Chrysostome 2 Discours (t4) 112

112 12. Si tu cherches à savoir pourquoi le scandale est permis, si, ne t'inclinent pas devant les raisons cachées des conseils de Dieu, tu t'efforces de satisfaire sur tous les points ton inquiète curiosité, de questions en questions combien d'autres difficultés ne vas-tu pas te proposer? Tu voudras savoir pourquoi Dieu a laissé les hérésies se produire, le diable et les démons nous tenter, les méchants entraîner dans leur chute beaucoup d'entre nous, et, ce qui résume tout, pourquoi l'antéchrist s'avance, lui dont le pouvoir est tel pour tromper, que, dit le Sauveur, il irait jusqu'à séduire, s'il était possible, les justes eux-mêmes. (Mt 24,24) Mais il ne faut pas se poser ces questions ; en toutes choses. Rapportons-nous-en à la sagesse incompréhensible de Dieu. Car, quand mille vagues, mille tempêtes l'assailleraient, celui qui se lient ferme plein d'une mâle assurance, non-seulement ne sera pas atteint, mais même deviendra plus fort, tandis que l'homme faible et sans consistance, qui n'a qu'une mollesse négligente tombe souvent, même sans être poussé par personne. Si pourtant tu veux une explication, écoute celle que nous connaissons. Il en est assurément bien d'autres qui sont connues de Celui dont la providence nous gouverne par des voies si différentes et si variées : pour celle que nous connaissons, la voici. lie, scandale, disons-nous, est permis pour que les récompenses réservées aux âmes fortes et vertueuses ne perdent rien de leur éclat : c'est ce que nous enseigne Dieu lui-même; lorsque, parlant à Job, il lui dit : Si je t'ai répondu, crois-tu que, ce soit pour autre chose que pour faire briller ta vertu ? (Jb 150,3) Paul dit également : Il faut qu'il y ait même des hérésies afin qu'on découvre par là ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée. (1Co 11,19) Lorsque tu l'entends dire : Il faut qu'il y ait des hérésies; ne crois pas que l'Apôtre parle ainsi pour nous engager à être hérétiques, loin de toi cette pensée ; mais il annonce ce qui doit arriver et il prédit l'avantage qu'en retirent les fidèles attentifs et vigilants : car, dit-il, c'est alors que votre vertu paraîtra dans tout son éclat à vous qui ne vous serez pas laissé tromper. Outre. cette considération, Dieu a encore permis pour un autre motif qu'il y eût des méchants : c'est pour qu'ils ne fussent pas privés des avantages qu'ils retirent de leur conversion ; c'est ainsi qu'ont été sauvés l'apôtre Paul, le bon larron, la femme de mauvaise vie, le publicain et mille autres. Si, avant leur conversion, ils avaient été enlevés de ce monde, aucun d'eux n'eût été sauvé. Quant à la venue de l'antéchrist, Paul en donne encore une autre raison, quelle est-elle? c'est que les Juifs n'auront ainsi à se couvrir, d'aucune défense. De quel pardon en effet, pourraient-ils être dignes, eux qui n'ont pas reçu le Christ, en qui ils devaient croire ? C'est (376) pourquoi l'Apôtre dit : De la sorte seront condamnés tous ceux qui n'ont, point cru ci la vérité, c'est-à-dire au Christ, mais qui ont estimé l'injustice (2Th 2,11), c'est-à-dire l'antéchrist. Ils prétendaient en effet qu'ils ne croyaient pas erg lui parce qu'il se proclamait feu. Nous te lapidons, disent-ils, parce qu'étant homme, tu te fais Dieu. (Jn 10,33) Pourtant ils l'avaient entendu attribuer une grande puissance au Père, il leur avait annoncé qu'il venait avec la permission de son Père, et il en avait donné beaucoup de preuves. Comment donc s'excuseront-ils, lorsqu'ils auront accueilli l'antéchrist, qui,. lui aussi se dira Dieu, mais qui, bien loin de parler du Père, n'en fera pas même mention. Aussi, le Christ au milieu des reproches qu'il leur adresse, leur fait-il cette prédiction : Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas; si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez (Jn 5,43) ; voilà pourquoi le scandale est permis. Que si tu mets en avant ceux qui ont été scandalisés, je t'opposerai ceux qui ont. brillé d'une plus grande gloire, et je te dirai qu'il ne fallait pas qu'à cause de la négligence et de la paressé de ceux qui ne peuvent pas être attentifs et vigilants, et gagner ainsi d'innombrables couronnes, les récompenses réservées aux justes, perdissent de leur éclat. Supprimez en effet ces occasions de combattre et de vaincre, et vous faites tort aux justes; donnez-les, et si les faibles ne s'en tirent pas sans blessure, ils ne peuvent du moins en accuser qu'eux-mêmes ; pour les convaincre de leur faute et le leur reprocher, ils ont l'exemple de ceux, qui non-seulement n'ont pas été scandalisés, mais qui même sont sortis de la lutte plus glorieux et plus forts.

