Augustin, les Psaumes 11927

VINGT-SEPTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII - LE SECOURS DE LA GRÂCE.

11927 Ps 119,129-135


Etudier à fond les témoignages du Seigneur, c'est là une tâche difficile à un homme, et toutefois il est bon d'étudier ce qu'il y a d'admirable, d'étonnant dans sa loi. Cette loi, oeuvre d'un Dieu bon, ne donnait ni la justice, ni la vie; le Prophète en a recherché ta cause, et il a trouvé que cette loi se bornait à indiquer le péché, afin de nous humilier, et de nous démontrer qu'il nous faut le secours de Dieu, et de nous le faire demander. Voilà ce qu'a compris le Prophète, et il invoque te Seigneur qui nous a aimés le premier, lui demandant de le servir par amour, de résister aux persécutions qui le détournaient du service de Dieu, de connaître la loi d'une manière pratique; il s'humilie à cause de ses fautes.


1. Voici les versets du psaume que nous allons vous exposer avec le secours de Dieu: «Vos témoignages sont admirables, et c'est pourquoi mon âme les a sondés 1». Qui peut énumérer au moins sommairement les témoignages de Dieu? Le ciel et la terre, les oeuvres visibles, et les oeuvres invisibles, sont en quelque manière le témoignage de sa bonté, comme de sa grandeur; ce cours si régulier et si répété de la nature, le temps qui entraîne dans son cours toutes sortes de créatures quoique passagères et mortelles, tout cela que l'habitude nous rend moins sensible, n'en rend pas moins témoignage au Créateur, quand on le considère avec une pieuse attention. Qu'y a-t-il dans ces créatures qui ne soit point admirable, quand on en juge, non d'après l'usage, mais d'après la raison? Et si nous embrassons comme d'un seul regard tout cet ensemble, ne se vérifie-t-elle point cette parole du Prophète: «J'ai considéré vos oeuvres, et j'en ai été dans l'extase 2?» Et toutefois notre interlocuteur n'est point hors de lui-même en admirant ces ouvrages; mais il nous dit qu'il a dû les étudier avec tant de soin parce qu'ils sont admirables. Après cette exclamation en effet: «Combien sont admirables les témoignages du Seigneur», il ajoute : «C'est pour cela que mon âme les a sondés»; comme si la difficulté de les sonder avait stimulé sa curiosité. Plus un effet est caché dans sa cause, et plus il est admirable.

1. Ps 118,129. - 2. Ha 3,1.

2. Qu'un homme donc s'en vienne dire qu'il étudie les témoignages du Seigneur, parce qu'il les trouve admirables; ne pourrions-nous pas, en voyant que toutes les créatures qui se révèlent ou qui se dérobent à nos yeux, sont pleines de ces témoignages, l'arrêter en disant: «Ne cherche point au-dessus de toi, et ne sonde point ce qui est plus fort que toi, mais repasse toujours en ton esprit ce que Dieu t'a commandé 1?» Mais il nous répond en disant: Ces préceptes du Seigneur, que vous me recommandez de méditer, sont ces mêmes témoignages que je trouve admirables, car ils nous attestent que c'est le Seigneur qui commande, et qu'il est grand et bon dès lors qu'il donne de semblables préceptes: oserions-nous dès lors le détourner d'étudier ces commandements, et ne serions-nous pas les premiers à l'exciter à s'adonner de toutes ses forces à un travail si important? Ou bien en viendrons-nous à confesser que les préceptes du Seigneur sont des témoignages de sa bonté, tout en niant qu'ils soient admirables? Qu'y a-t-il d'admirable, en effet, qu'un Dieu qui est bon commande le bien? Ce qui est tout à fait étonnant, au contraire, c'est qu'un Dieu qui est bon et qui ordonne le bien, ait néanmoins donné une loi qui est bonne à des hommes qu'elle ne pouvait justifier, puisque cette loi, quelque bonne qu'elle fût, ne leur donnait point la justice? «Car si la loi qui a été donnée pouvait donner la vie, la justice viendrait de la loi 2». Pourquoi donc en donner une qui ne pouvait ni donner la vie, ni donner la justice? Voilà ce qui doit nous étonner, nous effrayer. Voilà ce qu'il y a d'admirable dans les témoignages de Dieu: et l'âme du Prophète les a sondés, parce que l'on ne saurait lui dire à ce sujet : «Ne sonde pas ce qui est plus fort que toi, mais repasse toujours en ton esprit ce que Dieu t'a commandé 3»; puisque c'est cela

1. Si 3,22. - 2. Ga 3,21. - 3. Si 3,22.

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même que le Seigneur a commandé, et que dès lors on doit toujours méditer. Voyons plutôt ce qu'a trouvé l'âme du Prophète après avoir sondé.

