Vie de St Bernard - POUR LE JOUR DE L'ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE SAINT BERNARD.

LETTRE DU MÊME GEOFFROY A AUBIN, CARDINAL ÉVÊQUE D'ALBANO ET DE LA CONDAMNATION DES ERREURS DE GILBERT DE LA PORRÉE.



1. A son très-cherpère et seigneur A., par la grâce de Dieu évêque d'Albano, vicaire de monseigneur le pape, le frère Geoffroy de Clairvaux, l'hommage de son néant. Votre Paternité avait enjoint à notre vénérable frère, votre dévoué fils Augustin, de me charger de votre part, de vous faire connaître exactement par une lettre, ce qui s'est fait, le jugement qui a été porté, et enfin la manière dont il a été porté, dans le concile que le seigneur pape Eugène 3, d'heureuse mémoire, a célébré à Reims, sur certains chapitres trouvés et repris dans l'exposition de l'évêque de Poitiers, maître Gilbert. Que Votre Sérénité ne soit point étonnée si j'ai paru tarder à lui obéir, car jusqu'à la veille de la fête de la Toussaint, je n'ai pas entendu un seul mot, ni grand ni petit, sur cette affaire. C'est ce jour-là seulement que j'ai pris mes tablettes et mon pinceau, et que j'ai commencé à écrire cette lettre que j'aurais voulu vous envoyer plutôt; si je l'avais pu.

2. L'année où le susdit pape Eugène s'est assis sur la chaire de l'Église Romaine, son élévation, dès qu'elle fut connue, n'inspire pas une petite crainte aux méchants qui en eurent connaissance, en même temps que, d'un autre côté, elle donna une grande confiance à tous les honnêtes gens. Un grand homme, digne de vivre dans la mémoire de tous les gens de bien, Arnaud, surnommé Qui-ne-rit, remplissait les fonctions d'archidiacre dans l'église de Poitiers du susdit évêque, qui ne l'avait pas nommé à ce poste, mais qui l'y avait trouvé placé par son prédécesseur. Il eût été, en effet, difficile à un tel arbre de produire un pareil fruit. Il arriva donc que cet archidiacre, aussi plein de foi que l'éloquence, commença par avertir amicalement, comme je le pense, l'évêque sur quelques points de foi. L'évêque ne s'étant pas rendu à ses observations, Arnaud lui reprocha publiquement ses erreurs dans l'église. On appela à l'Église de Rome, et la question fut portée devant le pape que j'ai nommé plus haut. Comme il se proposait de venir en France, il ordonna girafe les deux partis se présentassent à lui, aux fêtes de Pâques, à Paris; car tous les intérêts du Christ reposaient sur lui partout où il se trouvait, comme étant proprement son affaire à lui: sur ce point tout le monde est d'accord. On fit donc une enquête sur le livre de l'Exposition de Boëce, dont nous avons parlé plus haut. On le demanda à l'évêque Gilbert, qui répondit ne l'avoir plus à sa disposition. Toutefois on en retrouva, entre les mains de quelques écoliers, un fragment, où, entre autre chose, on lisait ces paroles: «Si un homme qui ne peut subsister sans le concours de diverses formes, par suite de la prédominance d'une de ces formes sur l'autre, par exemple, de la sagesse, est appelé la sagesse même, et que, d'après ce principe, quelque grand que vous soyez, vous n'êtes rien que sagesse, à plus forte raison, Dieu, qui n'a pas besoin de formes diverses pour subsister, est-il appelé sa sagesse, sa bonté, etc.» On cita donc ce texte, et saint Bernard éleva la discussion contre l'évêque, en disant qu'il lui semblait que c'était avancer un mot bien grave et même une énormité, que de dire que Dieu peut subsister sans le concours de diverses formes comme s'il ne subsistait que par une. Il ajoutait que la similitude de cette locution emphatique était loin de convenir à Dieu, et que, il n'en est pas de lui comme de tout homme dont on dit qu'il est la sagesse, mais que c'est en vérité et substantiellement qu'on dit de Dieu qu'il est sa sagesse, son essence, sa divinité, et non pas au sens qu'on dit en parlant de Davus, que c'est le crime en personne. Quant à l'évêque, on disait qu'il n'avait ni cru, ni enseigné, ni écrit que la divinité n'est pas Dieu, et qu'il y avait en Dieu une forme ou une essence qui ne fût pas Dieu; il fit plus encore, et prit ses propres disciples, c'est-à-dire l'évêque d'Évreux, homme de naissance distinguée, qui devint plus tard archevêque de Rouen et qui est connu sous le nom de Rotold, puis maître Yves de Chartres, à témoin qu'il n'avait ni professé, ni cru ce dogme; mais il n'invoqua leur témoignage que malgré lui, ainsi qu il nous a été facile de le remarquer, et contraint par les instances de ses amis, en présence du texte de son livre que nous avons rapporté plus haut. Mais, comme les uns affirmaient une chose et les autres en affirmaient une autre, le souverain pontife lui enjoignit de lui envoyer son livre, avant le concile qu'il se proposait de célébrer à Reims,la même année, pour l'examiner avec soin, et de se tenir prêt à répondre à toutes les objections qui lui seraient faites dans ce concile.

3. Or il arriva que le dit seigneur Eugène remit l'Exposition de Gilbert, quand il l'eut reçue des mains de cet évêque, à un vénérable abbé de Prémontré nommé Godescalc, du monastère de Mont-Saint-Eloi, qui devint plus tard évêque d'Arras, avec mission de l'étudier soigneusement. Cet abbé, homme fort instruit, nota avec soin certains chapitres, en marge desquels il écrivit quelques textes tirés des livres des saints pères, et manifestement contraires à la doctrine du livre, et, en arrivant au concile, il présenta au seigneur pape, ces notes avec le livre de l'évêque de Poitiers. Or, cette année là, le Seigneur avait appelé à lui une des grandes colonnes de l'Église, dom Aubry, évêque d'Ostie. Cet homme, dont on doit parler avec le plus grand respect, avait rempli les fonctions de légat en Aquitaine, où il avait appris, sur la vie et les doctrines de Gilbert, tant de choses, que l'évêque de Poitiers, à qui sa conscience était loin de rendre le témoignage qu'il aurait fallu, tremblait bien plus à la pensée du zèle plein de ferveur de cet évêque d'Ostie, qu'à celle de tous les autres cardinaux de cette époque. Il ne manque pas de personnes pour croire que, si ce cardinal eût encore vécu, l'évêque de Poitiers n'aurait jamais eu l'audace de soutenir en sa présence les doctrines qu'il osa professer, On en vint à la discussion des chapitres que le susdit abbé Godescale avait notés; mais comme ce dernier n'avait pas la parole facile, le seigneur pape remit le livre de Gilbert, avec les textes des saints pères qui lui étaient contraires, à Bernard, notre saint abbé de Clairvaux. Il y avait là présents plusieurs grands hommes fort instruits dans les lettres; c'étaient Geoffroy de l'Oratoire, archevêque de Bordeaux, dont l'évêque de Poitiers était suffragant; Milon, évêque des Morins, assez distingué par sa science et sa piété; Josselin, évêque de Soissons, aussi versé dans la science des lettres profanes que dans celle des lettres sacrées; Suger, abbé de saint Denis, à qui le roi de France Louis, en partant pour la Terre sainte, avait confié l'administration de son royaume. Ces hommes et plusieurs autres attaquèrent, avec saint Bernard, les susdits chapitres par des arguments tirés également de la raison et de l'Écriture sainte. Toutefois l'évêque Geoffroy que nous avons nommé plus haut, parlait moins que les autres, pour épargner Gilbert, se réservant de s'expliquer au moment ou on prononcerait le jugement, ainsi qu'il l'a humblement confessé lui-même; il s'en repentit ensuite, quand il apprit que les seigneurs cardinaux, dont on savait que les principaux inclinaient du côté du coupable et même se montraient évidemment favorables à sa cause, avaient promis, en entendant les objections, de condamner Gilbert.

4. En entrant au consistoire, le premier jour, nous trouvâmes que l'évêque de Poitiers avait fait apporter par ses clercs une masse de volumes, tandis que nous n'avions, nous autres, que quelques textes des pères de l'Église, sur une seule feuille de papier. Quand la discussion fut engagée, les partisans de cet homme nous calomnièrent en disant que nous citions des textes tronqués, tandis que lui mettait sous les yeux des volumes entiers, où on pouvait voir les rapports des propositions citées avec celles qui les précédaient ou qui les suivaient. Cependant, on cita un chapitre extrait de son livre, conçu en ces termes: «Quand on dit Dieu, ce mot a rapport à la substance qui n'est pas Dieu, mais par laquelle Dieu est Dieu.» A ces mots, comme les uns et les autres se récrient, ou accusent l'auteur, et lui reprochent, non sans raison, ses tergiversations, saint Bernard lui dit: «Qu'est-il besoin de nous arrêter davantage à ces expressions; toute la cause du scandale vient de ce que la plupart sont persuadés que vous croyez et que vous enseignez que l'essence ou la nature de Dieu, que sa divinité, sa sagesse, sa bonté, sa grandeur, ne sont pas Dieu, mais des formes par lesquelles Dieu est. Est-ce là ce que vous croyez? Répondez oui ou non clairement.» Il osa dire: «La forme de Dieu et la divinité par laquelle il est Dieu, n'est pas elle-même Dieu.» Alors saint Bernard s'écria: «Nous avons ce que nous cherchions; qu'on mette cet aveu par écrit.» Le souverain pontife ordonna qu'on le fit, et dom Henri de Pise, alors sous-diacre de l'Église de Rome, et qui plus tard devait être moine à Clairvaux, puis abbé de saint Anastase et enfin cardinal prêtre du titre des saints Nérée et Achillée, sur l'ordre du pape, apporta du papier, une plume et de l'encre. Pendant qu'il écrivait l'aveu de Gilbert, cet évêque dit à saint Bernard: «Et vous aussi, écrivez que la divinité est Dieu.» Et l'abbé, sans s'émouvoir, répondit: «Oui, qu'on écrive, avec un stylet de fer, sur un ongle d'aimant, ou plutôt qu'on grave sur la pierre, que l'essence de Dieu, sa forme, sa nature, sa déité, sa bonté, sa sagesse, sa vertu, sa puissance, sa grandeur sont vraiment Dieu.»

5. On discuta ensuite sur le même chapitre, et on en vint au point que le saint s'écria: «Si cette forme n'est pas Dieu, elle est meilleure que Dieu, puisque c'est à elle que Dieu doit d'être Dieu, tandis que, pour elle, ait contraire, elle n'est pas de Dieu. et ne reçoit rien de lui.» Il m'a semblé que je devais rapporter cela, surtout par ce motif particulier que, après la discussion, étant allé à la bibliothèque de l'église de Reims, j'y pris plusieurs manuscrits, cil je trouvai entre autres textes, dans un livre de saint Augustin sur la Trinité, à peu près les mêmes paroles que celles dont s'était servi saint Bernard. Saint Augustin s'exprime, en effet, ainsi: «Si Dieu est grand, ce n'est que par la grandeur, laquelle n'est autre que lui-même, autrement cette grandeur serait plus grande que Dieu.» D'ailleurs comme on discutait, le premier jour,sur le premier chapitre, je fis remarquer moi-même à l'évêque, ainsi que tout le monde l'entendit, qu'il avait nié catégoriquement, même année, à Paris, devant le seigneur pape, et devant la plus grande partie des personnes importantes qui étaient là présentes, les propres expressions qu'il venait d'employer, et qu'il avait produit des témoins pour prouver qu'il n'avait jamais ni cru, ni enseigné rien de tel. Mais lui, Plein d'une confiance très-grande, plus grande peut-être qu'il ne l'aurait voulu plus tard, attendu qu'il ne pouvait nier qu'il avait désavoué ces expressions, s'écria: «Quoi que j'aie dit alors, voilà ce que je dis aujourd'hui.» Pour moi, j'ai poussé un profond soupir, en voyant que, en présence de tels juges, on pouvait presque impunément porter l'audace aussi loin, et je lui dis. «Vous êtes donc comme le roi, et vous avez votre dit et votre dédit?»

6. Pendant que les personnes qui étaient présentes discutaient sur ce premier chapitre, il arriva qu'on en vint à toucher su second, quand l'évêque de Poitiers avança que «Ni un seul Dieu, ni quoi que ce soit d'un, ne sont trois personnes, quoique les trois personnes soient un seul Dieu, c'est à dire soient d'une seule divinité, et sont un, c'est à dire d'un.» Et on disputa longtemps sur ce chapitre, jusqu'à ce que saint Bernard suggéra la pensée, et que le seigneur pape ordonna de le mettre par écrit avec le premier. A cette proposition, on opposa l'autorité assez évidente de saint Athanase, qui s'exprime en ces termes: «Les chants des Vertus célestes confirment qu'un est trois, et que trois sont un.» Le lendemain, nous apportâmes une telle masse de cahiers pour la dispute, que les partisans de l'évoque en furent tout stupéfaits, en nous entendant dira que nous n'avions pris aucune note. L'évêque faisait citer des livres de saint Hilaire, et du corps des canons contenus dans les lettres de quelques Grecs, des textes tout à fait inintelligibles, avec une extrême rapidité et en quantité très-considérable. Et i1 ne manquait pas de gens qui se faisaient les défenseurs de son opinion, bien qu'ils la comprissent peu. Le même jour on ajouta deux chapitres aux deux premiers, et on les consigna par écrit; c'étaient que cet évêque avançait que les propriétés des personnes et l'immense multitude des choses éternelles étaient véritablement sacs commencement, et que cependant aucune d'elles n'était Dieu, aucune n'était de Dieu.

