Catherine, Dialogue 139

CHAPITRE V Comment Dieu pourvut, en une circonstance particulière, au salut d'une âme.

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Veux-tu savoir, ma fille, combien le monde se trompe sur les mystères de ma providence? Eh bien, ouvre l'oeil de l'intelligence et regarde en moi, et tu verras le cas particulier que j'ai promis de t'exposer. Ce qui sera dit de celui-là, peut être appliqué en général à tous les autres.
Pour obéir au Père éternel et souverain, cette âme fixait alors son regard sur lui, avec un désir ardent, et le Dieu éternel, lui découvrant la damnation de celui qui avait été le sujet de cet événement, lui disait: Je veux que tu saches que pour arracher cette âme à l'éternelle damnation dans laquelle tu vois qu'elle se trouvait, j'ai permis cet accident, afin que, par son sang, il trouvât la vie dans le sang de ma Vérité, mon Fils unique.
Je n'avais pas oublié le respect et l'amour qu'il portait à Marie, la très douce mère de mon Fils unique, à laquelle ma bonté a accordé en l'honneur du Verbe, que quiconque, juste ou pécheur, l'honorerait comme il convient, ne serait jamais la proie du démon infernal (
Gn 3,15). Elle est comme une amorce, (165) posée par ma bonté, pour prendre les créatures douées de raison.
C'est donc par miséricorde, que j'ai procuré ou permis cet accident, que la volonté perverse des hommes d'iniquité qualifie de cruel. Mais leur jugement procède de l'amour-propre qu'ils ont pour eux-mêmes, et qui, en les privant de la lumière, les empêche de connaître ma Vérité. Ils la connaîtraient bien, s'ils voulaient chasser cette nuée, ils l'aimeraient, ils n'auraient que du respect pour tout ce qui leur arrive, et, au moment de la moisson, ils recueilleraient le fruit de leurs travaux.
Pour ce que tu me demandes, sois assurée, ma fille, que j'exaucerai tes voeux et ceux de mes serviteurs. Je suis votre Dieu, le Dieu qui récompense tous les labeurs, et accomplit les saints désirs, pourvu que je trouve qui frappe vraiment à la porte de ma miséricorde, sous la lumière de la foi, pour ne pas errer et pour espérer fermement en ma providence.



CHAPITRE VI Où Dieu explique sa providence à l'égard des hommes et se plaint de leurs infidélités.

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Exposé d'une figure de l'ancien testament, qui enferme une précieuse doctrine.

Après t'avoir montré ma providence dans une occasion particulière, je reviens maintenant à son action générale.
Tu ne saurais te faire une idée de l'ignorance de l'homme. Il perd tout sens, et tout jugement, dès qu'il met en lui-même son espérance et s'en remet à sa propre sagesse (
Pr 26,12). O homme insensé! Tu ne vois donc pas que ta sagesse elle-même, ce n'est pas de toi que tu la tiens? C'est ma bonté, qui pourvoit à tes besoins, qui te l'a donnée. Qui te le prouve? Ta propre expérience.
Combien de fois n'as-tu pas souhaité de faire une chose, sans pouvoir et sans savoir la faire. Une autre fois, c'est le temps qui te fera défaut; ou si ce n'est pas le temps qui te manque, ce sera la volonté!
Tout cela vient de moi; tout cela, ma providence l'ordonne à ton salut. Elle veut ainsi te faire connaître que par toi-même tu n'es pas, et que tu as raison de t'humilier, non de t'enorgueillir. Tu te heurtes ainsi, en toutes choses, au changement et à la privation sans (167) que ta volonté puisse rien, pour les fixer et les retenir. Il n'est que ma grâce qui soit ferme et qui demeure d'elle-même elle ne change pas et ne peut t'être enlevée. Nul n'a pouvoir de te séparer d'elle et, de te rejeter au péché, à toi seul il appartient de changer et de la perdre. Comment donc peux-tu lever la tête contre ma bonté? Le ferais-tu si tu voulais obéir à la raison, et pourrais-tu placer en toi-même ton espérance et te confier en ta propre sagesse? Il faut être devenu un animal sans raison (Ps 48,13), pour ne pas voir que tout change, excepté ma grâce. Pourquoi donc n'as-tu pas confiance en moi, ton Créateur? Pourquoi compter sur toi-même? Ne suis-je pas fidèle et loyal envers toi? Oui, certainement, tu ne peux pas l'ignorer, tu l'expérimentes tous les jours.
