Chrysostome sur 1Tm 300

HOMÉLIE III (1,12-14). JE RENDS GRACES A CELUI QUI M'A FORTIFIÉ,

AU CHRIST JÉSUS NOTRE-SEIGNEUR, DE CE QU'IL M'A ESTIMÉ FIDÈLE, ME PLAÇANT A SON SERVICE, MOI QUI AUPARAVANT ÉTAIS BLASPHÉMATEUR, PERSÉCUTEUR ET COUPABLE D'OUTRAGES ; MAIS IL M'A FAIT MISÉRICORDE, PARCE QUE J'AI AGI PAR IGNORANCE DANS L'INCRÉDULITÉ; ET LA GRACE DE NOTRE-SEIGNEUR A SURABONDÉ AVEC LA FOI ET LA CHARITÉ QUI EST EN JÉSUS-CHRIST. (1Tm 1,12-14)


Analyse.

1. Admirable humilité de saint Paul.
2. S'il avait persécuté l'Eglise naissante, il l'avait fait par ignorance et par zèle, et non par amour de la domination.
3 et 4. Que l'amour de Dieu dirige notre vie. — Rendons le bien pour le mal.

301 1. Nous savons que l'humilité procure de grands avantages, mais nulle part on n'y arrive aisément; nous trouvons bien et plus qu'il ne faut l'humilité des paroles, nulle part la vraie humilité. Mais le bienheureux Paul l'a pratiquée avec un grand zèle, et il se représentait toutes les raisons d'humilier son esprit. En effet, comme il est naturel que l'humilité soit difficile pour ceux qui ont conscience de leurs grands progrès dans le bien ; saint Paul devait souffrir une grande violence, car le bien dont il avait conscience produisait comme un gonflement dans son coeur. Considérez donc ce qu'il fait. Il vient de dire que l'Evangile de la gloire de Dieu lui a été confié, Evangile auquel ne peuvent avoir part ceux qui suivent encore la loi; car il y a incompatibilité, et l'intervalle est si grand que ceux qui se laissent entraîner par la loi, ne sont pas encore dignes d'avoir part à l'Evangile ; ainsi dirait-on que ceux à qui il faut des chaînes et des tribunaux ne peuvent être admis au nombre des philosophes. Après donc qu'il s'est exalté et a dit de lui-même cette grande parole, il se rabaisse aussitôt et engage les autres à faire de même. A peine a-t-il écrit que l'Evangile lui a été confié, qu'il se hâte d'ajouter un correctif, afin que vous ne pensiez point qu'il a parlé par orgueil. Voyez donc comme il corrige son discours en ajoutant ces mots : « Je rends grâces à celui qui m'a fortifié, au Christ Jésus Notre-Seigneur, de ce qu'il m'a estimé fidèle, me plaçant à son service ».

Voyez-vous comment il cache partout sa vertu et rapporte tout à Dieu, sachant toutefois réserver son libre arbitre? En effet, un infidèle dirait peut-être : Si tout est de Dieu, si nous ne contribuons à rien, s'il vous transporte comme du bois et des pierres, du vice à la sagesse, pourquoi en a-t-il agi ainsi envers Paul et non envers Judas? Voyez comment, pour détruire cette objection, il use de paroles prudentes : L'Evangile m'a été confié, dit-il, C'est là son avantage et sa dignité; mais elle ne lui appartient pas pleinement, car voyez ce qu'il dit : « Je rends grâces à celui qui m'a « fortifié, à Jésus-Christ n. Voilà ce qui appartient à Dieu; voici maintenant ce qui lui appartient à lui-même : « Parce qu'il m'a estimé fidèle » ; c'est-à-dire estimé devoir faire bon usage de ses propres facultés. « Me prenant », dit-il, « à son service, moi qui auparavant étais blasphémateur, persécuteur et coupable d'outrages ; mais il m'a fait miséricorde, parce que j'ai agi par ignorance dans l'incrédulité». Voyez comment il expose ce qui lui appartient et ce qui appartient à Dieu, attribuant la plus grande part à la Providence divine, et resserrant la sienne, mais toutefois, comme j'ai eu hâte de le dire, sans porter atteinte au libre arbitre. Et pourquoi ces mots : M'a fortifié? L'apôtre avait reçu un lourd fardeau et avait besoin d'une grande assistance d'en-haut. Songez en effet ce que c'était que d'avoir à soutenir chaque jour les outrages, les insultes, les embûches, les périls, les railleries, les injures, le danger de mort; et cela sans faiblir, sans glisser' dans la voie, sans retourner en arrière mais, en butte à mille traits chaque jour, conserver un regard fixe et intrépide, cela n'est point;?au pouvoir des forces humaines, et même ne demande pas l'assistance ordinaire de Dieu, mais une vocation spéciale. C'est parce que Dieu avait prévu ce que serait Paul, qu'il l'a choisi; écoutez ce qu'il dit avant que Paul commence à prêcher l'Evangile : « Celui-(284)ci est pour moi un vase d'élection, qui doit porter mon nom en présence des nations et des rois ». (
Ac 9,15) De même que ceux qui portent à la guerre le drapeau du souverain, le labarum, ont besoin de force et d'expérience, pour ne pas le laisser tomber aux mains de l'ennemi ; de même ceux qui portent le nom du Christ, non seulement durant la guerre, mais aussi en pleine paix, ont besoin d'une grande force pour ne pas le trahir devant les bouches qui l'accusent, mais pour le soutenir noblement et porter la croix. Oui, il faut une grande force pour soutenir le nom du Christ. Celui qui se permet dans ses paroles, ses actions ou sa pensée quelque chose d'indigne, ne le soutient pas et n'a pas le Christ en lui. Celui qui en est chargé, doit le porter avec honneur, non à travers une place publique, mais à travers les cieux; et c'est avec tremblement que tous les anges l'escortent et l'admirent.

