Catherine, Lettres 349

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Lettre n. 46, AUX SEIGNEURS BANNERETS

XLVI (196). - AUX SEIGNEURS BANNERETS, et aux quatre prud'hommes défenseurs de la république de Rome.- De la reconnaissance envers Dieu.- De l'amour du prochain et de la paix. - Sainte Catherine leur reproche l'ingratitude dont on a usé à l'égard de Jean Cenci, qui avait procuré la reddition du château Saint-Ange.

(Cette lettre est du 6 mai 1379. La ville de Rome avait profité du séjour des Papes à Avignon, pour se donner une forme de gouvernement démocratique indépendant du Saint-Siège et des empereurs. Sous le pontificat d'Urbain VI l'administration reposait sur les chefs de quartier, appelés seigneurs bannerets, à cause de leurs bannières. Il leur était adjoint quatre prud'hommes, qui s'occupaient principalement des besoins publics et des oeuvres de charité. Le nom de république se conserva à Rome jusque sous Boniface IX.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très chers Frères et Seigneurs de la terre dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir reconnaissants de tous les bienfaits que vous avez reçus de Dieu, afin qu'ils augmentent et nourrissent en vous la source de l'amour divin dans vos âmes. La reconnaissance est très agréable à Dieu, et nous est très utile; mais l'ingratitude lui déplaît beaucoup et nous [386] fait grand tort: elle tarit la source de la piété, et nous invitons Dieu à ne plus augmenter ses grâces et à nous priver de celles qu'il nous a faites. Il faut donc s'appliquer avec un grand zèle à voir les bienfaits de Dieu, car en les voyant nous les reconnaîtrons et en les reconnaissant nous rendrons gloire et louange à son nom. Et comment montrerons-nous notre reconnaissance et notre ingratitude? Je vais vous le dire: nous montrerons notre ingratitude en offensant la bonté de Dieu et notre prochain, en les offensant de mille manières et par mille injustices, en ne leur rendant pas ce que nous sommes obligés de leur rendre, c'est-à-dire, en n'aimant pas Dieu par-dessus toutes choses, et. le prochain comme nous-mêmes. Nous faisons tout le contraire. Cet amour que nous devions lui donner, nous le donnons à la sensualité; nous l'offensons avec notre coeur, notre esprit, avec toutes les puissances de notre âme et tous les membres de notre corps, qui devraient être des instruments de vertu, et qui sont des instruments de vice; et ces vices nous causent la mort éternelle, si notre vie se termine dans le péché mortel. De quelque côté que nous nous tournions, nous ne trouvons que misère: et tout cela vient de l'ingratitude.

2. L'ingratitude enfante l'orgueil, la vanité, la légèreté de coeur, et toutes les souillures qui font croire que l'homme n'a d'autre pensée que de se rouler dans la fange de la débauche comme l'animal immonde; elle prive l'âme de la charité fraternelle envers le prochain, et lui inspire la haine et l'éloignement; ou, si elle l'aime, c'est par intérêt, et non pour Dieu. De là cette facilité à écouter tous les mauvais rapports, à juger les [387] autres défavorablement, n'examinant pas avec prudence celui qui dit le mal et celui dont il parle, si c'est par dépit, par envie ou par erreur. Souvent l'homme ignorant dit ce qui lui vient à la bouche, et ne fait pas attention à ses paroles; mais celui qui hait les écoute et l'envieux ne regarde pas si elles contiennent plus de vérités que de mensonges; il ne songe qu'à faire tort au prochain et à nuire à sa réputation. Vous voyez que cela arrive tous les jours. Celui qui est puissant ne s'applique pas à rendre la justice aux autres, il n'écoute que son bon plaisir ou celui des créatures; il viole le bon droit et vend la vie de son prochain, parce que son coeur est privé de la charité; et l'amour-propre le rend si étroit, qu'il ne peut plus contenir Dieu et le prochain par la sainte justice. Il ne cherche pas à secourir son semblable, et, au lieu de l'assister, il lui vole son bien de mille manières, quand il peut faire des gains illicites dont lui faudra rendre compte au moment de la mort. Sa langue, qui était faite pour rendre gloire et louange au nom de Dieu, pour confesser ses péchés et conseiller son prochain, il l'emploie à blasphémer, à jurer, à mentir, à calomnier; et non seulement il blasphème, il dit du mal des créatures, mais il s'en prend à Dieu et aux saints, il semble vouloir les fouler aux pieds. Vous savez bien que c'est la vérité; tous, pour ainsi dire, petits et grands, se sont fait une habitude de ce vice, par la faute de ceux qui vendent la justice, et qui ne font pas ce que la raison commande. Mais Dieu montre combien ces choses lui déplaisent en nous punissant un peu par les fléaux et les malheurs qui nous affligent tous les jours et il le fait justement, bien qu'il le fasse avec [388] une grande miséricorde. Tels sont les fruits que produit l'homme ingrat, et les signes qui prouvent son ingratitude.

