Augustin, Epitre Jean 900

NEUVIÈME TRAITÉ. (Chap. 4,17-21)

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES: «L'AMOUR DE DIEU EST PARFAIT EN NOUS», JUSQU'À CES AUTRES: «ET C'EST DE DIEU MÊME QUE NOUS AVONS REÇU CE COMMANDEMENT: QUE CELUI QUI AIME DIEU, AIME AUSSI SON FRÈRE». (Chap. 4,17-21)

1Jn 4,17-21

LA CONFIANCE AU JUGEMENT.


Nous avons une preuve de l'existence de la charité en nous dans la confiance que nous inspire le jugement. Si, au lieu de le craindre comme font ceux qui commencent à être parfaits, nous désirons le voir venir, c'est que nous sommes, comme Dieu, charitables, même envers nos ennemis; c'est que nous avons en nous la charité parfaite. Cette charité doit y être précédée parla crainte; mais quand elle y est une fois établie, la crainte disparaît, et notre justice devient elle-même parfaite. A côté de cette crainte imparfaite par où commence la charité parfaite, se trouve une crainte pure qui demeure même avec cette charité; elle consiste à redouter d'être séparé de Dieu: elle s'inspire donc du véritable amour divin. Celui que domine la crainte imparfaite, doit se souvenir incessamment de la présence de Dieu, et il ne péchera plus; l'autre vit saintement et il a confiance de ne pas être délaissé par le Seigneur: il a confiance dans le jugement. Pour en être là, aimons Dieu, nous lui devons la réciprocité: aimons aussi nos semblables, car l'amour de Dieu et celui du prochain sont inséparables.

901 1. Votre charité s'en souvient, il nous reste à traiter et à vous expliquer, aussi bien que Dieu noua en fera la grâce, la dernière partie de l'Epître de l'apôtre Jean; nous n'oublions point notre dette, et vous ne devez pas vous-mêmes oublier de nous en demander le paiement. La charité, que cette Epitre nous recommande par-dessus tout et presque exclusivement, nous porte à remplir, avec la plus scrupuleuse fidélité, nos engagements, et fait de vous les plus bienveillants des créanciers. Je vous donne le nom de créanciers bienveillants, parce que, où ne se trouve pas la charité, il n'y en a que de durs; mais où elle se rencontre, celui-là même qui exige le paiement d'une dette le fait avec douceur; et pour celui qui est forcé de remplir ses engagements, lors même qu'il lui faut s'imposer quelque peine, la charité rend cette peine si légère qu'elle en devient presque nulle. Prenons un exemple parmi les êtres vivants privés de parole et de raison, animés des sentiments d'une charité, non pas spirituelle, mais purement charnelle et naturelle; leurs petits n'exigent-ils pas, mais avec une vive amitié, le lait des mères? Quoiqu'ils se jettent brusquement sur ses mamelles pour les sucer, la mère aime mieux les voir ainsi, que les voir ne pas téter et ne pas exiger d'elle ce que leur doit son affection. Nous voyons souvent des génisses déjà grandes frapper à coups de tête la mamelle et soulever, en quelque sorte par là, le corps de leur mère, sans néanmoins en recevoir de coups de pieds qui les éloigne; et même, quand le veau n'est point là pour sucer son lait, elle l'appelle par ses mugissements. Par conséquent, si nous avons en nous cette charité spirituelle dont parle l'Apôtre quand il dit: «Je me suis rendu petit parmi vous, comme une nourrice pleine de tendresse pour ses enfants (1)», nous aimons à vous voir exiger de nous l'acquit de nos dettes. Nous n'aimons point ceux qui se montrent lents à le faire, car nous avons peur de ceux qui manquent de zèle. Nous avons dû interrompre la suite du texte de cette Epître, en raison de leçons importantes qu'il nous a fallu y intercaler à cause de certains jours de tête, leçons dont nous nous sommes borné à vous donner la lecture sans vous en donner l'explication. Reprenons donc aujourd'hui l'ordre interrompu, et que votre sainteté écoute avec attention ce qui nous reste à lui dire. Je ne sais s'il est possible de nous recommander la charité en des termes plus élevés que ceux-ci: «Dieu est amour». Eloge bref, mais admirable! Eloge en peu de mots, mais plein de magnificence dans les idées qu'il éveille! Que c'est bientôt dit: «Dieu est amour!» Oui, c'est court; un mot, voilà tout; mais pèse ce mot, combien il dit de choses! «Dieu est amour; et celui qui demeure dans l'amour

1.
1Th 2,7

226

demeure en Dieu, et Dieu en lui (1)». Que Dieu soit pour toi une maison, sois une maison pour Dieu; demeure en Dieu, et que Dieu demeure en toi. Dieu demeure en toi pour te contenir; tu demeures en Dieu pour ne pas tomber; car ainsi parle de la charité l'apôtre Paul: «La charité ne tombe pas (2)». Comment tomber lorsqu'on se tient en Dieu?