3. «La révélation de vos promesses répand la lumière et donne l'intelligence aux petits 1». Quels sont ces petits, sinon les humbles et les faibles? Loin de toi donc tout orgueil ! arrière toute présomption de tes forces qui sont nulles, et tu comprendras pourquoi Dieu a donné une loi qui était bonne, sans pouvoir néanmoins donner la vie. Car le but de la loi était de rabattre ta grandeur pour te faire petit, de te montrer que tu n'as pas en toi-même la force d'accomplir la loi, de te forcer dans ton indigence et ton dénuement à recourir à la grâce et de t'écrier: «Ayez pitié de moi, Seigneur, à cause de ma faiblesses 2». Voilà que la méditation a fait comprendre au Prophète, qui est petit, cette vérité que nous montre celui qui se dit le moindre des Apôtres, saint Paul, lequel se fait petit enfant, c'est-à-dire qu'une loi impuissante à nous vivifier nous a été donnée: «Parce que l'Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse faite par Dieu fût accomplie par la foi en Jésus-Christ à l'égard de ceux qui croiront 3». Ainsi soit-il, Seigneur! Oui, ainsi soit-il, Dieu de miséricorde! commandez ce qu'on ne saurait accomplir, ou plutôt commandez ce qu'on ne saurait accomplir que par votre grâce, afin que cette impuissance des hommes à rien faire par leurs propres forces «leur ferme la bouche», et que nul ne croie plus à sa grandeur. Que tous deviennent petits, tous coupables devant vous. «Parce que nul homme ne sera justifié devant Dieu par les oeuvres de la loi; car la loi ne donne que la connaissance du péché. Maintenant la justice que Dieu donne sans la loi nous a été découverte, attestée par la loi et par les Prophètes 4». Tels sont vos admirables témoignages qu'a sondés l'âme de cet humble enfant, et il les a découverts, parce qu'il s'est fait humble et petit. Qui pourrait accomplir vos préceptes comme on doit les accomplir, c'est-à-dire par la foi qui opère dans la charité 5,si votre Esprit-Saint ne répandait lui-même cette charité dans les coeurs 6?

1. Ps 118,130. - 2. Ps 6,3.- 3. Ga 3,21-22.- 4. Rm 3,19-21. - 5. Ga 5,6. - 6. Rm 5,5.


4. Voilà ce que proclame cet interlocuteur devenu humble: «J'ai ouvert ma bouche», nous dit-il, «et j'ai attiré l'esprit, parce que je brûlais d'ardeur pour vos commandements 1». Que désirait-il, sinon d'accomplir ces préceptes? Mais, faible et petit, il ne pouvait accomplir des oeuvres fortes et grandes; il a ouvert la bouche, confessant ainsi ce qu'il ne pouvait faire de lui-même, et il a attiré la force de le faire; il a ouvert la bouche en demandant, en cherchant, en frappant 2; dans sa soif, il a puisé l'esprit de sainteté qui lui a fait accomplir ce qu'il ne pouvait par lui-même, c'est-à-dire une loi sainte, et juste, et bonne 3. Si nous, en effet, quoique méchants, nous savons donner ce qui est bon ànos enfants, à combien plus forte raison Dieu donnera-t-il du ciel l'Esprit de sainteté à ceux qui le demandent 4? Ce ne sont point ceux qui agissent par leur sens propre, mais tous ceux qui sont dirigés par l'Esprit de Dieu, qui sont fils de Dieu 5; non qu'eux-mêmes ne fassent rien, mais de peur qu'ils ne fassent rien de bon, c'est la bonté même qui les fait agir. Car chacun devient de plus en plus enfant de Dieu, à mesure que Dieu répand plus largement en lui l'Esprit de sainteté.

5. Enfin le Prophète continue à prier. Il a ouvert la bouche et attiré l'Esprit, mais il frappe encore à la porte du Père céleste; il cherche encore. Il a bu; mais plus il a goûté de délices, et plus ardente est sa soif. Ecoutez les paroles de celui qui a soif: «Jetez les yeux sur moi», dit-il, «et prenez-moi en pitié, selon vos décrets envers ceux qui aiment votre nom 6»; c'est-à-dire, selon votre décret envers ceux qui aiment votre nom; afin qu'ils vous aiment, vous les aimez le premier. C'est ce que dit saint Jean: «Nous aimons Dieu», dit-il; et comme si nous lui demandions le motif de cet amour, il ajoute: « Parce qu'il nous a aimés le premier 7».

6. Vois encore ce que nous dit clairement le Prophète: « Dirigez mes pas selon vos préceptes, et que l'iniquité n'exerce point sur moi son empire 8». Qu'est-ce dire autre chose que: Donnez-moi la droiture et la liberté selon votre promesse? Plus en effet l'amour de Dieu règne dans une âme, et moins l'iniquité y domine. Quel est donc l'objet de sa prière, sinon d'aimer Dieu par le

1. Ps 118,131.- 2. Mt 7,7.- 3. Rm 7,12.- 4. Lc 11,10 Lc 11,13.- 5. Rm 8,14. - 6. Ps 118,132. - 7. 1Jn 4,19. - 8. Ps 118,133.