« Je rends grâces », dit l'apôtre, « à celui qui m'a fortifié, au Christ Jésus Notre-Seigneur». Vous le voyez, il témoigne sa reconnaissance. C'est de ce qu'il est un vase d'élection, qu'il témoigne sa reconnaissance envers Dieu. Ce titre vous appartient, ô bienheureux Paul, car Dieu ne fait point acception des personnes. C'est comme s'il disait : Je rends grâces de ce que Dieu m'a honoré de cette fonction, qui montre qu'il m'estime fidèle. Car de même que, dans une maison, l'intendant ne remercie pas seulement son maître d'avoir eu confiance en fui, mais voit dans sa charge un témoignage qu'il a en lui plus de confiance que dans les autres; de même en est-il du ministère apostolique.

Considérez ensuite comment il exalte la miséricorde et la bonté de Dieu, en parlant de sa vie antérieur: « Moi », dit-il, « qui auparavant étais blasphémateur, persécuteur et coupable d'outrages ». Lorsqu'il parle des juifs encore incrédules, son langage est fort réservé: « Je leur rends témoignage », dit-il, « qu'ils ont du zèle pour Dieu, mais un zèle qui n'est pas selon la science ». (Rm 10,2) S'il parle de lui-même, au contraire, il se donne les noms de blasphémateur et de persécuteur. Voyez comme il s'abaissé, comme il est éloigné de l'amour-propre, combien il tient sa pensée dans l'humilité. Il ne lui a pas suffi de dire « blasphémateur », il ajouté « persécuteur » ; il insiste. Il dit en effet qu'il ne se bornait pas à faire lui-même le mal, qu'il ne se contentait pas de blasphémer, mais qu'il persécutait ceux qui voulaient suivre la voie de la religion ; car la fureur du blasphème va bien loin. « Mais », ajoute-t-il, « Dieu m'a fait miséricorde, parce que j'ai agi « par ignorance dans l'incrédulité ».

302 2. Et pourquoi n'a-t-il pas fait miséricorde au reste des juifs? Parce qu'ils n'ont pas péché par ignorance, mais qu'ils avaient conscience et pleine connaissance du mal qu'ils taisaient. Et, pour le bien comprendre, écoutez l'évangéliste qui nous dit : « Plusieurs d'entre les principaux juifs croyaient en lui, mais n'en convenaient pas; car ils aimaient mieux la gloire qui vient des hommes, que celle qui vient de Dieu ». (Jn 12,42-43) Et le Christ; « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire, que vous vous donnez les uns aux autres? » (Jn 5,44) Et encorde passage où il est dit que les parents de l'aveugle parlèrent ainsi à cause des juifs, dans la crainte d'être chassés de la synagogue. (Jn 9,22) Et les Juifs disaient : Voyez-vous que nous ne gagnons rien ? car tout le monde va après lui. Partout, en effet, la passion de dominer les troublait. Et eux-mêmes dirent que « personne n'a le pouvoir de remettre les péchés, si ce n'est Dieu seul ». (Lc 5,21) Et aussitôt Jésus fit ce qu'ils disaient être le signe de Dieu. Ce n'était donc pas chez eux cause d'ignorance. Où était alors Paul ? dira-t-on peut-être. Il était assis aux pieds de Gamaliel, n'ayant rien de commun avec cette foule séditieuse. Et où était Gamaliel ? C'était un homme qui ne faisait rien par amour de la domination. Comment donc, après cela, Paul se trouve-t-il avec la foule? Il voyait le nombre des croyants s'augmenter, prendre le dessus et tout le peuple se laisser gagner. Les uns s'étaient réunis au Christ pendant qu'il était sur la terre, d'autres à ses disciples; enfin il se faisait une grande division parmi les Juifs. Et ce qu'il fit alors, il le fit, non par amour de la domination, comme les autres, mais par zèle. Car pourquoi se rendait-il à Damas ? Il regardait ce qui se passait comme un mal, et craignait que la prédication ne se répandît partout. Mais il n'en était pas ainsi des autres. Ce n'était pas par un soin tutélaire pour la foule, mais par amour de la domination qu'ils agissaient. Voyez ce qu'ils disent : « Les Romains détruisent notre nation et notre ville ». (Jn 11,48) C'était donc une crainte humaine qui les agitait.

Mais il est important d'examiner comment Paul, disciple si exact de la loi, ne connaissait pas cet Evangile qu'il a dit avoir été annoncé d'avance parle ministère des prophètes. (Rm 1,2) Comment ne le savait-il pas, lui zélateur de la loi de ses pères, instruit aux pieds de Gamaliel? D'autres, vivant sur les lacs, sur les fleuves, dans les bureaux des publicains, accouraient à Jésus et accueillaient sa parole, et vous, savant dans la loi, vous la persécutiez. C'est pour cela qu'il se condamne en disant : « Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre ». (1Co 15,9) Il reconnaît ainsi en lui une ignorance engendrée par l'incrédulité; c'est pour cela qu'il dit avoir été l'objet de la miséricorde. Que veut donc dire : « M'a estimé fidèle? » C'est qu'il n'a trahi aucun des commandements qu'il a reçus ; il a tout rapporté au souverain Maître, même ses actions, et ne s'est point approprié la gloire de Dieu. Ecoutez en effet ce qu'il dit ailleurs : « Que faites-vous a là? Nous sommes des hommes et dans la « même condition que vous » (Ac 14,14) ; c'est ainsi qu'il entend ces mots : Il m'a estimé fidèle. En effet il dit ailleurs : « J'ai enduré plus de fatigues qu'eux tous, non pas moi mais la grâce de Dieu avec moi ». (1Co 15,10) Et dans un autre endroit : « C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire ». (Ph 2,13) Il s'avoue digne de châtiment. Mais la miséricorde intervient en ces circonstances. Et ailleurs encore : « L'aveuglement s'est répandu sur une partie d'Israël ». (Rm 11,25)