902 2. «L'amour de Dieu est parfait en nous, en ce que nous avons confiance pour le jour du jugement, parce que nous sommes en ce monde, comme il y est lui-même». L'Apôtre indique, pour chacun, le moyen de s'éprouver soi-même, de savoir dans quelle proportion la charité a augmenté en lui, ou plutôt, quels progrès il a faits dans la charité. Si la charité est Dieu, Dieu n'augmente ni ne diminue; la charité n'est donc censée augmenter en toi que parce que tu fais en elle des progrès. Cherche alors à savoir combien tu as profité en fait de charité; écoute ce que te dira ton coeur, et tu auras la mesure de ton avancement dans cette vertu. Jean a promis de nous indiquer la manière de connaître Dieu, et il a dit: «L'amour de Dieu est parfait en nous, en ce»; cherche en quoi? «que nous avons confiance pour le jour du jugement». Quiconque a confiance pour le jour du jugement, la charité est parfaite en lui. Qu'est-ce qu'avoir confiance pour le jour du jugement? C'est ne pas craindre de le voir venir. Il est des hommes qui n'y croient pas; ceux-là ne peuvent avoir confiance pour un jour qu'ils ne croient point devoir venir. Laissons de côté cette sorte de personnes. Que Dieu les ressuscite pour qu'ils vivent; pour nous, avons-nous à parler d'hommes morts? Ils ne croient pas au jour du jugement à venir; ils ne craignent ni ne désirent ce à quoi ils ne croient point. Quelqu'un commence à croire au jour du jugement; dès lors qu'il commence à y croire, il commence à le craindre. Mais parce qu'il craint encore, il n'a pas encore confiance pour le jour du jugement; la charité n'est pas encore parfaite en lui. Néanmoins, y a-t-il lieu de désespérer. De ce que tu vois le commencement, est-ce pour toi un motif de désespérer de la fin? Quel commencement aperçois-je, me diras-tu?La crainte. Ecoute l'Ecriture: «La crainte du «Seigneur est le commencement de la sagesse (3)». Cet homme a donc commencé à

1.
1Jn 4,16- 2. 1Co 13,8- 3. Si 1,16

craindre le jour du jugement: que cette crainte lui serve à se corriger, qu'il se montre vigilant à l'égard de ses ennemis, c'est-à-dire de ses péchés; qu'il commence à revivre de la vie intérieure et à mortifier ses membres terrestres, selon ces paroles de l'Apôtre: «Faites mourir les membres de l'homme terrestre qui est en vous». Il donne aux passions désordonnées de l'âme le nom de membres de l'homme terrestre; car, pour expliquer sa pensée, il ajoute «L'avarice, l'impureté (1)», et tous les autres vices dont il fait ensuite mention. Autant celui qui commence à craindre le jour du jugement mortifie ses membres terrestres, autant ses membres célestes grandissent et se fortifient: ces membres célestes ne sont autres que toutes les bonnes oeuvres. Dès lors que les membres célestes se font voir, le chrétien commence à désirer ce qu'il craignait. Il craignait de voir le Christ venir et trouver un impie à condamner; il désire maintenant que le Christ vienne, parce qu'il trouvera un homme pieux à récompenser. Et dès l'instant qu'avec une âme chaste, désireuse de recevoir les baisers de son époux, il souhaite la venue du Christ, il renonce à l'adultère; la foi, l'espérance et la charité, le rendent intérieurement vierge. Il a désormais confiance dans le jour du jugement, et il ne se déclare point contre lui-même, quand il prie et qu'il dit: «Que votre règne arrive (2)». Car celui qui redoute la venue du royaume de Dieu, craint d'être exaucé. Mais celui qui prie avec la confiance qu'inspire la charité, souhaite le voir venir. Quelqu'un parlait de ce désir quand il disait dans un psaume: «Et vous, Seigneur, jusques à quand? Tournez-vous vers moi, Seigneur, et sauvez mon âme (3)». Il gémissait de voir son existence se prolonger. Il y a des hommes qui se soumettent à mourir, il en est d'autres, et ceux-là sont parfaits, qui se soumettent à vivre. Qu'ai-je dit? Celui qui désire voir son existence d'ici-bas se prolonger encore, supporte avec soumission la nécessité de mourir, quand l'heure en est venue pour lui; il lutte contre lui-même, afin de suivre la volonté de Dieu, et, dans son coeur, il aime mieux se conformer au bon vouloir de Dieu qu'à ses propres aspirations: du désir qu'il éprouve de vivre encore, naît avec la mort

