Augustin, les Psaumes 10220

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CI. LES CONSOLATIONS DE L'ÉGLISE.

10220 DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME. Ps 102,21-29


Ceux qui ont les fers aux pieds, sont ceux que retient la crainte du Seigneur; or, le Seigneur écoute leurs gémissements; il délivre par sa grâce les fils des martyrs. Alors le nom du Seigneur fut annoncé en Sion; l'homme comprit son avenir, tons les peuples bénirent le vrai Dieu; la vie pure des hommes, la sainteté en Jérusalem a été le fruit de cette prédication. C'est par là que l'Eglise n répondu au Christ dans sa force, ou après la résurrection, et en rassemblant tes peuples dans l'unité. L'Eglise, nous dit l'hérésie, n'est plus celle de toutes les nations, cette Eglise a péri. Pourtant Jésus-Christ devait être avec elle jusqu'à la consommation des siècles; et si cette Eglise demande aujourd'hui de connaître ses jours peu nombreux, c'est que ces jours qui doivent se prolonger jusqu'à la fin des siècles, alors que l'Evangile sera prêché à tous les peuples, ne sont rien en comparaison de l'éternité, de ces années de Dieu, sans passé, sans avenir, qui ne s'écoulent point, car elles sont elles-mêmes Celui qui est. Ces années de Dieu passent de génération en génération, c'est-à-dire qu'elles sont le partage des saints de chaque génération, en Adam d'abord, puis chez les patriarches, puis chez les nations chrétien. nes, tandis que la terre doit finir ainsi que les cieux. Déjà ont péri par le déluge les cieux inférieurs; les cieux supérieurs ou les saints périront d'une manière corporelle, pour être revêtus d'immortalité, tandis que Dieu ne passera point. Ces cieux donc habiteront avec Dieu, et ces fils de ses serviteurs, sont nos bonnes oeuvres qui doivent nous préparer la véritable vie.

1. Hier, nous avons entendu un pauvre prier et gémir; nous avons reconnu en lui celui qui étant riche' est devenu pauvre, ainsi que les membres qui lui sont unis et qui parlent en la personne de leur chef. Car nous sommes là aussi, nous l'avons vu, si toutefois, par sa grâce, nous sommes quelque chose. Or, les paroles de gémissements cessaient pour faire place aux paroles de consolation, mais il nous était impossible hier de vous les exposer plus longuement. Ecoutons dans ce qui nous reste à traiter, non plus le pauvre qui gémit, mais le pauvre qui tressaille, et qui tressaille parce qu'il espère, et qui espère parce qu'il ne présume point de lui-même. Il avait annoncé dans les divines Ecritures le bonheur dont peuvent jouir les hommes, et il ajoute: «Que ceci soit écrit pour la génération à venir, et le peuple qui croira, bénira le Seigneur, parce qu'il a regardé du

1. 2Co 8,9.

haut de son sanctuaire 1». C'est jusque-là que se prolongea hier notre discours, voyons la suite.

2. «Des hauteurs du ciel le Seigneur a jeté les yeux sur la terre pour écouter les gémissements de ceux qui ont les fers aux pieds, et délivrer les enfants de ceux qu'on a égorgés 2». Nous trouvons dans un autre psaume «Que les gémissements de ceux qui ont les fers aux pieds s'élèvent jusqu'à vous 3»; et le psaume qui parle ainsi s'entend des martyrs. Comment les martyrs ont-ils les fers aux pieds? Leurs membres n'étaient-ils pas chargés de chaînes, plutôt que leurs pieds entravés? Nous lisons en effet qu'on enchaînait les saints martyrs de Dieu, et qu'on les traînait derrière des juges de province en province, nous ne lisons pas qu'ils avaient les fers aux pieds. Nous connaissons aussi les entraves de la discipline et de la crainte de Dieu,

1. Ps 101,19-20.- 2. Ps 101,21.- 3. Ps 78,11.

dont il est dit: «La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse 1». C'est à cause de cette crainte que les serviteurs de Dieu n'ont point redouté ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme: ils craignaient alors celui qui a le pouvoir de jeter le corps et l'âme au feu éternel 2. Si les martyrs, en effet, n'eussent eu les pieds retenus par les entraves de cette crainte, comment eussent-ils pu endurer de la part de leurs persécuteurs des tourments si rigoureux quand ils étaient libres de faire ce qu'on les contraignait de faire, et d'échapper aux tortures qu'ils enduraient? Mais Dieu leur avait mis ces entraves salutaires, entraves dures et pénibles pour un temps, à la vérité, mais supportables en vue des promesses de Celui à qui il est dit: «A cause des paroles de vos lèvres, j'ai marché dans la voie douloureuse 3». On doit gémir dans ces entraves, sans doute, afin d'obtenir la divine miséricorde; aussi les martyrs ont-ils dit dans un autre psaume: «Que le gémissement de ceux qui ont les entraves aux pieds s'élève jusqu'à vous»; mais il ne faut point éviter ces entraves, pour convoiter une liberté pernicieuse, pour rechercher la douceur si courte d'une vie passagère, qui serait suivie d'une amertume sans fin. Aussi, de peur que nous ne repoussions les entraves de la sagesse, l'Ecriture nous en parle-t-elle ainsi: «Ecoute, mon fils, reçois ma pensée, et ne rejette point mon conseil. Mets tes pieds dans ses entraves, engage ton cou dans ses chaînes : baisse ton épaule et porte-la; ne te fatigue point de ses liens. Approche-toi d'elle de tout ton coeur, et garde ses voies de toutes tes forces: cherche-la, mets-toi en peine de la trouver, et elle te sera manifestée; une fois que tu l'auras embrassée, ne la quitte point. Car au dernier jour c'est en elle que tu trouveras le repos, et elle se changera pour toi en délices, et ses fers deviendront pour toi une protection, et ses chaînes un vêtement de gloire. Car elle a la beauté de l'or, et ses liens sont des fils d'hyacinthe tu te revêtiras d'elle comme d'une robe de gloire, tu la mettras sur ta tête comme une couronne de joie 4». Qu'ils crient donc tandis qu'ils ont les entraves aux pieds, tandis qu'ils sont enchaînés par la discipline du Seigneur qui a exercé les martyrs, et leurs fers

