Bernard sur Cant. 52

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SERMON LII.

Du ravissement qu'on appelle contemplation, dans lequel l'Époux fait reposer l'âme sainte et se met en peine de lui assurer le calme et la paix.

«Je vous conjurer filles de Jérusalem, parles chevreuils et les cerfs de la campagne de ne point éveiller ma bien-aimée jusqu'à ce qu'elle le veuille bien (Ct 27,1).» C'est aux jeunes filles que cette défense s'adresse. Et il les appelle filles de Jérusalem, parce que bien qu'elles soient délicates et faibles, comme n'ayant encore que les affections et les oeuvres des femmes, elles sont néanmoins attachées à l'Époux dans l'espérance de profiter et d'arriver avec elle à Jérusalem. On leur défend donc de troubler le sommeil de l'Épouse, et de l'éveiller malgré elle. Car son très-doux Époux a mis sa main gauche sous sa tête, comme nous l'avons vu, afin de la faire reposer et dormir dans son sein. Et maintenant par un excès de bonté et d'amour, il veut bien être son gardien et veiller sur elle, de peur qu'étant inquiétée par les nombreuses et petites exigences des jeunes filles, elle ne vienne à s'éveiller. Voilà pour ce qui est de la lettre. Mais quant à ce que l'Époux les conjure par les chevreuils et par les cerfs de la campagne, il semble que cela n'ait aucune liaison raisonnable dans le sens littéral. C'est pourquoi il faut l'expliquer absolument selon l'intelligence spirituelle; quoi qu'il en soit, nous pourrons dire aussi, qu'il fait bon ici à contempler un peu la bonté, la douceur, et la miséricorde de Dieu. Car qu'est-ce qu'un homme a jamais expérimenté de plus doux dans l'affection humaine, que ce qui est dit ici de l'amour du Très-Haut. Et celui qui parle ainsi pénètre les plus sublimes secrets de la divinité, il ne peut pas les ignorer, il est son esprit; ai dire autre chose que ce qu'il a vu en lui, il est l'esprit de vérité.

2. Nous en avons parmi nous, qui ont été assez heureux pour mériter de goûter cette joie, et de sentir par leur propre expérience les effets d'un mystère si plein de douceur: à moins que nous ne voulions point ajouter foi à ce que dit l'Écriture en cet endroit où l'Époux céleste nous est montré évidemment touché d'un zèle ardent pour le repos d'une bien-aimée qu'il a soin de tenir entre ses bras pendant qu'elle dort, de peur qu'un sommeil agréable ne soit troublé par quelque importun ou quelque fâcheux. Je ne me sens pas de joie de voir que cette souveraine Majesté ne dédaigne pas de s'abaisser jusqu'à la faiblesse de notre nature par un commerce si doux et si familier, et que cette divinité suprême veuille bien prendre pour son Épouse une âme qui est dans un lieu d'exil, et lui témoigner la passion d'un Époux épris d'un amour très-ardent. Je ne doute point qu'il en soit dans le ciel comme je vois qu'il en est sur la terre et que l'âme ne sente ce qui est exprimé dans ce Cantique, à moins qu'on veuille dire qu'il est impossible de décrire, par des paroles, ce qu'elle pourra éprouver à cette heure. Que pensez-vous que reçoive là-haut celle à qui on témoigne ici-bas tant d'amour, qu'elle se sent déjà entre les bras de Dieu, repose dans le sein de Dieu, est gardée, veillée par Dieu, de peur que quelqu'un né la réveille avant qu'elle s'éveille d'elle-même.

3. Disons donc, si nous le pouvons, quel est ce sommeil dont l'Époux désire que dorme sa bien-aimée, et ne veut pas qu'on l'éveille, si elle ne s'éveille d'elle-même, de peur que quelqu'un venant à lui, ne dise ce qu'on lit dans l'Apôtre: «Il est temps de quitter le sommeil (Rm 13,11),» ou dans le Prophète, «qu'il prie Dieu d'éclairer ses yeux (Ps 12,4),» afin qu'il ne s'endorme jamais du sommeil de la mort, il ne soit troublé par quelque équivoque, et ne se fasse pas une juste idée du sommeil de l'Épouse, dont il est parlé en cet endroit. Or, il n'était pas semblable non plus à celui dont le Sauveur parle dans l'Évangile, au sujet de Lazare, quand il dit: «Lazare notre ami dort: allons, réveillons-le de ce sommeil (Jn 11,2).» Par ces mots, en effet, il entendait la mort du corps, au lieu que les disciples s'imaginaient qu'il parlait d'un véritable sommeil. Le sommeil de l'Épouse n'est point ce sommeil tranquille du corps, qui plonge les sens dans un doux assoupissement, ni ce sommeil horrible qui a ôté entièrement la vie. Il est encore bien plus éloigné de cet autre sommeil, giri fait qu'on s'endort dans la mort, en persévérant dans le péché mortel. Au contraire celui-ci qu'on peut appeler un sommeil de vie et un sommeil vigilant, illumine les sens intérieurs, bannit la mort, et communique une vie immortelle. C'est vraiment un sommeil qui, néanmoins, n'assoupit pas les sens, mais les transporte, et les ravit. Je puis dire même, sans crainte de me tromper, comme disait l'Apôtre pour louer quelques personnes vivant encore de la vie du corps, dit «Vous êtes mortes, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu.»

4. Je puis donc, sans aucune absurdité, appeler mort l'extase de l'Épouse, mais n'est une mort qui, bien loin de lui ôter la vie,la délivre au contraire de ses filets, en sorte qu'elle peut dire: «Notre âme s'est sauvée comme un oiseau qui s'échappe du filet des oiseleurs (Ps 74,7).» Car on marche en cette vie comme au milieu des filets, et l'âme ne les appréhende point, toutes les fois qu'elle est ravie hors d'elle-même, par une juste et sainte pensée, si néanmoins elle s'en retire et s'en sépare de sorte qu'elle aille au-delà de la façon ordinaire de penser. Car, comme dit le Sage: «C'est en vain qu'on jette le filet devant les oiseaux qui ont des ailes pour s'envoler (Pr 1,17) .» Au fait, comment craindrait-on l'impureté, lorsqu'on ne sent pas seulement la vie. Car lorsque l'âme sort sinon de la vie, du moins des sens de la vie, il est hors de doute qu'elle ne sent point non plus les tentations de la vie. «Qui me donnera des ailes de colombe pour m'envoler et rue reposer (Ps 55,7)? Plût à Dieu que je mourusse souvent de la sorte, afin que je pusse éviter les filets de la mort, être insensible aux attraits mortels de la volupté, ne point céder aux charmes des plaisirs sensuels, n'être ni brûlé du désir des richesses, ni animé des mouvements de la colère et de l'impatience, ni troublé, ni inquiété, ni rongé par les soucis. Que mon âme meure de la mort des justes, afin qu'elle ne tombe plus dans les filets trompeurs de l'ennemi, et qu'elle ne prenne plus de satisfaction à mal faire. Quelle bonne mort, que celle qui n'ôte pas la vie, mais la change en mieux, qui ne fait pas tomber le corps, mais élève l'âme.