1 Col 3,5 - 2. Mt 6,10 - 3. Ps 6,4-5

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une lutte à laquelle il apporte de la patience et du courage, afin de mourir sans regrets. Pour celui qui, suivant la parole de l'Apôtre, désire «être dégagé des liens du corps, pour se trouver avec Jésus-Christ», il ne supporte pas avec soumission la nécessité de mourir; mais il se soumet sans murmure à la nécessité de vivre, et il quitte ce monde avec bonheur. Vois l'Apôtre; il vivait patiemment, c'est-à-dire, il n'aimait pas cette vie terrestre, mais il la supportait sans se plaindre. «J'éprouve,» disait-il, «un ardent désir d'être dégagé des liens du corps, et d'être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur; mais il est nécessaire pour vous que je demeure en cette vie (1)». Donc, mes frères, mettez-vous à l'oeuvre, luttez au dedans de vous-mêmes, pour que vous désiriez ce jour du jugement. Commencer à désirer ce jour, c'est le seul moyen de prouver qu'on a la charité parfaite. Celui-là le désire, qui a confiance en lui; et celui-là a confiance en lui, dont la conscience ne tremble point, parce qu'elle s'appuie sur une charité parfaite et sincère.

903 3. «Son amour est parfait en nous, en ce que nous avons confiance pour le jour du jugement». Pourquoi aurons-nous confiance? «Parce que nous sommes dans ce monde comme il y est». Tu connais maintenant le motif de ta confiance: «Parce que nous sommes dans le monde comme il y a est lui-même». L'Apôtre ne semble-t-il pas avoir dit une chose impossible?En effet, l'homme peut-il être comme Dieu? Je vous l'ai déjà dit: le mot a comme» n'est pas toujours employé pour signifier égalité, il exprime aussi parfois une certaine ressemblance. Ne dis-tu pas: Cette image a des oreilles comme j'en ai moi-même? Ces oreilles sont-elles, néanmoins, identiquement les mêmes? Cependant tu emploies à leur égard le mot «comme». Puisque nous avons été créés à l'image de Dieu, pourquoi ne sommes nous pas comme Dieu? C'est que nous ne lui sommes pas égaux, mais que nous avons, avec lui, une certaine ressemblance. D'où nous vient donc notre confiance pour le jour du jugement? «De ce que nous sommes en «ce monde, comme il y est lui-même». Nous devons rapporter ces paroles à la charité, et les entendre en ce sens. Le Sauveur dit dans

1.
Ph 1,23-24

l'Evangile: «Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous? Les publicains n'agissent-ils pas ainsi?» Que veut-il donc de nous? «Et moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent». S'il nous commande d'aimer nos ennemis, quel modèle de charité nous présente-t-il? Dieu lui-même, car il ajoute: «Afin que vous soyez les enfants de votre Père, qui est dans les cieux». Comment Dieu nous donne-t-il l'exemple de la charité? Il aime ses ennemis, «puisqu'il fait «lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes (1)». Puis donc que Dieu nous invite à être assez parfaits pour aimer nos ennemis, comme il a lui-même aimé les siens, notre confiance, pour le jour du jugement, vient «de ce que nous sommes en ce monde, «comme il y est lui-même». Comme il manifeste son amour à l'égard de ses ennemis, en faisant lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes; ainsi, et parce que nous ne pouvons leur distribuer les rayons du soleil et la pluie, nous versons pour eux des larmes, lorsque nous prions en leur faveur.

904 4. Voyez maintenant ce que l'Apôtre dit de la confiance, dont nous avons parlé. Comment savoir si notre charité est parfaite? «La crainte ne se trouve point dans l'amour». Aussi, que dire de celui qui a commencé à craindre le jour du jugement? S'il avait la charité parfaite il ne craindrait pas; car la charité parfaite rendant parfaite sa justice, il n'aurait aucun motif de crainte, il aurait même un motif de désirer la fin de l'iniquité et la venue du royaume de Dieu. Donc, «la crainte ne se trouve pas dans la charité». Mais de quelle charité s'agit-il? Ce n'est point de la charité commencée. De laquelle, alors? «Mais», dit Jean, «l'amour parfait chasse la crainte», commencez donc par la crainte; car «la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse». La crainte prépare, en quelque sorte, la place à la charité, et quand la charité commence à habiter en nos coeurs, elle en chasse la crainte, qui lui avait préparé là une place. La crainte y diminue à mesure que la charité y augmente, et plus profondément y pénètre celle-ci, plus celle-là s'en éloigne; moindre est la

