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La préparation au mariage

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Mais tout cela, Vénérables Frères, dépend en grande partie de la préparation convenable des époux au mariage, préparation éloignée et préparation prochaine. De fait, on ne peut nier que le solide fondement d'un mariage heureux et la ruine d'un mariage malheureux se préparent déjà dans les âmes des jeunes gens dès le temps de l'enfance et de la jeunesse. Car ceux qui, avant le mariage, se cherchaient égoïstement en toutes choses, qui s'abandonnaient à leurs convoitises, il est à craindre qu'ils ne restent, dans le mariage, pareils à ce qu'ils étaient avant le mariage ; qu'ils ne doivent aussi récolter ce qu'ils auront semé
Ga 6,9 : c'est-à-dire la tristesse au foyer domestique, les larmes, le mépris mutuel, les luttes, les mésintelligences, le mépris de la vie commune ou encore, ce qui est pire, qu'ils ne se trouvent eux-mêmes avec leurs passions indomptées.

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Que les fiancés s'engagent donc dans l'état conjugal bien disposés et bien préparés, afin de pouvoir s'entraider mutuellement à affronter ensemble les vicissitudes de la vie, et, bien plus encore, à se procurer le salut éternel et à former en eux l'homme intérieur jusqu'à la perfection de maturité du Christ.
Ep 4,13 Par là même aussi, ils se montreront plus aisément à l'égard de leurs enfants tels que Dieu veut que soient des parents : un père qui soit vraiment père, une mère qui soit vraiment mère, et dont le pieux amour et les soins assidus fassent retrouver à leurs enfants, dans la maison paternelle, même au sein de l'indigence et au milieu de cette vallée de larmes, quelque chose de pareil au paradis de délices où le Créateur du genre humain avait placé les premiers hommes. C'est ainsi, pareillement, qu'ils feront de leurs enfants des hommes parfaits et des chrétiens accomplis qu'ils leur inspireront le véritable esprit catholique, et qu'ils leur communiqueront ce noble sentiment d'affection et d'amour pour la patrie qu'exigent la piété et la reconnaissance.

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C'est pourquoi ceux qui songent à s'engager dans cette sainte union conjugale, et aussi ceux qui sont chargés de l'éducation de la jeunesse chrétienne, attacheront le plus grand prix à ces conseils, ils prépareront le bien, ils préviendront le mal, ils renouvelleront le souvenir des avis que Nous avons donnés dans Notre encyclique sur l'éducation. "Il faut donc, dès l'âge le plus tendre, corriger les inclinations déréglées des enfants, développer celles qui sont bonnes. Par dessus tout, il importe d'imprégner leur intelligence des doctrines venues de Dieu, de fortifier leur coeur par le secours de la grâce divine sans laquelle aucun d'eux ne pourra dominer ses mauvaises inclinations, et sans laquelle non plus on ne pourra espérer le résultat total et parfait de l'action éducatrice de l'Eglise que le Christ a précisément dotée de doctrines célestes et de sacrements divins pour en faire la maîtresse très sûre des hommes". (Enc. Divini illius Magistri 31-12-1929)

Le choix du conjoint.

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Quant à la préparation prochaine d'un mariage heureux, le choix soigneux du futur conjoint y importe au plus haut point : c'est de ce choix, en effet, que dépend en grande partie le bonheur ou la disgrâce du mariage, chaque époux pouvant être un aide puissant, ou un grand péril et un grand obstacle, pour la pratique de la vie chrétienne dans le mariage. C'est durant toute la vie qu'un mariage imprudent serait une source de chagrins. Aussi les jeunes gens qui se destinent au mariage devront réfléchir mûrement avant de choisir la personne avec laquelle ils devront ensuite passer toute leur existence. Dans ces réflexions, il leur faut considérer en tout premier lieu Dieu et la vraie religion du Christ, puis penser à leur avantage, à celui du conjoint, des enfants à venir, de la famille humaine et de la société civile qui sortent de l'union conjugale comme de leur source.