7. Le quatrième chapitre était que la nature divine n'a pas pris la nature humaine, mais que c'est la personne du Fils qui l'a prise, contrairement à ces paroles de saint Grégoire. «La divinité est venue à nous chaussée de l'humanité,» et à ce texte de saint Augustin dans son premier livre de la Trinité: «D'où il suit que, puisque la forme de Dieu a pris la forme de l'esclave, il est en même temps Dieu et homme,» de même qu'à ces paroles du même père dans son soixante quinzième traité sur l'Évangile de saint Jean: «Il s'est anéanti lui-même, et s'est fait homme, etc... qui a fait cela? si ce n'est pas Jésus-Christ lui-même. Mais, Jésus-Christ c'est tout cela en même temps, c'est le Verbe en la forme de Dieu, laquelle a reçu la forme de l'esclave, c'est l'âme et la chair dans la forme de l'esclave, laquelle a été reçue par la forme de Dieu,» et à ces expressions du pape saint Léon. «Cette nature nous a pris de telle sorte que ce qui lui est propre n'a point été absorbé par ce qui nous est propre, ni ce qui nous est propre par ce qui lui est propre.» Après qu'on eut bien longtemps discuté, on leva la séance, et nos seigneurs les cardinaux résumèrent le tout en disant: «Nous avons entendu les propositions, à présent il nous reste à juger comment on doit les définir. Cette parole fit une telle impression sur l'esprit de plusieurs, que, le lendemain, dix archevêques et une grande multitude d'évêques, d'abbés et de docteurs, se réunirent chez saint Bernard. Et, comme on savait que presque tous ceux qui semblaient se réserver ainsi le jugement de l'affaire étaient favorables, sinon à l'erreur, du moins à l'errant, tous furent d'avis qu'il y avait nécessité de leur envoyer le symbole de leur foi, au sujet de ces chapitres de l'évêque Gilbert, afin qu'ils fussent plus complètement en état de formuler leur jugement. Ils écrivirent donc autant de propositions que Gilbert en avait émis, avec le plus de précision qu'ils purent, dans lesquelles se trouvait exprimée leur confession de foi, contraire aux paroles de l'évêque, en tout et pour tout, et, après l'avoir. rédigée d'un commun accord et avec mûre délibération, ils décidèrent de la communiquer à ceux qui s'étaient réservé le jugement de cette affaire. Ce n'est pas cependant qu'ils craignissent que les cardinaux définissent rien de contraire; mais ils croyaient que plusieurs parmi eux inclinaient à dissoudre le concile sans rien définir. Voilà pourquoi l'écrit que nous vous avons dernièrement envoyé, porte, au bas, la signature de tous les archevêques, évêques, abbés et docteurs qui étaient présents et qui ont souscrit d'un commun accord et consentement.

8. On choisit trois personnes qui furent chargées d'aller présenter cet écrit au seigneur pape et aux cardinaux; c'étaient les deux très-révérends évêques d'Auxerre et des Morins, Hugues et Milon,et l'abbé de saint Denis, Suger; ils avaient mission de dire au pape et aux cardinaux: «Nous avons souffert des discours peu en harmonie avec le respect qui vous est dû, jusqu'à ce que nous vous ayons entendu dire que vous vouliez prononcer le jugement qu'il y aurait à en porter. Nous venons donc vous offrir, nous aussi, notre confession, afin que vous ne jugiez pas seulement une des deux parties, mais les deux parties à la fois. Vous avez par écrit la confession de cet homme, il convient que vous ayez aussi la nôtre. Toutefois, il vous a donné la sienne avec ce correctif qu'il était prêt à la corriger, si votre sentiment différait du sien en quelque chose; pour nous, au contraire, rejetant complètement une pareille condition, nous voulons que vous sachiez en vous présentant notre profession de foi que nous sommes dans ces sentiments, que nous y persévérerons, et que nous n'y changerons absolument rien.» Le seigneur pape leur répondit à l'instant même, et leur ordonna de rapporter à ceux qui les avaient envoyés, que «l'Église romaine n'avait pas d'autres sentiments que ceux qu'ils exprimaient dans leur confession, et que si quelques-uns avaient paru se montrer favorables à la personne de Gilbert, aucun ne tenait pour sa doctrine.» A la suite de cela, toute l'assemble se réunit dans le beau palais appelé Thau. On interrogea l'évêque de Poitiers, qui renonça librement à tous ses chapitres, et qui ajouta de plus ces paroles: «Si vous croyez autrement, je le crois aussi; si vous vous exprimez d'une autre manière, je m'exprime de même, et si vous souscrivez différemment, je souscris comme vous.» Alors le seigneur pape, en vertu de son autorité apostolique, et de l'assentiment de toute l'assemblée qui se trouvait réunie là, condamna les chapitres,et défendit expressément à qui que ce fût d'avoir l'audace de lire ce livre ainsi condamné, et de le copier, avant que l'Église romaine l'eût corrigé. Et,comme l'évêque répondait: «Je le corrigerai comme il vous plaira.» Le pape lui dit: «Non, cette correction ne vous sera pas confiée.»

9. Il y avait encore d'autres choses que, dit-on, l'évêque Gilbert avait souvent enseignées dans ses écoles et que ses disciples avaient entendu et sur lesquelles nous fermions les yeux. Cependant, à cause de la multitude des écoliers qui affirmaient les lui avoir entendu souvent professer, on déchira de son livre et on mit en pièces, devant tout le monde, les feuilles où on disait que ces propositions se trouvaient écrites. Comme on demandait du feu pour les brûler, quelques-uns répondirent qu'il suffi;ait de les déchirer. Je ne me mis pas en peine à cette époque de connaître quels étaient ces chapitres, mais je le sais aujourd'hui. D'ailleurs, pour ce qui est des autres chapitres, au sujet desquels vous m'avez fait l'honneur de me donner vos ordres, en recherchant avec soin dans le livre des Gloses du Psautier, que le même Gilbert de la Porrée a écrites sur ce verset: Adorez l'escabeau de ses pieds, voici ce que j'ai trouvé: «La chair est de la terre, et le Christ a pris son corps de la chair de Marie. Ce corps est adoré par nous sans impiété, attendu que personne ne mange la chair de Jésus-Christ spirituellement, qu'il ne l'ait d'abord adorée.» Jusque-là ce ne sont que les propres expressions de saint Augustin; mais tout de suite après Gilbert ajoute cette explication qui en est comme le complément: «Nous ne l'adorons pas de ce genre d'adoration qu'on appelle culte de latrie, qu'on ne rend qu'au Créateur, mais de cette adoration qui consiste tout entière dans le culte de dulie, attendu que le culte de dulie est une adoration qui convient également à la créature; elle est de deux sortes, l'une se rapporte indifféremment à tous les hommes, l'autre ne convient qu'à l'humanité de Jésus-Christ.» Dans le livre de ses Gloses sur l'Épître de saint Paul, voici de quel commentaire il accompagne ce verset: C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom au-dessus de tout nom: «Quelques-uns pensent que ce nom a été donné à l'homme, ce qui ne s'appuie sur aucune raison. En effet, il leur semble que ce nom a l'office de Dieu même, que ce nom est Dieu même, qu'il est au dessus de tout nom, non par la seule appellation, mais par nature, et qu'il l'a reçu non pas après sa passion, mais plutôt après sa génération du Père de qui il tient tout. Par conséquent, ce nom n'a pas été donné à l'homme, à moins peut-être qu'on ne dise que tout lui est donné par l'adoption; mais on ne fléchit pas le genou à un dieu adoptif, car un tel dieu n'est pas dans la gloire du Père, il n'y a qu'à un Dieu né de Dieu, que cela convienne. Cependant l'Apôtre dit: Il lui a donné un nom, etc. Si je dis cela, c'est parce que ce n'est que par sa naissance qu'il s'est trouvé en état d'être manifesté par la croix, tel qu'il a reçu l'être du Père, entant qu'il a été engendré.» Or, à l'époque du concile nous n'avions entendu parler d'aucun de ces chapitres, nous ne les connaissions aucunement.

10. Cette doctrine parait contraire à la doctrine suivante, qui se trouve dans les écrits de saint Léon, pape, dont l'autorité, comme le sait très-bien Votre Discrétion, a été confirmée par les saints canons. En effet, voici comment il s'exprime dans son sermon pour la fête de Pâques: «La créature n'a pas été prise par le Créateur qui se l'est associée, de telle sorte qu'il habitât en elle et qu'elle ne fût que sa demeure; mais créature et Créateur sont, l'une et l'autre, Dieu, par la puissance de celui qui s'est associé la créature; l'une et l'autre sont homme, par la bassesse de celle qui a été prise pour associée. Par conséquent, dans l'une et dans l'autre nature, c'est le même Fils de Dieu, et il n'y a rien dans l'une ni dans l'autre, qui ne soit de l'un et de l'autre en même temps.» Ailleurs, il dit encore: «Nous ne séparons aucunement le visible de l'invisible, le corporel de l'incorporel, et, dans le Christ, nous adorons le Verbe homme, et dans le Verbe nous adorons le Christ.» Plus bas, il dit: «Croyez fidèlement l'un et l'autre, et adorez-les l'un et l'autre fidèlement; qu'il n'y ait aucune division dans l'unité du Verbe et de la chair.» Le même pape, dans son sermon pour la fête de Noël, s'exprime ainsi: «A partir du moment où le Verbe s'est fait chair, il n'est pas permis de penser que le Dieu est sans l'homme, ni l'homme sans le Dieu, attendu qu'il ne manque rien de la divinité à celui qui a été pris par elle, ni rien de l'humanité au Dieu qui l'a prise. En effet, ce qui est de l'homme ne préjudicie en rien à ce qui est du Dieu, non plus que ce qui est du Dieu ne préjudicie à ce qui est de l'homme. Celui qui est chair est le même que celui qui est le Verbe.» Le même pape écrivait à l'évêque Flavien: «C'est une pensée de l'évangéliste et apôtre saint Jean que celui qui détruit Jésus-Christ n'est point de Dieu, C'est un antéchrist (1Jn 4,13). Or qu'est-ce que détruire Jésus-Christ, sinon Séparer la nature humaine du Verbe?» Saint Augustin, dans ses définitions des dogmes de l'Église dit: «L'Homousion au Père et à l'homme est adoré par les anges et par toute créature, comme le Père et le Saint-Esprit, non pas l'homme à cause de Dieu, ou le Christ avec Dieu, mais l'homme en Dieu et Dieu en l'homme.» Le même saint, en parlant de la prédestination des saints, dit: «Où cet homme a-t-il mérité d'être pris par le Verbe en l'unité de personne pour être le Fils unique de Dieu? car nous tenons de l'apôtre, que le Seigneur de gloire, en tant que l'homme a été fait Fils de Dieu, a été prédestiné. Par suite de cette prédestination, l'élévation de la nature humaine est si grande,.si haute, si suprême, qu'elle ne saurait être élevée plus haut.» Saint Jérôme, dans son Bréviaire des psaumes, à ce verset, Adorez l'escabeau de ses pieds, dit. «Quoique l'homme ait été pris par Dieu, et que, en comparaison de Dieu, toute créature n'est que l'escabeau de ses pieds, cependant cet escabeau même se trouve associé à Dieu. Et voyez ce que j'ose dire de son trône: j'adore son escabeau comme son trône. Je ne comprends pas que celui qui soit assis est une chose et que l'escabeau en soit une autre; mais tout en Jésus-Christ, est le trône de Dieu. Je ne sais pas comment cela est, et cependant je crois que c'est. Il me suffit de savoir que ce que je crois est écrit: Nous sommes appelés des hommes de foi, non des hommes de raison.»

11. Au chapitre quatre, melon que nous l'avons dit plus haut, est opposé le sentiment du pape Léon, écrivant en ces termes à l'évêque Flavien: «L'Apôtre a dit: Soyez dans les mêmes sentiments, etc.... jusqu'à ces mots: dans la gloire du Père (Ph 2,3-11). C'est de l'élévation de celui qui est pris, non de celui qui prend, qu'il, est question là. C'est Dieu qui exalte celui qui, est pris. Et sachant bien que l'éternelle déité du Fils n'a reçu dans le Père aucun accroissement, remarquez prudemment que celui à qui il a été dit: Tu es terre, et tu retourneras en terre, n'est pas le même que celui à qui il est dit en Jésus-Christ: Asseyez-vous à ma droite.» Le même pape, dans sa lettre aux habitants de Constantinople, parle ainsi: «Que les adversaires de la vérité disent quand, ou selon quelle nature, le Père tout-puissant a élevé le Fils au dessus de tout, ou à quelle substance il a soumis toutes choses. En effet, la déité du Verbe est égale en toutes choses et consubstantielle au Père; mais celui qui a reçu de l'accroissement était plus petit que celui qui le lui donnait. Il a reçu du Père, dans la nature de l'homme, ce que lui-même a donné dans la nature de la déité.» Le même pape, en s'adressant à Léon Auguste et aux Palestiniens, s'exprime ainsi: «Pour ce qui est de l'élévation par laquelle Dieu l'a élevé, et lui a donné un nom au dessus de tous les noms, nous comprenons qu'elle se rapporte à la forme qui devait être enrichie par l'exaltation d'une telle glorification.» Ailleurs, il dit encore: «Tout ce qu'il a reçu, il l'a reçu dans le temps comme un homme à qui on donne ce qu'il n'a pas. Quant à sa forme d'esclave, elle a été élevée dans la gloire de la puissance divine; il n'importe pas sous quelle substance le Christ est nommé ou adoré.» Saut Jérôme, dans son Bréviaire sur l'épître aux Philippiens, a dit: «Si l'homme ainsi pris, a daigné s'humilier, c'est avec raison que la divinité, qui ne petit s'humilier, a exalté celui qui s'est humilié. Mais il lui a été donné un nom qu'il n'avait pas auparavant. D'où il suit que ce passage peut être légitimement entendu de la nature humaine.» Le même auteur, sur ces mots: Le Seigneur a dit à mon seigneur, s'exprime ainsi: «Le Sauveur a expliqué ce passage dans l'Évangile, en disant: Si le Christ est fils de David, comment celui-ci l'appelle-t-il en esprit son Seigneur? Et quel seigneur est ce Seigneur à qui il est ordonné de s'asseoir? En effet, Dieu ne s'asseoit pas, il ne s'asseoit que par le corps qu'il a pris. Celui à qui il est ordonné de s'asseoir, c'est l'homme qui a été pris.» Saint Augustin, contre Maxime, dit, au sujet de ces paroles, il lui a donné un nom, etc.: «C'est à l'homme qu'il a donné ce nom, ce n'est pas au Dieu. Et ensuite, la forme dans laquelle il a été crucifié, a été exalté, c'est à elle qu'a été donné un nom au-dessus de tout nom, c'est à l'homme Christ qui est mort, qui est ressuscité, qui est monté aux cieux selon la chair; car le nom qui lui est donné est un nom au-dessus de tous les noms.»

