Catherine, Dialogue 152

CHAPITRE XVIII Résumé de ce qui a été dit sur la divine providence.

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Je t'ai donc donné une idée, oh! bien incomplète, bien réduite, de ma providence vis-à-vis de toute créature, quel que soit son état. Je t'ai montré que dès l'instant que je créai le premier monde et le second, ma créature, en lui donnant l'être à mon image et ressemblance, je n'ai cessé de faire intervenir ma providence. Ce que j'ai fait, je le fais encore, et le ferai jusqu'au dernier jour, pour pourvoir à votre salut, car je veux votre sanctification (
1Th 4,3), et tout ce qui vous arrive, est ordonné par moi à cette fin.
C'est ce que ne voient pas les mondains, les hommes de péché, parce qu'ils se sont privés de la lumière et, parce qu'ils ne le voient pas, t'ai-je dit, ils se scandalisent de moi. Néanmoins je les supporte avec patience, je les attends jusqu'au dernier jour et ne cesse d'ici là de subvenir à leurs besoins, à eux qui sont pécheurs, comme à ceux des justes, dans les choses temporelles et dans les spirituelles (245).
Je t'ai exposé l'imperfection des richesses, en essayant de te donner quelque idée de la misère où elles conduisent ceux qui les possèdent avec un amour déréglé. Je t'ai dit l'excellence de la pauvreté et des vrais trésors qu'elle apporte à l'âme, qui la choisit pour son épouse et l'accueille, avec sa soeur, l'abnégation, dont je parlerai bientôt, en t'entretenant de l'obéissance. Je t'ai fait voir combien cette vertu me plaît, combien elle m'est chère, et de quels soins l'entoure ma providence.
Tout ce que je t'ai dit à la louange de cette vertu et de la très sainte Foi qui conduit l'âme à cet état si excellent et si parfait, est pour te faire avancer toi-même dans la foi et dans l'espérance, et t'amener à frapper à la porte de ma miséricorde. Crois bien, et d'une foi vive, que ton désir et celui de mes serviteurs je l'exaucerai, en vous ménageant des souffrances jusqu'à la mort. Mais, courage, réjouis-toi en moi, qui suis ton défenseur et ton consolateur (Lc 1,47).
Tu m'avais demandé de t'expliquer ma providence et les moyens que j'emploie pour subvenir aux besoins de mes créatures: c'est fait! Tu vois donc bien que je ne demeure pas indifférent aux saints et vrais désirs (246).



CHAPITRE XIX Comment cette âme, après avoir loué et remercié Dieu, le prie de lui parler sur la vertu d'obéissance.

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Alors cette âme, éprise jusqu'à l'ivresse de la vraie et sainte pauvreté, se dilatait dans la souveraine et éternelle Grandeur, et se sentait transformée dans l'abîme de la providence infinie et ineffable. Bien que toujours dans le vaisseau de son corps, il lui semblait qu'elle l'avait quitté, tant elle était embrasée et toute ravie en Dieu par le feu de sa charité. Elle tenait le regard de son intelligence fixé sur la divine Majesté, pendant qu'au Père éternel et souverain elle disait: O Père éternel! ô feu, ô abîme de charité! ô éternelle clémence! ô espérance, ô refuge des pécheurs, ô sagesse inestimable! ô bien éternel et infini! ô fou d'amour! Avez-vous donc besoin de votre créature? Oui, me semble-t-il, car vous en agissez avec elle comme si vous ne pouviez vivre sans elle, Vous qui êtes la vie qui fait vivre toute chose et sans laquelle rien ne vit (
Lc 20,38)! Pourquoi donc êtes-vous si épris de votre créature? Pourquoi cet amour éperdu pour votre oeuvre? Toutes vos complaisances sont pour elle, vous ne trouvez de délices qu'avec elle, le désir (247)de son salut est en vous comme une ivresse! Elle vous fuit pourtant, mais vous êtes à sa poursuite. Elle s'éloigne, et vous vous faites plus proche. Pouviez-vous vous placer plus près d'elle, qu'en vous revêtant de son humanité? Et que dirai-je? Je ferai comme le bègue, je dirai a, a, puisque je ne sais dire rien d'autre (Jr 1,6), puisque la langue ne saurait exprimer le sentiment de l'âme, qui infiniment ne désire que vous! Il me semble que je pourrais répéter la parole de Paul: " Ni la langue ne peut dire, ni l'oreille entendre, ni l'oeil voir, ni le coeur penser" (1Co 2,9 Is 64,3) ce que j'ai vu. - Et qu'as tu vu? - " Les mystères de Dieu!" (2Co 12,4)
Et moi, que dirai-je? Que peuvent faire ici les sentiments grossiers? Je dirai seulement, que mon âme a goûté et vu l'abîme de la souveraine et éternelle providence.
Maintenant, je vous rends grâces à vous, Seigneur, Père éternel, pour l'immense bonté que vous m'avez témoignée à moi, pauvre misérable si indigne de toute grâce. Mais, puisque je vois que vous exaucez les saints désirs et que votre Vérité ne peut mentir, je vous exprime le voeu, que vous me parliez un peu désormais de la vertu d'obéissance et de son excellence. Vous-même, Père éternel, vous m'avez promis de me l'expliquer, pour m'en inspirer l'amour, afin que jamais je ne m'écarte de l'obéissance que je vous dois. Qu'il vous plaise, par votre infinie bonté, de me faire connaître la perfection (248) de cette vertu, - où je pourrai la trouver, - ce qui peut me la faire perdre, - qui me la peut procurer, - à quel signe je puis juger que je la possède ou que j'en suis privée!