« Mais», dit-il à Timothée, « la grâce de Dieu a surabondé avec la foi et la charité, qui est en Jésus-Christ ». (I, 14) Pourquoi parle-t-il ainsi ? Afin que vous ne pensiez pas qu'il lui a seulement « été fait miséricorde ». J'étais, dit l'apôtre, blasphémateur, persécuteur, coupable d'outrages; et par conséquent digne de châtiment. Je n'ai pas été puni, car il m'a été fait miséricorde. Mais ne s'est-elle étendue qu'à le sauver du châtiment ? Non certes Dieu y a ajouté de nombreux et immenses bienfaits. Dieu ne nous a pas seulement sauvés du châtiment suspendu sur nos têtes, mais il nous a faits justes, ses enfants, ses frères, ses amis, ses héritiers, cohéritiers de Jésus-Christ. C'est pour cela que l'apôtre dit : La grâce a surabondé; car la mesure de ses bienfaits a dépassé le niveau de la simple miséricorde. Ce n'est plus l'acte de la miséricorde, mais de l'amour et d'une extrême tendresse. L'apôtre en exaltant la bonté de Dieu qui lui a fait miséricorde, à lui blasphémateur, persécuteur et coupable d'outrages, et qui ne s'en est pas tenu là, mais a daigné lui accorder de grands bienfaits, écarte encore l'objection des incrédules, en se gardant de laisser soupçonner la suppression du libre arbitre, car il ajoute : « Avec la foi et la charité eu Jésus-Christ ». Tout ce que nous avons apporté, dit-il, c'est que nous avons cru qu'il peut nous sauver.

303 3. Aimons donc Dieu par le Christ. Mais que veulent dire ces mots : « Par le Christ? » Ils veulent dire que c'est à lui-même et non à la loi que nous devons notre salut. Voyez-vous de quels biens le Christ a été pour nous l'auteur et ce que nous devons à la loi ? L'apôtre n'a pas dit seulement que la grâce a abondé, mais qu'elle a surabondé. Oui, elle a surabondé, quand d'hommes qui méritaient mille châtiments, elle a fait tout à coup des enfants d'adoption. Dans le Christ, c'est par le Christ. Voici encore une fois « dans » mis pour « par ». Il n'est pas seulement besoin de foi, mais d'amour. Car aujourd'hui encore il en est beaucoup qui croient que le Christ est Dieu, mais qui ne l'aiment pas et n'agissent point comme des personnes qui aiment; et comment l'aimeraient-ils, quand ils lui préfèrent toutes choses, les richesses, la naissance, le fatalisme, les superstitions, les présages, les augures? Quand nous ne vivons que pour outrager le Christ, dites-moi, comment l'aimerions-nous ? Si quelqu'un a un ami chaleureux et plein d'ardeur, qu'il ait au moins pour le Christ, le même amour; qu'il ait le même amour pour Dieu, qui a livré son Fils pour ses ennemis, pour nous qui n'avons rien fait pour le mériter. Que dis-je, qui n'avons rien fait? Je devrais dire pour nous qui avons commis des crimes d'une audace inconcevable, sans motif, après d'innombrables bienfaits, d'innombrables marques d'amour; et il ne nous a pas pour cela rejetés, mais c'est au moment où nous étions le plus avant dans l'iniquité, qu'il nous a donné son Fils. Et nous, après un bienfait si grand, après être devenus ses amis, après que, par le Christ, nous avons été comblés de biens si grands, nous ne l'aimons pas comme nous aimons un ami. Et quelle sera notre espérance ? Frémissez à cette parole, et plaise à Dieu que ce frémissement vous soit salutaire !

Et quoi, me dira-t-on, nous n'aimons pas même le Christ comme nos amis? Je vais essayer de vous le faire voir; je voudrais que mes paroles fussent des folies et non la vérité, mais je crains de rester encore au-dessous d'elle. Pour de véritables amis, souvent plusieurs ont volontairement souffert; pour le Christ, nul ne consent, je ne dis pas à souffrir, mais à se contenter de sa fortune présente. Pour un ami, souvent nous nous exposons à l'injure, nous acceptons des inimitiés; pour le Christ, nul n'en accepte; mais,. comme dit le proverbe Fais-toi aimer à l'aventure et non haïr à l'aventure. Nous ne voyons pas d'un oeil indifférent notre ami souffrir de la faim; chaque jour le Christ vient nous demander non de grands sacrifices, mais un morceau de pain et nous ne l'accueillons pas, tandis que nous remplissons et gonflons notre ventre jusqu'à un ignoble excès, que notre haleine est infectée de vin, que nous vivons dans la mollesse, que nous prodiguons nos biens les uns à des créatures sans pudeur, les autres à des parasites, ou à des flatteurs, ou encore à des monstres, à des fous, à des nains, car on se fait un amusement des disgrâces de la nature. Jamais nous ne portons envie à nos véritables amis, et nous ne souffrons point de leurs succès; mais envers le Christ, nous éprouvons ce sentiment; on voit donc que l'amitié a sur nous une plus grande puissance que la crainte de Dieu. L'homme perfide et envieux a moins de respect pour Dieu que pour les hommes. Comment cela? C'est que la pensée de Dieu voyant au fond des coeurs, ne le détourne pas de ses machinations, mais s'il est aperçu d'un de ses semblables, il est perdu, il est saisi de honte, il rougit. Que dirai-je encore ? Nous allons trouver un ami dans le malheur, et, si nous différons quelque peu, nous craignons d'être blâmés ; et quand, tant de fois, le Christ est mort dans la captivité, nous n'y avons pas pris garde. Nous allons vers nos amis qui sont au nombre des fidèles, non parce qu'ils sont fidèles, mais parce qu'ils sont nos amis.