12. Du reste, pour terminer cette lettre, s'il plaît à Votre Discrétion d'être pleinement édifiée sur les quatre premiers chapitres, il y a dans les sermons de saint Bernard sur le Cantique des cantiques, une discussion très soignée sur ce sujet. Je. désire, et je demande à Dieu que Votre Paternité se porte toujours bien dans le Seigneur. Je vous recommande nos frères de Fosse-Nove. Je serais très-heureuxd'apprendre que vous allez bien et que l'état de la sainte Église est satisfaisant.

13. Cette lettre était à peine terminée par celui à qui je l'avais donnée à écrire, que, au même moment, la volonté du Seigneur fut que je trouvasse ce que je désirai;. En effet, avant qu'on me remît cette lettre, un autre frère m'apporta un écrit que je cherchais depuis longtemps et que je désespérais complètement de retrouver. Je l'ai composé au sujet des mêmes chapitres, il y a environ quarante ans, en même temps que la profession de foi qui fut présentée par les personnes dont j'ai parlé plus haut au seigneur pape et à l'Église romaine, de la part de dix archevêques et de presque tous les évêques qui se trouvaient alors à. Reims, ainsi que de nombreux et très-grands abbés et de maîtres d'école, qui l'avaient tous signée. Aussi, quelle ne fut pas ma joie? J'ai ajouté cet écrit à cette lettre, et je vous envoie l'un et l'autre avec une piété toute filiale, comme à mon très-cher Seigneur.

14. J'ai appris également que Votre Diligence désirait connaître plus complètement aussi la vérité, en ce qui concerne la condamnation d'Abélard, dont le pape Innocent 2, de pieuse mémoire, fit brûler les livres à Rome dans l'église du bienheureux Pierre, en les déclarant hérétiques, en vertu de son autorité apostolique. Plusieurs années auparavant, un vénérable cardinal et légat de l'Église romaine, nommé Conon, ancien chanoine régulier de l'église de saint Nicolas d'Aroaise, avait de même condamné au feu sa théologie au concile de Soissons, qu'il présidait, après avoir reproché à Pierre lui-même qui était présent, ses erreurs, l'avoir convaincu de sa perversité hérétique, et l'avoir condamné. Si donc il vous plaît, il sera satisfait à vos désirs par le petit livre de la Vie de saint Bernard, et par les lettres que cet abbé a écrites à la cour de Rome sur ce sujet. Cependant, j'ai trouvé à Clairvaux un petit lige composé par un abbé des moines noirs, où se trouvent notées toutes les erreurs de Pierre, de me rappelle parfaitement l'avoir vu autrefois, mais, depuis plusieurs années, au rapport des conservateurs de la bibliothèque, on a recherché avec soin le manuscrit de cet ouvrage, sans pouvoir le retrouver depuis quatre ans. Aussi me proposé je d'envoyer quelqu'un au monastère dont l'auteur de ce livre était abbé, et, si je puis me le procurer, je le ferai copier tout entier et je vous l'enverrai. D'ailleurs, je crois qu'il doit suffire à vos recherches de savoir quels ont été les points condamnés, comment et pourquoi ils l'ont été.




















DU MÊME GEOFFROY,

LIVRE CONTRE LES PROPOSITIONS DE GILBERT, ÉVÊQUE DE POITIERS




Table des matières


PREMIER CHAPITRE.

SECOND CHAPITRE.

TROISIÈME CHAPITRE


CHAPITRE IV.
Symbole de foi, publié contre les chapitres de Gilbert, par les Pères des dix provinces, avec plusieurs évêques et abbés, et rédigé par Bernard, le très-révérend abbé de Clairvaux.



Cher lecteur, vous trouverez dans ces pages quatre propositions qui ont été naguère exposées et condamnées dans une grande assemblée ecclésiastique, comme répugnant à une vérité manifeste, non pas à une vérité quelconque, mais à une vérité telle qu'il n'était pas possible de fermer les yeux sur les atteintes qui lui étaient portées, attendu qu'elle est, plus que toute autre, le fondement de la foi catholique. Ce sont les pains cachés qu'un célèbre docteur, nommé Gilbert, surnommé de la Porrée, avait vendus à ses disciples pendant un fort long temps. Il avait enivré un grand nombre d'entre eux avec des eaux dérobées, c'étaient particulièrement des jeunes gens, dont l'esprit se prête aux nouveautés. Se précipitant sur les pages divines, sans en avoir la clef, qui est le Christ, ils se sont mis à scruter les profondeurs mêmes de Dieu sans le Saint-Esprit, qui seul les connaît. De nouveaux dogmes prirent naissance parmi eux, mais ils ne tardèrent pas à se produire à la lumière.

Les oreilles des catholiques avaient horreur de ces nouveautés profanes, et leur zèle s'enflamma au point de leur faire citer pour ces choses ce même Gilbert, alors évêque de Poitiers, en présence du souverain pontife Eugène III. Or il prit le parti de nier tout, même ce qu'il était manifestement convaincu d'avoir confessé dans son synode de Poitiers. Toutefois, cette dénégation était enveloppée d'expressions à double entente, comme il avait l'habitude d'en employer, si bien qu'il était facile aux successeurs des apôtres de remarquer qu'il y avait de caché en lui quelque chose qui sentait l'anathème de Jéricho.

Aussi, comme il devait la même année venir en France, Innocent ajourna cette cause. Ce fut à Paris qu'on interrogea Gilbert pour la seconde fois. Il y en avait qui tenaient pour lui, mais il y en avait d'autres aussi, particulièrement le très-révérend abbé de Clairvaux, qui tenaient pour la vérité de la foi. Mais peut-être paraîtra-t-il plus prudent de nous contenter d'un simple récit et de passer sous silence ce qui concerne les personnes. Là encore, il nia ce qu'on lui opposait, et il appela de ses anciens disciples,qui sont maintenant évêques comme lui, en témoignage qu'il n'avait rien enseigné de pareil. Or il avait écrit un livre sur le traité de Boëce, intitulé de la Trinité; c'était un commentaire assez fautif, où il avait répandu à profusion les erreurs dont nous venons de parler; cependant, dans plusieurs endroits il avait eu soin de cacher sa tête de serpent dans les replis de son volume. On lui demanda ce livre, il répondit qu'il ne l'avait pas en sa possession,et il n'était pas facile, surtout à cause de la discussion, de l'obtenir de ses disciples. On en produisit pourtant quelques fragments; mais il détournait le sens manifeste de ces propositions, de tout son pouvoir, en se servant pour cela d'autorités non méprisables. Mais enfin il reçut ordre d'envoyer le corps entier du livre au souverain pontife.

On fit un troisième examen de cette cause à Reims, où le pape Innocent célébra cette année-là même un grand concile, auquel assistaient les évêques des quatre royaumes de France, d'Allemagne, d'Italie et d'Espagne. C'est dans cette assemblée qu'il lui devint tout à fait impossible de dissimuler davantage, attendu qu'il était accusé, avec la dernière évidence, par des passages extraits de ses propres lettres. Cependant, comme il s'était assuré des protecteurs, il sembla devenir plus audacieux, au point qu'il dédaigna de nier davantage ce qu'il avait enseigné pendant si longtemps. Il eut donc, l'impudence et la témérité de professer ce qu'il avait une première et une seconde fois nié devant un tel juge et de tels témoins. Toutefois il eut la prudence d'ajouter qu'il était prêt à sacrifier son sens à celui de l'Église, et qu'il n'avait pas l'intention de persister en contumace dans ce qu'il avait avancé.

On discuta pendant quelques jours. Plusieurs, mais en petit nombre, tenaient pour sa doctrine; la plupart étaient favorables à ara personne, et tous s'efforçaient d'excuser et d'affaiblir même ce qu'ils n'approuvaient pas. C'est ce qui excita le zèle de l'Église d'en deçà les monts à produire, contre les propositions de Gilbert, la profession de sa foi selon la sainte doctrine de l'abbé de Clairvaux; elle le fit dans les termes les plus précis qu'elle put, en opposant les articles de sa toi aux propositions avancées par Gilbert. A la fin, le souverain pontife ayant condamné toutes ses erreurs, il désavoua, dans sa crainte et sa frayeur, de sa propre bouche, dans une audience générale tout ce qu'il avait professé, et, réfutant chaque article l'un après l'autre, il.promit de né plus ni écrire, ni dire, ni croire même désormais rien de tel. Quant au volume dans lequel s'était manifestement trouvée l'erreur, le souverain pontife défendit de son autorité apostolique, sous peine d'excommunication, de le lire ou de le transcrire, à moins que peut-être l'Église romaine n'en fîtune édition corrigée; or elle ne l'a pas faite que nous sachions, et nous n'espérons pas qu'elle la fasse jamais. Mais comme le coeur d'un grand nombre d'écoliers semble conserver encore l'odeur dont il a été une fois imprégné et qu'ils n'ont pas cessé de lire d'une manière d'autant plus pernicieuse pour eux, qu'elle était plus secrète, ces pages condamnées, peut-être ne sera-t-il pas inutile, pour la correction de nos contemporains et pour mettre nos descendants en garde, d'exposer sous leurs yeux les propositions même de l'erreur qui a été confondue,telles que leur auteur les a articulées de sa propre bouche, et a été convaincu de les avoir écrites dans son livre, et de citer les témoignages des saints pères par lesquels elles ont été réfutées ou semblent pouvoir l'être.















PREMIER CHAPITRE.



Voici quelle était la source de toutes ses erreurs. Il distinguait en Dieu, la forme par laquelle il est Dieu, et qui elle-même n'était pas bien, de même que dans l'homme, l'humanité est la forme par laquelle l'homme est homme, sans qu'elle-même soit homme. Quant à cette forme ou nature divine qu'il niait être Dieu, comme je l'ai déjà dit, elle prend divers noms, elle s'appelle divinité, grandeur, bonté, vérité, sagesse, toute-puissance, mais c'est toujours la même et unique forme par laquelle non-seulement Dieu est Dieu, mais, encore est grand, vrai, bon, sage et le reste. Il ne distinguait le Créateur des créatures que par ce seul fait que l'un n'a qu'une forme, tandis que les autres en ont plusieurs. D'où il concluait, avec autant d'impiété que de liberté, que ces propositions: la divinité est Dieu, la sagesse, la vérité, la grandeur, la bonté ou la toute-puissance de Dieu sont Dieu; si on les entend de la substance très-simpleet très-excellente de Dieu, sont absolument fausses. Quant à leurs réciproques, qui consistent à dire Dieu est vérité, Dieu est sagesse, et le reste, il disait que c'était des propositions aussi emphatiques que si on disait d'un homme: depuis les pieds jusqu'à la tête il est tout entier sagesse, et regardait cette manière de parler appliquée à Dieu, comme une figure de mots d'autant plus que, dans l'homme qui a plusieurs propriétés, c'est l'abondance d'une de ses formes, par exemple, de la sagesse, tandis que, en Dieu, c'est sa simplicité toute seule qui permet de s'exprimer ainsi. Pour lui, l'être de Dieu consistait en ce qu'il subsistât par cette forme, tandis que l'être de sa forme consistait bien plutôt, non pas en ce qu'elle fût par quelque autre être, mais en ce que, par elle, quelque chose, c'est-à-dire Dieu, fût. C'est à l'occasion du traité de Boéce et dans l'exposition qu'il en a faite, pour ne pas dire dans l'opposition qu'il y a faite, qu'il s'explique sur ce chapitre. Voici en effet comment il s'exprime:

«De même qu'il n'y a rien par quoi Dieu soit, sinon sa seule et simple essence, c'est-à-dire son ousia, ainsi il n'y a rien par quoi l'ousia elle-même subsiste si ce n'est qu'elle n'est simplement que Dieu. De là vint cette façon de s'exprimer et de dire en parlant de Dieu, non-seulement Dieu est, mais encore il est son essence même, ce qui est exact. tu effet, si, à un homme qui est non-seulement sage, mais coloré, mais grand, et beaucoup d'autres choses semblables, on peut dire à cause de la prédominance de la sagesse en lui sur ses autres qualités. depuis les pieds jusqu'à la tête vous êtes tout entier sagesse, comme s'il n'y avait pas autre chose que la sagesse qui fit qu'il fût, à plus forte raison, en parlant de Dieu, à qui ce ne sont point la diversité des formes qui font qu'il soit, peut-on le désigner par son essence même et par les autres noms. Et encore, on peut dire que Dieu est sa divinité, sa sagesse.

«On dit que la divinité est dans le Père, comme l'essence dans celui qui est vraiment.

