Catherine, Lettres 297

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Lettre n. 54, A NICOLAS SODERINI

LIV (218).- A NICOLAS SODERINI, à Florence.- De la vertu de patience, et de l'amour de Jésus-Christ, qui l'enseigne.

(Cette lettre fut écrite à l'occasion de l'émeute qui eut lice à Florence en 1378. Sainte Catherine courut un grand danger: la maison de Nicolas Soderini fut pillée et brûlée par la populace, qui voulut aussi détruire l'asile que le disciple de sainte Catherine lui faisait bâtir près de la porte Saint-Georges. (Voir Gigli, t. II, p. 199.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans la vraie et sainte patience: car sans la patience nous ne pouvons être agréables à Dieu, et nous ne pouvons être en état de grâce. La patience est la moelle de charité. Puisqu'elle est si nécessaire, il faut la trouver et où la trouverons-nous? le savez-vous, mon doux et cher Père? dans le même lieu, de la même manière que nous trouverons l'amour. Et où s'acquiert l'amour? nous le trouvons dans le sang que Jésus crucifié a répandu par amour sous le bois de la très sainte Croix. L'amour ineffable que nous voyons en lui nous inspire l'amour, car celui qui se voit aimé, ne peut s'empêcher d'aimer; et dès qu'il aime, il se revêt de la patience de Jésus crucifié; et avec cette douce et glorieuse vertu, il est calme au milieu des orages et des épreuves sans nombre [431].

2. C'est cette vertu qui se rappelle sans cesse la volonté de Dieu. Elle est forte, elle n'est jamais vaincue, mais toujours victorieuse, parce qu'elle possède la force et la longue persévérance, et elle reçoit la récompense de toutes ses fatigues. C'est une reine qui domine l'impatience et ne se laisse jamais surmonter par la colère. Elle ne se repent pas du bien qui est fait, quoiqu'il lui attire souvent des peines et des tribulations mais l'âme trouve de la joie et de la force à souffrir sans l'avoir mérité. Il n'y a que nos fautes qui doivent nous affliger, car il n'y a que nos fautes qui nous fassent perdre notre bien. Qu'est-ce que nous perdons? La grâce, qui est le sang du Christ, notre bien que ne peuvent nous enlever ni le démon ni la créature, si nous le voulons pas. Mais les autres choses, les richesses, les honneurs, la puissance, les plaisirs, la santé, la vie et le reste, ne sont pas véritablement à nous; elles nous sont seulement prêtées pour notre usage, comme il plaît à la divine Bonté, et elles peuvent nous être enlevées. Nous ne devons pas nous troubler dans l'impatience, mais les rendre sans peine; car il faut rendre et abandonner ce qui n'est pas à nous: nous voyons bien que personne ne les garde comme il le désire, il faut se séparer; elles nous laissent, ou nous les laissons en mourant.

3. Il est bien fou et bien insensé, celui qui leur accorde un amour coupable et déréglé. Il faut comme des hommes généreux, dépouiller notre coeur de toutes ces choses passagères, et de l'amour de nous-même pour nous attacher à la très sainte Croix., où nous trouverons l'amour ineffable en goûtant le sang [432] du Christ. où nous puiserons la patience de l'humble Agneau sans tache. Nous verrons que c'est avec ce même amour, avec lequel il a donné sa vie pour nous, qu'il nous donne et permet toutes nos fatigues, nos tribulations et nos consolations. Il me semble que l'ineffable bonté de Dieu vous a montré de nouveau son amour privilégié, puisqu'il vous a fait suivre la doctrine et la vie des saints, en vous rendant digne de souffrir pour la gloire et l'honneur de son nom, afin de vous récompenser au ciel, et non pas dans cette vie. Voici pour nous, très cher Père, le moment de faire quelque bien pour notre salut, et de contempler le sang du Christ pour nous animer au combat, afin de ne pas tourner la tête en arrière par impatience, et de ne pas défaillir sous la main puissante de Dieu. Souffrez donc avec patience, en méprisant la sensualité, le monde et toutes ses délices, dont vous connaissez le peu de durée et de stabilité. Nous imiterons ainsi saint Paul, qui disait: " Le monde me méprise, et je le méprise. "

