'autre. Car on entre dans son héritage par la charité que Dieu cultive, dans sa miséricorde, par sa grâce et ses préceptes, afin de détruire toute affection mondaine.

1. Ps 81,8



DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXII - CHANT DE L'ÉGLISE POUR LE JUGEMENT.

83 Ps 83


Asaph signifie synagogue: alors le peuple de Dieu qui chante sa victoire sur ses ennemis, serait l'allégorie du peuple chrétien qui triomphera au dernier jugement, et qui dit au Christ Qui sera semblable à vous, vous que les hommes ont méconnu au point de vous juger, lorsque vous viendrez les juger dans votre gloire? Les ennemis de Dieu seront tumultueux et auront pour chef le démon, que le Christ tuera du souffle de sa bouche; ainsi s'évanouiront leurs complots, leur désir de détruire le peuple de Dieu. En vain sera-t-il leur chef, ils périront comme les princes de Chanaan. Loin d'assujettir le peuple du Seigneur, il leur faudra se soumettre à la vérité, et devenir comme la paille que le vent emporte, comme une forêt incendiée, use montagne embrasée. Et toutefois leur confusion deviendra salutaire, car plusieurs se convertiront.

1. Voici le titre du psaume: «Chant du psaume pour Asaph 1-».Or, nous l'avons dit souvent, Asaph signifie assemblée. Donc cet homme qui portait le nom d'Asaph était dans le titre de plusieurs psaumes la figure du peuple de Dieu. Mais en grec, une assemblée s'appelle synagogue, nom qu'a retenu d'une manière particulière le peuple juif, au point de s'appeler la synagogue, comme le peuple chrétien s'appelle plus communément l'Eglise, qui est aussi une assemblée.

2. C'est donc le peuple de Dieu, qui s'écrie dans ce psaume: « O Dieu, qui sera semblable à vous 2?» Parole que l'on ne peut mieux entendre selon moi que du Christ, car s'étant rendu semblable aux autres hommes, il a été regardé comme nu homme ordinaire par ceux qui l'ont méprisé 3. Mais alors il venait pour être mis en jugement; au contraire, quand il viendra pour juger, alors s'accomplira cette parole: «O Dieu,qui est semblable à vous?» Si le langage des psaumes ne s'adressait pas souvent au Christ Notre-Seigneur, nous n'y trouverions pas cette parole, que nul fidèle n'a hésite à lui appliquer: «Votre trône, ô Dieu, est dans les siècles des siècles, le sceptre de l'équité est le sceptre de votre empire: vous avez aimé la justice et haï l'iniquité; aussi votre Dieu vous a-t-il oint, ô Dieu, d'une huile de joie, plus que tous ceux qui doivent la partager 4». C'est à ce même Christ qu'il est dit maintenant: «O Dieu, qui sera semblable à vous?» Vous avez voulu, dans votre humilité, devenir semblable à beaucoup d'autres, et même aux

1. Ps 82,1. - 2. Ps 82,2. - 3 Is 53,12.- 4. Ps 44,7-8

voleurs crucifiés avec vous 1; mais quand vous viendrez dans votre splendeur, «qui sera semblable à vous?» Qu'y aurait-il d'extraordinaire à dire à Dieu: «Qui sera semblable à vous?» si cette parole ne s'adressait à ce Dieu qui a voulu devenir semblable aux hommes, qui a pris la forme de l'esclave, s'est rendu semblable aux autres hommes, et a été reconnu pour un homme dans ce qui a paru de lui 2. Aussi le Prophète ne dit-il point: Qui est semblable à vous? comme il devrait le dire si son langage s'adressait à la divinité. Mais comme ce langage s'adresse à la forme de l'esclave, ce Christ n'apparaîtra différent des autres hommes que quand il viendra dans sa gloire. C'est pourquoi le Prophète ajoute: «Ne vous taisez point, ne demeurez point dans l'inaction». D'abord il s'est tu quand il a été jugé; quand, semblable à l'agneau devant celui qui le tond, il a été sans voix, il n'a pas ouvert la bouche 3,et a fait taire sa puissance. Et pour montrer qu'il faisait taire cette puissance, avec ce seul mot: «C'est moi 4», il fit reculer et tomber à terre ceux qui le cherchaient pour le saisir. Comment donc pourrait-on le saisir et le mettre à mort, s'il ne se comprimait, et pour ainsi dire, ne s'adoucissait lui-même? Quelques-uns, en effet, ont traduit cette parole: «Ne restez point dans l'inaction», comme s'il y avait: «Ne vous adoucissez point, ô Dieu !» Lui-même dit ailleurs: «Je me suis tu, me tairai-je toujours?» Et le Prophète qui lui dit: «Ne

