Bernard, Lettres 186

LETTRE CLXXXVI. A SIMON, FILS DU CHATELAIN DE CAMBRAI (a).


Vers l'an 1140



Saint Bernard lui recommande les moines de Vaucelles et il le prie de ratifier la donation de son père.

J'ai su par Raoul, abbé de Vaucelles, le désir que vous avez de me voir et de vous entretenir avec moi; je suis très-sensible à l'affection que vous ressentez pour moi, mais je puis vous assurer que vous n'avez pas affaire à un ingrat. Croyez bien que je serais heureux aussi de pouvoir me rendre à vos désirs, mais je suis d'une si mauvaise santé que non-seulement je ne puis me permettre cette satisfaction de coeur, non plus que beaucoup d'autres, mais encore que je suis hors d'état de m'occuper de bien d'autres choses de la plus grande importance. Toutefois si je suis éloigné de corps, je ne le suis point de coeur, en attendant que je sois près de vous et d'esprit et de corps, si Dieu me fait jamais la grâce de l'être un jour, car mon affection pour vous n'est pas un vain mot, une vaine protestation, c'est un fait très-véritable. Quant à moi, je pourrai juger de la vôtre par les oeuvres; car il y a dans votre voisinage une bonne portion de moi-même, je veux parler des moines de Vaucelles; je désire qu'ils se ressentent, eux et leur maison, des sentiments d'amitié que vous avez pour moi, et je vous prie de les honorer, en ma considération, de votre faveur, et de leur accorder votre protection toutes les fois qu'il en sera besoin. Vous me convaincrez pleinement, en agissant ainsi, non-seulement de votre générosité d'âme, mais encore de toute l'étendue de votre affection pour moi. Le premier témoignage que je vous en demande est la ratification du don que votre père a fait en ma présence, de la terre de Ligecourt, à l'abbaye de Vaucelles. Pour moi, je suis plein de reconnaissance pour le passé et d'espérance pour l'avenir, aussi prié je pour vous et pour toute votre famille, le Dieu qui se plait à exaucer les voeux et à faire la volonté de ceux qui le craignent, de vous conserver en bonne santé, vous, votre femme et tous les vôtres.



a Dans tous tes manuscrits, ces mots de cambrai font défaut; quelques-uns portent d'Oisy. Il n'y a de faute ni dans les uns ai dans les autres, car dans cette lettre Il est fait mention des moines de Vaucelles, de l'ordre de Cîteaux, monastère fondé en 1182 près de Cambrai. L'auteur de la Vie de saint Gosvin, abbé d'Anchin, parle de Simon d'Olsy, livre 2, chap. 19. Simon était fils de Hugues de Mercoeur, dont il est parlé dans cette lettre.




LETTRE CLXXXVII. CONTRE ABÉLARD, AUX ÉVÊQUES QUI DEVAIENT SE RÉUNIR A SENS.



L'an 1140



Saint Bernard exhorte les évêques à prendre en main contre Abélard la cause de la religion.


Tout le monde sait et vous ne l'ignorez pas vous-mêmes, je pense, que je suis assigné à comparaître à Sens, dans l'octave de la Pentecôte (a), pour y plaider les intérêts de la foi, quoiqu'il soit défendu, «de plaider à tout vrai serviteur de Dieu et qu'il doive se montrer plein de modération et de patience envers tout le monde (2Tm 2,24).» S'il s'agissait de moi personnellement dans cette circonstance, je ne crois pas trop présumer de vos sentiments à mon égard en pensant que votre bienveillance ne ferait probablement pas défaut à votre fils; mais c'est de vous autant au moins, sinon plus, que de moi qu'il s'agit; aussi vous prié-je avec plus de confiance et de force de me donner en cette occasion des preuves de vos sentiments à mon égard: que dis-je, à mon égard? à l'égard du Christ lui-même, dont l'Epouse crie vers vous du sein des hérésies qui pullulent autour d'elle sous vos yeux comme les arbres de la forêt ou les épis de la moisson, et menacent de l'étouffer. Quiconque se dit ami de l'Epoux ne saurait manquer à son Epouse, dont les épreuves qui l'assaillent lui donnent encore une si belle occasion de se montrer. Ne soyez pas surpris si je m'adresse à vous si soudainement et si je fais à votre dévouement un appel à si courte échéance; il faut s'en prendre à la ruse et aux artificieuses menées de mes adversaires, qui n'ont agi comme ils l'ont fait que dans l'espoir de me prendre à l'improviste et de me forcer à accepter le combat sans me donner le temps de m'y préparer.


NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CLXXXVII.