1. Si 2,16 - 2. Mt 10,28.- 3. Ps 16,4.- 4. Si 6,24-32.

seront brisés, et ils s'envoleront, et ces fers eux-mêmes deviendront leur ornement et leur gloire. Voilà ce qui est arrivé aux martyrs. Qu'ont fait leurs persécuteurs en les égorgeant, sinon briser leurs chaînes, qui se sont changées en couronnes?

3. «Le Seigneur a donc regardé du haut du ciel, afin d'entendre les gémissements de ceux qui ont les fers aux pieds, et de délivrer les fils de ceux qu'on a égorgés». Ce sont les martyrs que l'on a fait mourir; mais quels sont les fils de ceux que l'on a fait mourir, sinon nous-mêmes? Or, comment nous délier, sinon en disant à Dieu: «Seigneur, vous avez brisé mes liens; je vous offrirai un sacrifice de louange 1?» Car chaque fidèle est délivré soit des chaînes de ses appétits déréglés, soit des liens du péché. Lui remettre son péché, c'est en effet le délier. Qu'aurait servi à Lazare de sortir vivant du tombeau, sans cette parole: «Déliez-le, et laissez-le aller 2?» A la vérité, le Christ le fit sortir à sa voix du sépulcre, lui rendit la vie par son cri puissant, put vaincre ce monceau de terre dont il était couvert, et Lazare sortit encore tout garrotté; il ne sortit donc point par la force de ses pieds, mais par la force de celui qui le ressuscitait. Voilà ce qui s'opère dans le coeur d'un pénitent. Ecoute un homme qui se repent de ses fautes, il est ressuscité; écoute-le découvrir sa conscience par la confession, il est déjà sorti du tombeau, mais pas encore délié. Quand le sera-t-il? Par qui le sera-t-il? « Tout ce que vous délierez sur la terre», dit le Sauveur, «sera délié aussi dans le ciel 3». C'est avec raison que nos péchés sont déliés par l'Eglise: mais un mort ne peut ressusciter que par le cri intérieur de Jésus-Christ: c'est Dieu qui agit ainsi au dedans de nous. Nous vous parlons à l'oreille, mais comment savoir ce qui se passe dans vos coeurs? Or, ce qui se passe intérieurement est l'oeuvre de Dieu, et non la nôtre.

4. Dieu donc «a jeté les yeux pour délier les fils de ceux qu'on a égorgés». Vous connaissez maintenant ces hommes égorgés, vous connaissez leurs enfants. Quelle est la suite? «Afin que le nom du Seigneur soit annoncé dans Sion» . L'Eglise était d'abord opprimée, quand ou égorgeait ceux qui avaient les entraves aux pieds: et après ces persécutions, le

1. Ps 115,16-17. - 2. Jn 11,44. - 3. Mt 16,19.

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nom du Seigneur est prêché dans Sion avec une grande liberté, c'est-à-dire dans l'Eglise même qui est Sion, non point ce lieu de la terre si orgueilleux d'abord et réduit ensuite à l'esclavage; mais dans cette Sion dont l'ancienne était une figure,et qui signifie spéculation. Placés en effet dans la chair, nous voyons ce qui devant nous en nous étendant, non plus vers ce qui est du présent, mais vers les choses de l'avenir. De là cette spéculation. Quiconque est en spéculation ou au guet étend sa vue au loin; et l'on appelle guet l'endroit où l'on pose des gardes. Or, on établit un guet sur des rochers, sur des montagnes, sur des arbres, afin que de cette hauteur on puisse voir de plus loin. Sion est donc un guet, et l'Eglise est un guet. Pourquoi un guet? Etre au guet, c'est voir de loin. «Il n'y a devant moi que labeur, jusqu'à ce que j'entre dans le sanctuaire de Dieu, et que je comprenne la fin des méchants 1». Qu'est-ce que voir, comprendre la fin? Traverser la mer eu voyant, non plus en naviguant, et habiter les bords de la mer 2,c'est-à-dire mettre son espérance dans ce qui doit durer après l'écoulement des temps. Si donc l'Eglise est un guet, c'est là qu'on annonce désormais le nom du Seigneur. Et non-seulement le nom du Seigneur est annoncé dans cette Sion, mais «sa louange», dit le Prophète, « est publiée dans Jérusalem».

5. Comment publiée? «Alors que les peuples et les royaumes se réuniront, pour servir le Seigneur 3». D'où vient cette merveille, sinon du sang de ceux qu'on a mis à mort? D'où vient cette merveille, sinon des gémissements de ceux qui ont les entraves aux pieds? Dieu donc les a écoutés, sous le pressoir et dans l'humiliation, afin qu'en un jour l'Eglise fût élevée à cet éclat de gloire que nous voyons, et que les puissances qui persécutaient alors servissent maintenant le Seigneur.