1.
Mt 5,44-46

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charité, plus grande est la crainte; plus grande est la charité, moindre est la crainte. S'il n'y a pas de crainte en nous, la charité ne peut y entrer. Quand on coud un vêtement, nous voyons que le fil pénètre dans l'étoffe au moyen de l'aiguille; celle-ci entre d'abord, mais tant qu'elle ne sort pas, le fil n'entre pas. Ainsi en est-il de la crainte d'abord elle se rend maîtresse de l'âme, mais elle n'y reste pas indéfiniment; car si elle y a pénétré, c'était afin d'y introduire la charité. La sécurité une fois établie en nous, quelle joie devient notre partage, soit pour la vie présente, soit pour la vie à venir? Dans cette vie, qui serait à même de nous devenir nuisible, si la charité remplit notre coeur? Voyez comme la charité fait tressaillir l'Apôtre d'aise et de joie: «Qui nous séparera», dit-il, «de l'amour de Jésus-Christ? L'affliction? les angoisses? la persécution? la faim? la nudité? les périls? le glaive (1)?» Pierre dit aussi: «Qui sera capable de vous nuire, si vous ne songez qu'à faire du bien (2)? La crainte ne se trouve point dans l'amour, mais l'amour parfait chasse la crainte, car la crainte est accompagnée de peine». Une conscience pécheresse tourmente le coeur: la justification n'a pas encore eu lieu, il y a encore là quelque chose qui chatouille et qui pique. Aussi, que dit le Psalmiste au sujet de la perfection de la justice? «Vous avez changé ma tristesse en joie; vous avez déchiré mon cilice et m'avez ceint d'allégresse, afin que ma gloire chante vos louanges, et que je ne sois point piqué (3)». Qu'est-ce à dire: «Afin que le ne sois point piqué?» Afin qu'il n'y ait rien pour aiguillonner ma conscience. La crainte t'aiguillonne? n'aie pas peur; voilà que pénètre en toi la charité qui cicatrise les plaies faites par la crainte. La crainte de Dieu blesse l'âme de la manière dont l'instrument tranchant du médecin blesse le corps: cet instrument enlève les chairs putréfiées, et, néanmoins il semble élargir la plaie. Quand ces chairs étaient encore adhérentes au corps, la plaie était moins grande, mais elle était dangereuse; le médecin y applique le fer, et la douleur que ressentait précédemment le malade s'accroît au moment où l'homme de l'art tranche dans les chairs: il souffre plus lorsqu'on le soigne que quand on le laissait seul avec son mal; mais si l'application du

1. Rm 8,35- 2. 1P 3,13 - 3. Ps 29,12-13

remède lui cause des douleurs plus vives, c'est afin que toute douleur disparaisse pour toujours, lorsqu'il sera revenu à la santé. Que ton coeur soit donc en proie à la crainte, afin que la crainte y amène la charité; qu'à l'instrument du médecin succède la cicatrice. Le médecin est si adroit, qu'après ses opérations il ne reste pas trace de cicatrice; seulement, il faut te mettre docilement entre ses mains. Car si tu n'éprouves aucun sentiment de crainte, tu ne pourras pas être justifié. C'est une sentence édictée par l'Ecriture: «Car celui qui est sans crainte, ne pourra parvenir à la justice (1)». Il est donc indispensable que la crainte pénètre d'abord dans le coeur, pour qu'ensuite la charité y pénètre à son tour. La crainte est le remède, la charité est la santé. «Celui qui craint n'est point parfait dans l'amour». Pourquoi? «Parce que la crainte est accompagnée de peine», de la même manière que le médecin ne peut trancher dans le corps humain sans lui causer de douleur.

905 5. Il y a une autre sentence qui semblerait opposée à celle-ci, si l'on n'en saisissait pas bien le sens: le psalmiste dit, en effet, dans un certain endroit: «La crainte du Seigneur est sainte, elle subsiste éternellement (2)». Il nous parle d'une crainte éternelle, mais sainte. Or, s'il nous fait voir une crainte sans fin, ses paroles ne sont-elles pas en contradiction avec ce passage de l'épître de Jean: «La crainte ne se trouve pas dans la charité, mais la charité parfaite chasse la crainte?» Examinons bien le sens de ces deux sentences divines. Quoiqu'il y ait deux livres, deux oracles, deux paroles, un seul et même Esprit les a inspirés. Jean a dit une chose, David a dit l'autre; mais n'allez pas vous imaginer qu'ils aient parlé sous l'inspiration de deux esprits différents. Si deux flûtes peuvent s'enfler, sous le souffle d'une même bouche, le même esprit serait-il incapable d'agir à la fois sur deux coeurs, de faire remuer deux langues? Si deux flûtes, gonflées par le même esprit,. c'est-à-dire par le même souffle, sont ensemble en consonance, deux langues, animées par l'Esprit de Dieu, peuvent-elles se trouver en dissonance? Il y a donc entre les deux passages précités consonance et accord; seulement il faut les bien comprendre. L'Esprit de Dieu a, inspiré. et animé deux coeurs,

