Augustin, les Psaumes 892

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXVIII.

892 Ps 89,31-53

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME  (1).

SUITE DU SUJET.

Si les fils de David abandonnent le Seigneur, il ne leur retirera point sa miséricorde, il les châtiera pour les ramener, lui qui a laissé flageller son Fils. Non-seulement il ne retirera point sa miséricorde de ce Fils, mais non plus des membres de ce Fils ou les chrétiens; eux-mêmes peuvent la repousser en repoussant le châtiment. En dépit des pécheurs, Dieu ne profanera point son alliance, et il y aura des justes, parce qu'il connaît ceux qu'il a prédestinés. La race du Seigneur subsistera donc éternellement sur son trône, ou sur les membres qui portent la tête, laquelle brillera comme le soleil, ou comme une lune sans déclin, c'est-à-dire que notre chair doit briller après la résurrection; elle montrera ainsi l'accomplissement des promesses divines, comme Jésus-Christ a ressuscité sa chair pour répondre aux incrédules. Si Dieu a détruit tout ce qui concernait David selon la chair, s'il a permis la chute de Salomon, c'était pour nous faire espérer au véritable David. Ce Christ est donc retardé, et Dieu par ces ruines nous fait dire: S'il n'a point épargné tout cela, nous épargnera-t-il? Les Juifs sont devenus la proie des Gentils; Dieu en les châtiant ne les a point retenus, afin de les empêcher de fuir le châtiment; ils se sont ainsi éloignés de la foi qui purifie. Toutefois il se souvient de ta substance de David dont il a formé Marie, d'où est né le Christ, le saint, l'admirable eu qui les hommes sont purifiés; lui qui s'est délivré de la mort, qui a été persécuté dans les martyrs, qui s'est souvenu de leur opprobre, en les faisant triompher du monde, lui à qui on a reproché la mort, parce qu'on ne veut pas mourir au vieil homme. Béni soit-il, et rassemblons-nous sous ses ailes.

1. Prêtez, mes frères, votre attention au reste du psaume dont nous avons parlé ce matin, exigez de moi cette pieuse dette, et celui qui est votre Créateur et le mien s'en acquittera par mon ministère. C'est le Christ Notre-Seigneur que nous annonçait dans ses promesses prophétiques la première partie du psaume; c'est encore de lui qu'il est question dans le reste que nous allons exposer. C'est lui que regardaient en effet ces paroles entre autres: «Je l'établirai mon premier-né, bien

1. Prêchée le même jour que la première partie.

supérieur aux rois de la terre. Eternellement je lui garderai ma miséricorde, et mon alliance faite avec lui sera irrévocable; j'établirai sa race de siècle en siècle, et son trône durera comme les jours du ciel». Nous vous avons exposé ces versets, et ceux qui les précèdent depuis le commencement autant qu'il nous a été possible.

2. Voici la suite: «Si ses fils abandonnent ma loi, et ne marchent point dans mes

1. Ps 88,28-30

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préceptes; s'ils profanent ma justice et transgressent mes commandements: la verge à la main, je visiterai leurs iniquités, je frapperai leurs péchés, mais je ne retirerai point de lui totalement ma miséricorde, je ne profanerai point mon alliance, et ne rendrai point vaine la parole sortie de mes lèvres». Dieu nous donne là de solides garanties de ses promesses. Or, les fils de ce David sont les fils de l'Epoux; tous les chrétiens sont donc ses enfants. Cette promesse que Dieu fait ici est donc considérable: que «si les chrétiens», c'est-à-dire ses fils, « abandonnent ma loi», dit-il, «s'ils ne marchent point dans mes préceptes, s'ils profanent ma justice et transgressent mes commandements 1»: je ne les traiterai point avec dédain, et ne les abandonnerai point à la perdition: mais que ferai-je alors? «La verge à la main je visiterai leurs iniquités, je frapperai leurs péchés». Dieu donc met sa miséricorde, non-seulement à nous appeler, mais encore à nous frapper, à nous châtier. Que sa main paternelle soit donc sur toi, et si tu es un bon fils, ne rejette point la discipline. Quel est l'enfant que son père ne châtie point? Qu'il frappe donc, mais qu'il ne nous refuse pas sa miséricorde, qu'il réduise nos rébellions, pourvu qu'il nous admette à son héritage. Pour toi, si tu comprends bien la promesse de ton Père, ne crains point d'être châtié, mais d'être exclu de l'héritage. Car le Seigneur corrige celui qu'il aime; il châtie celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants 2. Un fils pécheur refuserait-il d'être châtié quand il voit flageller le Fils unique et sans péché? « La verge à la main», dit donc le Seigneur, «je visiterai vos iniquités» .Telle est encore la menace de saint Paul : « Que voulez-vous? Dois-je venir la verge à la main 3?» A Dieu ne plaise que des fils dévoués répondent: Si vous devez venir la verge à la main, ne venez point! Il vaut mieux s'instruire par la main d'un père qui châtie, que d'être la proie d'un séducteur qui vous flatte.

3. «La verge à la main»,dit le Seigneur, «je visiterai leurs iniquités, et je frapperai leurs péchés, mais je ne retirerai point de lui totalement ma miséricorde 4». De qui? De ce même David à qui j'ai fait de telles promesses, que j'ai oint de mon huile sainte plus que tous ceux qui partagent sa gloire 5.