O très douce et très chère fille, c'est l'homme qui n'a pas été fidèle ni loyal envers moi. Il a transgressé le commandement que je lui avais imposé, et sa désobéissance l'a précipité dans la mort, alors que moi je lui demeurai fidèle. Je lui ai tenu parole, en lui maintenant ce pourquoi je l'avais créé, désireux toujours de lui procurer le bien suprême et éternel (Ps 144,13-14).
Pour réaliser ce dessein de ma vérité, j'ai uni ma divinité, l'Altesse Souveraine, avec la bassesse de son humanité. Racheté et restauré dans la grâce par la vertu du sang de mon Fils unique, l'homme peut donc dire qu'il a expérimenté ma fidélité. Et pourtant il doute encore, semble-t-il, que je sois assez puissant pour le secourir, assez fort pour l'assister (168) et le défendre contre ses ennemis, assez sage pour éclairer l'oeil de son intelligence, ou que j'aie assez de clémence pour vouloir lui donner ce qui est nécessaire à son salut. Il parait croire que je ne suis pas assez riche pour faire sa fortune, ni assez beau pour le remettre en beauté; l'on dirait qu'il a peur, de ne pas trouver chez moi de pain pour le nourrir, ni de vêtement pour le couvrir.
Toute sa conduite révèle bien que c'est ainsi qu'il en juge. Car, s'il croyait en moi, vraiment, sa foi ne produirait-elle pas de bonnes et saintes oeuvres (Jc 2,14)? Chaque jour cependant il éprouve que je suis fort. N'est-ce pas moi qui le conserve dans l'être et le défend de ses ennemis? Il voit bien que nul ne peut résister à ma force et à ma puissance; du moins, s'il ne le voit pas, c'est qu'il ne veut pas le voir.
C'est ma sagesse qui a tout ordonné dans le monde, et qui le gouverne avec tant de mesure que rien n'y manque, et qu'on n'y peut rien ajouter, ni pour l'âme ni pour le corps. J'ai pourvu à tout sans que votre volonté ait pu m'y contraindre, puisque vous n'étiez pas encore. C'est ma seule clémence qui m'a poussé moi-même, à faire le ciel et la terre, et la mer et le firmament. J'ai créé le ciel, pour qu'il se meuve sur vos têtes, j'ai créé l'air, pour que vous respiriez le feu et l'eau pour tempérer l'un par l'autre; le soleil, pour ne pas vous laisser dans la nuit. Tout ainsi a été fait et ordonné pour subvenir aux besoins de l'homme (Ps 8). Le ciel est peuplé d'oiseaux, la terre se couvre de fruits et de nombreux animaux pour la subsistance de l'homme; (169) la mer est riche de poissons; en toutes choses éclate ainsi l'ordre parfait de ma providence.
C'est après avoir produit toutes ces choses excellentes (Gn 1) qu'enfin je créai l'homme à mon image et ressemblance, et que je le plaçai en ce jardin qui, par la faute d'Adam, pousse maintenant des épines, là où primitivement l'on ne trouvait que fleurs embaumées d'innocence, de la plus grande suavité. Tout était soumis à l'homme, mais sa désobéissance introduisit la révolte au dedans de lui-même et parmi toutes les autres créatures. Le monde entier tomba en sauvagerie et l'homme avec lui, l'homme qui, à lui seul, est tout un monde!
Nouvelle intervention de ma providence! J'envoyai dans le monde ma Vérité, le Verbe incarné qui détruisit la sauvagerie, arracha les épines du péché originel. Il e n fit un jardin arrosé par le sang du Christ crucifié et dans lequel il planta les sept dons du Saint-Esprit, après l'avoir nettoyé du péché mortel. Cela fut accompli, non pendant la vie, mais après la mort de mon Fils unique.
Ce dessein providentiel fut figuré dans l'ancien testament, lorsque Elisée fut prié de venir ressusciter un enfant qui était mort (2R 4,22). Elisée n'y alla pas, mais il y envoya Giézi, avec son bâton, en lui recommandant de poser le bâton sur l'enfant mort. Giézi partit, il fit ce qu'Elisée lui avait dit, mais il ne ressuscita pas l'enfant. Ce que voyant, Elisée se rendit lui-même en personne auprès de l'enfant; (170) s'étendant sur lui, il appliqua tous ses membres sur les membres du mort en lui soufflant sept fois dans la bouche, et l'enfant respira sept fois, en signe de la vie qui lui était rendue (2R 4,29-35).