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secours de Dieu? En aimant Dieu il s'aime lui-même, afin de pouvoir saintement aimer son prochain comme lui-même, double précepte que renferment la loi et les Prophètes 1: sa prière ne se réduit-elle pas à demander que Dieu lui fasse accomplir par sa grâce les préceptes qu'il lui impose?

7. Mais que signifie cette parole: «Délivrez-moi des calomnies des hommes, afin que je garde vos commandements 2?» Si les reproches des hommes sont vrais, il n'y a point calomnie; s'ils sont faux, à quoi bon. demander la délivrance de ces calomnies ou de ces fausses récriminations qui ne sauraient lui être nuisibles? Car une fausse imputation ou une calomnie ne rend un homme coupable qu'au tribunal d'un homme; mais au tribunal de Dieu, il n'y a pas de fausse imputation, elle serait plutôt nuisible à l'accusateur qu'à l'accusé. N'est-ce point là par avance la prière de l'Eglise et de tout le peuple chrétien qui a été délivré des calomnies dont les hommes le flétrissaient de toutes parts à cause de ce nom de Chrétiens? Mais est-ce bien à cause de cette délivrance qu'il garde les commandements de Dieu? Ne les gardait-il pas au milieu des calomnies, et n'était-il pas plus glorieux pour lui d'obéir aux préceptes de Dieu, en dépit des tribulations, et de résister aux persécuteurs qui le poussaient à l'impiété? Ces paroles donc: «Délivrez-moi des calomnies des hommes, afin que je garde vos commandements», signifient, répandez en mon âme votre Esprit-Saint, de peur que cédant à la crainte et aux calomnies des hommes, je ne me détourne de leurs préceptes pour adopter leurs vices. Si vous en agissez ainsi avec moi, c'est-à-dire si vous me délivrez des calomnies en m'accordant la patience, afin que je ne redoute aucunement leurs récriminations, je garderai vos préceptes au milieu même des calomnies.

8. «Faites briller sur votre serviteur la lumière de votre face 3». C'est-à-dire, manifestez votre présence en me fortifiant de vos grâces, «et enseignez-moi vos préceptes», de telle

1. Mt 22,37-40. - 2. Ps 118,134. - 3. Ps 118,135.

sorte que je les pratique; ce qui est dit plus clairement dans un autre psaume: « Enseignez-moi, Seigneur, à faire votre volon té 1». N'allons pas croire en effet qu'ils ont appris la loi, ceux qui l'ont entendue et retenue de mémoire, sans la pratiquer. La Vérité a dit elle-même: «Quiconque a ouï le Père et a eu l'intelligence, vient à moi 2». Donc, il n'a rien appris celui qui ne vient pas, c'est-à-dire qui ne pratique pas.

9. Rappelant en son âme la douloureuse pénitence qu'il fit de son péché, le Prophète s'écrie: « Mes yeux ont versé des torrents de larmes, parce qu'ils n'ont point gardé votre loi 3», c'est-à-dire mes yeux. On lit en effet dans certains exemplaires: «Parce que je n'ai point gardé votre loi, mes yeux ont descendu des torrents de larmes». Comme on dirait, mes pieds ont descendu la montagne, et non à travers la montagne, ou par la montagne, comme on dit encore descendre une échelle, et non le long d'une échelle. On dit encore en latin, piscinam descendit, descendre la piscine; et non descendit in piscinam, descendre dans la piscine. Le Prophète se sert admirablement du mot descendre, pour marquer l'humiliation dans la pénitence; ses yeux étaient montés en effet quand un orgueil obstiné les avait dirigés en haut. Ils se croyaient fort élevés, lorsque dans leur ignorance de la justice de Dieu, ils prétendaient établir leur propre justice 4; mais fatigués de ces efforts et confus des violations de la loi, ils sont descendus de ces hauteurs, et ont versé des larmes pour obtenir la justice de Dieu par la pénitence. Dans certains exemplaires, au lieu de descendendit, on lit transierunt, mes yeux ont surpassé les torrents d'eau; ce qui serait une exagération pour dire que ses larmes ont surpassé l'eau des fontaines, et nous donnerait à comprendre par ces torrents d'eau que ses larmes ont été plus abondantes que l'eau des fleuves. Mais, pourquoi pleurer ainsi, parce qu'on n'a point gardé la loi, sinon afin d'obtenir la grâce qui efface le péché de l'homme pénitent, et qui soutient la volonté du fidèle?


1. Ps 142,10.- 2. Jn 6,45. - 3. Ps 142,136.- 4. Rm 10,3.




VINGT-HUITIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII - LE PLUS JEUNE PEUPLE.

11928 Ps 119,136-144


Le Prophète pleure sa faute à cause de la justice de Dieu, et dans la ferveur de son amour il veut le faire partager à ceux qui lui rendent le mal pour le bien; il veut leur faire goûter les délices de sa pénitence. Il semble regretter que ses ennemis plus avancés en âge, et qui sont la figure de l'ancien peuple, aient oublié la loi de Dieu, tandis que lui, peuple nouveau, est resté fidèle à cette loi de Dieu au milieu des persécutions. Au milieu de ses angoisses, il demande l'intelligence, c'est-à-dire de connaître combien est méprisable ce que la persécution peut lui enlever; alors il vivra pour rendre témoignage à Dieu.