4. Revêtons et embrassons la doctrine de Jésus crucifié; réjouissons-nous dans les tribulations, au lieu de les fuir, afin de ressembler à Celui qui a tant souffert pour nous. Nous montrerons ainsi notre patience car comment la montrer si ce n'est dans le temps des tribulations? Nous recevrons plus tard dans le ciel la récompense de toutes nos peines, mais non pas sans la patience. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans une vraie et sainte patience, afin que quand vous entrerez dans notre ville de Jérusalem, dans la vision de la paix, vous receviez ce que vous avez gagné pendant [433] votre pèlerinage. Prenez courage, et recevez avec douceur cette médecine que Dieu vous a donnée pour la vie de votre âme. Je veux, très cher Père, que vous considériez les grâces que Dieu vous a faites jusqu'à présent, et les bienfaits de sa douce providence, afin que votre âme augmente sa dévotion par sa reconnaissance envers Dieu. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fortifiez Mme Constance de la part de Jésus crucifié, et dites-lui d'examiner qui a le plus souffert: elle verra que Dieu ramène le calme par la tempête. Doux Jésus, Jésus amour.








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Lettre n. 55, AU COMTE, FILS DE DAME AGNOLA

LV (223). - AU COMTE, FILS DE DAME AGNOLA, et aux Compagnies de Florence. - Des trois ennemis de l'homme, et comment Jésus-Christ en a triomphé.



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.




1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de vrais chevaliers prêts à donner votre vie pour Jésus crucifié. Vous êtes placés sur le champ de bataille de cette vie ténébreuse, où nous sommes continuellement aux mains avec nos ennemis. Le monde nous persécute avec ses richesses, ses dignités, ses honneurs; il nous fait croire qu'ils sont solides et durables, tandis [434] qu'ils disparaissent et passent comme le vent. Le démon nous attaque par ses tentations, en nous faisant injurier et prendre souvent notre bien pour nous détourner de la charité du prochain; cardés que nous perdons son amour, nous perdons la vie. La chair nous tourmente par sa fragilité et ses mouvements pour nous ôter la pureté; car, en étant privés de la pureté, nous sommes privés de Dieu. Nos ennemis ne dorment jamais, ils sont toujours à nous persécuter et Dieu le permet pour nous donner toujours l'occasion de mériter, et pour nous tirer du sommeil de la négligence. Vous savez que l'homme qui se sent attaqué par ses ennemis a soin de prendre le moyen de se défendre contre eux, parce qu'il voit que, s'il dormait, il serait en danger de mort. Aussi Dieu nous les fait sentir pour que nous nous empressions de prendre les armes de la haine et de l'amour. La haine ferme au vice la porte du consentement, en leur résistant et en les détestant de toutes ses forces; et elle ouvre la porte aux vertus, en ouvrant les bras de l'amour pour les recevoir au fond de son âme avec une grande ardeur. Vous voyez qu'il est bon et très bon que nos ennemis ne prévalent pas contre nous. Nous ne devons et nous ne pouvons rien craindre, si nous voulons nous fortifier en disant: nous pouvons toutes choses par Jésus crucifié. Que doit craindre l'âme si elle met son espérance dans son Créateur?