Cette figure symbolise Moïse que j'envoyai avec le bâton de la Loi, en le chargeant de l'imposer au mort, qui était le genre humain. Mais la loi ne rendit point la vie au genre humain (Jn 1,17 Rm 3,20).
J'envoyai le Verbe, mon Fils unique, figuré par Elisée, et qui s'adapta à la forme de cet enfant mort par l'union de la nature divine à votre nature humaine. C'est avec tous ses membres, que la nature divine opéra cette union, avec ma puissance, avec la sagesse de mon Fils, avec la clémence de l'Esprit-Saint; en un mot, c'est moi tout entier, abîme de la Trinité, qui fis alliance avec la nature humaine en m'unissant à elle.
Après cette union, mon doux Verbe d'amour en opéra une autre, en courant, dans l'ivresse de son coeur, à la mort ignominieuse de la croix, où il s'étendit lui-même. C'est après cette seconde union qu'il communiqua à cet enfant mort les sept dons du Saint-Esprit en soufflant dans la bouche de l'âme, c'est-à-dire dans sa puissance affective, et en la délivrant de la mort par le saint baptême. Elle respira alors, en preuve de la vie qu'elle avait retrouvée, en rejetant d'elle-même les sept péchés mortels.
C'est ainsi que l'âme humaine est devenue un jardin plantureux, aux fruits suaves et délicieux. Le jardinier, il est vrai, qui est le libre arbitre, peut encore, selon qu'il lui plaît, cultiver ce jardin ou le (171) ramener à l'état sauvage. S'il y sème cette mauvaise graine de l'amour-propre, par laquelle se propagent les sept péchés capitaux, qui à leur tour produisent tous les autres, il aura tôt fait d'étouffer les sept dons du Saint-Esprit et de détruire toutes les vertus. Plus de force désormais; le voilà malade. Plus de tempérance, plus de prudence, parce qu'il a perdu la lumière qui guidait la raison. Plus de foi, plus d'espérance, plus de justice. Il ne respecte plus le droit, il n'espère qu'en lui, et avec sa foi morte il ne croit qu'à soi. Il met sa confiance dans les créatures, non en moi-même. Plus de charité, plus de piété! L'amour de sa propre fragilité a tout détruit. Comment pourrait-il être bon pour le prochain, il est devenu si cruel à lui-même! Le voilà, par son fait, dépouillé de tout bien, et tombé dans le plus grand des maux.
Et qui donc lui rendra la vie? Ce même Elisée, le Verbe incarné, mon Fils unique! Et comment? Que ce jardinier s'arme de la haine de soi-même - sans elle il n'avancerait à rien - et qu'il arrache les épines de son propre péché; puis, qu'avec amour, il s'empresse de se conformer à la doctrine de ma vérité: qu'il arrose son jardin avec le Sang, ce sang que le prêtre répand sur sa tête, lorsqu'il va se confesser avec un vrai repentir dans le coeur, le regret de la faute, le désir de la satisfaction, et la résolution de ne plus m'offenser. Voilà le moyen par lequel l'homme peut restaurer le jardin de son âme, pendant cette vie; passé ce temps, il n'y a plus de remède, tout est fini, comme je te l'ai expliqué maintes fois(173).




CHAPITRE VII Comment la Providence divine nous menace des tribulations pour notre salut.

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Du malheur de ceux qui mettent leur confiance en eux-mêmes, et de l'excellence de ceux qui espèrent dans la providence.

Tu vois donc que, par ma providence, j'ai réparé la ruine de l'homme, cet autre monde.
Mais j'ai laissé sur la terre les épines de nombreuses tribulations, et permis que partout l'homme se heurtât à la rébellion des choses. Ce n'est pas sans un conseil de ma providence que j'en ai agi de la sorte, ni sans égard à votre bien. Ma sagesse s'est inspirée de vos besoins. J'ai voulu détourner l'homme de placer son espérance dans le monde, pour l'amener à courir droit à moi qui suis sa fin, et j'ai pensé que du moins les coups répétés des tristesses humaines lui apprendraient à porter plus haut son coeur et ses désirs. Cependant telle est son ignorance de cette vérité, si grand est son attrait pour les délices du monde, que, malgré toutes les épines, toutes les souffrances qu'il y trouve, il ne parait pas vouloir s'en détacher, ni se soucier de rentrer dans sa patrie.