3. Tout le contraire arrive pour l'homme fidèle et reconnaissant à l'égard de son Créateur il lui rend justice en lui rendant ce qui est dû, c'est-à-dire la louange et l'honneur que Dieu demande; il le fait en l'aimant par-dessus toutes choses, et en aimant le prochain comme lui-même. Il contemple l'humilité de Dieu pour abaisser son orgueil; il combat l'injustice par la justice, et il foule l'envie aux pieds par l'amour du prochain; il élargit son coeur dans la charité, et il se purifie de toute souillure dans la pureté du Christ, dans l'abondance de son sang précieux. Il vit honnêtement, et il secourt son prochain, sujet ou seigneur, dans ses besoins, autant qu'il le peut. Il donne de son bien, et ne prend pas celui des autres; il est juste pour le petit comme pour le grand, pour le pauvre comme pour le riche, selon les lois de la vraie justice. Il n'est pas prompt a croire aux défauts de son prochain, mais il examine avec prudence et maturité de coeur celui qui parle et celui dont il parle. Il est reconnaissant pour celui qui le sert, parce qu'il est reconnaissant pour Dieu; et non seulement il sert celui qui le sert, mais il aime et fait miséricorde à celui qui le dessert. La vie est réglée, parce qu'il a réglé toutes les trois puissances de son âme: sa mémoire retient les bienfaits de Dieu par le souvenir, son intelligence s'applique a comprendre sa volonté, et sa volonté à l'aimer; et il dispose de même tous les instruments de son corps pour la pratique de la vertu. Il est patient et bienveillant, il [389] aime l'union et déteste la discorde; il est fidèle à Dieu à la sainte Eglise et à son Vicaire, et il se nourrit comme un enfant véritable sur le sein de l'obéissance. Voilà comme nous montrons que nous sommes reconnaissants envers Dieu; et alors se multiplient les grâces temporelles et spirituelles.

4. Je veux donc, mes très chers Frères, que vous soyez reconnaissants des grâces que vous a faites et que vous fait notre créateur, pour qu'elles augmentent, et puisque vous venez d'en recevoir de miraculeuses (Sainte Catherine parle de la victoire remportée, le 29 avril de cette année, par les troupes d'Urbain VI sur celles des partisans de Clément VII. (Voir la lettre XLVII .), je veux que vous en rendiez grâces à son nom, reconnaissant avec une humilité sincère que vous les tenez de Dieu, et non de votre propre puissance, sachant bien que tous vos efforts n'auraient jamais pu faire seuls ce que Dieu a fait. Il a jeté les regards de sa miséricorde sur nous; le danger était trop grand et nous devons tout lui attribuer. Notre Saint-Père le Pape Urbain VI nous a donné l'exemple, et il a témoigné sa reconnaissance à Dieu par un acte d'humilité qui ne se fait plus depuis bien longtemps: il a voulu suivre la procession pieds nus (Lettre XX ). Nous, qui sommes ses enfants, suivons les traces de notre Père en reconnaissant que ces grâces viennent de Dieu, et non de nous. Je veux aussi que vous soyez reconnaissants à l'égard de cette compagnie dont les membres se sont faits les instruments dit Christ (Il s'agit de la compagnie de Saint-Georges, qui avait surtout décidé la victoire da 29 avril. Cette troupe de condottieri quitta le service de l'Eglise.)[390]. Assistez-les dans leurs besoins, surtout les pauvres blessés. Soyez charitables et pacifiques envers eux pour conserver leurs secours et ne pas leur donner sujet de se tourner contre vous. Il faut le faire, mes très doux Frères, par reconnaissance et par nécessité. Je suis certaine que si vous avez la vertu de reconnaissance, vous vous appliquerez à cela et à tout ce que nous avons dit: autrement, non. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir reconnaissants des services que vous avez reçus de Dieu, afin d'accomplir tout ce qui est nécessaire au salut de l'âme et du corps.