1. Celui qui chante notre psaume avait dit plus haut: «Mes yeux ont versé des torrents de larmes, parce que je n'ai point gardé votre loi 1». Ce qui nous montre combien il a pleuré sa prévarication. Puis afin de nous donner raison de cette abondance de larmes, et de cette vive douleur due à son péché, il s'écrie: « Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est droit. Vous avez imposé des préceptes qui sont la justice, et la plus sainte vérité 2». C'est donc cette justice de Dieu, qui est irréfragable jugement et vérité, que doit craindre tout pécheur. C'est par elle que sont damnés tous les damnés, et nul ne peut rejeter sa perte sur ce Dieu qui est justice. Voilà ce qui légitime les larmes du pénitent car tout coeur condamné pour son impénitence, est damné par la plus stricte justice. Le Prophète a raison de donner à la justice de Dieu le nom de témoignage, car Dieu se montre juste en nous imposant la justice. Il l'appelle aussi vérité, puisque Dieu se fait connaître aux hommes par de semblables témoignages.

2. Mais que dit ensuite le Prophète? «Mon zèle m'a consumé 3»; ou, comme on lit en d'autres exemplaires, «votre zèle». Ailleurs on lit: «Le zèle de votre maison m'a dévoré 4», et non «m'a desséché»,ce qui est cité dans l'Evangile, comme on le sait 5. Toutefois, votre zèle m'a desséché, ressemble assez à: votre zèle m'a dévoré. Et cette version, «mon zèle», qu'on lit en plusieurs exemplaires, ne soulève aucune difficulté; y a-t-il en effet rien d'étonnant qu'un homme soit desséché par zèle? Mais cette autre version:

1. Ps 118,136.- 2. Ps 137,138.- 3. Ps 137,139.- 4. Ps 68,10. - 5. Jn 2,17.


«Votre zèle», nous indiquerait un homme qui a du zèle pour Dieu et non pour lui-même. Cependant rien n'empêche de dire, «mon zèle». L'Apôtre ne dit-il pas en effet: «Je vous aime de jalousie en Dieu, de tout le zèle de Dieu 1?» Dire : Je vous aime de jalousie, qu'est-ce que cela, sinon montrer son propre zèle? Mais quand il dit «en Dieu», il montre qu'il n'aime point pour lui, mais pour Dieu; de là cette parole: «Du zèle de Dieu». C'est Dieu qui, par son Esprit, forme cette émulation dans le coeur des fidèles, émulation d'amour et non d'envie. Quelle sollicitude, en effet, mett0it dans la bouche de l'Apôtre cette parole? «Je vous ai fiancés», nous répond-il, «à cet unique époux, Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure. Mais je crains que comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits ne se corrompent, et ne dégénèrent de la simplicité, qui est selon Jésus-Christ 3». Il était dévoré du zèle de la maison de Dieu, non pour lui, mais pour le Christ. Car si l'époux aime l'épouse d'un amour de jalousie, l'ami de l'époux doit aimer cette épouse non pour lui-même, mais pour l'époux. On doit donc prendre en bonne part le zèle du Psalmiste; et il nous en indique la cause en disant: «Parce que mes ennemis ont oublié vos paroles». Ils lui rendaient donc le mal pour le bien, puisqu'il les aimait en Dieu d'un zèle si saint et si violent, que ce zèle, selon son aveu, l'avait desséché; tandis que pour ce motif ils le poursuivaient de leurs inimitiés, car le zèle dont il les aimait le poussait à leur faire aimer Dieu. Dans sa reconnaissance pour cette grâce divine qui d'ennemi qu'il était, l'avait réconcilié avec Dieu, il aimait ses ennemis, et se sentait une sainte

1. 2Co 11,2. - 2. 2Co 11,3.

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jalousie de les gagner à Dieu; il s'affligeait, il séchait de dépit de leur voir oublier ses paroles.

3. Considérant ensuite cette flamme d'amour qu'allume dans son coeur la parole de Dieu: «Votre parole est un feu ardent, et votre serviteur l'a aimée 1». C'est donc avec raison que le coeur impénitent de ses ennemis stimulait son zèle: ils avaient, eux, oublié la parole de Dieu, et il brûlait de les amener à ce qu'il aimait lui-même avec tant d'ardeur.

