Augustin, les Psaumes 116

DISCOURS SUR LE PSAUME CXIV - LA DÉLIVRANCE.

116 Ps 116,1-9SERMON AU PEUPLE.



L'espérance que le Seigneur nous exaucera attise notre amour pour lui; et cette espérance est fondée sur la foi, car tout ce qu'il fait pour nous allume le flambeau de notre croyance en sa bonté. Les jours dans lesquels nous invoquons le Seigneur, sont les jours du vieil homme, et de l'éloignement du Seigneur. Mais ayant rencontré cette affliction qui vient de la considération de nos misères spirituelles, et qui est un gage de salut, j'ai invoqué le Seigneur qui est miséricordieux, puisqu'il nous appelle au salut, et qu'il ne nous châtie que pour nous pardonner si nous nous redressons. Reposons-nous dans celui qui nous a délivrés de cette mort de l'impie qui est un labeur sans fin, pour nous donner un repos accompagné de vigilance. Le Seigneur nous a donc délivrés de la mort des impies ou de la mort éternelle quand il nous a délivrés du péché; c'est au péché que notre corps doit mourir pour que nous plaisions au Seigneur.

1. «J'ai aimé le Seigneur, parce qu'il écoutera la voix de ma prière 1». Que tel soit le chant de toute âme éloignée du Seigneur, le chant de toute brebis qui s'était égarée, le chant de tout enfant qui était mort et qui est ressuscité, qui était perdu et qui est retrouvé 2; le chant de notre âme, ô frères et enfants bien-aimés. Instruisons-nous de nos devoirs avec une ferme constance et chantons avec les saints: «J'ai aimé le Seigneur, parce qu'il écoutera la voix de ma prière». La cause de notre amour pour Dieu est-elle bien, «parce qu'il exaucera la voix de ma prière?» Ne l'aimons-nous pas plutôt parce qu'il nous a exaucés? ou l'aimons-nous afin qu'il nous exauce? Que signifie donc: «J'ai aimé parce qu'il exaucera?» Serait-ce parce que, d'ordinaire, l'amour s'enflammant par l'espérance, le Prophète nous dirait alors qu'il a aimé, parce qu'il a espéré que le Seigneur exaucerait la voix de sa prière?

2. Mais d'où lui est venue cette espérance? C'est, nous répond-il, «parce qu'il a incliné son oreille vers moi, et que je l'ai invoqué pendant les jours de ma vie 3». Je l'ai donc aimé parce qu'il m'exaucera, et il m'exaucera parce qu'il a incliné son oreille vers moi. Mais, ô âme de l'homme, comment sais-tu que Dieu a incliné son oreille vers toi, si tu n'as dit: J'ai cru? Voilà donc les trois vertus qui demeurent ici-bas, la foi, l'espérance et la charité 4. Parce que tu as cru, tu as espéré, et parce que tu as espéré, tu as aimé; maintenant

1. Ps 125,1. - 2. Lc 15,6 Lc 15,24. - 3. Ps 114,2. - 4. 1Co 13,13.

si je demande comment l'âme a cru que Dieu inclinait son oreille pour l'écouter, ne peut-elle point me répondre: «C'est lui qui nous a aimés le premier, au point de ne pas épargner son propre Fils, et de le livrer pour nous tous? Comment pourront-ils l'invoquer s'ils ne croient en lui?» dit le Docteur des nations, «et comment croire en lui, s'ils n'en ont entendu parler? et comment en entendre parler, si on ne le leur prêche? et comment y aura-t-il des prédicateurs si on ne les envoie 2?» Or, à la vue de tout ce que Dieu a fait pour moi, comment ne croirais-je pas qu'il a incliné son oreille vers moi? Et il a tellement signalé son amour pour nous, que le Christ est mort pour les impies 3 . C'est donc parce qu'ils m'ont apporté tant de grâces, ces hommes dont les pieds sont beaux, qui ont annoncé la paix, annoncé les biens 4, et prêché que tout homme qui aura invoqué le nom du Seigneur sera sauvé 5,c'est pour cela que j'ai cru que Dieu inclinait son oreille vers moi, et que je l'ai invoqué en mes jours.