1.
Si 1,28 - 2. Ps 18,10

229

deux bouches, deux langues; l'une de ces langues nous a dit: «La crainte ne se trouve point dans la charité, mais la charité parfaite chasse la crainte»; l'autre s'est exprimée ainsi: «La crainte du Seigneur est sainte, elle demeure pendant les siècles des siècles». Qu'est-ce que cela? Le Prophète et l'Apôtre seraient-ils en désaccord? Non: secoue tes oreilles, écoute la mélodie. Le premier ajoute, non sans raison, le mot «saint»; le second ne l'ajoute pas. Pourquoi? C'est qu'il y a une crainte à laquelle on donne le nom de sainte, et il yen a une autre qu'on n'appelle pas ainsi. Discernons bien l'une de l'autre ces deux sortes de crainte, et nous verrons que les deux flûtes sont en accord parfait. Comment comprendre cette consonance? comment faire ce discernement? Que votre charité me prête son attention. Il est des hommes qui craignent Dieu, parce qu'ils ont peur d'être précipités dans la géhenne, de brûler avec le diable dans les flammes éternelles. Voilà l'espèce de crainte qui amène à sa suite la charité; mais elle n'entre dans le coeur que pour en sortir bientôt. Si, en effet, tu en es encore à craindre Dieu à cause des châtiments qu'il inflige, tu n'aimes pas encore celui que tu redoutes de la sorte. Tu ne désires pas les biens de l'éternité; tu en crains les maux. Mais parce que ces malheurs te remplissent d'effroi, tu te corriges, tu commences à désirer le bonheur éternel; et, quand tu commences à désirer le bonheur éternel, une crainte toute pure se trouve en toi. En quoi consiste la crainte pure? A aimer les biens éternels. Attention 1 Autre chose est de craindre que Dieu te jette dans le feu de l'enfer avec le diable; autre chose de craindre qu'il s'éloigne de toi. La crainte, en vertu de laquelle tu redoutes que Dieu te jette dans le feu de l'enfer avec le diable, n'est pas encore pure; car, loin de procéder de l'amour divin, elle a sa source dans l'appréhension du châtiment; mais parce que tu crains Dieu, que le souvenir de sa présence ne t'abandonne pas; et alors ton coeur s'attachera à lui, et tu désireras jouir de lui.

906 6. Pour te faire bien saisir la différence qui se trouve entre la crainte que chasse la charité parfaite, et la crainte pure qui demeure éternellement, je ne saurais employer une comparaison plus juste que celle-ci: Supposé deux femmes mariées. L'une veut commettre l'adultère, se repaître de honteuses jouissances, mais elle craint d'être condamnée par son époux. Elle craint son époux, mais elle le craint parce qu'elle aime encore le mal; loin d'être agréable à une telle personne, la présence de son -mari lui est importune; et si, par hasard, elle vit criminellement, elle redoute de le voir revenir. Tels sont ceux qui craignent de voir venir le jour du jugement. L'autre aime son mari; elle lui réserve de chastes baisers; elle ne se souille d'aucune des abominations de l'adultère; elle souhaite voir son époux à côté d'elle. Comment distinguer la crainte de la première de ces deux femmes, d'avec la crainte de la seconde? Toutes deux éprouvent le sentiment de la crainte. Interroge-les, elles te font une réponse presque identique. Adresse à l'une d'elles cette question: Crains-tu ton époux? Elle te répond: Oui, je le crains. Fais à l'autre la même question: Crains-tu ton mari? Elle te fera la même réponse: Oui, je le crains. Mêmes paroles, mais dispositions intérieures bien différentes! Demande-leur maintenant Pourquoi craindre ton époux.? La première répond: Je crains de le voir venir; et l'autre: Je crains de le voir s'éloigner. Celle-là dit J'ai peur d'être condamnée; et celle-ci: J'ai peur d'être délaissée. Suppose pareille chose dans le coeur des chrétiens, et tu y rencontres soit la crainte que chasse la charité parfaite, soit la crainte pure qui demeure éternellement.

907 7. Parlons donc d'abord de ceux qui craignent Dieu, comme la femme qui trouve son plaisir dans le mal, craint son mari; elle redoute de se voir condamnée par lui. Adressons-nous donc d'abord à cette sorte de personnes. O âme, qui appréhendes Dieu dans la crainte de le voir te condamner, de la même manière qu'une femme attirée intérieurement au crime, redoute son mari et les reproches qu'il lui adresserait, puisses-tu te déplaire comme te déplaît cette malheureuse femme! Si tu as une épouse, désires-tu qu'elle appréhende ta présence et tes réprimandes? Désires-tu la voir portée au crime par ses passions, mais retenue dans le respect de son devoir, non par la haine du mal, mais par la crainte gênante du châtiment? Montre-toi à l'égard de Dieu comme tu voudrais que ta femme se montrât vis-à-vis de toi, si tu en as une, ou si tu n'en as point, mais que tu désires en avoir une. Que disons-nous, mes frères? Cette femme, (230) qui craint son mari et qui en appréhende les reproches, ne commet peut-être pas l'adultère, dans la crainte de voir son crime parvenir à la connaissance de son mari, et lui enlever à elle-même cette vie temporelle; néanmoins, son époux est capable de se laisser tromper, car il est homme, et de la même nature que la femme qui est capable de le tromper. Elle craint son mari, aux regards duquel elle peut ne pas se trouver exposée, et toi, tu ne crains pas toujours la présence de l'époux de ton âme qui veille sans cesse sur toi? «Les yeux du Seigneur sont ouverts sur ceux qui font le mal (1)». L'absence de son mari comble les désirs de cette femme; elle serait peut-être heureuse d'en profiter pour commettre l'adultère, et pourtant elle se dit: Je ne le commettrai pas: sans doute, mon mari est absent, mais il est presque impossible qu'il ne parvienne point, de manière ou d'autre, à connaître ma faute. Elle se retient donc, dans la crainte que celui-ci ne découvre son inconduite, quoique à la rigueur il puisse l'ignorer toujours, quoiqu'elle puisse le tromper, quoiqu'il puisse encore la croire vertueuse malgré ses écarts, et chaste en dépit de son adultère; et toi, tu ne crains pas les regards de celui que personne ne peut induire en erreur? tu ne crains pas la présence de celui dont tu ne peux t'éloigner? Prie Dieu de jeter les yeux sur toi, et de les détourner de tes fautes. «Détournez votre face de mes péchés». Mais comment mériteras-tu que le Seigneur détourne ses regards et ne voie pas tes fautes? C'est en ne détournant pas tes yeux de tes péchés. Car, le Prophète a dit dans un psaume: «Je reconnais mon iniquité, et mon crime est toujours devant moi (2)». Reconnais tes fautes, et alors Dieu te les pardonnera.