«Quelques hommes sans intelligence, en entendant dire que Dieu est simple, le prennent, ainsi que tout ce qui se dit de Dieu, sous des noms divers, par exemple, que Dieu est un, éternel, personne, principe, auteur, père, fils, connexion et autres choses de la même nature et de même genre, en ce sens que l'essence qui est appelée Dieu soit en même temps l'unité par laquelle il est un, l'éternité par laquelle il est éternel, ainsi du reste; et, réciproquement, que le Père à son tour est la paternité, que l'un est l'unité, l'éternel, l'éternité et réciproquement.

«Je me demande si le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont dits Père, Fils et Saint-Esprit substantiellement de la divinité, c'est-à-dire de ceux qui n'étant ce qu'ils sont que par la seule divinité, sont appelés non-seulement Dieu, mais aussi divinité.

«Le Père est vérité, c'est-à-dire vrai: de même, le Fils est vérité, c'est-à-dire vrai: et le Saint-Esprit est vérité, c'est-à-dire vrai; et le Père, le Fils et le Saint-Esprit ensemble ne sont pas trois vérités, mais sont singulièrement et simplement une seule vérité, c'est-à-dire un seul vrai.

«Quand on parle d'un homme, comme Platon, Cicéron, Triphon, ou quand on parle de Dieu, comme le Père, le Fils, le Saint-Esprit, si on dit de l'un ou de l'autre de ceux-là qu'il est homme, et de ceux-ci qu'il est Dieu, cela se rapporte à la substance non qui est, mais par laquelle il est.

«Quand on dit Dieu, Dieu, Dieu, le premier s'entend du Père, le second du Fils et le troisième du Saint-Esprit, si c'est l'énumération de ceux qui sont Dieu, c'est aussi la répétition de ce par quoi ils sont Dieu.»

Maintenant que nous avons entendu le commentateur, reportons-nous à l'auteur, pour voir s'il a rendu sa pensée. Il parle en effet de la forme mais il explique clairement ce qu'il entend par là, quand il ait: «La substance divine sans la matière est la forme, voilà pourquoi elle est une, elle est ce qui est, le reste n'est pas ce qui est. En effet, chaque chose a son être de ce dont elle est, c'est-à-dire de ses parties, et elle est ceci et cela, c'est-à-dire, elle est ses parties réunies, non pas ceci et cela séparément. De même que l'homme sur la terre étant composé d'un corps et d'une âme, est corps et âme, mais n'est pas ou un corps ou une âme seulement. Il n'est donc pas en partie ce qu'il est. Pour ce qui n'est pas de ceci et de cela, mais qui est seulement cela, il est vraiment ce qu'il est, et il est très-beau et très-fort, parce qu'il ne s'appuie sur rien. Par conséquent, cela est vraiment un, en quoi il n'y a ni nombre ni autre chose, excepté ce qu'il est. Car il ne peut pas devenir le sujet; en effet, il est la forme, or les formes ne peuvent pas être sujets. Quant autres formes, elles peuvent être sujets par rapport aux accidents; ainsi l'humanité reçoit les accidents, non pas par cela qu'elle est elle-même, mais parce que la matière lui est sujette. Car, quand la matière sujette à l'humanité reçoit un accident quelconque, c'est l'humanité même qui semble le recevoir. Quant à la forme qui est sous la matière, elle ne peut être sujet, ni se trouver véritablement dans la matière.

«Par conséquent cela uniquement qui seul est ce qu'il est et qui ne s'appuie sur rien, est très-beauet très-fort; cela, dis-je, en quoi il n'y a rien autre chose que ce qu'il est, quine peut pas devenir sujet, attendu qu'il est forme, est-il un esprit sain qui refuse de reconnaître qu'il est Dieu? D'ailleurs, si ce ne sont pas diverses formes qui donnent à Dieu d'être Dieu et si la divinité ne s'appuie sur rien, pas même sur une seule chose, je laisse chacun libre de préférer ce qu'il veut. Mais si par hasard il hésite dans son jugement, qu'il consulte saint Augustin; il lui dira en effet: «Dieu n'est pas grand par une grandeur qui ne soit pas ce qu'il est, en ce sens que Dieu ne soit grand, que par ce qu'il emprunte à cette grandeur. Autrement, cette grandeur serait plus grande que Dieu.» Mais ne nous écartons pas de notre route, et revenons à Boëce. «Les catholiques ne mettant aucune différence, disant que la forme même, comme elle est, est l'être, et pensant qu'elle n'est pas autre chose que n'est ce qui est, il semble que c'est plutôt la répétition du même, que l'énumération de divers, quand on dit Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit. Certainement, vous croyez qu'on n'est point catholique quand on pense qu'en Dieu, autre chose est la forme par laquelle il est, et autre chose ce qu'il est. En effet, on a montré plus haut au sujet de la forme qu'il est sa forme, vraiment unité, non point pluralité.»

Remarquez, je vous prie, avec quelle force et quelle sainteté vous vous assurerez de la vérité de ce que nous avons dit, c'est-à-dire que le Dieu suprême est très-plein du bien suprême. Comment vous en assurerez-vous, n'allez pas croire que le père de toutes choses a reçu du dehors ou possède si naturellement; ce bien suprême dont nous le représentons rempli, que, pour vous, la substance de Dieu qui possède la béatitude suprême, était autre que la substance de cette béatitude même. En effet, si vous croyez qu'il l'a reçue du dehors, vous êtes amenés à estimer plus grand celui qui donne que celui qui reçoit. Or, c'est avec toute convenance que nous proclamons que Dieu est plus excellent que tout. Si, d'un côté, il est, pour nous, le même par nature, et que, de l'autre, la raison nous le montre divers, je laisse à qui pourra s'en tirer, le soin d'indiquer, quand nous parlons de Dieu, principe de toutes choses, qui a réuni ces choses diverses. Le souverain bien ne peut pas être divers. Or, nous disons que la béatitude et Dieu sont le souverain bien, d'où il suit nécessairement que la souveraine béatitude est la souveraine divinité.

Donc, enfin, faites des distinctions dans la suprême béatitude, qui est la suprême divinité, et dites-nous, s'il vous plaît, comment le souverain bien est double, quand les souverains biens ne peuvent être divers entre eux. En effet, il paraît dur d'affirmer que la souveraine bonté, par laquelle existent tous les biens, sans en excepter Dieu même, n'est pas un bien; et je ne crois pas non plus qu'on puisse admettre facilement que cette bonté soit du nombre des biens inférieurs ou de moyenne qualité. Que l'on consulte celui qui fut une massue pour tous les hérétiques, pour voir s'il laissera passer intact un pareil blasphème, et, parla même occasion, remarquez que ce blasphème n'est pas nouveau, mais qu'il était connu et proféré jadis, ou plutôt qu'il s'est fait entendre de nouveau, après avoir été broyé et jeté au vent, «Et. maintenant, dit saint Augustin, tenez d'une foi inébranlable, que le Père,l e Fils et le Saint-Esprit sont la Trinité, et cependant sont un seul Dieu; non pas que la divinité, en eux, vienne en quatrième, mais parce que la divinité est elle-même l'ineffable et inséparable Trinité. De deux choses l'une, ou la divinité de la Trinité, si on la regarde comme étant autre chose que la Trinité,bien qu'elle soit ce pour quoi pnne peut pas dire qu'il y a trois dieux, mais qu'on doit dire qu'il n'y en a qu'un, puisqu'elle est seule dans les trois, est une substance, ou n'est pas une substance.» C'est Augustin qui parle et qui nous explique avec tant de soin vos nouveautés. Répondez ce que vous pensez: votre divinité par la seule unité de laquelle vous affirmez qu'on dit que les trois personnes ne font qu'un seul Dieu, est-elle ou n'est-elle pas une substance? Pourquoi demeurez-vous muet? Il affirme et nie en même temps, mais Augustin le presse dans les deux voies où il s'engage.

Il lui dit en effet:«Si elle est une substance autre que le Père, le Fils ou le Saint-Esprit, il s'ensuit évidemment que la sainte Trinité elle-même est une autre substance. Or, la vérité rejette et repousse cela. Si, au contraire, cette divinité n'est pas une substance et que ce soit par elle que la Trinité soit un seul Dieu, parce que seule elle se trouve dans les trois per. sonnes divines, on ne doit pas dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit, n'ont qu'une même substance, mais il faut dire qu'ils n'ont qu'une même divinité, laquelle n'est pas une substance. Mais vous reconnaissez que, dans la foi catholique, c'est un point vrai et inébranlable, que le père, le Fils et le Saint-Esprit, étant la Trinité, sont un seul Dieu, parce que ils ont inséparablement une seule et même substance, ou, si vous aimez mieux, une seule et même essence, car il y en a plusieurs parmi nous, ce sont surtout les Grecs, qui disent que la Trinité qui est Dieu, est plutôt une essence qu'une substance; ils mettent ou voient entre ces deux noms, une certaine différence, sur laquelle ce n'est pas ici le lieu de discuter. Si nous disons que la divinité, qui est regardée comme étant autre que la Trinité elle-même, n'est pas une substance, mais est une essence, on retombe dans la même erreur, car si elle est autre que la Trinité elle-même, il y aura nue autre essence: or, à Dieu ne plaise qu'un catholique pense ainsi. Il ne nous reste donc plus qu'à croire que la Trinité n'a qu'une seule et même substance, afin que l'essence elle-même ne diffère point de la Trinité.

Que peut-il se dire de plus évident? Écoutons cependant encore le grand Augustin: «Toute substance qui n'est pas Dieu, est une créature, et toute substance qui n'est pas créature, est Dieu.» Qu'avons-nous donc affaire de celle non pas qui est Dieu, mais par laquelle Dieu est. Le même saint dit ailleurs: «De même que dans la forme de Dieu, le Fils n'est pas une chose et la vie une autre chose, mais que la vie même est le Fils, ainsi le Fils n'est pas une chose et sa doctrine une autre chose; mais sa doctrine même est le Fils. Les autres essences ou substances reçoivent les accidents qui produisent en elles des changements soit grands, soit très-grands; mais il ne se peut rien concevoir de meilleur que Dieu; aussi n'y a-t-il qu'une seule substance ou essence immuable, c'est celle qui est Dieu, celle à qui convient certainement au plus haut point et d'une manière absolument vraie, l'être même, ce qui lui a fait donner le nom d'essence.» Tel est le langage de saint Augustin. Pour vous, qui que vous soyez, qui regrettez encore les poireaux et les oignons d'Égypte, je voudrais vous forcer de dire laquelle des deux essences est proprement essence, de celle qui est Dieu ou de celle par qui Dieu est. En effet, l'une et l'autre sont également immuables, mais peut-être le nom d'essence convient-il mieux à celle qui est tout ce qui est.

Saint Augustin dit encore: «La nature ou l'essence même, ou, de quelque nom qu'on doive l'appeler, tout ce qui est Dieu, quoi que soit cette chose, ne peut être vue des yeux du corps.»

Le même Père continue: «De même qu'il est absurde de dire que la blancheur n'est pas blanche, ainsi l'est-il également de dire que la sagesse n'est pas sage; et comme la blancheur n'est dite blanche que par rapport à elle ainsi la sagesse n'est-elle dite sage que par rapport à soi. Mais la blancheur du corps n'est pas l'essence du corps, attendu que le corps lui-même est une essence, tandis que ce qui fait qu'il est appelé blanc est une qualité du corps qui n'a point cet être qu'on appelle l'être blanc. En effet, la forme est une chose et la couleur en est une autre et elle ne subsiste pas en elle-même, mais dans une masse qui n'est ni la forme ni la, couleur, mais qui est colorée et formée. Quant à la sagesse, elle est sage, et elle l'est par elle-même.» Ailleurs il dit encore: «Les choses sujettes au changement ne sauraient être dites des substances simples à proprement parler. Pour Dieu, s'il subsiste, il faut, pour qu'il puisse être appelé substance proprement dite, qu'il y ait en lui quelque chose qui se trouve comme dans un sujet; or on ne peut regarder comme simple l'être pour qui ce serait être que d'être ce qui est à un autre, quelle que soit la chose affirmée de l'un à l'autre; voilà comment Dieu est grand, bon et toute autre chose pareille qu'on peut dire. de lui, sans manquer à ce qui lui est dû. Il est donc défendu de dire que Dieu subsiste et est le sujet de sa bonté, que sa bonté n'est pas sa substance, ou plutôt son essence, et que Dieu lui-même n'est pas sa bonté, mais que la bonté est en lui comme dans un sujet.

«Nous disons que les trois personnes divines ont la même essence, ou que ces trois personnes ne sont qu'une même essence, mais nous ne disons pas qu'elles sont issues de la même essence, comme si l'essence était une chose et la personne une autre chose.» Ailleurs, il dit encore (Ibid. C. VI): «Il y a donc une nature qui n'a point été faite et qui a fait toutes les autres natures, grandes et petites, et qui leur est, sans aucun doute, très-supérieure; d'où il suit qu'elle l'emporte aussi beaucoup sur la nature raisonnable et intellectuelle dont nous parlons, c'est-à-dire sur l'esprit de l'homme. Or, cette nature supérieure aux autres, c'est Dieu. Peut-être aurait-il dû dire que c'est par cette nature supérieure à toutes les autres que Dieu est, mais quelle grandeur y a-t-il pour Dieu à être la nature par laquelle tout ce qui est existe (Idem. Lib. XIV, c. 11, de Divinitate)?» Plus loin saint Augustin continue: «de vous ai déjà fait remarquer que c'est par la vérité qui est devenue visible par la connaissance que nous en avons, par le souverain bien d'où découle tout bien, par la justice qui est la cause pour laquelle l'âme juste est aimée de celle même qui ne l'est pas encore, que nous comprenons, autant qu'il est possible de le comprendre, qu'il y a une nature, non-seulementincorporelle mais encore immuable, qui est Dieu (Idem. Lib. XV, c. III).» Dans un autre endroit, il dit: «Ce qu'on appelle la vie en Dieu, c'est son essence et sa nature. Il ne vit que par sa vie, or, c'est lui qui est à lui-même sa vie (Ibid. c. V).» Eh bien! que vous en semble? Faut-il nous en rapporter à saint Augustin, à ce docteur unique de la foi catholique, à cet adversaire de toute perversité hérétique, quand il nous dit: «II y a une nature immuable qui est Dieu, et une vie, c'est encore Dieu qui est à lui-même sa vie;» ou à celui qui dit: «Non, cette nature n'est pas Dieu, mais est ce par quoi Dieu est Dieu?» Mais écoutons encore, écoutons toujours ce que saint Augustin pense sur ce point.