151. Contre Abélard, aux évêques qui devaient se réunir à Sens.... Abélard, originaire du diocèse de Nantes, était fils de Bérenger et de Lucie: il vint à Paris étudier la philosophie sous Guillaume de Champeaux, les mathématiques sous Rosselin, et la théologie sous Anselme de Laon; il le fit avec tant de succès qu'il compta autant d'envieux que d'admirateurs. Quand il eut terminé ses études, il ouvrit à Paris un cours d'Ecriture sainte où on se porta en foule; il donna aussi des leçons à la nièce du chanoine Fulbert, nommée Héloïse; mais il séduisit le coeur de celle dont il cultivait l'esprit. Fulbert ne put lui pardonner cette faute, bien qu'il l'eût réparée par le mariage, et une nuit qu'Abélard reposait dans un hôtel, il le mutila cruellement. Les deux amants allèrent cacher leur honte dans la retraite; Héloïse prit le voile à Argenteuil près Paris, et Abélard se fit religieux à Saint-Denis. Partout malheureux ou mal vu, il se retira à Deuil, dans un petit prieuré situé près de Saint-Denis, où il professa publiquement la théologie. Mais la pente naturelle de son esprit, qu'il n'essaya pas de remonter, lui fit accorder à la raison un rôle trop important, et il émit quelques propositions mal sonnantes qui le firent citer au concile de Soissons, assemblé vers 1121, comme nous le verrons plus loin, sous la présidence de Conon, légat du saint Siège: il fut forcé de jeter aux flammes son traité de la Trinité, espèce d'introduction à la théologie, dans lequel se trouvaient plusieurs propositions suspectes, et contraint de se renfermer dans le monastère de Saint-Médard de Soissons. L'auteur de la Vie de saint Gosvin, livre I, chapitre 18, attribue ce fait au pape Innocent Il, mais à tort, puisqu'à cette époque le saint Siège était occupé par Sergius II.

Abélard, ayant fini par obtenir la permission de se retirer dans un lieu désert, se rendit dans une solitude du diocèse de Troyes, où il se construisit un oratoire qu'il plaça d'abord sous l'invocation de la sainte Trinité et qu'il nomma ensuite le Paraclet. Il ne put y terminer ses jours en paix. Ayant été appelé par les moines de Saint-Gildas en Basse-Bretagne, au diocèse de Vannes, pour se mettre à leur tête avec le titre d'abbé, «il trouva dans ces religieux, comme il le raconte lui-même dans l'histoire de ses malheurs, des hommes plus cruels et pires que des païens.» De retour à sa chère solitude du Paraclet, il y fit venir Héloïse; elle se trouvait ainsi que ses religieuses expulsée du monastère d'Argenteuil, que l'abbé Suger avait réuni à la maison de Saint-Denis, en 1127. Il se remit dans sa solitude, à écrire et à enseigner, et se fit de nouveau accuser d'hérésie. On vit alors plusieurs écrivains, parmi lesquels on peut citer Geoffroy, abbé de Saint-Thierri, attaquer ses écrits; ce dernier en nota même quelques passages dont il envoya la réfutation à Geoffroy, évêque de Chartres, et à saint Bernard, abbé de Clairvaux, pour les exciter à prendre en main la cause de la foi. On peut voir sur ce sujet les lettres trois cent vingt-sixième et trois cent vingt-septième.

Cependant Abélard, ne pouvant supporter qu'on le traitât d'hérétique, cita saint Bernard, qu'il regardait comme l'auteur de cette imputation calomnieuse, au concile de Sens qui devait avoir lieu en 1140. Notre Saint ne s'y rendit qu'à regret: on cita plusieurs propositions impies extraites des ouvrages d'Abélard qui fut sommé ou de nier qu'il les eût écrites, ou de les abjurer s'il reconnaissait qu'elles fussent de lui. Dans soli trouble, il ne trouva rien à dire, s'il faut en croire Geoffroy d'Autun dans soli traité sur l'Apocalypse; mais au dire d'Othon de Freisingen, ce fut la crainte de soulever le peuple contre lui qui lui lit garder le silence; et saint Bernard prétend de son côté, dans sa lettre cent quatre-vingt treizième, qu'il aima mieux interjeter appel à Rome de la sentence portée contre lui, dans l'espérance d'y trouver des juges plus favorables parce qu'il comptait d'anciens disciples parmi les cardinaux et dans les rangs du clergé de l'Eglise romaine.

Néanmoins les Pères du concile condamnèrent les erreurs d'Abélard et en envoyèrent la liste au pape Innocent, en même temps que plusieurs lettres écrites par saint Bernard, tant au nom du concile qu'en soli propre nom, et adressées ail Pape lui même et aux cardinaux. L'une d'elles, la cent quatre-vingt-dixième, mérite surtout d'être lue; elle contient une réfutation pleine de force des principales erreurs d'Abélard. Les propositions erronées extraites de ses ouvrages et envoyées au pape Innocent se montent à dix-sept, ainsi que le manuscrit même du Paraclet cité dans le rapport des Pères du concile en fait foi; mais, comme on peut les trouver presque toutes dans la lettre cent quatre-vingt-dixième de saint Bernard et dans celle de Guillaume, qui est la trois cent quatre-vingt-dixième de notre collection, il ne nous a pas semblé à propos de les donner ici. D'ailleurs l'exposé que nous en avons placé,lu tome second des oeuvres de saint Bernard, d'après le manuscrit du Vatican, nous parait suffisant.