2. Nous voyons que sur ce champ de bataille, notre capitaine est le Christ Jésus, et il a vaincu nos ennemis avec son sang. Les délices et les richesses du monde, il les a vaincues par l'abaissement et la [435] pauvreté volontaire en supportant la faim, la soif et la persécution; il a vaincu le démon et sa malice par sa sagesse en prenant l'hameçon et l'appât de notre humanité par l'union de la nature divine avec la nature humaine. Il a vaincu la chair par la sienne, qui a été flagellée, macérée, saturée d'opprobres sur le bois de la très sainte Croix, et ensuite élevée au-dessus de tous les choeurs des Anges, dans la résurrection du Fils de Dieu. Il n'y a personne assez corrompu de corps et d'esprit pour qu'en voyant notre humanité unie à la nature divine d'une manière si parfaite, il ne se purifie et ne préfère mourir plutôt que de souiller son corps. Nous avons donc trouvé le remède notre Chef, le Christ, a vaincu nos ennemis; il les a rendus faibles et les a enchaînés de telle manière, qu'ils ne peuvent nous vaincre, si nous ne le voulons pas. Ne craignons rien, et combattons généreusement en suivant l'étendard de la très sainte Croix; contemplons le sang de l'Agneau sans tache, et prenons le glaive de la haine et de l'amour pour en frapper nos ennemis. C'est là le combat que doit soutenir tout homme qui reçoit la vie; et dès qu'il arrive à l'âge de raison, il faut qu'il descende sur le champ de bataille. Oui, l'ineffable bonté de Dieu nous a choisis pour combattre comme des chevaliers contre les vices et les péchés, pour acquérir la richesse et le trésor des vertus. Je crois que maintenant vous êtes appelés à augmenter et à réaliser vos saints désirs, en ayant faim et soif du salut des infidèles.

3. Il me semble que Dieu veut que vous soyez les premiers à frapper, car voilà la croisade qui commence [436]. Le Saint-Père appelle les chevaliers et tous ceux qui voudront les suivre (Les chevaliers de Rhodes, dont l'île était menacée par les Turcs. Don Giovanni avec lequel le comte doit s'entendre, est sans doute don Juan Fernandez, chevalier de Rhodes, qui vint accompagner avec ses galères Grégoire XI, et qui fut nommé grand maître en 1377.). Je vous prie donc de vous entendre avec don Giovanni, et de discuter ce que les jeunes gens vous diront et vous feront connaître de vive voix, ainsi que Léonard. Vous ferez ce que le Saint-Esprit vous fera faire par les conseils de don Giovanni: il me semble que c'est par là que notre Sauveur veut commencer la grande entreprise. Pas de crainte, mes doux fils, revêtez la cuirasse du précieux sang, et mêlons notre sang au sang de l'Agneau. Oh! comme cette douce et belle armure saura résister à tous les coups! Vous frapperez avec le glaive de la haine et de l'amour, et vous déferez tous vos ennemis, et avec cette cuirasse vous leur échapperez. O mes très doux fils, considérez combien est agréable cette armure qui triomphe en souffrant, et frappe en étant frappée. Elle est pleine de traits qu'elle lance invisiblement; et quoique invisibles, ils paraissent, car leurs blessures produisent des fruits et des fleurs, les fleurs de l'honneur et de la gloire du nom de Dieu; et elles répandent un parfum qui détruit l'infidélité. Après la fleur vient le fruit; nous recevons la récompense de nos fatigues en cette vie par l'augmentation de la grâce, et en l'autre par l'éternelle vision de Dieu. Ne soyez pas négligents, mais pleins de zèle; pour un peu de peine ne perdez pas la récompense, car autrement [437] vous ne pourriez être de généreux chevaliers. Je vous ai dit que je désirais vous voir des chevaliers généreux sur le champ de bataille, et je vous conjure d'accomplir la volonté de Dieu et mon désir, en vous plongeant, en vous noyant et en vous enivrant du sang de Jésus crucifié, parce que c'est dans ce sang que le coeur se fortifie. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.





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Lettre n. 56, A MESSIRE JEAN

LVI (220).- A MESSIRE JEAN, condottière et chef des troupes qui vinrent au moment de la disette. - Elle le prie d'être le vrai chevalier du Christ combattant généreusement pour son honneur, et ne craignant pas de donner sa vie et son sang pour lui.