3. Et quels sont ces jours dont tu nous dis : «En mes jours j'ai invoqué le Seigneur?» Ces jours peut-être qui ont fermé la plénitude du temps, alors que Dieu a envoyé son Fils 6, lui qui avait déjà dit: «Je t'ai exaucé au temps marqué, je t'ai aidé au jour du salut 7?» Tu as entendu de la bouche d'un prédicateur, dont les pieds étaient beaux: «Voici maintenant le temps favorable, voici les

1. Rm 8,32.- 2. Rm 10,14-15. - 3. Rm 5,8-9.- 4 Is 53,7. - 5. Jl 2,32. - 4. Ga 4,4. - 5 Is 49,8.

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jours du salut 1»; et alors tu as cru, et dans ces jours tu as invoqué, et tu as dit: «Seigneur, mon Dieu, délivrez mon âme 2». Cela est vrai, et pourtant je puis appeler plus justement mes jours, les jours de ma misère, les jours de ma mortalité, les jours qui me viennent d'Adam, jours pleins de labeur et de fatigue, jours du vieil homme et de la corruption. Car je suis à terre, «et plongé dans la vase de l'abîme 3»; et dans un autre Psaume je me suis écrié: «Voilà que vous avez lait vieillir mes jours 4. C'est pendant ces jours que je vous ai invoqué». Mes jours sont donc bien différents des jours de mon Dieu. J'appelle mes jours ceux que je me suis faits à moi-même, par cette audace qui m'a porté à me séparer de lui. Et comme il règne partout, comme il est tout-puissant, tenant tout dans ses mains, j'ai mérité la prison, c'est-à-dire que j'ai dû subir les ténèbres de l'ignorance et les entraves de la mortalité. «Je vous ai donc invoqué en mes jours», parce que c'est moi qui crie dans un autre Psaume: «Délivrez mon âme de la prison 5», Et comme le Seigneur m'a secouru au jour de ce même salut qu'il m'a procuré, voilà que le gémissement des captifs a monté en sa présence 6. C'est en effet dans ces jours qui sont les miens que «les douleurs de la mort «m'ont environné, que les périls de l'enfer m'ont saisi 7»; et ils ne me trouveraient point si je n'étais loin de vous. Ils me tiennent donc maintenant en leur pouvoir, et moi je ne les trouvais point, moi qui mettais ma joie dans les prospérités de ce monde, où les périls de l'enfer sont plus trompeurs encore.

4. Mais quand, à mon tour, «j'ai rencontré la tribulation et la douleur, j'ai invoqué le nom de mon Dieu 8». Je ne connaissais point cette affliction, cette douleur très-utile, affliction dont vient nous décharger celui auquel il est dit: «Donnez-nous votre secours dans l'affliction, car le salut qui vient de l'homme est trompeur 9». Pour moi, je croyais que ce vain salut de l'homme pourrait me procurer de la joie et de l'allégresse; mais quand j'ai entendu cette parole du Seigneur: «Bienheureux ceux qui pleurent parce qu'ils seront consolés 10», je n'ai pas

1. 2Co 6,2. - 2. Ps 146,5.- 3. Ps 58,3.- 4. Ps 38,6.- 5. Ps 141,8. - 6. Ps 78,11. - 7. Ps 114,3.- 8. Ps 114,4. - 9. Ps 59,13. - 10. Mt 5,5.

attendu pour pleurer, la perte de ces biens temporels qui me procuraient un funeste plaisir, mais j'ai considéré cette misère qui est en moi, et qui me fait trouver la joie dans ces biens que je crains de perdre, et que je ne puis néanmoins retenir; je l'ai considérée avec attention et avec courage, et j'ai vu que non-seulement j'étais tourmenté par les revers de cette vie, mais que ses prospérités elles-mêmes étaient un lourd fardeau; et ainsi : « J'ai trouvé la tribulation et la douleur» que je ne connaissais pas, «et j'ai invoqué le nom du Seigneur. O Dieu, délivrez mon âme 1. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort, sinon la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2?» Que le peuple de Dieu s'écrie dès lors: «J'ai rencontré la tribulation et la douleur, et j'ai invoqué le nom de mon Dieu». Qu'elles nous entendent, ces nations qui sont en arrière, et qui n'invoquent point encore le nom du Seigneur; qu'elles nous entendent, qu'elles cherchent afin de rencontrer la douleur et la tribulation, et d'invoquer aussi le nom du Seigneur, et d'être sauvées. Nous ne leur parlons point de la sorte, afin qu'elles cherchent une misère qu'elles n'auraient point, mais afin qu'elles trouvent cette misère qu'elles ont sans la connaître. Ce que nous leur souhaitons, ce n'est point qu'elles manquent de ces biens terrestres qui leur sont nécessaires pendant cette vie mortelle; mais qu'elles pleurent de ce qu'ayant perdu les biens du ciel qui les rassasiaient, elles aient mérité d'avoir besoin de ces biens de la terre qui ne procurent aucune jouissance durable, et qui n'ont d'utilité qu'en cette vie temporelle. Telle est la misère qu'ils doivent reconnaître et pleurer; et leurs larmes deviendront bienheureuses en celui qui n'a point voulu pour ces peuples un malheur éternel.