908 8. Nous avons adressé la parole à l'âme encore remplie de la crainte qui ne demeure pas éternellement, mais que chasse la charité parfaite: parlons maintenant à celle qui nourrit en elle-même une crainte pure, une crainte destinée -à demeurer toujours. Pensons-nous rencontrer une telle âme, à qui nous puissions parler? A ton avis, s'en trouve-t-il une dans cette assemblée? dans cette basilique? sur cette terre? Il est impossible qu'il n'y en ait pas, mais elle se dérobe à nos regards: c'est l'hiver, et la sève se cache à

1.
Ps 33,17 - 2. Ps 1,2-5

l'intérieur de la plante, dans la racine même. Peut-être nos paroles vont-elles jusqu'à ses oreilles. Mais n'importe où se trouve cette âme, je voudrais la rencontrer, et alors je la prierais, non pas de prêter l'oreille à mes paroles, mais de me faire entendre sa voix. Elle m'instruirait bien plus qu'elle ne s'instruirait elle-même à mon école. Une âme sainte, enflammée, désireuse du règne de Dieu, ce n'est pas moi qui lui parle, c'est Dieu en personne; il la console, il l'aide à vivre patiemment sur la terre, en lui parlant ainsi Tu veux que je vienne, et je sais que telle est ta volonté; je sais qui tu es; tu peux attendre en toute sécurité mon avènement; tu souffres, je ne l'ignore pas non plus, attends et souffre encore, me voici, j'arriverai incessamment. Mais à celui qui aime, le retard est pénible; semblable à un lis qui croît au milieu des épines, cette âme chante et soupire; écoute-la; voici ses paroles: «Je chanterai votre louange, et je connaîtrai les voies de l'innocence, quand vous viendrez à moi (1)». Mais, dans cette voie de l'innocence, elle est, avec raison, à l'abri de la crainte; car «la charité parfaite chasse la crainte». Et quand elle s'approche de son Dieu, elle craint, mais elle est plus tranquille. Qu'appréhende-t-elle? Elle se tiendra sur ses gardes, elle se mettra à l'abri de ses passions, elle s'efforcera de ne plus pécher, non pour n'être pas jetée au feu éternel, mais pour n'être point abandonnée de Dieu. Et alors, qu'y aura-t-il en elle? Une crainte pure, qui demeure éternellement. Nous avons entendu deux flûtes parfaitement d'accord entre elles: l'une parle de la crainte, l'autre aussi; mais quand celle-là parle de la crainte en vertu de laquelle on redoute d'être condamné, celle-ci nous parle de là crainte d'une âme qui tremble de se voir abandonnée. La première est, chassée parla charité, la seconde demeure éternellement.

909 9. «Aimons Dieu, puisqu'il nous a aimés a le premier». Car comment l'aimer, s'il ne nous avait aimés le premier? En l'aimant, nous sommes devenus ses amis; mais pendant que nous étions ses ennemis, il nous a aimés afin que nous devinssions ses amis. Il nous a aimés le premier, et c'est de lui que nous avons reçu la grâce de l'aimer. Nous ne l'aimions pas encore; l'amour que nous avons pour lui, nous embellit à ses yeux. Que fait un