5. Mais ce n'est encore là qu'une mort qui est propre aux hommes. Que. mon âme meure de la mort des anges même, si je puis parler ainsi, afin que, perdant le souvenir des choses présentes, elle se dépouille non seulement de l'amour, mais des biens inférieurs et corporels, et qu'elle ait un commerce pur avec ceux dont elle imite la pureté. C'est dans ce ravissement que consiste seulement ou principalement la contemplation; car, de n'être point touché, durant cette vie, de l'amour des choses de la vie, c'est l'effet d'une vertu humaine, mais de n'être pas même détourné de la contemplation par les images du corps, c'est le propre d'une pureté angélique, l'un et l'autre pourtant, sont un don de Dieu, l'un et l'autre sont lune extase, l'un et l'autre vous font sortir hors de vous-même; mais dans l'un vous allez loin de vous, et dans l'autre vous demeura bien près de vous. Heureux celui qui peut dire: «Je me suis éloigné en fuyant, et suis demeuré dans la solitude (Ps 60,8).» C'était peu pour lui de sortir, s'il ne s'en allait bien loin afin de pouvoir se reposer. Vous avez passé les plaisirs de la chair, en sorte que vous n'obéissez point à ses convoitises, et n'êtes plus arrêté par ces attraits? Vous vousêtes avancé, vous vous êtes séparé, mais vous ne vous êtes pas encore éloigné, si vous n'avez pas assez de force pour vous élever par la pureté de votre esprit, au dessus des fantômes des choses corporelles, qui viennent en foule de toutes parts, se présenter à votre imagination. Jusques là ne vous promettez point de repos. Vous vous trompez, si vous croyez retrouver au dessous de vous le lieu de repos, le secret de la solitude, la sérénité de la lumière, la demeure de la paix. Mais donnez-moi quelqu'un, qui en soit arrivé là, je confesserai aussitôt qu'il est en repos, et qu'il peut dire avec raison: «Mettez-vous en repos, mon âme, puisque le Seigneur vous a fait tant de grâce (Ps 120,7).» Et ce lieu est vraiment une solitude, vraiment une demeure lumineuse Is 4,6) et, pour user des termes du Prophète, une tente qui met à l'abri de la chaleur du jour, et à couvert des tourbillons et des orages. C'est de lui que le Prophète Roi parlait en ces termes: «Il m'a caché, dit-il, dans sa tente, durant les mauvais jours; il m'a protégé en me retirant dans le lieu le plus secret desonpavillon (Ps 31,5).»

6. C'est donc dans cette solitude, je crois, que l'Épouse s'est retirée, c'est dans ce lieu si beau qu'elle dort doucement entre les bras de son Époux, c'est-à-dire qu'elle est ravie en esprit, puisqu'on défend aux jeunes filles de la réveiller, jusqu'à ce qu'elle s'éveille d'elle-même. Mais en quels termes le leur défend-on? Ce n'est pas par un simple et léger avertissement, comme on fait d'ordinaire, mais par une conjuration toute nouvelle et inusitée, par les chevreuils et par les cerfs de la campagne. Et il me semble que, par ces sortes d'animaux sont désignés les âmes saintes, dépouillées de leur corps, et les anges qui sont avec Dieu, attendu qu'ils sont fort clairvoyants et fort agiles. Car on sait que l'une et l'autre qualité conviennent aux unes et aux autres de ces esprits, parce qu'ils s'élèvent aisément aux choses les plus hautes, et pénètrent sans peine les plus cachées. Et les champs mêmes où l'on dit qu'ils demeurent, marquent clairement la liberté et le dégagement où ils sont dans la contemplation. Que veut donc dire cette conjuration que l'Époux fait par ces sortes d'esprits? C'est sans doute afin que ces jeunes filles inquiètes n'osent pas tirer sa bien-aimée d'une compagnie si vénérable, à laquelle certainement elle se mêle, tontes les fois qu'elle sort d'elle-même par la contemplation. C'est donc avec raison qu'elles sont adjurées au nom du respect qu'elles doivent à ceux de la société de qui elles arrachent l'Épouse, par leur importunité. Que les jeunes filles considèrent qui sont ceux qu'elles offensent, lorsqu'elles importunent leur mère, et qu'elles n'aient pas dans sa charité maternelle, une telle confiance qu'elles ne craignent pas, toutes les fois qu'une nécessité pressante les y contraint, de se jeter sans retenue au milieu de cette céleste assemblée. Or, elles doivent songer qu'elles commettent cette irrévérence, toutes les fois qu'elles la détournent sans nécessité du repos de la contemplation. Évidemment c'est pour indiquer qu'il est laissé à son bon plaisir de vaquer à elle-même, ou de prendre le soin de ce qui les regarde, selon qu'elle le juge plus à propos, qu'on leur défend de l'éveiller avant qu'elle le veuille. L'Époux sait combien l'Épouse brûle d'amour, même pour son prochain, il n'ignore pas que cette bonne mère est assez portée, par sa propre charité, à songer à l'avancement de ses filles, et qu'elle ne se soustraira et ne se refusera point à elles, en cas de besoin. Aussi pense-t-il qu'il peut s'en remettre sans crainte à sa discrétion pour ce qu'elle leur doit. Car elle n'est pas comme tous ceux que reprend le prophète Ezéchiel, qui prennent pour eux ce qui est gros et fort, et laissent ce qui est faible et débile. Le médecin ne cherche-t-il pas plutôt ceux qui sont malades que ceux qui se portent bien? S'il va voir ceux-ci, c'est comme ami, non comme médecin. Qui instruisez-vous, ô maître plein de bonté, si vous rejetez les ignorants? A qui, je vous le demande, prendrez-vous la peine de donner des règles de conduite, si vous chassez ou si vous fuyez ceux qui vivent dans le dérèglement? Pour qui montrerez-vous de la patience, si vous admettez seulement ceux qui sont pacifiques, et rebutez ceux qui sont inquiets.

7. Il y en a ici que je voudrais voir faire une attention particulière à ce que nous disons. Ils sauraient au moins combien on doit de respect aux supérieurs, et que, en les importunant sans motif, ils attirent aussi sur eux l'aversion des citoyens du ciel. Et peut-être commenceraient-ils à nous épargner plus qu'ils ne le font d'ordinaire, et ne troubleraient-ils pas notre repos avec tant d'irrévérence et de légèreté. Quand ils ne me détourneraient point du tout, ils savent bien que les visiteurs me laissent rarement une heure de loisir. Mais je me reproche de faire cette plainte, j'ai peur que quelque personne timide ne dissimule ses besoins au delà de sa patience, en appréhendant de m'importuner. Je n'en dirai donc pas davantage sur ce sujet, de crainte que je ne semble moi-même donner aux faibles un exemple d'impatience. Le Seigneur a de petits enfants qui croient en lui, et Dieu me garde que je leur sois un sujet de scandale (Mt 18,6). Je ne me servirai pas de cette manière, du pouvoir que j'ai sur eux; qu'ils se servent plutôt de moi comme il leur plaira, pourvu seulement qu'ils se sauvent. Ils m'épargneront en ne m'épargnant pas, et je serai plus en repos, s'ils ne craignent point de m'importuner dans leurs besoins. Je me prêterai à leurs voeux autant que je pourrai, et, tant que j'aurai un souffle de vie, je servirai mon Dieu en les servant, avec une charité exempte de feinte. Je ne chercherai point mes intérêts, ni ce qui m'est utile, mais je regarderai comme m'étant utile à moi-même tout ce qui le sera aux autres. Je ne demande qu'une chose, c'est que mon ministère leur soit agréable et avantageux, afin que cela au moins puisse me servir dans les mauvais jours, à trouver miséricorde devant les yeux de leur père et de l'époux Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui étant un même Dieu avec lui, est élevé au dessus de toutes choses et béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

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SERMON LIII.

