Augustin, Epitre Jean 601

601 1. Si vous vous en souvenez, mes frères, nous avons, hier, terminé notre discours par cette pensée que vous avez sans doute conservée et que vous conserverez dans votre coeur, parce que nous vous l'avons communiquée en finissant: «Mes petits enfants, n'aimons pas seulement de parole ni de langue, mais par les oeuvres et en vérité». L'Apôtre continue ainsi: «Par là, nous savons que nous sommes enfants de la vérité, et, en présence de Dieu, nous sentons nos coeurs persuadés. Si notre coeur nous condamne, Dieu est plus grand que notre coeur, et il connaît tout». Il avait dit: «N'aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les oeuvres et en vérité». Nous voulons savoir à quelle couvre, à quelle vérité on reconnaît celui qui aime Dieu ou celui qui aime son prochain. Jean avait dit plus haut jusqu'où doit aller la charité pour être parfaite; le Sauveur l'avait lui-même déclaré dans l'Evangile: «Personne ne peut témoigner un plus grand amour, qu'en donnant sa vie pour ses amis (Jn 15,13)». Et l'Apôtre avait, à son tour, ajouté ceci: «Comme il a donné lui-même sa vie pour nous, ainsi devons-nous donner la nôtre pour nos frères». Voilà, évidemment, la charité parfaite; il est absolument impossible d'en trouver de plus grande. Mais comme elle ne se trouve point parfaite en tous, celui qui ne la possède pas dans toute sa perfection ne doit nullement se désoler, pourvu qu'elle ait déjà pris naissance en lui, et qu'elle soit, par conséquent, susceptible d'arriver à son comble. Car si elle s'y trouve déjà, il faut la nourrir et la conduire à la perfection qui lui est propre en lui donnant des aliments choisis et spéciaux. Nous avons cherché à découvrir le point initial de la charité, à savoir où elle commence, et, aussitôt, nous avons trouvé dans l'épître de Jean ces paroles: «Un homme qui a les biens de ce monde, et qui, voyant son frère dans la détresse, lui ferme son coeur et ses entrailles, comment aurait-il en soi l'amour de Dieu (1Jn 3,16-17)?» Mes frères, cette charité commence donc à exister, lorsqu'on donne de son superflu aux malheureux plongés dans le besoin, et qu'on délivre le prochain des épreuves du temps, en leur faisant part des biens temporels qu'on possède en abondance. Voilà où commence la charité. Après qu'elle aura ainsi pris naissance en toi, donne-lui pour aliment la parole de Dieu et l'espérance de la vie future, et tu arriveras à ce degré de perfection que tu seras prêt à donner ta vie pour tes frères. (202)

602 2. Il en est qui ont d'autres espérances, qui n'aiment pas leurs frères, et qui, pourtant, font beaucoup d'oeuvres pareilles; retournons au témoignage de la conscience. Comment prouver que ceux qui n'aiment pas leurs frères, agissent souvent de la sorte? Combien, parmi les hérétiques et les schismatiques, se donnent le nom de martyrs! A leurs propres yeux, ils donnent leur vie pour leurs frères. Mais s'ils donnaient leur vie pour leurs frères, est-ce qu'ils feraient schisme avec la fraternité universelle? Evidemment, non. De même que des gens font des largesses, distribuent de l'argent en quantité, uniquement par ostentation, et ne cherchent en cela que les louanges des hommes, que la considération du peuple, considération bouffie, exposée à toutes les chances de vicissitudes du temps! Puisque telle est leur conduite, comment reconnaître la charité fraternelle? L'Apôtre veut nous la faire distinguer; aussi nous donne-t-il un avertissement: «N'aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les oeuvres et en vérité». Nous voulons savoir par quelle oeuvre, en quelle vérité. Peut-il y avoir une oeuvre plus certaine que celle de donner aux pauvres? Beaucoup le font par jactance, et non par charité. Peut-il y avoir d'oeuvre plus grande que celle de mourir pour ses frères? C'est ce que plusieurs voudraient encore avoir la réputation de faire, par désir de se faire un nom, et non point par sentiment intime de charité. Pour aimer nos frères; il ne nous reste rien à faire qu'à nous retirer en présence de Dieu, dans ce sanctuaire où notre oeil seul pénètre, où nous sentons notre coeur persuadé, où nous nous interrogeons nous-mêmes pour savoir si l'amour du prochain est le mobile de nos actions; alors, il reçoit le témoignage de cet oeil qui scrute les profondeurs de son âme où nul homme ne saurait porter ses regards. Aussi, parce qu'il était prêta mourir pour ses frères, et qu'il disait: «Je me sacrifierai moi-même pour vos âmes (2Co 12,15)», parce que Dieu lisait en son coeur ce que ne pouvaient y lire les hommes auxquels il adressait la parole, l'apôtre Paul leur disait: «Je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou devant le tribunal de l'homme (1Co 4,3)». Le même Apôtre prouve, en un autre endroit, que d'habitude les oeuvres de miséricorde sont le résultat de la vanité, au lieu d'être l'effet d'une charité solide. Parlant, en effet, de cette charité fraternelle pour la faire connaître, il s'exprime ainsi: «Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, tout cela ne me sert de rien (1Co 13,3)». Peut-on faire tout cela sans avoir la charité? Sûrement, oui. Car ceux qui n'ont pas la charité, ont scindé l'unité. Cherchez parmi eux, et vous en verrez beaucoup donner beaucoup aux pauvres; vous en verrez beaucoup disposés à mourir, puisque, la persécution ayant pris fin, ils se précipitent eux-mêmes dans les abîmes; il est sûr que, pour tout cela, la charité ne les inspire nullement. Revenons-en donc à la conscience, dont l'Apôtre parle en ces termes: «Ce qui fait notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience (2Co 1,12)». Retournons à notre conscience, au sujet de laquelle le même Apôtre a dit: «Que chacun examine bien ses propres actions, et, alors seulement, il aura de quoi se glorifier en lui-même, et non dans un autre (Ga 6,4)». Que chacun de-nous examine donc ses propres actions, afin devoir si elles émanent de la vraie charité, si elles proviennent de la racine tout aimante de l'arbre des bonnes oeuvres. «Que chacun», dit Jean, «examine ses propres actions, et, alors seulement, il aura de quoi se glorifier en lui-même, et non dans un autre»; quand il recevra un bon témoignage, non de la part des étrangers, mais de sa propre conscience.

