Chrysostome sur 1Tm 1100

HOMÉLIE XI (3,8-9). DE MEME, QUE LES DIACRES SOIENT PUDIQUES, SINCÈRES,

QU'ILS NE SOIENT ADONNÉS NI AU VIN, NI A DES PROFITS HONTEUX, ET QU'ILS GARDENT LE MYSTÈRE DE LA FOI DANS UNE CONSCIENCE PURE. QU'ILS SOIENT AUSSI D'ABORD ÉPROUVÉS, PUIS ADMIS A CES FONCTIONS, S'ILS SONT IRRÉPROCHABLES. (1Tm 3,8-9)

Analyse

1. Devoirs des diacres.
2 et 3. De l'usage que l'on doit faire des richesses.



1101 1. L'apôtre, après avoir traité des évêques et les avoir caractérisés, et énoncé les qualités qu'ils doivent avoir et ce dont ils doivent être exempts, passe sous silence l'ordre des prêtres et arrive immédiatement aux diacres. Pourquoi cela? C'est qu'entre les évêques et les prêtres la différence n'est pas grande. C'est que les prêtres ont été institués pour enseigner et pour avoir autorité dans l'église; ce qu'il a dit des évêques s'applique aussi aux prêtres. Ce n'est que par l'ordination que les premiers sont montés plus haut; c'est par là seulement qu'on leur voit un avantage sur les prêtres. — « De même des diacres », il leur demande les mêmes vertus. Et comment les mêmes? D'être irréprochables, prudents, hospitaliers, doux, pacifiques, désintéressés. « Pudiques, sincères », c'est-à-dire, sans vice caché, sans artifices; car rien ne produit la bassesse de l'âme autant que l'artifice, et rien n'est fâcheux dans l'Eglise comme un vice caché. — « Qui ne soient adonnés ni au vin à ni à des profits honteux, et gardent le mystère de la foi dans une conscience pure ». Vous le voyez, il a exprimé ce que c'est qu'être irréprochable. Voyez aussi comment il introduit ici l'idée : « Qu'il ne soit pas néophyte ». Car il ajoute : « Et qu'ils soient d'abord éprouvés»; en sorte que, ce qu'il a exprimé en parlant de l'évêque, il le répète par cette phrase conjonctive, qui ne laisse pas d'idée intermédiaire. Il fait donc entendre là aussi « Qu'il ne soit pas néophyte ». Ne serait-il pas étrange en effet que, dans une maison, l'on ne confie pas le service intérieur à un esclave nouvellement acheté, avant qu'il ait donné, par une expérience répétée, des preuves de son intelligence, et que, dans l'église de Dieu, celui qui arrive du dehors fût immédiatement admis dans les premiers rangs?

« Que de même les femmes », il parle des diaconesses, « soient pudiques, innocentes de calomnie, sobres, fidèles en toutes choses (
1Tm 3,11) ». Quelques-uns pensent que l'apôtre parle des femmes en général, mais il n'en est point ainsi ; comment, en effet, eût-il inséré dans ce qu'il dit ici des préceptes concernant les femmes? Il parle de celles qui possèdent la dignité de diaconesses. « Que les diacres ne soient maris que d'une seule femme (1) (1Tm 3,12) ». Vous le voyez, il demande d'eux aussi cette vertu. Car, s'ils ne sont pas égaux en dignité à l'évêque, ils doivent, comme lui, être irréprochables et purs. « Qu'ils gouvernent bien leurs enfants et leurs maisons. Car les diacres qui auront, bien rempli leur charge, obtiendront un rang honorable et une grande confiance dans la foi en Jésus-Christ (12, 13) ». Partout il parle du gouvernement des enfants, afin d'éviter au peuple le scandale qui résulterait de cet objet. « Car », dit-il, « les diacres qui auront bien rempli leur charge, obtiendront un rang honorable », c'est-à-dire un rang plus élevé, « et une grande confiance dans la foi ». Ceux qui se seront montrés vigilants dans une charge inférieure arriveront promptement aux plus hautes, dit-il.

1. Il convient de l'entendre aussi des diaconesses, car c'est une chose bien nécessaire, profitable et conforme à la régularité des moeurs « que les diacres ne soient maris que d'une seule personne ».

« Je vous écris ces choses, quoique j'espère me rendre promptement auprès de vous; afin que, si je tarde, vous sachiez comment il faut vous conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Eglise du Dieu vivant, la colonne et le fondement de la vérité (1Tm 3,14-15) », Craignant que son disciple ne se décourage à la pensée de régler lui-même tout cela, il ajoute que, s'il écrit, ce n'est pas qu'il n'ait point l'intention de venir, et qu'il viendra, mais pour que, s'il tarde, Timothée ne se chagrine pas. Il lui adresse donc cette épître pour le sauver du découragement, il l'envoie aussi, pour en réveiller d'autres et les rendre plus zélés ; car l'annonce de son arrivée avait un grand pouvoir. Et ne vous étonnez pas si, prévoyant l'avenir par inspiration, il s'en montre ignorant par ces paroles : « J'espère venir, mais si je tarde », paroles qui conviennent à celui qui ignore. Car, puisqu'il était conduit par l'inspiration et n'agissait point par son sentiment propre, il devait ignorer cela. « Afin que vous sachiez », dit-il, « comment il faut vous conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Eglise du Dieu vivant, la colonne et le fondement de la vérité»; ce n'est plus là le temple juif. Ces paroles comprennent la foi et la prédication; car la vérité est la colonne et le fondement de l'Eglise.