1.
Ps 100,1-2

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homme difforme et laid de figure, s'il aime une belle femme; ou bien, que fait une femme difforme, laide et noire, si elle aime un bel homme? Son affection pour lui serait-elle capable de la rendre belle? L'amitié que cet homme ressentira pour une belle femme, aura-t-elle le privilège de le rendre agréable à la vue? Il aime une femme charmante, et quand il se regarde au miroir, il rougit de montrer son visage à sa belle, à celle qui possède son coeur. Que fera-t-il pour devenir beau? Attendra-t-il que la beauté lui vienne? Mais pendant qu'il attendra, viendra la vieillesse, qui ajoutera encore à sa laideur. Il n'est donc pas question de faire une chose ou l'autre, de donner à cet homme tel ou tel avis; il n'a qu'un parti à prendre: s'arrêter et ne pas être assez hardi pour aimer une personne si différente de lui-même; ou bien si, par hasard, il l'aime trop et qu'il veuille l'épouser, il doit rechercher en elle, non la beauté du corps, mais la pureté des moeurs. Mais, mes frères, le péché souille notre âme; en aimant Dieu, elle recouvre sa beauté première. Quel amour rend pure l'âme qui en est remplie? Pour Dieu, il est toujours beau, jamais difforme, jamais sujet à changer. Lui, qui est toujours beau, il nous a aimés le premier! Et, en quel état nous trouvions-nous quand il nous a aimés, sinon dans un état de souillure et de difformité? Evidemment, ce n'était point pour nous y laisser, mais pour nous en tirer, et, de difformes que nous étions, nous rendre beaux. Et comment nous revêtirons-nous de beauté?, En aimant celui qui est toujours beau. Autant l'amour de Dieu grandit en toi, autant s'y manifeste la beauté; car la charité est la beauté de l'âme. «Aimons Dieu, parce qu'il nous a aimés le premier». Ecoute l'apôtre Paul: «Dieu a fait paraître son amour envers nous, puisque, quand nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous (1)». Il était juste, et nous, injustes; il était pur, et nous, souillés. Où trouvons-nous la preuve que Jésus était pur? «Vous surpassez en beauté les plus beaux des enfants des hommes; la grâce est répandue sur vos lèvres (2)». D'où vient cette beauté? Voyez encore d'où elle lui vient: «Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes», parce qu' «au commencement était le Verbe, et»

1. Rm 5,8-9 - 2. Ps 44,9

que «le Verbe était en Dieu, et que le Verbe était Dieu (1)». Mais comme il s'est fait homme, il s'est, en quelque sorte, revêtu de ta malpropreté, c'est-à-dire, il a pris ta nature mortelle, afin de se placer à ton niveau, de devenir ton égal et de te porter à aimer la beauté intérieure. Nous avons trouvé la preuve de cette beauté qui distinguait Jésus du reste des enfants des hommes. Où trouvons-nous celle de son état de souillure et de difformité? Qui nous fait connaître qu'il a aussi été difforme? Interroge Isaïe: «Nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat ni beauté (2)». Voilà deux flûtes qui semblent être en discordance; mais c'est le même Esprit qui les remplit de son souffle. L'une dit, par l'organe du Psalmiste: «Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes»; l'autre dit, par la bouche d'Isaïe: «Nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat ni beauté». C'est le même Esprit qui a rempli de son souffle ces deux flûtes; elles ne sont point en discordance. Ne détourne pas tes oreilles, applique ton intelligence. Interrogeons l'apôtre Paul; il nous expliquera comment ces deux flûtes sont en accord parfait. Ecoutons: «Il surpasse en beauté les enfants des hommes, lui qui, ayant la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût de sa part une usurpation de s'égaler à Dieu». Voilà pour ce passage: «Il surpasse en beauté les enfants des hommes». Ecoutons encore: «Nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat ni beauté: il s'est humilié lui-même en prenant la forme d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et en se faisant reconnaître comme homme par tout ce qui a paru de lui (3)». «Il n'avait ni beauté ni éclat», afin de te donner éclat et beauté. Quel éclat? Quelle beauté? La dilection de la charité, afin que tu courres en aimant, et que tu aimes en courant. Tu es déjà beau, mais ne t'arrête pas, dans la crainte de perdre ce que tu as reçu; dirige ta course vers celui qui t'a fait beau. Sois donc beau pour qu'il t'aime à son tour. Reporte vers lui toutes les puissances de ton âme, cours à sa rencontre, empresse-toi pour recevoir ses embrassements, crains de t'éloigner de lui; une crainte pure, et qui demeure éternellement, puisse-t-elle habiter en toi! «Aimons Dieu, parce qu'il nous a aimés le premier».