5. «Le Seigneur est plein de clémence et de justice, notre Dieu se plaît à faire miséricorde 3». Dieu donc est miséricordieux, il est juste, il pardonne: miséricordieux d'abord, parce qu'il a incliné son oreille vers moi; et j'ignorerais que Dieu se fût approché de moi pour entendre mes paroles, si je n'avais été excité à l'invoquer par ceux dont les pieds sont beaux. Qui donc a fait appel au Seigneur, sinon celui que le Seigneur a tout

1. Ps 114,4.- 2. Rm 7,24-25. - 3. Ps 114,5.

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d'abord appelé? Voilà donc tout d'abord sa miséricorde. Il est juste, parce qu'il châtie, et il est encore miséricordieux, parce qu'il reçoit celui qu'il a châtié. «Car le Seigneur flagelle celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants 1». Et ma douleur dans le châtiment doit être moins vive pour moi que la joie de mon adoption. Commuent «le Seigneur qui garde les petits enfants 2», ne châtierait-il pas ceux qu'il fera grandir pour être ses héritiers? Quel est l'enfant que son père n'assujettit pas à la discipline 3? «Je me suis humilié, et il m'a sauvé». C'est donc à l'humilité que je dois mon salut. Que le médecin fasse une incision, ce n'est point là un châtiment, mais une douleur salutaire.

6. «O mon âme, rentre donc dans ton repos, puisque le Seigneur t'a comblée de biens». Repose-toi, non à cause de tes mérites ou de tes propres forces; mais parce que le Seigneur t'a comblée de ses biens; car, ajoute le Prophète, «il a délivré mon âme de la mort 4». Il est étonnant, mes frères bien-aimés, qu'après avoir invité son âme à goûter le repos, parce qu'elle est comblée des biens du Seigneur, le Prophète ajoute: «Parce qu'il a délivré mon âme de la mort». Son âme serait-elle donc en repos, parce qu'elle est délivrée de la mort? N'est-ce pas plutôt dans la mort que l'on croit trouver le repos? Quelle est enfin l'action de celui dont la vie est un repos, et dont la mort est un labeur? Telle doit être l'action de l'âme, qu'elle tende à une paisible sécurité, et non à l'accroissement d'un labeur incessant. Elle est en effet délivrée de la mort par la grâce de celui qui l'a prise en pitié, et qui a dit: «Venez à moi, vous tous qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes; car mon joug est doux et mon fardeau léger 5». L'action de l'âme qui cherche le repos doit dorme être douce et humble, puisqu'elle suit le Christ qui est sa voie; et toutefois, elle ne doit pas être lente et paresseuse, afin qu'elle puisse achever sa course, ainsi qu'il est écrit: «Achevez vos oeuvres avec douceur 6». Achevez vos oeuvres, est-il dit, afin que la douceur ne dégénère pas en négligence. Car il n'en est pas alors comme en cette vie, où le repos du sommeil répare nos forces pour un nouveau travail; mais la bonne action nous conduit à un repos accompagné de vigilance.