6. «Elle lui a répondu dans la voie de sa force 4». A qui a-t-elle répondu, sinon au Seigneur? Qui a répondu? Voyons ce qui précède. «Et sa louange», dit-il, «sera chantée en  Jérusalem, quand les peuples et les rois s'uniront pour servir le Seigneur. Elle lui a répondu dans la voie de sa force». Quelle est celle ou quel est celui qui a répondu dans la voie de sa force? Cherchons tout d'abord celui qui a répondu, et nous saurons par là

1. Ps 72,16-17.- 2. Ps 138,9.- 3. Ps 101,23.- 4. Ps 101,24.

quel est le chemin de sa force. D'après les paroles précédentes, on pourrait croire que c'est la gloire de Dieu ou Jérusalem qui lui a répondu; car le Prophète avait dit plus haut: « Et sa louange sera en Jérusalem; quand se réuniront les peuples et les royaumes pour servir le Seigneur». «Elle lui a répondus, nous ne pouvons point parler ainsi des royaumes, car alors le Prophète eût dit: Ils lui ont répondu. « Elle lui a répondu», ne peut avoir pour sujet les peuples, car le Prophète eût dit encore: Ils lui ont répondu. Donc puisque répondre est au singulier, nous ne pouvons lui trouver dans ce qui précède, d'autre sujet que la louange du Seigneur, et Jérusalem. Et comme il est douteux si c'est la louange de Dieu ou Jérusalem, exposons l'un et l'autre sens. Comment sa louange lui a-t-elle répondu? Quand ceux que Dieu daigne appeler lui rendent grâces. Car c'est Dieu qui nous appelle, et nous lui répondons, non par la voix, mais bien par la foi; non par la langue, mais par la vie. Si Dieu en effet t'appelle, et t'ordonne de mener une vie pure, tu ne réponds point à son appel par une vie de désordre, il ne vient de toi aucune louange qui lui réponde; car ta vie est plutôt un blasphème contre lui qu'une louange en son honneur. Mais quand nous vivons de manière à faire louer le Seigneur, sa louange alors lui répond. Jérusalem lui a aussi répondu dans la personne des saints que Dieu appelait. Car Jérusalem fut appelée, et tout d'abord Jérusalem refusa d'écouter, et il lui fut dit: «Voilà que vos maisons seront désertes. Jérusalem, Jérusalem», (il crie alors et l'on ne répond point), «combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l'as point voulu 1». Nulle réponse alors: nouvelle pluie et pour tout fruit des épines. Mais quant à la Jérusalem dont il est dit: «Réjouis-toi, stérile, qui n'enfantes pas: chante des cantiques de louanges, et pousse des cris de joie, toi qui n'avais pas d'enfants: l'épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux; celle-ci lui a répondu». Qu'est-ce à dire qu'elle a répondu?» Elle n'a pas méprisé celui qui l'appelait. Qu'est-ce à dire qu' « elle a répondu?» il l'a arrosée, et elle a donné du fruit.

1. Mt 23,37-38.- 2 Is 54,1 Ga 4,27.

7. «Elle lui a donc répondu», mais où? (483) « Dans le chemin de sa force». Cette force vient-elle d'elle-même? Que serait-elle en elle-même, quelle voix aurait-elle en elle-même et d'elle-même, autre que la voix du péché, que la voix de l'iniquité? Examinez cette voix, qu'y trouverez-vous? Tout au plus cette réponse: « J'ai dit, Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme parce que j'ai péché contre vous 1». Si Dieu l'a justifiée, «elle lui a répondu», non par ses propres mérites,mais par des oeuvres qui viennent de lui. Où? «Dans la voie de sa force». C'est là le Christ, lui qui a dit: «Je suis la voie, la vérité, la vie 2». Mais avant la résurrection, le peuple ne le connaissait point; ce fut principalement lors de sa mort sur la croix, que son infirmité cacha ce qu'il était 3,jusqu'à ce qu'il parut dans sa force par sa résurrection. Donc l'Eglise n'a point répondu au Fils de Dieu dans le chemin de son infirmité, mais bien quand il a fait éclater sa force clans sa résurrection. L'Eglise ne lui a point répondu quand il était dans la vie de son infirmité, mais bien quand il était «dans la voie de sa force»: car ce fut après sa résurrection qu'il appela son Eglise de tous les confins de la terre, non plus dans l'infirmité de la croix, mais dans toute la force du ciel. La gloire du chrétien, en effet, n'est pas de croire à la mort du Christ, mais bien plutôt à la résurrection du Christ. Car le païen croit qu'il est mort; et s'il te fait un reproche, c'est de croire à un mort. Où donc est ta gloire? C'est de croire à la résurrection du Christ, et d'espérer que tu ressusciteras par le Christ: telle est la gloire de ta foi. «Si tu crois en ton coeur que Jésus est le Seigneur, et si ta bouche confesse que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé 4». L'Apôtre ne dit point: Si tu confesses que Dieu l'a livré à la mort; mais: «Si tu confesses que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauve; car, c'est par le coeur que l'on croit pour devenir juste, et l'on confesse de bouche pour obtenir le salut 5». Pourquoi donc croire à sa mort? Parce que nous ne pouvons croire àsa résurrection sans croire à sa mort. Qui peut ressusciter, si d'abord il ne meurt? Qui se réveille sans avoir dormi? «Mais celui qui a  dormi,ne s'éveillera-t-il donc point 6?» Telle est la foi des chrétiens. Telle est la toi qui a uni l'Eglise, et dans laquelle « cette Epouse abandonnée a plus d'enfants que celle qui a un mari 1; et lui répond», en lui chantant des louanges selon ses préceptes; «dans la voie de sa force», et non dans la voie de son infirmité.