Les monts et les collines signifient les esprits célestes par dessus lesquels passe l'Époux en venant sur la terre, c'est-à-dire en se faisant homme.

1. «C'est la voix de mon bien-aimé.» L'Épouse voyant la nouvelle retenue des jeunes filles, et leur crainte respectueuse, lorsqu'elles n'osaient plus troubler son saint loisir, et ne l'importunaient plus comme auparavant en la retirant du repos de la contemplation, reconnaît que c'est un effet du soin et de l'entremise de l'Époux, et, se réjouissant en esprit, soit de leur avancement, car elles ne sont plus si inquiètes, soit de ce que désormais elle doit vivre plus en paix, soit enfin à cause de la bonté et de la grâce de son Époux qui témoigne tant de zèle pour son repos, et a tant de soin pour lui conserver son doux loisir, ou plutôt ses exercices si fervents, elle dit qu'elle est redevable de ce bien à ce que son bien-aimé leur a dit sur ce sujet. Car celui qui conduit les autres avec soin, ne vaque quasi jamais à soi-même avec assurance, parce qu'il craint toujours de ne pas se communiquer assez à ceux qui lui sont soumis, et de n'être pas agréable à Dieu, comme préférant à l'utilité générale son propre repos et la douceur de la contemplation; aussi il ne goûte pas peu de joie et de sécurité, lorsque, par la crainte et le respect que Dieu inspire quelquefois pour lui à ceux qu'il gouverne, il reconnaît que son repos est agréable à Dieu, qui leur fait mieux aimer, supporter leurs besoins avec patience, que troubler la douce quiétude de leur père spirituel. Car la douce appréhension de ces petits enfants fait connaître clairement qu'ils ont entendu au dedans d'eux-mêmes la voix menaçante et les réprimandes de celui qui dit par la bouche du Prophète: «C'est moi qui ne parle que des paroles de justice (Is 63,1).» Sa voix, c'est son inspiration, c'est l'impression d'une juste crainte.

2. L'Épouseravie de joie d'avoir entendu cette voix s'écrie: «C'est la voix de mon bien-aimé.» Elle est la bien-aimée; il n'est donc pas étrange qu'elle se réjouisse de reconnaître sa voix. Puis elle ajoute: «Le voici qui vient sautant dans les montagnes et passant par dessus les collines (Ct 2,8).» Ayant reconnu la présence de son Époux à sa voix, elle jette aussitôt les yeux de tous côtés pour voir celui qu'elle a entendu. L'ouïe mène à la vue, parce que la foi vient de l'ouïe (Rm 10,17), et c'est la foi qui purifie le coeur, et le rend capable de voir Dieu. Car nous lisons qu'il purifie les coeurs par la foi (Ac 20,9). Elle voit donc venir celui qu'elle avait entendu parler: le Saint-Esprit observe ici l'ordre qui est décrit par le Prophète en ces termes: «Ecoutez ma fille et voyez (Ps 45,11).» Et afin que vous reconnaissiez avec plus de certitude que ce n'est point par hasard, mais à dessein, et pour la raison que nous venons d'alléguer, que l'ouïe, en cet endroit, est mise avant la vue, voyez si cet ordre n'a pas aussi été observé par le saint homme Job, lorsqu'il parle à Dieu en ces termes: «Je vous ai entendu de mes oreilles, et maintenant mon oeil vous voit (Jb 52,5).» De même, lorsque l'Ecriture rapporte que le Saint-Esprit descendit sur les apôtres, ne marque-t-elle pas que l'ouïe prévint la vue, quand elle dit «L'on entendit soudain un grand bruit du ciel, comme fait un vent impétueux qui se lève (Ac 2,2).» Et plus bas: «Et des langues de feu qui étaient dispersées leur apparurent.» Ce qui fait voir que l'avènement du Saint-Esprit fut connu d'abord par l'ouïe, et ensuite par la vue. Mais c'en est assez sur ce sujet. Car si vous voulez vous appliquer aussi à la recherche de ces choses, vous pourrez peut-être de vous-mêmes trouver dans l'Ecriture d'autres passages semblables à ceux que nous venons de citer.

3. Considérons maintenant ce qu'on ne peut trouver sans une plus exacte recherche, et dont les approches sont plus difficiles. En quoi j'avoue que j'ai tout à fait besoin du secours du Saint-Esprit, afin de pouvoir expliquer nettement quelles sont ces montagnes et ces collines, que l'Église voit avec bonheur son époux franchir et traverser, lorsque, comme je pense, il se hâtait de racheter celle dont la beauté l'avait rempli d'amour. Qui me le fait croire? C'est le souvenir de quelque chose semblable qui arriva au roi prophète, lorsque, voyant en esprit, et décrivant l'avènement du Sauveur il s'écriait: c Il amis son pavillon dans le soleil, et sortant tel qu'un époux de la chambre nuptiale, il a marché à grands pas comme un géant qui se hâte d'arriver au bout de sa carrière: Il est sorti du plus haut des cieux, et il retournera au même lieu d'où il est parti (Ps 18,6).» On sait assez ce qu'il faut entendre par cette sortie et ce retour, et pourquoi ils ont lieu: mais quoi? Lorsque nous lisons ces choses dans le psaume, ou dans le cantique, devons-nous nous imaginer un géant d'une prodigieuse grandeur, qui, épris de l'amour de quelque femme qui demeure loin de lui, vole au devant de ses embrassements, passe par dessus les montagnes et les collines que nous voyons s'élever si haut dans les plaines, que quelques-unes même semblent porter leur sommet jusques dans les nues? Il ne convient pas de recourir à des images corporelles, surtout pour expliquer un cantique tout spirituel. Il ne nous est pas même permis de le faire, si nous nous souvenons d'avoir lu dans l'Évangile que Dieu est esprit, et qu'il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit(Jn 11,23).

4. Quelles sont ces montagnes et ces collines spirituelles, afin que ce nous connaissions aussi quels sont ces bonds que faisait l'Époux, qui est Dieu, et partant esprit. Si nous disons que ce sont ces montagnes ee sur lesquelles l'Évangile rapporte que les quatre-vingt-dix-neuf brebis furent laissées, lorsque leur bon pasteur vint sur la terre en chercher une qui était perdue (Mt 8,12), la chose n'en est pas moins obscure, et l'esprit demeure toujours arrêté, parce qu'il est difficile de trouver quelles sont ces autres montagnes où habitent et paissent les béatitudes célestes et spirituelles, qui sont sans doute les brebis dont il est parlé. Cependant s'il était vrai qu'il n'y en eût point, la Vérité n'aurait pas dit ce que nous venons de rapporter, et le Prophète lui-même n'aurait pas dit longtemps auparavant, en parlant de la cité d'en haut, de la Jérusalem céleste, qu'elle a ses fondements dans les montagnes saintes (Ps 86,1), s'il n'y avait point là, en effet, de montagnes; mais pour vous convaincre encore que cette demeure sainte et éternelle a non-seulement des montagnes spirituelles, mais aussi des montagnes vivantes et raisonnables, écoutez Isaïe: «Les montagnes et les collines chantent des hymnes de louanges en la présence de Dieu (Is 55,12).»