1. Jn 1,1 - 2 Is 53,2 - 3. Ph 2,6-7

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910 10. «Si quelqu'un dit: J'aime Dieu». Quel Dieu? Pourquoi l'aimons-nous? «Parce qu'il a nous a aimés le premier», et qu'il nous a fait la grâce de l'aimer. Il a aimé des hommes impies pour les rendre pieux, des hommes injustes pour les justifier, des hommes malades, afin de les guérir. «Aimons-le» donc, «puisqu'il nous a aimés le premier». Interroge un chacun; qu'on te dise si l'on aime Dieu; on crie, on confesse: «Je l'aime», il le sait. Il y a un autre moyen de le savoir. a Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il «haïsse son frère, c'est un menteur». Comment prouver que c'est un menteur? Ecoute: «Comment, en effet, celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas?» Eh quoi! aime-t-on Dieu par cela même qu'on aime son frère? Il est nécessaire d'aimer Dieu, comme aussi la charité elle-même. Peut-on aimer son frère, sans aimer en même temps la charité? Il faut aimer la charité. Eh quoi! aime-t-on Dieu, par cela même qu'on aime la charité? Evidemment, oui. En aimant la charité, on aime Dieu. Aurais-tu déjà oublié ce que tu as dit il n'y a qu'un instant: «Dieu est amour (1)?» Puisque Dieu est charité, quiconque aime la charité, aime Dieu par là même. Aime donc ton frère, et sois tranquille. Tu ne peux dire: J'aime mon frère, mais je n'aime pas Dieu. De même que tu mens, si tu dis: J'aime Dieu, quand tu n'aimes pas ton frère; de même tu te trompes en disant: J'aime mon frère, si tu penses ne pas aimer Dieu. Pour aimer ton frère, il est indispensable pour toi d'aimer la charité elle-même; or, «Dieu est charité»; il faut donc que quiconque aime son frère, aime aussi Dieu. Si tu n'aimes pas ton frère que tu vois, comment pourrais-tu aimer Dieu que tu ne vois pas? Pourquoi ne voit-on pas Dieu? C'est qu'on n'a pas la charité. On ne voit pas Dieu, parce qu'on n'a pas la charité; on n'a pas la charité, parce qu'on n'aime pas son frère: par conséquent, on ne voit pas Dieu, parce qu'on n'a pas la charité. Car, si l'on a la charité, on voit Dieu, puisque «Dieu est charité». La charité éclaircit de plus en plus la vue de l'âme, et lui permet de contempler cette immuable substance dont la présence fera ses délices, quand elle en jouira éternellement avec les anges; mais qu'elle

1.
1Jn 4,8-16

se hâte maintenant, afin de pouvoir se réjouir bientôt dans la patrie. Qu'elle ne donne point ses affections à ce lieu d'exil, qu'elle n'aime point le chemin où elle marche; que tout lui soit insupportable, à l'exception de celui qui l'appelle, jusqu'au moment où nous entrerons en possession de lui, et où nous lui dirons ce que disait autrefois le Psalmiste «Vous retranchez tous ceux qui vous deviennent infidèles». Et qui sont ceux qui deviennent infidèles à Dieu? Ceux qui s'éloignent de lui et qui aiment le monde. Qu'en est-il de toi? Le Prophète continue, en disant: «Pour moi, mon bien est d'approcher du Seigneur (1)». M'attacher gratuitement à Dieu, voilà tout mon bien. Si tu demandes au Prophète: Pourquoi t'attacher à Dieu? et qu'il te réponde: Afin de recevoir quelques dons, ne lui diras-tu pas: Que te donnerait-il? Il est le créateur du ciel et de la terre; quel don t'accordera-t-il? Il t'appartient lui-même; trouve mieux, il te le donnera.

911 11. «Car, celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? Et c'est de Dieu même que nous avons reçu ce commandement: «Que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère». Tu disais avec emphase: «J'aime Dieu», et tu détestes ton frère! Homicide, comment peux-tu aimer Dieu? N'as-tu pas entendu ces paroles précitées dans l'épître de Jean: «Quiconque hait son frère, est un homicide? - Je n'aime pas mon frère, mais j'aime Dieu de tout mon coeur.- Si tu détestes ton frère, tu n'aimes pas du tout Dieu. Je le prouve par un autre passage du même livre. Jean lui-même a dit: «Dieu nous a donné un commandement, c'est de nous aimer les uns les autres (2)». Peux-tu dire que tu aimes Dieu, dès lors que tu foules aux pieds son commandement? Quel est l'homme qui tiendrait ce langage: J'aime l'empereur, mais j'abhorre ses lois? L'empereur reconnaît qu'on l'aime, lorsqu'on observe ses lois dans toutes les provinces de son empire. Quelle est la loi du souverain Maître? «Je vous donne un commandement «nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (3)». Tu dis que tu aimes le Christ; observe donc son commandement, chéris ton frère. Mais si tu ne le chéris pas, comment peux-tu aimer le Christ, puisque

1.
Ps 72,27-28 - 2. 1Jn 3,15-23 - 3. Jn 13,34


tu méprises son précepte? Mes frères, je ne me lasse point de vous parler de la charité au nom du Sauveur. Autant vous éprouvez le désir de la posséder, autant j'ai lieu de penser qu'elle grandit en vous et qu'elle en fait sortir la crainte, afin de n'y laisser qu'une crainte pure qui demeure éternellement. Supportons le monde, les tribulations, le scandale des tentations; ne nous éloignons pas du chemin droit, attachons-nous à l'unité de l'Eglise, au Christ, à la charité; ne nous séparons, ni des membres de son épouse, ni de la foi, afin que nous puissions nous glorifier en sa présence; ainsi resterons-nous en lui pleins de tranquillité, maintenant par la foi, plus tard en le voyant tel qu'il est, comme nous en avons reçu la précieuse promesse dans le don de l'Esprit-Saint.


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1000

DIXIÈME TRAITÉ. (Chap. 5,1-13)


Augustin, Epitre Jean 900