DE L'OBEISSANCE


CHAPITRE I Où l'on trouve l'obéissance? - Ce qui la fait perdre.

154 - A quel signe l'homme peut connatre qu'il la possède ou non? -Quelle est la compagne de l'obéissance? - Qui la nourrit?

Alors le Seigneur, Père éternel et bon, abaissa le regard de sa miséricorde et de sa clémence sur cette âme O fille très chère, lui dit-il, les saints désirs et les justes prières doivent être exaucés. C'est pourquoi moi, la Vérité souveraine, je demeurerai fidèle à ma vérité, en accomplissant la promesse que je t'ai faite et en réalisant ton désir. Tu m'as demandé où tu trouveras l'obéissance, ce qui peut te la faire perdre, le signe auquel tu reconnaîtras que tu la possèdes, ou non!
Je réponds que tu la trouveras dans le doux Verbe d'amour, mon Fils unique. Si prompte fut en lui l'obéissance que, pour la pratiquer, c'est avec (252) empressement qu'il alla à la mort ignominieuse de la croix (
Ph 2,8). Regarde maintenant le premier homme, tu y découvriras la cause qui le fit manquer à l'obéissance que je lui avais imposée, moi, le Père éternel. L'orgueil, fils de l'amour-propre et de la complaisance qu'il eut pour sa compagne, voilà la cause qui le détourna de l'obéissance parfaite, et l'engagea dans cette révolte où il perdit la vie de la grâce et l'innocence première, pour tomber dans l'impureté et dans la plus profonde misère, où il entraîna avec lui toute sa race, comme je te l'ai dit.
Le signe que tu possèdes cette vertu, est la patience; l'impatience, par contre te fera connaître qu'elle te manque. Ce que je t'expliquerai te fera comprendre qu'il en est bien ainsi.
Mais remarque tout d'abord, qu'il y a deux manières de pratiquer l'obéissance, dont l'une est plus parfaite que l'autre; elles ne sont pas d'ailleurs séparées, mais unies, comme je te l'ai dit à propos des commandements et des conseils. L'une est bonne et parfaite, l'autre très parfaite, mais il n'est personne qui puisse entrer dans la vie éternelle s'il n'est obéissant. Sans l'obéissance, on reste dehors; car l'obéissance est la clef, avec laquelle fut ouverte la porte qui avait été fermée par la désobéissance d'Adam. Poussé par ma bonté infinie et ne pouvant me faire à l'idée que l'homme que j'aimais tant, ne faisait pas retour à moi sa fin dernière, je pris la clef de l'obéissance et je la remis aux mains du doux Verbe d'amour, ma Vérité, que j'établis portier du ciel. C'est lui qui en ouvrit la porte. Sans cette clef (252) et sans ce portier, nul n'y peut avoir accès. C'est ce qu'il vous a appris dans son Evangile, quand il vous a dit que nul ne peut venir à moi, le Père, si ce n'est par lui. (Jn 14,6) Quand il quitta la société des hommes pour retourner près de moi en montant au ciel, il vous laissa cette précieuse clef de l 'obéissance. Comme tu sais, il établit son vicaire, le Christ sur terre, à qui tous vous êtes tenus d'obéir jusqu'à la mort. Qui se sépare de son obédience est en état de damnation, comme je te l'ai dit en un autre endroit.
Je veux te faire voir, maintenant, cette vertu si excellente dans l'humble Agneau sans tache et t'apprendre d'où elle procède. D'où vient donc que ce Verbe fut si obéissant? De l'amour qu'il eut de mon honneur et de votre salut. Et cet amour d'où procédait-il? De la claire vision qu'avait son âme de la divine essence et de l'immuable Trinité. Il me voyait ainsi toujours moi-même, le Dieu éternel. Cette vision produisait en lui, avec une perfection absolue, cette fidélité, que la lumière de la foi ne réalise en vous qu'incomplètement. Il me fut donc fidèle à moi, son Père éternel, et sous cette glorieuse lumière, dans l'ivresse de l'amour, il s'est élancé dans la voie de l'obéissance.
Mais l'amour ne va jamais seul, sans son cortège des vraies et réelles vertus, qui toutes puisent leur vie, dans le foyer même de la charité; toutefois les vertus de mon Christ n'ont pas la même mesure des vôtres. Parmi ces vertus, la principale est la patience, qui est comme la moelle de l'amour: c'est (253) elle qui est pour l'âme, le signe infaillible, qu'elle est en grâce avec Dieu et qu'elle aime véritablement. C'est pourquoi sa mère, la charité, l'a donnée pour soeur à la vertu d'obéissance, et les a si bien unies ensemble que la perte de l'une entraîne la mort de l'autre. On les a toutes les deux, où l'on ne possède ni l'une ni l'autre.
L'obéissance a une nourrice qui sans cesse l'alimente, et qui est la vraie humilité. On n'est obéissant qu'autant qu'on est humble, et l'on ne saurait être humble si l'on n'est obéissant. Cette vertu d'humilité n'est-elle pas mère nourricière de la charité? Comment s'étonner dès lors, qu'elle nourrisse de son même lait la vertu d'obéissance. Le vêtement dont la couvre cette bonne nourrice, c'est le mépris de soi-même, c'est le désir des opprobres, qui porte l'âme à se contrarier en tout pour me plaire. Où trouver cette vertu? Dans le doux Christ Jésus, mon Fils unique. Qui donc plus que lui s'est abaissé (Ph 2,7-8)! Il s'est abreuvé d'opprobres, de moqueries et d'affronts: il s'est renoncé soi-même (Rm 15,3) en donnant sa vie corporelle pour me plaire. Et patient, qui le fut plus que lui? Pas une plainte, pas un murmure (Is 53,7 Mt 26,63), mais une patience douce aux injures, qui lui faisait accomplir avec élan d'amour, l'obéissance que je lui avais imposée, moi, son Père éternel.
C'est donc en lui, que vous trouverez l'obéissance parfaite. Il vous en a fourni la règle; il vous en a laissé la doctrine, en commençant par l'observer lui-même, et cette doctrine vous donne la vie, parce (254) qu'elle est la voie droite. C'est lui-même qui est la voie; aussi a-t-il dit qu'il était la voie, la vérité et la vie. Qui suit cette voie est dans la lumière, et celui qui marche dans la lumière ne peut heurter, ni être heurté, sans s'en apercevoir (Jn 14,6 Jn 8,12 Jn 11,9-10); il s'est sorti des ténèbres de l'amour-propre qui le faisait tomber dans la désobéissance. Je te l'ai dit, en effet, l'obéissance a pour compagne inséparable l'humilité, elle procède de l'humilité. En conséquence, la désobéissance est un fruit de l'orgueil, qui a sa source dans l'amour-propre, destructeur de l'humilité.
La désobéissance a une soeur, elle aussi, que lui a donné l'amour-propre, et qui est l'impatience elle a pour nourrice la superbe. Sous sa conduite, l'âme, dans les ténèbres de l'infidélité, se précipite par le chemin obscur qui mène à la mort éternelle.
A vous tous, donc, il faut lire en ce glorieux livre, où vous trouverez écrite cette vertu d'obéissance avec toutes les autres (255).