5. Il me semble qu'on est un peu ingrat à l'égard de Jean Cenci (Jean Cenci avait le plus contribué à décider la remise du château Saint-Ange, qui était gardé, depuis Grégoire XI, par un Français, Gui de Provins.). Je sais avec quel zèle et quel coeur généreux il a, uniquement pour plaire à Dieu et pour nous servir, quitté tout pour vous délivrer du malheur qui vous menaçait du côté du château Saint-Ange. Il s'est conduit avec une parfaite prudence: et maintenant, non seulement on ne lui témoigne aucune reconnaissance mais encore le vice de l'envie jette contre lui le venin des calomnies et des murmures. Je ne voudrais pas que vous agissiez ainsi avec lui et avec ceux qui vous servent; ce serait offenser Dieu et vous nuire car la ville a besoin d'hommes sages, prudents et consciencieux. Ne faites donc plus ainsi, pour l'amour de Jésus crucifié prenez les moyens qui paraîtront les meilleurs à Vos Seigneuries pour que l'erreur des ignorants n'empêche pas ce bien. Je vous dis cela dans votre [391] intérêt, et non par aucune affection particulière vous savez bien que je suis étrangère; je vous parle pour votre bonheur, que je désire de toute mon âme. Je sais qu'en hommes sages et discrets, vous considérez la pureté des sentiments qui me font vous écrire, et vous pardonnerez ainsi à la hardiesse avec laquelle j'ose le faire. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu; soyez pleins de reconnaissance pour Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








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Lettre n. 47, AU COMTE ALBERIC DE BALBIANO

XLVII (219). - AU COMTE ALBERIC DE BALBIANO, capitaine général de la compagnie de Saint-Georges, et autres chefs. Lettre écrite en extase, le 6e jour de 1379. - Elle les exhorte à être fidèles à la sainte Eglise et au Souverain Pontife Urbain VI. - Elle leur conseille la prière, la confession et la dévotion à la sainte Vierge.

(Albéric de Balbiano était un officier de fortune dont la valeur et les talents avaient réuni une troupe de quatre mille hommes, qui prit le nom de compagnie de Saint-Georges et acquit une grande réputation on Italie. Le comte Albéric délivra Rome, menacée par l'armée des partisans de Clément VII. Il ne resta pas fidèle à Urbain VI. (Voir Gigli, t. II, p. 205, et la lettre XXXIII.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très chers Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir, vous et toute votre compagnie [392], fidèles à notre sainte Mère l'Eglise et à sa Sainteté le Pape Urbain VI, le vrai et Souverain Pontife, combattant tous loyalement et fidèlement pour la vérité, afin que vous receviez la récompense de vos peines. Qu'est-ce qui nous donne et nous ôte cette récompense? Je vous le dirai. La lumière de la très sainte Foi, qui nous fait voir la grandeur et la bonté de Celui que nous servons, et nous fait connaître le fruit qui nous en récompense et en le connaissant nous l'aimons. Cette lumière qui nous donne cette connaissance, nourrit et augmente l'amour du but qu'on se propose et de Celui qu'on sert. Quel est le maître pour lequel vous êtes descendu sur le champ de bataille? C'est Jésus crucifié, l'éternelle et souveraine Bonté, dont personne ne peut comprendre la grandeur; lui seul peut la comprendre. C'est un Maître si fidèle, que, pour rendre l'homme capable de recevoir le fruit de ses peines, il a couru transporté d'amour à la mort honteuse de la très sainte Croix, et nous a donné au milieu des peines et des supplices les flots de son sang. O Frères et Fils bien-aimés, vous êtes des chevaliers venus sur le champ de bataille pour donner votre vie par amour de la Vie, pour répandre votre sang par amour du sang de Jésus crucifié. Voici le temps des nouveaux martyrs; vous êtes les premiers qui ayez donné votre sang quelle récompense recevrez-vous? La vie éternelle, qui est une récompense infinie. Que sont toutes vos fatigues, comparées à une si grande récompense? Elles ne sont rien. Aussi saint Paul dit que les souffrances de cette vie ne peuvent être comparées à la gloire future qui nous est préparée dans l'autre vie [393].