113 13. Dis-moi, je t'en prie, de quels prêtres Abraham a-t-il eu le secours? de quels docteurs pouvait-il consulter les lumières? par qui a-t-il été catéchisé, exhorté, conseillé? Il n'y avait pas alors. d'Ecriture, de loi, de prophètes, ni rien de semblable; il naviguait sûr une ruer qui n'avait pas encore été ouverte, il marchait dans une voie qui n'avait pas été frayée, bien plus, il était né d'une famille et d'un père impies. Malgré tant de désavantages qu'il avait sur nous, il n'a pas chancelé. Voyez au contraire de quel éclat a brillé sa vertu! ce qu'après un si long temps, après les prophètes, après la loi, ce qu'après une si longue instruction, confirmée par tant de preuves, par tant de prodiges, le Christ a dû enseigner aux hommes! Abraham en avait beaucoup de siècles avant, donné l'exemple; il a montré une charité ardente et sincère, a méprisé les richesses, il a été plein de sollicitude pour tous ceux qui lui étaient unis par le sang, il a foulé aux pieds tout faste, il a rejeté loin de lui toute mollesse et tout relâchement, et il a vécu avec plus d'austérité que les moines qui habitent maintenant sur le sommet des montagnes. En effet, il n'avait pas de maison, et c'était un toit de feuillage qui abritait et couvrait la tête de ce juste; étranger dans la terre qu'il habitait, il n'en avait pas moins de zèle à accorder l'hospitalité, et tout étranger qu'il était sur cette terre étrangère, il s'employait chaque jour à; recevoir et à soigner tous ceux qui pouvaient voyager à l'heure du midi, il les servait de ses propres mains. et se faisait aider par sa femme. dans cette noble occupation. Que n'a-t-il pas fait pour son neveu, bien que celui-ci se fût mal comporté envers lui et qu'il eût voulu prendre la plus belle part dans le partage, et cela après que l'élection du Seigneur avait choisi Abraham ! N'a-t-il pas versé le sang? n'a-t-il pas armé tous ses serviteurs? ne s'est-il pas jeté dans un danger manifeste? au temps. où il lui fut ordonné de quitter son pays et d'aller dans une mitre contrée, n'a-t-il pas obéi sur l'heure? n'a-t-il pas abandonné sa patrie, ses amis, ses proches, tous ceux qu'il connaissait? par soumission au commandement du Seigneur n'a-t-il pas délaissé des biens assurés? ne les a-t-il pas sacrifiés dans sa pensée à des biens incertains, tant il croyait aux promesses de Dieu, tant il avait toute la foi qui nous est prescrite! Après tout cela, comme la disette le faisait souffrir de la faim, et qu’il avait dû changer de pays une seconde fois, loin de se troubler et de s'effrayer, n'a-t-il pas montré la même obéissance, la même sagesse, la même constance? n'est-il pas allé en Egypte, et, docile à-la voix de Dieu qui le lui ordonnait, ne s'est-il pas séparé de son épousé? n'a-t-il pas vu l'Egyptien la souiller autant qu'il a été en son pouvoir? n'a-t-il pas été frappé à l'endroit le plus sensible d'un coup plus terrible que la mort? Car, dis-moi; y a-t-il rien de plus affreux que de voir, après toute une vie de vertu, une femme à laquelle on est uni paf les liens du mariage, livrée en pâture aux désirs effrénés d'un barbare, conduite dans le palais du roi, enfin déshonorée? Il est vrai que l'outrage n'a (376) pas été jusqu'au fait même, mais Abraham s'attendait à le voir consommé, il n'en supportait pas moins avec courage toutes les épreuves; ni le malheur ne pouvait l'abattre, ni la bonne fortune le gonfler d'orgueil, mais il conservait en toutes circonstances une admirable égalité d'âme. Ce n'est pas tout, lorsqu'il lui fut annoncé qu'il aurait un fils, son esprit ne lui montrait-il pas mille obstacles qui s'y opposaient? Mais n'a-t-il pas apaisé ses raisonnements, calmé leur tumulte, et brillé ainsi de tout l'éclat de la foi? Lorsqu'ensuite il reçut l'ordre d'offrir son fils en holocauste, n'a-t-il pas mis à le mener au sacrifice tout l’empressement qu'il aurait mis à le marier, à le conduire au lit nuptial? n'a-t-il pas pour ainsi dire dépouillé sa nature et cessé d'être homme? n'a-t-il pas offert au Seigneur un sacrifice nouveau et extraordinaire? n'a-t-il pas, à lui seul, supporté tout le poids de la lutte, sans vouloir appeler à son aide sa femme, son esclave ou tout autre? Il savait, oui, il savait clairement combien était profond le précipice qui s'ouvrait sous ses pieds, combien lourd le fardeau qui lui était imposé, combien terrible le combat qu'il allait soutenir, et c'est parce qu'il le savait qu'il a voulu parcourir seul toute la carrière, qu'il l'a parcourue, qu'il a. combattu, qu'il a remporté la couronne, qu'il a été proclamé vainqueur. Quel prêtre lui a enseigné cette foi? quel docteur? quel prophète? aucun ; mais, comme il avait une âme forte, il s'est suffi à lui-même en toute occasion.