1. Ps 11,5.- 2. Jn 14,6.- 3. 2Co 13,4.- 4. Rm 10,9. - 5. Rm 10,10.- 6. Ps 11,9.


8. Déjà nous avons entendu cette réponse: « C'est en rassemblant les peuples et les royaumes dans l'unité, afin qu'ils servent le Seigneur 2». Telle est donc sa réponse, l'unité, et quiconque n'est pas dans l'unité, ne lui répond point. Car le Christ est un, l'Eglise est unité. L'unité seule répond à Celui qui est un. Mais il en est qui disent: Voilà ce qui est fait: l'Eglise des quatre coins du monde a répondu au Christ, en lui donnant plus de fils que celle qui avait un époux; «elle lui a répondu dans la voie de sa force»; elle a cru que le Christ est ressuscité; toutes les nations ont cru en lui. Mais cette Eglise, qui fut l'Eglise de toutes les nations, ne l'est déjà plus; elle a péri. Telle est le langage de ceux qui n'en sont pas. O insolence! Elle n'est pas l'Eglise, parce que tu n'en es pas? Prends garde de n'être plus par cela même; car elle subsistera, bien que tu n'en sois point. Celte voix abominable, détestable, pleine de présomption et de fausseté, qui n'a pour base aucune vérité, qui n'est éclairée par aucune sagesse, ni pondérée par aucune prudence, qui est vaine, qui est téméraire, qui est précipitée, qui est pernicieuse, a été prévue par l'Esprit de Dieu, et il semble la combattre en prédisant l'unité contre ses adeptes: «En rassemblant dans l'unité les peuples et les rois, afin qu'ils servent le Seigneur». Et quand l'Apôtre ajoute, qu'elle lui a répondue, c'est sa louange, c'est la Jérusalem notre mère, qui sera enfin rappelée de son exil, elle qui est féconde, et qui a plus d'enfants que celle qui avait un époux; elle dont les adversaires devaient dire: Elle a été, mais elle n'est plus. «Faites-moi connaître l'exiguïté de mes jours 3». Quels sont ces murmures que j'ignore, et que profèrent contre moi ceux qui s'en éloignent? Comment des hommes perdus soutiennent-ils que je suis perdue? Ils publient hardiment que je ne suis plus, et que j'ai été: «Faites-moi connaître le nombre restreint de mes jours». Je ne vous demande point des jours éternels: ceux-là sont sans fin, et je les obtiendrai; je ne vous les demande point; je m'enquiers des jours du temps,

1. Ga 4,27. - 2. Ps 101,23. - 3. Ps 101,24.

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indiquez-moi les jours du temps: «Faites-moi connaître l'exiguïté», et non l'éternité «de mes jours». Indiquez-moi le temps que je dois passer en cette vie, à cause de ceux qui disent: Elle était, elle n'est plus; à cause de ceux qui disent: Voilà que les Ecritures sont accomplies, les nations ont embrassé la foi, mais l'Eglise est tombée dans l'apostasie, elle a disparu du milieu des nations. Qu'est-ce à dire: «Annoncez-moi l'exiguïté de mes jours?» Dieu la lui a fait connaître, et cette prière n'est pas vaine. Qui donc me l'a dit, sinon Celui qui est la vie? Commuent l'a- t-il dit? «Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles 1».

9. Mais ils sont ici, et ils disent: «Je suis avec vous», dit le Sauveur, «jusqu'à la consommation des siècles»; parce qu'il nous avait en vue, et qu'il savait que le parti de Donat serait un jour sur la terre. Est-ce bien ce parti qui a dit: «Faites-moi connaître l'exiguïté de mes jours?» Où n'est-ce point plutôt cette Eglise qui parlait plus haut et qui disait: «Je rassemblerai les peuples et  les rois, qui doivent servir le Seigneur?» Pourquoi votre coeur est-il affligé? Parce que les empereurs proposent des lois contre les hérétiques, et justifient l'oracle, que «les rois s'uniront pour servir le Seigneur?» Ce n'est point vous en effet qui êtes les fils de ces hommes égorgés, dont le Seigneur a exaucé la voix, quand ils étaient dans les entraves. Loin de là. Vos actions ne le disent point, votre vanité, votre orgue il ne vous rendent point ce témoignage: Vous n'avez point la sagesse, et vous êtes au dehors; vous êtes un sel affadi, et foulé aux pieds par les hommes 2. Ecoutez donc ce que dit l'Eglise, et quelle Eglise? Celle qui a rassemblé les «peuples dans l'unité». Quelle Eglise? Celle qui a rassemblé «les rois, afin qu'ils servent le Seigneur». Ebranlée par vos cris et vos erreurs, elle demande à Dieu qu'il lui. fasse connaître l'exiguïté de ses jours, et elle entend cette parole du Seigneur: «Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles». A ce propos, c'est de vous qu'il parle, dites-vous, c'est nous qui sommes, et qui serons jusqu'à la consommation des siècles. Qu'on interroge le Christ, à qui il est dit: «Montrez-moi le petit nombre de mes jours. Cet Evangile», nous répond-il, « sera prêché dans l'univers entier, en témoignage

1. Mt 28,20. - 2. Mt 5,13.

à toutes les nations, et alors viendra la fin 1». Où est maintenant votre allégation: L'Eglise était, elle n'est plus? Ecoute le Seigneur, qui annonce cette exiguïté de jours. «Cet Evangile. sera prêché», dit-il. Où? «Dans l'univers entier». A qui? «En témoignage à toutes les nations». Qu'arrivera-t-il ensuite? «Ensuite viendra la fin». Ne vois-tu pas qu'il y a beaucoup de nations encore qui n'ont pas entendu l'Evangile? Donc, puisqu'il faut que soit accomplie la parole du Seigneur, prédisant à l'Eglise la brièveté de ses jours, puisqu'il faut que l'Evangile soit prêché dans toutes les nations, avant la fin; pourquoi dire que l'Eglise a disparu du milieu des nations auxquelles on prêche cet Evangile, afin qu'elle étende son empire sur tous les peuples? Donc, jusqu'à la fin des siècles, l'Eglise subsistera parmi les nations; et si ses jours sont peu nombreux, c'est qu'il y a brièveté dans tout ce qui a une fin, et qu'à cette brièveté doit succéder l'éternité. Que les hérétiques périssent, qu'ils péris. sent dans ce qu'ils sont, afin qu'ils deviennent ce qu'ils ne sont point. Cette brièveté des jours s'étendra jusqu'à la fin des siècles; et si elle s'appelle brièveté, c'est que tout le temps, je ne dis pas depuis ce jour jusqu'à la fin des siècles, mais tout le temps qui s'écoulera depuis Adam jusqu'à. la fin des siècles, n'est qu'une goutte d'eau en comparaison de l'éternité.