2. La récompense est donc bien grande, et on y gagne toujours, soit qu'on vive, soit qu'on meure. Si vous mourez, vous gagnez la vie éternelle, et vous serez place pour toujours dans une paix certaine si vous triomphez, vous aurez fait à Dieu le sacrifice volontaire de votre vie, et vous pourrez posséder vos biens en toute sûreté de conscience. Si à la lumière de la très sainte Foi, vous considérez cet honneur, vous serez plus fidèles à Jésus crucifié et à la sainte Eglise; car en servant l'Eglise et le Vicaire du Christ, vous le servez aussi. Je vous ai dit que le maître que vous servez est Jésus crucifié. Voulez-vous être forts de manière qu'un seul en vaudra beaucoup? Mettez devant les yeux de votre intelligence le sang du doux et bon Jésus, l'humble Agneau, et notre Foi, que vous voyez souillée par des hommes méchants qui s'aiment eux-mêmes et qui sont les membres du démon, puisqu'ils nient la vérité qu'ils nous avaient affirmée, puisqu'ils disent que le Pape Urbain VI n'est pas le vrai Pape. Ils ne disent pas la Vérité ils mentent, et leurs mensonges retombent sur leurs têtes. C'est bien véritablement le Pape à qui sont confiées les clefs du Sang. Courage donc, car vous combattez pour la vérité, et cette vérité est notre force. Ne craignez rien, car la Vérité délivre. Et afin de mieux appeler le secours de Dieu sur cette sainte entreprise, l'éternelle Vérité veut que vous la commenciez avec une bonne et sainte intention, vous appliquant à prendre pour hase et principe de vos actions l'honneur de Dieu, la défense de la Foi, de la sainte Eglise et du Vicaire de Jésus-Christ et cela avec une conscience pure, vous y préparant, [394] vous et les autres, autant que vous le pourrez, par une sainte confession. Vous savez que le péché appelle la colère de Dieu sur nous, et empêche les saintes et bonnes oeuvres.

3. En votre qualité de chefs, donnez - leur les premiers l'exemple d'une sainte et véritable crainte de Dieu: autrement la verge de la justice se lèverait sur nous. Si tous ceux que vous commandez n'ont pas le temps de se confesser, qu'ils le fassent intérieurement, aveu un saint désir. De cette manière vous serez fidèles, et vous montrerez vraiment par vos oeuvres que vous avez vu la lumière de la très sainte Foi, qui vous appelle à la servir, et que vous avez compris sa grandeur, sa bonté et la récompense qui doit suivre la peine.

4. Je disais encore: Qui nous empêche d'être fidèles, qui nous rend infidèles à Dieu et aux créatures? L'amour de nous-même; c'est un venin qui

empoisonne le monde entier, c'est un nuage qui obscurcit l'oeil de notre intelligence, et qui l'empêche de connaître et de discerner la vérité. L'homme alors ne voit plus que son plaisir et le cherche plutôt dans les créatures que dans le Créateur il ne pense qu'aux biens passagers de cette vie ténébreuse, et il poursuit les honneurs, les délices et les richesses du monde, qui disparaissent comme le vent, cet amour déréglé qui inspire toutes ses oeuvres, rend l'homme peu loyal et peu fidèle, à moins qu'il n'y trouve son avantage; et il y a un grand danger qu'il ne périsse et ne fasse périr les autres, parce qu'il ne cherche en toute occasion qu'à acquérir du bien. Son esprit ne peut diriger son corps a faire deux [395] choses à la fois, à piller et à combattre. Vous savez que beaucoup se sont ainsi perdus. La vérité veut que pour éviter ce malheur, vous le sachiez et vous en avertissiez ceux qui sont sous votre commandement.

5. Aussi je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié, de vous appliquer à vous entourer de bons et sages conseils, et de choisir pour officiers des hommes courageux, aussi fidèles et consciencieux que vous le pourrez; car ce sont les bons chefs qui font les bons soldats. Soyez toujours vigilants, pour qu'il n'y ait pas de trahison au dedans ni au dehors et comme il est bien difficile de s'en préserver, je veux que la première chose que vous fassiez, le matin et le soir, vous et les autres, soit de vous offrir à notre douce Mère Marie, la suppliant d'être votre avocate, votre défense, et de ne pas permettre, à cause du tendre Verbe qu'elle a porté dans son sein, qu'il vous arrive aucune trahison, ou que, s'il en arrive, vous y succombiez. Je suis certaine que si vous commencez à lui faire cette douce offrande, elle accueillera avec bonté votre demande; car elle est une Mère de grâce et de miséricorde pour nous, pauvres pécheurs. Mais si, comme nous l'avons dit nous avions un amour déréglé pour ce qui nous ôte la fidélité, nous nous priverions de tous les biens et nous nous rendrions dignes de tous les maux nous perdrions la vie éternelle qui doit récompenser nos peines. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fidèles à la sainte mère l'Eglise et au Christ de la terre, le Pape Urbain VI.