Que dire de Noé? quel prêtre, quel docteur, quel maître l'a instruit? N'a-t- il pas, par ses seules forces, alors que tout l'univers était rempli de crimes, suivi une voie tout opposée à celle qu'il voyait suivre? n'a-t-il pas cultivé la vertu? n'a-t-il pas brillé d'un,tel éclat au milieu des hommes, qu'il a pu sortir lui-même sain et sauf de la ruine commune de toute la terre, et, par sa sublime vertu, arracher beaucoup d'autres que lui aux dangers qui les menaçaient? De qui a-t-il appris à être juste, à être parfait ? De quel prêtre, de quel docteur a-t-il reçu l'enseignement? D'aucun que tu puisses citer. Voyez au contraire son fils ! bien qu'il ait eu sous les yeux, pour l'instruire sans cesse, la vertu d'un tel père, bien qu'il ait entendu les leçons que Noé lui donnait par ses actions comme par ses paroles, bien qu'il ait eu pour l'exhorter la voix puissante des événements, celle de la perte du genre humain, celle du salut de sa famille, il se montra cependant coupable envers lui, se moqua de sa . nudité, et la livra à la risée. (
Gn 9,22) Ne vois-tu pas qu'on a toujours besoin d'avoir une âme forte et généreuse?

Mais parlons de Job. Dis-moi, quels prophètes avait-il entendus? quel enseignement avait-il reçu ? aucun. Cependant, quoique privé de ces secours, il s'est montré d'une scrupuleuse exactitude dans l'observation de tous les devoirs. Il a partagé avec les pauvres tous ses biens, il à fait plus; il a mis son corps à leur service, car il recevait les voyageurs, et sa maison leur appartenait plus qu'au possesseur lui-même. Il employait la vigueur de son corps à défendre les opprimés; par la sagesse et la modération da sa parole, il réduisait au silence les calomniateurs; enfin, il faisait briller dans toutes ses . actions une conduite vraiment évangélique. En effet, le Christ dit : Bienheureux les pauvres d’esprit (Mt 5,3) ! et o'est ce dont Job a montré la vérité par tout ce qu'il a fait. Si j'avais dédaigné, dit-il, de faire droit à mon serviteur et à ma servante, quand ils ont contesté avec moi, qu'eussé je fait, quand le Dieu fort se serait levé? et quand il m'aurait demandé compte, que lui aurais-je répondu? Celui qui m'a créé dans le sein de ma mère, n'a-t-il pas fait aussi celui qui me sert? Nous avons été formés de même dans le sein maternel. (Jb 31,13-15) Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre! (Mt 5,4) Qui a donc été plus doux que celui dont ses serviteurs disaient : Qui nous, donnera de sa chair? nous n'en saurions être rassasiés (Jb 31,31), tant ils avaient pour lui Ce, mérite ne lui a pas manqué plus que les autres. Ecoute-le en effet: Quand j'ai péché volontairement, ai-je redouté la foule du peuple pour ne pas raconter mon iniquité? (Jb 31,33-34) Un homme ainsi disposé devait évidemment verser une grande abondance de larmes. Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la justice ! (Mt 5,6) Tu vois que cette parole s'est admirablement vérifiée en lui. J'ai brisé, dit-il, les mâchoires de l'injuste, et je lui ai arraché la proie d'entre les dents. (Jb 29,17) Je m'étais revêtu de la justice; mon équité était comme un manteau qui me servait de vêtement. (Jb 14) Bienheureux ceux qui sont miséricordieux, parce qu'ils (377) obtiendront eux-mêmes miséricorde! (Mt 5,7) Or, Job a été miséricordieux non-seulement en donnant son bien, en couvrant les nus, en nourrissant les affamés, en secourant les veuves, en défendant les orphelins, en portant remède aux blessés, mais aussi eà compatissant dans son âme à toutes les souffrances. Car, dit-il, j'ai pleuré sur toutes les infirmités, et j'ai gémi chaque fois que j'ai vu un homme dans la nécessité. (Jb 30,25) En effet, comme s'il avait été le père de tous les infortunés, il venait en aide au malheur des uns, il pleurait sur le malheur des autres, et se montrait miséricordieux en paroles, et en actes, par sa compassion et par ses larmes; il employait tous les moyens pour relever ceux qui étaient accablés de maux et il était pour tous les faibles comme un port, hospitalier. Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu ! (Mt 5,8) Cela s'est encore vérifié en lui avec éclat. Ecoute en effet le témoignage que lui rend le Seigneur: Il n'a point d'égal sur la terre cet homme intègre et droit, qui craint Dieu et se détourne du mal. (Jb 18)

Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ! (Mt 5,10) C'est ainsi qu'il a triomphé dans beaucoup de combats et remporté un grand nombre de couronnes. Ce n'étaient pas les hommes qui le tourmentaient, c'est le démon, ce principe de tous les maux, qui, après avoir fait avancer toutes les machines de guerre, l'assaillit, le chassa de sa demeure. et de sa patrie, le jeta sur le fumier, lui enleva toutes ses richesses, tous ses enfants, la santé même, et le tortura par les douleurs de la faim. Ensuite plusieurs de ses amis lui prodiguèrent l'insulte et rouvrirent toutes les blessures de son âme. Vous serez heureux lorsqu'à cause de moi on vous dira des injures, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement contre vous toute sorte de mal. Réjouissez-vous alors et tressaillez de joie, parce que votre récompense sera grande. dans les cieux. (Mt 5) Cette béatitude, il l'a encore obtenue, et avec quelle plénitude ! En effet, ceux qui se trouvaient auprès de lui le déchiraient dans leurs paroles; ils prétendaient que son châtiment n'était pas assez grand pour ses fautes, ils l'accablaient d'interminables accusations et ourdissaient contre lui le mensonge. et la calomnie. Job les arracha pourtant au péril que Dieu avait déjà suspendu sur leurs têtes, et ne leur fit aucun reproche pour les injures qu'ils lui avaient adressées. Car là il a suivi ce précepte: Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent. (Mt 5,44) Il les a aimés en effet, il a prié pour eux, il a apaisé la colère de Dieu, et il a racheté leurs fautes. Cependant ni prophètes, ni évangélistes, ni prêtres, ni docteurs, personne enfin ne l'avait exhorté à la vertu. Vois-tu de quel prix est une âme généreuse, et combien elle se suffit à elle-même dans la pratique du bien, même lorsque personne ne lui donne ses soins? Bien plus, il avait eu pour ancêtres des hommes sans piété et souillés de tous les crimes. Paul, parlant de son ancêtre Esaü, s'exprime ainsi : Qu'il n'y ait pas de fornicateur et de profane comme Esaü, qui vendit son droit d'aînesse pour un seul mets. ()

114 14. Maintenant, dis-moi, n'y a-t-il pas eu du temps même des apôtres mille scandales comme ceux dont tu te plains? Ecoute donc les paroles de l'apôtre Paul : Tu sais que tous ceux qui sont d'Asie m'ont abandonné, du nombre desquels sont Phygelle et Bermogène. (2Tm 1,15) Les docteurs ne vivaient-ils pas en prison? n'étaient-ils pas chargés de fers? ne souffraient-ils pas les derniers maux de la part et de leurs concitoyens et des étrangers? Est-ce qu'après eux et pour les remplacer, des loups dévorants ne sont pas entrés dans les bergeries? est-ce que Paul ne prédisait pas toutes ces souffrances aux pasteurs d'Ephèse qu'il avait fait venir à Milet ? Je sais, dit-il, qu'après mon départ il entrera parmi vous des loups ravissants qui n'épargneront point le troupeau, et que d'entre vous-mêmes il se lèvera des hommes qui annonceront des choses pernicieuses afin d'attirer les disciples après eux. (Ac 20) Est-ce qu'Alexandre, l’ouvrier en cuivre, ne lui a pas fait souffrir mille maux, le poursuivant partout, l'attaquant, le combattant, le réduisant à une telle extrémité, qu'il en avertit son disciple Timothée, et lui dit : Garde-toi aussi de lui, car il a fort résisté à nos paroles. (2Tm 4,15) Est-ce que toute la nation des Galates, corrompue par quelques faux frères, ne s'est pas portée au judaïsme? (Ga 2,4) Au commencement même de la prédication de l'Evangile, voyez Etienne, cet homme dont la parole avait plus d'impétuosité que les fleuves, qui imposait silence à tous, qui fermait la bouche impudente des Juifs, qui ne (378) trouvait personne qui lui pût résister, qui portait le trouble dans tout le judaïsme, qui a remporté un insigne trophée et une victoire éclatante, et qui,. si fort, si sage, si rempli de la grâce, a rendu tant de services à l'Eglise. Avant d'avoir pu prêcher longtemps, n'a-t-il pas été tout à coup saisi, condamné comme blasphémateur et lapidé? Et Jacques? n'a-t-il pas été, lui aussi, arraché dès son début à la carrière dans laquelle il commençait, pour ainsi dire, à prendre sa course? Hérode, pour faire plaisir aux Juifs, ne l'a-t-il pas livré au bourreau, lui, cette colonne, ce support de