Que serait-ce donc, ma fille, tu le peux comprendre, s'il trouvait en ce monde tout à souhait, (174) dans une joie tranquille, jamais traversée d'aucune peine? Voilà pourquoi ma providence a permis, que le monde produisit en abondance les tribulations. Par elles j'éprouve la vertu de mes serviteurs, et dans les peines qu'ils souffrent, dans la force avec laquelle ils les endurent, dans la violence qu'ils se font à eux-mêmes, je trouve un titre à la récompense. Ainsi ma providence a tout ordonné, tout disposé avec une sagesse parfaite.
J'ai donné beaucoup à l'homme, parce que je suis riche et que je le pouvais faire; et je le puis toujours, car ma richesse est infinie. Tout a été fait par moi, et sans moi rien ne peut être (
Jn 1,3). Et donc l'homme veut-il la beauté, je suis la beauté; veut-il la bonté, je suis la bonté, car je suis bon souverainement; je suis la sagesse, je suis doux, je suis juste, je suis miséricordieux. Je suis généreux et non pas avare; je suis celui qui donne à qui lui demande; j'ouvre à celui qui frappe vraiment; je réponds à qui m'appelle (Mt 7,7-8 Lc 11,9-10). Je ne suis pas ingrat, je reconnais mes serviteurs et j 'aime à récompenser ceux qui se dépensent pour moi, pour l'honneur et la gloire de mon nom. Je suis joyeux et je conserve en constante allégresse l'âme qui s'est revêtue de ma volonté. Je suis cette grande providence, qui jamais ne fait défaut à mes serviteurs qui espèrent en elle, soit pour leur âme, soit pour leur corps (Rm 10,12).
Comment l'homme peut-il refuser de croire que j'aurai soin de lui, lui que j'ai créé à mon image et ressemblance, quand il me voit nourrir et préserver le ver dans le bois sec, donner leur pâture (174) aux bêtes des champs, aux poissons de la mer, aux oiseaux de l'air, à tous les êtres vivants qui sont sur terre? Je fais luire mon soleil sur les plantes, et je répands sur elles la rosée qui féconde, N'est-ce pas pour son service que tout a été fait? Ma bonté n'a rien créé sans penser à lui. De quelque côté qu'il se tourne, au spirituel comme au temporel, il ne trouve rien d'autre que l'abîme de feu de ma charité, servie par la grande et douce et parfaite providence.
Mais il ne voit pas, parce qu'il s'est privé de la lumière, et qu'il ne veut pas voir. Dès lors il se scandalise de l'épreuve, il restreint sa charité envers le prochain, il se fait avare et s'inquiète du lendemain, comme si ma Vérité ne le lui avait pas défendu quand elle a dit: Ne vous tourmentez pas pour le jour qui vient: à chaque jour suffit sa peine (Mt 6,34 Mt 6,7 Lc 12)!
Il vous reprochait ainsi votre peu de confiance, en vous mettant sous les yeux ma providence et la brièveté du temps. Ne vous inquiétez pas pour demain, disait-il. C'est comme s'il avait dit: Ne vous donnez pas de souci pour ce que vous n'êtes pas sûr d'avoir c'est assez de suffire au jour présent. Il vous enseignait à demander d'abord le royaume des cieux, c'est-à-dire la bonne et sainte vie. Quant à ces choses de rien, je sais bien, moi votre Père du ciel, que vous en avez besoin, puisque c'est pour vous que je les ai faites, puisque c'est pour vous que j'ai commandé à la terre de vous donner ses fruits (175).
Il n'a donc pas lu cette doctrine que lui a donnée le Verbe ma Vérité, ce malheureux qui, par défiance, retient son coeur et n'ouvre qu'à demi la main qui doit être secourable au prochain! Il va devenir ainsi insupportable à soi-même. Cette confiance qu'il a mise en lui, avec cette défiance vis-à-vis de moi, est la source de tous les maux. C'est ainsi qu'il se fait juge de la volonté des hommes, sans remarquer que ce jugement n'est pas de sa compétence, et n'appartient qu'à moi seul (1Co 4,5). Quant à ma volonté, il ne la comprend pas et la juge fort mal à moins qu'elle lui ménage quelque prospérité, quelque satisfaction ou quelque plaisir du monde. S'il ne voit rien venir de ce côté, comme c'est là qu'il a placé tout son coeur et tout son espoir, il lui semble que ma providence ne fait rien pour lui, et qu'il ne reçoit rien de ma bonté; tout lui manque, croit-il, et tout l'abandonne. Aveuglé qu'il est par sa propre passion, il ne voit pas le trésor qu'il y a dans cette détresse, il ne perçoit pas le fruit de la véritable patience. C'est la mort qu'il en retire, et il a dès cette vie, un avant-goût de l'enfer.