6. Courage, courage dans le Christ, le doux Jésus; ayez toujours présent ce sang répandu avec un si ardent [396] amour. Combattez avec l'étendard de la très sainte Croix, et songez que le sang des glorieux martyrs crie toujours en la présence de Dieu et appelle sur vous son secours. Pensez que cette terre est le jardin du Christ béni et le siège de notre Foi; tous doivent être animés pour elle d'un grand zèle. Nous rachèterons nos péchés si nous voulons servir généreusement Dieu et la sainte Eglise. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Soyez reconnaissants, vous et les vôtres, des bienfaits que vous avez reçus de Dieu, et du glorieux chevalier saint Georges, dont vous portez le nom: il vous défendra et sera votre garde jusqu'à la mort.

7. Pardonnez, si je vous importune de mes paroles; l'amour de la sainte Eglise et de votre salut me sert d'excuses, et ma conscience a été forcée par la douce volonté de Dieu. Nous ferons comme Moise: lorsque le peuple combattait, Moïse priait, et pendant qu'il priait, le peuple triomphait: nous ferons de même, pour que nos prières soient agréées de Dieu. Lisez s'il vous plaît cette lettre, vous et les autres chefs. Doux Jésus, Jésus amour [397].








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Lettre n. 48, AUX HUIT DE LA GUERRE

XLVIII (197). - AUX HUIT DE LA GUERRE, choisis par la commune de Florence, qui avaient engagé la sainte à aller trouver le Pape Grégoire XI.

Elle les exhorte à poursuivre avec constance et humilité de coeur leur sainte résolution de faire la paix avec le Pape.

(Sainte Catherine arriva à Avignon le 18 juin 1376, et cette lettre est du 28. Elle est adressée aux Huit de la guerre qui gouvernaient Florence depuis la rupture avec le Saint-Siège. Ces magistrats tirent échouer par leur mauvaise foi les négociations de sainte Catherine. Le but providentiel de son voyage fut le retour des Papes en Italie.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très chers Pères et Frères dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir véritablement les enfants humbles et soumis de votre Père, pour que vous ne vous démentiez jamais, mais que vous ayez un regret sincère de l'offense commise contre lui; car celui qui ne se repent pas de ses fautes n'est pas digne de recevoir miséricorde. Je vous invite donc à être humbles de coeur, à ne pas tourner la tête en arrière, mais à poursuivre ce que vous avez commencé, faisant tous les jours des efforts plus parfaits pour être reçus dans les bras de votre Père. Vous êtes des enfants morts; demandez-lui la vie, et j'espère de la bonté de Dieu que vous l'obtiendrez, pourvu que vous vouliez vous humilier et reconnaître vos fautes

2. Mais je me plains beaucoup de vous, s'il est vrai [398], comme on le dit, que vous ayez mis des impôts sur les clercs (Non seulement les Florentins imposèrent le clergé, mais ils firent vendre pour cent mille florins de biens ecclésiastiques.). Si cela est vrai, c'est un grand malheur, pour deux raisons: d'abord, parce que vous offensez Dieu, car vous ne pouvez le faire en conscience. Mais il semble que vous ayez perdu le sentiment de ce qui est bien, pour vous attacher uniquement aux choses sensibles et frivoles, qui passent comme le vent. Nous ne pensons pas que nous sommes mortels, et que nous devons mourir, nous ne savons pas quand; et c'est une grande folie de s'ôter ainsi la vie de la grâce et de se donner la mort. Je ne veux plus que vous agissiez ainsi; ce serait retourner en arrière, et vous savez que ce n'est pas celui qui commence qui mérite la couronne, mais celui qui persévère jusqu'à la fin, Je vous dis de même que vous n'arriverez pas à conclure la paix si vous ne persévérez pas dans votre humilité, et si vous ne cessez d'offenser les ministres et les prêtres de la sainte Eglise. Ensuite, non seulement vous aurez le malheur d'offenser Dieu, mais encore vous vous nuirez en arrêtant les négociations; car lorsque le Saint-Père saura votre conduite, il sera plus irrité contre vous. C'est ce qu'ont dit quelques cardinaux qui cherchent et désirent sincèrement la paix. En apprenant votre conduite, ils croient que vous ne voulez pas la paix; car, si vous la vouliez, vous éviteriez de faire la moindre chose contre la volonté du Saint-Père et les usages de la sainte Eglise. Je crois qu'ils pourront parler dans ce sens au doux Christ de la terre; et s'ils [399] le font, ils auront raison. Je vous en conjure, mes très chers Pères, ne mettez pas obstacle à la grâce de l'Esprit-Saint; vous ne la méritez pas, mais sa clémence est prête à vous la donner. Vous me couvrirez de honte et de confusion, si vous me faites dire une chose et si vous faites le contraire. Je vous prie qu'il n'en soit plus ainsi; que vos paroles et vos actions prouvent que vous voulez la paix, et non la guerre.