1. He 12,6. - 2. Ps 114,6. - 3. He 12,7 - 4. Ps 114,7-8. - 5. Mt 11,28-30 - 6. Si 3,19.


7. Or, tout cela est l'oeuvre, est le bienfait de ce Dieu dont il est dit: «Puisque le Seigneur m'a comblé de biens, puisqu'il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes, et mes pieds de la chute 1». Voilà ce que le Seigneur accomplit eu espérance dans celui qui ressent les liens de la chair, et celui-ci le chante avec joie. Car il est vrai de dire: «Je me suis humilié, et le Seigneur m'a sauvé». Mais elle est vraie aussi cette autre parole de l'Apôtre: «Que nous sommes sauvés par l'espérance 2». Quant à cette mort dont nous sommes délivrés, il est juste de dire que cela s'est accompli, si nous l'entendons de la mort des incrédules, dont le Seigneur a dit: «Laissez les morts ensevelir leurs morts 3»; et le Prophète dans un autre psaume: « Les morts ne vous loueront point, Seigneur, non plus que tous ceux qui descendent dans l'enfer, mais nous qui vivons, nous bénissons le Seigneur 4». Telle est donc la mort dont tout fidèle a raison de croire que son âme est exempte par cela même qu'elle a passé de l'incrédulité à la foi. De là cette parole du Sauveur: « Celui qui croit en moi passe de la mort à la vie 5». Le reste ne s'accomplit que par l'espérance dans ceux qui n'ont pas encore quitté cette vie. Maintenant, en effet, quand nous pensons à nos chutes si périlleuses, nos yeux ne cessent de verser des larmes; mais il éloignera les larmes de nos yeux, quand il préservera nos pieds de tout faux pas. Car nos pieds ne seront plus exposés à la chute, quand il n'y aura plus rien de glissant dans notre faible chair. Maintenant, quoique notre voie soit ferme, puisque c'est le Christ lui-même; néanmoins, parce que nous soumettons notre chair, qu'il nous est ordonné de dompter; dans ces mêmes oeuvres par lesquelles nous la châtions pour l'assujettir, c'est un bonheur de ne pas succomber; quant à ne pas glisser, qui en est capable?

1. Ps 116,8. - 2. Rm 8,21. - 3. Mt 8,22. - 4. Ps 113,17-18. - 5. Jn 5,24.

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8. Aussi, parce que nous sommes dans la chair, sans être néanmoins dans la chair, (nous sommes dans la chair à cause de ce lien qui n'est pas encore brisé: « qu'il serait plus avantageux de rompre pour être avec le Christ 1»; mais nous ne sommes pas dans la chair en ce sens que nous avons donné à Dieu les prémices de l'esprit, si toutefois nous pouvons dire que «notre conversation est dans le ciel 2» et que nous sommes agréables à Dieu par la tête, tandis que nous sentons glisser nos pieds, qui paraissent l'extrémité de notre âme), écoute comment il y a une espérance dans ce même psaume qui paraît chanter ce qui est accompli déjà: «Il a délivré, dit le Prophète, et mes yeux de leurs larmes, et mes pieds de toute chute»; et toutefois il n'ajoute point: Je plais; mais bien: «Je plairai au Seigneur, dans la terre des vivants 3»; montrant assez par là qu'il n'est point encore agréable au Seigneur dans cette partie de lui-même, qui est la région des morts, c'est-à-dire en sa chair mortelle. «Ceux qui sont dans la chair ne sauraient plaire à Dieu». C'est pourquoi cette parole que l'Apôtre ajoute: «Quant à vous, vous n'êtes point dans la chair», doit s'entendre en ce sens, que «le corps est véritablement mort au péché, tandis que l'esprit est vivant à cause de la justice»; or, c'est par cet esprit qu'ils plaisaient à Dieu, puisque c'est par lui qu'ils n'étaient pas dans la chair. Qui pourrait plaire au Dieu vivant, tandis qu'il est dans un corps mort? Que dit l'Apôtre? «Si l'esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre

1. Ph 1,23.- 2. Ph 3,20. - 3. Ps 114,9.

les morts habite en vous; celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels à cause de l'esprit qui habite en vous 1». C'est alors que nous serons dans la terre des vivants, que nous plairons complètement au Seigneur, et que rien de nous-mêmes ne nous tiendra éloignés. «Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur 2»; et plus nous en sommes éloignés, plus nous sommes éloignés aussi de la région des vivants. « Mais nous avons la confiance, et nous pensons qu'il est avantageux pour nous d'être séparés de ce corps, afin de demeurer dans le Seigneur; c'est pourquoi nous nous efforçons de lui être agréables, soit que nous soyons éloignés, soit que nous soyons en sa présence 3». C'est là notre ambition pendant cette vie, parce que nous attendons la délivrance de notre corps 4; mais quand la mort aura été absorbée dans la victoire, quand ce corps corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, quand ce corps mortel aura revêtu l'immortalité 5,alors il n'y aura ni pleurs, ni chute, et il n'y aura aucune chute, parce qu'il n'y aura aucune corruption. Dès lors nous ne chercherons plus à plaire à Dieu, mais nous lui plairons d'une manière absolue, dans la région des vivants.

1. Rm 8,8-11. - 2. 2Co 5,6. - 3. 2Co 8,9. - 4. Rm 8,23. - 5. 1Co 15,53-54.



DISCOURS SUR LE PSAUME CXV - CHANT DES MARTYRS.

1162 Ps 116,10-19


SERMON AU PEUPLE.