« Et sans contredit », ajoute-t-il, «c'est quelque chose de grand que ce mystère d'amour. Dieu a été manifesté dans la chair, justifié dans l'Esprit (1Tm 3,16) ». C'est là l'économie de notre salut, c'est-à-dire, l'incarnation. Ne me parlez pas des clochettes (Ex 28), du Saint des saints, ni du grand prêtre : la colonne du monde, c'est l'Eglise. Méditez ce mystère et vous tremblerez. C'est un mystère, un mystère de piété, sans contredit, et non comme un problème à résoudre, car il n'y a point là de doute. Il n'a, en traitant du sacerdoce, donné aucune de ces règles qu'on voit dans le Lévitique, mais il élève la pensée vers un autre sujet, savoir que l'Auteur du monde a été manifesté dans la chair. « Il a été vu dans la chair», dit-il, « et justifié dans l'Esprit». L'apôtre veut ici ou rappeler cette parole: «Et la sagesse a été justifiée par ses enfants » (Mt 11,19), ou exprimer que le Christ. n'a point commis de fraude, ce que le Prophète exprime en disant : « Qui n'a point, commis de péché; et la fraude ne s'est point trouvée dans sa bouche ». (Is 53,9) « Il a été vu par les anges ». Ainsi les anges n'ont vu qu'avec nous le Fils de Dieu : ils ne le voyaient pas auparavant. Vraiment, c'est là un grand mystère. « Il, a été annoncé aux nations, il a été, cru dans le monde ». Partout sur la terre' on a entendu et cru cet enseignement; ne pensez pas que ce ne soient, là que de vaines paroles. « Il a été élevé dans la gloire. celui que vous voyez élevé au ciel». (Ac 1,11) « Les anges s'approchèrent et ils le servaient ». (Mt 4,11) « Dans toute la terre le bruit s'en est fait entendre ». (Ps 18,5) « Il a été élevé dans la gloire », sur les nuées.

Considérez, je vous prie, la sagesse du bienheureux apôtre. Lorsqu'il a voulu avertir ceux qui sont jugés dignes du diaconat de ne pas se gorger de boisson, il ne leur a pas dit de ne pas s'enivrer, mais de ne pas être adonnés au vin. Car si ceux qui entraient dans le temple n'en goûtaient point, combien plus ceux-ci doivent-ils s'en abstenir. Le vin trouble, en effet, même sans conduire jusqu'à l'ivresse; la vigueur de l'âme se détend, l'harmonie des facultés est détruite. Voyez comment l'apôtre appelle toujours mystère, l'incarnation, et c'est avec raison, car elle n'est visible ni pour les regards des hommes ni pour ceux mêmes des anges; et comment l'eût-elle été puisqu'elle s'est manifestée par l'Eglise ? C'est pour cela qu'il dit : Sans contredit c'est un grand « mystère ». Oui, c'en est un grand qu'un homme soit Dieu et qu'un Dieu soit homme; homme, il a été vu sans péché ; homme, il s'est élevé au ciel et a été prêché dans le monde; les anges l'ont vu avec nous. C'est donc un mystère. Ne le divulguons point, ne l'exposons point en toute occasion, mais menons une vie qui en soit digne. Ceux à qui les mystères sont confiés sont grands. Si l'empereur nous confiait un secret, dites-moi, ne (315) nous témoignerait-il pas ainsi une grande amitié? Maintenant Dieu nous a confié ce mystère. Et comment, direz-vous, appeler mystère ce que tous connaissent? Non, certes, tous ne le connaissent pas. On l'ignorait avant qu'il fût révélé, et c'est maintenant qu'il a été manifesté aux hommes.

1102 2. Rendons-nous donc dignes d'être les gardiens de ce mystère. Dieu nous a confié un mystère si grand ! et nous, nous ne lui confions pas nos biens. Mais lui-même vous dit de les déposer entre ses mains, où personne ne vous les ravira, où les vers ni les voleurs ne sauraient les atteindre; il nous promet de nous les rendre au centuple, et nous ne le croyons pas. Cependant, quand nous confions un dépôt à un homme, il ne nous rend rien de plus, et, s'il nous le rend tout entier, nous en sommes reconnaissants; nous n'exigeons pas, si un voleur l'a ravi, qu'on nous en tienne compte, non plus que si les vers l'ont rongé. Dieu nous rend ici le centuple, il y joint là vie éternelle dans l'autre monde, et personne ne lui confié ses biens. Mais, dit-on, il tarde à les rendre. C'est la plus grande preuve de sa libéralité que de ne pas nous les rendre dans cette vie, sujette à tant d'accidents, mais ici même il nous rend le centuple. Dites-moi, en effet, Paul n'a-t-il pas quitté le tranchet, Pierre la ligne et l'hameçon, Matthieu son bureau, et la terre n'a-t-elle pas été ouverte devant leurs pas plus que devant ceux des rois? N'est-ce pas à leurs pieds qu'étaient déposées les richesses de tous? Ne les en faisait-on pas les dispensateurs et les maîtres? Les âmes ne leur étaient-elles pas confiées, ne s'en remettait-on pas à leur volonté, se déclarant leurs serviteurs ?