304 4. Vous le voyez, nous ne faisons rien parla crainte de Dieu, ni par amour pour lui, mais nous agissons par amitié ou par coutume. Quand un ami est absent, nous pleurons, nous gémissons; si nous le voyons mort, nous nous lamentons, bien que nous sachions que ce n'est point une séparation éternelle; mais quand le Christ est éloigné de nous chaque jour, ou

plutôt quand chaque jour nous l'éloignons d nous, nous n'en éprouvons aucune douleur et nous ne pensons pas être malheureux quand nous commettons l'injustice, quand nous ! contristons, quand nous l'irritons, quand noue faisons ce qui lui déplaît. Mais nous ne non contentons point de ne pas le traiter en ami; je vais vous montrer que nous le traitons en ennemi. Comment cela? C'est que « la prudence de la chair, dit l'Écriture, est ennemie de Dieu ». (
Rm 8,7) Or nous nous tenons attachés à cette prudence, et nous persécutons le Christ qui veut accourir à nous; car tel est l'effet des actions mauvaises; nous nous rendons chaque jour coupables des outrages qu'il subit par notre cupidité et nos rapines. Un homme jouit d'une éclatante renommée, parce qu'il célèbre la gloire du Christ et qu'il sert les intérêts de l'Église; eh bien ! nous lui portons envie, parce qu'il fait l'oeuvre de Dieu; nous paraissons ne porter envie qu'à lui, mais elle remonte jusqu'à Dieu lui-même. Nous ne voulons pas que le bien se fasse par d'autres que par nous; qu'il se fasse pour le Christ, mais pour nous; car, si nous le désirions en vue du Christ, il nous serait indifférent qu'il s'opérât par d'autres mains ou par les nôtres.

Car, dites-moi : si un médecin a un enfant menacé de devenir aveugle, et qu'étant lui-même impuissant à le guérir il en trouve un autre capable de le faire, l'écartera-t-il d'auprès de son fils? Non certes, mais il sera prêt à lui dire : Par vous ou par moi, que mon enfant soit guéri. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas son intérêt qu'il a en vue, mais celui de son fils. De même aussi nous dirions, si nous considérions la cause du Christ : Par nous ou par un autre, que ce qui est expédient s'opère ; et, comme dit l'apôtre, « par vérité ou par occasion, que le Christ soit annoncé ». (Ph 1,18) Écoutez ce que dit Moïse, quand on voulut exciter sa colère, parce que Eldad et Moad prophétisaient : « N'ayez point de jalousie à mon sujet; qui me donnera de voir tout le peuple du Seigneur devenir prophète ? » (Nb 11,29) Tout cela vient de l'amour de la renommée. N'est-ce pas là la conduite d'ennemis, d'ennemis déclarés? Quelqu'un vous a-t-il mal parlé? Faites-lui bon accueil. Est-ce possible ? Oui, si vous le voulez. Quel mérite avez-vous, si vous aimez celui qui n'a pour vous que de bonnes (287) paroles? Car vous ne le faites pas pour le Seigneur, mais pour votre renommée. Quelqu'un vous a-t-il fait tort? Faites-lui du bien; car si vous rendez service à ceux qui vous en rendent, vous n'avez rien fait de grand. Avez-vous subi une grande injustice, une grande offense ? Efforcez-vous de rendre le bien pour le mal. Oui, je vous en conjure, agissons ainsi de notre côté; cessons d'offenser et de haïr nos ennemis. Dieu nous ordonne d'aimer nos ennemis, et nous persécutons le Dieu d'amour. Qu'il n'en soit point ainsi. Nous en convenons tous de bouche, mais non tous par nos actions. Telles sont les ténèbres du péché, que ce que nous n'oserions dire, nous l'osons faire. Tirons notre salut de ceux qui nous font tort et outrage, afin d'obtenir ce qui appartient aux amis de Dieu. « Je veux », dit Jésus, « que là où je suis, là soient aussi mes disciples, afin qu'ils voient ma gloire » (Jn 17,24); gloire à laquelle je souhaite que nous arrivions tous en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soit au Père et au Saint-Esprit, gloire, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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HOMÉLIE IV (1,15-17). LA PAROLE EST FIDÈLE ET DIGNE D'ÊTRE REÇUE : LE CHRIST JÉSUS EST VENU DANS LE MONDE POUR SAUVER LES PÉCHEURS,