3. Je me suis entretenue avec le Saint-Père, et il m'a écoutée avec bienveillance. Par un effet de la bonté de Dieu et de la sienne, il a témoigné avoir un amour sincère de la paix, comme un bon père qui ne regarde pas l'offense que son fils lui a faite, mais seulement s'il s'est humilié, pour pouvoir lui faire entièrement miséricorde (Grégoire XI donna plein pouvoir à sainte Catherine de fixer les conditions de la paix. (Vie de sainte Catherine, p. III, ch.6. ). Je ne saurais vous exprimer la joie que j'aie ressentie lorsque, après avoir longtemps conféré avec lui, il a fini par me dire que, les choses étant telles que je les lui exposais, il était prêt à vous recevoir comme ses enfants, et à faire ce qui me paraîtrait le meilleur. Je ne vous en écris pas davantage. Il me semble que le Saint-Père ne pouvait pas vous donner une autre réponse avant l'arrivée de vos ambassadeurs, et je m'étonne qu'ils ne soient pas encore arrivés. Quand ils seront arrivés, je les verrai, et je verrai ensuite le Saint-Père, et je vous écrirai quelles sont ses dispositions; mais n'allez pas gâter la bonne semence avec vos impôts et vos nouvelles fautes. Ne le faites plus, par l'amour de Jésus crucifié et dans votre intérêt [400] Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Datée d'Avignon, le 28 juin 1376.








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Lettre n. 49, AUX SEIGNEURS DE FLORENCE

XLIX (198). - AUX SEIGNEURS DE FLORENCE .- De la paix que Jésus-Christ nous a laissée par testament. - Elle les exhorte à la concorde et à l'union avec la sainte Eglise et le Souverain Pontife.

(La Seigneurie de Florence se composait du gonfalonier de la justice et des prieurs des arts.)


AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très chers et très aimés Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, en me rappelant cette parole que notre Sauveur disait à ses disciples: " J'ai désiré d'un grand désir faire la pâque avec vous avant de mourir. " Notre Sauveur avait longtemps fait la pâque avec eux. De quelle pâque parle-t-il? De la dernière pâque qu'il fit en se donnant lui-même à eux. Il montre bien l'ardent amour qu'il a pour notre salut. Il ne dit pas: Je désire, mais il dit: J'ai désiré d'un grand désir; comme s'il disait: J'ai désiré depuis bien longtemps accomplir votre rédemption, me donner à vous en nourriture et me livrer à la mort pour vous rendre la vie. C'est là cette pâque qu'il désire, c'est là sa joie, son bonheur, sa fête, car il va [401] faire ce qu'il a tant désiré; et pour exprimer sa joie, il appelle ce moment la pâque.

2. Et puis il leur laisse la paix et l'union, le précepte de s'aimer les uns les autres; c'est là son testament, le signe qui fait reconnaître les enfants et les vrais disciples du Christ. C'est ce que ce Père véritable nous laisse par testament. Nous qui sommes ses enfants, nous ne devons pas renoncer à ce testament, car celui qui y renonce ne doit pas avoir l'héritage.