Et combien de faits semblables se passent aujourd'hui autour de nous? Combien d'hommes petits et chétifs, ne maniant que le hoyau, ayant à peine la nourriture nécessaire, sont, parce qu'ils portent le nom de moines, élevés à nos yeux au-dessus de tous et honorés par les souverains ? Mais c'est peu ; songez que ce n'est que le surcroît; le principal nous est dispensé dans le siècle à venir. Méprisez les richesses, si vous voulez posséder des richesses; si vous voulez être riche, faites-vous pauvre. Ce sont là les paradoxes de Dieu : il ne veut pas que vous deveniez riche par vos propres efforts, mais par sa grâce. Renonce à cela pour moi, nous dit-il, occupe-toi des objets spirituels, afin d'apprendre à connaître ma puissance; fuis l'esclavage et le joug des richesses. Tant que tu es retenu par elles, tu es pauvre; lorsque tu les auras méprisées, tu seras doublement riche, parce que tout abondera entre tes mains et parce que tu n'auras plus besoin de ce qu'il faut au commun des hommes. Etre riche, en effet, ce n'est pas posséder beaucoup, c'est avoir besoin de peu : en tant qu'il a des besoins, un roi ne diffère pas d'un pauvre. La pauvreté, c'est avoir besoin de ce qu'on n'a pas ; en sorte qu'un roi est pauvre en tant qu'il a besoin de ses sujets. Mais il n'en est pas ainsi de celui qui a crucifié sa chair : il n'a besoin de personne; ses mains suffisent pour le nourrir. « Mes mains nous ont entretenu, mes compagnons et moi ». (
Ac 20,34) Paul exprimait cette pensée quand il disait: « Comme n'ayant rien et possédant tout » (2Co 6,10), lui que les habitants de Lystre ont honoré comme un Dieu. Si vous voulez obtenir le monde, recherchez le ciel; si vous voulez jouir des biens d'ici-bas, méprisez-les. « Cherchez le royaume des cieux », dit le Sauveur, « et tout le reste vous sera donné par surcroît ». (Mt 6,33)

Pourquoi admirer de si petites choses ? Pourquoi cet enthousiasme pour ce qui ne mérite aucune estime? Jusqu'à quand serez-vous pauvre et mendiant ? Levez vos regards vers le ciel, pensez au trésor qu'il renferme, riez-vous de l'or, apprenez-en l'usage et le prix. La jouissance bornée à la vie présente, à cette vie sujette aux accidents, c'est comme un grain de sable ou plutôt comme une goutte d'eau, comparée à un immense abîme; telle est la vie présente comparée à la vie future. Ce n'est point possession, c'est usage; vous n'êtes pas propriétaire, car, dès que vous aurez expiré, que vous le vouliez ou non, d'autres recevront Nos biens et les transmettront encore à d'autres, qui les transmettront à leur tour. Nous sommes tous des hôtes, et le maître d'une maison n'en est que le locataire. Souvent, après sa mort, un autre en jouit plus que lui, et le premier maître n'avait pas une condition différente. Il s'est donné beaucoup de peine pour élever cette demeure et la restaurer; mais la propriété n'est que nominale : en réalité ce que nous avons n'est pas à nous. Nous ne possédons que ce que nous envoyons devant nous dans l'autre monde; ce qui reste (316) sur la terre appartient, non à nous, mais à notre vie, et souvent même nous abandonne de notre vivant. Ce qui est à nous, ce sont uniquement les biens de l'âme, la miséricorde et la bonté. Les biens matériels, ce sont les choses du dehors, suivant l'expression usitée même chez les païens; elles sont effectivement en dehors de nous. Sachons donc les faire passer au nombre des biens qui sont à nous. Celui qui sort de ce monde ne peut emporter ses richesses, mais il peut recevoir miséricorde. Envoyons plutôt ces biens devant nous pour nous préparer un tabernacle dans les demeures éternelles.

1103 3. Le nom que nous donnons aux richesses (khremata) vient de celui de l'usage (kekhrestai) et non de la possession : en avoir, c'est en user et non les posséder. Dites-moi combien de maîtres a eus un champ, et combien il en aura. Il est un proverbe bien sage (car il ne faut pas dédaigner les proverbes populaires s'ils contiennent quelque sage pensée) Champ, dis-moi à combien de gens tu as été, à combien de gens tu seras. Et la même chose doit se dire des maisons et de l'argent. La vertu seule sait nous accompagner dans ce grand voyage et passer avec nous dans l'autre vie. Rompons nos liens, éteignons en nous le désir des richesses, afin de nous attacher à celui des biens futurs. Ces deux amours ne peuvent posséder une même âme. « Car ou elle aimera l'un et haïra l'autre, ou elle s'attachera à l'un et méprisera l'autre ». (Mt 6,24) Considérez, s'il vous plait, un homme traînant à sa suite un grand nombre de serviteurs, faisant reculer la foule, couvert de vêtements de soie, porté sur un cheval et dressant la tête. N'en soyez point ébahi : il n'est que risible. De même que vous riez quand vous voyez des enfants jouer au souverain, faites-en de même en ce cas; l'un ne diffère pas de l'autre, ou plutôt le jeu des enfants est plus acceptable, à cause de la grande simplicité de leur âge. Ils n'en font qu'un sujet de rire et d'amusement, au lieu que cet homme est ridicule et plein d'impudence.