1. Lc 23,33. - 2. Ph 2,7. - 3 Is 53,7. - 4. Jn 18,5-6. - 5 Is 42,14

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gardez point le silence», dit ailleurs, en parlant de lui: «Dieu, notre Dieu, viendra dans sa gloire, et ne se taira point 1». Il est dit ici: « Ne gardez point le silence». Car il l'a gardé quand il est venu sans être connu, et pour être jugé; mais il ne le gardera point quand il viendra dans sa gloire pour juger le monde.

3. «Car voici que vos ennemis s'assembleront en tumulte, et ceux qui vous haïssent ont levé la tête 2». Le Prophète me paraît faire ici allusion aux derniers temps, alors que s'échappera librement ce que la crainte retient dans les coeurs, et s'échappera dans une telle confusion que ce sera plutôt un bruit qu'une parole ou un discours. Ce ne sera point alors qu'ils commenceront à haïr, mais après vous avoir haï, ils lèveront la tête. Non point leurs têtes, mais «la tête», parce qu'ils en viendront à n'avoir d'autre chef que celui qui s'élève contre tout ce que l'on appelle Dieu, ce que l'on adore comme Dieu; en sorte que s'accomplit principalement en lui cette parole: «Quiconque s'élève sera humilié 3», alors que ce Dieu «qui ne doit ni se taire ni s'adoucir» le tuera du souffle de sa bouche, et le détruira par l'éclat de sa présence 4.

4. «Ils ont formé des desseins méchants», ou, comme portent certains exemplaires, «des complots pleins d'artifice contre votre peuple, et ont conspiré contre vos saints 5». Ceci est une ironie; comment pourrait-on nuire au peuple de Dieu, à sa famille, à des saints qui savent dire: «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous 6?»

5. «Ils ont dit: Venez, exterminons-les du milieu du peuple 7». Le singulier est mis ici pour le pluriel; comme on dit: A qui est ce bétail, même en parlant d'un troupeau, et l'on comprend par là tous les bestiaux. Dans quelques exemplaires, il y a «des nations», parce que les traducteurs ont plutôt suivi le sens que l'expression. «Venez, exterminons-les du milieu du peuple». C'est là le son dont parlait le Prophète, et qui est plutôt un bruit confus qu'une parole; vain bruit, vaines imprécations ! «Et qu'à l'avenir «on ne se rappelle plus le nom d'Israël». D'autres ont dit plus clairement: «Qu' il ne soit plus fait mention d'Israël à l'avenir».

1. Ps 49,3.- 2. Ps 82,3.- 3. Lc 14,11.- 4. 2Th 2,4-8. - 5. Ps 82,4. - 6. Rm 8,31. - 7. Ps 82,5

Car, memoretur nominis, se rappeler du nom, est une locution vicieuse et inusitée; il est mieux de dire, se rappeler le nom, mais le sens est le même. Celui qui a traduit: Memoretur nominis, a suivi l'expression grecque. «Israël» s'entend ici de toute la race d'Abraham, à qui l'Apôtre a dit: «Vous êtes la postérité d'Abraham, les héritiers selon la promesse 1». Ce n'est donc point l'Israélite charnel, dont le même Apôtre a dit: « Voyez Israël selon la chair 2».