603 3. Voici ce qu'il nous rappelle ici. «Nous connaissons que nous sommes enfants de la vérité», quand nous aimons, non-seulement de parole et de langue, mais par le oeuvres et en vérité; «et, en présence de Dieu, nous sentons nos coeurs persuadés». Qu'est-ce à dire: «En présence de Dieu?» Où s'étendent ses regards. C'est pourquoi le Sauveur dit lui-même dans l'Evangile: (203) «Prenez garde de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, afin qu'ils vous voient; autrement, vous n'aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux». Et que signifient ces mots: «Que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite (Mt 6,1-3)», sinon que la main droite est le symbole d'une conscience pure, et que la gauche est celui de la convoitise mondaine? Plusieurs se distinguent par un grand nombre d'actions éclatantes; la convoitise mondaine est le mobile de leur conduite; c'est la main gauche, et non leur main droite qui agit. La main droite doit agir sans que la gauche le sache, car, lorsque la charité nous porte à faire du bien, il ne faut pas que la cupidité du siècle vienne s'y mêler. Comment le savons-nous? Tu es en présence de Dieu; interroge ta conscience; vois ce que tu as fait, examine tes intentions secrètes As-tu voulu travailler au salut de ton âme, ou attirer les louanges creuses des hommes? Scrute ton coeur. Car on ne peut juger celui dont on ne peut scruter les pensées. Si nous sentons en nous un coeur persuadé, ayons-le tel en présence de Dieu. «Si notre coeur nous condamne», c'est-à-dire nous accuse intérieurement d'agir avec des intentions autres que celles que nous devons avoir, «Dieu est plus grand que notre coeur, et il «connaît tout». Aux yeux de l'homme, tu dérobes tes pensées; si tu le peux, dérobe les aux yeux de Dieu. Comment en ôter la connaissance à ce Dieu, à qui un pécheur, confus et sincère, disait autrefois

«Où irai-je devant votre Esprit? Où fuirai-je devant votre face?» Il cherchait où fuir pour éviter le jugement de Dieu, et il ne trouvait pas de place. En effet, où Dieu n'est-il pas? «Si je monte dans les cieux, vous y êtes; si je descends aux enfers, je vous y trouve (Ps 138,7-8)». Où iras-tu? Où fuiras-tu? Veux-tu écouter un conseil? Tu veux l'éviter? Jette-toi dans ses bras. Jette-toi dans ses bras; et, pour cela, avoue tes fautes, ne cherche pas à te dérober à ses regards; car, tu ne peux t'y soustraire, mais tu peux faire l'aveu de tes péchés. Dis-lui: «Vous êtes mon refuge (Ps 31,7)», et nourris en toi la charité, qui, seule, conduit à la vie. Que ta conscience te rende ce témoignage, parce qu'elle est la voix de Dieu. Et puisqu'elle vient de Dieu, n'aie point la volonté de l'étaler sous les regards des hommes; car leurs louanges sont aussi incapables de t'élever au ciel, que leurs critiques de te jeter dans la boue. Que celui-là y lise, qui couronne tes mérites; prends pour témoin celui qui te jugera et te donnera la récompense. «Dieu est plus grand que notre coeur, et il connaît tout».

604 4. «Mes bien-aimés, si notre coeur ne nous condamne pas, nous pouvons nous approcher de Dieu avec confiance». Qu'est-ce à dire: «Si notre coeur ne nous condamne pas?» S'il nous dit, en toute vérité, que nous aimons, et qu'en nous se trouve une charité vraie, non pas feinte, mais sincère, désireuse du salut de nos frères, étrangère à toute pensée de lucre, ne demandant au prochain rien autre chose que son salut, «nous pouvons nous approcher de Dieu avec confiance; et tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements». C'est pourquoi nous devons scruter notre coeur, non en présence des hommes, mais sous le regard de Dieu qui en connaît les pensées. «Nous pouvons donc nous approcher de Dieu avec confiance, et tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons, ses commandements». Quels sont ses commandements? Faut-il donc le redire toujours? «Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (Jn 13,34)». C'est de la charité que parle Jésus; c'est elle qu'il nous recommande. Quand on a la charité fraternelle, et qu'on l'a devant Dieu, dans le coeur où pénètrent ses regards; quand on interroge sérieusement son coeur, et qu'après mûr examen il ne répond qu'une chose, à savoir que la vraie racine de la charité s'y trouve, on peut approcher de Dieu en toute confiance, et tout ce qu'on lui demandera, on le recevra, parce qu'on garde ses commandements.