Prêcher le Christ, c'est conformer ses moeurs à la foi, autrement on aurait la vérité à la bouche, le mensonge dans le coeur; c'est encourir la réprobation. D'autres croient sans prêcher, retiennent le talent sans le faire fructifier, et sont aussi réprouvés. Le fidèle serviteur croit et prêche; sa parole lui vaut de nombreuses persécutions sans que la vérité en souffre aucune atteinte. Dans son extase il a compris qu'il ne pouvait compter sur lui-même, parce que l'homme est menteur et que Dieu seul peut donner la vérité. Mais que rendra-t-il au Seigneur en échange de cette vérité? Ce qui vient de lui, le calice du salut, ou la force de souffrir. De lui-même il n'est que l'esclave, mais en servant de bonne volonté, il devient le fils de la Jérusalem libre, ou de l'Eglise. Alors il se glorifie en Dieu qui a brisé ses tiens; il s'offre lui-même au milieu de cette Jérusalem ou de l'Eglise répandue par toute la terre, comme le prouve le psaume suivant: Peuples, célébrez tous les louanges du Seigneur, qui demeure ferme dans ses promesses comme dans ses menaces.

1. Votre sainteté, mes frères, connaît sans doute ce mot de l'Apôtre: «La foi n'est point l'apanage de tous 1» . Et vous n'ignorez pas que le nombre des infidèles est le plus grand; aussi le Prophète s'est-il écrié «Seigneur, qui a cru à notre parole 2?» C'est parmi ces incrédules que l'on peut ranger ceux dont l'Apôtre a dit: «Tous cherchent leurs intérêts et non ceux du Christ 3». Et ailleurs il dit que ces hommes annoncent la parole de Dieu non par un vrai zèle, mais par occasion; non pas d'une manière chaste 4, c'est-à-dire qu'ils n'ont ni intention pure, ni charité sincère. Autres, en effet, étaient leurs sentiments, que laissaient voir leurs moeurs, et autre leur prédication, qui leur attirait l'estime des hommes par les saintes vérités qu'ils prêchaient. Aussi l'Apôtre a-t-il encore dit de ces hommes qu' « ils ne servent point le Dieu qu'ils prêchent, mais leur ventre 5». Et toutefois, il leur permet de prêcher le Christ. Bien que leur foi, en effet, non plus que leurs actions, ne pût aboutir qu'à la mort, toutefois ils prêchaient des vérités qui eussent pu sauver ceux qui les eussent embrassées par la foi; car ils ne prêchaient rien qui fût en dehors des règles de la foi. Autrement ils fussent tombés sous cet anathème de l'Apôtre «Si quelqu'un», nous dit-il, «vous annonce d'autres vérités que celles que vous avez reçues, qu'il soit anathème 6». Or, ce n'est pas prêcher le Christ, que prêcher la fausseté,

1. 2Th 3,2.- 2 Is 53,1 Rm 10,16.- 3. Ph 2,21. - 4. Ph 1,27.- 5. Rm 16,18.- 6. Ga 1,9.

puisque le Christ est vérité 1. Et toutefois, l'Apôtre dit de ces derniers qu'ils annoncent le Christ, bien qu'ils ne le fassent point d'une manière pure, c'est-à-dire bien qu'ils n'agissent point avec un esprit simple et pur, et avec la foi sincère qui agit par la charité 2. Pleins des terrestres convoitises, ils annonçaient le royaume des cieux, et avaient ainsi la fausseté dans le coeur, la vérité sur la langue. Or, l'Apôtre, sachant bien que ceux qui avaient cru à l'Evangile, sur la prédication de Judas, étaient sauvés, donne à ceux-ci cette liberté de prêcher: «Pourvu que le Christ soit annoncé, peu importe que ce soit par occasion ou par un vrai zèle 3». Ils n'annoncent pas moins la vérité, bien que ce ne soit point dans la vérité, c'est-à-dire avec une intention pure. Ils prêchent ce qu'ils ne croient point, et c'est pour cela qu'ils sont réprouvés; bien qu'ils soient utiles à ceux que le Seigneur daigne avertir ainsi: «Faites ce qu'ils vous disent et non ce qu'ils font, car ce qu'ils disent, ils sont loin de le faire 4». Pourquoi, sinon parce qu'ils ne croient point l'utilité de ce qu'ils prêchent? Il en est d'autres qui croient, sans prêcher ce qu'ils croient, retenus par la tiédeur ou par la crainte. Et ce serviteur qui avait reçu un talent, ne s'entendit pas moins appeler: Méchant et lâche serviteur 5,parce qu'il ne l'avait point mis à profit. Dans un autre endroit de l'Evangile, il est dit que beaucoup