Glorifiez Dieu de ce qu'il vous a éloigné de ce rôle théâtral et de cet orgueil. Si vous le voulez, marchant à pied, vous serez plus élevé que l'homme porté sur un char. Et comment? Parce que, si son corps est quelque peu élevé au-dessus de la terre, son âme y est attachée, « Et ma force s'est attachée à ma chair ». (Ps 101,6) Votre pensée, au contraire, plane dans les cieux. — Cet homme a des serviteurs qui lui font faire place. — Eh bien ! est-ce lui ou son cheval qui est le plus honoré? Quelle pire folie que de chasser des hommes pour qu'un animal ait la voie large devant lui? — Mais il y a quelque chose de respectable à être porté sur un cheval. Cet honneur lui est commun avec ses esclaves. Il est des gens si orgueilleux qu'ils se font suivre sans aucun besoin. Quoi de plus insensé que ceux-là qui veulent attirer les regards par leurs chevaux, la magnificence de leurs habits, les serviteurs qui les suivent? Quoi de plus frivole qu'une gloire qui résulte des chevaux et des serviteurs? Etes-vous vertueux? n'usez point de pareilles choses ; que votre parure soit en vous-même et ne provienne pas d'ornements étrangers. Des misérables, des coquins, des gens grossiers, tout homme enfin, pourvu qu'il soit riche, peut en avoir autant. Des mimes et des danseurs vont à cheval et ont un serviteur qui court devant eux; ils n'en sont pas moins des mimes et des danseurs; leurs chevaux et leurs suivants ne les ont pas rendus vénérables. Lorsqu'un homme entouré de cet appareil ne possède aucun des biens de l'âme, tous ces avantages extérieurs sont vains et sans valeur. De même que tout ce dont on revêt un corps débile et corrompu ne l'empêche pas d'être repoussant et corrompu; de même ici l'âme ne tire aucun avantage de ces objets extérieurs, mais demeure corrompue, s'entourât-on de mille bijoux. N'en soyons donc point fascinés; éloignons-nous des avantages qui passent, attachons-nous à de plus grands biens, aux biens spirituels, qui nous rendent vraiment respectables, afin d'obtenir le bonheur à venir. Soyons-en tous jugés dignes en le Christ Jésus Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.



1200

HOMÉLIE XII (4,1-10). L'ESPRIT DIT EXPRESSÉMENT QUE, DANS LES TEMPS ULTÉRIEURS, DES HOMMES S'ÉLOIGNERONT DE LA FOI,

S'ATTACHANT A DES ESPRITS D'ERREUR ET AUX ENSEIGNEMENTS DES DÉMONS, AVEC L'HYPOCRISIE DE CEUX QUI PROFÈRENT LE MENSONGE, QUI ONT CAUTÉRISÉ LEUR CONSCIENCE, PROHIBENT LE MARIAGE, ENSEIGNENT L'ABSTINENCE DES ALIMENTS QUE DIEU A CRÉÉS, POUR QUE LES FIDÈLES QUI RECONNAISSENT LA VÉRITÉ, EN USENT AVEC ACTIONS DE GRACES. EN EFFET, TOUTE CRÉATURE DE DIEU EST BONNE, ET L'ON NE DOIT REJETER RIEN DE CE QU'ON REÇOIT AVEC ACTIONS DE GRACES, CAR TOUT OBJET EST SANCTIFIÉ PAR LA PAROLE DE DIEU ET L'ORAISON. (1Tm 4,1-10)

Analyse.

1. L'hérésie demeure en une fluctuation perpétuelle. — Les manichéens, les encratites, les marcionites.
2, 3. Les observances judaïques ont fait leur temps. — La foi et la piété, tout est là.
4. Contre les avares.

1201 1. De même que ceux qui s'attachent à la foi mouillent sur une ancre solide, de même ceux qui l'ont perdue ne peuvent s'arrêter nulle part, mais, errant çà et là en de nombreuses erreurs, ils sont enfin entraînés aux abîmes de la perdition. L'apôtre l'a déjà exprimé, quand il a dit que quelques-uns ont fait naufrage dans la foi, et maintenant il ajoute : « L'Esprit dit expressément que, dans les temps ultérieurs, des hommes s'éloigneront de la foi, s'attachant à des esprits d'erreur». C'est des manichéens, des encratites, des marcionites et de toute cette officine, que parle l'apôtre en disant : « Dans les temps ultérieurs, des hommes s'éloigneront de la foi ». Vous voyez que la cause de tous les maux qu'il prédit est l'éloignement de la foi. Et que veut dire le mot « expressément? » Il veut dire: évidemment, clairement, sans contredit ni discussion. Ne vous étonnez pas, dit-il, si ceux qui se sont éloignés de la foi judaïsent encore; il viendra un temps où ceux qui auront reçu la foi feront pis; ils ne s'en prendront plus seulement aux aliments, mais au mariage, appliquant à tous ces objets leurs funestes conseils. Ce n'est pas des Juifs qu'il parle; car comment alors dirait-il : « Dans les temps ultérieurs » et « s'éloigneront de la foi », mais bien des Manichéens et de leurs docteurs. Il les appelle esprits d'erreur, et avec raison, car ce sont des esprits d'erreur qui leur inspirent cet enseignement. Et que veulent dire ces mots : « Avec l'hypocrisie de ceux qui profèrent le mensonge? » C'est que leurs fausses doctrines, ils ne les débitent pas par ignorance, ne sachant ce qu'ils font, mais par feinte, sachant ce qui est vrai, mais ayant cautérisé leur conscience, c'est-à-dire, ayant une vie perverse. Et pourquoi n'a-t-il prophétisé que ces hérétiques? Ce ne sont pas les seuls dont le Christ a dit : « Il faut qu'il vienne des scandales ». (Mt 18,7) Et ailleurs il a prédit la zizanie poussant dans le champ du père de famille. Mais admirez la prophétie de Paul. Avant les temps où les choses devaient arriver, il en indiquait le temps même. Ne soyez donc pas surpris, si, maintenant que les doctrines de la foi dominent, quelques hommes s'efforcent de glisser parmi nous ces dogmes funestes; longtemps après l'affermissement de la foi plusieurs l'abandonnèrent.