6. « Ils ont formé une ligue, ils ont fait contre vous un testament 3», comme s'ils pouvaient l'emporter. Par testament, l'Ecriture n'entend pas seulement cet acte qui n'a de valeur qu'à la mort du testateur; mais elle donne ce nom à toute convention, à tout accord. Laban et Jacob avaient fait un testament 4, et pourtant cette convention ne devait durer que pendant leur vie; on trouve une infinité de ces expressions dans les pages révélées.

7. Le Prophète marque ensuite les ennemis du Christ sous quelques noms des Gentils; et le sens de ces noms nous marque assez ce qu'il veut nous faire entendre, car ces noms s'appliquent parfaitement aux ennemis de la vérité. Les Iduméens signifient des hommes sanguinaires ou terrestres; les Ismaélites obéissent à eux-mêmes, non pas à Dieu, mais à eux. Moab, ou de sou père, ce que nous ne pouvons mieux comprendre qu'en nous rappelant l'histoire de cette fille de Loth, qui usa criminellement de son père, et en conçut un fils, que cette union incestueuse fit appeler Moab 5. Un père est bon, mais comme la loi, si l'on en use d'une manière légitime, et non d'une manière criminelle et incestueuse 6. Les Agaréniens signifient les prosélytes, ou les étrangers; entre les ennemis du peuple de Dieu, ce nom s'appliquerait, non plus à ceux qui en deviennent les citoyens, mais bien à ceux qui conservent chez lui un sentiment étranger et venu d'ailleurs, et qui se montrent dès qu'ils trouvent l'occasion de nuire. Gebal signifie une vallée vaine, une fausse humilité. Ammon, un peuple troublé, un peuple d'affliction. Amalech un peuple qui lèche, de là vient cette expression: « Ses ennemis lécheront la terre 7». Les étrangers, bien que ce nom seul indique un peuple

1. Ga 3,29. - 2. 1Co 10,18.- 3. Ps 82,6.- 4. Gn 31,44. - 5. Gn 19,36-37. - 6. 1Tm 1,8.- 7. Ps 71,9

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hétérogène et par conséquent ennemi, se disent en hébreu des Philistins, et signifient des hommes qui tombent de boisson, comme ceux qu'enivrent les plaisirs du monde. Tyr s'appelle Sor en hébreu, ce qui signifie angoisse ou tribulation, ce qu'il faut entendre dans le sens dont l'Apôtre a dit des ennemis de Dieu: « Angoisse et tribulation contre tout homme qui fait le mal 1». Tous les ennemis sont donc marqués dans ce verset du psaume: «Les Iduméens sous leurs tentes et les Israélites, Moab et les Agaréniens, Gésbol, Ammon et Amalech, et les étrangers et les habitants de Tyr 2».

8. Et comme pour nous expliquer ce qui rend ces peuples ennemis du peuple de Dieu, le Prophète ajoute: «Car Assur est venu avec eux 3». Or, Assur peut s'entendre au figuré du diable qui agit sur les enfants de la rébellion 4, comme sur ses instruments, afin d'attaquer le peuple de Dieu. «Ils sont venus au secours des enfants de Loth»,dit le Prophète, parce que tous ces ennemis, excités par le démon, qui est leur prince, «ont prêté leur secours aux fils de Loth», qui signifie celui qui se détourne. Or, les anges apostats peuvent bien se nommer les fils de celui qui se détourne, puisqu'ils se sont détournés de la vérité pour devenir les satellites du démon. C'est d'eux que l'Apôtre a dit: «Nous avons combattre, non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans les airs 5». C'est à ces esprits invisibles que viennent en aide les hommes infidèles, dont ils se servent pour combattre lu peuple de Dieu.