5. Quelles sont-elles donc, sinon ces esprits bienheureux qui habitent g le ciel, que nous avons dit que le Sauveur a appelés brebis, en sorte t qu'ils sont ensemble des brebis et des montagnes? A moins peut-être que vous ne trouviez absurde que des montagnes paissent dans les k montagnes, et des brebis dans les brebis. Il est vrai que, à le prendre à la lettre, cela est dur, mais si on l'entend d'une manière spirituelle, cela nous paraîtra doux et agréable, si nous considérons, comment le pasteur des unes et des autres, Jésus-Christ, la sagesse de Dieu, distribue d'une manière différente sur la terre et dans le ciel, la même nourriture de la vérité à chacune d'elles. Car, pour nous, misérables mortels, tandis que nous sommes dans le lieu de notre exil, nous sommes obligés de manger notre pain à 'la sueur de notre corps, et de le mendier avec peine et travail au dehors, c'est-à-dire, de le demander, ou à des hommes instruits ou aux livres sacrés, ou du moins à la contemplation, avec l'oeil de l'intelligence, des grandeurs invisibles de Dieu, par l'ordre et la beauté des créatures visibles. Mais les anges reçoivent en eux-mêmes sinon d'eux-mêmes, de quoi être abondamment heureux, et le reçoivent avec autant de facilité que de félicité. Car ils sont tous instruits de Dieu même, qui est un bonheur infailliblement promis aux élus, mais dont ils ne peuvent jouir parfaitement, tant qu'ils sont encore en ce monde

6. Ainsi des montagnes paissent dans les montagnes, ou des brebis dans les brebis, puisque ces substances célestes et spirituelles, trouvent abondamment en elles-mêmes, par la parole de vie qu'elles reçoivent, le moyen de rendre leur béatitude perpétuelle, étant en même temps montagnes et brebis; montagnes, à cause de leur plénitude ou de leur élévation, et brebis à cause de leur douceur. Car s'ils sont pleins de Dieu, élevés en mérites, comblés de vertus, ils ne laissent pas, par une humble obéissance, de courber leurs têtes sous l'empire de la majesté souveraine de Dieu, comme des brebis innocentes qui se conduisent en toutes choses par la volonté de leur pasteur, et qui le suivent partout où il va. Or, selon le prophète David, dans ces montagnes vraiment saintes, de même que la sagesse de Dieu a été engendrée avant toutes choses, ainsi les fondements de la cité du Seigneur ont été fermement établis dès le commencement du monde (Ps 86,1) parce que cette cité est la même dans le ciel, et sur la terre, bien qu'elle soit étrangère an partie, et qu'elle règne déjà en partie. Et de ces montagnes, selon la parole d'Isaïe, comme de cymbales vivantes et harmonieuses, résonnent sans cesse des actions de grâces, et des voix de louanges (Is 51,3), qui accomplissent ainsi par ces doux et perpétuels concerts, ce que nous avons rapporté un peu auparavant, d'après ce prophète, lorsqu'il disait que les montagnes et les collines chanteront des louanges devant Dieu (Is 55,12); et ce qu'un autre prophète disait en parlant au Seigneur: «Heureux ceux qui habitent dans votre maison, ils vous loueront éternellement (Ps 83,5).»

7. Pour reprendre le fil de notre discours que nous avons un peu interrompu, mais il le fallait je crois, ce sont là ces montagnes et ces collines où l'Église a vu sauter son céleste époux, avec une merveilleuse allégresse, lorsqu'il volait au devant de ses chastes embrassements, et elle ne l'a pas vu seulement sauter dans ces montagnes, mais même passer par dessus. Voulez-vous que je vous montre, par les prophètes et les apôtres, ce qu'on entend par ses bonds? Ce n'est pas que j'aie l'intention de vous rapporter ici tous les témoignages que ceux qui en ont le loisir, pourraient trouver sur ce sujet dans les écrits des prophètes, ce serait trop long et même inutile, je rapporterai seulement les choses qui confirment clairement, et en peu de mots ce qui est dit ici des bonds que fait l'Époux. David dit de lui, «qu'il a mis son pavillon dans le soleil, et que, paré comme un époux qui sort de sa chambre nuptiale, il a marché à grands pas comme un géant qui se hâte d'arriver au bout de sa carrière et qu'il est parti du plus haut des cieux (Ps 19,6).» Quel bond il a fait, du plus haut des cieux, jusque sur la terre! Car je ne trouve point d'autre lieu, que la terre, qui puisse être indiquée par le soleil où il a mis son pavillon, lui qui habite une lumière inaccessible, c'est là qu'il a daigné faire paraître sa divine présence à la lumière et devant tout le monde. Car «c'est sur la terre, qu'il a été vu et qu'il a conversé parmi les hommes (Ba 3,38).» Il a dressé à tous les yeux, dis-je, sur la terre désignée par ce mot, le soleil, son pavillon, c'est-à-dire le corps qu'il a daigné prendre de celui d'une vierge, afin que, invisible par sa nature, il devint visible, et que toute chair vit le salut de Dieu, qui était venu dans la chair.

8. Il a donc sauté dans les montagnes, c'est-à-dire dans les esprits inférieurs, lorsqu'il est descendu jusqu'à eux en daignant leur révéler un secret caché depuis tant de siècles, et le grand mystère de sa bonté. Mais passant par dessus ces montagnes sublimes et élevées, c'est-à-dire, par dessus les Chérubins et les Séraphins, les Dominations, les Principautés, les Puissances et les Vertus, il a daigné descendre jusqu'à l'ordre inférieur des Anges comme sur des collines. Mais y est-il demeuré? Il a encore passé les collines. Car il n'a point pris la nature des anges (He 2,16), mais celle d'Abraham, qui est inférieure à celle des anges, afin que cette parole que le roi prophète adresse au Père sur le sujet du Fils fût accomplie: «Vous l'avez. rendu un peu inférieur aux anges (Ps 8,6).» Quoique l'on puisse expliquer ce passage à l'avantage de la nature humaine, en ce que l'homme qui a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, et doué de la raison comme les anges, est formé de la terre. Mais écoutez l'apôtre saint Paul qui en parle clairement en ces termes: «Ayant la même essence que le Père, il n'a pas cru faire un larcin de se rendre égal à Dieu, parce qu'il s'est anéanti lui-même, en prenant la forme d'un esclave, en se rendant semblable à l'homme, et en se revêtant de nos infirmités (Ph 2,6).» Et lorsque la plénitude du temps est arrivée, Dieu a envoyé son fils né d'une femme, né sous la loi (Ga 4,4).» Il est donc indubitable que celui qui est né d'une femme et sous la loi, a passé en descendant en terre, non-seulementles montagnes, c'est-à-dire les premiers ordres des esprits bienheureux, mais encore les anges qui ne sont que d'un ordre inférieur, et qui, en comparaison des premiers, peuvent être raisonnablement appelés des collines. Mais le moindre du royaume des cieux, est plus grand que qui que ce soit ayant un corps sur la terre, quand ce serait le grand saint Jean-Baptiste (Lc 7,28). Car bien que nous confessions que Dieu homme, est incomparablement élevé au dessus de toutes les Principautés, et de toutes les Puissances, il faut néanmoins tomber d'accord que s'il les surpasse, en majesté, il est au dessous d'eux à cause de sa faiblesse. Voilà comment il a sauté dans lés montagnes, et a passé les collines en voulant bien se mettre au dessous non-seulementdes esprits supérieurs mais même des inférieurs. Et il ne s'est pas seulement soumis à ces esprits célestes; mais encore à ceux qui habitent des maisons de boue et de terre, passant et surmontant par son humble bassesse, la bassesse des hommes même. Car lorsqu'il était à Nazareth âgé de douze ans, il était assujetti à Marie et à Joseph. (Lc 2,81) et sur les bords du Jourdain, étant encore plus âgé, il se courba sous les mains de saint Jean (Mt 3,13). Mais le jour est déjà bas, et nous serions bien aise pourtant de demeurer encore sur ces montagnes.