152. Le pape Innocent ayant reçu la lettre synodale des Pères du concile de Sens, leur répondit et condamna les erreurs qu'ils lui avaient signalées. Sa lettre est la cent quatre-vingt-quatorzième de notre collection des lettres de saint Bernard; mais il en existe encore une autre du même Pape concernant Abélard; voici en quels termes elle est conçue:

Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu. A nos vénérables frères Samson archevêque de Reims, et Henri archevêque de Sens, et à notre très-cher fils en Jésus-Christ, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et bénédiction apostolique.

«Par les présentes, nous enjoignons à vos Fraternités de faire enfermer séparément dans telles maisons religieuses qu'il vous plaira Pierre Abélard et Arnaud de Brescia, inventeurs de dogmes pervers et ennemis déclarés de la foi catholique; et de plus ordonnons de faire saisir partout où ils se trouveront et jeter aux flammes les livres où ils ont exposé leurs erreurs. Donné au palais de Latran le 15 août.» Sur l'enveloppe, on lisait ces mots: Ne communiquer le présent rescrit à personne, avant qu'il ait été remis aux archevêques eux-mêmes dans le colloque de Paris qui est sur le point de se réunir.

153. Abélard, se voyant condamné à Rome, se désista de son appel à la persuasion de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, qui l'accueillit avec bonté dans son monastère, lui fit faire sa paix avec saint Bernard, et plus tard le réconcilia avec le pape Innocent et avec l'Eglise. Il passa deux années à Cluny dans les exercices d'une vie pleine d'humilité. Comme il était accablé d'infirmités, il fut envoyé au monastère de Saint-Marcel, près de Chalon-sur-Saône, pour y rétablir sa santé; il y mourut en 1142, à l'âge de soixante-trois ans, après avoir donné pendant les derniers temps de sa vie le spectacle des plus rares vertus, dont Pierre le Vénérable retrace avec complaisance le tableau dans sa lettre à Héloïse, la vingt et unième du livre IV.

Parmi les partisans d'Abélard il s'en est trouvé qui n'ont pas craint d'affirmer qu'il n'avait point professé les erreurs qu'on lui imputait. Pour eux, non-seulement saint Bernard s'est battu contre des ombres et des fantômes, mais encore l'autorité du concile de Soissons qui l'a jugé était mille, et la sentence de la cour de Rome contre leur auteur favori est comme non avenue. Nous allons leur répondre en quelques mots.

I. Parmi les adversaires de saint Bernard, on cite Othon de Freisingen; bien qu'étant du même ordre que lui «et rempli de vénération pour sa personne, il en parle dans ses écrits comme d'un homme que le zèle de la religion chrétienne rendait ombrageux; il le fait naturellement crédule, le représente comme un ennemi déclaré de tous ceux qui se montraient un peu' trop partisans des arguments de raison et de la science humaine... de sorte que quiconque lui imputait quelque énormité en fait de doctrine, était sûr d'être écouté par lui avec complaisance.» C'est ainsi qu'Othon de Freisingen s'exprime sur le compte de saint Bernard, livre Ier des Faits et gestes de Fréderic, chap. XLVII, à l'occasion de Gilbert de la Porrée, et aussi en faveur d'Abélard. Mais Radevic rapporte, livre II des Faits et gestes de Frédéric, chapitre 2, qu'Othon, sentant qu'il s'était un peu trop montré favorable à Gilbert, ordonna, à son lit de mort, de corriger dans ses écrits tout ce qui avait pu lui échapper sur les opinions de Gilbert, de nature à blesser les oreilles orthodoxes, ce qui équivaut à une véritable rétractation; mais il y a plus encore, car Othon s'est lui-même exprimé ainsi, dans ses ouvrages, sur le compte d'Abélard: «Dès l'enfance, il s'adonna à l'étude des belles-lettres et des connaissances propres à orner l'esprit; mais il était si orgueilleux et si plein de lui-même qu'il était presque humilié de descendre des hauteurs de son intelligence pour écouter la leçon d'un maître.» Plus loin il continue: Ajoutez à cela qu'au concile de Soissons Abélard, de l'aveu même d'Othon, «fut convaincu de sabellianisme.» Mais en voilà assez pour qu'on puisse apprécier de quelle valeur est ce qu'Othon a pu dire contre saint Bernard.