«Que s'est-il passé dans votre coeur, quand je disais, Dieu? Vous avez pensé à une substance grande et suprême qui surpasse toute créature changeante (Aug., Trac. I. Sup. Joan).» Ailleurs, il continue: «Nous avons dit, du mieux que nous avons pu, que la science du Fils n'a rien de temporel, que la science du Fils n'est pas une chose et le Fils une autre, chose, mais que ce Fils est la vision même, la science même et la sagesse du Père. En Dieu il. n'y a point une substance qui te fasse être, autre que la puissance qui le fait pouvoir; tout ce qu'il est, est consubstantiel avec lui, et tout ce qui est de lui est Dieu.» Puis il continue: «Nous lisons bien, il est vrai, que l'Esprit multiple de sagesse est, mais il est également exact de dire qu'il est simple. En effet, s'il est multiple parce que ce qu'il possède est multiple, il est simple en même temps, parce que ce qu'il a n'est autre que lui. Voilà comment il est dit que le Fils a la vie en lui, et que la vie, c'est lui. Qu'est-ce que l'Écriture-Saintea voulu nous apprendre par là, sinon que, lorsque nous lisons que Dieu existe et. qu'il y a plusieurs choses en lui, nous n'en concluions point que sa nature est composée, mais au contraire que dans ce composé elle est incomposée (Gennad. In regulis difinit).» Il dit ensuite: «Venons-en maintenant aux choses qu'on dit que Dieu a, qu'il ne peut pas ne point avoir et dont on dit qu'elles sont, selon le langage de l'Apôtre. Or, pour les choses qui sont en Dieu, personne ne les tonnait si ce n'est l'Esprit qui est en lui. Eh bien, recherchons donc également quelles sont les choses qui sont en Dieu. N'est-ce point la sagesse, la vertu, la lumière, la providence, la vie, la splendeur, l'image, l'immortalité, dont il est écrit: Le seul qui ait l'immortalité? Car il a tout ce que nous venons de nommer là, et tout cela n'est autre que le Fils. Or, ce qui est bon substantiellement, ne peut être capable d'une bonté venant d'ailleurs, puisque c'est ce qui donne aux autres ce qui les fait bons (Didym., de Spiritu sancto).» Puis ailleurs, il continue: «Le Saint-Esprit, qui est appelé Esprit de sagesse, ne reçoit lias la sagesse d'une autre source, attendu que parle seul fait qu'il subsiste, il est Esprit de sagesse, et sa nature n'est pas autre-chose que l'Esprit même de vérité. En effet, la vérité de Dieu qui est un, est une, ou mieux, Dieu qui est un est la vérité qui est une, et ne permet pas que le culte et le service du vrai Dieu soient attribués à la créature. Dieu seul, parce qu'il est éternel, c'est-à-dire parce que il n'a point de commencement, retient proprement le nom de substance (Fulg. ad Donat.).» Il dit encore: «Dieu a une essence et une sagesse, mais il est en même temps ce qu'il a, seul il est tout (Ibid. Lib. Etim. Lib. 4, c. I).»

Dieu est ce qu'il a: «En effet, il a l'éternité, et il est l'éternité. Il faut encore savoir que toute substance qui n'est pas Dieu est créature, et que toute substance qui n'est pas créature est Dieu (Greg.,Mor., Lib. XVI).» On lit encore: «En Dieu, la sagesse est la même chose que l'essence; la Puissance n'est autre non plus que l'essence; enfin, la vie elle-même n'est que l'essence; et tout cela n'est qu'une seule et même chose, un seul et même Dieu (Alcuin., de Trin., l. 2, c. IX et XIV).»

«Il n'y a qu'une substance possible et créée qui puisse souffrir. Comme elle a reçu de l'essence suprême, qui est Dieu, ce qui fait qu'elle existe, elle a été tirée du néant et elle tient le milieu entre ce dont elle est tirée et celui par qui elle a été faite; voilà comment elle peut être affectée par les choses supérieures à elle, de manière à croître, et par celles qui lui sont inférieures, de manière à décroître (Claudian., ad Sidon., de Statu vitae).»

Il y a encore une troisième erreur, c'est de penser, lorsqu'on dit que le Père et le Fils sont d'une seule et même substance que cela signifie qu'il y a une première substance, que ces deux personnes égales se partagent entre elles, comme si cette manière de parler faisait entendre que trois choses sont une seule et même substance, et qu'il y a deux copartageants, si je puis parler ainsi, de cette seule et même substance (Hilar., de Synode). On lit encore d'après Moïse, Seth est l'image de l'âme: Selon saint Jean, le Fils est égal au Père, et nous cherchons je ne sais quelle troisième chose entre le Père et le Fils, laquelle chose la nature ne reçoit pas (Ibidem). Il est dit encore: «Or, Dieu est une puissance vivante, d'une immense vertu, qui étant présent partout, et n'étant absent nulle part, se manifeste tout entier par ses attributs, et montre que ses attributs ne sont autres que lui-même, en sorte que partout où sont ses attributs, il est entendu qu'il est lui-même, non pas corporellement, en sorte que quand il se trouve dans un endroit, on puisse croire qu'il n'est pas partout, puisque, au contraire, par ses attributs il ne cesse pas d'être en tout. D'ailleurs ses attributs ne sont pas autre chose que lui-même (Lib. 8, de Trin).» Il nous semble que cela doit suffire pour ce qui est du premier chapitre.





SECOND CHAPITRE.



Le second chapitre ressemble au premier; il découle évidemment d'Arius comme de sa source et consiste à affirmer que la substance qui est Dieu n'est pas unique. En effet, il prétend que par le nom de substance on désigne deux choses, à savoir, et qui est, et ce par quoi est ce qui est; c'est-à-dire l'être et l'essence; comme le blanc désigne quelquefois la blancheur et la chose blanche. Pour ce qui concerne ce par quoi est ce qui est, il convient que c'est une seule et même chose dans la Trinité, et il entend par là, la forme et la nature déifique, et la mère de la Trinité, si je puis m'exprimer ainsi. Quant à ce qui concerne ce qui est par cette essence, il prétend que ce n'est pas une chose dans la Trinité mais que ce sont trois choses distinctes, trois choses susceptibles d'être comptées par trois unités, dont la première serait le Père, la deuxième le Fils et la troisième le Saint-Esprit et il dit qu'on doit croire ce mystère clans la bienheureuse Trinité; et que tout le mérite de la foi consiste précisément à professer une forme unique, quant au nombre,dans plusieurs choses. Il n'y a, en effet, que l'unité de cette forme qui soit en cause, pour empêcher de dire qu'il y a plusieurs dieux ayant en commun la même divinité. Ainsi, en serait-il de trois hommes en qui se trouverait, par impossible, une seule et même humanité, ou la même blancheur, je dis la même; en ce sens, qu'elle soit effectivement une seule et même blancheur; quant au nombre, on ne dirait pas, en parlant d'eux, que ce sont trois blancs ou trois hommes; mais que c'est un seul blanc. Serait-ce donc là ce mystère ineffable tout entier; la raison toute entière de la Trinité et de l'unité? Voyez-vous quelle monstrueuse image on nous donne de la Trinité, ne vous semble-t-il pas qu'on nous offre là une chose ridicule à la place d'un miracle? On fait sortir trois rameaux d'un même tronc on donne, si je puis parler ainsi,trois corps à une seule tête. Gilbert dit en effet: «Il n'y a qu'une seule essence, celle par laquelle les trois personnes divines sont, non pas celles que sont les trois personnes divines.» Celui donc qui a dit: «Mon Père et moi nous sommes une seule chose,» aurait dû dire: Nous sommes par une seule chose. En effet, ce que sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit ce n'est pas une seule et même chose. Autrement, continue-t-il, le Fils serait le Père; et le Père serait le Fils, et le Saint-Esprit l'un et l'autre des deux, voilà comment s'enferre celui qui se précipite à l'attaque, voilà quel coup porte un aveugle: Comment ne serait pas opprimé par la gloire de Dieu, celui qui en scrute ainsi la majesté? De là venaient ces questions non moins ridicules que sacrilèges; car lorsque quelqu'un s'exprimait ainsi; le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu, il ne laissait passer simplement aucune de ces propositions, et il demandait de qui titi parlait ainsi. Voilà comment s'exprimait ce questionneur diligent: «Si vous dites, en parlant du Père; que le Père est Dieu; pour dire, le Père est le Père; ce que vous dites est vrai; mais si vos paroles ont un autre sens, votre proposition ne peut être vraie. Et ainsi du Fils et du Saint-Esprit. Car il n'existe pas de chose, pas de substance, il n'existe aucun être dont on puisse dire, avec vérité, le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint Esprit est Dieu.» Comme conséquence, il niait la proposition conjonctive, le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul et même Dieu, de peur de tomber dans le Sabellianisme, ou plutôt, de peur de cesser d'être Arien. Il renversait les propositions qu'il pouvait, de manière à changer chaque proposition en changeant les mots de place. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont une seule et même chose, ou un seul et même Dieu, on enfin une seule et même substance. Je n'ai jamais dit le contraire, répond Gilbert. Pourquoi? Mais pourquoi parlait-il ainsi? C'est parce que le Père, le Fils et le Saint Esprit sont une seule et même chose, par une seule et même essence, par une seule et même divinité. Mais si on dit le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont Dieu, en l'entendant des personnes, je nie absolument, disait-il, cette proposition.

C'est ainsi que, à Poitiers, sur le siège du grand Hilaire, en présence de tous les fidèles assemblés, dogmatisait celui qui présidait au synode telles sont les doctrines qu'il avouait aux oreilles de l'Église romaine et d'une multitude d'évêques que l'autorité apostolique avait réunis au concile de Reims. Hélas! quoique professant de telles doctrines, il trouva des fauteurs même parmi les catholiques; bien qu'il fût constant qu'il n'avait pas répondu, avec simplicité, aux questions qui lui avaient été adressées à Viterbe et à Paris. Voici ce qu'on lit aujourd'hui encore clans les malheureuses pages dont nous extrayons ces lignes:

«Les Sabelliens, en entendant dire que les trois personnes divines ont une seule et même substance, et en voyant que pour expliquer leur diversité, leur égalité, leur coopération, leur coéternité, leur procession, qui sont la suite de leurs propriétés, on a recours à différentes similitudes, telle que l'esprit, la connaissance et l'amour d'une seule et mémé âme, ou la mémoire, l'intelligence et la volonté d'un seul et même esprit, ou l'éclat, la chaleur,et les autres propriétés semblables d'une chose; il pense que, de même que le rayon de l'éclat et de la chaleur duquel on parle, est un seul et même rayon, que l'esprit de la mémoire, de l'intelligence et de la volonté duquel on fait mention est un seul et même esprit, ainsi il n'y a qu'une seule et même substance, qui, étant Dieu par nature, est en même temps, par des propriétés de personnes, Père; Fils et Saint-Esprit. Cette erreur montre évidemment qu'ils ignorent que le mot substance s'emploie en plusieurs sens, et que ce nom désigne ce qui est, et ce par quoi est ce qui est.

«Que le Sabellien ne poursuive pas, en s'appuyant sur un mot multivoque, tel que: glaive, épée, lame, ou sur un mot univoque, tel que: soleil, soleil, soleil, comme pouvant servir de comparaisons, par lesquelles on trouve, et ce qui est, et ce par quoi est ce qui est; c'est-à-dire le subsistant et la substance qui seraient désignés par un sens répété en ce qui est dit du Père, du Fils et du Saint Esprit qui est de l'un et de l'autre (Ex comm. Gilleb. sup. Boelium).» Cela est extrait du commentaire de Gilbert: au reste faisons parler Boëce lui-même afin qu'il dissipe le mensonge de sa fraude impie.

Le rapport des choses ne fait pas que les choses dont on parle soient différentes, mais, si on peut s'exprimer ainsi, le rapport des personnes fait que ces personnes soient différentes. C'est ce que saint Augustin avait enseigné à peu près dans les mêmes termes quand il disait: «Que les Ariens confessent avec nous que dans la seule et unique nature divine, il y a pluralité plutôt de personnes que de choses (Boet., de. Trin.; c. V).» Le même Boëcecontinue ailleurs: «En effet, le Père n'est pas le même que le Eils, et le Père et le Fils ne sont pas, l'un et l'autre, le même que le Saint-Esprit, et pourtant le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont le même Dieu, le même juste, le même bon, le même grand, et ainsi de tous les attributs qu'on peut affirmer de Dieu en soi. Il faut savoir que le rapport relatif n'est pas toujours tel qu'il ne soit jamais affirmé que d'êtres différents, tel que le rapport de serviteur à maître qui, évidemment, diffère. En effet, tout ce qui égal, est égal à son égal; tout ce qui est semblable, est semblable à son semblable; tout ce qui est le même que quelque chose, est le même due le même. Dans la Trinité le rapport du Père au Fils, et du Père et du Fils au Saint-Esprit, est semblable au rapport qui existe du même au même. Si on ne peut pas trouver cela d'ans toutes les autres choses, la cause en est dans les différences natives propres aux choses caduques (Boel., ibid., c. VI).»