ENTRE LESQUELS JE SUIS LE PREMIER. MAIS J'AI OBTENU MISÉRICORDE, POUR QU'EN MOI TOUT LE PREMIER JÉSUS-CHRIST FIT VOIR TOUTE SA PATIENCE, AFIN QUE JE SERVISSE D'EXEMPLE A CEUX QUI CROIRONT EN LUI POUR LA VIE ÉTERNELLE. (1Tm 1,15-17)

Analyse

1. La justice légale n'est rien.
2. Humilité de saint Paul.
3. Comment nous pouvons glorifier Dieu.


401 1. Les bienfaits de Dieu sont si grands et dépassent de si loin toute attente et toute espérance humaine, qu'ils trouvent souvent des incrédules. Il nous a en effet accordé ce que jamais n'eût attendu ni pensé l'esprit d'un homme, en sorte que les apôtres ont eu grand'peine à établir la foi aux dons de Dieu. Car, de même qu'éprouvant quelque grand bonheur, on se dit : N'est-ce pas un songe? exprimant ainsi qu'on se défie de sa réalité; de même en est-il des dons de Dieu. Et quel est ce don auquel on ne croit pas? On se demande si les ennemis de Dieu, les pécheurs, ceux qui n'étaient justifiés ni dans la loi ni par les oeuvres, obtiendront réellement tout à coup et par la seule foi, la justification qui est le premier des biens. L'apôtre s'étend sur ce chapitre dans l’épître aux Romains, et il s'y étend ici encore. «La parole est fidèle », dit-il, « et digne d'être reçue : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier ». Car, comme c'était là surtout la doctrine que les juifs avaient peine à suivre, il leur persuade de ne pas s'attacher à la loi, car par elle et sans la foi l'on ne peut être sauvé. Il combat donc sur ce point. Il pensait qu'on jugerait incroyable qu'un homme qui aurait étourdiment dissipé toute sa vie antérieure, et l'aurait salement employée à de mauvaises actions, dût être ensuite sauvé par la seule foi. C'est pour cela qu'il dit : La parole est fidèle. Mais quelques-uns ne se bornaient pas à n'y pas croire, ils s'en faisaient les calomniateurs, comme on le fait maintenant encore, lorsque l'on dit : « Faisons le mal, afin que le bien arrive ». (Rm 3,8) L'apôtre a dit : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Rm 5,20) Mais pourquoi disent-ils : « Faisons le mal afin que le bien arrive? ». Ce sont surtout les gentils qui le disent, tournant en dérision notre doctrine. Lors donc que nous leur parlons de l’enfer; comment, disent-ils, ce dogme est-il digne de Dieu? Si un homme trouve son serviteur coupable de plusieurs fautes, il lui fait grâce et le croit digne de pardon, et Dieu punirait de peines éternelles? Puis, quand nous leur parlons du (288) baptême et de la rémission des péchés conférée par lui, ils nous disent: Comment serait-il digne de Dieu de pardonner les péchés à celui qui a commis tant de fautes? Voyez-vous la perversion de leur pensée, qui cherche surtout à contester? Pourtant, si c'est un mal de pardonner, c'est un bien de punir; s'il n'est pas bien de punir, il est bien de pardonner. Je parle ainsi en me plaçant à leur point de vue ; mais, selon notre doctrine, il est bon de punir et il est bon de pardonner; comment cela ? C'est ce que nous ferons voir dans une autre occasion, car celle-ci n'est pas opportune. C'est une question profonde et digne d'être longuement développée; il faudra donc l'exposer aux yeux de votre charité.

Comment cette parole est-elle fidèle ? On le voit par ce qui précède et par ce qui suit. Considérez comment l'apôtre y prépare les esprits et s'arrête ensuite sur ce point. Quand il a dit que Dieu lui a fait miséricorde, à lui blasphémateur et persécuteur, il préparait l'esprit à cette parole. Non seulement, dit-il, Dieu a eu pitié de moi, mais il m'a rendu fidèle; tant il est vrai qu'il a eu pitié de moi. Car nul, voyant un prisonnier devenu l'hôte du palais, ne doute qu'il ait obtenu sa grâce; et c'est ce qu'on voit en Paul. Mais encore, comment cette parole est-elle fidèle? Il en montre la preuve en lui-même, car il ne craint pas de s'appeler pécheur; mais il se glorifie d'autant plus d'avoir été l'objet d'une si grande bonté, parce que c'est par là surtout qu'il peut montrer la grandeur de la tendresse divine. Et comment ailleurs parle-t-il de lui-même? « Suivant la justice qui est dans la loi, j'étais sans reproche » (Ph 3,6) ; et ici il proclame qu'il était pécheur et le premier des pécheurs. C'est que, suivant la justice qui est l'oeuvre de Dieu et qui est le vrai but de nos devoirs, ceux-mêmes qui sont dans la loi sont des pécheurs. « Car tous ont péché, et ne peuvent atteindre à la gloire de Dieu ». Il n'a pas dit simplement la justice, mais, la justice qui est dans la loi. Car de même que celui qui possède beaucoup d'argent paraît riche, à ne considérer que lui, mais est bien pauvre et le premier des pauvres, si l'on compare ses trésors à ceux de l'empereur; de même ici, les hommes, même justes, sont des pécheurs, si on les compare aux anges. Mais si Paul, ayant pratiqué la justice qui est dans la loi, est le premier des pécheurs, qui, parmi les autres, pourra être appelé juste? Car il ne parle pas ainsi en calomniant sa vie; il ne s'est dit ni impudent, ni débauché, ni avide du bien d'autrui, à Dieu ne plaise; mais, en comparant une justice avec l'autre, il montre que la justice légale n'est rien, et que ceux qui la possèdent sont des pécheurs. — «Mais j'ai obtenu miséricorde, pour qu'en moi tout le a premier, Jésus-Christ fît voir toute sa patience, afin que je servisse d'exemple à tous ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle ».