1. Ps 78,31-32. - 2. He 3,5-7. - 3. 1Co 4,21. - 4. Ps 88,33-34 - 5. Ps 44,8

Connaissez-vous celui à qui Dieu ne retirera point sa miséricorde? Que nul dans sa crainte aie vienne dire: Puisque c'est du Christ que le Seigneur promet de ne point retirer sa miséricorde, que. deviendront les pécheurs? Le Seigneur a-t-il donc promis qu'il ne leur retirerait point sa miséricorde? «La verge à la main», dit-il, «je visiterai leurs iniquités, et je frapperai leurs péchés». Tu attendais, pour te rassurer, qu'il dit: «Mais je ne leur retirerai point ma miséricorde». Il est vrai qu'on le trouve dans quelques exemplaires, mais non dans les plus corrects: et même quand on le trouve, le sens n'en est pas changé. Comment est-ce en effet que Dieu ne retire point sa miséricorde à son Christ? Ce Sauveur de tout son corps a-t-il commis quelque faute dans le ciel ou sur la terre, lui qui est assis à la droite de Dieu, intercédant pour nous 1? Et pourtant c'est du Christ qu'il ne la retire point, mais du Christ dans ses membres et dans son corps, qui est l'Eglise. Le Prophète nous donne en effet comme importante la promesse de ne point retirer de lui sa miséricorde, comme si nous ne connaissions point le Fils unique qui est dans le sein de son Père: car ce n'est point comme un homme qu'il nous faut le regarder ici, mais il n'est qu'une seule personne, qui est l'Homme-Dieu. Il ne retire donc point de lui sa miséricorde, puisqu'il ne ta retire point de son corps ni de ses membres; qu'il souffre en eux persécution sur la terre, quoiqu'il soit dans le ciel. C'était du ciel qu'il criait: «Saul, Saul», non point: Pourquoi persécuter mes serviteurs; non: Pourquoi persécuter mes saints; non: Pourquoi persécuter mes disciples; mais: « Pourquoi me persécuter 2?» Comme donc, étant assis dans le ciel où nul sans doute ne le persécute, il s'écria: « Pourquoi me persécuter ?» parce que la tête alors ne désavouait point ses membres, et que la charité ne séparait point la tête du reste du corps: ainsi ne point retirer de lui sa miséricorde, c'est ne point la retirer de nous qui sommes son corps et ses membres. Toutefois il ne faut pas nous en prévaloir, pour pécher sans crainte, et pour nous promettre témérairement de ne point périr, quoi que nous fassions. Il est en effet certains péchés, certaines iniquités, au sujet desquels il nous est impossible de rien dire, de rien affirmer; et la chose fût-elle possible,

1. Rm 8,34. - 2. Ac 9,4

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il serait trop long d'en parler. Nul en effet ne saurait dire qu'il est sans péché; l'affirmer, ce serait mentir. «Dire que nous sommes exempts de péché, c'est nous tromper nous-mêmes, c'est n'avoir point en nous la vérité 1». Chacun donc est nécessairement châtié pour ses péchés: mais Dieu ne lui retire point sa miséricorde, s'il est chrétien. Evidemment si tu descends à de tels excès, que tu repousses loin de toi la verge qui te frappe, si tu rejettes la main qui te châtie, si la punition de Dieu te porte au murmure, si tu fuis un Père qui use de sévérité, si tu renies ton Père parce qu'il ne t'épargne point dans tes égarements; toi-même tu t'éloignes dé l'héritage, et ce n'est point lui qui te rejette situ demeurais quand il te châtie, tu ne serais pas à jamais déshérité. «Quant à ma miséricorde, je ne la retirerai point de lui, je ne démentirai point ma vérité». Dieu donc ne retire point sa miséricorde qui délivre, afin que sa vérité ne nuise point, quand il châtie.

4. «Je ne profanerai point mon Testament, tel ne rendrai point vaine la parole sortie de sa bouche 2». Que ses fils deviennent pécheurs, je ne suis point parjure pour cela : je l'ai promis, je le tiendrai. Supposez que ses enfants s'abandonnent au péché avec la frénésie du désespoir, qu'ils se traînent dans l'iniquité, au point de blesser continuellement l'oeil de leur père, et de mériter d'en être déshérités; mais n'est il pas ce Dieu dont il est dit: «Dieu pourra de ces pierres mêmes susciter des enfants d'Abraham 3» C'est pourquoi, je vous le dis, mes frères, beaucoup de chrétiens commettent de ces fautes supportables, beaucoup sont corrigés du péché par le châtiment, ils s'amendent, ils se guérissent. D'autres, en grand nombre, se détournent de Dieu, opposent une tête inflexible à leur Père qui les châtie, refusent aussi d'avoir Dieu pour Père, et quoique marqués du signe de Jésus-Christ, ils s'adonnent au péché, de manière à faire dire contre eux: «Que ceux qui commettent ces fautes, n'obtiendront point le royaume de Dieu 4». Et pour cela néanmoins le Christ ne demeurera point sans héritage; le froment ne périra point à cause de la paille 5: les mauvais poissons n'empêcheront point que l'on en prenne d'autres dans le filet pour les mettre dans des vaisseaux 6.