la vérité? (Ac 12,2) Combien d'hommes alors n'ont pas été scandalisés à la vue de ces événements ! Mais ceux qui sont restés debout ont vu leur vigueur s'accroître. Ecoute en effet ce que dit saint Paul dans son épître aux Philippiens : Je veux vous faire savoir, mes frères, que ce qui m'est arrivé, loin de nuire au progrès de l'Evangile, lui a plutôt servi, en sorte que plusieurs de nos frères en Jésus-Christ, encouragés par mes liens, ont conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer sans crainte la parole de Dieu. (Ph 1,12-14) Vois-tu cette force, cette confiance, cette fermeté d'âme, ce dessein plein de sagesse? Ils voyaient le maître emprisonné, chargé de chaînes, torturé, frappé, accablé de mille maux, et non-seulement ils ne se scandalisaient pas, mais ils ne se troublaient même pas; au contraire, ils prenaient plus d'assurance, et les souffrances 'du maître leur inspiraient plus d'ardeur pour affronter les combats. Mais, m'objectes-tu, d'autres sont tombés? Je ne le nie pas, car il. est naturel qu'à la vue de ces malheurs beaucoup d'esprits aient été abattus; mais, ce que j'ai déjà dit souvent, et ce que je ne cesserai- jamais de répéter, je le redis encore : Ces hommes doivent imputer leur chute à eux-mêmes et non à la nature des choses. En effet, le Christ en quittant la terre nous a laissé cet héritage de souffrances lorsqu'il a dit : Vous aurez à souffrir bien des afflictions dans le monde. (Jn 16,33) Et ailleurs : Vous serez menés devant les gouverneurs et devant les rois. (Mt 10,18) Ailleurs encore : Il viendra un temps où quiconque vous fera mourir croira faire une oeuvre agréable à Dieu. (Jn 16,2) C'est donc en vain que tu mets en avant ceux qui ont été scandalisés, car ces choses sont de tous les temps.

Mais qu'ai-je besoin de parler des souffrances des apôtres? Combien n'y a-t-il pas d'hommes qui ont été scandalisés par la croix même de notre Maître commun, qui sont devenus plus méchants et plus audacieux, et qui, passant près du Sauveur, l'ont tourné en plaisanterie par ces paroles : Celui qui détruit le temple de Dieu et le rebâtit en trais jours, ne perd se sauver lui-même! Si tu es Fils de Dieu, descends de la croix, et nous croirons en toi. (Mt 27,40) Cependant ils ne sauraient s'excuser en alléguant le scandale de la croix, car l'exemple du bon larron accuse tous ceux qui se sont rendus coupables de ce crime. Celui-ci en effet a vu Jésus crucifié, et non-seulement il n'en a pas été scandalisé, mais même il en a tiré, une grande occasion de faire preuve de sagesse, et, s'élevant au-dessus de toutes les choses de ce monde, soulevé par les ailes de la foi, il a tourné toute sa pensée vers la vie future. Voyant le Juste attaché à la croix, frappé de vergés, accablé d'outrages, abreuvé de fiel, couvert de crachats, tourné en dérision par Joute une multitude, condamné par le juge, entraîné à la mort, il ne s'est scandalisé d'aucune de ces ignominies; au contraire, lorsqu'il eut contemplé le bois du supplice et les clous qui y étaient fichés, lorsqu'il eut entendu les insultes si outrageantes qu'adressait au Christ un peuple dépravé, il entra dans la bonne voie et dit à Jésus : Souviens-toi de moi dans ton royaume ! (Lc 23,42) II fermait donc la bouche aux accusateurs, il confessait ses iniquités, il méditait sur la résurrection, et cela sans avoir vu ni les morts rendus à la vie, ni les lépreux guéris, ni la mer apaisée, ni les démons chassés, ni les pains multipliés, ni tous ces autres prodiges que le peuple juif avait eus sous les yeux, et qui ne l'avaient pourtant pas empêché de crucifier le Christ ! Ainsi le bon larron le vit attaché à l'instrument du supplice et le reconnut Dieu, parla de son royaume, et médita sur la vie future; eux, au contraire, après l'avoir vu accomplir ses miracles, après avoir reçu l'enseignement qu'il leur donnait par ses paroles et par ses actions, non-seulement n'ont recueilli de là aucun fruit, mais même l'ont cloué à la croix et se sont précipités dans l'abîme le plus profond de la misère et, de la ruine. Vois-tu comment les méchants et les lâches ne retirent aucune utilité des plus grands secours, et comment les bons et les vigilants font tourner à leur plus grand profit ce qui est pour les autres une occasion de scandale ?