605 5. Une difficulté se présente ici: Celui-ci ou celui-là, toi ou. moi, nous demanderons quelque chose au Seigneur notre Dieu; si je ne reçois rien, chacun d'entre vous n'aura-t-il pas une belle occasion de dire de moi: Il n'a pas la charité? Il est facile d'en dire autant de tout homme de notre temps; qu'on pense ce qu'on voudra de ses semblables, la (204) difficulté est plus grande que jamais, s'il est question de personnages qui étaient certainement des saints, lorsqu'ils écrivaient, et qui, sans aucun doute, sont maintenant avec Dieu. Qui a la charité, si Paul ne l'avait pas; lui qui disait: «O Corinthiens, ma bouche s'ouvre et mon coeur se dilate vers vous; vous n'êtes point à l'étroit dans mon coeur (2Co 6,11-12)»; lui qui disait encore: «Je me sacrifierai pour vos âmes (2Co 3,15)»; lui en qui la grâce était si abondante, que tous y apercevaient l'existence de la charité? Nous voyons cependant qu'il a demandé et n'a pas reçu. Que disons-nous, mes frères? C'est une difficulté: dirigez vos pensées vers Dieu, c'est même une très-grande difficulté. Quand il s'est agi du péché, à propos de ces paroles: «Celui qui est né de Dieu ne pèche pas (1Jn 3,9)», nous avons trouvé que ce péché consistait à violer la loi de la charité, et que cela a été formellement marqué au même endroit; comme nous l'avons fait alors, nous cherchons aujourd'hui à savoir ce qu'a voulu dire l'Apôtre. Si tu ne fais attention qu'aux paroles, elles semblent n'offrir aucune obscurité; mais si tu veux en faire l'application, il est difficile d'en pénétrer le sens. Y a-t-il rien de plus clair que ce passage: «Et tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons tout ce qui lui est agréable? Tout ce que nous demanderons», dit l'Apôtre, «nous le recevrons de lui». Jean nous donne là un grand sujet d'embarras, comme ailleurs il nous en aurait donné un, s'il avait parlé de toute espèce de péché; mais nous avons tourné la difficulté, en disant qu'il avait parlé d'un péché bien déterminé, et non du péché en général, d'un péché particulier que ne commet pas celui qui est né de Dieu; de plus, nous avons trouvé que ce péché particulier est la violation de la loi de la charité. Nous en avons un exemple positif dans l'Evangile, car le Sauveur a dit: «Si je n'étais pas venu, ils n'auraient pas de péché (Jn 15,22)». Eh quoi! de ces paroles devons-nous conclure que les Juifs, au milieu desquels il était venu, étaient innocents, et que, s'il n'était point venu, ils n'auraient pas été coupables? La présence du médecin aurait-elle donc fait le malade; n'aurait-elle pas fait disparaître la fièvre? Quel homme, même en démence, oserait soutenir pareille chose? Le Sauveur n'est venu que pour soigner et guérir les malades. Pourquoi donc a-t-il dit: «Si je n'étais point venu, ils n'auraient pas de péché?» Ah! c'est qu'il voulait évidemment nous parler d'un péché particulier. Les Juifs, selon sa pensée, n'auraient pas un certain péché. Quel péché? Celui de ne pas croire en lui, de le méconnaître lorsqu'il se trouvait au milieu d'eux. De même qu'en cet endroit Jésus a parlé de péché, sans qu'on soit, pour cela, obligé de penser qu'il faisait allusion à toute espèce de péché, et non à un péché particulier; ainsi en est-il du texte de Jean: il n'y est pas question de tout péché, et, par conséquent, aucune contradiction ne se trouve entre lui et le suivant: «Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons, et la vérité n'est pas en nous (1Jn 1,8)». Il s'agit d'un péché déterminé, qui est la violation de la loi de la charité. Dans le cas présent, l'embarras est plus grand: Quand nous demandons, dit l'Apôtre, si notre coeur ne nous accuse pas, si, devant Dieu, il nous rend le témoignage que le véritable se trouve en nous, «n'importe ce que nous lui demandions, nous le recevrons de lui».