402 2. Vous voyez comment ici encore l'apôtre s'humilie et s'abaisse, en présentant une autre cause plus humble de sa justification. Obtenir son pardon à cause de son ignorance, ne montre pas que l'on ait été fort coupable ni que l'on ait mérité des reproches bien accablants; mais l'obtenir pour que désormais nul pécheur ne désespère d'obtenir aussi miséricorde, voilà ce qui témoigne d'un grand, d'un extrême abaissement. Et bien qu'il ait dit : « Je suis le premier des pécheurs, blasphémateur, persécuteur et coupable d'outrages » ; et encore: « Je ne suis pas digne d'être nommé apôtre » (1Co 15,9), rien de tout cela, ni de ce qu'il a dit ailleurs n'exprime autant d'humilité. C'est ce qu'une comparaison va éclaircir. Supposez une ville populeuse, dont tous les habitants soient criminels, les uns plus, les autres moins, mais qui tous sont condamnés; que l'un soit plus que tous les autres digne de châtiments et de supplices, qu'il se soit livré à tous les genres de crimes. Si quelqu'un annonce que l'empereur veut pardonner à tous, on ne le croira pas facilement jusqu'à ce qu'on ait vu la grâce accordée au plus coupable ; mais alors il n'y aura plus de doute. Voilà ce que dit Paul, que Dieu voulant remplir les hommes de la confiance qu'il leur pardonne tous leurs péchés, a choisi le plus coupable de tous. Car, dit-il, quand j'obtiens mon pardon, nul ne peut douter du pardon des autres; en sorte qu'on pourrait se servir de la formule : Si Dieu pardonne à celui-là, il ne punira personne. Il exprime par là qu'il n'était point digne de grâce, mais qu'il l'a obtenue en vue du salut des autres. Que personne donc ne doute, dit-il, puisque j'ai été sauvé. Voyez donc l'humilité de ce bienheureux. Il n'a pas dit : Pour que Dieu montre en moi sa patience, mais « toute sa patience » ; comme s'il eût dit : En nul autre, il n'en pouvait montrer davantage; (289) il ne peut trouver un si grand pécheur qui ait besoin de toute sa miséricorde, de toute sa patience et non d'une partie, comme ceux qui ne sont pécheurs qu'en partie. — « Afin que je servisse d'exemple à ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle » ; c'est-à-dire pour leur consolation, pour leur encouragement. Et après avoir dit du Fils cette grande parole sur l'immense charité qu'il a montrée, afin que nul ne suppose qu'il ait voulu priver le Père de la gloire qui lui est due, il la lui rapporte en disant : « Et au roi des siècles, immortel, invisible, Dieu unique, honneur et gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il ». (1Tm 1,17) De ces bienfaits, dit-il, nous glorifions non seulement le Fils, mais le Père. Mais écoutons les hérétiques : Voyez, il a dit : Dieu unique; le, Fils n'est donc pas Dieu; il a dit: Seul immortel; le Fils n'est donc pas immortel. — Eh quoi ! Ce qu'il nous donne après cette vie, il ne le possède pas? Oui, dira l'hérétique, il est Dieu et immortel, mais non comme le Père. — Que voulez-vous dire par là ? — C'est qu'il est d'une moindre substance. — Ainsi il est d'une moindre immortalité? Qu'est-ce donc qu'une immortalité moindre ou plus grand? Car l'immortalité, qu'est-ce autre chose que de ne pas mourir? La gloire peut être plus grande ou plus petite, mais non l'immortalité, non plus que la bonne santé : un être doit mourir, ou ne pas mourir. — Quoi donc, me répondra-t-on, en est-il de nous comme de Dieu? — Non certes; loin de nous une telle pensée. — Et comment l'entendez-vous? — C'est qu'il possède l'immortalité par nature, et que nous l'avons reçue. Mais en, est-il de même du Fils? Nullement, il la possède aussi par nature. — Quelle est donc 1a distinction? — C'est que le Père n'est point engendré d'une autre personne et que le Fils est engendré de,son Père. Nous en convenons; nous ne nions point que le Fils soit engendré immortel du Père. . Nous glorifions le Père de ce qu'il a engendré un tel Fils. Comprenez-vous que le Père est glorifié d'autant plus que le Fils est plus grand ? Car la gloire du Fils lui est rapportée. Ainsi Dieu ayant engendré un, Fils aussi puissant que lui-même, la, gloire en appartient-elle plus au Fils qu'au Père? Il en est de même, quand nous disons que le Fils est puissant par lui-même, qu'il se suffit à lui-même et qu'il possède la force. C'est en parlant du roi des siècles, et c'est de son Fils qu'il est dit « Par lequel il a fait aussi les siècles ». (He 1,2) Voici ce qui se passe en ce monde. Chez nous, la fabrication et la création sont choses bien différentes. L'un se fatigue et s'épuise à effectuer une oeuvre ; un autre en jouit. Pourquoi ? Parce que l'ouvrier est moins puissant. Mais, dans les cieux, autre n'est pas le fabricateur et autre le maître. Ainsi je n'irai pas, à cause de ces mots : « Par lequel il a fait aussi les siècles», enlever au Père la puissance créatrice ; ni à cause de ceux-ci : « Le Père, roi des siècles », enlever au Fils sa souveraineté; l'une et l'autre sont communes à tous les deux. Le Père est l'auteur du monde, puisqu'il a engendré le Démiurge; le Fils est Roi, puisqu'il est maître des créatures. Ce n'est point un ouvrier mercenaire comme les nôtres; il n'est point comme eux un instrument passif; mais il agit par sa propre bonté et son amour pour les hommes. Et le Fils a-t-il été vu? Nul ne l'oserait dire (1). Cependant l'apôtre dit : « Au roi des siècles, immortel, invisible, Dieu unique ». Mais que sera-ce quand l'Ecriture dit aussi : « Il n'est point d'autre nom, dans lequel nous devions être sauvés », et : « Il n'est de salut en aucun autre ? » (Ac 4,12)