1. 1Jn 1,8. - 2. Ps 88,35. - 3. Mt 3,9. - 4. Ga 5,21. - 5. Mt 3,12. - 6. Mt 13,47-48

Le Seigneur en effet connaît ceux qui sont à lui 1, et il nous a promis avec assurance, lui qui nous a prédestinés avant que nous fussions. «Or, ceux qu'il a destinés, il les a appelés; ceux qu'il a appelés, il les a justifiés; et ceux qu'il a justifiés, il les a glorifiés». Que ceux qui désespèrent s'abandonnent au péché: pour les membres du Christ, ils répondront: «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous 2?» Dieu donc ne blessera point sa vérité, il ne profanera point son alliance. Son Testament demeure immuable, parce que dans sa prescience il a prédestiné ses héritiers. Il ne faussera point la parole qui sort de ses lèvres.

5. Ecoute, ô chrétien, écoute ce qui peut t'affermir, te mettre en sécurité, si tu te reconnais parmi les membres du Christ: «Je l'ai juré une fois dans ma sainteté, si je mentais à David 3». Veux-tu donc un second serment de la part de Dieu? Combien devra-t-il jurer, s'il manque une fois à son serment? Il a juré une fois de nous donner la vie, lui qui a envoyé son Fils unique à la mort pour nous. « Je l'ai juré une fois dans la sainteté, si je mentais à David: sa postérité demeurera éternellement 4». La race du Christ subsiste donc éternellement, parce que le Seigneur connaît ceux qui sont à lui 5. «Son trône sera comme le soleil en ma présence, comme la lune éternellement dans son plein, il m'est au ciel un témoin fidèle 6». Son trône est formé de ceux qu'il domine, en qui il s'assied, en qui il règne. Ils sont ses membres comme son trône, car les membres servent de siége à notre tête. Voyez comme notre tête est portée par tous nos membres, sans que la tête porte rien au-dessus d'elle; mais elle est portée par tous nos autres membres, comme si tout le corps de l'homme servait de trône à la tête. Ainsi tous ceux en qui Dieu règne forment son trône, et ils seront, dit-il, comme le soleil en ma présence, parce qu'ils resplendiront comme le soleil dans le royaume de mon Père 7. Ce qu'il faut entendre d'un soleil spirituel, et non de ce soleil visible qui brille dans les cieux, et que Dieu fait lever sur les lions comme sur les méchants 7. Enfin ce soleil est en présence, non des hommes seulement, mais aussi des

1. 2Tm 2,19. - 2. Rm 8,29-30 - 3. Ps 138,36. - 4. Ps 138,37 - 5. 2Tm 2,19. - 6. Ps 138,38. - 7. Mt 13,43. - 8. Mt 5,45

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animaux et des plus petits insectes. Lequel d'entre ces animaux ne voit point le soleil qui nous éclaire? Mais que dit le Prophète à propos de cet autre soleil: «Il sera comme un soleil en ma présence?» Non plus en présence. des hommes, en présence des yeux de la chair, en présence des animaux sujets à la mort, mais en ma présence, et comme la lune». Quelle lune? «la lune éternellement dans son plein». Cette lune, en effet, que nous voyons, est à peine arrivée à son plein qu'elle commence le lendemain à décroître. «Comme la lune», dit le Prophète, «qui est éternellement dans son plein». Son trône sera donc parfait comme la lune, mais comme la lune toujours pleine. Si c'est comme le soleil, pourquoi comme la lune? Par cette lune qui croît et qui décroît, dont l'image passe rapidement, l'Ecriture désigne ordinairement notre chair mortelle. Enfin Jéricho signifie la lune, et voilà pourquoi cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs 1, car d'immortel il descendait à la mortalité: notre chair a donc de la ressemblance avec la lune, qui chaque mois croît et décroît, mais à la résurrection cette chair sera parfaite, et « deviendra au ciel un témoin fidèle». Si donc il n'y avait que notre esprit pour recevoir sa perfection, nous serions seulement comparés au soleil; et au contraire si notre corps seul devait être amené à la perfection, nous ne serions comparés qu'à la lune; mais comme Dieu doit amener à la perfection elle corps et l'âme, le Prophète a dit: «Comme le soleil, en ma présence», car Dieu seul voit notre âme; «et comme la lune», voici notre chair; «éternellement en son plein»: à la résurrection des morts; «elle sera au ciel un témoin fidèle», en montrant la vérité de tout ce qui est dit au sujet de la résurrection. Je vous en supplie, écoutez cette même vérité plus clairement encore, et gravez-la dans votre souvenir. Je sais que plusieurs d'entre vous ont compris mes paroles, que d'autres les cherchent peut-être encore, car aucun, point de la foi chrétienne n'est plus en butte à la contradiction, que la résurrection de la chair. Enfin celui qui venait pour être un signe de contradiction 2,a ressuscité sa chair pour s'opposer à ces contradictions: et lui qui pouvait guérir ses membres, de manière, qu'il n'y

1. Lc 10,30. - 2. Lc 2,34

restât aucune trace de ses blessures, a conservé des cicatrices sur son corps, afin de guérir dans nos coeurs la blessure du doute. Il n'y a donc dans la foi chrétienne aucun point que l'on révoque en doute avec autant de violence ou tant d'obstination, autant d'efforts et d'instances que la résurrection de la chair. Quant à l'immortalité de l'âme, en effet, beaucoup de philosophes païens en ont écrit, et ont trouvé dans un grand nombre de livres que l'âme humaine est immortelle. Mais en vient on à la résurrection de la chair, ils n'hésitent point, ils contredisent clairement, et dans leur contradiction ils vont jusqu'à dire qu'il est impossible que cette chair terrestre puisse monter au ciel. Donc cette lune toujours dans son plein est dans le ciel un témoin fidèle contre ces contradicteurs.