Et moi cependant, dans ma bonté, je ne laisse, malgré tout, de pourvoir à ses besoins. Je commande à la terre de donner ses fruits au pécheur comme au juste; sur son champ je fais luire mon soleil et je répands ma rosée, comme sur le champ du juste. Souvent même c'est le pécheur qui recevra avec plus d'abondance (Mt 5,45).
Ainsi en dispose ma bonté, pour verser plus largement les richesses spirituelles dans l'âme du (176) juste, qui s'est dépouillé pour mon amour des biens temporels, en renonçant au monde, à tous ses plaisirs et à sa volonté propre. Ceux qui enrichissent leur âme et dilatent ainsi leur coeur dans l'abîme de ma charité, y perdent toute inquiétude au sujet d'eux-mêmes, au point que non seulement ils n'ont aucun souci des biens du monde, mais encore ne peuvent-ils plus penser à eux-mêmes. C'est alors que moi, je prends en main le gouvernement de leurs affaires spirituelles et temporelles. Outre ma providence générale, j'ai pour eux une providence particulière; c'est la clémence de mon Esprit-Saint qui se met à leur service et se fait ainsi leur servante.
Ne te souvient-il pas d'avoir lu, dans la vie des Pères du désert, l'histoire de ce saint homme qui avait renoncé à tout et à lui-même, pour la gloire et l'honneur de mon nom. Comme il était malade, c'est ma clémence qui veillait sur lui, et lui envoya un ange pour l'assister et pourvoir à ses besoins. Le corps était ainsi secouru dans sa misère, tandis que l'âme demeurait dans une inexprimable allégresse, en savourant la douceur de ce commerce angélique.
En pareille occurrence, l'Esprit-Saint est pour l'homme une mère qui le nourrit au sein de ma divine charité. Il l'a rendu libre, il l'a fait seigneur, en l'affranchissant de la servitude de l'amour-propre. Car là où brûle le feu de ma cha rité, là ne peut demeurer cette, eau de l'amour-propre qui éteint dans l'âme ce doux feu. Mon Esprit-Saint, ce serviteur que ma puissance lui a (177) donné, le revêt lui-même, il le nourrit, il l'enivre de douceur, il le comble de richesses inestimables. Il retrouve tout, pour avoir tout quitté. Pour s'être dépouillé de lui-même il est revêtu de moi. Il s'est fait lui-même, en toute chose, serviteur, par humilité, et le voilà devenu seigneur, maître du monde et de lui-même! Il s'est comme aveuglé en renonçant à ses vues personnelles, et le voilà qui jouit de la plus pure lumière! En désespérant de soi, il a conquis la couronne d'une foi vivante et d'une parfaite espérance qui ne l'abandonne jamais. Il goûte la vie éternelle, délivré de toute peine, parce que ses souffrances mêmes sont exemptes d'affliction. Il juge tout en bien, parce qu'en tout il découvre ma volonté et qu'il sait à la lumière de la foi que je ne veux rien d'autre que sa sanctification; aussi, sa patience est-elle inaltérable.