On cite, en second lieu, en faveur d'Abélard, le témoignage de Pierre le Vénérable, qui dit dans sa lettre à Héloïse dont nous avons parlé plus haut: «Saint Germain ne fut pas plus humble, ni saint Martin plus pauvre.» Quand il s'exprimait ainsi sur le compte d'Abélard, Pierre le Vénérable ne parlait que des derniers temps de sa vie qu'il passa à Cluny. Mais saint Bernard ne s'était pas attaqué dans la lutte à la sainteté de la vie qu'il devait mener plus tard, et ne mérite pas quon l'accuse de ne s'en être pris qu'à dès ombres et des fantômes. La Chronique de Cluny dit fort bien au sujet de Pierre le Vénérable: «Pierre Abélard, ramené des erreurs qu'il avait professées contre la foi, par Pierre le Vénérable notre abbé, et par saint Bernard, abbé de Clairvaux, abjura et devint religieux de Cluny. A partir de ce jour, ses pensées, son langage et ses oeuvres ne cessèrent d'être divins ..... Et l'on peut dire de lui comme on le disait de Grégoire le Grand: Il ne fut jamais un seul instant sans prier, lire, écrire ou dicter... etc. Aussi Pierre le Vénérable se plaît-il à le donner en exemple.... On cite une foule de textes pareils à ceux-là, dans lesquels on exalte l'esprit, la science et la mort édifiante d'Abélard, comme si saint Bernard eût jamais contesté l'une ou l'autre de ces choses.

154. II. Quant au synode de Soissons, les partisans d'Abélard prétendent qu'il a outrepassé les limites de son autorité et de sa juridiction, attendu que ni l'archevêque de Reims, ni celui de Sens qui y assistaient, n'avaient de droit sur Abélard, alors abbé de Saint-Gildas, dans le diocèse de Vannes, et que son métropolitain, l'archevêque de Tours, n'était point présent au concile.

A cela on peut répondre que depuis douze ans Abélard était revenu dans son monastère du Paraclet, situé dans le diocèse de Troyes, suffragant de Sens; d'ailleurs il avait lui-même demandé à être jugé par les Pères de ce concile, comme on le voit dans la lettre cent quatre-vingt-onzième que saint Bernard adressa au souverain Pontife au nom de ce même concile: «Il a, dit-il, interjeté appel de la sentence prononcée contre lui dans le tribunal et par les juges que lui-même avait choisis.» Il ne faut pas croire, en effet, comme plusieurs ont le tort de le faire, que ce fut saint Bernard qui excita le zèle du concile de Sens contre Abélard; bien loin de là, il ne s'y rendit lui-même qu'à contre-coeur et parce qu'il y fut contraint, comme il le dit expressément dans ses lettres cent quatre-vingt-septième et cent quatre-vingt-neuvième, et ainsi que Geoffroy d'Autun, qui avait été disciple d'Abélard, en convient lui-même. Voici en quels termes il raconte ce fait dans son Commentaire sur l'Apocalypse: «S'étant rendu auprès de l'archevêque de Sens dans l'église cathédrale duquel allait s'assembler un grand concile, il se Plaignit des attiques que l'abbé de Clairvaux dirigeait en secret contre ses livres, puis il ajouta qu'il était prêt à défendre ses ouvrages en publie et demanda que ledit abbé fût mandé au concile afin d'exposer ce qu'il avait à dire contre ses écrits.» On peut donc dire qu'il a été justement condamné, puisque tout juge a juridiction sur quiconque le choisit pour arbitre. C'est une règle de droit (lib. II de Jud.).

La seconde attaque dirigée contre l'autorité du synode de Sens est celle de Pierre Bérenger de Poitiers: dans l'apologie qu'il a écrite pour Abélard son ancien maître, contre les Pères du concile et contre saint Bernard lui-même, il accumule de si odieux mensonges et tant de calomnies monstrueuses qu'il y a lieu de s'étonner qu'on puisse accepter et citer le témoignage d'un homme aussi manifestement sans honneur et sans foi, d'un auteur, en un mot, qui ne craint pas de s'exposer, je ne dis pas seulement au mépris, mais encore à la juste indignation des lecteurs par la manière inconvenante dont il parle de vénérables prélats auxquels il prodigue entre autres injures les noms d'ivrognes, de chiens et de pourceaux. Mais enfla, puisqu'il revint à de meilleurs sentiments, voyons en quels termes il écrivait à l'évêque de Mende au sujet de saint Bernard. «On me demande pourquoi je ne fais pas suivre mon premier volume d'un second, ainsi que je m'y étais engagé: c'est qu'avec le temps je sais devenu plus sage, et me sais rendu des deux pieds, comme on dit, au sentiment de l'abbé Bernard; je n'ai pas voulu me faire le champion des propositions incriminées d'Abélard, attendu que si elles ne sont pas erronées, elles sentent pourtant l'erreur. Si vous me demandez pourquoi je n'ai pas détruit mon premier volume, puisque je renonçais à la pensée d'écrire le second, je vous dirai que je n'aurais pas manqué de l'anéantir si je n'avais perdu ma peine à tenter de le faire, puisqu'il en serait toujours resté quelques exemplaires .....» etc.