606 6. Je l'ai déjà dit à votre charité: que personne ne fasse attention à nous; car, que sommes-nous? Qu'êtes-vous vous-mêmes? Quoi, sinon l'Eglise de Dieu, qui est connue de tous? Et si cela nous convient, nous sommes en elle; et nous tous, qui, par la charité, nous trouvons dans son sein, nous y demeurerons toujours, si nous voulons faire preuve de l'amour qui nous anime. Cependant, que pourrions-nous penser de mal à l'égard de l'apôtre Paul? N'aimait-il pas ses frères? Sa conscience ne lui en rendait-elle pas intérieurement témoignage en présence de Dieu? Est-ce que ne se trouvait pas en Paul cette racine de la charité, d'où provenaient, comme de bons fruits, toutes ses oeuvres? Où est l'homme assez fou pour tenir un pareil langage? Où donc pouvons-nous reconnaître que cet Apôtre a demandé, sans néanmoins obtenir? «De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l'orgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair, instrument de Satan, comme pour (205) me donner des soufflets; c'est pourquoi j'ai prié le Seigneur de l'éloigner de moi. Il m'a répondu: Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse (2Co 12,7-9)». Voilà bien la preuve qu'il n'a pas été exaucé, et qu'on n'a pas éloigné de lui l'ange de Satan. Mais pourquoi? Parce que cela ne lui était pas utile. Par rapport au salut, la prière de Paul a donc été exaucée, quoiqu'elle ne l'ait pas été relativement à son désir. Que votre charité remarque en cela un grand mystère; nous vous le recommandons, afin qu'au milieu de vos tentations, vous n'en perdiez point le souvenir. Par rapport au salut, les prières des saints sont exaucées en tout; toujours elles sont écoutées favorablement, quand il est question du salut éternel: ils souhaitent y parvenir; aussi, relativement à lui, voient-ils toujours leurs voeux exaucés.

607 7. Mais, remarquons-le bien, Dieu a différentes manières d'exaucer: pour les uns, il les exauce en ce qui concerne leur salut, sans obtempérer à leurs désirs; quant aux autres, il se conforme à leurs volontés, sans avoir égard au salut de leur âme. Faites-y attention. Voici l'exemple d'un homme dont Dieu a négligé les désirs pour assurer son salut. Ecoute l'apôtre Paul, car Dieu lui a montré qu'il l'exauçait dans la vue de son salut: «Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse». Tu as prié, tu as crié, tu as crié trois fois; j'ai entendu tes cris dès le premier moment où ils sont montés vers moi; je n'ai pas détourné mes oreilles; je sais ce que je ferai; tu voudrais voir s'éloigner de toi le médicament qui te tourmente; je connais le mal dont tu souffres. Dieu l'a donc écouté en ce qui intéressait son salut, sans condescendre à ses voeux. Quels sont ceux aux volontés desquels Dieu se conforme, sans avoir égard à leur salut? Il est facile, je pense, de trouver un méchant, un impie, dont Dieu favorise les désirs et néglige le salut. Si je te cite l'exemple d'un pareil homme, tu me diras sans doute: Tu me le désignes comme pécheur, parce qu'il a été juste; s'il n'était pas juste, Dieu ne l'exaucerait pas. Je vais t'en citer un, sur la méchanceté et l'impiété duquel personne n'élève de doutes. Le diable a demandé Job, et il l'a obtenu (Jb 1,11-12). Dans cette épître elle-même n'avez-vous pas lu que celui qui commet le péché est né du diable (1)? Non pas qu'il ait été créé par le diable, mais parce qu'il l'imite. N'est-il pas encore écrit de lui: «Il ne s'est pas tenu dans la vérité (2)?» N'est-il pas cet antique serpent qui, par l'intermédiaire de la femme, a glissé le poison dans le coeur du premier homme (3)? Ce fut lui qui conserva à Job sa femme, afin d'en faire pour ce malheureux, non pas un sujet de consolation, mais un instrument de tentation (4). Le diable a lui-même demandé ce saint homme pour l'éprouver, et il l'a obtenu. L'Apôtre a conjuré le Seigneur d'éloigner de lui cet aiguillon de la chair, et sa demande a été repoussée; et, néanmoins, l'Apôtre a été plus exaucé que le diable. En effet, quoique ses désirs n'aient pas abouti, Paul a été exaucé relativement au salut de son âme; le diable l'a été dans ses volontés, mais pour sa damnation. Job lui a été abandonné pour être tenté, afin que, son épreuve finie, le démon fût tourmenté à son tour. Ceci, mes frères, se voit non-seulement dans les livres de l'Ancien Testament, mais encore dans l'Evangile. Au moment où il les chassait du corps d'un homme, les démons demandèrent au Sauveur la permission de se retirer dans un troupeau de porcs. Est-ce que le Sauveur ne pouvait pas leur dire qu'il leur défendait même d'aller là? S'il n'y avait pas consenti, il est sûr qu'ils ne se seraient pas révoltés contre le roi du ciel et de la terre. Par une évidente et mystérieuse grâce, par une disposition toute particulière de sa providence, il les laissa donc se jeter dans un troupeau de porcs (5), afin de montrer que le diable règne en maître sur ceux qui se conduisent à la manière des pourceaux. Maintenant, les démons ont-ils été exaucés? L'Apôtre ne l'a-t-il pas été? Ou plutôt, ne devons-nous pas dire ce qui est plus conforme à la vérité, à savoir qu'en réalité l'Apôtre a été exaucé, et que les démons ne l'ont pas été? Leur volonté a été faite, mais l'innocence de Paul a été perfectionnée.