Après t'avoir expliqué où se trouve l'obéissance, d'où elle vient, quelle est sa compagne, et qui la nourrit, je te parlerai maintenant des obéissants et des désobéissants, de l'obéissance commune et de l'obéissance particulière, je veux dire de l'obéissance aux préceptes et de l'obéissance aux conseils.

CHAPITRE II Comment l'obéissance est une clef qui ouvre le ciel.

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De la nécessité de porter toujours cette clef attachée à la ceinture. Ses qualités.

Toute votre foi est fondée sur l'obéissance, et c'est par l'obéissance que vous prouvez que vous êtes fidèles. A tous sans exception ma Vérité a imposé les commandements de la loi, dont le principal est de m'aimer, moi, par-dessus toute chose et le prochain comme vous-mêmes. Ce précepte est si étroitement lié à tous les autres qu'on ne saurait observer l'un sans les observer tous, ni négliger l'un sans les enfreindre tous (
Mt 22,37-40). Qui garde le premier garde tous les autres. Il est fidèle à moi et au prochain il m'aime, moi, et demeure dans l'amour de ma créature. Par là même il est obéissant, il se soumet lui-même aux commandements de la loi, et aux créatures, à cause de moi, supportant avec humilité et (256) patience toutes les peines et les injures qui lui peuvent venir du prochain.
Telle est encore l'excellence de l'obéissance, que c'est par elle que vous recevez la grâce, comme c'est là désobéissance qui vous a communiqué la mort (Rm 5,15-17); mais il ne suffirait pas qu'elle se fût trouvée seulement dans mon Verbe, il faut aussi que vous la pratiquiez vous-mêmes. Je te l'ai déjà dit, elle est une clef qui ouvre le ciel, et cette clef, il la confiée aux mains de son vicaire. Ce vicaire la remet à chacun de vous, lorsque, dans la réception du baptême, vous vous engagez à renoncer au démon, au monde,. à ses pompes, à ses plaisirs. Par cette promesse de soumission, chacun reçoit la clef de l'obéissance, chacun la possède pour son propre tissage, et c'est la même clef que celle de mon Verbe.
si l'homme ne se laisse pas conduire par la lumière de la foi et par la main de l'amour, pour ouvrir avec cette clef la porte du ciel, jamais il n'entrera dedans, bien que mon Verbe en ait déjà ouvert la porte. Je vous ai créés sans vous, mais je ne vous sauverai pas sans vous.
Il vous faut donc porter à la main cette clef; il ne faut pas rester assis, il faut marcher. En avant, par le chemin ouvert par ma Vérité! Et debout! Quittez ces choses finies où votre coeur se pose. Plus de ces hommes insensés, qui suivent le vieil homme leur premier père, et jettent dans la fange de l'impureté la clef de l'obéissance, après l'avoir couverte de la rouille de l'amour-propre et l'avoir (257) faussée sous le marteau de l'orgueil. Le Verbe est venu, mon Fils unique, il a pris lui-même en main cette clef de l'obéissance, il l'a purifiée dans le feu de la divine charité, il l'a retirée de la boue pour la laver dans son sang, il l'a redressée avec le glaive de la justice, quand sur l'enclume de son corps il répara vos iniquités (Ps 128,3). Il l'a si bien forgée désormais que, quelque accident que l'homme lui fasse volontairement subir, l'homme le peut réparer lui-même par son libre arbitre, avec le secours de ma grâce, en se servant des mêmes instruments.
O homme aveugle, et deux fois aveugle! Tu vois bien que cette clef de l'obéissance, tu l'as faussée! Et te ne te soucies pas de la réparer? La désobéissance a fermé le ciel, crois-tu donc que c'est elle qui te l'ouvrira! L'orgueil en a été précipité, penses-tu que c'est lui qui l'emportera d'assaut? Tu portes un vêtement déchiré et malpropre, et tu te flattes d'être admis au festin de noces (Mt 22,12)? Tu t'es assis, tu croupis dans les liens du péché mortel, et tu prétends arriver, et sans clef, à ouvrir la porte du cénacle? Non, ne t'imagines pas cela, ce serait une illusion décevante! Il faut rompre tes entraves (Rm 7,6), il faut sortir du péché mortel par la sainte confession, accompagnée de la contrition du coeur, de la satisfaction et du ferme propos de ne plus m'offenser. Tu te déferas alors de l'habit sale et laid qui te souille, et, revêtu de la robe nuptiale, tu pourras courir à la lumière de la foi jusqu'à cette porte avec l'obéissance, tu auras en main la clef qui te permettra de l'ouvrir. Pour ne pas la perdre, (258) attache-la! Mets-y un cordon à cette clef, le cordon de l'abnégation, du mépris de toi-même et du monde; par ce lien, fixe-la à ma volonté, à moi ton Créateur; puis, que cette volonté soit comme une ceinture qui t'enserre toujours. Ainsi tu ne la perdras jamais.