6. Voyez combien sont certaines, sont affermies, sont claires et indubitables ces promesses au sujet de Jésus-Christ. Bien que plusieurs soient cachées sous des figures, il en est d'autres néanmoins assez évidentes pour nous faire découvrir facilement ce qu'il y a d'obscur. D'après cela voyez ce qui suit: «Cependant, Seigneur, vous avez repoussé, anéanti, éloigné votre Christ. Vous avez renversé son Testament: son sanctuaire est profané dans la poussière. Vous avez détruit toutes ses murailles, ses remparts sont un objet de terreur. Tous les passants l'ont pillé, il est devenu un sujet d'opprobre pour ses voisins. Vous avez élevé le bras de ses ennemis, et réjoui tous ceux qui le haïssent. Vous lui avez ravi le secours de son glaive, et ne l'avez point aidé dans la guerre. Vous l'avez détruit pur ne point le purifier, vous avez brisé son trône contre terre. Vous avez abrégé le nombre de ses jours, et l'avez couvert de confusion 1». Qu'est ce à dire, ô mon Dieu? Telles étaient vos promesses, et vous les avez ainsi contredites. Où sont ces promesses qui faisaient naguère notre joie, dont nous nous applaudissions avec tant d'allégresse, et qui nous berçaient d'une telle sécurité? Que dirait que c'est un autre qui les a faites, et un autre qui les a détruites. Et ce qu'il y a de plus étonnant, ce n'est point un autre, mais bien vous, qui nous faisiez ces promesses magnifiques, vous qui les confirmiez, vous qui les confirmiez par serment à cause des hésitations des hommes: c'est

1. Ps 138,39-46

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vous qui avez fait ces promesses, et vous qui avez appelé ces désastres. Comment croire à votre serment, où retrouver vos promesses? Que signifie tout cela, mes frères? La promesse de Dieu serait-elle fausse, et son serment un parjure? Pourquoi ces promesses pompeuses et ces malheurs qui les suivent? Et moi, je soutiens que ces malheurs confirment sa prouesse. Mais qui suis-je pour parler ainsi? Voyons si la vérité parle de la sorte, et alors je n'aurai pas vainement parlé. David était l'homme à qui Dieu faisait toutes ces promesses qui devaient avoir leur accomplissement dans le Christ. Or, les hommes attendaient en David l'accomplissement des promesses faites à David. Et de peur que parmi les chrétiens, l'un ne vînt dire: Ceci regarde le Christ l'autre: Non, mais David, et qu'on ne tombât dans l'erreur en voyant ces promesses s'accomplir eu David; voilà que Dieu a détruit toutes ces promesses en David même, afin qu'en voyant qu'elles ne sont point accomplies en lui, tu cherches en quel autre on les voit s'accomplir. Il en est de même en Esaü et en Jacob, dont le second se prosterna devant l'aîné, bien qu'il fût écrit: «L'aîné sera soumis au plus jeune 1»; ne voyant point cette prophétie accomplie dans les deux frères, tu dois jeter les yeux sur deux peuples, en qui s'accomplit la promesse de Dieu, qui ne peut être mensongère. Il dit donc à David: «Je mettrai sur ton trône quelqu'un de tes enfants 2». Il lui promit quelque chose d'éternel dans sa race; et voilà que Salomon vint au monde, et fut doué d'une telle sagesse, que l'on pensait qu'en lui s'accomplissait la promesse de Dieu sur sa postérité; mais Salomon tomba 3,et nous fit ainsi espérer le Christ car le Seigneur, qui ne peut ni se tromper, ni tromper, n'ayant point pris pour objet de ses promesses un homme dont il prévoyait la chute, tu as dû, après cette chute, lever les yeux vers Dieu et solliciter l'accomplissement des promesses. Votre parole, ô Dieu, est donc mensongère? Ne tiendrez-vous point à ce que vous avez promis? Votre serment est-il un parjure? Mais ici Dieu pourrait vous répondre: J'ai juré, j'ai promis, mais il n'a pas voulu persévérer. Eh quoi donc! ô vous, Seigneur mon Dieu, ne saviez-vous point qu'il n'aurait point la persévérance? Vous le saviez assurément. Pourquoi donc me promettre

1. Gn 25,23.- 2. Ps 131,11.- 3. 1R 11,1

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quelque chose d'éternel dans un homme qui ne devait point persévérer? N'est-ce point vous qui avez dit: « S'ils abandonnent ma loi, s'ils ne marchent point dans ma justice, s'ils méprisent mes préceptes et profanent mon Testament»; ma promesse n'en sera pas moins immuable, mon serment s'accomplira? «Je l'ai juré une fois dans ma sainteté», dans ce secret intérieur, dans cette source où les Prophètes ont puisé ce qu'il nous ont prêché extérieurement: «Je l'ai juré une fois, et je ne mentirai point à David». Montrez donc, Seigneur, ce que vous avez juré, accomplissez votre serment: de tout cela David est privé, afin que l'on n'en espère point l'accomplissement dans ce David. Attendez donc l'effet de mes promesses.