« Prohibent le mariage, enseignent l'abstinence des aliments ». Mais pourquoi donc ne parle-t-il pas des autres hérésies? Il y a fait allusion par ces mots : « Esprits d'erreur » et « enseignements des démons ». Mais il ne voulait pas les semer dès lors dans les âmes; il a seulement désigné ce qui avait commencé à se produire, ce qui concerne les aliments. — « Que Dieu a créés pour l'usage des fidèles qui reconnaissent la vérité ». Ne les a-t-il donc pas créés pour les infidèles? Et comment cela, puisqu'ils s'en écartent eux-mêmes par les lois qu'ils s'imposent? Mais quoi, la vie sensuelle n'est-elle pas prohibée ? — Energiquement. — Pourquoi, si les aliments sont créés pour que nous en usions? Parce que Dieu a créé le pain et défendu l'intempérance, créé le vin et défendu l'intempérance. (318) Ce n'est pas comme impure en elle-même qu'il nous défend la mollesse, mais parce qu'elle énerve l'âme par l'intempérance. « En « effet, toute créature de Dieu est bonne, et « Ton ne doit rejeter rien de ce qu'on reçoit « avec actions de grâces ». Ce que Dieu a créé est bon. « Et tout était très-bon ». (Gn 1,31) En disant: Créature de Dieu, il a fait entendre tous les aliments, et d'avance il repousse l'hérésie de ceux qui prêchent une matière éternelle et disent que les aliments en proviennent. Mais, si les créatures sont bonnes, pourquoi ajoute-t-il : Sanctifié par la parole et par l'oraison ? Car ce qui est sanctifié devait être impur. Ce n'est point cela, mais il parle ici contre ceux qui croient que certains objets sont immondes par eux-mêmes. Il établit donc deux principes, l'un que nulle créature n'est immonde, l'autre que si elle l'était vous avez un remède à y apporter. Faites le signe de la croix, rendez grâces, glorifiez Dieu, et toute impureté s'évanouit. Mais, dira-t-on, pouvons-nous purifier ainsi même ce qui est immolé aux idoles? Oui, si vous ignorez que ce soit immolé aux idoles; si vous le savez et que vous en usiez, vous serez impur, non parce que l'objet a été immolé, mais parce que, ayant reçu la défense d'avoir rien de commun avec les démons, vous l'avez ainsi violée. Ce n'est pas l'objet qui est impur par sa nature, mais il l'est devenu par suite de votre libre arbitre et de votre désobéissance. La chair de porc n'est-elle donc pas impure? Non, si on la prend avec actions de grâces, après avoir fait le signe de la croix, et nul autre aliment non plus : c'est la volonté qui est impure, lorsqu'elle ne rend pas grâces à Dieu.

« En présentant cette doctrine à vos frères, vous serez un bon serviteur de Jésus-Christ, nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que vous avez suivie (6) ». Que veut dire l'apôtre? Ce qu'il à exprimé en disant que c'est un grand mystère, et que s'abstenir de ces aliments est l'oeuvre des démons, parce qu'ils sont purifiés par la parole de Dieu et l'oraison. « Nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que vous avez suivie. Eloignez-vous des fables profanes et dignes de et vieilles femmes; exercez-vous à la piété (1Tm 4,6-7) ». « En présentant cette doctrine » : vous voyez que nulle part ici il n'est question de puissante impérieuse, mais de condescendance. « En présentant », dit-il. Il n'a pas dit: En ordonnant, en prescrivant, mais: En présentant. — Présentez-la comme si vous donniez un avis; provoquez des entretiens sur la foi. « Nourri », dit-il encore, montrant ainsi la perpétuité du zèle pour la bonne doctrine.

1202 2. Car de même que nous demandons notre pain quotidien, de même nous recevons sans cesse des paroles de foi, qui sont pour nous une nourriture perpétuelle. « Nourri », c’est-à-dire, les digérant, les retournant sans cesse, les méditant toujours; car ce n'est pas une les vulgaire. « Eloignez-vous des tables profanes et dignes de vieilles femmes ». Quelles sont ces fables? Les observances judaïques. Il les appelle fables; elles le sont assurément, soit comme ajoutées à la parole de Dieu, soit comme n'étant plus de saison. Ce qui vient en son temps est utile; hors delà ce n'est plus seulement inutile, mais nuisible. Imaginez un homme de plus de vingt ans venant téter sa nourrice, combien ne se rendrait-il pas ridicule? Vous voyez donc dans quel sens l'apôtre dit que ces enseignements sont coupables et dignes de vieilles femmes, parce qu'ils sont d'un autre temps et forment obstacle à la foi. Ramener sous la loi de crainte une âme qui s'est élevée plus haut, c'est un précepte coupable. « Exercez-vous à la piété», c'est-à-dire, à une foi pure, à une vie droite, car c'est en cela que consiste la piété. Nous avons donc besoin de nous y exercer. « L'exercice corporel », continue l'apôtre, « n'a qu'une mince utilité (1Tm 4,8) ». Quelques-uns pensent qu'il parle ici du jeûne, mais loin de nous cette pensée ; ce n'est pas là un exercice corporel, mais spirituel. S'il était corporel il nourrirait le corps, s'il le dessèche et l'amaigrit, il n'est pas corporel. Ce n'est donc point des mortifications du corps que parle ici l'apôtre ; nous avons besoin d'exercer notre âme. L'exercice corporel ne produit pas d'avantage réel, mais seulement quelque utilité pour le corps; celui de la piété rend du fruit pour l'avenir, et nous le -recueillons en ce monde et dans le ciel.