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Qu'ils implorent avec ferveur le secours divin, pour que leur choix se fasse suivant la prudence chrétienne, non sous la pression aveugle et effrénée de la passion, ni par le seul désir de lucre, ou quelque autre mobile moins noble, mais par un vrai et loyal amour, et par une sincère affection envers le futur époux, et pour chercher dans le mariage les fins pour lesquelles Dieu l'a institué. Qu'ils n'omettent pas, enfin, de solliciter, touchant ce choix, le conseil prudent des parents ; qu'ils tiennent grand compte de leur avis, afin de se prémunir, grâce à la sagesse et à l'expérience de ceux-ci, contre une erreur pernicieuse, et de s'assurer plus abondante, au moment de s'engager dans le mariage, la bénédiction du quatrième commandement :"Honore ton père et ta mère (Ce qui est le premier commandement accompagné d'une promesse), afin que tu sois heureux et que tu vives longtemps sur la terre".
Ep 6,2-3 Ex 20,12

Les difficultés économiques

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Et comme il n'est pas rare que des époux éprouvent de graves difficultés à observer parfaitement les commandements de Dieu et l'honnêteté conjugale, à cause de la gêne qui règne à leur foyer et de la trop grande pénurie de biens temporels, il faut évidemment, en ces cas, subvenir de la meilleure manière possible à leurs nécessités.

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Et tout d'abord, il faut s'efforcer de toutes façons de réaliser ce que Notre prédécesseur Léon XIII avait déjà déclaré (Enc. Rerum novarum 15-5-1891): que, dans la société civile, le régime économique et social soit constitué de façon que tout père de famille puisse gagner ce qui, étant donné sa condition et la localité qu'il habite, est nécessaire à son entretien et à celui de sa femme et de ses enfants : "Car l'ouvrier mérite son salaire"
Lc 10,7. Lui refuser ce salaire, ou lui donner un salaire inférieur à son mérite, c'est une grave injustice et un péché que les Saintes Ecritures rangent parmi les plus grands. Dt 24,14-15 Il n'est pas permis non plus de fixer un taux de salaire si modique que, vu l'ensemble des circonstances il ne puisse suffire à l'entretien de la famille.

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Il faut néanmoins avoir soin que les époux eux-mêmes, et cela déjà longtemps avant de s'engager dans l'état du mariage, s'appliquent à pourvoir d'avance aux charges et aux besoins de leur avenir ou, du moins, à les alléger, et qu'ils se renseignent auprès des gens compétents sur les moyens d'y réussir efficacement et, en même temps, honnêtement. Il faut aussi veiller à ce que, s'ils ne se suffisent pas à eux seuls, ils arrivent, en s'unissant aux gens de leur condition, et par des associations privées ou publiques, à parer aux nécessités de la vie. (Enc. Rerum novarum)

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Mais quand, par les moyens que Nous venons d'indiquer, la famille, surtout si elle est nombreuse, ou moins capable, ne parvient pas à équilibrer son budget, l'amour chrétien du prochain requiert absolument que la charité chrétienne compense ce qui manque aux indigents, que les riches surtout secourent les pauvres, que ceux qui ont du superflu ne le gaspillent pas en dépenses vaines ou en pures prodigalités, mais qu'ils le consacrent à entretenir la vie et la santé de ceux qui manquent même du nécessaire. Ceux qui auront fait part de leurs richesses au Christ présent dans les pauvres, recevront du Seigneur, quand il viendra juger le monde, une très riche récompense ; ceux qui se seront comportés d'une façon contraire, en seront sévèrement punis.
Mt 25,34 ss. Car ce n'est pas en vain que l'Apôtre donne cet avertissement : "Celui qui possède les richesses d'ici-bas et qui, sans s'émouvoir, voit son frère dans la nécessité : comment l'amour de Dieu demeure-t-il en lui" ? 1Jn 3,17