Oh! combien heureuse cette âme, qui, dans un corps mortel, n'en goûte pas moins le bien immortel! Elle reçoit tout avec respect; la main gauche ne lui pèse pas plus que la main droite. Tribulation ou consolation, faim ou nourriture, soif ou rafraîchissement, froid ou chaud, nudité ou vêtement, vie ou mort, honneur ou affront, affliction ou réconfort, elle accepte tout, elle est accueillante à tout, avec une humeur égale et tranquille. Rien ne l'abat, rien ne la trouble, rien ne l'ébranle. Elle est établie sur la roche vive elle a vu à la lumière de la foi, et (178) avec une ferme espérance, que tout ce qui vient de moi, c'est avec un même amour que je le donne et dans une même pensée, la pensée et l'amour de votre salut. Elle sait que ma providence pourvoit à tout, que dans les grandes épreuves, je donne à l'âme une grande force, et que je n'impose jamais un fardeau plus lourd qu'elle ne le peut porter, pourvu qu'elle se dispose à le vouloir accepter, pour mon amour. Le sang de mon Fils vous a bien prouvé, que ce n'est pas la mort du pécheur que je veux, mais qu'il se convertisse et qu'il vive (Ez 18,23 Ez 33,11 Lc 15,7 Lc 15,10). C'est pour qu'il vive, que je lui envoie tout ce qui lui arrive. Cette vérité est toujours présente à l'âme dépouillée d'elle-même, et voilà pourquoi elle ne trouve que sujet de joie, en tout ce qu'elle voit ou qu'elle éprouve, en elle-même ou dans les autres. Elle n'a jamais peur de manquer des petites choses, quand par la lumière de la foi, elle est assurée des plus grands biens, comme je te l'ai exposé au commencement de ce traité. Oh! que glorieuse est cette lumière de la très sainte foi, qui lui a fait connaître et voir, et sans cesse lui découvre ma Vérité! Elle vient, cette lumière, de l'Esprit-Saint, le bon serviteur: elle est une lumière surnaturelle, que l'âme obtient de ma bonté, en exerçant la lumière naturelle que je lui ai donnée (179).




CHAPITRE VIII Comment Dieu exerce sa providence sur l'âme, en lui donnant son sacrement.

142
Comment il pourvoit aux désirs de ses serviteurs affamés du sacrement du corps du Christ. Comment il pourvut maintes fois, par une intervention merveilleuse, au besoin d'une âme qui désirait ardemment l'Eucharistie.

Sais-tu, très chère fille, comment je pourvois aux besoins de mes serviteurs qui espèrent en moi? De deux manières. Ma providence, à l'égard de mes créatures raisonnables, s'exerce à la fois sur l'âme et sur le corps, et toutes les dispositions de ma providence vis-à-vis du corps, sont ordonnées au service de l'âme; elles ont pour but de la faire pénétrer plus avant dans la lumière de la foi, d'accroître son espérance en moi, en la dépouillant de plus en plus de la confiance qu'elle pourrait avoir en elle-même. C'est ainsi, qu'elle en arrive à voir et à reconnaître que je suis celui qui est, celui qui peut, celui qui veut, celui qui sait subvenir à ses besoins et pourvoir à son salut.
Pour ce qui est proprement de l'âme et de sa vie, je lui ai donné, tu le sais, les sacrements de la sainte Eglise. Voilà sa nourriture, à elle! Ce n'est pas le pain matériel, la nourriture grossière qui convient au corps et que j'ai donnée au corps; car (180) l'âme est immatérielle, il lui faut une nourriture immatérielle et c'est de ma parole qu'elle doit vivre. C'est pourquoi ma Vérité a dit, dans le saint évangile, que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole venue de moi (
Mt 4,4 Lc 4,4). Elle doit donc suivre spirituellement, du fond du coeur, la doctrine de ma Parole incarnée, qui par la vertu de son sang dans les sacrements lui donne la vie; car ces sacrements sont spirituels, et c'est à l'âme qu'ils sont donnés, bien qu'ils soient faits et administrés par l'intermédiaire du corps. Cet acte matériel ne communiquerait pas la vie à l'âme, si elle ne s'y disposait à le recevoir spirituellement par un vrai et saint désir, et ce n'est pas dans le corps, mais dans l'âme, qu'est ce désir. Voilà pourquoi je t'ai dit que les sacrements sont spirituels et que c'est à l'âme immatérielle qu'ils sont donnés. C'est bien sur le corps que s'exerce le rite extérieur, mais c'est au désir de l'âme qu'il appartient d'en recevoir l'effet.
Pour accroître cette faim, ce saint désir de l'âme, parfois je lui inspirerai ce voeu du sacrement, sans qu'elle puisse le satisfaire. Cette privation ne fait qu'attiser son ardeur, et lui apprend à se connaître elle-même, en l'amenant à se juger indigne par humilité. C'est moi qui l'en rend digne par divers moyens ménagés par ma providence pour lui procurer ce sacrement. Tu le sais bien, pour l'avoir entendu raconter et pour l'avoir éprouvé toi-même, si tu ne l'as pas oublié. La clémence de (181) mon Esprit-Saint, que ma bonté lui a donné pour la servir, suggère alors à quelque prêtre la pensée qu'il doit administrer cette nourriture. L'Esprit-Saint le presse par l'ardeur de ma charité, et stimule sa conscience. Sous cette poussée intérieure, le prêtre est amené à apaiser la faim de cette âme et à combler ses voeux. Parfois je la ferai attendre ainsi jusqu'au dernier moment, et quand elle aura perdu tout espoir, c'est alors qu'elle obtiendra ce qu'elle désire.