10. Les hérétiques n'ont donc point à s'applaudir contre moi, parce que j'ai parlé de «la brièveté de mes jours», comme si je ne devais point subsister jusqu'à la fin des siècles. Qu'ajoute le Prophète? «Ne me rappelez point au milieu de mes jours 2». N'agissez point avec moi, selon les prétentions des hérétiques. Conduisez-moi, non point au milieu de mes jours, mais jusqu'à la fin des siècles, dispensez-moi ces jours rapides, mais de manière à me donner ensuite les jours éternels. Pourquoi donc cette inquiétude au sujet des jours si rapides? Pourquoi? veux-tu l'entendre? «Vos années sont de génération en génération». Si je vous supplie au sujet de mes jours si restreints, c'est que ces jours, bien. qu'ils doivent durer jusqu'à la fin des siècles, ne sont rien en comparaison de vos jours: «Vos années sont de génération en génération». Pourquoi ne dit-il pas: Vos années remplissent les siècles des siècles, puisque

1. Mt 24,14.- 2. Ps 101,25.

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telle est la manière de désigner l'éternité dans les saintes Ecritures; pourquoi dire: «Vos années sont de génération en génération?» Mais quelles sont «vos années», ô mon Dieu? Oui, quelles sont vos années, sinon celles qui ne viennent point, qui ne passent point? Quelles années, sinon celles qui ne viennent point, afin précisément de ne point passer? Tout jour de cette vie ne vient que pour n'être plus; ainsi des heures, ainsi des mois, ainsi des années,rien ne demeure;avant qu'il soit venu, chaque moment n'était pas; est-il une fois venu qu'il n'est déjà plus. Vos années, Seigneur, sont donc des années éternelles, des années qui ne changent point, mais qui seront «de génération en génération». Il y a une certaine génération des générations, c'est en elle que seront vos années. Quelle est-elle? Elle existe, et si nous la connaissons bien, c'est en elle que nous devons être, et les années de Dieu seront en nous. Comment seront-elles en nous? Comme Dieu lui-même sera en nous selon cette parole: «Afin que Dieu soit tout en tous». Car les années de Dieu ne sont autres que lui-même: or, ces années sont l'éternité de Dieu; et l'éternité de Dieu, c'est la substance de Dieu jui n'a rien de changeant; en lui il n'y a rien de ce passé qui ne serait déjà pins, ni de cet avenir qui ne serait point encore, il n'y a en lui rien autre que Il est; il n'y a ni Il fut, ni Il sera; car ce qui fut n'est plus, ce qui sera n'est point encore: mais en Dieu tout Est. C'est avec raison qu'il envoya autrefois son serviteur Moïse avec cette parole. Moïse demanda le nom de celui qui l'envoyait; il le demanda et l'entendit, car le Seigneur ne frustra point ce désir pieux, qui ne venait point d'une curieuse présomption, mais de la nécessité d'accomplir un ministère. «Que répondrai-je», dit-il, «aux fils d'Israël, s'ils me disent: Qui t'a envoyé vers nous 2?» Et alors s'inclinant vers sa créature, lui Créateur, lui Dieu vers l'homme, lui immortel vers celui qui est mortel, lui éternel vers celui qui est du temps: «Je suis», dit-il, «celui qui suis 3». Pour toi, tu dirais C'est moi. Qui? Gaïus; un autre: Lucius; un autre: Marc. Pourrais-tu dire autre chose que ton nom? Voilà ce que Moïse attendait de Dieu, ce qu'il lui avait demandé. Quel est votre nom? Que répondre à ceux qui me demanderont par qui je suis envoyé? «Je suis».

1. 1Co 15,28. - 2. Ex 3,13. - 3. Ex 3,14.

Qui? «Celui qui suis». Est-ce donc là votre nom? Est-ce là tout? Et serait-ce là bien votre nom, si tout ce qui existe n'est véritablement pas dès qu'on le compare à vous? Ceci est votre nom, exprimez-le mieux encore : «Allez», dit le Seigneur, «et dites aux enfants d'Israël: Celui qui est m'a envoyé vers vous. Je suis celui qui suis; celui qui est m'a envoyé vers vous». « Etre», grandeur ! « Etre», sublime expression! Après cela, qu'est-ce que l'homme? En face de ce grand «Etre», qu'est-ce que l'homme dans tout son être? Qui comprendra cet «Etre» sublime? Qui pourra y avoir part? Qui pourra le désirer? y aspirer? Qui pourra se promettre d'y arriver un jour? Ne désespère point, ô homme, ô faible créature. «Je suis»,dit-il, «le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob 1». Tu as entendu ce que je suis en moi-même, écoute ce que je suis pour toi. Telle est donc l'éternité qui vous appelle, et le Verbe est sorti de l'éternité. Voilà déjà l'éternité, voilà déjà le Verbe, et le temps n'est-il point encore? Pourquoi le temps n'est-il pas? Parce que le temps même a été fait. Comment le temps a-t-il été fait? «Tout a été fait par lui, et sans lui rien n'a été fait 2» O Verbe, avant le temps ! Verbe, par qui les temps ont été faits! Verbe, qui êtes la vie éternelle, qui appelez à vous les hommes du temps pour leur donner l'éternité ! Telle est la génération des générations: une génération s'en va, une autre génération vient 3. Il en est des hommes comme des feuilles d'un arbre, feuilles de l'olivier, du laurier, ou de tout arbre qui conserve toujours son manteau de verdure. Ainsi la terre porte les hommes, comme un de ces arbres porte des feuilles; elle est couverte d'hommes dont les uns meurent, dont les autres naissent pour leur succéder. L'arbre a toujours sa robe éclatante de verdure; mais vois au-dessous combien de feuilles sèches tu foules aux pieds.