Devoirs de l'Eglise

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Que si les subsides privés restent insuffisants, il appartient aux pouvoirs publics de suppléer à l'impuissance des particuliers, surtout en une affaire aussi importante pour le bien commun que l'est une condition vraiment humaine assurée à la famille et aux époux. Si, en effet, les familles, surtout les familles nombreuses, sont privées de logements convenables ; si l'homme ne parvient pas à trouver du travail et à gagner sa vie ; si ce qui est d'usage quotidien ne peut s'acheter qu'à des prix exagérés ; si même la mère de famille, au grand détriment de la vie domestique, se voit contrainte d'ajouter à ses charges celle du travail pour se procurer de l'argent ; si cette même mère, dans les fatigues ordinaires ou même extraordinaires de la maternité, manque de nourriture convenable, de médicaments, de l'assistance d'un médecin compétent, et d'autres choses du même genre : tout le monde voit en quel découragement peuvent tomber les époux, combien la vie domestique et l'observation des commandements de Dieu leur en deviennent difficiles, et aussi quel péril peut en résulter pour la sécurité publique, pour le salut, pour l'existence même de la société civile, car enfin des hommes réduits à ce point pourraient en arriver à un tel désespoir que, n'ayant plus rien à perdre, ils finissent par concevoir le fol espoir de tirer de grands profits d'un bouleversement général du pays et de ses institutions

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En conséquence, ceux qui ont la charge de l'Etat et du bien commun ne sauraient négliger ces nécessités matérielles des époux et des familles sans causer un grave dommage à la Cité et au bien commun, il leur faut donc, dans les projets de loi et dans l'établissement du budget, attacher une importance extrême au relèvement de ces familles indigentes. Ils doivent considérer cette tache comme une des principales responsabilités du pouvoir.

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Nous le constatons ici avec peine ; il n est pas rare aujourd'hui que, par un renversement de l'ordre normal, une mère et des enfants illégitimes (qu'à la vérité il faut secourir aussi ne fût-ce que pour prévenir de plus grands maux) se voient accorder tout de suite et abondamment des subsides qui sont refusés à la mère légitime, ou qui ne lui sont concédés que parcimonieusement et comme à regret

La collaboration de l'Eglise et de l'Etat.

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Mais ce n'est pas seulement au temporel, Vénérables Frères, qu'il importe extrêmement à l'Etat de donner au mariage et à la famille des bases solides, mais aussi en ce qui concerne le bien des âmes : il lui importe de provoquer et de faire observer des lois justes touchant la chaste fidélité et l'entraide mutuelle des époux. Car, l'histoire en témoigne, le salut de l'Etat et la félicité temporelle des citoyens sont précaires et ne peuvent rester saufs là où on ébranle le fondement sur lequel ils sont établis, qui est le bon ordre des moeurs, et là où les vices des citoyens obstruent la source où la Cité puise sa vie, savoir le mariage et la famille.

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Mais, pour sauvegarder l'ordre moral, il ne suffit pas de recourir aux forces extérieures et aux châtiments dont dispose l'Etat, ni de montrer aux hommes la beauté et la nécessité de la vertu : il faut y associer l'autorité religieuse qui répand dans l'esprit la lumière de la vérité, qui dirige la volonté et qui est en mesure de fortifier l'humaine fragilité par les secours de la grâce divine. Or, la seule autorité religieuse, c'est l'Eglise instituée par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Voilà pourquoi Nous exhortons vivement dans le Seigneur tous ceux qui sont dépositaires du pouvoir civil à nouer et à entretenir des rapports de concorde et d'amitié avec l'Eglise du Christ. De la sorte, en conjuguant leurs efforts et leur zèle, les deux Puissances écarteront les dommages immenses que le dérèglement des moeurs, en s'attaquant au mariage et à la famille, tient suspendus sur l'Eglise autant que sur la société civile.

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Les lois de l'Etat peuvent seconder beaucoup l'Eglise en cette tâche très importante, si, dans leurs prescriptions, elles tiennent compte de ce que la loi divine et ecclésiastique a établi, et si elles punissent ceux qui y contreviennent. Ils ne sont pas rares en effet ceux qui pensent que la loi morale autorise ce que les lois de l'Etat permettent, ou du moins ce qu'elles ne punissent pas ; ou qui, même à l'encontre de leur conscience, usent de toutes les libertés consenties par la loi, parce qu'ils n'ont pas la crainte de Dieu, et qu'ils ne trouvent rien à redouter du côté des lois humaines. Ainsi ils sont souvent cause de ruine, pour eux et pour beaucoup d'autres.