N'aurais-je pu pourvoir à lui procurer, dès le commencement, la satisfaction que je lui ai fait attendre? Oui, en vérité, mais si j'ai différé, c'était pour accroître en elle la lumière de la foi et l'habituer à ne jamais se lasser d'espérer en ma bonté, en même temps que je la rendais plus circonspecte et plus prudente en lui apprenant à ne pas retourner en arrière, en se relâchant de l'intensité de son désir.
Te souviens-tu de cette âme, qui était venue au saint temple, avec un grand désir de la communion? Comme le prêtre montait à l'autel, elle lui demanda le corps du Christ, vrai Dieu et vrai homme, il lui répondit qu'il ne voulait pas le lui donner. Le gémissement et l'ardeur de cette âme s'en accrurent d'autant. Le prêtre en éprouva du trouble dans sa conscience, et à l'élévation du calice, le remords devint si violent, qu'il dit au clerc qui l'assistait: Demande-lui si elle veut la communion, je la lui donnerai volontiers. C'était l'Esprit-Saint, le serviteur attaché par ma providence au service de cette (182)âme, qui travaillait ainsi le coeur de ce prêtre, pour l'amener à satisfaire à son désir.
Et quel profit pour cette âme dans ce refus! Ce qui n'était en elle qu'une étincelle de foi et d'amour devenait un grand feu, et ce désir embrasait tellement son coeur qu'il lui semblait que la vie allait quitter son corps. Je n'avais permis ce délai que pour détruire en elle tout amour-propre, toute hésitation, toute espérance qu'elle aurait pu avoir en elle-même. Ma providence fit concourir à ce dessein l'action d'une créature, mais en d'autres circonstances, le bon serviteur qu'est l'Esprit-Saint y pourvoira seul, sans aucun intermédiaire, comme il est arrivé maintes fois à plusieurs personnes, et comme l'éprouvent tous les jours ceux qui me servent. Je t'en citerai, entre autres, deux exemples admirables, pour fortifier ta foi et l'attacher davantage encore à ma providence.
Rappelle-toi, - tu dois en avoir conservé le souvenir pour l'avoir appris de cette âme elle-même - que le jour de la conversion de mon glorieux apôtre Paul, mon cher héraut, il y avait dans une église, une âme si désireuse de recevoir ce sacrement, le pain de vie, nourriture des anges qui vous a été donné à vous mes créatures humaines, qu'elle le demanda à presque tous les prêtres qui vinrent célébrer ce jour-là. Par une disposition de ma providence, de tous elle essuya un refus. Je voulais ainsi lui (183) apprendre que si les hommes la rebutaient, je lui restais fidèle, moi son créateur. Pour le lui prouver, j'usai d'un doux stratagème, afin de la mieux enivrer de ma providence.
La dernière messe allait être dite. Elle avait averti celui qui servait à l'autel, qu'elle désirait communier; mais celui-ci s'abstint de prévenir le prêtre. Cependant, comme elle n'en avait point reçu de réponse négative, elle attendait avec ferveur, le moment où elle pourrait s'approcher de la communion. La messe terminée et se voyant frustrée dans son espérance, elle éprouva une faim si grande de ce pain de vie, un désir si ardent de le recevoir, qu'elle ne savait comment le contenir, en même temps que son humilité la portait à se considérer comme indigne et lui faisait reproche de la présomption qu'elle avait eue, d'oser s'unir à un si grand mystère.