Le même auteur dit encore: «Je me demande si ces mots, Père, Fils et Saint-Esprit sont dits substantiellement de la divinité ou d'une autre manière.» Quelques lignes plus loin il continue: «Nous comprenons donc par là que ces mots Père, Fils et Saint-Esprit ne sont pas affirmés substantiellement de la divinité même, mais d'une autre manière (Boel., ad Joan..Disc.).»

Saint Augustin dit: «Nous croyons que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul et même Dieu.» Peut-être cet ami de la chicane se prépare-t-il à renverser les termes de la proposition, eh bien, qu'il écoute donc la suite: «Nous disons le Paré parce qu'il a un Fils, nous disons le Fils parce qu'il a un Père, et nous disons le Saint-Esprit parce qu'il vient du Père et du Fils (Gennad. Eccl. Doq.). Si on est assez sage pour le remarquer, on ne peut absolument pas renverser cette proposition, et il ne peut être ici question que d'un seul et même Dieu.»

Saint Augustin dit encore: «On voit, par conséquent, que ce n'est pas seulement du Père que l'apôtre saint Paul a dit: Il a seul l'immortalité, mais d'un seul et même Dieu, qui est la Trinité même.» On voit encore: «Il est seul le bienheureux et le puissant Roi des rois, le Seigneur des seigneurs; ce qui s'entend de l'unique, seul et vrai Dieu, de la Trinité même. C'est donc avec raison qu'on entend du Dieu trinité, ces mots: Il est seul Dieu, le seul bienheureux et puissant (Aug., de Trin., Lib. I, c. VI).» Le même saint dit encore: «Pour parler des choses ineffables, de la manière qu'il est possible de parler de ce dont nous ne pouvons parler d'aucune manière, il a été dit par les Grecs: Une seule essence est trois substances, et par les Latins: Une seule essence ou substance est trois personnes; parce que le latin rend l'idée de substance par le mot essence (Ibid. Lib. VII, c. IV).» Le même docteur continue: «La question qui avait été différée se trouve expliquée dans le septième livre, en sorte que le Dieu qui engendre le Fils, non-seulement est le Père de sa vertu et de sa sagesse, mais est une seule et même vertu, une seule et même sagesse avec lui. Ainsi en est-il du Saint-Esprit, et pourtant ce ne sont, ni trois vertus, ni trois sagesses, mais une seule vertu, une seule sagesse; de même qu'il n'y a qu'un seul Dieu et une seule essence. On demande ensuite comment il se fait qu'on dit: une seule essence est trois personnes, ou, avec quelques Grecs, une seule essence est trois substances, et on trouve qu'on ne parle ainsi que par une nécessité de langage, et pour répondre par un seul mot à cette question, que sont ces trois personnes que nous confessons être trois, savoir: Père, Fils et Saint-Esprit (Ibid. Lib., XV, c. III)?»

Le même auteur dit encore: «La raison est arrivée à ceci, que le Fils est sagesse de sagesse, comme il est lumière de lumière, Dieu de Dieu; mais nous n'avons pas pu trouver que le Saint-Esprit fût lui-même sagesse, et que les trois personnes ensemble fussent une seule et même sagesse, comme une seule et même essence, un seul et même Dieu. Comment donc comprenons-nous que cette sagesse qui n'est autre que Dieu, est Trinité? Je n'ai pas dit comment nous croyons que c'est, car parmi les fidèles cela ne peut pas même faire question (Ibid., c. VI).» Saint Augustin dit encore: «J'ai déjà dit plus haut, dans ce livre, qu'il ne faut pas se faire une idée de la Trinité, d'après les trois choses que nous avons montrées dans la Trinité de notre âme, comme si le Père était la mémoire des trois personnes, le Fils, leur intelligence, le Saint-Esprit leur charité. En sorte que, le Père n'aurait en propre, ni l'intelligence, ni l'amour, mais que le Fils serait intelligent pour lui, et le Saint-Esprit aimant pour lui. Quant à lui, il aurait en propre seulement la mémoire aussi bien pour lui que pour les deux autres, tandis que le Fils n'aurait en propre, ni la mémoire, ni l'amour; le Père aurait la mémoire pour lui et le Saint-Esprit l'amour également pour lui. Pour ce -qui est de lui, il aurait seulement l'intelligence et pour lui et pour les autres, tandis que le Saint-Esprit n'aurait en propre, ni la mémoire, ni l'intelligence, ce serait le Père qui aurait la mémoire pour lui, et le Fils l'intelligence; quant à lui, il n'aurait en propre, pour lui et pour les deux autres, rien que l'amour. De sorte que ces trois personnes ensemble, et chacune en particulier, possèdent ces trois choses, chacune dans leur nature. Ces choses ne sont pas distantes dans les trois personnes comme elles le sont en nous, en sorte que, pour elles, autre chose soit la mémoire, autre chose l'intelligence, autre chose la dilection ou l'amour, mais elles sont quelque chose d'un qui vaut tout comme la sagesse même. Et telle est la nature de chacune de ces personnes que celle qui a quelque chose est ce quelle a, attendu que c'est une substance simple et immuable.»

Le même auteur dit encore: «Les choses dont on doit jouir, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, la très-sainteTrinité est une seule et même chose suprême, et elle est commune à tous ceux qui en jouissent; si toutefois c'est une chose, et non pas la cause de toutes choses, si même le nom de cause lui convient. Il n'est pas facile, en effet, de trouver nu nom qui convienne à une aussi grande excellence, si tant est qu'on puisse en trouver un (Id., de doct. Chris.).» Il dit encore ailleurs: «Nous lisons que cet unique vrai, qui seul est naturellement Dieu, n'est ni le Père seul, ni le Fils seul, ni le Saint-Esprit seul, mais qu'il est en même temps Père, Fils et Saint-Esprit (ad Petrum, de Reg. Fidei).» Il dit encore: «Si cette unique essence du Père, du Fils et du Saint-Esprit était une seule personne, elle n'aurait pas dit: A notre image; mais, à mon image; elle n'aurait pas dit non plus: Faisons; mais, je ferai. Quoi donc? que nous enseigne-t-on? C'est que cette unique essence du Père, du Fils et du Saint-Esprit n'est point une personne.»

Le même docteur continue: «Parce qu'il est naturellement vrai que, dans cet unique vrai Dieu qui est Trinité, non-seulement il y a un seul Dieu, mais encore la Trinité; il s'ensuit que le vrai Dieu est Trinité quant aux personnes et unité quant à sa nature.» De même encore: «Tenez comme un principe que toute nature qui n'est pas le Dieu Trinité, a été créée du néant par la Sainte Trinité même, qui n'est autre que le seul Dieu véritable et éternel.» Dites-nous donc, si vous le pouvez, quelle nature est la Trinité divine, si la nature divine n'est ni Dieu, ne Trinité. Certainement vous êtes forcé d'avouer que cette nature, qui n'est pas la Trinité divine, a été créée du néant; car c'est le principe que nous recommande de tenir le grand prince de la foi.

Saint Augustin dit encore: «C'est assez pour un chrétien de comprendre que la cause des choses créées, célestes ou terrestres, visibles ou invisibles, n'est autre que la bonté du Créateur, qui est le seul vrai Dieu, et qu'il n'y a pas de créature qui ne soit, ou lui, ou de lui. Des témoignages manifestes, et qui n'ont aucun besoin d'interprétation, nous donnent pour certain que ce Dieu est Trinité, c'est-à-dire Père, Fils et Saint-Esprit (Enchirid.,c. IV).»

Saint Augustin dit encore: «On appelle Dieu, cette force d'une grandeur ineffable, et cette sagesse dont l'étendue est incalculable, selon ce mot de l'Écriture: le Seigneur est grand, et grande est sa vertu. Cette force est Dieu, et Dieu est trois.» Le même saint continue: «Tout esprit aime à savoir tout ce qu'il sait. Or, l'amour suppose au moins deux êtres, celui qui aime, et celui qui est aimé. Quant à l'amour de l'un et de l'autre, qui fait le troisième, il est également un. Or, on ne peut nier que tout cela soit une seule et même âme, et qu'une seule et même âme soit ces trois choses; car de même que ces trois choses sont une seule et même âme, ainsi en est-il de la première, de la seconde et de la troisième. Que cette créature si éminente se compare donc à son suréminent Créateur, elle trouvera en lui cette exception qui l'élève beaucoup au dessus d'elle, c'est que toute bonté et tout bien, et toute douceur de bonté et de bien dans le Créateur, prend sa source dans le Créateur lui-même (de Creatione hominis ad imag. Dei).»

Saint Athanase s'exprime ainsi: «Il faut absolument, je le vois, que je me hâte d'arriver à cette conclusion, que trois sont une seule et même chose, et qu'une seule et même chose est trois: Si je ne tiens pas cela des lumières de la raison, par lesquelles je suis homme, je le tiens de l'autorité.» Le même docteur continue: «Le chant des Vertus d'en haut démontre qu'une seule et même chose est trois.» Mais là, notre théologien avançant le contraire, nous dit que: si trois sont effectivement une seule et même chose, cependant une seule et même chose n'est pas trois; sans doute, de peur de tomber dans le Sabellianisme. Eh bien, que ce théologien entende saint Athanase répondre à son Arius: «Nous ne tombons pas dans le Sabellianisme en professant que trois sont un seul et même Dieu; et nous échappons aux filets de la perfidie, en confessant tout simplement que ce Dieu est Trinité (Athanas. contra Ariuin et Sabell.)»

D'après cela, il s'ensuit que la science est Dieu; et Dieu est Trinité. Le même docteur dit encore: «En effet; là, l'unité est vraiment Trinité, et la Trinité est vraiment unité. Nous connaîtrons alors parfaitement ce que nous ne faisons que croire maintenant pour le salut. Car nous n'obtiendrons pas la grâce ne voir autrement que nous ne voyons à présent; si maintenant nous ne confessons pas ce qui est la vérité; c'est-à-dire la vraie, la co-éternelle, l'immuable trinité, la trinité distincte en personnes, mais indivisible, et remplissant tout à là fois de sa vertu substantielle. L'unité simple et trine à là fois; les trois étant une seule et même chose; et cette seule et même chose étant les trois; sans qu'il y ait trois Pères, trois Fils et trois Saints Esprits: Je confesse trois en une seule et même chose, et un en trois: Ces trois sont un seul et même Dieu, et ce seul et même Dieu est ces trois.» Le même père dit encore: «Le Seigneur Dieu est une vraie et éternelle trinité dans ses personnes, et une vraie et éternelle unité dans sa substance, attendu que c'est là même et unique substance qui est Père; Fils et Saint-Esprit. Pourquoi dit-on qu'il n'y a que le Fils qui se soit incarné? C'est parce que autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit (Theodoret. Cassiod., de qual. animae).»



TROISIÈME CHAPITRE



Le troisième jet issu de cette racine do vipère attribue aux trois personnes divines des propriétés; c'est-à-dire dés rapports qui ne sont pas ces personnes elles-mêmes, des choses éternelles, différentes entre elles, et différentes, par le nombre, de la substance divine, en sorte qu'on n'a plus la Trinité; mais une quaternité, puisque cette substance divine est l'unité, et que chacune des trois propriétés constitue une autre unité. Il nous donne donc quatre unités éternelles, dont la première se trouve dans cette suprême nature, par laquelle Dieu est, et les trois autres; dans ces trois propriétés. Or, pour peu qu'on y fasse attention; que ces trois personnes font un seul et même Dieu par cette unité; et que ce seul et même Dieu soit trois par les trois autres unités, voilà ce qui nous donne à l'instant même quatre propriétés, attendu que la raison n'admet pas cette inégalité de rapports. En effet, on ne peut rapporter le Saint-Esprit au Père et au fils sans être contraint de rapporter en mémé temps le Père et le Fils au Saint-Esprit; mais ils né peuvent pas lui être rapportés par un rapport semblable à celui par lequel il leur est rapporté lui-même, de peur qu'il n'y ait dans la Trinité une personne sans propriété. Ainsi; de même que là filiation est différente de la paternité, ainsi la production, s'il m'est permis d'employer ce mot, diffère de la procession. Or il faut donner aussi au Saint-Esprit son unité, mais de cette manière le nombre des choses éternelles va encore s'augmenter, s'il faut admettre l'être qui procède. En effet, il faut qu'il sorte de là de nombreuses conséquences, comme le roitelet sort de la racine de la couleuvre. Mais toutes ces disputes dépassent notre portée, il faut les réserver à de plus forts que nous. Cependant, peut-être l'impiété pourrait-elle se suffire à elle-même pour se couvrir de confusion. Il suffit pour cela que le lecteur diligent scrute une glose plus obscure que le texte, puisqu'elle va contre le texte et qu'elle est enveloppée de voiles qu'il faut déchirer. Mais à défaut de cela, on a en abondance dans les saintes lettres des textes suffisants pour accabler toute impiété, quelque impudente qu'elle soit.

Il dit en effet: «C'est la propriété de l'attribut qu'il ne puisse être attribué à un autre attribut, au sujet duquel un de ces attributs est attribué; il montre assez clairement par là que ces attributs sont différents non-seulement entre eux, mais encore de tous ceux qui sont affirmés en commun de leurs sujets, et particulièrement de l'attribut qui seul est attribué substantiellement aux trois personnes sous des noms nombreux. Or cette différence existe non-seulement dans le nombre par lequel ceci est un et cela est un autre, mais encore par la nature du genre et le lieu de la raison (Ex comm. Gilbert. super Boet.).»