Nombreux sont ceux, sache-le bien, qui ont commencé par se munir de cette clef de l'obéissance, après que la lumière de la foi leur eut fait voir, que sans elle ils ne peuvent échapper à la damnation éternelle. Mais ils la portent à la main, sans ceinture et sans cordon pour l'y attacher. C'est-à-dire qu'ils ne se sont pas revêtus parfaitement de mon bon plaisir, ils se complaisent encore en eux-mêmes; ils ne se sont pas procuré le cordon de l'abnégation (Ep 6,14 1P 1,13 Jr 6,26); ils ne se soucient pas d'être comptés pour rien, ils attachent trop de prix aux louanges des hommes. Ceux-là sont tout près d'égarer la clef, pour peu qu'il leur arrive quelque peine ou quelque tribulation un peu plus forte, soit de corps, soit d'esprit. S'ils n'y prennent garde, maintes fois, la main du saint désir se relâchera de son étreinte, et ils la perdront. En vérité, elle est moins perdue qu'égarée; car il est en leur pouvoir de la retrouver, s'ils le veulent, tant qu'ils vivent. Mais, s'ils ne le veulent, ils ne la retrouveront jamais Qui leur fera connaître qu'ils l'ont égarée? L'impatience: car patience et obéissance sont inséparables. Qui n'est pas patient a, par là même, la preuve que l'obéissance n'habite pas dans son âme.
Ah! Combien douce et glorieuse cette vertu qui (259) enferme en elle toute les vertus! Elle a été conçue et enfantée par la charité. Sur elle est établie la pierre de la très sainte foi. Elle est une reine: celui qui l'épouse est à l'abri de tous les maux, elle apporte avec elle la paix et la tranquillité. Contre elle viennent se briser tous les flots d'une mer en courroux. Elle est le centre même de l'âme qu'aucune tempête ne peut atteindre. Contre les injures, celui qui la possède n'a jamais de haine; il veut obéir, et il sait qu'il est une loi de pardon. Les privations ne lui causent nulle affliction; car l'obéissance lui a appris à ne désirer que moi seul, qui puis, si je le veux, réaliser tous ses désirs, en même temps qu'elle l'a dépouillé des richesses du monde. Ainsi, en toutes choses qu'il serait trop long d'énumérer, il trouve paix et tranquillité, pour avoir élu pour épouse la reine obéissance, que j'ai comparée à une clef.
O obéissance, qui accomplis la traversée sans peine, et arrive sans péril au port du salut! Tu te conformes au Verbe, mon Fils unique; tu prends passage sur la barque de la très sainte Croix, prête à tout souffrir plutôt que de t'écarter de l'obéissance du Verbe et d'enfreindre sa doctrine. De la très sainte Croix, tu as fait une table, où tu te nourris des âmes, inébranlable dans l'amour du prochain. Toute pénétrée d'humilité, tu n'as point de convoitise du bien d'autrui, en dehors de ma volonté. Tu es toute droite, sans aucun détour; tu fais le coeur loyal, sans feinte aucune, à l'amour généreux, exempt de tout calcul. Tu es une aurore qui annonce (261) la lumière du divin amour! Tu es un soleil qui échauffe, parce que sans cesse tu es embrasée de la charité! C'est toi qui fais germer la terre, car par toi tous les organes du corps, toutes les facultés de l'âme produisent des fruits de vie, pour elle-même et pour le prochain. Tu es toute charmante, parce que jamais la colère ne trouble ton visage; il conserve inaltérable la sérénité de la force, et la grâce que répand l'aimable patience. Comme ta longue persévérance te fais grande! Si grande, que tu vas de la terre au ciel, puisque c'est par toi et par toi seule qu'on le peut ouvrir. Tu es une perle cachée, méconnue, piétinée par le monde, et tu es la première à te mépriser toi-même et à te mettre sous les pieds de tous. Si haute pourtant est ta puissance que nul ne te peut commander: tu es affranchie de la mortelle servitude de la sensualité, qui ravalait ta dignité. En tuant cet ennemi par la haine et le mépris de la volonté propre, tu as reconquis ta liberté (261).