(Cette lettre est adressée au fameux chef anglais Jean Hawkwood, qui mourut le 16 mars 1394 et fut enterré à Florence, à Sainte-Marie-des-Fleurs, où il est peint à cheval, avec cette inscription JOANNES ACUTUS EQUES BRITANNICUS, DUX AETATIS SUAE CAUTISSIMUS ET REI MILITARIS PERITISSIMUS HABITUS EST. A la tête de ses routiers, ce capitaine désola et rançonna longtemps la Toscane, pendant la disette qui fut l'occasion de la guerre des Florentins avec le Saint-Siège. Cette lettre est sans doute de 1375.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très chers et bien-aimés Frères dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux [438] sang, avec le désir de vous voir les vrais fils et chevaliers du Christ, si bien que vous désiriez donner mille fois s'il le faut votre vie pour le service de ce doux et bon Jésus; ce qui rachèterait toutes les iniquités que nous avons commises contre notre Sauveur. O très chers et doux Frères dans le Christ Jésus, que vous feriez bien de rentrer un peu en vous-mêmes, et de considérer les peines et les tourments que vous avez endurés lorsque vous étiez au service et à la solde du démon. Mon âme désire que vous changiez maintenant, et que vous vous enrôliez sous la Croix de Jésus crucifié, vous et tous vos compagnons, pour former une compagnie du Christ et marcher contre les chiens infidèles qui possèdent le lieu saint ou la douce Vérité suprême a vécu et a souffert des tourments et la mort pour nous. Je vous en supplie donc au nom de Jésus-Christ, puisque Dieu et notre Saint-Père ordonnent de marcher contre les infidèles, et puisque vous aimez tant faire la guerre et combattre, ne combattez plus contre les chrétiens, car c'est offenser Dieu; mais marchez contre leurs ennemis. N'est-ce pas une grande cruauté que, nous qui sommes des chrétiens, des membres unis au corps de la sainte Église, nous nous attaquions les uns aux autres? Il ne faut plus faire ainsi, mais il faut partir avec un saint zèle, et n'avoir plus d'autres pensées.

2. Je suis bien étonnée que vous qui, d'après ce qu'on m'a dit, aviez promis d'aller mourir pour le Christ dans la sainte croisade, vous vouliez maintenant faire la guerre ici. Ce n'est pas là une bonne préparation à ce que Dieu demande de vous, en vous appelant [439] dans un lieu si saint et si vénérable. Il me semble que vous devriez maintenant vous y préparer par la pratique des vertus, jusqu'au moment ou vous et les autres vous pourrez aller donner votre vie pour le Christ. Vous montrerez ainsi que vous êtes un vrai et

généreux chevalier. Vous verrez mon père et mon fils, le frère Raymond, qui vous remettra cette lettre: croyez tout ce qu'il vous dira, car c'est un vrai et fidèle serviteur de Dieu, et il ne vous conseillera, ne vous dira jamais rien qui ne soit pour l'honneur de Dieu, pour le salut et la gloire de votre âme. Je termine en vous priant, mon très cher Frère, de vous rappeler la brièveté du temps. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. CATHERINE, la servante inutile.








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Lettre n. 57, A THOMAS D'ALVIANO

LVII (221).- A THOMAS D'ALVIANO.- Tous les fidèles sont obligés de servir fidèlement la sainte Église.

(Thomas d'Alviano était un chef de bandes qui se mettaient à la solde des princes au moyen-âge, combattant tantôt pour un parti, tantôt pour un autre. Thomas d'Alviano servait l'Église contre les Florentins en 1376, date de cette lettre.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave de Jésus Christ, dans son précieux sang, avec le désir de vous [440] voir le serviteur de la sainte Église, la colonne et le défenseur de cette douce Épouse du Christ. Car celui qui sera trouvé fidèle au moment de la mort ne verra pas les peines éternelles. Tout chrétien est obligé d'être fidèle à la sainte Église et de la servir, chacun selon son état. Dieu met ses travailleurs dans le glorieux jardin, et nous sommes ces travailleurs qui devons le servir de trois manières.