« Cette parole est fidèle (1Tm 4,9) », c'est-à-dire vraie, pour ce monde et pour l'autre (1). Considérez comment Paul ramène partout cette pensée;. il n'a pas besoin de prouver, mais seulement d'affirmer, parce que c'est à Timothée qu'il s'adresse. Oui, nous vivons ici dans d'heureuses espérances. Celui dont la conscience est sans reproche, qui sans cesse agit avec droiture, se sent heureux, même en ce monde; de même que le méchant est châtié non-seulement dans la vie future, mais dans celle-ci, vivant sans cesse dans la crainte, n'osant regarder personne avec aisance, tremblant, pâlissant, tourmenté. N'est-il pas vrai que les hommes cupides et voleurs ne sont jamais rassurés sur ce qu'ils possèdent ? Que les adultères, les meurtriers mènent une vie fort misérable, n'osant lever les yeux sans inquiétude même sur le soleil ? Est-ce là vivre ? Non certes; c'est une mort douloureuse. « C'est pour cela », dit l'apôtre, « que nous supportons les fatigues et les outrages, parce que nous avons mis notre espérance au Dieu vivant, qui est Sauveur de tous les hommes et surtout des fidèles (40) ». Comme s'il disait Pourquoi nous imposer tant de peines, si nous n'attendons pas les biens futurs ? Pourquoi tous les hommes nous outragent-ils ? Tout ce que nous avons souffert n'est-il pas terrible? Et avons-nous souffert en vain tant d'injures, d'outrages et de maux de toute sorte? Si nous n'avons pas mis notre espérance dans le Dieu vivant, pourquoi les avons-nous supportés? S'il sauve les infidèles en ce monde, combien plus les fidèles dans l'autre? De quel salut veut-il parler? De celui de l'autre vie. — « Qui est le Sauveur de tous les hommes et «surtout des fidèles n, ce qui signifie qu'il leur témoigne un soin plus grand. Il a d'abord parlé de cette vie. Et comment, dira-t-on, Dieu est-il le Sauveur des fidèles? S'il ne l'était pas, il ne les eût pas garantis de leur perte, quand ils sont attaqués de toutes parts. En cette vie il exhorte le fidèle à affronter les dangers, à ne pas se laisser abattre, quand il a un Dieu si bon, à ne pas réclamer une assistance étrangère, mais à tout supporter de bon coeur et avec générosité. Ceux, en effet, qui aspirent aux biens de la vie affrontent les soucis, lorsqu'ils aperçoivent l'espoir d'un gain.

1 On lit à la fin du verset précédent : La piété est utile à tout, elle contient la promesse de la vie présente et de la vie future.

Enfin viendront les derniers temps : « Dans les temps ultérieurs», a dit l'apôtre, « des hommes s'éloigneront de la foi, s'attachant à des esprits d'erreur et aux enseignements des démons, avec l'hypocrisie de ceux qui profèrent des mensonges, qui ont cautérisé leur conscience, prohibent le mariage ». Mais quoi, dira-t-on, ne prohibons-nous pas nous-mêmes le mariage? Non certes, à Dieu ne plaise, nous ne le défendons pas à ceux qui le désirent, mais ceux qui ne le désirent pas, nous les exhortons à la virginité. Autre chose est prohiber, autre chose est laisser maître de son choix : celui qui impose une prohibition le fait d'une manière absolue ; celui qui exhorte à la virginité comme à quelque chose de plus grand ne prohibe point le mariage; il s'en tient au conseil. « Prohibent le mariage, enseignent l'abstinence des aliments que Dieu a créés, pour que les fidèles, qui reconnaissent la vérité, en usent avec actions de grâces ». L'apôtre a bien dit : Qui « reconnaissent » la vérité. L'état ancien n'était qu'une figure : il n'y a pas de viande impure par elle-même; elle ne le devient que par rapport à la conscience de celui qui en use. Pourquoi Dieu a-t-il interdit aux Juifs tant d'aliments? Pour réprimer leur grande sensualité. S'il leur eût dit : Ne faites pas de repas sensuels, ils ne se fussent abstenus de rien; il a donc renfermé cette règle sous l'obligation de la loi, afin de les contenir par une crainte plus grande. Il est évident que le poisson est plus impur que le porc; cependant Dieu ne l'a pas interdit. Pour savoir combien ils étaient en proie à la sensualité, écoutez ce que dit Moïse « Le bien-aimé a mangé, il s'est engraissé, il s'est épaissi, il a regimbé ». (Dt 32,15) Il y a aussi une autre cause. Dieu défendait aux Juifs, qui allaient vivre dans un pays resserré, d'user des autres animaux, afin qu'ils fussent contraints de se nourrir de boeufs et d'égorger des brebis, prescription sage à cause d'Apis et du veau ; car Apis était impur, odieux à Dieu, souillé, profane.


1203 3. Mettez ces objets sous vos yeux, méditez-les ; car c'est ce que l'apôtre fait entendre par ces mots : « Nourri des paroles de la foi ». Ne vous bornez pas à exhorter les autres, mais méditez-les vous-même. « Nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que vous avez suivie. Eloignez-vous des fables profanes et dignes de vieilles femmes ». Pourquoi Paul n'a-t-il pas dit : Abstenez-vous, mais : Eloignez-vous? Ne descendez point à disputer contre ces hommes, mais exhortez ceux qui vous sont confiés à repousser ces doctrines. Car on ne saurait rien gagner à lutter ainsi contre ceux qui se sont détournés de la voie de Dieu, sauf le cas où nous penserions qu'il y eût scandale, parce que nous (320) paraîtrions nous refuser à la discussion, faute de bonnes raisons. « Exercez-vous à la piété u; or la piété a pour objet une vie pure, une conduite excellente. Celui qui s'exerce aux luttes gymnastiques, se conduit en tout comme un athlète, même en dehors du temps destiné aux combats ; il supporte les abstinences prescrites et des sueurs fréquentes. « Exercez-vous à la piété », dit le texte ; « car l'exercice corporel n'a qu'une mince utilité; mais la piété est utile à tout, ayant les promesses de la vie présente et de la vie future ». Pourquoi a-t-il rappelé ici l'exercice corporel? Pour montrer, par la comparaison, la supériorité de l'autre, parce que le premier exige de nombreuses fatigues, sans apporter d'avantage qui mérite qu'on en tienne compte, tandis que l'exercice de l'âme en apporte de perpétuels et d'immenses. De même il dit aux femmes de se parer, non avec des frisures, de l'or, des perles et de somptueux vêtements, mais comme il convient à des femmes qui enseignent la piété par leurs bonnes oeuvres.