9. Voyons maintenant les imprécations du Prophète, qui sont des prédilections plutôt que des malédictions. «Traitez-les», dit-il «comme Madian et Sisara,comme Jabin au torrent de Cison. Ils ont péri à Endor, ils sont devenus comme le fumier de la terre. L'histoire eu est témoin, le peuple d'Israël, qui était alors le peuple de Dieu, vainquit et réduisit tous ces peuples 7,et ceux que le Prophète énumère ensuite: «Traitez leurs princes comme Oreb et Zeb, et Zébée et Salmana 8». Or, voici l'interprétation de ces

1. Rm 2,9. - 2. Ps 82,8. - 3. Ps 82,9. - 4. Ep 2,2. - 5. Ep 6,12. - 6. Ps 82,10-11. - 7. Jg 4,15-16. - 8. Ps 82,12

noms. Madian signifie, qui décline le jugement; Sisara, l'exclusion de la joie; Jabin, Sage. Mais parmi ces ennemis que dompta le peuple de Dieu, ou doit entendre par sage, celui dont l'Apôtre a dit: «Où est le sage, où est le scribe, où est le savant du siècle 1?» Oreb, la sécheresse, Zeb, le loup; Zébée, la victime, mais du loup,car il a aussi ses victimes Salmana, l'ombre de la commotion. Tous ces noms conviennent admirablement aux méchants, que le peuple de Dieu doit vaincre par le bien. Cison est le torrent qui vit leur défaite, et qui désigne leur dureté; Endor, où ils périrent, est la fontaine de la génération, mais de cette génération charnelle, à laquelle ils s'adonnaient pour leur perte, tandis qu'ils négligeaient la régénération qui conduit à cette vie dans laquelle on ne connaît ni époux ni épousé, car on n'est plus assujetti à la mort 2. C'est donc avec raison que le Psalmiste a dit de ces hommes, qu' « ils sont devenus commue le fumier de la terre», puisqu'ils n'ont pu produire qu'une fécondité terrestre. Ces peuples donc vaincus par le peuple de Dieu, figuraient ces ennemis dont le Prophète invoque la soumission à la vérité.

10. Tous ces princes ont dit: Le sanctuaire «de Dieu deviendra notre héritage 3». Vaines clameurs, qu'ils « ont fait retentir vos ennemis», comme l'a dit le Prophète; mais que faut-il entendre par ce sanctuaire de Dieu, sinon ce même temple, dont l'Apôtre a dit: « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 4?» Que veulent en effet les ennemis de Dieu, sinon assujettir son peuple, le subjuguer, l'assouplir à leurs volontés impies?

11. Que dit ensuite le Prophète? «Mon Dieu, faites qu'ils soient comme une roue 5»; ce que l'on peut très-bien entendre ainsi: qu'ils ne soient point stables dans leurs desseins toutefois, il me semble que ces paroles: « Faites qu'ils soient comme une roue», peuvent avoir ce sens, qu'une roue élève sa partie postérieure, et abaisse sa partie antérieure. Tel est le sort des ennemis du peuple de Dieu. Le Psalmiste ne fait pas un souhait, mais une prophétie. Il ajoute même: «Comme la paille en face du vent». Il entend par la face, la présence. Quelle face peut avoir le vent, qui n'a aucune trace corporelle, et qui n'est qu'un mouvement, ou une secousse de l'air? Il

1. 1Co 1,20.- 2. Lc 20,35-36.- 3. Ps 82,13.- 4. 1Co 3,17.- 5. Ps 82,14

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s'entend ici de la tentation qui emporte les coeurs vains et légers.

12. Or, cette légèreté qui nous porte à consentir au mal, est suivie d'un effroyable tourment; de là cette parole: «Comme le feu qui embrase une vaste forêt, comme la flamme qui dévore les montagnes, vous les poursuivrez dans votre colère tempétueuse, vous les dissiperez dans votre fureur 1». La forêt marque ici la stérilité, les montagnes l'orgueil: déplorable image des ennemis de Dieu, stériles en justice, riches en orgueil. Ces mots de feu et de flamme sont une répétition l'un de l'autre, et désignent en Dieu le jugement et le châtiment. Dans cette expression «votre fureur» est une répétition de «votre colère tempétueuse», et «vous les dissiperez» une répétition de « vous les poursuivrez». Souvenons-nous toutefois que la colère de Dieu est sans aucune espèce de trouble. On appelle colère en lui, ses justes motifs de vengeance: de même que l'on pourrait appeler colère de la loi la vengeance qu'elle impose à ses ministres contre les coupables.