1 En dehors de l'Incarnation.

403 3. « Honneur et gloire dans tous les siècles, ainsi soit-il », continue l'apôtre. L'honneur et la gloire ne viennent pas des paroles, et ce n'est pas en paroles que Dieu lui-même nous a honorés, mais par des actes effectifs; nous aussi honorons-le donc par nos actions L'honneur qu'il nous fait nous touche, et celui que nous lui rendons ne l'atteint pas, car il n'a pas besoin de ce qui vient de nous, tandis que nous avons besoin de ses faveurs. En sorte que lui rendre gloire, c'est travailler à notre élévation. De même que celui qui ouvre les yeux pour voir la lumière du soleil, fait un acte utile à lui-même, et qu'en admirant la beauté de cet astre il ne lui fait point une faveur, car il ne le rend pas plus brillant et le soleil demeure ce qu'il est; de même et bien plus encore en est-il par rapport à Dieu celui qui vénère Dieu et lui rend honneur, se sauve lui-même et se procure le plus grand des biens. Comment? Parce qu'il suit la voie de la vertu et est glorifié par Dieu même. « Ceux qui me glorifient, je les glorifierai » dit-il. (1R 2,30) Comment donc dit-il qu'il est glorifié par nous, puisqu'il ne jouit pas de l'honneur que nous lui rendons? Eh ! De même qu'il dit. avoir faim et avoir soif, il s'approprie ce qui est de l'humanité, afin de nous attirer à lui; il s'approprie et les honneurs et les offenses, afin que nous craignions d'en commettre contre nos frères; et nous ne nous laissons pas gagner.

« Glorifions Dieu et exaltons-le dans notre corps » (1Co 6,20) et dans notre esprit. Comment un homme peut-il le glorifier dans son corps? Et comment dans son esprit? L'esprit ici veut dire l'âme, par opposition au corps. Mais comment le glorifier dans son corps? Comment dans son âme? On le glorifie dans son corps en évitant l'impureté, l'ivrognerie, la gourmandise, la vaine parure, en ne prenant de son corps que le soin utile pour la santé; celui-là le glorifie qui ne commet point d'adultère; celle-là, qui ne se parfume point, qui ne farde point son visage, qui se contente de ce que Dieu a formé, sans y rien ajouter par l'art. Pourquoi, en effet, dites-moi, ajouter ce qui vient de vous-même à l'oeuvre que Dieu a parfaite? Vous ne vous êtes pas formée vous-même; et, comme si vous étiez une ouvrière d'un talent supérieur, vous essayez de rectifier l'ouvrage; en vous parant ainsi, vous insultez le Créateur pour vous attirer de nombreux amants. — Mais comment faire, me direz-vous? Je ne le voudrais pas; c'est mon mari qui m'y contraint. — Non, cela n'arrive qu'à celles qui veulent provoquer l'amour. Dieu vous a faite belle, pour être admiré dans son oeuvre et non pour être outragé; ne lui offrez point pour ses dons un tel retour, mais une conduite modeste et réglée. Dieu vous a faite belle pour accroître le mérite de votre retenue ; car on ne peut mettre sur la même ligne la modestie d'une femme pleine d'attraits et celle d'une femme à qui nul ne songera. Ecoutez ce que dit l'Ecriture au sujet de Joseph, «qu'il était jeune et beau de visage ». (Gn 39,6) Que nous fait donc à nous qu'il fût beau ? L'Ecriture le dit pour que nous admirions à la fois sa beauté et sa chasteté. Dieu vous a faite belle ! Pourquoi donc vous défigurer? Celles qui se couvrent d'une couche de fard, ressemblent à l'homme qui barbouillerait de rouge une statue d'or; c'est une boue rouge et blanche que vous répandez sur vous-même.

Mais, dira-t-on, celles qui sont laides ont raison d'en agir ainsi. — Pourquoi donc, dites-moi ? Pour cacher leur laideur? Peine perdue. Quand donc la nature est-elle vaincue par l'artifice? Et après tout, en quoi la laideur vous afflige-t-elle ? Parce qu'on la repousse? Ecoutez cette parole d'un sage : « N'ayez point d'éloignement pour un homme à cause de son aspect, et ne louez point un homme pour sa beauté ». (Si 11,2) Admirez Dieu, le grand artiste, et non un homme qui n'est pas l'auteur de sa propre beauté. Quel avantage apporte la beauté? Aucun, mais plutôt des difficultés plus grandes, plus de malveillance, de dangers et de soupçons. Telle femme n'eût jamais été soupçonnée sans sa beauté; telle autre, si elle n'use d'une réserve consommée, d'une réserve extrême, aura bien vite une mauvaise renommée. Un mari soupçonne celle qui est sa compagne : Que peut-il y avoir de plus pénible? Il ne trouvera point tant de plaisir à la voir que de souffrances dans ses soupçons. Le plaisir s'émousse à la longue; la nonchalance et le laisser-aller pas. sent pour impudence, l'âme devient vulgaire et pleine d'arrogance ; et c'est la beauté surtout qui amène ces malheurs; sans elle, il ne se trouvera plus tant d'inconvénients; sans elle, on ne verra pas des chiens insulter l'agneau, mais il paîtra dans une paix profonde, sans que le loup le trouble et l'attaque, et le berger pourra demeurer assis auprès de lui. Ce qui est extraordinaire, ce n'est pas que l'une soit belle et que l'autre ne le soit pas; c'est qu'une femme ait- de mauvaises moeurs sans être belle, et que celle qui l'est soit vertueuse.