1. Jn 14,6. - 2. Ga 5,6. - 3. Ph 1,18. - 4. Mt 23,3. - 4. Mt 25,26.

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de princes des Juifs crurent en Jésus, mais qu'ils ne professaient point leur foi au dehors, de peur d'être chassés de la synagogue: ils ne laissent pas d'être désapprouvés et condamnés. Car l'Evangéliste ajoute: «Ils préféraient la gloire des hommes à la gloire de Dieu 1». Si donc une juste réprobation flétrit et ceux qui ne croient pas à la vérité qu'ils prêchent, et ceux qui ne prêchent pas la vérité qu'ils croient, à qui donnerons-nous le nom de serviteur fidèle, sinon à celui à qui le Christ adresse ces paroles: «Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t'établirai sur beaucoup, entre dans la  joie de ton Seigneur 2?» Un tel serviteur ne parle donc point avant de croire, et ne se tait point dès qu'il croit, de peur, ou qu'en faisant valoir pour les autres ce qui lui est confié, il n'en garde rien pour lui, ou qu'il n'en retire aucun profit, parce qu'il ne l'aura point fait valoir. Voici, en effet, ce qui est dit : «Celui qui possède, on lui donnera; mais à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a 3 .»

2. Qu'il dise alors, ce bon serviteur qui chante Alleluia, c'est-à-dire qui offre un sacrifice de louanges à ce même Dieu qui doit lui dire un jour: «Entre dans la joie de ton Seigneur»; qu'il tressaille et qu'il chante : «J'ai cru, et c'est pourquoi j'ai parlé 4» .C'est-à-dire, j'ai cru d'une manière parfaite. Refuser de prêcher ce que l'on croit, ce n'est point avoir une foi parfaite. Car une des obligations de la foi, c'est de croire aussi cette parole «Celui qui me confessera devant tes hommes, «moi aussi je le confesserai devant les anges de Dieu 5». Ce fidèle serviteur n'est pas ainsi appelé, en effet, parce qu'il a reçu de son maître, mais parce qu'il a dépensé et gagné. De même dans notre psaume, il n'est pas dit: J'ai cru et j'ai parlé; mais le Prophète confesse qu'il a parlé parce qu'il a cru. Car il a cru en même temps que parler lui donnait une récompense à espérer, et que se taire lui laissait craindre un châtiment. «J'ai cru», dit-il, «et c'est pourquoi j'ai parlé pour moi, j'ai subi des humiliations à l'excès». Il a passé par des tribulations nombreuses à cause de la parole qu'il gardait fidèlement, qu'il annonçait fidèlement; il a subi des humiliations excessives, et

1. Jn 12,42-43.- 2. Mt 25,23.- 3. . - 4. Ps 105,1.- 5. Mt 10,32.

c'est là ce qu'ont redouté «ceux qui ont préféré la gloire des hommes à la gloire de Dieu». Mais pourquoi cette expression: «Quant à moi?» Il devrait dire tout simplement: j'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, et j'ai subi des humiliations à l'excès. Pourquoi ajouter «quant à moi», sinon pour nous montrer que l'homme peut bien subir des humiliations de la part de ceux qui contredisent la vérité, mais que cette vérité qu'il croit et qu'il prêche n'en souffre aucune atteinte? De là vient que l'Apôtre disait en parlant de ses chaînes: «Mais la parole de Dieu n'est point enchaînée 1». De même le Psalmiste, ou plutôt en sa personne les saints témoins de Dieu, c'est-à-dire les martyrs: «J'ai cru, et c'est pourquoi j'ai parlé, quant à moi», non point la vérité que j'ai embrassée, non point la parole que j'ai portée; mais, «moi j'ai été humilié à l'excès».

3. «J'ai dit dans mon extase: Tout homme est menteur 2». Le Prophète par extase entend cette frayeur qui s'empare de la faiblesse humaine, sous la menace des persécutions, ou bien en face des tourments ou de la mort. Tel est le sens que nous donnons à cette expression, parce qu'on retrouve dans le psaume le cri des martyrs. Ce mot d'extase, il est vrai, peut s'entendre aussi de cet état de l'âme hors d'elle-même, non plus sous l'impression de la peur, mais par l'effet d'une révélation sur naturelle. «Pour moi, j'ai dit dans mon extase: Tout homme est menteur». Dans son effroi il a considéré sa faiblesse, et a vu qu'il ne devait point compter sur lui-même. Car en ce qui regarde l'homme, il est menteur; mais la grâce de Dieu l'a rétabli dans la vérité, de peur que, cédant aux persécutions de ses ennemis, il ne tût ou même n'abjurât la vérité qu'il avait embrassée; ainsi qu'il en fut de saint Pierre, qui comptait sur lui-même, et qui avait besoin d'apprendre à n'y point compter à l'avenir. Et si nul ne doit mettre sa confiance dans un homme, il ne saurait compter sur lui-même, puisqu'il est homme. Dans la crainte qui l'a saisi, le prophète a donc vu avec raison que tout homme est menteur; car ceux que la peur n'affole point de manière à céder aux persécutions par le mensonge, agissent non par leurs propres forces, mais par la grâce de Dieu. Il est donc bien vrai de dire que «tout homme est