2. La première regarde tous les fidèles, qui doivent travailler par d'humbles et saintes prières, et par une véritable obéissance. Ils doivent être obéissants et respectueux envers la sainte Église, qui est le jardin ou les chrétiens se plaisent et trouvent la vie de la grâce, quand ils ne méprisent pas le précieux Sang par le péché, par la révolte et la désobéissance a la sainte Église, mais qu'ils y travaillent comme nous l'avons dit. La seconde manière regarde ceux qui sont appelés a travailler dans ce jardin comme ministres, en administrant les sacrements, en nourrissant et en conduisant nos âmes. Ceux-là doivent nous nourrir de doctrine et d'exemples, et lors même que leur conduite n'est pas un miroir de vertus, nous n'en tirons pas moins la vie des sacrements qu'ils nous donnent, si nous les recevons dignement. Les défauts et les mauvais exemples des pasteurs ne doivent pas détruire le respect que nous leur devons, puisque la vertu des sacrements n'est point affaiblie par leurs fautes; et nous devons les respecter à cause de la vertu des sacrements, car ils sont consacrés, et Dieu dans les Ecritures, les appelle ses christs. Il ne veut pas que la main des séculiers se lève contre eux, qu'ils soient bons ou [441] mauvais: c'est un péché abominable devant lui. Des hommes coupables deviennent des membres du démon, en voulant juger et punir leurs fautes, et en persécutant comme des aveugles notre sainte Mère l'Eglise. Dieu a prévu cette persécution, en appelant à son jardin la troisième sorte de travailleurs. Ce sont ceux qui assistent l'Eglise temporellement, mettant fidèlement à son service leurs biens et leurs personnes. C'est, il me semble, parmi ceux-là que Dieu vous appelle, pour que vous soyez dans ses nécessités un serviteur fidèle. Ce service est si agréable à Dieu, que nos paroles ne pourront jamais l'exprimer, surtout quand l'homme sert, non pas par plaisir et par intérêt, mais par zèle pour la sainte Eglise, pour son accroissement et son exaltation. Cela plaît tant à Dieu, que, quand même ceux qui la servent n'auraient pas toujours une droite et sainte intention, ils seront cependant récompensés de tout ce qu'il feront pour cette douce Epouse. Dieu sera pour ceux qui se fatiguent pour lui, et, " Si Dieu est pour eux, personne ne sera contre eux (Rm 8,38). "

3. Aussi, je vous invite, mon très cher Frère, à vous fatiguer, vous et ceux qui sont de votre compagnie, et à travailler avec une vraie et sainte intention pour la douce Epouse du Christ. C'est la plus douce et la plus utile fatigue qu'on puisse trouver dans le monde. Car vous triomphez même dans la défaite, et en perdant la vie corporelle vous gagneriez la vie éternelle. Le sang versé pour la sainte Eglise lave toutes les fautes et les [442] iniquités qu'on a commises. Si vous remportez la victoire, vous n'en aurez pas moins offert votre vie à Dieu, puisque vous êtes exposés à la mort; et si vous acquérez des biens temporels, vous les posséderez légitimement. Qui ne voudrait pas, très cher Frère, s'exposer à toutes sortes de peines et de tourments pour être le serviteur fidèle de cette Epouse? Il n'y a que celui qui est assez aveugle pour mépriser le sang du Christ et persécuter l'Eglise: celui-là d'un coup perd son âme, son corps, et dissipe ses biens temporels. Oh! quelle grâce Dieu vous a faite, à vous et à ceux qui servent l'Église, et ne la persécutent pas! Vous ne pourriez jamais assez la reconnaître, même en livrant votre corps aux flammes.