1. Ex 3,15.- 2. Jn 1,3.- 3. Si 1,4.- 4. Gn 6,17-18.


11. Il y eut donc une génération pour Adam, et elle a passé. De là sortirent quelques hommes qui durent avoir part à l'éternité de Dieu, même en ce temps-là. De là sortirent Abel, et Seth, et Enoch 4. Cette génération n passé, puis est tenu le déluge, n'épargnant qu'une famille. Cette génération nouvelle en donna quelques-uns à son tour, comme Noé, ses trois fils et ses trois brus, et dans cette (486) famille, composée de huit personnes, il n'y eut qu'un seul pécheur 1: elle s'ajouta à la génération précédente. Des trois fils de Noé, comme des trois mesures de froment de l'Evangile, toute la terre fut ensuite peuplée. Dieu se choisit Abraham, Isaac et Jacob, saints personnages, illustres patriarches, qui plurent au Seigneur. Cette génération en produisit d'autres, qui en donnèrent d'autres à leur tour, les saints Prophètes, les hérauts de Dieu. Est venu enfin Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui a jeté le levain dans ces trois mesures de farine, jusqu'à ce que le tout fût fermenté 2. Lorsqu'il était encore ici- bas, dans sa chair, il y eut des Apôtres, il y eut des saints, et après eux, d'autres saints; et c'est au nom du Christ qu'il y a maintenant des saints, qu'il y en aura après nous, et de même jusqu'à la fin des siècles. Dans tant de générations, vous choisirez, Seigneur, tous les saints de chaque génération, pour en faire une génération unique, Et c'est dans cette génération des générations que subsisteront vos années, c'est-à-dire que votre éternité sera dans cette génération tirée de toutes les autres, et réunie en une seule; celle-là donc participera à votre éternité. Les autres générations ne sont que pour remplir le temps qui enfante cette génération destinée à l'éternité; vous la changerez, Seigneur, et elle aura une vie nouvelle; elle sera capable de vous porter, parce que vous lui en donnerez les forces. «Vos années sont dans la génération des générations».

12. «Au commencement, Seigneur, vous avez fondé la terre». Je sais que vous êtes éternel, et dès lors avant toutes choses: «Au commencement, Seigneur, vous avez fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de vos mains. Ils périront, mais vous demeurez: tous vieillissent comme un vêtement; vous les changerez comme on change un manteau, et ils seront changés. Mais vous, Seigneur, vous êtes le même 3». Qui êtes-vous? «Celui qui êtes le même», vous qui avez dit: «Je suis celui qui suis, vous êtes le même». Et bien que les créatures ne puissent exister que de vous, que par vous, et qu'en vous, elles ne sont pas néanmoins ce que vous êtes. «Vous êtes en effet le même, et vos années ne passeront point». Non, elles ne passeront point, ces années qui vous sont propres,

1. Gn 9,22. - 2. Mt 13,33. - 3. Ps 101,26-28.

ces années qui doivent subsister dans la génération des générations. Dans cette conviction, vous demanderais-je quelle est la brièveté de mes jours, si je ne savais que tous les jours d'ici-bas sont courts quand on les compare à votre éternité? Je sais donc ce que je vous demande. Que les hérétiques ne s'élèvent point, comme si l'Eglise, répandue dans l'univers entier, n'avait que peu de jours à vivre. Bien que ces jours doivent se prolonger jusqu'à la fin du monde, ils sont courts néanmoins. Comment courts? Oui, puisqu'ils doivent finir. Quant aux années qui subsisteront «de génération en génération», voilà celles qu'il faut aimer, qu'il faut désirer après lesquelles nous devons soupirer; c'est en vue de ces années que nous devons demeurer dans l'unité, pour les acquérir qu'il faut éviter ce qu'il y a de contagieux dans les hérétiques, pour les posséder qu'il faut répondre à ces pervers, qu'il faut gagner ceux qui sont égarés et rappeler à la vie ceux qui ont péri. Voilà ce qu'il faut désirer. Toutefois, ô mon Dieu, afin que je puisse répondre à ces discoureurs, à ces parleurs impudents, à ces calomniateurs, à ces murmurateurs, à ces détracteurs: « Faites-moi connaître le petit nombre de mes jours»; et «ne me rappelez point au milieu de mes années». Ne me retirez point de la terre avant que l'Evangile soit prêché dans le monde entier, selon cette promesse du Sauveur: «Il faut que l'Evangile soit prêché dans tout l'univers, afin de servir de témoignage à tous les peuples, et alors viendra la fin 1». Que dirons-nous ici, mes frères?Tout cela est clair, évident. Dieu a fondé la terre, nous le savons, les cieux sont l'oeuvre de ses mains. Ne croyez point toutefois qu'il y ait une différence entre l'oeuvre de ses mains et l'oeuvre de sa parole: celui qui a dit: «Je suis celui qui suis», n'a point de membres corporels, et son Verbe est sa main, car sa main est bien sa force. Parce qu'il est écrit: « Que le firmament soit fait», et il fut fait; nous comprenons que Dieu le fit par son Verbe; mais quand il dit: « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance 2», il nous semble qu'il le fit de sa main. Ecoute alors: «Les oeuvres de vos «mains sont les cieux e. Voilà qu'il fait par sa parole ce qu'il fait aussi par ses mains, puisqu'il l'a fait par sa puissance, par sa