4. «Je suis plus jeune et méprisé», dit le Prophète, «mais je n'ai point oublié vos préceptes 2»; contrairement à mes ennemis qui ont oublié vos paroles. Plus jeune par l'âge, et n'ayant point oublié les préceptes de Dieu, il semble regretter que ses ennemis qui sont ses aînés, les aient oubliés. Que signifie, en effet, «je suis plus jeune, et toutefois je n'ai point oublié», sinon que ces anciens ont oublié? Il y a en effet dans le Neoteros, qu'on lit aussi dans le passage où il est dit: «En quoi le plus jeune redresse-t-il sa voix?» Ce mot «plus jeune», est un terme de comparaison, et dès lors est relatif aux plus âgés. Nous reconnaissons donc ici ces deux peuples qui luttaient jadis dans les entrailles de Rébecca: «Quand sans égard pour leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il lui fut répondu: L'aîné servira le plus jeune 3». Mais ici le plus jeune se dit méprisé, et c'est en cela qu'il est devenu le plus grand; car Dieu a choisi ce qu'il y a de plus bas et de plus méprisable dans le monde, et même les choses qui ne sont point, pour anéantir ce qu'il y de plus grand 4. Et voilà derniers ceux qui étainet premiers, et premiers ceux qui étaient derniers 5.

1. Ps 118,140. - 2. Ps 118,141. - 3. Gn 20,22 Gn 20,23 Rm 9,12-13. - 4. 1Co 1,28. - 5. Mt 20,16.

5. Or, ce n'est pas sans raison qu'ils ont oublié les paroles de Dieu, eux qui, dans l'ignorance de la justice de Dieu, ont voulu établir leur propre justice 1; mais il ne les a point oubliées, ce plus jeune qui a voulu avoir, non sa propre justice, mais celle de Dieu, dont il dit maintenant: «Votre justice est justice pour, l'éternité, et votre loi est la vérité  même 2». Comment ne serait-elle point vérité, cette loi qui fait connaître le péché, et qui rend témoignage à la justice de Dieu? Voici en effet ce que dit l'Apôtre: «La justice de Dieu a été manifestée, affirmée par la loi et les Prophètes 3».

6. C'est pour cette loi que le plus jeune a souffert la persécution de la part de l'aîné, en sorte que ce plus jeune a pu dire: « La tribulation et l'angoisse ont fondu sur moi; vos préceptes sont toujours ma méditation 4». Qu'ils sévissent, qu'ils persécutent, pourvu que l'on n'abandonne point les commandements, et que selon ces commandements, on aime jusqu'aux persécuteurs.

7. «Vos jugements sont la justice éternelle: donnez-moi l'intelligence et je vivrai 5». Ce plus jeune demande l'intelligence, et pourtant, s'il ne l'avait point, il ne comprendrait pas mieux que les vieillards; mais il la demande au milieu des angoisses et des tribulations, afin de comprendre combien il doit mépriser ce que peuvent lui enlever les persécutions de ses ennemis, dont il se dit méprisé. C'est pour cela qu'il ajoute: «Et je vie vrai», car si la tribulation et l'angoisse étaient poussées par ses persécuteurs jusqu'à lui ôter la vie, il vivrait néanmoins éternellement, lui qui préfère aux biens du temps, cette justice qui dure éternellement. Or, dans la tribulation et l'angoisse, cette justice devient le martyre de Dieu, ou le témoignage qui a valu aux martyrs la couronne glorieuse.

1. Rm 10,9.- 2. Ps 118,142.- 3. Rm 3,20-21.- 4. Ps 118,143 - 5. Ps 118,144.





VINGT-NEUVIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII - LA VÉRITABLE PRIÈRE.

11929 Ps 119,142-150


C'est le coeur qui doit prier: il prie par l'application de la pensée, et il est entier à la prière quand il exclut toute autre pensée. Ainsi prie le Prophète: Il demande à Dieu de pouvoir chercher ses ordonnances, qui forment l'essence de la sagesse. Mais pour trouver la sagesse, il faut la vouloir d'une manière pratique, de manière à rendre témoignage à Dieu. Stimulé par son amour, le Prophète ou plutôt l'Eglise a devancé le temps de la prière, quand par l'organe des Prophètes elle a poussé des cris suffisants, avant l'incarnation. Elle implore le secours de Dieu contre la persécution qui approche, et se confie dans les témoignages de Dieu, basés sur Jésus-Christ, et promettant la vie éternelle.

1. Qui pourrait douter que cet appel à Dieu que l'on fait dans la prière ne soit un son des plus vains, quand il est simplement le retentissement de la voix, sans que le coeur soit tourné vers Dieu? Mais, s'il vient du coeur, quand même la voix se tairait, il peut être inconnu à l'homme, jamais à Dieu. Soit donc que la voix se fasse entendre quand cela est nécessaire, soit que l'on prie Dieu en silence, c'est le coeur qui doit parler dans la prière. Or, ce cri du coeur est une forte application de la pensée; et quand cette application se trouve dans la prière, elle marque dans celui qui prie un désir tel qu'il ne désespère point d'obtenir ce qu'il demande. Mais on crie à Dieu de tout son coeur, quand on n'a pas d'autre pensée. De telles prières sont rares chez beaucoup, fréquentes seulement chez le petit nombre; et je ne sais chez qui elles sont habituelles. Telle est, au dire de notre interlocuteur, la prière qu'il a faite: «J'ai crié de tout mon coeur, exaucez-moi, ô mon Dieu». Puis il nous marque aussitôt ce que produira son cri: «Je rechercherai vos ordonnances». Voilà donc ce qui le faisait crier vers Dieu de tout son coeur: rechercher ses ordonnances, telle est la grâce qu'il demandait à Dieu. Prions dès lors le Seigneur de nous faire chercher ce qu'il nous ordonne. Mais combien est encore éloigné de la pratique, celui qui ne fait encore que rechercher ! Trouver n'est pas toujours la conséquence de chercher, ni pratiquer la conséquence de trouver; mais on ne saurait pratiquer sans avoir trouvé, ni trouver sans avoir cherché. Il y a toutefois une grande espérance dans cette parole du Seigneur Jésus: «Cherchez, et