1. 2Tm 2,9.- 2. Ps 115,11.

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menteur»; mais que Dieu est véridique, lui qui a dit: «Je l'ai dit: vous êtes tous des dieux, tous, les enfants du Très-Haut; et néanmoins, vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes 1». Dieu console ici les humbles, il les remplit non-seulement de cette foi qui leur fait croire la vérité, mais de cette confiance qui la tait prêcher, s'ils persévèrent dans la soumission au Seigneur, s'ils n'imitent point l'un des princes ou le diable qui ne s'est point maintenu dans la vérité et qui est tombé. Car si tout homme est menteur, moins ils seront hommes, et moins ils seront menteurs; et alors ils seront des dieux, les fils du Très-Haut.

4. Le peuple si dévoué des martyrs considère comment le Seigneur dans sa miséricorde n'abandonne point l'infirmité humaine, dont la vue a fait dire en tremblant: «Tout homme est menteur»; comment il daigne consoler les humbles, remplir de confiance ceux qui tremblaient, en sorte que leur coeur déjà presque mort reprend une vie naturelle, et qu'ils ne mettent plus leur confiance en eux-mêmes, mais en celui qui ressuscite les morts 2,qui rend éloquentes les langues des enfants 3,qui nous dit: «Quand ils vous traduiront, ne vous mettez point en peine de ce que vous devez dire; ce qu'il vous faudra dire vous sera inspiré à l'heure même; car ce n'est point vous qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous 4». Voilà ce que considère celui qui avait dit: «Dans mon extase, je l'ai dit: tout homme est menteur»; et voyant que, par la grâce de Dieu, lui-même est devenu véridique: «Que rendrai-je au Seigneur, s'écrie-t-il, pour tous les biens qu'il m'a rendus 5?» Il ne dit point, pour tous les biens qu'il m'a accordés, mais: «pour tout ce qu'il m'a rendu». Qu'avait donc fait l'homme auparavant, pour que les dons de Dieu ne fussent point une simple faveur, mais une rétribution? Qu'avait fait l'homme, sinon des fautes? Dieu a donc rendu le bien pour le mal; lui à qui les hommes rendent le mal pour le bien. Voilà en effet ce que lui ont rendu ceux qui ont dit: «C'est là l'héritier, venez et tuons-le 6.»

5. Mais l'interlocuteur cherche ce qu'il doit rendre au Seigneur, et il ne trouve rien,

1. Ps 81,6-7. - 2. 2Co 1,9. - 3. Sg 10,21.- 4. Mt 10,19-20. - 5. Ps 115,12.- 6. Mt 21,38.

sinon les biens que le Seigneur lui a rendus. «Je prendrai», dit-il, «le calice du salut, et j'invoquerai le nom du Seigneur 1». O homme, que ton péché a fait menteur, que la grâce de Dieu a rendu véridique, et qui n'es plus homme dès lors, qui t'a donné ce calice du salut, que tu prendras pour invoquer le nom du Seigneur, et le remercier de tous les biens qu'il t'a rendus? Qui, sinon celui qui a dit: «Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 2?» Qui t'a donné la force de souffrir comme lui, sinon celui qui a, le premier, souffert pour toi? De là vient que «la mort de ses saints est précieuse aux yeux du Seigneur 3». Il l'a achetée de ce même sang qu'il avait répandu pour le salut de ses serviteurs, afin que ces serviteurs n'hésitassent point à répandre leur sang pour lui; ce qui néanmoins serait un avantage pour eux, et non pour le Seigneur.