1. 1Jn 3,8- 2. Jn 8,11 - 3. Gn 3,1-6 - 4. Jb 2,9 - 5. Lc 8,32

608 8. D'après cela, nous devons comprendre que si Dieu refuse d'obtempérer à nos désirs, il nous ménage le salut. Qu'adviendra-t-il si tu demandes une chose qui te serait nuisible, et que le médecin sache combien elle peut t'être nuisible? Il est sûr qu'il reste sourd à tes demandes. Demande-lui, par (206) exemple, de l'eau froide; quand elle doit être inoffensive, il te la donne; mais il te la refuse, si elle est capable de te nuire; dès lors qu'il ne cède pas à tes instances, peut-on dire qu'il ne t'écoute pas, ou plutôt, ne faut-il pas dire qu'il t'écoute pour te guérir? Mes frères, que la charité soit en vous; qu'elle soit en vous, et soyez tranquilles; quand vous demandez sans recevoir, Dieu vous exauce, mais vous l'ignorez. Plusieurs ont été livrés entre leurs propres mains pour leur malheur; c'est d'eux que l'Apôtre dit: «Dieu les a abandonnés aux désirs de leur coeur (1)». Un homme a demandé une fortune considérable; il l'a obtenue pour son malheur. Lorsqu'il ne la possédait pas, il éprouvait peu de craintes; depuis qu'il en jouit, il est devenu la proie de plus fort que lui. N'a-t-il pas été exaucé pour son malheur, celui qui a désiré du bien temporel? Quand il était pauvre, personne ne pensait à lui; aujourd'hui les voleurs lui tendent des piéges pour le dépouiller. Apprenez à prier Dieu; confiez-vous à lui comme à votre médecin; qu'il fasse comme il l'entend. A toi de déclarer ton mal; à lui d'y appliquer le remède. Aie seulement soin de conserver la charité. Car il veut trancher dans le vif, il veut brûler; tu cries et tu ne peux l'empêcher de couper, de brûler, de faire mal; il sait, lui, jusqu'où va la plaie. Tu veux qu'il retire vite la main; pour lui, il sonde la blessure. dans toute sa profondeur. Il repousse tes prières, mais il écoute l'intérêt de ta santé. Soyez donc assurés, mes frères, de la vérité de ce que dit l'Apôtre: «Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière; mais l'Esprit demande lui-même pour nous, par des gémissements inénarrables, parce que lui-même interpelle pour les saints (2)». Qu'est-ce à dire: «L'Esprit lui-même interpelle pour les saints», sinon la charité elle-même que l'Esprit a déposée dans ton coeur?Voilà, en effet, pourquoi le même Apôtre dit ailleurs: «La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (3)». La charité elle-même gémit; elle prie: Celui qui nous l'a donnée, ne sait point fermer l'oreille à ses cris. Sois tranquille; que ta charité prie. il y a là des oreilles pour l'écouter; ce sont celles de Dieu; ce que tu désires, il ne le fait pas, mais il fait ce qui t'est utile. Donc, «tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui». Je l'ai déjà dit: si tu comprends ces paroles dans le sens du salut, elles n'offrent pas la moindre difficulté. Si tu les entends dans un autre sens, tu y trouves une difficulté, et une grande, et, en conséquence, tu accuses à tort l'apôtre Paul: «N'importe ce que nous demandions, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements et que nous faisons, en sa présence, ce qui lui plaît». «En sa présence», au fond du coeur où plongent ses regards.

1.
Rm 1,24 - 2. Rm 8,26-27 - 3. Rm 5,5

609 9. Et quels sont ces commandements? «Or», dit Jean, «le commandement qu'il nous a donné est de croire au nom de son Fils «Jésus-Christ, et de nous aimer les uns les a autres». Vous voyez que tel est son commandement; vous voyez que quiconque le viole, commet un péché dont reste innocent celui qui est né de Dieu. «Comme il nous l'a prescrit», de nous aimer les uns les autres. «Et celui qui garde les commandements de Dieu»; vous voyez qu'il ne nous ordonne rien autre chose que de nous aimer mutuellement. N'est-il pas évident que la présence du Saint-Esprit dans une âme a pour effet d'y établir l'amour et la charité? Ce que dit l'apôtre Paul n'est-il pas hors de doute: «La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint, qui nous a été donné?» Parlant de la charité, il disait qu'en présence de Dieu, nous devons interroger notre coeur. «S'il ne nous rend pas un mauvais témoignage», c'est-à-dire, si tout ce que nous faisons de bien, nous le faisons par amour de nos frères. Ajoutons à cela, qu'en parlant aussi du commandement de Dieu, il s'exprime ainsi: «Or, le commandement qu'il nous a donné est de croire en son Fils Jésus-Christ, et de nous aimer les uns les autres. Et, quiconque observe le commandement de Dieu, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui; et c'est par l'Esprit qu'il nous a donné que nous connaissons qu'il demeure en nous». Car si tu reconnais que tu as la charité, c'est que tu as l'Esprit de Dieu pour le comprendre; or, c'est une chose singulièrement nécessaire à savoir.