3. Je désire donc aussi d'un grand désir vous voir des enfants dociles et non rebelles à notre Père; ne renoncez pas au testament de la paix, et accomplissez cette paix en étant liés et unis dans les liens et l'amour d'une ardente charité. Si vous y êtes fidèles, il se donnera lui-même à vous en nourriture, et vous recevrez le fruit du sang du Fils de Dieu. C'est par son moyen que nous recevons l'héritage de la vie éternelle; car, avant que son sang fût répandu, la vie éternelle était fermée, et personne ne pouvait arriver à sa fin, qui est Dieu, pour lequel l'homme a été créé. Mais parce que l'homme n'est pas resté sous le joug de l'obéissance, et s'est révolté contre le commandement de Dieu, la mort est venue dans l'homme; et Dieu, animé par le feu de sa charité infinie, nous a donné le Verbe, son Fils unique, qui, pour obéir à son Père, nous a donné son sang avec tant d'amour. Que tous les coeurs ignorants et superbes devraient avoir honte de méconnaître cet ineffable bienfait! De son sang il nous a fait un bain pour laver nos infirmités, et de ses clous des clefs pour nous ouvrir les portes du ciel. Oui, mes enfants [402] et mes frères, je ne veux pas que vous soyez ingrats, et que vous méconnaissiez cet amour ineffable que Dieu vous montre; Car vous savez bien que l'ingratitude fait tarir la source de la piété. La pâque que mon âme désire faire avec vous, c'est que vous soyez les enfants paisibles et soumis de votre chef, et que vous lui obéissiez jusqu'à la mort.

4. Vous savez bien que le Christ nous a laissé son Vicaire, et qu'il nous l'a laissé pour le salut de nos âmes; car autrement nous ne pouvons avoir la santé, qui est dans le corps mystique de la sainte Eglise. Le Christ en est le chef, et nous les membres; et celui qui n'obéira pas au Christ de la terre, qui représente le Christ du ciel, ne participera pas au fruit du sang du Fils de Dieu; car Dieu a voulu que nous recevions par ses mains ce sang, et tous les sacrements de la sainte Eglise, qui nous donnent la vie par ce Sang. Nous ne pouvons avancer par une autre voie, ni entrer par une autre porte car la Vérité suprême a dit: Je suis la voie, la vérité, la vie. Celui qui va par cette voie suit la vérité et non le mensonge c'est la voie de la haine du péché, et non la voie de l'amour-propre, de cet amour qui est cause de tout mal. Cette voie nous donne l'amour des vertus, qui sont la vie de l'âme; car l'âme reçoit un tel amour du prochain, qu'il aimerait mieux mourir que de l'offenser, parce qu'elle voit qu'en offensant la créature elle offense le Créateur. C'est donc bien la voie de la vérité. C'est aussi la porte par laquelle il faut entrer lorsque nous avons parcouru la voie; car il est dit: " Personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi. [403] "

5. Vous voyez donc, mes enfants bien-aimés, que celui qui se révolte contre la sainte Eglise et contre notre Père tombe dans la mort comme un membre corrompu (Cette lettre fut sans doute écrite après le retour d'Avignon. Les Florentins ne voulurent pas observer l'interdit, et forçaient le clergé à le violer.): car ce que nous faisons au Christ de la terre, nous le faisons au Christ du ciel, c'est à lui que s'adressent nos hommages ou nos offenses. Vous le voyez bien, et croyez, mes Frères, que je vous le dis avec peine et gémissements, par votre désobéissance et vos persécutions, vous êtes tombés dans la haine de Dieu. Et il ne pouvait pas vous arriver un plus grand malheur que d'être privés de sa grâce: toute la puissance des hommes vous servira de peu sans la puissance de Dieu. Hélas! c'est on vain que se fatigue celui qui garde la cité, si Dieu ne la garde lui-même. En étant en guerre avec Dieu par l'injure que vous avez faite à son Vicaire, à notre Père, je dis que vous vous êtes affaiblis, puisque vous avez perdu son secours. Je sais que beaucoup ne croient pas avoir offensé Dieu, et qu'ils s'imaginent lui avoir été agréables en persécutant l'Eglise et ses pasteurs; ils se défendent en disant: Ils sont coupables, et font beaucoup de mal; et moi je vous dis ce que Dieu veut et vous ordonne: lors même que les Pasteurs de l'Eglise et le Christ de la terre seraient des démons incarnés, au lieu d'avoir la douceur et la bonté d'un père, il faudrait leur être soumis et obéissants, non pas à cause d'eux, mais à cause de l'obéissance que nous devons à Dieu, qu'ils représentent.