Dites-moi : Quelle est la qualité des yeux? Est-ce d'être humides, bien mobiles, bien arrondis, d'un beau bleu, ou bien d'être clairs et perçants ? C'est assurément d'être perçants, et en voici la preuve : Quelle est la qualité d'une lampe? Est-ce de jeter un vif éclat et d'éclairer toute la maison, ou d'être bien façonnée et bien arrondie? C'est d'éclairer, dirons-nous sans hésiter; c'est ce qu'on recherche en elle, le reste est indifférent. C'est pour cela que nous disons sans cesse à la servante qui en est chargée : Vous avez mal préparé la lampe. C'est que le fait d'une lampe est d'éclairer. L'oeil de même; il n'importe pas qu'il soit de telle ou telle façon, dès lors qu'il remplit convenablement sa fonction; on le dira mauvais s'il a la vue faible, si son organisme laisse à désirer; nous disons de ceux qui n'y (291) voient pas, les yeux ouverts, qu'ils ont des yeux détestables. Nous appelons ainsi tout ce qui ne remplit pas la fonction à laquelle il est destiné, et ne pas bien voir est le défaut des yeux. Et le nez, quelle est sa qualité? Est-ce d'être bien droit, bien lisse des deux côtés? parfaitement symétrique? ou bien d'être bien disposé pour l'odorat, ou bien apte à percevoir promptement les odeurs, pour les transmettre au cerveau? Ceci sera clair pour tout le monde, grâce à cette comparaison : L'instrument appelé croc, quand est-il bien fait? Est-ce quand il peut accrocher fort et retenir, ou quand il est façonné avec élégance? Evidemment, c'est le premier qui est bon. Et les dents, quand dirons-nous qu'elles sont bien faites? quand elles sont bien tranchantes et mâchent facilement la nourriture, ou quand elles sont bien rangées ? Evidemment ce sont les premières. Il en est de même de tout le corps, si nous lui faisons subir la critique de la raison; nous trouverons que les hommes bien portants sont beaux, dès lors que chacun de leurs membres remplit avec exactitude sa fonction spéciale. Ainsi en est-il d'un instrument, d'un animal, d'une plante : ce n'est point d'après ses formes ou sa couleur, mais d'après son usage que nous en jugeons; de même encore nous appelons beau serviteur, celui qui est propre au service et non un jeune et gentil fainéant.

Voyez-vous maintenant ce que c'est qu'être belle ? Lorsque nous jouissons tous de la même façon des avantages les plus grands et les plus magnifiques, nous ne sommes frustrés en rien. Je m'explique : Tous de la même façon nous voyons le monde, le soleil, la lune, les étoiles; nous respirons l'air, nous avons part à l'eau et aux aliments, que nous soyons beaux ou laids. Et s'il faut dire quelque chose de surprenant, celles qui ne sont pas belles, ont une santé plus vigoureuse et jouissent mieux de ces dons. Les belles femmes, en effet, prennent garde aux saisons, ne s'exposent point à la fatigue, mais s'adonnent à l'oisiveté et vivent à l'ombre ; de là vient que leurs facultés physiques sont énervées. Les autres femmes, au contraire, débarrassées de ces soucis, usent simplement et largement de ces facultés.

Ainsi donc « glorifions Dieu et portons-le dans notre corps ». Ne nous parons point c'est là un soin frivole et inutile. N'enseignez point à vos maris à n'aimer que le plaisir des yeux, car s'ils vous voient ainsi parées, ils ne songent qu'à votre visage, ils se laisseront bientôt séduire ; mais si vous leur apprenez à aimer vos moeurs et votre modestie, ils ne seront pas facilement infidèles, car ce ne sont point ces qualités, mais les vices contraires qu'ils trouveront chez une femme sans pudeur. Ne leur enseignez point à se laisser gagner par un sourire, par un extérieur efféminé, de peur de préparer des poisons contre vous-mêmes; apprenez-leur à se plaire à la modestie, et vous leur plairez, si votre extérieur même est modeste; mais si vous êtes évaporées, effrontées, comment pourrez-vous tenir un langage respectable? Qui ne se rira pas de vous, qui ne vous raillera pas? Et qu'est-ce que porter Dieu dans son esprit? C'est pratiquer la vertu, parer son âme, car ceci n'est point défendu. Nous glorifions Dieu, quand nous sommes pleinement vertueux, et nous sommes nous-mêmes glorifiés en même temps, non comme des hommes qui se parent, mais bien autrement: « Car », dit l'apôtre, « j'estime qu'il n'y a point de proportions entre les souffrances du temps présent et la gloire future qui doit se révéler en nous » (Rm 8,18), gloire à laquelle je souhaite que nous ayons tous part en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Chrysostome sur 1Tm 300