7. David au reste le fait lui-même. Vois ce qu'il a dit: «Néanmoins, Seigneur, vous avez rejeté, anéanti tout cela». Où donc est votre promesse? «Vous avez éloigné votre Christ». Bien qu'il énumère des désastres, il nous console néanmoins par cette dernière parole. Ce que vous avez promis, ô mon Dieu, subsiste donc toujours, car vous n'avez point dérobé votre Christ pour toujours, vous l'avez seulement éloigné. Voyez donc ce qui est arrivé à ce David, en qui leur ignorance leur faisait croire que Dieu accomplirait ses promesses, afin que ces mêmes promesses fussent accomplies dans un autre en qui l'on espère avec plus de certitude: «Vous avez éloigné votre Christ, vous avez rompu l'alliance avec votre serviteur». Où est en effet l'alliance antique avec les Juifs? Où est cette terre promise qu'ils ont habitée pour commettre tant de fautes, que Dieu a détruite pour les en chasser? Cherche le royaume des Juifs, dl n'est plus; l'autel des Juifs, il n'est plus; le sacrifice des Juifs, il n'est plus; le sacerdoce des Juifs, il n'est plus: «Vous avez rompu l'alliance avec votre serviteur; son sanctuaire est profané dans la poussière» .Vous avez montré la poussière dans ce qu'il avait de plus saint. «Vous avez détruit toutes ces murailles», dont vous l'aviez environné. Comment l'eût-on pillé, si ses murailles n'eussent été détruites? «Ses remparts sont un objet de terreur». Qu'est-ce à dire un objet de crainte? ils font dire au pécheur: « Si Dieu n'a point épargné les branches naturelles, il ne te pardonnera point non plus 1. Tous ceux qui passaient par

1. Rm 11,21

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le chemin l'ont pillé»; c'est-à-dire tous les Gentils, qui passaient par le chemin, ou par cette vie, ont pillé Israël, ou David. Voyez en en effet les lambeaux de ce peuple chez les Gentils: c'est d'eux qu'il est dit: «Ils seront la proie des renards 1». Car l'Ecriture donne le nom de renards à ces rois impies, fourbes et timides qu'effraie la vertu des autres. C'est pourquoi le Sauveur, parlant d'Hérode qui lui faisait des menaces, a dit: «Répondez à ce renard 2» Un roi qui ne redoute aucun autre homme n'est point un renard ; il est ce lion de la tribu de Juda, à qui il est dit: «Tu es monté pour reposer, tu as dormi comme un lion 3». Tu es monté dans ta puissance, et dans ta puissance tu as dormi tu as dormi, parce que tu l'as voulu. Aussi est-il dit dans un autre psaume: «Pour moi, j'ai dormi». Ne suffisait-il pas de dire: «J'ai dormi, j'ai pris mon sommeil, et je me suis levé, parce que le Seigneur est mon appui 4?» A quoi bon «pour moi?» Pesons bien attentivement cette parole: «Pour moi, c'est moi qui me suis endormi». A eux la colère, la persécution; mais si je ne l'eusse voulu, je n'eusse jamais dormi. «Pour moi j'ai dormi». Tout à l'heure donc, on disait d'eux: «Ils seront la proie des renards», et l'on dit maintenant: «Tous ceux qui passaient par le chemin ont pillé votre héritage, il est devenu pour les voisins un objet d'opprobre. Vous avez élevé la main, de ses ennemis, vous avez donné à ses adversaires l'ivresse de la joie». Voyez les Juifs et voyez l'accom plissement de cette prophétie. «Vous avez détourné le secours de leur glaive». Ils avaient coutume de combattre en petit nombre, de renverser de grandes armées; et voilà que «vous avez détourné l'appui de leur glaive, et ne les avez point soutenus dans les combats». Le voilà donc à bon droit vaincu, à bon droit captif, à bon droit privé du royaume, à bon droit dispersé ! Car il a perdu cette terre pour laquelle il a mis à mort le Sauveur. «Vous avez détourné l'appui de son glaive, et ne l'avez point secouru dans la guerre, vous l'avez délié pour qu'il ne se corrige point». Qu'est-ce à dire? Dans tous ces malheurs, rien n'est plus formidable. Quelle que soit la sévérité de Dieu, quelle que soit sa colère, qu'il nous frappe, qu'il nous châtie à son gré, mais du moins qu'il nous lie

1. Ps 62,11. - 2. Lc 13,32.- 3. Gn 49,9.- 4. Ps 3,6

quand il nous frappe, afin de nous purifier: mais qu'il ne nous délie point afin de nous éloigner de ce qui nous purifie. S'il nous laisse dans la dissolution, il n'a plus à nous purifier, mais bien à nous rejeter. De quoi donc le juif est-il délié, lui qui ne peut se purifier? de la foi. C'est la foi qui nous donne la vie 1; et c'est de la foi qu'il est dit: «Par la foi Dieu purifie leurs coeurs 2». Et comme c'est la foi au Christ qui seule nous purifie, en ne croyant point au Christ, ils se sont déliés, mis en dehors de tout ce qui purifie. «Vous l'avez délié de tout ce qui purifie,  vous avez jeté son trône à terre»; et c'est justement que vous l'avez brisé. «Vous avez abrégé les jours de son trône», car ils croyaient devoir régner dans l'éternité. « Vous l'avez couvert de confusion». Or, tout cela est arrivé aux Juifs, non parce que le Christ leur était refusé, mais simplement différé.