155. III. Enfin on reproche à la sentence que le souverain Pontife a prononcée dans cette affaire d'avoir été portée avec trop de précipitation, puisque Abélard fût condamné avant que sa cause ait été plaidée et sans avoir été lui-même entendu. Mais les actes mêmes du concile de Sens auquel Abélard assista, n'étaient-ils pas suffisants pour instruire son procès? Y avait-il à la cour de Rome un cardinal, un seul clerc qui ignorât ses erreurs, et qui ne fût disposé à tenter tous les moyens de soustraire à une condamnation, si cela avait été possible, celui que plusieurs d'entre eux avaient eu pour maître?

On ne saurait donc ni attaquer la sentence du pape Innocent, ni contester aux Pères du concile de Sens et à saint Bernard le droit d'agir comme ils l'ont fait; Abélard n'avait d'autre moyen de couvrir son erreur que d'y renoncer et de changer de vie. Aussi, quand Héloïse demanda, après la mort de son cher Abélard, à Pierre le Vénérable de faire graver la sentence de son absolution sur son tombeau (on peut la voir dans la bibliothèque de Cluny et parmi les oeuvres d'Abélard), elle fit preuve de beaucoup plus de sens que tous ceux qui ont entrepris, dans leurs apologies, de montrer qu'il n'était pas tombé dans des erreurs qu'il n'a cessé tout le reste de sa vie de laver dans les larmes de la pénitence (Note de Mabillon).

A Sens, dans l'octave de la Pentecôte... Voici ce que dit à ce sujet Othon de Freisingen, livre I des Faits et gestes de Frédéric, chap. XLVIII: «Sous le pontificat du pape Innocent et le règne de Louis, fils de Louis l'Ancien, Pierre Abélard est de nouveau cité au concile de Sens par les évêques et par l'abbé Bernard, en présence du roi Louis, de Thibaut, comte palatin, de plusieurs personnages de distinction et d'un grand nombre de simples fidèles...»




LETTRE CLXXXVIII. AUX ÉVÊQUES ET AUX CARDINAUX DE LA COUR DE ROME, SUR LE MÊME SUJET.



Saint Bernard les engage à avoir l'oeil ouvert sur les erreurs d'Abélard.

A mes seigneurs et vénérables frères les évêques et cardinaux présents à la cour de Renne, le serviteur de leurs saintetés.

1. On ne saurait douter que c'est particulièrement à vous qu'il appartient d'arracher les scandales du royaume de Dieu, de couper les épines

a On voit par là que bien loin d'avoir fait appel à ce concile. comme on l'en accuse à tort, saint Bernard ne s'y rendit qu'à contre-coeur. On peut consulter à ce sujet les notes placées à la fin du volume, à la lettre 189.

qui y poussent et d'étouffer les divisions qui y naissent; car, en se retirant sur la montagne, Moïse (je parle de celui qui est venu dans l'eau et le sang, et non pas du Moïse qui ne vint que dans l'eau, lequel est moins grand que le nôtre, puisqu'il n'est pas venu dans le sang), Moïse a dit: «Je vous laisse Hur et Aaron, pour terminer les différends qui pourront surgir parmi vous (Ex 24,14).» Pour nous, Hur et Aaron, c'est le zèle et l'autorité que l'Église de Rome exerce sur le peuple de Dieu; aussi est-ce à elle que nous avons recours pour terminer nos disputes et pour empêcher qu'on ne porte atteinte à la foi et qu'on ne s'attaque à Jésus-Christ, qu'on n'insulte aux Pères et qu'on ne méprise. leur autorité, qu'on ne scandalise notre siècle et cpi'on ne nuise même aux siècles futurs. On méprise la foi des simples et l'on aspire à pénétrer les secrets de Dieu. On aborde avec audace les questions les plus ardues en riant des Pères de l'Église, qui croyaient plus sage de les laisser dormir que d'entreprendre de les résoudre. C'est ainsi que, malgré la défense de Dieu, on fait bouillir l'agneau pascal, ou bien on le mange tout cru à la manière des bêtes sauvages, et, au lieu de brûler ce qui en reste, on le foule indignement aux pieds (Ex 12,9). Voilà comment l'esprit humain veut étendre son domaine sur tout et ne laisse rien à la foi. Il aborde les choses qui sont au-dessus de sa portée et veut comprendre, ce qui passe ses lumières; il fait irruption dans les choses de Dieu et les défigure sous prétexte de les expliquer; il n'ouvre point la porte ou le sceau qui nous les cache, il les brise; il traite de pur néant ce qu'il ne peut comprendre et refuse de le croire.