610 10. Dans les premiers temps, l'Esprit-Saint descendait sur les fidèles; ils parlaient, selon que l'Esprit leur donnait de le faire, un (207) langage qu'ils n'avaient jamais appris à parler. C'était un signe approprié au temps; il était, en effet, nécessaire que le Saint-Esprit se manifestât dans toutes les langues, puisque l'Evangile de Dieu devait être annoncé dans toutes les langues et dans toutes les contrées de l'univers. Ce signe a eu lieu, puis il a cessé d'être. Maintenant, quand on impose les mains à des hommes pour leur communiquer le Saint-Esprit, est-ce qu'on attend d'eux qu'ils parlent toutes les langues? Ou bien encore, lorsque nous avons imposé les mains à ces petits enfants, chacun de vous a-t-il attendu pour voir s'ils parleraient toutes les langues, et, voyant qu'ils ne les parlaient pas, s'est-il trouvé assez mal disposé pour dire: Ces enfants n'ont pas reçu l'Esprit-Saint; car, s'ils l'avaient reçu, ils parleraient toutes les langues, comme cela se faisait autrefois? Si donc le miracle des langues n'atteste plus aujourd'hui la présence du Saint-Esprit, comment et à quel signe peut-on reconnaître qu'on l'a reçue? Il faut interroger son coeur; si l'on aime le prochain, c'est la preuve qu'on a en soi l'Esprit de Dieu. Qu'on s'examine, qu'on s'éprouve en présence du Seigneur; que l'on voie si l'on a en soi l'amour de la paix et de l'union, l'amour de l'Eglise répandue par toute la terre. On doit être attentif à ne pas aimer seulement le frère que l'on a devant soi, car il en est beaucoup d'autres que nous ne voyons pas, et avec lesquels nous sommes liés dans l'unité de l'Esprit. Est-ce chose étonnante s'ils ne sont pas avec nous? Nous formons tous un seul corps, qui a son unique tête dans le ciel. Mes frères, nos yeux ne se voient pas, ils semblent ne pas se connaître, mais sont-ils étrangers l'un à l'autre? Non, car faisant partie du même corps, ils sont unis ensemble. Remarquez bien, en effet, comme l'union, qui existe entre eux, les familiarise l'un avec l'autre. Quand tous les deux sont ouverts, il est impossible à l'oeil droit de se porter sur un objet, sans que l'oeil gauche s'y porte en même temps. Dirige, si tu le peux, la vue de l'un d'un côté quelconque, sans y diriger aussi la vue de l'autre. Ils remuent ensemble; ensemble ils se fixent dans la même direction; l'endroit qu'ils occupent n'est pas le même; leur action est une. Dès lors que tous ceux qui aiment Dieu avec toi, ont la même volonté que toi, tu n'as pas à t'inquiéter de ce que, corporellement, ils ne se trouvent pas dans le même endroit; car vous avez, les uns et les autres, fixé les regards de votre 'coeur sur la lumière de la vérité. Si donc tu veux savoir si tu as reçu l'Esprit, interroge ton coeur, de peur qu'ayant reçu le sacrement, tu n'en aies pas intérieurement la grâce. Interroge ton coeur, et si la charité fraternelle y est, sois tranquille. La charité ne peut s'y trouver sans l'Esprit-Saint; car Paul dit hautement. «La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné».

611 11. «Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit». Car Jean avait déjà dit: «C'est par l'Esprit qu'il nous a donné que nous connaissons qu'il demeure en nous». Faites bien attention à ce qui nous fait reconnaître cet Esprit: «Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout Esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu». Quel est celui qui éprouve les esprits? Difficile question à résoudre, mes frères. Il est bon que Jean lui-même nous le dise, afin que nous le sachions. Il nous le dira, ne vous épouvantez pas; mais, avant tout, voyez, faites attention. Le texte lui-même nous explique ce qui donne à d'orgueilleux hérétiques le prétexte de nous calomnier. Remarquez, voyez ce que dit l'Apôtre: «Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu». Dans l'Evangile, l'Esprit-Saint est désigné sous l'emblème de l'eau; car le Sauveur a crié et dit: «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein». L'Evangéliste a fait connaître pourquoi Jésus parlait ainsi, car il a ajouté: «Il disait cela, à cause de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui». Pour quel motif le Sauveur n'a-t-il point baptisé un grand nombre de personnes? Mais que dit Jean? «Mais le Saint-Esprit n'était pas encore donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié (1)». Ils avaient donc reçu le baptême, mais non encore le Saint-Esprit, que le Sauveur envoya du haut du ciel, le jour de la Pentecôte; pour le recevoir, il fallait préalablement que Jésus fût glorifié. Néanmoins, avant d'être glorifié, avant d'envoyer son Esprit, il engageait les hommes à se montrer dignes de recevoir

1.
Jn 7,37-39

208

l'eau, dont il disait: «Celui qui a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive; celui qui croit en moi, des fleuves d'eau a vive couleront de son sein». Qu'est-ce à dire: «Des fleuves d'eau vive?» Qu'est-ce que cette eau? Que personne ne m'interroge; consulte l'Évangile. «Il disait cela à cause de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui». Autre chose est donc l'eau du sacrement, autre chose l'eau qui est l'emblème de l'Esprit de Dieu; l'eau du sacrement est visible, on ne voit pas celle qui figure l'Esprit. L'eau, en lavant le corps, est le signe de ce qui se passe dans l'âme; par cet Esprit, l'âme est purifiée et nourrie. C'est cet Esprit que ne peuvent posséder ni les hérétiques, ni ceux qui se séparent de l'Église. Et ceux-là n'ont pas non plus cet Esprit, qui se séparent de l'Église secrètement par le péché, et qui, intérieurement, sont aussi légers que de la paille, et ne sont pas du froment. Cet Esprit, le Sauveur l'a représenté sous l'emblème de l'eau; nous,avons lu ceci dans l'épître de Jean: «Ne croyez pas à tout esprit»; et à cela reviennent encore ces paroles de Salomon: «Abstiens-toi de l'eau de l'étranger». Qu'est-ce que l'eau? L'esprit. L'eau est-elle toujours l'emblème de l'esprit? Pas toujours. En certains endroits de l'Écriture, elle signifie l'esprit; en d'autres, le baptême; en ceux-ci, les nations; en ceux-là, la prudence. Il est dit quelque part: «La prudence est une source de vie pour celui qui la possède (1)». En différents passages de l'Écriture, le mot eau a donc des sens divers. Ici, cependant, et sous ce vocable, vous avez reconnu l'Esprit-Saint; non pas d'après notre interprétation, mais d'après le témoignage de l'Évangile; car il y est dit: «Mais il parlait ainsi, à cause de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui». Puisque le mot eau signifie Esprit-Saint, et que cette épître nous dit: «Ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu», nous devons le comprendre, c'est en ce sens qu'il est écrit: «Abstiens-toi de l'eau de l'étranger, ne bois pas à une source étrangère (2)». Qu'est-ce à dire: «Ne bois pas à une source étrangère?» Ne crois pas à un esprit étranger.