9. Cependant si nous voulions en une seule fois satisfaire notre curiosité, et examiner tout ce qu'il y a de beau et de caché dans ce mystère, il y aurait à craindre que ce discours ne devînt d'une longueur ennuyeuse, ou qu'en nous pressant trop, nous ne traitassions pas avec assez de soin une matière si noble et si abondante. Nous nous arrêterons donc aujourd'hui, si vous le voulez bien, sur ces montagnes. Car il fait bon ici, et Jésus-Christ, ce bon pasteur, nous ayant placés avec les anges dans ces riches pâturages, nous pouvons y paître avec plus de plaisir et d'abondance. Car nous sommes aussi les brebis de sa bergerie. Ruminons donc comme des animaux purs 'du boa pasteur tout ce que nous avons fait passer dans notre estomac spirituel, du discours d'aujourd'hui, si je puis parler ainsi. Nous achèverons dans le suivant, tout ce qui reste sur ce sujet, et nous tâcherons de l'écouter plus attentivement avec la grâce de l'époux de l'Église Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui étant Dieu, est élevé au dessus de toutes choses, et béni dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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SERMON LIV.

Comment on peut trouver encore que les montagnes représentent les anges et les hommes, tandis que les collines représentent les démons. Il y a trois sortes de craintes que tout homme doit ressentir, s'il ne veut point perdre la grâce de bien faire qu'il a reçue de Dieu.

1. Il faut que je vous dise un autre sens sur le verset du Cantique que je vous ai expliqué dans mon sermon d'hier, vous choisirez celui des deux que vous jugerez le meilleur. Je crois qu'il n'est pas besoin de répéter ce que nous avons dit dans le discours précédent. Car je ne pense pas que vous l'ayez oublié en si peu de temps. Mais quand cela serait, comme on a recueilli par écrit ces sermons à mesure que je les ai prononcés, si quelque chose vous en est échappé, vous pourrez le reprendre aisément: cela dit, passons au reste. «Le voici, dit l'Épouse, qui vient sautant dans les montagnes, et passant les collines (Ct 2,8).» Elle parle de l'Epoux; qui a sans doute sauté dans les montagnes, lorsque, envoyé du Père pour annoncer d'heureuses nouvelles à ceux qui étaient dans l'oppression, il n'a pas dédaigné de faire les fonctions des anges, en devenant l'ange du grand conseil, lui qui était le maître des anges. Il est descendu sur la terre, lui qui avait coutume d'y envoyer les autres: Il a fait connaître lui-même le salut qu'il apportait au monde. Il a lui-même révélé sa grâce et sa justice aux nations (Ps 98,2). Tous les esprits bienheureux, selon l'Apôtre, sont les ministres de Dieu, et il les envoie pour servir ceux qui sont destinés à l'héritage du salut (He 1,74). Et cependant celui-là même dont ils sont les ministres, et qui est infiniment élevé au dessus d'eux, et devenu comme l'un d'entre eux, et feignant de ne point voir le tort que lui causait cet abaissement, il s'est acquis une couronne immortelle de grâce et de gloire. Mais écoutez-le lui-même: «Je ne suis pas venu, dit-il, pour être servi, mais afin de servir, et de donner ma vie pour plusieurs (Mt 20,28).» Ce que nous ne voyons point qu'aucun des anges ait fait, en sorte que, par l'ardeur et la fidélité de ses services, il a surpassé tous ceux qui sont venus avant lui pour servir les hommes. Certes, c'est un excellent ministre, que celui qui donne sa chair en nourriture, son sang en breuvage, et sa vie pour prix et pour rançon de ceux à qui il est envoyé. Celui-là, en effet, est un excellent ministre qui, par la ferveur de son esprit, par l'ardeur de son amour, et par le zèle de bonté, non-seulement saute dans les montagnes, mais traverse même les collines, c'est-à-dire les surmonte par le désir brûlant qu'il a de sauver les hommes, attendu qu'il est celui que le Seigneur son Dieu a sauté d'une huile de joie, d'une manière plus excellente que tous ceux qui ont eu part à sa gloire (Ps 45,8). test particulièrement en cela qu'il a marché à grands pas comme un géant qui se hâte d'arriver au bout de sa carrière. Il a passé Gabriel, et est arrivé avant lui à la Vierge, selon le témoignage de cet archange même, qui dit à Marie: «Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous (Lc 1,28).» Quoi? Celui que vous venez de laisser dans le ciel, vous le trouvez maintenant dans le sein d'une femme! Comment cela se fait-il? Il a volé en avant sur les ailes des vents. O bienheureux archange vous êtes vaincu! Celui qui vous a envoyé devant lui, est arrivé plutôt que vous.

2. Ou bien il sautait dans les montagnes, lorsqu'il apparaissait autrefois aux patriarches en la personne des anges; ce qui semble mieux convenir à la terre. Car elle ne dit pas qu'il saute sur les montagnes, mais dans les montagnes, parce qu'il est cause qu'elles sautent elles-mêmes, comme il parle dans les prophètes et agit dans les justes lorsqu'il fait parler les uns et agir les autres. Ajoutez à cela que quelques-uns de ces anges le représentaient, en sorte que chacun d'eux ne parlait pas comme ange, mais comme Seigneur. Par exemple, l'ange qui parlait avec Moïse, ne disait pas: Je suis l'ange du Seigneur; mais, «je suis le Seigneur,» ce qu'il répéta (plusieurs fois. Il sautait donc dans les montagnes, c'est-à-dire dans les anges, en qui il parlait et se montrait aux hommes. Il sautait donc vers les hommes, mais en la personne des anges, non en la sienne propre, non en sa nature, mais en celle d'une créature qui lui est soumise. Car celui qui saute passe d'un lieu à l'autre, ce qui ne se fait point en Dieu. Il sautait donc dans les montagnes, c'est-à-dire, dans les anges, parce qu'il né le pouvait lias faire en sa propre personne, et il sautait jusqu'aux collines, c'est-à-dire, jusqu'aux patriarches, aux prophètes, et aux autres hommes spirituels qui étaient sur la terre.