1. Ps 118,142.

vous trouverez 1».La sagesse, qui n'est autre que lui-même, nous dit cependant: «Les méchants me chercheront sans me trouver». Ce n'est donc pas aux méchants, mais aux bons, qu'il est dit: «Cherchez, et vous trouverez?» Il l'a dit à ceux-là mêmes à qui, un peu plus haut,it adresse ces paroles: «Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants ce qui est bon 2». Comment dire aux méchants: «Cherchez et vous trouverez»; quand il dit aussi: «Les méchants me chercheront sans me trouver?» Le Seigneur voulait-il que l'on cherchât autre chose que la sagesse, quand il faisait à ceux qui chercheraient la promesse qu'ils trouveraient? Car la sagesse renferme tout ce que doivent chercher ceux qui aspirent au bonheur. Là donc se trouvent les ordonnances de Dieu. Il nous reste dès lors à conclure que tous les méchants ne trouveraient point la sagesse quand même ils la chercheraient; c'est-à-dire ceux qui poussent la malice jusqu'à la haïr. Car voici cette parole de la sagesse: «Les méchants me chercheront sans me trouver; car ils haïssent la sagesse 3». C'est donc leur haine qui les empêche de la trouver. Mais avec cette haine, comment la chercheront-ils, à moins qu'ils ne la cherchent, non pour elle, mais pour quelque avantage précieux aux méchants, et qu'ils espèrent acquérir plus facilement au moyen de la sagesse? Il en est beaucoup en effet qui recherchent avec soin les paroles de la sagesse, qui la veulent montrer dans leurs discours, mais non dans leur vie; qui ne cherchent point à parvenir à la lumière de Dieu, qui est la véritable sagesse, en réglant leurs moeurs d'après ses maximes,

1. Mt 7,7. - 2. Mt 7,11. - 3. Pr 1,28-29.

mais qui veulent se faire applaudir par les hommes, et telle est la vaine gloire. Ils ne cherchent donc point la sagesse même en la recherchant, puisque ce n'est point elle qu'ils cherchent, autrement ils en feraient la règle de leur vie; mais ils veulent être enflés de ses paroles; et plus ils en recherchent l'enflure, plus ils s'en éloignent. Or, en implorant de Dieu ce que Dieu lui-même nous commande, en lui demandant de faire ce qu'il ordonne que nous fassions; car c'est Dieu qui dans sa bonté, opère en nous le vouloir et le faire !: «J'ai crié», dit le Psalmiste, «j'ai crié de tout mon coeur; exaucez-moi, ô mon Dieu: je chercherai vos ordonnances»; c'est-à-dire pour les accomplir, et non-seulement pour les connaître, afin de ne point ressembler à ce serviteur endurci, qui n'obéira point même après avoir compris 2.

2. «J'ai crié, sauvez-moi 3»; ou, comme on trouve dans quelques exemplaires et grecs et latins. «Je vous ai crié, sauvez-moi». Qu'est-ce à dire, «je vous ai crié», sinon je vous ai invoqué par mes cris? Mais après avoir dit: Sauvez-moi, qu'a-t-il ajouté? «Et je garderai vos témoignages», de peur de vous renier par faiblesse. Car la santé de l'âme consiste à remplir le devoir que l'on connaît, et à combattre pour la vérité des témoignages divins, jusqu'à la mort, si la dernière tentation va jusque-là. Si l'âme n'a point cette santé, elle succombe de faiblesse, et abandonne la vérité.

3. Mais ce qui suit renferme une certaine obscurité, qu'il nous faut expliquer un peu plus longuement. «J'ai devancé dans une nuit intempestive, et j'ai crié 4». Dans plusieurs manuscrits on ne trouve pas, «au milieu de la nuit», intempesta nocte, mais immaturitate, une nuit peu avancée. C'est à peine si l'on en trouve un seul avec la double préposition, c'est-à-dire in immaturitate, dans la nuit peu avancée. L'expression immaturitas désigne ici le temps de la nuit, qui n'est point mûr encore; c'est-à-dire une nuit qui ne permet pas encore le travail à l'homme éveillé ce que l'on appelle vulgairement l'heure indue. Une nuit, intempesta, se dit encore du milieu de la nuit, quand on doit se reposer, et ce nom «d'intempestive»,lui vient assurément de ce qu'elle est peu favorable au travail.Car les anciens appelaient tempestivum ce qui est