1. Mt 24,14. - 2. Gn 1,6 Gn 1,26.

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force. Vois donc ce qu'il a fait, et ne t'enquiers point de la manière dont il l'a fait. C'est trop pour toi de vouloir comprendre comment il l'a fait, puisqu'il t'a fait de telle sorte que tu sois d'abord son serviteur, afin de pouvoir être ensuite son ami intelligent. «Donc les cieux sont l'oeuvre de vos mains».

13. «Ils périront, mais vous demeurez 1». L'apôtre saint Pierre nous dit clairement: «Les cieux furent d'abord tirés de l'eau et appuyés sur l'eau, par le Verbe de Dieu; c'est lui qui a créé ce monde qui périt par le déluge; mais les cieux et la terre qui subsistent maintenant, sont réservés au feu e par ce même Verbe 2». Il nous enseigne donc que les cieux ont péri par le déluge; ils périrent dans l'étendue et l'espace de cet air que nous respirons. L'eau s'accrut, et remplit tout l'espace d'air où voltigent les oiseaux; ainsi périrent les cieux rapprochés de la terre, et dont on dit les oiseaux du ciel. Mais il y a des cieux bien supérieurs dans le firmament: périront-ils par le feu, ou bien n'y aura t-il que ces mêmes cieux qui ont déjà péri par le déluge? C'est là une question épineuse parmi les savants, et qu'il n'est pas facile de trancher dans le peu de temps qui nous reste. Laissons-la donc, ou du moins différons-la pour un autre moment, mais sachons que tout cela périra, et que Dieu demeure. Si quelques-unes des créatures du Seigneur doivent demeurer avec lui, ce n'est point en elles-mêmes qu'elles peuvent demeurer, mais bien en Dieu, en ne se retirant point de Dieu. Quoi donc, mes frères? Dirons-nous que les anges doivent périr par le feu qui consumera le monde? nullement. Quoi donc? que Dieu n'a pas fait les anges? Loin de nous. Que dire alors? D'où viendraient-ils, s'ils n'eussent été faits par lui? «Il a dit, et j tout a été fait; il a commandé, et tout a été créé 3». Ainsi dit le Prophète à propos des oeuvres de Dieu, parmi lesquelles sont comptés les anges. Les anges donc seront avec Dieu lorsque le monde sera réduit par le feu: et le monde passera par un embrasement qui n'atteindra point les saints de Dieu. Ce que fut la fournaise pour les trois jeunes hébreux 4, voilà ce que sera l'embrasement du monde pour les justes marqués au sceau de la Trinité.

1. Ps 101,27.- 2. 2P 3,5-7.- 3. Ps 32,9.- 4. Da 3,21.


14. Ce n'est point nous tromper peut-être que d'entendre par les cieux les justes eux-mêmes, les saints de Dieu, qu'il choisit pour sa demeure, afin de faire gronder le tonnerre de ses préceptes, et briller l'éclair de ses miracles et pleuvoir la sagesse de sa vérité; Les cieux en effet ont raconté la gloire de Dieu 1. Mais ces cieux périront-ils? Ou doivent-ils périr en quelque sens? En quelle manière doivent-ils périr? A la manière d'un vêtement. Qu'est-ce à dire, à la manière d'un vêtement? Dans ce qu'ils ont de corporel; car le corps est le vêtement de l'âme, comme il résulte de l'expression de Jésus-Christ, quand il dit: « L'âme n'est-elle point plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement 2?» Comment donc périt un vêtement? «Quoique l'homme extérieur doive se corrompre en nous, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour 3». Ils périront donc, mais seulement selon le corps: « pour vous, Seigneur, vous demeurez». Si donc ils doivent périr selon le corps, où est la résurrection de la chair? Que deviendra pour les membres l'exemple donné par le chef? Où sera-t-il? Veux-tu l'entendre? La chair sera changée; elle ne demeurera point ce qu'elle était. Ecoute un mot de l'Apôtre: «Les morts ressusciteront dans l'incorruptibilité, et nous serons changés». Comment serons-nous changés? « On sème un corps animal, et il ressuscitera corps spirituel 4». Donc ce que l'on sème de mortel, ressuscitera immortel; ce que l'on sème de corruptible, ressuscitera incorruptible. Attendons ainsi ce changement: les cieux alors doivent périr, les cieux doivent être changés. Mais peut-être n'est-il pas juste d'appeler cieux les corps des saints? S'ils ne portent pas Dieu, qu'ils ne soient point appelés des cieux. Mais, dira-t-on, comment prouver qu'ils doivent porter Dieu? As-tu donc oublié ce mot de saint Paul: «Glorifiez Dieu, et portez-le dans votre corps 5?» Ces cieux donc doivent périr, mais non éternellement, périr afin d'être changés. N'est-ce point là ce que dit le psaume? Lis la suite: «Et tous vieilliront comme un vêtement, vous les changerez comme un manteau, et ils seront changés pour vous, vous êtes le même, et vos années ne périront point 6». Entends-tu ce vêtement, entends-tu ce manteau, qui ne