1. Pr 16,22 - 2. Pr 9,18 suiv. les Septante.

612 12. Reste donc à savoir comment on éprouve si l'esprit est de Dieu. Jean nous en a indiqué le signe; mais ce signe est peut-être difficile à saisir; examinons cependant. Il nous faut revenir à la charité; c'est elle qui nous instruit, parce qu'elle est cette onction. Toutefois, que dit ici l'Apôtre? «Eprouvez si les esprits sont de Dieu; car il est venu beaucoup de faux prophètes dans le monde». Voilà bien désignés tous les hérétiques et tous les schismatiques. Comment donc est-ce que j'éprouve l'Esprit? Jean continue: «Voici comment on reconnaît l'Esprit de Dieu». Prêtez l'oreille de votre coeur. Nous nous tourmentions et nous disions: Qui le connaît? qui le discerne? L'Apôtre va nous dire son signe distinctif: «Voici comment on reconnaît l'Esprit de Dieu. Tout-esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair, est de Dieu; et tout esprit qui divise Jésus-Christ, n'est point de Dieu, et c'est là l'antéchrist dont vous avez ouï dire qu'il doit venir, et il est déjà dans le monde». Nous dressons les oreilles comme si nous allions apprendre à discerner les esprits; et nous entendons de telles choses, que le discernement est, pour nous, encore aussi difficile. En effet, que dit Jean? «Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair, est de Dieu». L'esprit qui se trouve chez les hérétiques, est donc de Dieu, puisqu'ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair? Peut-être, à ces paroles, se lèvent-ils déjà contre nous, et disent-ils Vous, vous n'avez pas l'Esprit de Dieu; mais nous, nous confessons que Jésus-Christ est venu dans la chair, et Jean a déclaré que l'Esprit de Dieu n'habite pas en ceux qui refusent de confesser que Jésus-Christ est venu dans la chair. Questionne les Ariens; ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; interroge les Eunoméens: ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; les Macédoniens: ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; les Cataphryges: ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; les Novatiens: ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair. Tous les hérétiques ont-ils donc l'Esprit de Dieu? Il n'y a donc pas de faux prophètes? Il n'y a donc, de leur part, ni déception, ni séduction? Certainement ils sont des antéchrists ceux qui sont sortis du milieu de nous sans être, néanmoins, des nôtres.

613 13. Que faire donc? Comment discerner (209) les esprits? Attention! Marchons tous de coeur, et frappons. La charité même veille, parce que c'est elle qui doit frapper, c'est elle qui doit ouvrir. Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, vous comprendrez dans un instant. Vous savez qu'il a été dit précédemment: «Celui qui nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair, est un antéchrist (1)». Sur ce texte, nous avons cherché à savoir qui est-ce qui le nie, et nous nous sommes aperçu que ce n'est ni nous ni les hérétiques précités, mais nous avons vu que certains le sont par leur conduite (2); et, à l'appui, nous avons cité ces paroles de l'Apôtre: «Ils font profession de connaître Dieu, «mais ils le nient par leurs oeuvres (3)». Cherchons donc de même maintenant à savoir comment on nie Dieu, sinon de parole, au moins par les oeuvres. Quel est l'esprit qui n'est pas de Dieu? «Celui qui nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair». Et quel est l'esprit qui est de Dieu? «Celui qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair». Quel est celui qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair? Voilà, mes frères, le moment venu d'examiner les oeuvres, sans tenir compte des paroles. Voyons pourquoi le Christ est venu dans la chair, et nous saurons qui sont ceux qui nient qu'il y soit venu. Si tu ne fais attention qu'à la profession de foi, tu le remarqueras, beaucoup d'hérétiques confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; mais la vérité les condamne. Car pourquoi le Christ est-il venu dans la chair? N'était-il pas Dieu? N'est-ce pas de lui qu'il est écrit: «Au commencement était le Verbe, «et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était a Dieu (4)?» N'était-ce pas lui qui nourrissait les anges? N'est-ce pas lui qui les nourrit? N'est-il pas vents du ciel sans le quitter? N'y est-il pas remonté, sans pour cela nous abandonner? Pourquoi donc est-il venu dans la chair? Parce qu'il fallait nous faire entrevoir l'espérance de ressusciter. Il était Dieu, et il s'est incarné; comme Dieu, il ne pouvait mourir; en tarit qu'homme, il en était susceptible; il s'est donc fait homme, afin de mourir pour nous. Mais comment est il mort pour nous? «Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu'en mourant pour ses amis (5)». C'est donc par charité qu'il s'est