Mais il passait aussi les collines, parce qu'il n'a pas seulement voulu parler et apparaître aux grands hommes, et aux hommes spirituels, mais il a daigné faire même la grâce à quelques-uns d'entre le peuple, et même à quelques femmes, en se servant pareillement du ministère des anges. Ou par les collines, l'Écriture entend les puissances de l'air, qu'on ne met plus au nombre des montagnes, parce qu'elles s'ont tombées du comble des vertus, par l'orgueil, et néanmoins ne sont pas désenflées par la pénitence, et arrivées jusqu'à l'humilité des vallées, ou jusqu'aux vallées des humbles. Je crois que c'est d'elles qu'il est dit dans les psaumes: «Les montagnes se sont fondues comme la cire à la vue du Seigneur (Ps 95,5).» Celui qui sauté dans les montagnes passé donc pardessus ces collines superbes et stériles qui tiennent comme le milieu entre les montagnes des parfaits et les vallées des pénitents; et les ayant passées et méprisées, il descend dans les vallées, afin qu'elles portent du blé en abondance. Les autres, au contraire, sont condamnées à une sécheresse et une stérilité perpétuelles, suivant cette imprécation du Prophète contre eux: «Que la rosée, dit-il, ni la pluie ne descendent point sur vous (1S 1,21).» Et afin que vous sachiez que c'est aux anges prévaricateurs qu'il adresse ces paroles sous la figure des montagnes de Gelboë, «où, dit-il, plusieurs blessés sont tombés.» Combien y en a-t-il de l'armée d'Israël qui sont tombés dès le commencement, et qui tombent encore tous les jours dans ces montagnes maudites? C'est d'elles que parle le Prophète lorsqu'il dit au Seigneur: «Ils sont comme des hommes blessés à mort qui reposent dans les tombeaux, dont vous ne vous souvenez plus, et vous les avez chassés par la force de votre bras (Ps 88).»

3. Il ne faut donc pas s'étonner si ces esprits, qui ne sont pas des montagnes du ciel, mais des collines de l'air où la rosée ni la pluie ne descendent jamais, demeurent toujours stériles et infructueux, puisque l'auteur de la grâce et le dispensateur des bénédictions passe pardessus, et descend dans les vallées, afin de répandre une pluie céleste sur les humbles qui sont sur la terre, et leur faire produire du fruit dans la patience, et porter trente, soixante, cent pour un. Car il a visité la terre, dit le Prophète, et l'a enivrée; il a augmenté ses biens et ses richesses (Ps 65,10). Il a visité la terre, dit-il, non pas l'air, «car la terre est remplie de la miséricorde de Dieu (Ps 31,5). Il a opéré le salut au milieu de la terre, dit encore le même Prophète (Ps 73,12).» Dit-il aussi au milieu de l'air? Cela est contre Origène, qui, par un mensonge impudent, crucifie encore une fois le Seigneur de gloire au milieu des airs, pour sauver les démons, lorsque saint Paul qui était témoin de ce mystère nous assure, «qu'étant ressuscité il ne meurt plus, et que la mort n'aura plus d'empire sur lui (Rm 6,9).»

4. Mais celui qui a passé l'air n'a pas seulement visité la terre, mais encore le ciel, selon l'Écriture qui dit: «Seigneur, votre miséricorde s'étend jusque dans le ciel, et votre vérité va jusqu'aux nues (Ps 36,6);» c'est-à-dire jusqu'au ciel qu'habitent les saints anges; l'Époux ne passe pas outre, mais il y saute, en sorte qu'il y imprime comme les deux vestiges de ses pieds, la miséricorde et la vérité, dont je me souviens vous avoir entretenus longuement dans les discours précédents. Mais c'est sous les nues et plus bas, dans cet air inférieur et ténébreux, que se trouve la demeure des démons; or, l'Époux ne saute point en eux, mais il y passe sans les regarder, en sorte qu'ils n'ont en eux aucun vestige du passage de Dieu. Car, comment la vérité se trouverait-elle dans le diable, puisque la vérité même a dit dans l'Évangile, que Satan n'est point demeuré dans la vérité, mais qu'il a été menteur dès le commencement (Jn 8,44)? On ne peut pas dire non plus qu'il soit miséricordieux, puisque la même vérité le convainc encore dans l'Évangile d'avoir été homicide en tout temps (Jn 8,44). Or, tel père dé famille, tels serviteurs; aussi, c'est avec raison que l'Église, en chantant au sujet de l'Époux, «il habite en un lieu fort élevé, et regarde les choses humbles et basses dans le ciel et sur la terre (Ps 113,5),» ne fait point mention de ces esprits superbes qui sont dans l'air, parce que Dieu résiste aux superbes, et donne sa grâce aux humbles.

5. L'Épousele voit donc sauter dans les montagnes et passer les collines, selon cette imprécation de David: que le Seigneur visite toutes les montagnes qui sont à l'entour, c'est-à-dire autour de Gelboë, mais qu'il passe celle de Gelboë. Car il y a des montagnes que le Seigneur visite, qui sont autour du diable désigné par le mont Gelboé, les anges au dessus de lui, et les hommes au dessous. Car, tombant du ciel, il s'est vu assigner pour sa peine le séjour de l'air, qui est placé entre le ciel et la terre, afin qu'il soit au dessus des hommes et au dessous des anges, et qu'il en soit jaloux, et que cette jalousie lui serve de tourment, suivant cette parole de l'Écriture: «Le pécheur verra ces choses et en concevra une violente colère, il grincera les dents de rage et sèchera de dépit (Ps 111,10).» Comme il se sent malheureux lorsqu'il regarde les cieux, où il voit des montagnes innombrables, brillant des splendeurs divines , retentissant des louanges de Dieu, comblées de gloire et de grâces! Mais combien plus malheureux encore lorsqu'il regarde la terre, où il voit aussi plusieurs montagnes du peuple élu, solides dans la foi, élevées par l'espérance, étendues par la charité, cultivées par les vertus, pleines de fruits des bonnes oeuvres, et recevant tous les jours des bénédictions par la rosée du ciel, comme par le saut mystique de l'Époux! Avec combien de douceur et de jalousie croyons-nous que cet esprit si ambitieux de gloire, regarde autour de lui toutes ces montagnes glorieuses, quand il voit au contraire que lui et les siens sont incultes, couverts de ténèbres, et stériles en tous biens, et qu'il reconnaît que lui, qui calomnie tout le monde, est l'opprobre des hommes et des anges, suivant ce mot du Psalmiste: «Ce dragon que vous avez formé pour servir de jouet et de risée (Ps 104,26).»