CHAPITRE III Où l'on parle à la fois de la misère des désobéissants et de l'excellence des obéissants.

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Sache-le bien, ma fille très chère, tous les desseins de ma providence, tous les efforts de ma bonté, étaient pour que mon Verbe réparât cette clef de l'obéissance. Mais les hommes mondains, qui n'ont aucune vertu, refusent le don qu'il leur a fait.
Ils sont comme des animaux débridés. Depuis qu'ils ont perdu le frein de l'obéissance, ils se précipitent de mal en pis, de péché en péché, de misère en misère, de ténèbres en ténèbres, de mort en mort, jusqu'au bord de la fosse, jusqu'au terme de leur vie, portant au fond de la conscience ce ver qui, sans cesse, les ronge. Sans doute ils peuvent encore reprendre le joug de l'obéissance, pour se soumettre volontairement aux commandements de la loi, et profiter du temps qui leur est laissé, pour se repentir de leur révolte passée; mais combien difficile ce retour, après cette longue habitude du péché I Aussi, que personne ne compte sur cette dernière heure, que personne ne remette à l'instant de la mort, pour ressaisir en main la clef de l'obéissance. Chacun, il est vrai, peut et doit espérer (262) jusqu'à la fin, tant qu'il lui reste encore un peu de temps; mais nul ne doit s'autoriser de cette espérance, pour différer toujours l'amendement de sa vie.
Quelle est donc la cause de tous ces maux qui leur arrivent? Quelle est la raison de cet aveuglement qui les empêche de reconnaître le trésor mis à leur disposition? La nuée de l'amour-propre, avec ce misérable orgueil, qui les a fait s'écarter de l'obéissance et tomber dans la révolte. N'étant point obéissants, ils ne sont pas non plus patients et, dans leur impatience, ils ont à souffrir des peines intolérables. Ils se sont ainsi détournés de la voie de la vérité, pour se laisser engager dans le chemin du mensonge et se faire les serviteurs et les amis des démons. S'ils ne changent pas de vie, leur désobéissance les conduira tout droit, en compagnie de leurs maîtres, à l'éternel supplice.
Pendant ce temps, mes fils très chers, les obéissants, qui auront observé la loi, seront dans la joie et l'allégresse que leur procurera ma vision éternelle, en la société de l'humble Agneau immaculé, auteur, observateur et promulgateur de la loi. En l'accomplissant en cette vie, ils ont déjà goûté la paix, et dans la vie bienheureuse ils en jouissent avec plénitude. C'est une paix sans trouble, une joie parfaite et sans mélange. une sécurité exempte de toute crainte, une richesse inépuisable, une satiété sans dégoût, une faim sans tourment, une lumière sans ombre. un bonheur souverain, infini, sans limite, et un bonheur (263) qu'ils partagent avec tous ceux qui l'ont su goûter comme eux.
Qui leur a procuré une pareille félicité? Le sang de l'Agneau. C'est par la vertu du sang de l'Agneau, que la clef de l'obéissance a été purifiée de la rouille qui la recouvrait, et rendue capable d'ouvrir la porte du ciel. C'est donc en vertu du Sang que l'obéissance l'a ouverte.
O ignorants! O insensés! Ne tardez plus, sortez de la fange de vos vices, où vous paraissez vous complaire, comme le pourceau à vautrer sa chair dans la boue. Laissez là les injustices, les homicides, les haines, les rancunes, les calomnies, les murmures, les médisances, les cruautés dont vous accablez votre prochain, renoncez à ces vols, à ces trahisons, à ces plaisirs désordonnés, aux délices du monde. Abattez cette corne de la superbe, vous aurez éteint du même coup la haine que vous avez dans le coeur, contre qui vous a fait injure. Comparez les injures que vous me faites, à moi, et à votre prochain, avec celles dont vous vous plaignez, et vous trouverez que les vôtres ne sont que bagatelles auprès de celles que vous m'infligez, à moi, et à votre prochain. Ne voyez-vous pas, qu'en gardant votre haine, vous me faites injure à moi, en transgressant mon commandement, en même temps que vous lui faites injure à lui, qui a droit à ce que vous l'aimiez en charité. Car, il vous a été commandé de m'aimer, moi, par-dessus toute chose, et le prochain comme vous-mêmes.
Il n'y a à mon précepte aucune glose pour vous (264) dire s'il vous fait injure, ne l'aimez plus. C'est mon Verbe qui l'a porté, et il vous l'a donné tout simple, dégagé de tout commentaire, et après l'avoir observé lui-même, dans toute sa pureté. C'est avec cette simplicité que vous devez l'observer vous-mêmes. Si vous y manquez, vous vous ferez tort à vous-mêmes, vous ferez injure à votre âme en la privant de la vie de la grâce.
Ouvrez donc les yeux à la lumière de la foi et prenez, oui, prenez la clef de l'obéissance. Ne marchez plus en aveugles dans cette nuit glacée. Mais, le feu de l'amour au coeur, embrassez cette obéissance, pour goûter la vie éternelle, dans la compagnie des observateurs de la loi.




CHAPITRE IV De ceux qui aiment tant cette vertu, qu'ils ne se contentent pas de l'obéissance commune aux commandements,

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mais veulent pratiquer l'obéissance particulière.