4. Je vous en conjure, remerciez Dieu par votre amour, en étant un modèle de vertus dans votre état; agissez toujours avec une bonne et sainte intention, soyez une ferme colonne, un serviteur fidèle, et que l'étendard de la très sainte Croix ne quitte jamais votre coeur et votre esprit. En n'étant pas vertueux, en ne purifiant pas votre conscience par la sainte Confession, vous ne serez pas un serviteur fidèle à Dieu et à l'Eglise, vous ne serez pas un bon travailleur dans son jardin c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir le serviteur fidèle de la sainte Église. Je vous en supplie et vous en conjure vous et les autres, agissez ainsi, et unissez toujours la vertu de la justice à la miséricorde, car autrement ce ne serait pas une vertu. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et faites avec une intention pure et un grand zèle ce que vous avez à faire; et moi je lèverai les mains et l'esprit au ciel, et je [443] prierai continuellement pour vous et pour les autres. Je demanderai qu'il ne vous arrrive aucun mal, et que vous obteniez la grâce de faire bonne paix; et après la paix nous irons tous à de beaux combats contre les infidèles (Le grand désir de sainte Catherine était de voir organiser une croisade qu'elle espérait accompagner pour vénérer les saints lieux.). Ce sera grande joie pour moi, car je suis bien affligée de voir que les chrétiens combattent les uns contre les autres, et que les fils se révoltent contre leur Père et persécutent le sang de Jésus crucifié. Je termine; demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.








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Lettre n. 58, A THOMAS D'ALVIANO

LVIII (222). - A THOMAS D'ALVIANO.- De la lumière de la saine foi. - Pour servir Dieu, il faut servir son prochain.

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le serviteur fidèle de notre Créateur: c'est en le servant que l'homme règne éternellement. Il n'aurait pas la vie, celui qui ne serait pas fidèle a la lumière de la très sainte Foi. Elle s'acquiert avec l'oeil de l'intelligence, quand l'âme considère l'ineffable charité de Dieu, qui nous [444] a donné l'être; et dans le Verbe, son Fils unique, nous trouvons le même amour, car nous voyons que son sang nous a fait renaître à la grâce, que l'homme avit perdue par sa faute. Oui, c'est par amour que Dieu nous a créés à son image et à sa ressemblance; c'est par amour qu'il nous a donné son Fils, afin de nous racheter en nous faisant renaître à la grâce dans son sang. Dieu a voulu, par le moyen de son Fils, nous montrer sa vérité et sa douce volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. La vérité est qu'il a vraiment créé l'homme pour qu'il jouisse de son éternelle vision, où l'âme participe à sa béatitude. Le péché commis par Adam empêchait cette vérité de s'accomplir dans l'homme. Et comme Dieu voulait l'accomplir, il s'est fait violence par amour et nous a donné ce qu'il avait de plus cher, son Fils unique; et il lui a donné l'ordre de racheter l'homme et de le rappeler de la mort à la vie. Dieu veut que le fils d'Adam renaisse dans le Sang, et personne ne peut avoir le fruit du Sang qu'avec la lumière de la foi.

2. Le Christ disait à Nicodème: "Personne ne peut entrer dans la vie éternelle, s'il ne renaît une seconde fois (Jn 3,3). " Notre-Seigneur voulait par là faire connaître que son Père lui avait donné de concevoir l'humanité par l'amour, et de l'enfanter par l'obéissance et par la haine du péché, sur le bois de la très sainte Croix. Il semble que le doux Verbe a fait comme l'aigle, qui regarde le disque même du soleil; il voit du haut du ciel la nourriture qu'il [445] veut prendre; et quand il l'a vue sur terre, il se précipite, la prend, s'élève de nouveau pour s'en nourrir: de même notre Aigle, le doux Jésus, regarde le soleil de la volonté immuable du Pèle; il voit d'en haut l'offense et la révolte de la créature sur la terre créée, qu'il aperçoit des hauteurs du Père, et il voit la nourriture qu'il doit prendre. Cette nourriture, c'est ce qui sur cette misérable terre s'est révolté contre Dieu par une coupable désobéissance: il veut alors par l'obéissance accomplir dans l'homme la volonté du Père, il veut lui rendre la grâce et le retirer de la servitude du démon, qui lui donne la mort éternelle, il veut le ramener au service de son Créateur. Lors donc qu'il a vu et pris cette nourriture que lui offre le Père, il voit qu'il ne peut s'en nourrir sur la terre, et ramener ainsi l'homme misérable à sa première obéissance, et il s'élève avec sa proie jusqu'à la hauteur de la très sainte Croix; et là il s'en nourrit avec un ardent désir, et il punit nos iniquités en souffrant dans son corps; il satisfait avec la volonté par la haine et l'horreur du péché, et avec la volonté de la vertu divine qui est en lui, il offre le sacrifice de son sang à son Père, et le Père accepte ce sacrifice.