6. Et la cause de cela, c'est que l'Époux les passe à cause de leur orgueil, et saute dans les montagnes qui sont à l'entour de lui, comme une fontaine qui s'élève au milieu du paradis, arrose toute la terre, et verse ses bénédictions sur toute sorte d'animaux. Heureux ceux qui méritent d'être abreuvés quelquefois, quoique rarement, de ce torrent de délices, et en qui l'eau de la sagesse et la fontaine de la vie rejaillissent de temps en temps, si elle ne coule pas toujours, et forment en eux une source d'eau rejaillissantepour la vie éternelle. Or, ce fleuve impétueux réjouit la cité de Dieu, et y coule toujours avec abondance. Mais Dieu veuille qu'il ne dédaigne pas de se répandre quelquefois, comme par une espèce d'inondation, dans nos montagnes qui sont pur la terre, afin qu'étant suffisamment abreuvées, elles puissent aussi distiller sur nous, qui sommes des vallées, quelques gouttes d'eau, de crainte que nous ne demeurions entièrement secs et stériles. Il n'y a que misère, pauvreté et que famine dans la contrée qui n'est jamais humectée par ces inondations, ni par ces faibles écoulements, parce que la fontaine de sagesse coule et s'en va au delà. «Or, dit un prophète, comme ils n'ont pas eu la sagesse, ils se sont perdus par leur folie ().»

7. «Le voici qui vient sautant, dans les montagnes et passant les collines.» Il saute afin de passer outre, parce qu'il ne veut pas s'arrêter à tous. Car tous ne sont pas agréables à Dieu. Mes frères, si selon la pensée de saint Paul (1Co 10,11), ces choses sont écrites pour notre instruction, observons la discrétion et la circonspection des sauts mystiques de l'Époux, remarquons comment, parmi les anges et parmi nous, il saute spirituellement dans les humbles, et passe les superbes. Car le Seigneur étant infiniment élevé, regarde ceux qui sont bas et humbles, et voit de loin ceux qui s'élèvent par l'orgueil (Ps 138,6). Considérons, dis-je, ces choses avec attention, afin que nous veillions à nous préparer à ces sauts salutaires de l'Époux, de peur qu'il ne nous passe comme les montagnes de Gelboë, s'il nous juge indignes de sa visite. Pourquoi vous enorgueillissez-vous, vous qui n'êtes que terre et que cendre? Le Seigneur passe les anges même, ayant leur orgueil en exécration. Que ce rebut donc qu'il fait des anges serve à corriger les hommes, puisque cela â été écrit pour leur instruction. Que le mal du diable contribue à mon bien, et puisse-je laver mes mains dans le sang du pécheur. Comment cela, direz-vous? Écoutez, le voici. Une horrible et épouvantable malédiction a été fulminée contre le diable superbe par le Prophète, quand il s'écrie, en parlant de lui en esprit, sous la figure de Gelboë, ainsi que nous l'avons rapporté plus haut: «Que le Seigneur visite les montagnes qui sont à l'entour, mais qu'il passe Gelboë sans le visiter (2S 1,21).»

8. Lorsque je lis ces paroles, et qu'ensuite je jette les yeux sur moi et que je m'examine avec soin, je me trouve infesté de cette peste que le Seigneur a eue tant en horreur dans l'ange, qu'il s'est détourné de lui, en même temps qu'il honorait de sa visite tous ceux qui étaient autour de lui, soit anges soit hommes. Et je me dis à moi-même avec frayeur et tremblement: Si un ange a été traité de la sorte, comment serai-je traité, moi qui ne suis que terre et que cendre? Il s'est enorgueilli dans le ciel, et moi, sur un fumier. Qui ne supporterait l'orgueil plutôt dans un riche que dans un pauvre? Malheur à moi! si on a châtié avec tant de sévérité un esprit si puissant, parce que son coeur s'est enflé, et s'il ne lui a servi de rien que l'orgueil soit un air naturel aux grands, quelle peine ne mériterai-je point, moi qui suis tout ensemble et superbe et misérable? Mais j'en reçois déjà le châtiment, je me sens déjà frappé d'une blessure cruelle. Ce n'est pas sans raison que depuis quelques jours je me trouve dans cette langueur, dans cet obscurcissement et dans cette lâcheté inaccoutumée. Je courais avec ardeur„ lorsque j'ai rencontré en mon chemin une pierre d'achoppement, contre laquelle j'ai heurté le pied, et qui m'a renversé par terre. L'orgueil s'est trouvé en moi, et le Seigneur s'est détourné de son serviteur dans sa colère. C'est de là que vient tente stérilité de mon âme, ce refroidissement de dévotion. Comment mon coeur s'est-il ainsi desséché? il s'est durci comme le lait qui se caille, il est devenu comme une terre aride et sans eau. Sa dureté est si grande, que je ne saurais verser des larmes. Je ne trouve plus de goût au chant de l'Église, je ne saurais lire, je n'ai plus le goût de prier, je ne retrouve plus mes méditations habituelles. Où est cette fécondité première, cette sérénité, cette paix, cette joie dans le Saint-Esprit? De là vient que je suis paresseux pour le travail des mains, endormi quand je dois veiller, prompt à me mettre en colère, opiniâtre dans ma haine, plus porté pour ma langue et pour ma bouche que je n'étais, plus lâche et plus stérile pour la méditation. Hélas! le Seigneur visite toutes l-;s montagnes qui sont autour de moi, et il n'y a que moi dont il ne s'approche point! Ne suis-je point de ces collines que ce divin époux laisse derrière lui? Car j'en vois quelques-uns d'une abstinence singulière, d'autres d'une patience admirable, celui-ci a une douceur et une humilité merveilleuses, celui-là est plein de miséricorde et de bonté, un autre est souvent ravi en contemplation, frappe et pénètre les cieux par l'assiduité et l'instance de ses oraisons, et ainsi chacun excelle en quelque vertu particulière. Je remarque, dis-je, qu'ils sont tous dévots, tous fervents, tous unis en Jésus-Christ, tous comblés des dons célestes de la grâce, comme de vraies montagnes spirituelles, visitées du Seigneur, et qui reçoivent souvent en elles les sauts mystiques de l'Époux. Mais moi, qui ne trouve en moi rien de pareil, que puis-je me croire autre chose qu'une de ces montagnes de Gelboë, que ce Sauveur qui visite toutes les autres avec tant de bonté, passe dans sa colère et dans son indignation?

9. Ales chers enfants, cette pensée ôte la vaine estime de soi-même, attire la grâce, prépare à ces sauts divins de l'Époux. Je vous ai représenté ces choses en moi pour l'amour de vous, afin que vous fissiez de même. Soyez donc mes imitateurs; je ne dis pas dans l'exercice des vertus ou dans le règlement des moeurs, ou dans l'éclat de la sainteté, car il n'y a rien en moi de toutes ces choses qui mérite d'être imité; mais je désire que vous ne vous épargniez point vous-mêmes, que vous soyez les premiers à vous accuser toutes les fois que vous reconnaissez en vous que la grâce est refroidie, et la vertu languissante, comme vous voyez que je m'en accuse moi-même. C'est là agir en homme qui veille exactement sur soi, qui examine avec soin ses voies et sa conduite, et qui, en tout, tient toujours l'orgueil pour suspect, et craint qu'il ne se glisse dans son âme. En vérité, j'ai appris, par ma propre expérience, qu'il n'y a rien de si efficace pour mériter la grâce, pour la conserver, ou pour la recouvrer, que de ne s'élever jamais devant Dieu, mais d'être toujours dans un état de crainte et de tremblement. «Bienheureux, dit le Sage, est celui qui est toujours dans la crainte (Pr 28,14).» Craignez donc, lorsque la grâce est présente, craignez lorsqu'elle s'en va, craignez lorsqu'elle revient, voilà ce qu'on entend par être toujours dans la ceinte. Que ces trois craintes se succèdent dans votre âme, selon que. vous sentez que la grâce est en vous, ou s'en retire lorsqu'elle est offensée, ou y revient de nouveau quand elle est apaisée. Lorsqu'elle est présente, appréhendez de n'y pas correspondre assez dignement, car c'est l'avis que donne l'Apôtre, lorsqu'il dit: «Prenez garde de recevoir en vain la grâce de Dieu (2Co 6,1).» Et, dans sa lettre à Timothée . «Ne négligez pas la grâce qui est en vous (1Tm 4,14).» Soit, enfin, ne parlant de lui-même . «La grâce de Dieu n'a pas été vaine en moi (1Co 15,10).» Cet homme admirable, qui pénétrait les secrets de Dieu, savait que, négliger les dons de Dieu, et ne s'en pas servir pour l'usage qu'on les -a reçus, c'est faire injure à celui dont ou les tient, et il croyait que c'est là un orgueil épouvantable. C'est pourquoi il évitait lui-même avec grand soin, et enseignait aux autres à éviter un ami si dangereux.