Il en est, ma fille bien-aimée, qui ont mis tout leur effort à attiser en eux ce doux feu d'amour pour cette obéissance, en même temps que la haine de leur propre sensualité. Car cet amour ne va pas sans cette haine, et cette haine s'accroît de tout ce qui augmente cet amour. Amour et haine ont grandi à ce point qu'ils ne peuvent plus se contenter de cette obéissance générale aux commandements de la loi qui est obligatoire pour tous, s'ils veulent éviter la mort et posséder la vie: ils veulent encore s'imposer une obéissance particulière qui les mène droit à la grande perfection. En plus des préceptes, ils s'astreignent à la pratique des conseils, non seulement en esprit, mais en réalité. Par haine d'eux-mêmes et pour tuer en eux leur volonté, ils forment le dessein de se lier plus étroitement, en se soumettant aujoug de l'obéissance dans la sainte religion, ou même en dehors de la religion, en s'engageant à obéir à un directeur à qui ils enchaînent leur volonté, pour parvenir plus aisément à ouvrir le ciel. Ce sont ceux dont je t'ai (266) dit qu'ils choisissaient l'obéissance la plus parfaite. Je t'ai entretenu de l'obéissance commune, et comme je sais que ton désir est que je parle de l'obéissance plus particulière qui mène à la grande perfection, je vais maintenant traiter de celle-ci; car elles sont si étroitement unies entre elles, comme je t'ai dit, qu'on ne saurait les séparer l'une de l'autre. En t'exposant l'obéissance commune, je t'ai dit d'où elle procède - où on la trouve- ce qui peut vous la faire perdre. Je suivrai le même ordre, pour te parler de l'obéissance particulière(267).


CHAPITRE V Comment on parvient de l'obéissance commune à l'obéissance particulière. De l'excellence des Ordres religieux.