Il donne, le nom de substance divine, non pas à celle qui est Dieu, mais à celle par laquelle Dieu est, et il dit que c'est à elle que se rapportent les attributs désignés par une multitude de noms adjectifs, comme quand on dit Dieu est grand, bon, tout-puissant et autres choses semblables. Car, en Dieu, il y a identité entre sagesse, essence, vérité, toute-puissance, et tout ce que nous disons de semblable en parlant de Dieu. Il dit donc que les propriétés des personnes, car c'est d'elles que nous parlons, diffèrent par le nombre de la substance divine; en sorte que, d'un côté, cette essence est une chose, et de l'autre, chacune de ces propriétés est une autre chose. Mais cette différence ne suffit pas, si on n'y en ajoute une plus considérable qui est la diversité du genre et de la raison. Or je vous laisse à vous figurer, si vous. le pouvez, si nous répondons, ici avec raison aux paroles de Boëce, lorsque nous parlons de Dieu comme principe des choses, qui a pu réunir des choses si différentes. Car, quand il dit, en parlant de la propriété de l'attribut, qu'il ne peut être attribué un autre attribut au sujet auquel un de ces trois attributs est attribué, ce qui lui permettait ailleurs de nommer des choses opposées et de nier qu'un seul Dieu fût trois personnes, il est évident que Boëce lui-même le réfute.

Je demande si Père, Fils et Saint-Esprit sont attribués substantiellement à la divinité, ou s'ils le sont d'une autre manière; ailleurs,il dit: «Par là nous comprenons que Père, Fils et Saint-Esprit ne sont pas dits substantiellement de la divinité même; mais de toute autre manière. Car je dis que s'ils sont affirmés de la divinité, il s'en suit qu'ils sont affirmés aussi d'un, puisque la divinité ne peut être qu'une.» Quand il dit ensuite que les personnes divines sont elles-mêmes les sujets des rapports, toute oreille catholique entend cette proposition avec horreur. Aussi Boëce lui-même dit-il en parlant de Dieu (car il n'aurait pas affirmé avec tant d'élégance que, ainsi que je l'ai rappelé plus haut, quoi que ce soit dût être préféré à tout le reste): «Qu'il n'y a de véritablement un que ce en quoi il n'y a aucun nombre, absolument rien autre chose que ce qu'il est. Car il ne peut être un sujet, puisqu'il est une forme, et que les formes ne peuvent être des sujets (Boet., de Trin., cap. II).» En cela, Boëcelui-même ne s'éloigne pas du sentiment de saint Augustin, qui enseigne, que, dans la substance de Dieu, la substance n'est pas une chose, et ce qui s'ajoute à la substance une autre chose, mais que tout ce qui peut être compris en elle est substance.

Mais qu'on ne croie pas qu'il place ces propriétés hors de Dieu, non en Dieu même; il dit en effet dans un endroit: «Les personnes divines étant de celui par qui elles sont, ne sauraient, à cause de la simplicité par laquelle elles sont ce qu'elles sont, différemutuellement les unes des autres par l'opposition des essences mêmes entre elles, mais si elles diffèrent les unes des autres, comme elles en diffèrent en effet, ce n'est que par l'opposition des choses extérieures à elles, dont on a déjà parlé et qui leur sont attribuées. Où cela est-il ainsi, je vous le demande? Hors de Dieu, puisque tout est de lui, par lui et en lui. D'ailleurs, si on lui donne quelque attribut externe, il est prouvé que cet attribut est en dehors de la vérité et de l'éternité. Le fils unique du Père, après avoir été attaché à la croix pour nous, ne souffrira certainement plus jamais que nous attachions quoi que ce puisse être soit à lui, soit au Père, soit au Saint-Esprit. Après tout, si on place ces trois personnes hors de Dieu, où sera ce qui pourra s'appliquer ce langage surtout, Que l'unité soit adorée dans la substance, la propriété dans les personnes et l'égalité dans la majesté? L'entendez-vous, dit-il, la propriété dans les personnes? Et vous hésitez à croire que les propriétés personnelles puissent être des choses éternelles qui ne soient ni ces personnes mêmes, ni en elles! Tout à l'heure, on leur donnait ces propriétés extérieurement, mais la foi catholique n'admet de propriétés ni internes ni externes; en effet, de même qu'elle adore la propriété dans les personnes, ainsi adore-t-elle l'Unité dans la substance et l'égalité dans la majesté. Mais quiconque n'a point tout à fait perdu le sens, sent que tout cela est dit par indifférence. En effet, il n'y a, en Dieu, rien que ce qui est Dieu, il n'y a pas même des propriétés, dit cette écriture, quoiqu'on pîtt prendre sainement ces expressions-là, c'est-à-dire bien qu'on pût entendre la propriété dans les personnes, par la distinction des personnes (Gilbert, ex Comment. super Boet.)» Ainsi l'unité est adorée dans la substance, la propriété dans les personnes, l'égalité dans la majesté; en d'autres termes, la substance est une, les personnes sont distinctes, et la majesté est égale. Autrement, s'il est permis d'insister sur les termes, il adorerait, dans les personnes, des rapports, des choses éternelles qui ne seraient point Dieu. Pour nous, nous ne pouvons adorer, en demeurant dans la foi, que cette très-simplesubstance et nature qui est Dieu-Trinité. Mais écoutons encore en quels termes il parle de ces mêmes propriétés.

«La paternité, dit Gilbert, la filiation et la connexion étant des choses diverses, il s'ensuit que les unités qui sont attachées à ces propriétés sont diverses les unes des autres. Et, bien qu'une substance ou un accident fuisse être attaché à une autre substance, cependant une substance ne saurait être attachée à un accident; don il suit que les unités attachées à la paternité, à la filiation et à la connexion ne peuvent être des substances (Ibidem).»

Mais là, si le lecteur y fait bien attention, il remarquera qu'il n'y a pas lieu à tirer la conséquence que Gilbert infère en ces termes: «Il suit de là que les unités qui sont attachées aux propriétés ne peuvent être des substances, puisque la substance ne peut être attachée à l'accident.» A moins peut-être qu'il ne veuille entendre par propriétés les accidents, car si les propriétés ne sont point des accidents, quelle raison y a-t-il parce que la substance ne peut être attachée à l'accident, que celles qui y sont attachées ne puissent être des substances? Or, le maître même de ces propriétés n'a pas voulu admettre qu'elles soient des accidents, et il a établi quelque chose qui tient le milieu entre les substances et les accidents. Mais en ce cas, je ne vois point comment il peut nier son nombre ternaire ou plutôt quaternaire, car il a trouvé quatre choses éternelles sinon plus, je ne vois point, dis-je, comment il peut se dispenser d'admettre la quaternité. En effet, le nombre qui nous sert à compter, c'est le nombre de choses qui diffèrent entre elles. Au reste, si les choses sont ainsi, il faut effacer toute la dispute de Boëce sur la différence numérique, dans laquelle il exclut de l'ineffable Trinité, non-seulement la différence du nombre, mais le nombre même qui nous sert à compter, quand la répétition de l'unité fait la pluralité. En effet, il propose une triple différence, celle du genre, celle de l'espèce et celle du nombre. Eh bien donc, continue-t-il après cela, entrons dans la difficulté et voyons en quel sens chacune des trois peut se prendre et se comprendre. Puis, après une longue dissertation, il continue en ces termes: «Il n'y a donc aucune diversité en Dieu, nulle pluralité provenant de diversité; nulle multitude résultant des accidents, et, par conséquent, nul nombre. Dieu ne diffère en rien de Dieu, et il ne s'éloigne ni des accidents ni des différences accidentelles qui se trouvent dans le sujet. Or, là où il n'y a aucune différence, il ne peut absolument se trouver aucune pluralité, et par conséquent il ne s'y rencontre non plus aucun nombre. Il n'y a donc uniquement que l'unité, car si on reprend trois fois le même nom, c'est toujours Dieu, si on dit le Père, le Fils, le Saint-Esprit, ces trois unités ne font point la pluralité du nombre en ce qu'elles sont elles-mêmes, si nous faisons attention aux choses qui se nombrent, non point au nombre même. En effet, dans les choses qui se nombrent, la répétition des unités et la pluralité de ces unités, ne fait pas du tout la diversité numérique des choses numérables. Le nombre est, de deux sortes, il y en a un par lequel nous comptons, et il y en a un autre qui consiste dans les choses numérables. En effet, un se rapporte à la chose, l'unité se rapporte au système par lequel nous disons un. De même deux suppose deux choses, par exemple deux hommes,deux pierres; mais la dualité ne suppose rien, ce n'est autre chose que la dualité, c'est-à-dire ce qui fait qu'il y a deux hommes ou deux pierres, et ainsi de suite, de la même manière pour le reste. Par conséquent, dans le nombre par le quel nous comptons, c'est la répétition des unités qui fait la pluralité; mais dans le nombre des choses, ce n'est pas la répétition des unités qui fait la pluralité; c'est comme si, en montrant ce même objet, je disais: c'est une lance, c'est une épée, c'est un glaive; on peut, en effet, reconnaître qu'il s'agit d'une épée, à ces différents mots; mais cette répétition d'unités est plutôt une itération qu'une numération. Or, de même, lorsque nous disons: une épée, une lance, un glaive, nous ne faisons que répéter la même chose, sans faire le compte d'objets différents; c'est comme si nous disions trois fois: le soleil, le soleil, le soleil; cela ne serait pas trois soleils, mais ce ne serait que la répétition du même objet. Ainsi, quand nous disons trois fois: il est Dieu, en parlant du Père, du Fils et du Saint-Esprit, cette triple répétition ne fait pas un nombre. Cela, comme on l'a dit plus haut, tombe d'aplomb sur ceux qui séparent ces trois personnes par les mérites. Polir les catholiques, au contraire, qui reconnaissent entre elles une différence, et. qui tiennent que la forme même est l'être, comme elle l'est en effet, et qui pensent que ce n'est pas autre chose que ce qui est, on peut dire avec raison que ça parait être la répétition du même être plutôt que l'énumération d'êtres divers, quand pu dit le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu; et cette trinité n'est qu'un seul et même Dieu: de même qu'une lance et une épée, ce n'est toujours qu'un glaive, et que le soleil, le soleil, le soleil, ne désignent toujours qu'un seul soleil (Boet. de Trin., c. II et c. III).»

En vérité, Dieu a rendu insensée la sagesse de ce monde! En lisant et en traitant de pareilles choses, cet homme, si versé dans la connaissance des lettres, n'en augmente pas moins les nombres, n'en multiplie pas moins les unités et n'en trouve pas moins le moyen de fractionner la très-simpleéternité par la numération des choses. Il fait la Trinité de trois sortes, la trinité des personnes, celle des propriétés et celle des unités; or nous ne connaissons, nous autres, qu'une seule trinité, celle des personnes.

Saint Augustin a dit: «Si la charité est moindre que la sagesse, la sagesse est moins aimée qu'eue n'est. Mais elles sont l'une et l'autre égales; en sorte que la sagesse est aimée autant qu'elle est grande. Mais la sagesse est égale au Père, comme nous l'avons dit plus haut. Il s'ensuit donc que le Saint-Esprit, aussi, lui est égal; mais s'il lui est égal, il l'est en tout à cause de la souveraine simplicité qui se trouve dans cette substance; aussi ne sont-ils pas plus de trois. Une des personnes aime celle qui est d'elle, une autre aime celle dont elle est; et celle-ci, c'est l'amour même; dira-t-on que l'amour n'est rien: s'il n'est rien, comment donc se fait-il que Dieu est l'amour même (de Trin., Lib. 6, c. V).» Ailleurs, il dit encore: «Dieu est nombre, poids et mesure. Il est le nombre sans nombre, d'où naît tout nombre; il est la mesure sans mesure, d'où vient toute mesure; il est le poids sans poids, d'où est tout poids. Il a donc tout disposé dans le nombre, le poids et la mesure, comme qui dirait, il a tout disposé en lui.» Ailleurs encore; le même saint dit: «Dieu est une nature simple, immuable, inaltérable; mais il n'est pas une chose, et ce qu'il a n'est pas une autre chose.»

Écoutons Isidore: «On dit que Dieu est simple, soit en ne considérant point ce qu'il a, soit parce qu'il n'est pas une chose, et ce qu'il a n'en est pas une autre (Ibid. Etym., Lib.,2, c. IV).»

Saint Jérôme a dit: «Dieu est une nature simple et immuable; il n'est pas une chose, et ce qu'il a une autre chose (Hieron., de Essentia Dei).» Il dit encore: «Tout ce qui est, est ou non engendré, ou engendré, ou fait. Or, le propre de Dieu, c'est de n'avoir point eu de commencement (Idem. Lib., Diffinit., ad Damas, papam).» Que disons-nous des propriétés des personnes? Imitons le même Père: «Ce ne sont pas seulement des noms que nous confessons, mais encore des propriétés de noms, c'est-à-dire des personnes, ou, comme les Grecs s'expriment, des hypostases, des substances. Ainsi donc, par la substance, ils ne font qu'une seule et même chose, mais ils se distinguent par les personnes et par les propriétés.»

Saint Grégoire de Nazianzedit: «Quand je dis: Dieu, vous êtes éclairés par un flambeau et par trois flambeaux; par un, si on ne fait attention qu'à la substance, et par trois, si on se reporte aux propriétés ou aux substances, comme quelques-uns s'expriment, ou aux personnes; car la diversité des mots ne fait rien, quand cette diversité éveille le même sens,dans l'esprit (Greg. Nazian., Lib. 3, de II Eph.).»

Alcuin a dit: «Non engendré, engendré, et procédant, ce ne sont qu'une seule et même nature, trois propriétés qui ne font qu'un seul et même Dieu. Tout ce qui est, ou bien a toujours été et n'a point eu de commencement, ou n'a pas toujours été et a eu un commencement. Ce qui a toujours été et n'a point eu de commencement, c'est le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et ce qui a commencé, c'est toute créature (Alc. de Trin., Lib. 2, c. IV).»

Isidore, il entend d'une manière plus conforme à la foi, par Trinité, l'unité de trois.





CHAPITRE IV.