1. Ps 18,2.- 2. Mt 6,25.- 3. 2Co 4,16.- 4. 1Co 15,4 1Co 15,52. - 5. 1Co 6,20.- 6. Ps 101,27-28.

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signifie rien autre que le corps? Espérons donc le changement de notre corps, mais ne l'espérons que de Celui qui était avant nous, qui demeure après nous; de qui nous tenons ce que nous sommes, et à qui nous devons revenir après notre changement; qui change tout sans subir de changement, qui crée et qui est incréé; qui donne le mouvement et qui demeure; qui dit autant que la chair et le sang peuvent le comprendre: «Je suis celui qui suis 1. Vous êtes le même Seigneur, et vos années ne périront point». Mais en face de ces années immuables, qui sommes-nous avec des années en lambeaux? Et toutefois ne désespérons point. Déjà dans cette hauteur, dans cette suréminence de la sagesse. Il avait dit: «Je suis celui qui suis», et néanmoins, pour nous consoler, il ajoute: « Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob», et nous sommes de la race d'Abraham 2; quelle que soit notre objection, quoi que nous soyons cendre et poussière, nous espérons en lui. Nous sommes esclaves, il est vrai; mais pour nous, le Seigneur a pris la forme de l'esclave 3 pour nous, chétifs mortels, l'immortel a voulu mourir, pour nous il a donné en lui-même un témoignage de notre résurrection. Espérons dès lors que nous arriverons à ces aunées qui demeurent, et dont le soleil ne mesure point les jours, mais où demeure stable tout ce qui est, parce qu'il n'y a que cela qui soit véritablement.

15. Mais dites-nous, ô Prophète, si nous pouvons espérer d'y être un jour. Ecoute, et vois s'il te faut désespérer; écoute ces paroles: « C'est là qu'habiteront les fils de vos serviteurs». Où, sinon dans les années qui n'ont point de fin? «C'est là qu'habiteront les fils de vos serviteurs, et leur postérité sera dirigée vers le siècle 4»: oui, vers le siècle du siècle, vers le siècle sans fin, vers le siècle qui demeure stable. Mais, c'est le sort «des fils de vos serviteurs», dit le Prophète, et dès lors nous faudra-t-il redouter qu'après avoir servi le Seigneur, nous n'habitions point ces années éternelles, et qu'il n'y ait que nos enfants? Ou si nous sommes les fils des serviteurs de Dieu, parce que nous sommes les fils des Apôtres, que dire? Des enfants nouvellement nés, naguère admis dans une succession qui les honore, auraient-ils donc

1. Ex 3,14 - 2. Ga 3,29 - 3. Ph 2,7 - 4. Ps 101,29

la scandaleuse audace de dire: C'est nous qui devons y être, les Apôtres n'y seront point? Dieu préserve de ce malheur, et la piété des fils, et la foi des enfants, et l'intelligence des plus grands. Là aussi seront les Apôtres; les béliers ouvriront la marche, puis viendront les agneaux. Pourquoi dire alors: « Le fils de vos serviteurs»,et ne pas dire aussitôt,vos serviteurs? Car eux aussi sont vos serviteurs, et leurs fils vos serviteurs; et les fils de leurs enfants, que seront-ils, sinon encore des serviteurs? On comprendrait tout cela en un seul mot, si le Psalmiste nous disait: C'est là qu'habiteront vos serviteurs: on comprendrait en un seul mot» Voyons ce que figure son langage; dans les premiers siècles il y a des faits. Pendant quarante années, les enfants d'Israël furent brisés dans le désert nul n'entra dans la terre promise à l'exception de leurs enfants. Deux seulement, sue ne me trompe, entrèrent dans cette terre, pas plus 1. De tant de milliers d'hommes, deux seulement purent y entrer. C'était pour eux seuls que Dieu avait pris tant de peine, quoique pour Dieu il n'y ait aucune peine, seulement la peine est pour ses serviteurs. Combien souffrit Moïse pour ces hommes; combien il entendit menacer de n'entrer point dans la terre des promesses! Ce furent leurs enfants qui y entrèrent. Quel est le sens de cette figure? Ce furent les hommes nouveaux qui y entrèrent, non ceux qui tenaient du vieil homme. Toutefois deux y entrèrent, un et l'unité, la tête et le corps, le Christ et l'Eglise, avec toute cette jeunesse renouvelée, ou leurs enfants. Donc, c'est là qu' « habiteront les fils de tes serviteurs». Et ces fils de tes serviteurs sans les oeuvres de tes serviteurs, car nul ne peut y résider que par ses oeuvres. Qu'est-ce à dire, les fils l'habiteront? Que nul ne se flatte d'y habiter, s'il se dit seulement serviteur, sans en faire seulement les oeuvres; car il n'y aura que les fils pour y habiter? Qu'est-ce à dire, «les fils de vos serviteurs y habiteront?» Vos serviteurs y habiteront par leurs bonnes oeuvres, y habiteront par leurs enfants. Ne sois donc point stérile, situ veux habiter les années éternelles; envoie devant toi tes enfants, afin de les suivre; envoyez-les-y, ne les en faites pas sortir. Que tes enfants te conduisent à la terre des promesses, à la terre des vivants, et non à la terre des mourants. Pendant que tu

1. Nb 14,29-30.

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accomplis ton pèlerinage, qu'ils te précèdent pour te recevoir. C'était pour préparer à son père la nourriture du corps que le fils de Jacob le précéda en Egypte, et qu'il dit à son père et à ses frères: « Je suis venu avant vous pour vous préparer des vivres 1». Que tes enfants donc, ou plutôt que tes bonnes oeuvres te précèdent; tels vous aurez envoyé ces enfants, tels vous les suivrez.

1. Gn 45,7.




Augustin, les Psaumes 10220