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L'âme qui s'est soumise avec amour au joug de l'obéissance aux préceptes, en suivant la doctrine de ma Vérité de la manière que j e t'ai expliquée, par l'exercice des vertus et par la pratique de la loi, parviendra à l'obéissance particulière, guidée par la même lumière qui l'a conduite à la première. La lumière de la très sainte foi lui aura fait connaître dans le sang de l'humble Agneau qui est ma Vérité, l'amour ineffable que je lui porte, en même temps que sa propre fragilité qui l'empêche d'y répondre aussi parfaitement que j'y ai droit. C'est alors qu'avec cette lumière elle va cherchant où et comment elle pourra s'acquitter envers moi, fouler aux pieds sa propre sensualité et tuer sa volonté propre. Elle regarde autour d'elle, et la lumière de la foi lui découvre le bien qu'elle cherche: c'est la sainte religion instituée par l'Esprit-Saint et proposée à toutes les âmes qui veulent atteindre cette perfection, comme une barque qui les conduira au port du salut. Le patron de cette barque est l'Esprit-Saint lui-même, dont la direction n'est jamais (268) mise en défaut par les manquements des subordonnés, quelque soit le religieux qui enfreigne ses ordres. Les méfaits de celui-ci ne nuisent qu'à lui-même, la barque n'en reçoit aucun dommage. Le pilote peut bien, il est vrai, la jeter dans la tempête, comme le font les mauvais pasteurs, préposés au gouvernail par le patron de la barque. Mais cette barque, en elle-même, est plus désirable qu'on ne le saurait dire.
Je dis donc que cette âme, qui a su attiser en elle le feu du saint désir avec la haine d'elle-même, n'a pas plutôt découvert, à la lumière de la foi, ce refuge assuré, qu'elle veut y avoir une place. Et elle y entre morte, si elle est vraiment obéissante, si elle a parfaitement pratiqué l'obéissance commune; si cependant, elle y entre encore imparfaite, ce n'est pas ce qui l'empêchera de pouvoir parvenir à la perfection. Elle y parviendra sans nul doute, si elle veut s'exercer à la vertu d'obéissance. On peut même dire, que la plus grande partie de ceux qui entrent en religion, n'ont pas parfaitement pratiqué l'obéissance aux commandements. Quelques-uns l'ont fait, oui; mais combien sont entrés dans la religion, celui-ci avec l'irréflexion de l'enfance, celui-là par crainte, cet autre par quelque chagrin, quelques-uns attirés par des flatteries. Mais l'important est qu'ils s'y exercent dans la vertu, et qu'ils y persévèrent jusqu'à la mort. Ce n'est pas sur les dispositions qu'ils y apporteraient en entrant, que l'on peut juger de leur perfection, mais d'après leur persévérance. Ils ne sont pas rares, ceux qui se (269) sont présentés, après avoir observé parfaitement les commandements, et qui ensuite, ont regardé en arrière ou sont demeurés dans leur Ordre, sans faire de progrès dans la perfection. Les circonstances ou les dispositions avec lesquelles ils ont pris passage dans la barque, sont préparées et voulues par moi, qui les appelle tous de diverses manières. Mais ce n'est pas d'après ces conditions premières encore une fois, que l'on peut porter un jugement sur leur perfection elle dépend toute, du sentiment intérieur avec lequel, une fois dans l'Ordre, on y persévère dans une véritable obéissance.
Cette barque est chargée de richesses. Celui qui lui a confié son sort n'a pas à se préoccuper de ses besoins spirituels ou temporels. S'il est véritablement obéissant, fidèle observateur de la règle, c'est le Saint-Espnt lui-même, le patron de la barque, qui pourvoit à ses besoins, comme je te l'ai déjà dit en te parlant de ma providence, et en t'expliquant que si mes serviteurs sont pauvres, ils ne sont pas pourtant réduits à la mendicité. Il en est ainsi de ceux qui entrent dans la religion; ils ne manquent jamais du nécessaire. Tous ceux qui ont pratiqué l'obéissance dans un Ordre ont pu en faire l'expérience, et tu peux voir toi-même qu'aux différentes époques, où dans les ordres religieux fleurissait cette vertu, en même temps que la pauvreté et la charité fraternelle, jamais les biens temporels ne firent défaut les ressources étaient même bien supérieures à leurs besoins. Mais depuis qu'ils ont été empoisonnés par l'amour-propre, depuis que (270) l'égoïsme a introduit chez eux la vie privée, depuis que l'obéissance a été abandonnée, ils ont vu cette abondance diminuer, et leur misère s'accroître en même temps que leurs possessions. Juste châtiment de leur désobéissance, dont ils peuvent ainsi voir les fruits dans les plus petites choses Car, s'ils avaient été obéissants, ils auraient observé leur voeu de pauvreté, ils n'auraient pas possédé quelque chose comme leur appartenant en propre, ni mené la vie privée.
L'on trouve aussi sur cette barque, le trésor de ces saintes règles, composées avec tant de sagesse et tant de lumière, par ceux qui étaient devenus des temples du Saint-Esprit. Vois avec quelle belle ordonnance, Benoît sut disposer sa barque. Considère quelle perfection, quel parfum de pauvreté, quelles perles de vertus sur la barque de François. Il la lança dans la voie de la haute perfection, qu'il pratiqua le premier, en donnant à ses disciples pour épouse, la véritable et sainte pauvreté qu'il avait choisie, par abnégation et mépris de lui-même. Il ne souhaitait pas de plaire à aucune créature, en dehors de ma volonté; au monde il ne demandait qu'une chose, les humiliations. Il macérait son corps, il mortifiait sa volonté, il se couvrait d'opprobres, de souffrances et d'affronts, pour l'amour de l'humble Agneau, avec lequel il s'était si amoureusement attaché et cloué sur la croix (
Ga 2,20) que, par une faveur singulière, apparurent sur son corps les plaies de ma Vérité, pour manifester dans sa chair (271) l'ardeur qui embrasait son âme. C'est ainsi que François fraya la route aux autres.
Mais, me diras-tu, toutes les autres religions ne sont-elles pas également fondées sur la pauvreté? Oui, en vérité, mais elle n'est pas pour chacune, le bien principal? Il en est d'elle comme des autres vertus. Toutes les vertus procèdent de la charité, et cependant, comme je te l'ai dit ailleurs, chacun a une vertu qui lui est propre; à celui-ci, telle vertu, à celui-là telle autre, bien que tous possèdent la charité. François, mon cher pauvre, eut en propre la vraie pauvreté, et à cause de l'amour qu'il avait pour elle, il en fit la pièce principale de sa barque, sur laquelle il établit une discipline étroite, faite pour des âmes, non pas communes, mais parfaites, peu nombreuses, mais bonnes. Je dis peu nombreuses, parce qu'il n'en est pas beaucoup, pour embrasser vraiment cette perfection. Mais, à raison même de leur relâchement, leur nombre s'est multiplié, en même temps que diminuait leur vertu. De ce malheur il ne faut pas accuser la barque, il n'est imputable qu'à la désobéissance des sujets ou à la négligence des mauvais pilotes.