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Cette vérité reçoit une nouvelle confirmation de la conduite opposée de Judas et de Job; car Judas n'a pu être sauvé même par le Christ, qui était venu pour racheter le monde; et Job n'a pu être blessé même par le démon, qui a causé la perte de tant d'hommes. Job, bien qu'il ait eu à souffrir mille maux, a gagné la couronne; Judas, après avoir vu des miracles, après en avoir fait lui-même, après avoir ranimé les cadavres et chassé les démons (car il avait ce pouvoir, comme les autres apôtres), après avoir entendu Jésus parler tant de fois de . son royaume et de son Père, après avoir participé à la sainte Cène, après avoir été admis à ce terrible repas, après avoir reçu du Maître une aussi grande part de bienveillance et de sollicitude que Pierre, Jacques et Jean... que dis-je? urge bien plus grande part' encore, puisque, outre les soins et les égards que le Christ lui prodiguait, il lui avait confié la garde du trésor des pauvres; Judas, dis-je, après tant de bienfaits, s'abandonna à sa fureur, laissa, par avarice, le démon entrer dans son coeur, devint traître dans son âme, et, .consommant le plus grand des forfaits, vendit trente deniers un sang si précieux et livra son Maître par un baiser perfide. Que d'hommes, penses-tu, n'ont pas été scandalisés par cette trahison d'un disciple ! De même, lorsque l'habitant du désert, le fruit d'une source stérile, le fils de Zacharie, celui qui a été jugé digne de donner le baptême à une tête si sainte et si redoutable et d'être le précurseur de son Maître; lors, dis-je, que Jean fut décapité et que sa tête fut le prix dont une femme impudique fit payer sa danse, que d'hommes alors, penses-tu, n'ont pas été scandalisés ! Et pourquoi dire : Alors? Est-ce qu'aujourd'hui encore, après tant de temps écoulé, il n'y a pas des hommes que le récit de ces faits scandalise? Mais, ai-je besoin de parler de Jean, de sa prison, de son supplice? ai-je besoin de m'arrêter sur les serviteurs, quand il faut encore revenir au Maître lui-même?

115 15. La croix de Jésus, qui a relevé le monde tout entier, détruit l’erreur, mis le ciel sur la terre, coupé les nerfs de la mort, rendu l'enfer inutile; renversé la citadelle de Satan, fermé la bouche des démons, donné aux hommes la beauté des anges, ruiné les autels et abattu les temples des faux dieux, soufflé par toute la terre un esprit nouveau et inconnu, accordé à tous des biens infinis, les plus grands et les plus précieux des biens, la croix n'a-t-elle pas été pour beaucoup un scandale? Est-ce que Paul ne répète pas continuellement, sans aucune honte : Pour nous, nous prêchons le Christ crucifié, qui est un scandale aux Juifs et une folie aux Grecs. (1Co 1,23) Mais quoi donc ! dis moi : fallait-il que la croix ne parût pas, que ce redoutable sacrifice n'eût pas lieu, que tant de grandes choses ne se fussent pas. accomplies, parce que de là naîtrait une occasion de scandale pour beaucoup,, dans le présent, dans l'avenir, dans tous les temps? Quel est l'homme assez insensé, assez égaré, qui l'osera soutenir? De même donc que, pour cette époque, il ne faut pas tenir compte de ceux qui ont été scandalisés quel que soit leur nombre, mais de ceux qui ont été sauvés, qui ont été vertueux, et qui ont recueilli le fruit d'une telle sagesse (qu'on ne nous dise pas, en effet, qu'on peut leur opposer ceux qui ont. été scandalisés, puisque, s'ils l'ont été, ils. doivent se l'imputer à eux-mêmes) : ainsi devons-nous faire également pour le temps présent. Le scandale, en effet, nous vient non de la croix, mais de la démence de ceux qui se scandalisent. C'est pourquoi Paul ajoute : Mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, le Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu. 1Co. 24.) Le soleil lui-même ne blesse-t-il pas les yeux débiles? Mais quoi! fallait-il, pour cela, que le soleil ne fût pas créé? Le miel ne paraît-il pas amer aux malades? Fallait-il donc, pour cela, nous en priver? Les apôtres eux-mêmes n'ont-ils pas été pour les uns une odeur mortelle qui leur a donné la mort, et pour les autres une odeur vivifiante qui leur a donné la vie? (2Co 2,16) Parce qu'il en est qui sont morts, fallait-il donc que les vivants fus, sent privés des soins de tels docteurs? La venue même du Christ, le salut, la source des biens, la vie, le principe de mille admirables bienfaits, pour combien d'hommes n'a-t-elle pas été un fardeau? à combien n'a-t-elle pas enlevé toute excuse et tout pardon? N'entends-tu pas ce que le Christ dit des Juifs : Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils n'auraient point de péché; mais maintenant ils n'ont point d'excuse de leur péché. (Jn 15,22) Quoi donc! parce que la venue du Christ a rendu leurs crimes sans excuse, fallait-il qu'à cause de ceux qui ont mal usé d'un si grand bien, elle n’eût pas lieu? Qui l’oserait dire? Personne assurément, non; personne, même (380) parmi ceux qui ont perdu le jugement. De même, dis-moi : pour quelle multitude les,Écritures n'ont-elles pas été une pierre d'achoppement? Combien d'hérésies n'ont pas, grâce à elles, trouvé l'occasion de se produire? Fallait-il que, pour ceux qui ont été scandalisés, les livres saints fussent détruits ou n'eussent point paru dès le principe? Non, certes; il fallait, au contraire, qu'ils fussent donnés pour ceux qui en devaient faire leur, profit. Que ceux-là, en effet (car je ne cesserai pas de répéter les mêmes choses), que ceux-là s'imputent à eux-mêmes leur scandale; mais, pour ceux qui devaient recueillir de là les plus beaux fruits, t'eût été un grand tort qui leur eût été fait, si, à cause de la démence et de l'assoupissement des autres, eux, qui devaient trouver dans ces biens de grands avantages, avaient été privés de tels bienfaits. Ne me parle donc pas de ceux qui se sont perdus; car, ainsi que je l'ai dit ailleurs, aucun de ceux qui ne se font pas de mal à eux-mêmes ne reçoit jamais des autres aucun mal, quand même il courrait risque de la vie.