1.
1Jn 2,19-22- 2. Traité 3,2,. 7-9.- 3. Tt 1,16 - 4. Jn 1,1 - 5. Jn 15,13

fait homme. D'où il suit que quiconque n'a pas la charité, nie que le Christ soit venu dans la chair. Adresse maintenant cette question à n'importe quel hérétique: Le Christ est-il venu dans la chair? - Oui, je le crois, je le confesse.- Bien mieux, tu le nies.- Comment cela? Est-ce que tu ne m'entends point parler? - Non. Tu le nies, et je t'en donne la preuve. Oui, tu le confesses de bouche, mais tu le nies de coeur, tes paroles en sont un aveu, tes actes un démenti.- Comment est-ce que je le nie par mes oeuvres? - Parce que le Christ s'est incarné afin de mourir pour nous, et il est mort pour nous, parce qu'il nous a montré beaucoup de charité. «Personne ne peut témoigner un plus grand amour que de mourir pour ses amis». Tu n'as pas la charité, parce que, pour t'élever, tu scindes l'unité. De là, comprenez quel est l'esprit de Dieu. Frappez, touchez ces vases d'argile pour voir s'ils ne craquent pas, s'ils ne donnent pas un son faux; voyez si leur son est net, si la charité se trouve en eux. Tu te sépares violemment de l'union avec le monde entier, tu divises l'Eglise par des schismes, tu mets en lambeaux le corps du Christ. I1 s'est fait homme pour nous réunir tous, et toi, tu cries pour nous diviser. C'est donc l'Esprit de Dieu qui dit que Jésus-Christ est venu dans la chair, qui le dit, non de bouche, mais d'effet; qui le dit, non pas en faisant du bruit, mais en l'aimant. Mais cet esprit n'est pas de Dieu, qui nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair; qui le nie, lui aussi, non de bouche, mais par sa conduite, non par parole, mais d'effet. Ce qui nous aide à discerner nos frères est donc nettement indiqué. Beaucoup le sont réellement, parce qu'ils le sont du fond du coeur; mais personne ne l'est extérieurement, à moins que l'extérieur ne soit pas trompeur.

614 14. Remarquez bien que Jean en revient aux oeuvres: «Et tout esprit qui divise le Christ et nie qu'il soit venu dans la chair, n'est pas de Dieu». Diviser par les oeuvres, s'entend. Que te montre l'Apôtre? Celui qui nie, puisqu'il dit: «Il divise». Le Christ était venu établir l'union, et toi, tu viens semer la division. Tu veux disloquer les membres du Christ. Comment? Tu ne nies pas que le Christ soit venu dans la chair, et tu brises l'Eglise de Dieu que le Christ avait faite une? Tu marches donc à l'encontre du Christ; tu (210) es, par conséquent, un antéchrist. Au dedans ou au dehors, peu importe; tu n'en es pas moins un antéchrist; un antéchrist caché, si tu l'es intérieurement; un antéchrist déclaré, si tu l'es au dehors; voilà toute la différence. Tu brises le Christ et tu nies qu'il soit venu dans la chair; tu n'es pas de Dieu. C'est pourquoi le Sauveur dit dans l'Evangile: «Celui qui détruira l'un de ces moindres commandements et qui instruira ainsi les hommes, sera le dernier dans le royaume des cieux». Qu'est-ce à dire: Est détruit? Qu'est-ce à dire: Est enseigné? Est détruit par les oeuvres; est enseigné comme de bouche. «Vous qui prêchez qu'il ne faut pas dérober, vous dérobez (1)». Celui qui dérobe détruit le précepte par sa conduite, et il semble ainsi recommander le vol. «Il sera le dernier dans le royaume des cieux», c'est-à-dire dans l'Église du temps. De cet homme il a été dit: «Faites ce qu'ils vous disent; mais ce qu'ils

1.
Rm 2,21

font, ne le faites pas (1). Mais celui qui fera et «enseignera sera appelé grand dans le royaume des cieux (2)». Il oppose ici le mot«fera» au mot «détruira» qu'il a dit plus haut; en d'autres termes: Celui qui fera et qui enseignera de la même façon. Par conséquent, celui qui ne fait pas, détruit. Que nous enseigne-t-il, sinon à examiner les actes et à ne pas nous fier aux paroles? L'obscurité des choses nous force à parler beaucoup, car notre principal but est de mettre à la portée de nos frères, même les plus arriérés, ce que le Sauveur a bien voulu nous révéler; en effet, ils ont tous été rachetés au prix du sang du Christ. Je crains même que cette Epître ne soit pas, comme je l'avais promis, complètement expliquée ces jours-ci; mais, s'il plaît à Dieu, il vaudra mieux ne pas terminer tout à fait que surcharger vos coeurs d'une nourriture trop abondante.

1. Mt 23,3 - 2. Mt 5,19




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SEPTIÈME TRAITÉ. (Chap. 4,4-12)


Augustin, Epitre Jean 601