8. Voyons donc si Dieu remplit ses promesses. Après de si grands désastres sur ce peuple, et sur ce royaume, le Prophète craint que l'on n'en vienne à croire que Dieu n'a point accompli ses promesses, et qu'il ne donnera point au Christ cet empire qui n'aura point de fin; il s'adresse donc au Seigneur, et s'écrie: « Jusques à quand, Seigneur, vous détournerez-vous en ce qui concerne la fin 3?» Peut-être n'est-ce point de la fin, mais des Juifs que vous vous détournez; car l'aveuglement est tombé sur une partie d'Israël, jusqu'à ce que la plénitude des nations entrât, et qu'ainsi tout Israël fût sauvé 4. En attendant toutefois: «Votre colère va s'attiser comme une flamme».

9. «Souvenez-vous quelle est ma substance 5». Ceci est le langage de David, qui vivait dans sa chair. parmi les Juifs, et dans le Christ par ses espérances: «Souvenez-vous quelle est ma substance». Car si la Judée tout entière a dû périr, ma substance n'a point péri. C'est de ce peuple qu'est venue la vierge Marie, et par la vierge Marie, la chair du Christ; et cette chair n'était point une chair de péché, puisqu'elle purifiait du péché. C'est là, dit-il, qu'est ma substance. «Rappelez-vous quelle est ma substance». Car la racine n'a point péri entièrement: il en viendra un jour, ce fils à qui l'on a fait les promesses, et que les anges préparent par

1. Ga 3,11. - 2. Ac 15,9. - 3. Ps 88,47. - 4. Rm 3,25. - 5. Ps 138,48

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l'entremise d'un médiateur 1. «Rappelez-vous quelle est ma substance. Car ce n'est pas en vain que vous avez créé tous les enfants des hommes». Voilà que tous les hommes sont tombés dans la vanité, et cependant ce n'est point pour la vanité que vous les avez créés. Et quand ceux que vous n'avez pas créés en vain tombent ainsi dans la vanité, ne vous êtes-vous donc rien réservé pour les en purifier? Ce que vous vous êtes réservé pour purifier les hommes de la vanité, ce saint qui est le vôtre, c'est en lui qu'est ma substance. C'est en lui que sont purifiés de leur propre vanité tous ceux que vous n'avez pas créés en vain, eux à qui il est dit: « Enfants des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis? pourquoi aimer la vanité et rechercher le mensonge 2?» Peut-être que, devenus soucieux, ils se détourneraient de la vanité; et, s'en voyant souillés, ils chercheraient à s'en purifier. Venez à leur secours, et rassurez-les. «Et sachez que le Seigneur a glorifié son saint 3». Il a rendu son saint admirable, et par lui, il a purifié les hommes de leur vanité. C'est là qu'est ma substance, dit le Prophète, souvenez-vous de lui. «Ce n'est donc pas en vain que vous avez établi les enfants des hommes». Vous avez conservé de quoi les purifier. Quel est celui que vous avez conservé? «Quel est l'homme qui vivra sans voir la mort 4?» Donc cet homme qui vivra, et qui ne verra pas la mort, c'est lui qui nous purifie de la vanité. Car ce n'est pas inutilement que Dieu a établi les enfants des hommes; et celui qui les a faits ne saurait les mépriser au point de ne pas les convertir en les guérissant.

10. « Quel est l'homme qui vivra, et ne verra point la mort?» Car, en se levant d'entre les morts, il ne meurt plus, la mort n'a plus d'empire sur lui 5. Enfin, comme il est écrit dans un autre psaume: «Vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer, et vous n'abandonnerez point votre saint à la corruption 6» voilà que les Apôtres s'emparent de ce témoignage, pour s'en servir dans les actes contre les infidèles, en disant : «Mes frères, nous savons que le patriarche David est mort, et que sa chair a éprouvé la corruption». Ce n'est donc point de lui