116 16. Quel sort a-t-il été fait au juste Abel, dis-moi, lorsque, tué par la main de son frère, il fut frappé d'une mort violente et prématurée? N'y a-t-il pas gagné bien plutôt? n'a-t-il pas ainsi obtenu une couronne plus brillante? Quel sort à Jacob, lorsque son frère lui fit endurer tant de misères, et que, expatrié, fugitif, étranger, esclave; il fut réduit à la faim la plus cruelle? Quel sort, à Joseph, lorsqu'il fut également sans pays, sans patrie, et que, courbé sous le joug d'un maître, il fut chargé de chaînes, courut risque de subir les derniers supplices, et supporta soit dans son pays, soit en Egypte, de si odieuses calomnies? Quel sort à Moïse, lorsqu'il fut mille fois lapidé par un peuple si nombreux, et qu'il vit ceux qu'il avait comblés de bienfaits lui dresser des embûches? Quel sort aux prophètes, lorsque les Juifs les accablèrent de tant de maux? Quel sort à Job, lorsque le démon l'attaqua avec toutes ses machines de guerre? Quel sort aux trois enfants? Quel sort à Daniel, lorsqu'il fut menacé de perdre la vie, la liberté, et de souffrir les plus cruels tourments? Quel sort à Elie, lorsque, pressé parla pauvreté la plus horrible, il fut chassé de sa maison, et que, fugitif, il habita les déserts, toujours errant dans des contrées étrangères? Quel sort à David, lorsqu'il eut tant à se plaindre de Saül et ensuite de son propre fils? Dans ces malheurs extrêmes, n'a-t-il pas brillé d'un plus grand éclat qu'au sein de la bonne fortune? Quel sort à saint Jean, lorsqu'il fut jeté dans la mer? Quel sort aux apôtres, lorsqu'ils ont été, ceux-ci précipités dans les flots, ceux-là livrés à d'autres supplices? Quel sort aux martyrs, lorsqu'ils ont rendu l'âme au milieu des tourments? Si tous ces justes ont jamais jeté un grand éclat, n'était-ce pas surtout lorsqu'ils étaient calomniés, lorsqu'ils étaient environnés de piéges, lorsqu'ils supportaient courageusement toutes les souffrances sans faiblir?

117 17. Tout en glorifiant notre Maître commun pour tous ses autres bienfaits, ne le glorifierons-nous pas, ne le célébrerons-nous pas, ne l'admirerons-nous pas surtout pour sa croix et pour la mort ignominieuse qu'il a subie? D`un bout à l'autre de ses écrits, saint Paul ne nous donne-t-il pas, pour preuve de l'amour que Dieu nous porte, cette mort qu'il a acceptée pour des hommes si criminels ? Il passe sous silence, le ciel, la terre, la mer et toutes les autres choses que le Christ a faites pour noire utilité et notre soulagement, et d'un bout à l’autre il nous présente sa croix. Dieu a fait éclater son amour envers nous, en ce que Jésus-Christ, lorsque nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. (Rm 5,8-9) Ensuite il nous inspire les plus belles espérances pur ces paroles : Car si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, combien plus; étant déjà réconciliés, ne serons-nous pas sauvés par sa vie? N'est-ce pas ce qui rend l'Apôtre si glorieux .et si fier? n'est-ce pas pour cela qu'il tressaille et bondit d'allégresse ? Écoutez ce qu'il écrit aux Galates : Dieu me garde de me glorifier en autre chose qu'en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Ga 7,14) Pourquoi t'étonner que Paul bondisse et tressaille de joie, et qu'il se glorifie? Ne sais-tu pas que celui même, qui a souffert ces maux, dit de sa croix que c'est une gloire. Mon Père, s'écrie-t-il, Voici l'heure: glorifie ton fils. (Jn 17,1) L'apôtre qui a rapporté ces paroles, disait : Le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié. (Jn 7,39) Par ces mots il appelait la croix une gloire. Aussi, lorsqu'il a voulu montrer l'amour que Dieu nous porte, qu'a-t-il dit? A-t-il mis en avant des miracles, des signes, des prodiges? (381) Nullement. C'est la croix qu'il met sous nos yeux et .il s'exprime ainsi: Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui, ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. (Jn 3,16) Paul dit de son côté: Comment celui qui n'a point épargné soit propre fils, mais qui l'a livré pour nous tous, ne nous donnera-t-il point toutes choses aussi avec lui ? (Rm 8,32) Lorsqu'il veut conduire à l'humilité, c'est encore de la croix qu'il tire son exhortation, écoutez: S'il y a quelque