13. «Couvrez leur face d'ignominie, Seigneur, et ils rechercheront votre nom 2». C'est là le bien le plus désirable qui leur est annoncé: et le Prophète ne l'annoncerait point, s'il n'y avait parmi les ennemis du peuple de Dieu des hommes auxquels ce bonheur dût être accordé avant le jugement dernier; car ils sont ses ennemis, et les ennemis de Dieu ne sont associés que par leur jalousie contre te peuple de Dieu. Et aujourd'hui, ils lèvent la tête et font du bruit partout où ils peuvent; mais en quelques endroits seulement, et non d'une manière universelle, comme à la fin des siècles aux approches du jugement. Toutefois ils forment un même corps, et avec ceux qui doivent croire et les quitter pour passer au corps de l'Eglise, « heureusement pour ceux-ci que leur visage aura été couvert d'ignominie, puisqu'ils chercheront le nom du Seigneur); et avec ceux qui doivent persévérer dans leur malice, qui seront comme la paille au souffle du vent, ou comme des forêts et comme ces montagnes stériles qui deviendront la proie des flammes. C'est à eux

1. Ps 82,15-16. - 2. Ps 82,17

qu'il revient une seconde fois, en disant: «Qu'ils soient dans la confusion et dans le trouble jusqu'à la fin des siècles 1». Car ceux qui cherchent le nom du Seigneur ne seront point troublés durant les siècles des siècles: mais envisageant l'ignominie de leurs péchés, ils en seront troublés au point de chercher le nom du Seigneur, qui les tirera du trouble.

14. Le Prophète revient à ces hommes qui font partie de la société des méchants, et qui doivent passer par la confusion afin de n'être point. confondus éternellement; qui seront détruits comme méchants, afin d'être trouvés bons dans l'éternité; Car après avoir dit de ces hommes: «Qu'ils soient confondus, et qu'ils périssent»; le Prophète ajoute «Et qu'ils sachent enfin que votre nom est le Seigneur, que vous seul êtes le Très-Haut dans toute la terre 2». Qu'ils le sachent, et qu'ils soient couverts de confusion, de manière à vous être agréables: qu'ils périssent de manière à subsister encore. «Qu'ils sachent que le Seigneur est votre nom»; comme si tous les autres qui portent le nom de Seigneur, usurpaient un nom qui ne leur appartient point, parce qu'ils dominent en esclaves, et que auprès du véritable Seigneur, ils ne sont réellement point des seigneurs, dans le sens qu'il est dit: «Je suis celui qui suis 3»; comme si tout ce qui est créé n'était rien, si on le compare au Créateur. Et si le Prophète ajoute: « Vous êtes le seul Très-Haut dans toute la terre», ou, comme d'autres ont traduit, «sur toute la terre» : assurément Dieu l'est encore dans le ciel, ou sur tous les cieux, mais il a mieux aimé parler de la terre, afin d'abaisser notre orgueil: Car la terre, ou plutôt l'homme n'a plus d'orgueil, quand on lui dit: «Tu es terre 4», et: «Pourquoi t'élever, terre et cendre 5?» et qu'il connaît que le Seigneur est le Très-Haut dans toute la terre, c'est-à-dire que les pensées d'aucun homme ne peuvent prévaloir contre ceux qui sont appelés par le décret de Dieu, et dont il est dit: «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous 6?»

1. Ps 82,18.- 2. Ps 82,19. - 3. Ex 3,14.- 4. Gn 3,19. - 5. Si 10,9. - 6. Rm 8,28-31




Augustin, les Psaumes 82