1. Ga 3,19 - 2. Ps 4,3.- 3. Ps 4,4. - 4. Ps 88,49. - 5. Rm 6,9.- 6. Ps 15,10

qu'il est dit: «Vous n'abandonnerez point votre saint à la corruption 1». Si donc cette parole ne le concerne point, de quel homme est-il dit: «Quel est l'homme qui vivra et ne verra point la mort?» Peut-être n'y a-t-il personne. Cette parole, au contraire, «quel est l'homme», n'est que pour vous le faire chercher, et non pour faire désespérer d'en trouver un. Mais peut-être est-il un homme «qui vivra, et ne verra point la mort»; et toutefois cela ne s'applique point au Christ, qui est mort. Il est certain, au contraire, que « nul homme ne vivra sans voir la mort», sinon celui qui est mort pour les mortels. Et afin de voir que cette parole s'applique à lui, vois la suite: «Quel homme vivra sans voir la mort?» Jamais donc il n'a vu la mort? Il l'a vue. Comment donc vivra-t-il sans voir la mort? Il délivrera son âme de la puissance de l'enfer. C'est vraiment lui seul, et seul sans exception, qui «vivra et ne verra point la mort, qui délivrera son âme de la puissance de l'enfer»; car si tous les fidèles se lèvent d'entre les morts, s'ils vivent aussi dans l'éternité et ne voient plus la mort; ils ne peuvent toutefois délivrer leurs âmes de la puissance de l'enfer. Celui-là qui délivre son âme des puissances de l'enfer, en délivre aussi les âmes de ses fidèles, car ils ne peuvent se délivrer eux-mêmes. Montrez, diras-tu, qu'il a délivré son âme. «J'ai le pouvoir», dit-il, «de donner mon âme et aussi le pouvoir de la reprendre; nul ne peut me l'ôter, car c'est moi qui ai dormi 2,«c'est donc moi qui donne ma vie, et moi qui la reprends 3»; ainsi c'est lui qui a délivré son âme de la puissance de l'enfer.

11. Cette foi en Jésus-Christ, néanmoins, a subi de longues persécutions, et longtemps les nations ont dit: «Quand mourra-t-il, quand son nom périra-t-il 4?» C'est donc pour ceux qui croiront en Jésus-Christ, mais qui doivent souffrir pendant quelque temps, que le psaume a dit: «Où sont, ô mon Dieu, vos anciennes miséricordes 5?» Déjà nous savons que le Christ nous purifie, nous possédons celui en qui vous accomplissez vos promesses: donnez-nous en lui ce que vous avez promis. C'est lui qui vivra et ne verra point la mort; lui qui a délivré son âme des puissances de l'enfer; et pourtant nous sommes

1. Ac 2,27-31.- 2. Ps 3,6.- 3. Jn 10,17-18.- 4. Ps 40,6.- 5. Ps 88,50

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encore dans la douleur. Ainsi disaient les martyrs dont nous célébrons la fête. Il vivra, il ne verra point la mort, il a délivré son âme des puissances de l'enfer; et néanmoins on nous égorge à cause de vous; tout le jour, nous ressemblons aux brebis qu'on destine à la boucherie 1. «Où sont donc vos antiques miséricordes, ô mon Dieu, celles que vous avez jurées à David par votre vérité?»

12. «Souvenez-vous de l'opprobre de vos serviteurs 2». A peine le Christ était-il ressuscité, à peine était-il assis à la droite de Dieu son Père, qu'on jetait l'opprobre à la face des chrétiens: on leur fit longtemps un crime du nom même du Christ. Cette veuve qui enfante, et qui a des enfants plus nombreux que celle qui a un époux 3,a entendu des paroles d'ignominie, des paroles d'opprobre. Mais dès que l'Eglise se multiplie, qu'elle s'étend à droite et à gauche, elle ne se souvient plus de l'ignominie de son veuvage. «Souvenez-vous, Seigneur», vous dans le souvenir duquel on goûte une abondance de douceur; «Souvenez-vous», n'oubliez point. De quoi vous souviendrez-vous? « Souvenez-vous de l'opprobre de vos serviteurs, de cet opprobre que je cache dans mon sein, et qui leur vient de tant de nations». J'allais prêcher votre saint nom, et je recueillais des opprobres, et je les cachais en mon sein, afin d'accomplir cette parole: «On nous jette le blasphème et nous prions, nous sommes devenus les rebuts du monde, la balayure de tous 4». Longtemps les chrétiens cachèrent ces opprobres dans leur sein, dans leurs coeurs; ils n'osaient répondre aux injures: auparavant c'était un crime de répondre à un païen, et aujourd'hui c'est un crime de demeurer dans le paganisme. Grâces au Seigneur, qui s'est souvenu de nos opprobres; il a élevé la puissance de son Christ, et l'a signalé à l'admiration des rois de la terre. Nul aujourd'hui n'insulte aux chrétiens; ou si quelqu'un leur insulte, ce n'est point en public: et en le faisant, il craint plus qu'on ne l'entende, qu'il ne désire qu'on le croie. «Opprobre qui vient de tant de nations, et que je cache en mon sein».

13. «Vos ennemis nous ont fait un reproche, ô mon Dieu 5». Juifs et païens «nous ont fait un reproche»; qu'ont-ils reproché?

1. Ps 43,22.- 2. Ps 88,51.- 3 Is 54,1 Ga 4,21. - 4. 1Co 4,13. - Ps 88,52

«Le changement de votre Christ». Oui, «le changement de votre Christ», voilà ce qu'ils nous ont reproché. Ils nous ont objecté que votre Christ est mort, que votre Christ a été crucifié. Insensés, que nous objectez-vous? Aujourd'hui, il est vrai, nul ne fait cette objection, et pourtant s'il en restait quelques-uns, pourquoi nous objecter que le Christ est mort? Ce n'était point une mort, ce n'était qu'un changement, ce n'était que trois jours de mort. Voilà ce que vous ont reproché vos ennemis; ce n'était ni la mort, ni l'anéantissement, mais bien «le changement de votre Christ». Il a changé une vie temporelle en une vie sans fin; il a changé, en passant des Juifs aux Gentils; il a changé la terre pour le ciel. Que vos ennemis s'en viennent donc vous reprocher sans raison «le changement de votre Christ». Puissent-ils changer eux-mêmes! ils ne nous reprocheraient plus le changement de votre Christ. Mais ce changement leur déplaît, parce qu'ils ne veulent point changer eux-mêmes. Car il n'y a point de changement pour eux, et ils n'ont aucune crainte du Seigneur 1. «Vos ennemis, ô Dieu, vous ont reproché le changement de votre Christ».