Mais il y a encore ici un autre précipice que je vous veux découvrir, dont l'esprit d'orgueil se sert, comme dit le Prophète, pour dresser des embûches comme un lion dans sa caverne, avec d'autant plus de danger pour nous, que ce piège est plus caché. Car, lorsqu'il ne peut empêcher l'action, il tâche de corrompre l'intention, en nous suggérant de nous attribuer ce qui n'est qu'un effet de la grâce. Or, vous ne sauriez douter due ce genre d'orgueil ne soit bien pire que le premier. Car, qu'y a-t-il de plus horrible que le langage de ceux qui disaient: «C'est notre main toute-puissante, et non le Seigneur, qui a fait toutes ces choses (Dt 32,27).»

10. Si donc on doit craindre lorsque la grâce demeure en nous, que doit-on faire lorsqu'elle se retire? Ne doit-on pas alors craindre bien davantage? puisqu'il faut périr lorsque la grâce vient à manquer. Écoutez le souverain dispensateur de la grâce: «Vous ne pouvez, dit-il, rien faire sans moi (Jn 15,5).». Craignez donc extrêmement lorsque la grâce vous est soustraite; car vous tomberez bientôt. Craignez et tremblez, parce que Dieu est irrité contre vous. Craignez parce que celle qui vous gardait vous a abandonné. Et ne doutez point que votre orgueil en soit cause, quoique cela ne vous paraisse pas, quoique vous ne vous sentiez coupable de rien. Car ce que vous ne savez pas, Dieu le sait, et c'est lui qui vous juge. Ce n'est pas cruel qui se rend témoignage, qui est vraiment estimable, mais c'est celui à qui Dieu rend témoignage () et qu'il approuve. Or Dieu vous rend-il témoignage et approuve-t-il votre conduite quand il vous prive de la grâce? Et celui qui donne sa grâce aux humbles, l'ôtera-t-il à celui qui est humble, après la lui avoir donnée? la privation de la grâce est donc une marque d'orgueil. Quoique néanmoins il arrive quelquefois que la grâce est soustraite et éloignée, non à cause d'un orgueil présent, mais à cause de celui où l'on tomberait, si on ne nous tirait par la grâce. Nous en avons un exemple évident dans la personne de l'Apôtre, qui souffrait malgré lui, les aiguillons de sa chair, non parce qu'il s'élevait, mais de peur qu'il ne s'élevât (2Co 12,7). Mais enfin, que l'orgueil soit présent, ou qu'il doive naître plus tard, il est vrai de dire que l'orgueil est toujours la cause de la soustraction de la grâce.

11. Mais si la grâce vous redevient propice et retourne vers vous, c'est alors que vous devez craindre bien plus encore, qu'il ne vous arrive de tomber de nouveau, selon cette parole de Jésus-Christ dans l'Évangile. «Vous voilà guéri, allez et ne péchez plus, de crainte qu'il ne vous arrive quelque chose de pire (Jn 5,14) Voyez-vous qu'il est bien plus funeste de retomber que de tomber? Que votre crainte soit donc plus grande, quand le péril est plus grand. Vous êtes heureux si vous remplissez votre coeur de cette triple crainte, en sorte que vous craigniez pour la grâce que vous avez reçue, que vous craigniez encore davantage pour celle que vous avez perdue, et beaucoup plus enfin pour celle que vous avez recouvrée. Faites cela et vous serez comme l'urne des noces où assista Jésus-Christ, plein jusqu'au haut, contenant non-seulement deux mesures comme elle, mais trois, et vous mériterez de recevoir la bénédiction de Jésus-Christ qui change votre eau en un vin de joie, et l'amour parfait chassera dehors la crainte.

12. Je dis donc que la crainte est figurée par l'eau, puisqu'elle tempère la chaleur des désirs charnels. «Le commencement de la sagesse, dit le Prophète, c'est la crainte du Seigneur (Ps 91). Et ailleurs: «Il lui a donné à boire de l'eau salutaire de la sagesse.» Si la crainte est la sagesse et que la sagesse soit de l'eau, la crainte est de l'eau. Aussi le sage dit-il: «La crainte du Seigneur est une fontaine de vie (Pr 14,7).» Votre âme est comme une urne, or chaque urne du festin de l'Évangile contenait deux ou trois mesures. Ces trois mesures sont les trois sortes de crainte «et ils les emplirent jusqu'au haut (Jn 1,6),» dit l'Évangéliste. Ce n'est pas une crainte, ce ne sont pas deux craintes qui suffisent pour les emplir jusqu'au haut, il en faut trois. Craignez Dieu en tout temps, et de tout votre coeur, vous avez rempli votre urne jusqu'au haut. Dieu aime que les présents qu'on lui fait soient entiers, que l'amour qu'on a pour lui, soit sans réserve, que les sacrifices qu'on lui offre soient parfaits. Ayez donc soin d'apporter votre urne pleine aux noces célestes afin qu'on puisse dire aussi de vous: «L'esprit de la crainte du Seigneur l'a rempli (Is 11,3).» Celui qui craint ainsi, ne néglige rien, car comment la négligence pourrait-elle entrer en celui qui est tout plein? Ce qui peut encore recevoir quelque chose, n'est pas absolument plein. Par la même raison, il ne peut pas en même temps craindre et s'élever. Car il n'y a point de place pour l'orgueil où tout est plein de la crainte de Dieu. Il en faut dire autant des autres vices, car il est de toute nécessité que tout soit exclu par la plénitude de la crainte. Et ce sera quand vous craindrez ainsi pleinement et parfaitement, que l'amour donnera de la saveur à votre eau par la bénédiction du Seigneur. Car la crainte sans l'amour est une peine. Or l'amour est le vin qui réjouit le coeur de l'homme (Ps 104,15), car l'amour parfait bannit la crainte (Jn 4,8),en sorte que ce qui était de l'eau, commence à devenir du vin, à la louange et à la gloire de l'Époux de l'Église, Jésus-Christ-Notre-Seigneur, qui étant Dieu, est élevé au dessus de toutes choses, et béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.


Bernard sur Cant. 52