Reste le quatrième chapitre, qui n'est qu'un rejeton pestilentiel du premier. Aussi n'est-il pas nécessaire que nous nous y arrêtions aussi longtemps que sur le premier, puisqu'il semble avoir déjà été sapé par la racine. En effet, Gilbert, en soutenant que la nature divine n'est pas Dieu, en est venu jusqu'à attribuer l'incarnation à la personne du Fils en termes tels qu'il lui déniait en même temps la divinité, bien qu'il ne fût point interrogé sur ce point. Il avait écrit sur le même chapitre, dans son Exposition, en donnant, à sa fantaisie, un mauvais sens aux expressions même qui n'avaient rien de répréhensible. Telles sont les propres paroles de Boëce: «Peut-être semblera-t-il que la nature humaine a été changée en la divinité. Mais comment cela a-t-il pu se faire, si dans la génération du Christ la divinité s'est uni une âme et un corps humains (Boet., de Persona et natura, c. VI).» Ailleurs, il dit encore: «Puisque, dans la même personne, autre chose est la divinité qui s'unit l'humanité, autre chose l'humanité qui a été unie à la divinité, ce n'est pas une seule nature, mais une seule personne.» Qu'est-ce à dire? Parlez-vous ainsi de vous-même, ou bien tenez-vous ce langage d'un autre qui vous l'a enseigné? Je crois que c'est le propre langage du commentateur; et ni Fauteur qu'il commente, ni aucun saint, ne me semblent être de son avis. Le Prophète a dit, dans un psaume: La vérité s'est élevée de la terre. Allons, commentateur, mettez-vous à l'oeuvre, entendez par ce mot, la vérité, le vrai; et que ceux dont l'âme n'est pas dévorée par le zèle de Dieu vous entendent. Salomon a dit: La sagesse s'est bâti une maison; dites, dans votre commentaire, la sagesse, c'est-à-dire le Sage; mais ce n'est pas à nous, que vous le direz.

Voici saint Augustin: «Celui donc qui étant la forme de Dieu, a pris la forme de l'esclave, est en même temps Dieu et homme (August., de Trin., Lib. III).» Ailleurs, il dit encore: «Si donc la substance divine,qui est bien éloignée de nous, et incomparablement plus élevée que nous, a pu, à cause de nous, s'unir la substance humaine au point de devenir avec elle une seule et même personne, combien plus aisément devons-nous croire que des hommes et des hommes, s'ils sont saints et fidèles, font un seul et même Christ avec le Christ-homme(Tract., de Baptis., parvul.)?» Il dit encore: «La nature éternelle et divine n'aurait pu, en aucune manière, naître dans le temps de la nature humaine, si l'ineffable divinité n'avait reçu dans ce temps une vraie nativité, une vraie conception, selon l'acception de la vérité humaine (Idem, ad Petrum, de Reg. fidei).» On lit encore, dans le même docteur: «La vérité de la nature divine et de la nature humaine demeure donc si parfaitement immuable, que, de même que sa divinité, qu'il a reçue immuable de son Père,est toujours la vraie divinité, ainsi son humanité, que la suprême divinité porte avec elle, après se l'être unie, est toujours la vraie et immuable humanité.» Il dit encore quelque part: «Quoique nous ne croyions qu'une seule personne en Jésus-Christ, cependant nous confessons en lui deux substances, c'est-à-dire deux natures, la divine et l'humaine, celle qui s'unit l'autre, et celle qui a été unie, la créatrice et la créée (Idem, in Serm. de Verbis dom. si diligeretis).» Il continue: «La divinité, en descendant dans le sein de la Vierge, se façonna un corps de sa substance: il prit ce corps pour notre salut, et, se l'étant intimement uni, il naquit Dieu-Homme.»

Saint Fulgence dit: «Cet enfant eut une vraie âme comme il eut un vrai corps, pour que cette vraie divinité s'unit toute la nature humaine pour la réparer, et la réparât après se l'être unie (Fulg., de Myst. mediat.).»

Saint Grégoire a dit: «C'est les pieds chaussés que la Divinité est venue à nous (Greg., Homil.).»

Alcuin s'exprimait ainsi: «Voici comment le Christ est plein de grâce et de vérité. La plénitude de l'humanité a été prise par la divinité, et la plénitude de la divinité a été reçue dans l'humanité (Alcuin, de Trinit., Lib. IV).» Ailleurs, il dit encore: «La divinité n'a délaissé nulle part l'humanité depuis qu'elle se- l'est unie dans l'unité de sa personne (Idem, Tract. II et Lib. eod. Tract. XVI. Sedem ad Frideg.).»

«On peut dire que la divinité a été conçue dans la conception de sa chair et est née dans sa naissance. Elle a senti la mort qu'elle a soufferte librement, par l'effet de la participation de la nature humaine; mais elle n'a point perdu la puissance de sa nature, par laquelle elle donne la vie à tout (Idem, ad eumdem).» Le même auteur dit encore; «L'autorité de toutes les oeuvres qui se sont accomplies en Jésus-Christ vient de la divinité; cependant, il convient d'appliquer ces paroles, j'ai le pouvoir de déposer paon dîne, à la chair, non à la divinité, car la divinité ne dépose plus l'âme qu'elle a une fois prise.»

Saint Hilaire disait: «La nature ne s'était point anéantie; mais la nature de Dieu, qui demeure toujours ce qu'elle est, a reçu en elle l'humilité de la nature terrestre (Hil., de Trin., Lib. II;).»

Le pape Léon s'exprimait ainsi: «Ce fut donc sans-nuire à la propriété des deux natures et des, deux substances qui se réunirent en une seule personne, que l'humilité fut prise par la majesté, la faiblesse par la force, la mortalité par l'éternité, et que, pour acquitter la dette de notre nature, la nature divine s'unit inviolablement à une nature passible (Leo, Serm. I, de Nat. Domini).» Il disait encore: «Si la créature a été prise pour compagne par le Créateur, ce n'a point été pour qu'elle fût la demeure et lui l'habitant, mais pour que, en vérité, une nature se trouvât mêlée à l'autre. Et bien que celle qui est reçue est différente de celle qui la reçut, cependant la diversité de l'une et de l'autre s'est trouvée fondue en une telle unité, qu'elle est devenue le seul et même Fils de Dieu, qui se dit moindre que son Père, en tant qu'il est véritablement homme, et se proclame égal à son Père, en tant qu'il est vrai Dieu (Idem, Serm. III).» Il ajoutait ailleurs: «Le Verbe s'est fait chair par l'adjonction de la chair, non par la défection de la divinité. Celle-ci, en effet, modéra si bien sa puissance et sa bonté, que, en recevant ce qui est à nous, il profita et ne perdit rien en nous faisant part de ce qui est à lui (Idem. Serm. IV).» Le même pape dit encore: «Il convenait qu'il fût bien évidemment prouvé que le Verbe fait chair, que l'essence éternelle du Fils de Dieu a pris la vraie nature de l'homme (Idem, Serm, IV de Epiph.» Et ailleurs il continue: «Si le Verbe ne s'était pas fait chair, et s'il n'existait pas entre les deux natures une telle union que le court instant de la mort même n'eût pu séparer l'une de l'autre, la nature reçue et la nature qui a reçu la première, jamais la mortalité n'aurait pu atteindre à l'éternité. Cette nature nous a reçus en sa propriété, par laquelle elle s'est elle-même infléchie au degré de bonté qu'elle a voulu, et n'a jamais encouru la conversion de ce qui n'est pas immuable. Cette nature, dis-je, nous a unis à elle, mais de telle sorte qu'elle n'a point consumé ce qui est à nous parce qui est à elle, ni ce qui est à elle par ce qui est à nous. Elle nous a unis à elle, cette nature, mais ce ne fut pas pour détourner l'image de notre genre du sentier commun, mais pour éloigner de nous la contagion du péché, qui est passée dans tous les hommes (Id., de passione, Serm. IV et XXi).» Puis il continue: «Dans cette nature, bien qu'elle passât par ce qui est à nous, le Verbe ne s'est point changé, même un peu, en notre chair ni en notre âme; car la nature de la divinité étant simple et immuable, est toujours dans son essence; elle ne souffre en soi ni détriment ni augmentation, et la béatitude dont elle remplit la nature qu'elle s'est unie est telle, que la nature glorifiée demeure dans la nature glorifiante (Id., Ad Julian., Const. Episc.).»

En finissant, nous engageons ceux qui se mettent plus en peine de la science que de leur conscience, à rie pas se ranger facilement à ceux qui enseignent des nouveautés dans la foi, à prendre garde au contraire de ne pas outrepasser les bornes que nos pères ont posées, et à ne se point laisser emporter à tout vent de doctrine. Car il devrait suffire pour la confusion de toute espèce de nouveautés, si on se met au point de vue de la foi, que ce fût une nouveauté. Or, quiconque détourne de leur sens les témoignages des Saintes Lettres, est un auteur de nouveautés. Quelle présomption n'est-ce pas là! il semblerait qu'il n'y a qu'eux qui eussent lu et compris les Saintes-Écritures. Eh, mon frère, il n'y a donc point eu de catholique avant vous, et notre foi avait péri quand il nous est tombé un troisième Caton du ciel; vos maîtres sans doute étaient ignorants dans la foi, et vous-même peut être, jusqu'au jour où vous fut révélé un nouvel Évangile dans un sommeil qui vous surprit au haut du Parnasse, étiez-vous aussi dans l'erreur; et Maintenant encore, si on en excepte le petit nombre de vos disciples, l'Église entière est dans l'erreur. Le dire est le comble de l'impudence, le sentir, le comble de l'orgueil, et le croire c'est le comble de la folie.

Mais, pour en revenir aux chapitres que nous avons entrepris de traiter, ceux qui entendirent des dogmes si nouveaux n'auraient-ils pas du considérer quelle multitude d'hommes sages et lettrés, d'hommes d'opinions et de doctrines saines, qui sentaient tout différemment et enseignaient manifestement le contraire de ces novateurs, l'Église a eus peu de temps auparavant? je citerai entre autres, Anselme et Raoul de Laon, maître Aubry de Reims qui devint plus tard archevêque de Bourges, le très-fidèle interprète de la parole de Dieu, Hugues de Saint-Victor, Robert le Noir, chancelier du siège apostolique, et beaucoup d'autres encore, dont la vie présente ou la mémoire encore vivante est en bénédiction. Or ils sont tous d'avis que tout ce qui est en Dieu est Dieu. C'est ce qui a fait dire à maître Raoul de Laon, dans un écrit: «Par les noms Père, Fils et Saint-Esprit, nous ne comprenons point des propriétés, comme nous l'entendions plus haut en parlant du to pur, qui ne soient point les personnes divines mêmes.» Maître Hugues reprend de son côté: «Comme dans la Trinité sont celui qui n'est de personne, puis celui qui est de celui qui n'est de personne et enfin celui qui vient de l'un et de l'autre, c'est une vraie Trinité, mais l'unité n'en demeure pas moins parfaite; attendu que, en Dieu, il ne peut rien y avoir qui ne soit point Dieu, tant ce qu'il est est un (Hugo, de Sacram.)» Il dit encore: «Dans la nature de la divinité, il n'y a ni multiplicité, ni diversité; la personne et ce qui est dans la personne ne peuvent être divisés.»

Premier chapitre. - L'essence, la substance et la nature divines qu'on appelle la divinité, la bonté, la sagesse, la grandeur de Dieu, et le reste, ne sont pas Dieu, mais la forme par laquelle Dieu est.

Second chapitre. - Ni un seul et même Dieu, ni une seule et même substance, ni une seule et même chose quelle qu'elle soit, n'est en trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit.

Troisième chapitre. - Les trois personnes sont trois par trois unités, et distinctes par trois propriétés qui ne sont pas ce que sont les personnes mêmes, mais elles sont trois éternels différents par le nombre, tant entre elles que de la substance divine.

Quatrième chapitre. - La nature divine ne s'est point incarnée et ne s'est point uni la nature humaine.



FIN DU LIBELLÉ CONTRE GILBERT, ÉVÊQUE DE POITIERS.






Symbole de foi, publié contre les chapitres de Gilbert, par les Pères des dix provinces, avec plusieurs évêques et abbés, et rédigé par Bernard, le très-révérendabbé de Clairvaux.



I. Nous croyons et nous confessons que la nature de la divinité est Dieu, et que, en aucun sens catholique, on ne peut nier que la divinité soit Dieu, et que Dieu soit la divinité. Partout où l'on dit que Dieu est sage par sa sagesse, grand par sa grandeur, éternel par son éternité, un par son unité, et autres choses semblables; nous croyons qu'il n'est sage que par cette sagesse qui est Dieu, qu'il n'est grand que par cette grandeur qui est Dieu, qu'il n'est éternel que par cette éternité qui est Dieu, qu'il n'est un que par cette unité qui est Dieu, et qu'il n'est Dieu que par cette divinité par laquelle il est lui-même, c'est-à-dire que c'est par lui-même qu'il est sage, éternel, un, Dieu.

II. Quand nous parlons des trois personnes qui sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous professons qu'elles sont un seul et même Dieu, une seule et même substance divine; et, réciproquement, lorsque nous parlons d'un seul et même Dieu, d'une seule et même Substance divine,nous professons que ce seul et même Dieu, cette seule et même substance divine, est en trois personnes.

III. Nous croyons que le seul Dieu Père, Fils et Saint-Esprit est éternel, et que, absolument aucune autre chose, qu'on l'appelle relations, propriétés, singularités, unités, et autres choses semblables se trouvent en Dieu, et soient éternelles sans être Dieu.

IV. Nous croyons que la Divinité même, qu'on lui donne le nom de substance ou de nature divine, s'est incarnée, mais dans le Fils.










Vie de St Bernard - POUR LE JOUR DE L'ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE SAINT BERNARD.