2. Prenez la peine de lire le livre qu'Abélard appelle sa Théologie, il est aisé de se le procurer, puisque l'auteur se vante que presque toute la cour de Rome l'a entre les mains, et vous verrez en quels termes il s'exprime sur la sainte Trinité, la génération du Fils, la procession du Saint-Esprit, et sur beaucoup d'autres points qu'il entend d'une manière aussi nouvelle que choquante pour les oreilles et les âmes orthodoxes. lisez aussi ses Sentences et son Connais-toi toi-même, et vous verrez comme l'erreur et le sacrilège y pullulent (a); ce qu'il pense de l'âme de Jésus-Christ, de sa personne, de sa descente aux enfers et du sacrement de l'autel; du pouvoir de lier et de délier, du péché originel, de la concupiscence, du péché d'ignorance, de délectation et de faiblesse, de l'acte même du péché et de la volonté de pécher; et si vous trouvez que je n'ai pas tort de m'en alarmer, partagez mes alarmes; mais, pour le faire avec fruit, que votre sollicitude soit en rapport avec le rang que vous occupez, la dignité et le pouvoir que vous avez reçus. Faites descendre au fond des enfers ce téméraire qui ose diriger son vol au plus haut des

a Dans quelques éditions, on lit: «Et vous verrez quelles moissons de sacrilèges et d'erreurs y pullulent!» mais les manuscrits donnent notre version.

cieux; confondez à l'éclat de la lumière par excellence les oeuvres de ténèbres qu'il ose produire au jour. La condamnation publique de celui qui pèche publiquement ne peut manquer de réprimer les esprits audacieux qui font prendre également les ténèbres pour la lumière, qui dogmatisent jusque dans les carrefours sur les choses de Dieu et qui sèment dans leurs livres le poison de l'erreur qu'ils ont dans le coeur. Voilà comment vous réussirez à fermer la bouche aux impies.


NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CLXXXVIII.

156. Lisez aussi ses sentences..... Abélard affirme, dans son Apologie, qu'il n'a publié aucun ouvrage sous ce titre, et accuse ses adversaires «de le lui imputer par malice ou par ignorance.» Duchesne dit également dans ses notes que: «C'est par ignorance que saint Bernard attribue cet ouvrage à Abélard, dans sa lettre cent quatre-vingt-huitième, et semble insinuer qu'il a confondu Pierre auteur du livre des Sentences avec Abélard. Mais saint Bernard connaissait trop bien Pierre Lombard, dont il parle dans sa lettre quatre cent dixième, pour avoir commis une pareille méprise. D'ailleurs, à la date de cette lettre, Pierre Lombard n'avait pas encore publié son livre des Sentences. Nous avons entre les mains un ouvrage certainement composé par Abélard, ayant pour titre . Le oui et le non, mais auquel un très-vieux manuscrit donne le suivant . Sentences en apparence contradictoires, extraites des saintes Ecritures; c'est à cause de celle apparente contradiction qu'on a appelé ce recueil, LE OUI ET LE NON; mais je ne saurais dire si saint Bernard fait allusion à cette compilation dans sa lettre. Outre les ouvrages d'Abélard que cite Duchesne, il y en a un autre adressé à sa chère Héloïse sur l'Hexaméron (Note de Mabillon).




LETTRE CLXXXIX. AU PAPE INNOCENT, SUR LE MÊME SUJET.


Saint Bernard lui fait la peinture de la douleur où son. finie est plongée en voyant que l'Eglise, à peine sortie du schisme, est assaillie par les erreurs d'Abélard, et il l'engage à les combattre.


Au très-aimable père et seigneur Innocent, par la grâce de Dieu souverain pontife, son très-humble serviteur Bernard, abbé de Clairvaux.



1. C'est une nécessité que le scandale arrive, mais nécessité bien amère; aussi le Prophète s'écrie-t-il: «Qui me donnera les ailes de la colombe, afin que je prenne mon vol et me retire dans un lieu tranquille (Ps 54,7)?» tandis que l'Apôtre ne désire rien tant que de mourir afin de vivre en paix avec Jésus-Christ (Ph 1,23), et qu'un autre saint fait entendre ce gémissement: «C'en est assez, ô mon Dieu, reprenez mon âme, je ne vaux pas mieux que mes pères (1R 19,4)!» Je ressemble à ces saints personnages, sinon par la sainteté, du moins par les dispositions de mon coeur, car je voudrais comme eux sortir de ce monde, tant j'y suis accablé de tristesse et d'épreuves. Mais si je suis aussi fatigué qu'eux de la vie, je crains de n'être pas aussi bien préparé à la mort. La vie m'est à charge, mais je ne sais s'il me serait avantageux de mourir; d'ailleurs je vois encore une autre différence entre les saints et moi, c'est qu'ils appelaient la mort de leurs voeux, parce qu'elle devait les introduire dans un monde meilleur, et moi, au contraire, je ne l'invoque que pour échapper aux scandales et art épreuves de celui-ci; car si l'Apôtre dit: «Je voudrais mourir pour être avec Jésus-Christ (Ph 1,23),» un saint désir produit en lui ce qu'un sentiment de douleur fait en moi; il ne peut jouir dans ce misérable monde de l'objet de ses voeux, et moi je ne puis me soustraire aux maux que j'y souffre. Voilà pourquoi je dis que si nos désirs sont semblables, les motifs sur lesquels ils reposent sont bien différents.