Regarde maintenant la barque de ton père Dominique, mon fils bien-aimé, et vois avec quel ordre parfait tout y est disposé. Il a voulu que ses frères n'eussent point d'autre pensée que mon honneur et le salut des âmes, par la lumière de la science. C'est cette lumière dont il a voulu faire l'objet principal de son ordre. Il n'a pas renoncé pour autant, à la vraie pauvreté volontaire; il l'aima, lui (272) aussi, et la preuve qu'il la pratiquait, et qu'il avait en horreur la richesse, c'est la malédiction que par testament il laissa en héritage à ses fils, lorsqu'il déclara maudit de lui-même et de moi, ceux qui introduiraient, dans son Ordre, les possessions soit privées, soit communes. N'est-ce pas le signe que, lui aussi, avait élu pour son épouse la reine pauvreté. Mais, comme objet propre et plus spécial de sa religion, il avait choisi cette lumière de la science, pour extirper les erreurs qui s'étaient élevées de son temps. Son office fut celui du Verbe, mon Fils unique. Il apparut surtout au monde comme un apôtre, tant étaient puissants la vérité et l'éclat avec lesquels il semait ma parole, dissipait les ténèbres et répandait la lumière. Il fut lui-même une lumière que je donnai au monde, par l'intermédiaire de Marie; sa mission, dans le corps mystique de la sainte Église, fut d'extirper les hérésies.
Par l'intermédiaire de Marie, ai-je dit. et pourquoi? Parce que c'est Marie qui lui donna l'habit c'est à elle que ma bonté avait commis ce soin. A quelle table a-t-il invité ses fils pour se nourrir de cette lumière de la science? A la table de la croix. La croix est la table, où vient s'asseoir le saint désir, pour se nourrir des âmes, pour mon honneur à moi. Dominique a voulu que toute leur vie, ils demeurassent à cette table, pour y chercher, par la lumière de la science, la gloire et l'extension de mon nom et le salut des âmes. Pour qu'ils ne soient pas distraits de cette pensée, il les a délivrés du souci des choses temporelles, en leur imposant l'obligation (273) d'être pauvres. Il y en eut un, il est vrai, parmi ses disciples, dont la foi faiblit et qui eut peur de n'être pas assisté dans ses besoins. Mais ce n'était pas lui qui manquait de foi; il la portait comme une armure, et c'est avec une inébranlable confiance, qu'il espérait en ma providence.
Il soumit les siens à l'obéissance, et demanda que chacun fût fidèle à s'acquitter de la tache qui lui était assignée. Comme aussi, la luxure obscurcit l'oeil de l'intelligence et que même la vie du corps se trouve affaiblie par ce misérable vice, il entendit entourer le religieux d'une sauvegarde, pour conserver intacte la lumière de l'esprit, et le tenir ouvert aux clartés de la science. Il institua donc le troisième voeu de continence, et il voulut que tous sans exception l'observassent, avec une véritable et complète obéissance. Aujourd'hui on ne l'observe guère! On change en ténèbres la lumière même de la science, en l'enveloppant des fumées de l'orgueil. Non certes que la lumière en elle-même soit obscurcie par ces ténèbres, mais c'est l'âme du savant qui devient ténébreuse. Et là où est l'orgueil, il ne peut y avoir d'obéissance.
Je t'ai déjà dit, que l'homme n'est obéissant qu'autant qu'il est humble, et qu'il n'est humble qu'autant qu'il est obéissant. S'il viole son voeu d'obéissance, il est bien rare qu'il ne transgresse pas aussi celui de continence, soit en actes, soit de désir.
C'est ainsi que Dominique ton père, a disposé sa barque. Il l'a gréée de ces trois cordages qui sont l'obéissance, la continence et la vraie pauvreté (274).
La discipline y est toute royale: il n'a pas voulu que sa règle obligeât sous peine de péché mortel. C'est moi, la vraie lumière qui l'ai éclairé en ce point. Ma providence a eu égard par là, à la faiblesse des moins parfaits: car bien que tous ceux qui observent la constitution soient parfaits, il s'en rencontre néanmoins toujours, en cette vie, qui sont moins parfaits que les autres. De la sorte, parfaits et non parfaits sont à l'aise, à bord de cette barque. Dominique s'accorde ainsi avec ma Vérité, en voulant non la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive (Ez 33,11). Aussi sa religion est-elle toute large, toute joyeuse, toute parfumée: elle est elle-même un jardin de délices.
Mais les malheureux qui n'en observent pas la règle et en transgressent les ordonnances, l'ont transformé en une lande inculte et sauvage. On n'y trouve plus guère ni le parfum de la vertu ni la lumière de la science, en ceux que l'ordre nourrit dans son sein. Ce n'est pas l'Ordre que j'accuse, car par lui-même, je te l'ai dit, il est plein de délices; mais il n'est plus ce qu'il était au commencement.
Il était une fleur. Il comptait des religieux de grande perfection, qui rappelaient saint Paul, par l'éclat de leur lumière. Leurs yeux n'avaient pas plutôt découvert les ténèbres de l'erreur, qu'ils les avaient déjà dissipées.
Vois le glorieux Thomas! quelle noble intelligence et tout entière appliquée à la contemplation (275) de ma Vénté. C'est là qu'il trouva la lumière suraturelle et la science infuse; aussi cette grâce l'obtint-il beaucoup plus par ses prières que par l'étude. Il fut un flambeau très resplendissant, qui répandit la lumière dans son Ordre et dans tout le corps mystique de la sainte Eglise, en chassant les ténèbres de l'hérésie.
Considère Pierre, vierge et martyr, qui, par son sang, jeta tant d'éclat qu'il éclaira les hérétiques eux-mêmes, et qui eut pour l'erreur tant de haine, qu'il résolut d'y sacrifier sa vie. Tant qu'il vécut, il ne fit que prier, prêcher, disputer avec les hérétiques, confesser, proclamer la vérité, dilater la foi; inaccessible à la crainte, il la confessa non seulement par sa vie, mais jusque dans la mort. Au moment d'expirer sous les coups de son assassin, la voix et l'encre lui manquant, il trempa le doigt dans son sang. Il n'a pas de parchemin, le glorieux martyr, mais il s'incline, pour écrire sur la terre sa profession de foi: Credo in unum Deum, je crois en Dieu. Son coeur était si embrasé du feu de ma charité, qu'il ne ralentit pas sa course, ni ne détourna la tête, en apprenant que c'était à la mort qu'il allait. Je lui avais révélé dans quelle circonstance il devait mourir; mais lui, en vrai chevalier, qui ne connaît (276) pas la peur, n'en fut que plus animé à la bataille. Et combien d'autres que je pourrais dire, qui, sans avoir subi le martyre du Sang, ont enduré celui de désir, comme le bienheureux Dominique.
Oh! les bons ouvriers que ce père envoya travailler à sa vigne, pour arracher les mauvaises herbes des vices, et y planter les vertus! Oui, Dominique et François ont été vraiment deux colonnes dans la sainte Eglise: François par la pauvreté, qui fut sa marque distinctive, et Dominique par la science (277).





Catherine, Dialogue 152