Alors moi, qui exalte les humbles, moi le Dieu de l'éternité, j'attirai à moi le désir et l'ardeur de cette âme et je plongeai son esprit dans l'abîme de ma Trinité. J'inondai de clartés l'oeil de son intelligence sur ma puissance à moi le Père éternel, sur la sagesse de mon Fils unique, sur la clémence de l'Esprit-Saint, distincts tous trois dans l'unité d'une (184) même essence. Cette âme s'unit si étroitement à ce divin objet, que son corps en était soulevé de terre; car, dans cet état unitif, l'âme, comme je te l'ai expliqué, est plus parfaitement unie à moi par le sentiment de l'amour qu'elle ne l'est à son propre corps. C'est au sein de cet abîme, que, pour satisfaire son désir, je lui donnai moi-même la sainte communion, et en signe de la réalité de cette grâce, pendant plusieurs jours, elle éprouva d'une manière merveilleuse, par ses sens corporels, le goût et l'odeur du sang et du corps du Christ crucifié, ma Vérité. Elle en fut toute renouvelée dans la lumière de ma providence, qu'elle avait goûtée avec tant de douceur.
Cette intervention providentielle ne fut sensible qu'à cette âme seule elle demeura invisible polir les autres créatures.
Quant au second fait, il eut pour témoin le prêtre qui fut acteur dans l'événement, et qui le vit de ses yeux.
Cette âme avait un grand désir d'entendre la messe et d'y communier; mais, retardée par une infirmité, elle n'avait put se rendre à l'église à l'heure voulue. Elle y vint cependant, mais en retard. Quand elle arriva, le prêtre en était à la consécration. La messe se célébrait à un autel placé au chevet de l'église, mais elle demeura au bas du temple, à l'autre extrémité, parce que l'obéissance ne lui permettait pas d'entrer plus avant. C'est donc là qu'elle se tint. Elle disait dans ses gémissements: O âme misérable, ne vois-tu pas quelles (185) grâces tu as reçues: tu es dans le temple saint de Dieu, tu vois le prêtre qui célèbre le sacrifice, toi qui mériterais par tes péchés d'être placée en enfer? Mais ces considérations n'apaisaient point son désir, bien au contraire, plus elle s'abaissait dans les profondeurs de l'humilité, plus elle se sentait élevée au-dessus d'elle-même; ma grâce la faisait pénétrer davantage, par la foi et l'espérance, dans la connaissance de ma bonté; et elle y trouvait la confiance que l'Esprit-Saint, son serviteur, contenterait sa faim.
C'est alors que je lui donnai ce qu'elle désirait d'une manière qu'elle naurait pas su prévoir. Avant la communion, au moment où le prêtre divise l'hostie, il s'en détacha une fraction qui tomba sur l'autel. Par une disposition de ma sagesse et un acte de ma puissance, cette parcelle de l'hostie, qui s'en était détachée, quitta l'autel, pour aller à l'autre extrémité de l'église où se tenait cette âme. Celle-ci sentit à ce moment qu'elle était communiée, mais croyant qu'elle l'avait été d'une manière invisible, et que rien n'en avait paru au dehors, elle pensa, dans l'ardeur de son amour, qu'une fois de plus j'avais secrètement satisfait son désir comme il lui était déjà arrivé bien souvent.
Ce n'était pas l'avis du prêtre. Celui-ci ne trouvant pas cette parcelle de l'hostie, en éprouvait une douleur qui eut été intolérable, si dans ma clémence l'Esprit-Saint le serviteur, ne lui eût suggéré l'idée de la personne qui l'avait reçue. Un doute cependant (186) subsistait dans son esprit, jusqu'à ce qu'il s'en fût expliqué avec elle.
N'aurais-je pas pu guérir l'infirmité qui l'empêchait de se rendre à l'église, et lui permettre ainsi d'arriver à l'heure à la messe, pour recevoir le sacrement de la main du prêtre? Sans doute; mais je voulais prouver à cette âme, et par sa propre expérience, qu'avec ou sans l'intermédiaire des créatures, dans quelque état, dans quelque temps que ce soit, et quoi qu'elle souhaite, moi, je puis, je sais, je veux satisfaire ses désirs et au delà de ses désirs, et par les moyens les plus merveilleux.
C'est assez, ma très chère fille, pour le faire comprendre les dispositions de ma providence à l'égard des âmes affamées de ce doux sacrement. C'est ainsi qu'en use ma bonté vis-à-vis de tous les autres, suivant leurs besoins.
Je veux te parler maintenant d'un détail, et t'expliquer la conduite de ma providence dans l'intime de l'âme, sans aucune intervention des agents corporels, comme instruments extérieurs. Je t'en ai déjà touché un mot, à propos des états de l'âme, mais je n'en juge pas moins opportun d'y revenir (187).




Catherine, Dialogue 139