6. Que l'esclave acheté à un si grand prix reconnaisse donc sa condition d'esclave, et qu'il dise: «Je suis votre serviteur, ô mon Dieu, et le fils de votre servante 4». Il est donc tout à la fois esclave acheté, et fils de la servante. A-t-il été aussi acheté avec sa mère? Ou bien, parce qu'il est né dans la maison de son maître, et dès lors dépouillé à cause du péché de sa fuite, est-il esclave acheté, parce qu'il a été racheté? Il est en effet le fils de la servante, en ce sens que toute créature est soumise au Créateur, et doit au véritable maître un véritable service, qui lui vaut la liberté quand elle le fait pleinement; et voilà que lui vient du Seigneur la grâce de le servir de gré et non par nécessité. Le Prophète est donc fils de cette Jérusalem céleste, qui est notre mère d'en haut, notre mère à tous, et notre mère libre 5. Libre du péché, mais esclave quant à la justice; et c'est à ses fils, pèlerins en cette vie, que l'on dit: «Vous êtes appelés à la liberté 6». Puis le même Apôtre les réduit ensuite à l'esclavage: «Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité 7». Puis il leur dit encore: «Lorsque vous étiez esclaves du péché, vous vous affranchissiez de la justice; maintenant que vous êtes affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu, le fruit que vous en tirez est votre sanctification, et la fin sera la vie éternelle 8». Qu'il dise donc à Dieu, cet

1 Is 115,13. - 2. Mt 20,22. - 3. Ps 115,15. - 4. Ps 115,16. - 5. Ga 15,26. - 6. Ga 5,13. - 7. Ga 5,13. - 8. Rm 6,20 Rm 6,22.

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esclave: Il en est beaucoup, Seigneur, qui se disent martyrs, beaucoup qui se disent serviteurs, parce qu'ils en appellent à votre nom, sous le voile de telle hérésie, de telle erreur; mais comme ils sont en dehors de votre Eglise, ils ne sont point les fils de votre servante: «Pour moi, je suis votre serviteur et fils de votre servante».

7. «Vous avez brisé mes liens, et je vous offrirai un sacrifice de louanges 1». Je n'ai trouvé en moi aucun mérite lorsque vous avez brisé mes liens; aussi vous dois-je un sacrifice de louanges: bien que je me glorifie d'être votre serviteur et le fils de votre servante, ce n'est point en moi, mais bien en vous, Seigneur, mon Dieu, que je me glorifie, puisque vous avez rompu mes liens, afin qu'en revenant de mes erreurs, je vous fusse attaché.

8. «J'accomplirai mes voeux au Seigneur 2». Quels voeux accompliras-tu? Quelles victimes as-tu promises? Quel encens? Quels holocaustes? N'as-tu pas en vue ce que tu disais tout à l'heure: «Je prendrai le calice du salut, et j'invoquerai le nom du Seigneur, et je «vous offrirai un sacrifice de louanges?» Et en effet, celui qui réfléchit à ce qu'il doit promettre au Seigneur, aux voeux qu'il doit lui rendre, qu'il se voue lui-même, et qu'il s'offre à Dieu. Voilà ce que le Seigneur exige, et ce qui lui est dû. «Rendez à César ce qui est à

1. Ps 115,17.- 2. Ps 115,18.

César, et à Dieu ce qui est à Dieu 1», disait le Seigneur en regardant une pièce de monnaie. On rend à César l'argent frappé à son effigie: que l'on rende à Dieu son image.

9. Mais quiconque se souvient qu'il n'est pas seulement serviteur de Dieu, qu'il est encore le fils de sa servante, comprend où il doit rendre ses voeux au Seigneur, en se conformant au Christ et en prenant le calice du salut. «A l'entrée de la maison du Seigneur», dit le Prophète. Cette maison de Dieu est aussi la servante de Dieu, et quelle est la maison de Dieu, sinon son peuple? Aussi le Prophète a-t-il ajouté: «En présence de tout son peuple». Déjà il nomme plus clairement sa mère. Qu'est-ce, en effet, que son peuple, sinon, comme il le dit ensuite: «Au milieu de vous, ô Jérusalem 3». C'est alors que l'offrande est agréable au Seigneur, quand elle est faite en paix et avec un esprit de paix. Or, ceux qui ne sont point fils de cette servante, ont préféré la guerre à la paix. Mais, de peur qu'on ne s'imagine que cette entrée de la maison du Seigneur et tout ce peuple désignent le peuple juif, parce que le Prophète a terminé le psaume en disant: «Au milieu de vous, ô Jérusalem», nom qui fait l'orgueil des Israélites selon la chair, écoutez le psaume suivant, composé de quatre versets.

1. Mt 22,21. - 2. Ps 115,19.




Augustin, les Psaumes 116