1. Ph 2,13. - 2. Pr 29,19. - 3. Ps 118,116.- 4. Ps 118,147.

favorable, et intempestivum ce qui est défavorable, et cette expression a pour racine le temps, et non cette tempête qui désigne ordinairement en latin la perturbation du ciel. Toutefois les historiens emploient volontiers cette expression, et au lieu de eo tempore, ils disent ea tempestate, en ce temps; et dans ce vers d'un grand maître: …Unde haec tam clara repente Tempestas 1? le mot tempestas ne signifie point un ciel troublé par les vents et les orages, mais un ciel tout à coup brillant et splendide. Ce que le grec a donc exprimé par en aoria, non point en un seul mot, mais en deux, la préposition et le nom, les traducteurs l'ont rendu par une «nuit intempestive», d'autres par immaturitate, non point eu deux mots, mais en un seul, dont le nominatif est immaturitas; d'autres encore en deux mots, comme dans le grec: In immaturitate; car aoria, signifie immaturitas, et en aoria, in immaturitate, comme pour donner à intempesta nocte le même sens qu'avec sa double préposition, in intempesta, en sorte que l'une de ces prépositions indique l'heure, tandis que l'autre fait partie du nom lui-même. Toutefois peu importe, quand on indique le chant du coq pour l'heure d'une action, que l'on dise, galli cantu, ou bien in galli cantu. De même, pour nous dire qu'il a crié dans la nuit peu avancée, peu importe que le Psalmiste se serve de intempesta nocte, ou de in intempesta nocte. Le grec cependant à dit: Dans une nuit non écoulée, ce qui revient à dire une nuit peu mûre, c'est-à-dire, dans le moment où la nuit n'est point achevée. Mais c'est assez disputer sur une expression obscure; voyons quel en est le sens.

4. «J'ai prévenu, dans le milieu de la nuit, et j'ai crié: j'ai mis mon espoir en vos paroles». Si nous rapportons ces paroles àchaque fidèle, en les prenant à la lettre, il arrive souvent qu'à ce point de la nuit l'amour de Dieu veille, et, dans ce sentiment de ferveur pour la prière, il ne saurait attendre le chant du coq ou l'heure de la prière, mais il le prévient. Mais si nous appelons nuit toute la vie d'ici-bas, c'est bien avant qu'elle soit achevée que nous crions vers Dieu, et nous en prévenons la maturité, ou la fin, alors que

1. Virgil. AEn. 9,19, 20. D'où vient que tout à coup le ciel est si serein?

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Dieu nous rendra ce qu'il nous a promis, coin me on lit ailleurs: «Prévenons sa force par un humble aveu 1». Toutefois, si parle temps non écoulé de la nuit nous entendons les siècles écoulés avant la plénitude des temps, c'est-à-dire que la maturité serait la manifestation du Christ en sa chair 2,l'Eglise alors n'est point demeurée en silence; mais elle a prévenu cette maturité des temps, elle a crié par les Prophètes, elle a espéré dans les paroles de ce Dieu assez puissant pour accomplir ses promesses, et bénir toutes les nations dans la race d'Abraham 3.

5. C'est elle qui dit ce qui suit: «Mes yeux ont devancé le point du jour, afin de méditer vos paroles 4». Appelons matin ce moment où la lumière s'est levée pour ceux qui étaient assis à l'ombre de la mort 5; les yeux de l'Eglise n'ont-ils pas devancé ce matin, dans la personne des saints qui étaient auparavant sur la terre, et qui ont ainsi devancé l'avenir en méditant les promesses que Dieu avait faites alors; et qui annonçaient dans la loi et les Prophètes ce qui arriverait aux hommes ?

6. «Exaucez ma voix, Seigneur, selon votre miséricorde; vivifiez-moi selon votre jugement 6». Dieu, dans sa miséricorde, commence par abroger la peine due aux pécheurs; puis, quand ils sont devenus justes, il leur donne la vie; car ce n'est pas sans raison que le Prophète a suivi cet ordre: «Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement», bien que le temps de la miséricorde ne soit point séparé du jugement, dont l'Apôtre a dit: «Que, si nous-nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés par Dieu. Mais lorsque nous sommes jugés, c'est le Seigneur qui nous reprend, afin que nous ne soyons point condamnés avec le monde 7». Et son collègue dans l'apostolat: «Voici le temps où Dieu va commencer son jugement par sa propre maison; et s'il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient point l'Evangile de Dieu 8?» De même le dernier jugement ne sera point sans miséricorde, «car Dieu vous couronne», dit le Psalmiste, «dans sa miséricorde et sa bonté 9». Il est vrai qu'il y aura un jugement sans miséricorde, mais seulement pour ceux- qui

1. Ps 94,2. - 2. Ga 4,4. - 3. Gn 12,3 Gn 22,18. - 4. Ps 118,148. - 5 Is 9,2. - 6. Ps 118,149. - 7. 1Co 11,32. - 8. 1P 4,17. - 9. Ps 102,4.

seront à gauche et n'auront point fait miséricorde 1.