« Cette parole est fidèle et digne d'être reçue par tous. C'est pour cela que nous supportons les fatigues et les outrages ». Paul supportait les outrages, et vous les trouvez insupportables? Paul supportait les fatigues et vous voulez vivre dans la mollesse? S'il y eût vécu, il n'eût pas obtenu ces grands biens. Car si les biens précaires et corruptibles de cette vie ne s'acquièrent jamais sans travaux et sans sueurs, à combien plus forte raison les biens spirituels ! — Mais, dira-t-on, il en est beaucoup qui reçoivent ceux de cette vie par héritage. — Dans ce cas même, la garde et la conservation des richesses n'est pas dépourvue de peines, et le riche n'éprouve pas moins de fatigues et de chagrins que les autres. Et d'ailleurs combien, après mille fatigues et mille soucis, ont vu s'évanouir leur fortune, assaillis à l'entrée du port par un coup de vent subit et faisant naufrage au plus beau de leurs espérances. Pour nous, rien de semblable : c'est Dieu qui est l'auteur de la promesse et « l'espérance ne et confond point ». (
Rm 5,5) Ne savez-vous pas, vous aussi, qui vous agitez dans les affaires de la vie, combien, après d'innombrables travaux, n'en ont point recueilli le fruit, soit parce que la mort les a enlevés auparavant, soit parce qu'un revers est survenu, une maladie les a atteints, des calomniateurs les ont attaqués, soit que toute autre cause des accidents humains sont nombreux) les ait entraînés les mains vides? — Mais, me répondra-t-on, ne voyez-vous pas ceux qui réussissent, ceux qui, avec peu de peine, se procurent de grands biens? — Et quels biens? Des richesses, des maisons, tant et tant d'arpents de terre, des troupeaux d'esclaves, un grand poids d'argent et d'or ? C'est là ce que vous appelez des biens? Et vous ne vous couvrez pas le visage? Et vous ne vous cachez pas sous terre, homme instruit dans la philosophie du ciel et qui aspirez aux choses terrestres, qui appelez biens ce qui ne mérite pas qu'on en parle? Suce sont des biens, il faut donc appeler bons ceux qui les possèdent; car celui qui possède le bien, comment ne serait-il pas bon?

Eh ! dites-moi : lorsque ces riches sont injustes et voleurs, dirons-nous qu'ils sont bons? Car, si la richesse amassée par la fraude est un bien, plus elle s'accroît plus on devra juger bon celui qui la possède. L'homme d'une cupidité sans frein est donc un homme de bien, et, si la richesse est bonne, celui qui l'augmente ainsi sera d'autant meilleur qu'il aura fraudé davantage. Voyez-vous la contradiction? — Mais, répondra-t-on, s'il n'a dépouillé personne? — Comment cela se peut-il ?la passion est funeste — mais on le peut — non, non cela n'est pas; le Christ l'a témoigné en disant : Faites-vous des amis des richesses d'iniquité. (Lc 16,9) — Mais quoi, si on a reçu l'héritage de son père? — Eh bien, on a reçu le fruit de l'iniquité. Ce n'est pas depuis Adam que sa famille est riche; il est probable que beaucoup de ses ancêtres ont vécu obscurs et qu'il s'en est trouvé un qui s'est enrichi en usurpant le bien d'autrui. — Mais Abraham possédait-il des richesses injustes? et Job, l'homme sans reproche, juste, véridique, pieux, qui s'abstenait de tout mal? Leurs richesses ne consistaient pas dans l'or, dans l'argent ni dans les édifices, mais en troupeaux, et celui-ci fut enrichi par Dieu (1). Qu'il fût riche en troupeaux, cela résulte manifestement du texte où l'écrivain, énumérant ce qui arriva à ce saint personnage, dit que ses chameaux, ses cavales et ses ânes périrent, mais ne dit pas que l'on vint lui enlever son or. Abraham était riche en serviteurs. Quoi donc, les avait-il achetés ? Nullement; c'est pourquoi l'Ecriture dit que ses trois cent dix-huit serviteurs étaient nés chez lui. Il avait aussi des brebis et des boeufs. Comment donc put-il envoyer des bijoux d'or à Rébecca ? C'est qu'il avait reçu des présents de l'Égypte, mais il n'avait commis ni violence ni fraude.

1. Theoploutos, obscurius dictum, dit ici Field, dans une note. Montf. : Etiam secundum Deum dives erat. Mais voyez Job. XLII, 12.