2. Insensé que j'étais, je me promettais quelque tranquillité dès que la rage du lion serait apaisée et la paix rendue à l'Eglise; elle l'est, et je n'en puis goûter la douceur! J'avais oublié que je n'ai point encore quitté cette vallée de larmes et que j'habite toujours dans une terre ingrate qui ne sait produire pour moi que des ronces et des épines; en vain je les coupe, de nouvelles succèdent aux premières, et ne disparaissent que pour laisser la place à d'autres. On me l'avait bien dit, mais je n'en puis plus douter à présent, une dure expérience ne me convainc que trop de cette triste vérité. Je me croyais arrivé au terme de mes peines; elles recommencent de plus belle; je suis replongé dans les larmes et mes maux redoublent; à peine échappé aux frimas, je retombe dans les neiges; quel homme pourrait résister à un froid pareil (Ps 147,17)? Il glace la charité, mais il est favorable à l'iniquité. A peine échappés à la gueule du lion, nous tombons sous la dent du dragon; je ne sais lequel des deux est le plus à craindre de celui qui se tient caché dans les trous ou du lion qui rugit dans les montagnes. Mais que dis-je? ce n'est plus dans un trou que le dragon se cache. Plût à Dieu que ses feuilles empoisonnées demeurassent ensevelies dans quelque coin de bibliothèque! Mais on les lit dans les places publiques, elles volent de main en main, et les méchants, qui n'aiment pas la lumière, s'en prennent à la lumière, dont ils prodiguent le nom aux ténèbres. Voilà comptent en tous lieux elles se substituent à la première; la ville et la campagne avalent le poison qu'elles prennent pour du miel, ou mieux avec le miel. En un mot, ces écrits se répandent citez tous les peuples et passent d'un pays à l'autre. C'est un nouvel Evangile qu'on propose aux hommes, une foi nouvelle qu'on leur annonce, un autre fondement que celui de Jésus-Christ qu'on donne à leurs croyances. Ce n'est plus selon les principes de la morale qu'on traite des vices et des vertus, ni selon les règles de la foi qu'on parle des sacrements de l'Eglise, non plus que dans une simplicité discrète qu'on expose le mystère de la sainte Trinité; mais on renverse l'ancienne méthode et on nous propose toutes ces choses d'une manière extraordinaire et inouïe.

3. Le nouveau Goliath, tel qu'un géant terrible, s'avance armé de toutes pièces et précédé de son écuyer, Arnaud de Brescia. Ils sont l'un et l'autre comme l'écaille qui recouvre l'écaille et ne permet point à l'air de pénétrer par les jointures; l'abeille de France a appelé comme d'un coup de sifflet celle d'Italie a, et elles se sont réunies contré le Seigneur et son Christ. Tous deux ont bandé leur arc, ont garni leur carquois de flèches et se sont placés en embuscade pour tirer sur les coeurs simples. Tout dans leur extérieur et dans leur manière de vivre respire la piété, mais leurs coeurs en ignorent les véritables sentiments; et ces anges de

a Allusion au verset 18 du chapitre VII d'Isaïe ainsi conçu: «En ce temps-là, le Seigneur appellera comme d'un coup de sifflet la mouche qui est à l'extrémité des fleuves de l'Egypte et l'abeille qui est au pays d'Assur.» L'abeille de France est Abélard, et celle d'Italie Arnaud de Brescia, dont nous parlerons dans les notes de la lettre cent quatre-vingt-quinzième.

Satan, transformés de la sorte en anges de lumière, séduisent un grand nombre de personnes. Ce Goliath s'avance donc avec son écuyer entre les deux armées et il insulte aux phalanges d'Israël, il prodigue l'outrage aux bataillons des saints avec d'autant plus d'insolence qu'il sait bien qu'il n'a point à craindre qu'un David se présente. Pour abaisser les Pères de l'Eglise, il exalte les philosophes, il préfère leurs découvertes et ses propres nouveautés à leur foi et à leur doctrine. Enfin, quand il fait trembler et fuir tout le monde, c'est moi, le plus sa petit de tous, qu'il provoque au combat.