consolation en Jésus-Christ, s'il y a quelque soulagement dans la charité, s'il y a quelqu'union dans la participation d'un même esprit, s'il y a quelque tendresse et quelque compassion parmi vous, rendez ma joie parfaite vous tenant tous unis ensemble, n'ayant tous qu'un même courage, une même âme et les mêmes sentiments; et ne faites rien par un esprit de contestation ou de vaine gloire, mais que chacun par humilité croie les oeuvres plus excellents que soi-même. (Ph 2,1-3) Il ajoute aussitôt après ce conseil : Ayez les mêmes sentiments qu'a eus Jésus-Christ, le quel, ayant la forme de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la forme de serviteur, en se rendant semblable aux hommes et en étant reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors; il s'est rabaissé lui-même en se rendant obéissant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix. (Ph 5-8) Ailleurs, recommandant la charité, voici comment il s'exprime : Aimez-vous comme Jésus nous a aimés, lui qui s'est offert à Dieu pour nous comme une oblation et une victime d'agréable odeur. (Ep 5,2) Parlant de la mutuelle affection qui doit unir les époux aux épouses, il dit : Vous, maris, aimez vos femmes comme Jésus a aimé l'Eglise et s'est, livré pour elle. (Rph. 25.) Jésus montre lui-même avec quelle ardeur il souhaitait sa passion ; car lorsque le prince des apôtres; le fondement de l'Eglise, le choryphée du choeur des disciples, lui eut dit par ignorance: A Dieu ne plaise, Seigneur, cela né vous arrivera point (Mt 16,22-23), écoute quel nom il lui donna : Retire-toi de moi, Satan, tu m'es un scandale. Par l'exagération de ce reproche il montre avec quelle ardeur il se portait à la mort. De plus il a voulu que sa résurrection s'accomplît loin des regards et dans l'ombre, laissant à l'avenir le soin de la prouver; mais pour la croix, c'est au milieu de la ville, au milieu d'une fête, au milieu du peuple hébreu, c'est en présence des juges de deux tribunaux, du tribunal romain et du tribunal juif, et au moment même où la solennité pascale avait rassemblé toutes les tribus, c'est en plein jour, c'est sur le théâtre où se portait toute la terre qu'il l'a supportée; et, comme ceux-là seuls qui étaient présents, pouvaient voir son supplice, il ordonna au soleil de se couvrir de ténèbres, pour apprendre ainsi à tout l'univers ce qu'il osait endurer. Cependant, je le répète, sa mort a été pour beaucoup une pierre d'achoppement. Mais il faut considérer, non ceux qu'elle a perdus, mais ceux qu'elle a sauvés, ceux qu'elle a relevés. Pourquoi donc t'étonnes-tu, si dès cette vie la croix a un tel éclat que Jésus la nomme une gloire, et que l'Apôtre s'en fasse un titre d'orgueil? Tu le sais: dans ce jour terrible et effroyable, où le Sauveur viendra dans toute sa gloire, où il paraîtra environné de la gloire de son Père, où le redoutable tribunal se dressera pour le jugement, où toute la race. humaine comparaîtra devant lui, où les flots bouillonneront avec un bruit tumultueux, où les anges et les esprits célestes déploieront du haut du ciel et rangeront autour de lui leurs escadrons serrés, où les mille récompenses de la vertu victorieuse se montreront aux yeux, où les uns auront la splendeur du soleil, où d'autres brilleront comme des étoiles, où enfin s'avanceront les cohortes des martyrs, les choeurs des apôtres, les légions des prophètes et toute l'armée des hommes vertueux : ce jour-là il viendra dans sa splendeur et sa magnificence, portant en ses mains la croix qui enverra de toutes parts des rayons éclatants. Alors, dit-il en effet, le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel, et le soleil s'obscurcira, et la lune ne donnera plus sa lumière, mais le signe de la croix paraîtra. (Mt 24,30) O éclat de la passion ! ô pure lumière de la croix ! le soleil s'obscurcit, et les étoiles tombent comme des feuilles, mais la croix brille plus éclatante que tous ces astres et remplit de ses rayons tout le ciel ! Vois-tu comme le Seigneur en est fier ! Vois-tu comment il déclare que cette croix fait sa gloire, lorsque dans le jour du jugement il la montre environnée de tant de splendeur à tout l'univers ?



Chrysostome 2 Discours (t4) 112