7. «Ils m'ont approché, ceux qui me persécutent par l'injustice 2», ou «injustement», comme on lit en certains manuscrits. C'est approcher de la part des persécuteurs, que pousser la persécution jusqu'à déchirer notre chair, lui donner la mort. De là cette parole du psaume vingt-unième, qui est une prophétie de la passion du Christ: «Ne vous éloignez pas, car la persécution est proche 3»; ce qui était dit non sous la menace, mais sous le coup même de la passion. Il dit que l'affliction qu'il souffrait dans sa chair est proche, parce que pour l'âme rien n'est plus proche que la chair dont elle est revêtue. Donc ces persécuteurs se sont. approchés en affligeant la chair de leurs victimes. Mais écoute la suite: «Ils se sont éloignés de votre loi». Plus ils approchent des justes pour les persécuter, plus ils s'éloignent de la justice. Mais quel mal ont-ils fait à ceux dont ils s'approchaient ainsi, puisque le Seigneur, qui ne les abandonne jamais, s'approchait d'eux intérieurement?

8. Aussi voyez la suite. «Mais vous êtes près de moi, Seigneur, et toutes vos voies sont vérité» . Au milieu de leurs souffrances les saints confessent ordinairement la vérité de Dieu, et proclament qu'ils souffrent avec justice. Ainsi en fut-il de la reine Esther, ainsi de Daniel, ainsi des trois enfants dans la fournaise, ainsi de tous leurs émules en sainteté. Mais on peut demander comment il est dit: «Toutes vos voies sont vérité», quand il est dit ailleurs : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité». A l'égard des saints toutes les voies du Seigneur sont miséricorde, comme toutes les voies du Seigneur sont vérité, car il les soutient même en les jugeant, et ainsi la miséricorde ne fait point défaut, et dans sa miséricorde il leur donne ce qu'il a promis, de peur de manquer à sa vérité. Quant à l'universalité des hommes, à ceux qu'il délivre, comme à ceux qu'il condamne, toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité: et dès que sa miséricorde est à bout, il fait voir la vérité de ses vengeances. Il en sauve plusieurs qui ne l'ont point mérité, il n'en condamne point qui ne le méritent.

1. Jc 2,13. - 2. Ps 118,150. - 3. Ps 21,12.

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9. «Dès le commencement», dit le Prophète, «j'ai connu par vos témoignages que vous les avez fondés pour l'éternité». Ce que le grec a exprimé par catarxas, dès le commencement, les nôtres l'ont traduit par initio, ou bien par ab initio, et même par ab initiis. Mais en traduisant par le pluriel, «dès les commencements», on rend le grec avec plus de fidélité. Toutefois, dans la langue latine, on rencontre plus fréquemment initio, ou ab initio, ce que les Grecs expriment au pluriel, quoique d'une manière adverbiale, par catarxas. En latin cependant nous trouvons par exemple: Alias hoc facio, «plus tard, voici ce que je ferai», où nous semblons employer un pluriel féminin, et qui est simplement un adverbe, lequel signifie, dans un autre temps. Que signifie donc cette parole: « J'ai a connu dès le commencement», ab initio, ou bien d'une manière adverbiale, initio, «J'ai connu dès le commencement, à propos de vos témoignages, que vous les avez fondés?» Il dit qu'il a connu par les témoignages du Seigneur que ces témoignages sont fondés pour l'éternité; il affirme qu'il l'a connu dès le commencement, et qu'il ne l'a pas connu par une autre voie que par ces mêmes témoignages. Or, quels sont ces témoignages, sinon la promesse que Dieu a faite de donner à ses enfants un royaume éternel? et comme il avait promis de le donner par son Fils unique, dont il est dit que «son royaume n'aura point de fin 1», le Prophète nous dit que ces témoignages sont fondés pour l'éternité, parce que l'objet de la promesse divine est éternel. Car en eux-mêmes les témoignages ne seront plus nécessaires, quand sera vu à découvert ce qui a besoin de témoignage pour obtenir notre adhésion. Aussi le Prophète a-t-il dit avec justesse: «Vous les avez fondés», puisque c'est en Jésus-Christ que l'on en découvre la vérité. Or, «nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui a été posé, et qui est Jésus-Christ 2». Comment donc le Prophète a-t-il compris cela dès le commencement, sinon parce que c'est l'Eglise qui parle ici, et que, dès l'origine du genre humain, l'Eglise n'a pas fait défaut au monde, elle qui eut pour prémices de sainteté Abel immolé, lui aussi 3,pour être un témoignage du sang du Médiateur, qu'un frère impie devait répandre? C'est au commencement en effet que fut prononcée cette parole: «ils seront deux dans une seule chair 4» et saint Paul a dit à ce sujet: «Ce sacrement est grand, oui, dans le Christ et dans l'Eglise 5».

1. Lc 1,33. - 2. 1Co 3,11. - 3. Gn 4,8. - 4. Gn 2,24. - 5. Ep 5,32.




Augustin, les Psaumes 11927