4. Enfin l'archevêque de Sens m'a écrit à sa sollicitation, pour me fixer un jour où il devait en sa présence et devant les évêques ses confrères, soutenir et prouver contre moi ses dogmes impies contre lesquels j'avais osé m'élever. Je refusai d'abord la lutte, parce qu'en effet je ne suis qu'un enfant et que mon adversaire est un homme qui s'est exercé à la lutte depuis sa jeunesse; d'ailleurs je ne trouvais pas qu'il fût convenable de commettre avec la faible raison humaine, la foi divine dont la certitude repose sur la vérité même. A mon avis il suffisait de ses propres frits pour le condamner; d'ailleurs cette affaire ne me regardait pas, c'était celle des évêques qui ont mission de juger les doctrines. Mais sur ma réponse, Abélard, élevant aussitôt la voix plus haut encore qu'il ne l'avait fait, appelle à lui et réunit à ses côtés une foule de partisans et mande à ses disciples sur mon compte des choses dont je vous épargnerai le récit. Il va publiant partout qu'il était prêt à me répondre au concile de Sens. Ce devint bientôt un bruit si général qu'il ne put manquer d'arriver jusqu'à mes oreilles. Je fis d'abord comme si je ne l'entendais pas, car toutes ces rumeurs populaires ne me touchaient guère; mais enfin je dus céder, bien à regret et les larmes aux yeux, aux conseils de mes amis qui, voyant que chacun se préparait à cette conférence comme à un spectacle, craignaient que mon absence ne fuit une occasion de chute pour les faibles en même temps qu'un sujet d'orgueil pour mon adversaire, et que l'erreur ne se fortifiât d'autant plus qu'elle ne rencontrerait point de contradicteur. Je me rendis donc le jour dit à l'endroit indiqué, n'ayant rien préparé ni pour l'attaque ni pour la défense, mais étant bien pénétré de cette parole: «Ne méditez point d'avance ce que vous devez répondre, car ce que vous aurez à dire vous sera suggéré à l'instant même (Mt 10,29);» et de cette autre du Prophète. «Le Seigneur est ma ressource, je ne crains rien de la part des hommes (Ps 117,6).» Outre les évêques et les abbés, il se trouva dans cette assemblée un grand nombre de religieux, de professeurs de différentes villes et de savants ecclésiastiques: le roi lui-même s'y était rendu. Ce fut en présence de tout ce monde que mon adversaire se leva pour engager la lutte; mais à peine eut-on commencé à produire certaines propositions extraites de ses ouvrages que, ne voulant pas en entendre davantage, il sortit de l'assemblée et en appela à Rome de la sentence des juges que lui-même avait choisis, ce qui me paraît tout à fait contraire au droit. Toutefois on n'en continua pas moins l'examen de ses propositions qu'on jugea tout d'une voix contraires à la foi et à la vérité. Voilà ce que j'ai à dire pour ma propre justification si par hasard on m'accuse d'imprudence ou de légèreté dans une affaire de cette importance.

5. Pour vous, qui êtes le successeur de Pierre, je vous laisse à juger si le siège de cet apôtre doit servir d'asile à l'ennemi de la foi qu'il a prêchée. Vous êtes l'ami de l'Epoux, c'est donc à vous qu'il appartient de mettre son Epouse à l'abri des coups qu'essaie de lui porter la langue perfide des méchants. Oui, c'est à vous, très-aimable Père, si vous me permettez de vous parler en toute liberté, de faire attention à vous et de tenir compte des grâces que vous avez reçues de Dieu. En effet, s'il a jeté les yeux sur votre néant pour vous élever au-dessus des peuples et des rois, n'est-ce pas afin que vous pussiez arracher et détruire, puis édifier et planter? Considérez, je vous prie, comment il vous a tiré de la maison de votre père et les grâces dont alors et depuis il a comblé votre âme. Que de choses il a faites par vous dans son Eglise! que de plantes mauvaises il vous a donné la force d'arracher et de détruire, à la face de la terre et du ciel, dans le champ du père de famille! que de belles constructions il vous a fait élever, que de plants de salut il vous a aidé à cultiver et à propager! S'il a permis au schisme de déchaîner sa rage sous votre pontificat, ce fut pour vous ménager la gloire de le terrasser. N'ai-je pas vu s'écrouler sous vos malédictions l'édifice de l'insensé, qui semblait reposer sur un fondement inébranlable? Oui, j'ai vu l'impie, je l'ai vu, dis-je, portant sa tête haute comme le cèdre du Liban; je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus! Au reste, a il faut qu'il y ait des schismes et des hérésies, afin qu'on puisse reconnaître ceux qui sont tout à fait à Dieu (1Co 11,19).» Or Dieu vous a déjà éprouvé, comme je l'ai dit, et reconnu dans le schisme; et pour que rien ne manque à votre gloire, voici maintenant l'hérésie qui lève la tête à son tour. Mettez donc le comble à vos vertus, et, pour ne déchoir en rien de la gloire des pontifes qui vous ont précédé, exterminez, très-aimable Père, exterminez tous ces petits renards qui dévastent la vigne du Seigneur; ne leur donnez pas le temps de grossir et de se multiplier, de peur que plus tard il ne soit impossible à vos successeurs de nous en débarrasser. Mais que parlé-je de petits renards? ils ne sont, hélas! déjà que trop grands et trop nombreux, et il ne faut rien moins qu'un bras aussi vigoureux que le vôtre pour les détruire. Jacinthe s'est montré plein d'animosité contre moi, mais il ne m'a pas fait tout le mal qu'il aurait voulu; quant à moi, il m'a semblé que je devais le supporter avec patience, bien qu'il n'ait pas eu beaucoup plus de ménagement pour votre personne et pour la cour de Rome que pour moi. Nicolas (a), que je vous envoie et qui ne. vous est pas moins dévoilé qu'à moi, vous fera part de tout cela de vive voix.





Bernard, Lettres 186