1204 4. Et vous, dites-moi, comment êtes-vous riche? — J'ai hérité de mes biens. — Et de qui cet autre les a-t-il reçus? — De mon aïeul. — Et de qui celui-là? — De son père. — Pourrez-vous, en remontant à plusieurs générations, me montrer que vos richesses sont légitimes? Non, vous ne le pourrez pas; il,faut que la racine et l'origine soient entachées d'injustice. Et comment? Parce que Dieu, à l'origine, n'a point créé de riche ni de pauvre ; il n'a pas non plus amené l'un en présence d'une masse d'or, empêchant l'autre de le découvrir, mais il a livré à tous la même terre. Comment donc, lorsqu'elle est commune, l'un en possède-t-il tant et tant d'arpents et l'autre pas une motte? — C'est mon père, répondez-vous, qui me les a transmis. — Mais de qui les avait-il reçus? — De ses ancêtres. — Il faut pourtant arriver à un premier terme. Jacob est devenu riche, mais en recevant la récompense de ses peines. Pourtant je ne veux pas creuser cette difficulté ; soit : il y a une richesse légitime, pure de toute rapine ; vous n'êtes pas responsable des gains illicites de votre père; vous possédez le fruit de la rapine, mais vous n'avez pas volé vous-même. Je vous accorderai même que votre père n'a pas volé non plus, mais qu'il s'est trouvé en possession de cet or, qui a jailli du sein de la terre. Eh bien, la richesse est-elle bonne à cause de cela? — Non, sans doute, direz-vous, mais elle n'est pas non plus mauvaise. — Elle ne l'est pas, si le riche n'a pas commis de rapines et en a fait part à ceux qui sont dans le besoin; mais s'il a refusé de le faire, elle est mauvaise et pleine d'embûches. — Mais, tant qu'elle ne cause pas de mal, elle n'est pas mauvaise, quand même elle n'opérerait pas de bien. — Soit; mais n'est-ce pas un mal que de retenir seul ce qui appartient au Seigneur, que de jouir seul du bien qui est à tous? et la terre n'est-elle pas à Dieu, avec tout ce qu'elle renferme? Si donc nos richesses appartiennent au Seigneur du monde, elles sont aux hommes qui sont ses serviteurs comme nous; car tout ce qui appartient au Seigneur est pour l'usage de tous. Ne voyons-nous pas que, dans les grandes maisons, les choses sont ainsi réglées, c'est-à-dire que la nourriture est également partagée à tous, comme sortant de la provision du maître, et sa maison étant destinée à l'entretien de tous? Ce qui appartient à l'État, les villes, les places, les promenades sont communes à tous; nous y avons tous part également.

Considérez l'économie divine : Dieu, pour faire rougir les hommes, a mis en commun certains objets, tels que l'air, le soleil, l'eau, la terre, le ciel, la mer, la lumière, les astres, et nous en a fait part également comme à des frères; le Créateur a donné semblablement à tous des yeux, un corps, une âme, la même nature; tout provient de la terre, tous proviennent d'un seul homme, tous ont une même demeure. Mais rien de tout cela ne fait honte à notre avarice. Il a mis encore en commun d'autres objets, les bains, les villes, les places, les promenades. Voyez, rien de tout cela n'engendre de luttes, et l'on en jouit en paix; c'est quand un homme essaie de tirer à lui et de s'approprier un objet que la querelle commence; comme si la nature elle-même s'indignait de ce que Dieu nous ayant réunis pour vivre en société, nous nous querellons pour nous diviser, et dépeçons ces objets pour nous les approprier, pour user des mots le tien et le mien. C'est alors qu'ont lieu la lutte et la souffrance. Mais, pour les biens communs, ce fait ne se produit pas; on ne voit ni lutte ni querelle. C'est donc là notre destinée la plus réelle et la plus conforme à la nature. Pourquoi jamais personne n'a-t-il un procès au sujet d'une place publique? C'est parce qu'elle est commune à tous; tandis qu'à chaque instant nous en voyons pour une maison ou pour de l'argent. Ce qui est nécessaire nous est offert en commun, mais nous ne savons pas maintenir là communauté dans les objets de mince importance. Dieu nous a livré ceux-là en commun, pour nous apprendre ainsi à jouir en commun des autres; mais cela même ne suffit point à nous instruire.

Et, comme je le disais, comment celui qui possède la richesse serait-il bon? C'est impossible; il ne le devient que s'il en fait part à d'autres; s'il s'en dépouille, c'est alors qu'il est bon; tant qu'il la retient, il ne l'est pas. Est-ce donc un bien, ce qui nous fait méchants quand on le conserve, et bons quand on s'en dépouille? Ce n'est donc pas posséder des trésors, qui est un bien; c'est quand il ne les a plus (322) qu'un homme se montre bon. La richesse n'est donc pas un bien, si la refuser, quand vous pouvez la recevoir, vous fait homme de bien. Si donc nous le sommes, en faisant part à d'autres de la richesse, quand nous la possédons, et en ne l'acceptant pas, quand on nous la donne; si nous ne le sommes pas, quand nous la recevons ou l'acquérons, comment serait-elle un bien? Ne l'appelez donc point ainsi. Vous n'êtes pas le maître de votre or, parce que vous le regardez comme un bien, parce que vous vous laissez enchanter par lui. Purifiez votre entendement, ayez un jugement sain, et vous deviendrez alors un homme vertueux; apprenez à connaître les vrais biens. Et quels sont-ils? La vertu, la bonté, voilà les biens; ce n'est pas la richesse. Suivant cette règle, plus vous serez généreux en aumônes, plus vous serez homme de Dieu, en réalité et dans l'estime des hommes; mais non, si vous gardez vos richesses. Devenons vertueux, et afin de l'être et afin d'obtenir les biens futurs en le Christ Jésus, Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.



1300

HOMÉLIE XIII (4,11-5,7). PRESCRIVEZ ET ENSEIGNEZ CELA. QUE NUL NE MÉPRISE VOTRE JEUNESSE,


Chrysostome sur 1Tm 1100