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Il ne résultera, à coup sur, de cette alliance avec l'Eglise, ni danger, ni amoindrissement pour les droits de l'Etat et pour son intégrité : toute défiance, toute crainte à cet égard sont vaines et sans fondement. Léon XIII l'a déjà clairement montré : "Personne ne doute que le divin Fondateur de l'Eglise, Jésus-Christ, n'ait voulu que la puissance ecclésiastique fut distincte de la puissance civile et que chacune fut libre de remplir sans entraves sa mission propre, avec cette clause toutefois, qui est utile à chacune des deux Puissances, et qui importe à l'intérêt de tous les hommes, que l'accord et l'harmonie régneraient entre elles... Quand l'autorité civile s'accorde avec le pouvoir sacré de l'Eglise dans une entente amicale, cet accord procure nécessairement de grands avantages aux deux Puissances. La dignité de l'Etat, en effet, s'en accroît, et, tant que la religion lui sert de guide, le gouvernement reste toujours juste. En même temps, cet accord procure à l'Eglise des secours de défense et de protection qui sont à l'avantage des fidèles".

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Pour apporter ici un exemple récent et éclatant, c'est suivant cet ordre et absolument selon la loi du Christ que le pacte solennel heureusement conclu entre le Saint-Siège et l'Italie a inclus dans ses dispositions une entente pacifique et une coopération amicale touchant le mariage, comme il convenait à l'histoire glorieuse de la nation italienne et à ses antiques traditions religieuses. Voici, en effet, ce qu'on lit à ce sujet dans les Accords du Latran : "L'Etat italien, voulant restituer à l'institution du mariage qui est la base de la famille, une dignité conforme aux traditions de son peuple, attache les effets civils au sacrement de mariage célébré conformément au droit canonique". (Concordat art 34) La règle et le principe qu'on vient de lire trouvent leur développement dans les articles suivants du Concordat.

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Voilà qui peut servir d'exemple et d'argument pour démontrer que, même dans notre temps, où, hélas ! l'on préconise si souvent une absolue séparation de l'Etat d'avec l'Eglise, et même d'avec toute religion, les deux Puissances souveraines peuvent, sans aucun détriment pour leurs droits et leurs souverainetés respectives, se rapprocher et s'allier dans un accord mutuel et une entente amicale pour le bien commun de toutes les deux, que les deux Puissances peuvent aussi associer leurs responsabilités concernant le mariage et écarter ainsi des foyers chrétiens de pernicieux périls et même une ruine imminente.

La prière du Saint-Père

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Toutes ces considérations auxquelles, Vénérables Frères, ému par Nos sollicitudes pastorales, Nous venons de Nous arrêter attentivement, Nous désirons les voir, conformément à la règle de la prudence chrétienne, largement propagées parmi tous Nos chers fils immédiatement confiés à vos soins, parmi tous les membres de la grande famille du Christ sans exception. Qu'elles leur soient expliquées pour que tous connaissent parfaitement la vraie doctrine du mariage, pour qu'ils se prémunissent avec soin contre les périls que préparent les prêcheurs d'erreurs, et surtout pour que "répudiant l'impiété et les convoitises mondaines, ils vivent dans le siècle présent, sobrement, justement, pieusement, dans l'attente de l'espérance bienheureuse et du glorieux avènement de notre grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ".
Tt 2,12-13

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Fasse donc le Père tout-puissant, "de qui toute paternité reçoit son nom dans les cieux et sur la terre"
Ep 3,15, qui fortifie les faibles et qui donne du courage aux pusillanimes et aux timides ; fasse le Christ Notre-Seigneur et Rédempteur qui a institué et conduit à leur perfection les vénérables sacrements DS 1799 , qui a voulu faire du mariage une image de son ineffable union avec l'Eglise ; fasse l'Esprit Saint, Dieu charité, lumière des coeurs et force de l'esprit que Nos enseignements donnés en cette encyclique sur le mariage, sur l'admirable loi et l'admirable volonté de Dieu qui concernent cet auguste sacrement, sur les erreurs et les périls qui le menacent sur les remèdes auxquels on doit recourir, soient compris par tous, reçus avec des dispositions généreuses, et, la grâce de Dieu aidant, mis en pratique, afin que, par là, refleurissent et revivent dans les mariages chrétiens la fécondité sainte, la foi immaculée, la stabilité inébranlable, le caractère sacré et la plénitude de grâces du sacrement.


A Rome, le 31 décembre 1930
Pie XI, Pape

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