6. Vous savez qu'un fils n'a jamais raison contre [404] son père, lors même que celui-ci est mauvais et qu'il lui a fait injure; car l'existence qu'il a reçue de son père est un si grand bienfait, que rien ne pourra l'acquitter envers lui. Songez que l'existence et la grâce que nous tirons du corps mystique de la sainte Eglise sont des bienfaits si grands, qu'aucun hommage, aucun acte ne pourront jamais acquitter cette dette. Hélas! Héla! mes enfants, je vous le dis en pleurant et je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, réconciliez-vous, faites la paix avec lui; ne continuez pas la guerre, et n'attendez pas que la colère de Dieu éclate sur vous. Car je vous le dis: Dieu regarde cette injure comme faite à lui-même. Réfugiez-vous donc sous les ailes de l'amour et de la crainte de Dieu; humiliez-vous, et faites tous vos efforts pour retrouver la paix et l'union avec votre Père. Ouvrez, ouvrez les yeux de votre intelligence, et ne marchez pas dans cet aveuglement; car nous ne sommes pas des juifs et des sarrasins, mais nous sommes des chrétiens baptisés et rachetés par le sang du Christ. Nous ne devons nous révolter contre notre chef pour aucune injure reçue; nous ne devons pas combattre chrétiens contre chrétiens, mais nous devons combattre contre les infidèles qui nous font injure, car ils possèdent ce qui n'est pas à eux, mais à nous.

7. Ne dormez donc plus, pour l'amour de Dieu, dans une telle ignorance et une semblable obstination; levez-vous, et courez vous jeter dans les bras de notre Père, qui vous recevra avec bonté. Si vous le faites, vous aurez la paix et le repos spirituel et temporel, et avec vous toute la Toscane. La guerre sera [405] détournée sur les infidèles, et tous suivront l'étendard de la sainte Croix. Si vous n'arrivez pas à conclure la paix, vous et toute la Toscane vous aurez plus à souffrir que n'ont jamais souffert nos ancêtres. Ne pensez pas que Dieu dorme sur les injures qui sont faites à son Epouse: il veille; et ne croyez pas le contraire parce que nous voyons la prospérité s'accroître, car sous la prospérité se cache la verge de sa main puissante. Dieu est disposé à nous montrer sa miséricorde: ne soyez donc plus endurcis, mes Frères, mais humiliez-vous pendant que vous le pouvez encore, car l'âme qui s'humilie sera exaltée; le Christ l'a dit, et celui qui s'exalte sera humilié par la justice, les fléaux et les châtiments de Dieu. Marchez donc dans la paix et l'union, c'est cette pâque que je désire faire avec vous. Je ne vois pas d'autre lieu pour faire cette pâque que le corps mystique de la sainte Eglise; car c'est là qu'est le bain du sang du Fils de Dieu, où nous laverons les souillures de nos péchés; c'est là qu'on trouve la nourriture qui rassasie et nourrit l'âme, et le vêtement nuptial qu'il faut avoir si nous voulons entrer aux noces de la vie éternelle auxquelles nous invite l'Agneau immolé et abandonné pour nous sur la croix.

8. C'est le vêtement de la paix qui pacifie le coeur et cache la honte de notre nudité, c'est-à-dire de nos misères nombreuses, de nos défauts, des divisions que nous avons les uns les autres, et qui nous dépouillent du vêtement de la grâce. Puisque la douce bonté de Dieu nous rend ce vêtement, ne soyez pas négligents à aller le solliciter de notre chef, pour que la mort ne vous trouve pas nus; car nous devons mourir, et [406] nous ne savons pas quand. N'attendez pas le temps, car le temps ne vous attend pas. Ce serait une grande simplicité d'attendre et d'espérer ce dont je ne suis pas certaine et que je ne possède pas véritablement. Je termine. Pardonnez-moi ma hardiesse: vous devez l'attribuer à l'amour que j'ai pour le salut de votre âme et de votre corps, et à la douleur que me cause le dommage spirituel et temporel que vous recevez. Et croyez bien que j'aimerais mieux vous parler de vive voix que par lettres. Si par moi il peut se faire quelque chose pour l'honneur de Dieu et votre réconciliation avec la sainte Eglise, je suis prête à donner ma vie s'il le faut. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.









Catherine, Lettres 349