14. Ils vous ont donc reproché ce changement: mais vous, Seigneur? «Que le Seigneur soit béni éternellement, qu'il en soit ainsi! qu'il en soit ainsi 2 !» Rendons grâces à sa miséricorde, grâces à sa grâce. Pour nous, en rendant grâces à Dieu, nous ne lui donnons rien, nous ne lui rendons rien, nous ne rapportons rien, nous ne payons rien, nous lui rendons grâces en paroles, nous retenons en effet sa grâce. C'est lui qui nous a sauvés gratuitement, sans considérer nos impiétés; lui qui nous a cherchés quand nous ne le cherchions pas, qui nous a trouvés, qui nous a rachetés, qui nous a délivrés du joug du diable, et de l'esclavage des démons: il nous a liés afin de nous purifier par la foi, tandis qu'il a délié ces ennemis, qui ne croient point, et dès lors ne peuvent arriver à se purifier. Que ceux qui demeurent encore éloignés disent chaque jour ce qu'ils voudront, leur nombre ne diminuera pas moins chaque jour: qu'ils se répandent en injures, en raillerie, qu'ils nous reprochent, non la mort, mais «les changements du Christ». Ne voient-il pas qu'en parlant ainsi, ils diminuent

1. Ps 55,20. - 2. Ps 88,53

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soit en embrassant la foi, soit en mourant? Leur malédiction n'aura donc qu'un temps, mais «le Seigneur sera béni dans l'éternité». Il pour confirmer cette bénédiction, et bannir toute crainte, le Prophète ajoute: « Ainsi-soit-il! Ainsi-soit-il!» Cette fin est comme le sceau de Dieu. Pleins de sécurité sur ses promesses, croyons le passé, connaissons le présent, voyons à l'avenir Que l'ennemi ne nous détourne point de la véritable voie, afin que celui qui nous rassemble sous ses ailes, comme une poule rassemble ses poussins, nous réchauffe, que nous ne sortions point de dessous ses ailes, et que l'épervier ne nous enlève point comme des poussins sans plumes encore. Un chrétien ne doit point placer sa confiance en lui-même: s'il veut se fortifier, qu'il grandisse par la chaleur de sa mère. Elle est pour lui cette poule qui rassemble ses poussins, et dont Jérusalem, cette ville infidèle, essuyait les reproche: «Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu? Voilà que vos maisons seront désertes 1». Aussi est-il dit: «Vous avez fait de ses remparts un objet d'effroi». Comme donc les Juifs n'ont pas voulu se mettre à couvert sous les ailes de cette poule, et que leur exemple a dû nous faire craindre ces esprits impurs qui volent autour de nous, cherchant ce qu'ils pourront enlever; entrons sous les ailes de cette poule, de cette Sagesse divine qui a voulu subir la mort pour ses poussins. Aimons le Seigneur notre Dieu, aimons son Eglise: Lui comme un père, Elle comme une mère; Lui comme un maître, Elle comme sa servante, puisque nous sommes

1. Mt 23,37-38.

les enfants de sa servante. Mais le lien de ce mariage est une grande charité. Nul ne peut offenser l'un et bien mériter de l'autre. Que nul ne dise: Je vais aux idoles, je consulte les augures et les sortilèges. mais je n'abandonne point pour cela l'Eglise; je suis catholique. Tu tiens à ta mère, il est vrai, mais en offensant ton Père. Un autre viendra me dire:

Loin de moi de consulter les sorts, de rechercher les devins, de recourir à des pratiques sacrilèges, d'aller adorer les démons, de me prosterner devant des pierres: mais je suis de la secte de Donat. De quoi te sert-il de n'offenser point un père qui vengera l'outrage que tu fais à ta mère? A quoi bon confesser le Seigneur, honorer Dieu, le prêcher, reconnaître son Fils, proclamer qu'il est assis à la droite de son Père, et blasphémer son Eglise? Ce que tu vois chaque jour dans les mariages humains, ne te corrigera-t-il point? Si tu avais un patron à qui tu allasses chaque jour rendre hommage, dont tu ne franchisses le seuil que pour te mettre à son service, pour qui tu eusses, non-seulement des hommages, mais des adorations, lui rendant fidèlement toutes sortes de bons offices; remettrais-tu le pied dans sa maison après avoir proféré contre son épouse une parole blessante? Tenez donc, mes très chers frères, tenez fermes et dans l'esprit d'union, Dieu pour votre père, et la sainte Eglise pour votre mère. Célébrez dans une sage sobriété les fêtes des saints martyrs, afin que nous imitions ceux qui nous ont précédés, et qu'eux-mêmes s'applaudissent de vous en priant pour vous: afin que «la bénédiction du Seigneur demeure éternellement sur vous: ainsi soit-il, ainsi soit-il!»






Augustin, les Psaumes 892