3. Vous voyez qu'il s'est élevé par les peines, les opprobres, les injures, les mauvais traitements et les outrages; il a souffert de la soif, il s'est rassasié d'opprobres, si bien qu'il est mort du désir de notre salut; c'est ainsi que s'est nourri le doux et tendre Agneau. Il a dit: " Si je suis élevé en haut, j'attirerai tout à moi (Jn 12,32). En effet, par la régénération que [446] l'homme trouve dans le sang de Jésus crucifié, il est attiré à l'aimer, s'il suit la raison et s'il ne s'éloigne pas pour l'amour de la sensualité. Et dès que le coeur est attiré à aimer son bienfaiteur, tout vient avec lui, le coeur, l'âme, la volonté et toutes les opérations spirituelles. Car toutes les puissances de l'âme, qui est spirituelle, sont attirées par cet amour. La mémoire est attirée par la puissance du Père, et elle est obligée de retenir ses bienfaits, de se les rappeler avec amour et d'en être reconnaissante. L'intelligence s'élève avec la sagesse de l'Agneau sans tache, et regarde en lui le feu de sa charité, où elle voit la justice des jugements de Dieu. Elle voit que tout ce que Dieu permet, c'est par amour et non par haine, que ce soit la prospérité ou l'adversité, et elle accepte et reçoit tout par amour. Si la sagesse de Dieu, qui est le Fils, avait voulu autre chose, il ne nous aurait pas donné la vie.

4. Alors l'âme, éclairée de cette vraie lumière, ne se plaint d'aucune fatigue qu'elle supporte; et si la sensualité veut se plaindre, elle la calme avec la lumière de la raison: non seulement elle ne se plaint pas, mais elle reçoit la peine avec respect; elle est contente de souffrir pour expier ses fautes et pour s'unir aux souffrances de Jésus crucifié. Si elle a dans le monde des biens, des honneurs, de la puissance, elle ne les possède pas avec un amour déréglé, mais avec l'amour et le zèle de la sainte justice, parce que le regard de son intelligence est fixé sur la sagesse du Fils de Dieu, où elle voit abonder la justice au point que, pour ne pas laisser la faute impunie, il l'a expiée dans son humanité, qu'il avait revêtue pour [447] nous. La volonté se lève alors, et court à l'amour que l'oeil de l'intelligence a vu en Dieu, et elle acquiert et goûte ainsi la grâce et la Clémence du Saint-Esprit. Le coeur une fois rempli de l'amour et du désir de Dieu, s'élargit pour aimer le prochain avec une charité fraternelle, et non par amour-propre: car, s'il était dans l'amour-propre, il n'observerait la raison et la justice ni pour lui-même ni pour le prochain. Mais, parce que la grâce du Saint-Esprit l'a délivré de l'amour-propre par l'amour qu'il a pour Dieu, il est devenu un serviteur juste et fidèle de son Créateur; il élève ses affections, parce qu'il aime tout pour Dieu; et dans toutes les positions ou il se trouve, qu'il possède la puissance, les grandeurs, les richesses du monde, qu'il soit dans l'état de continence ou dans l'état de mariage, qu'il ait des enfants ou qu'il n'en ait pas, toujours il est agréable à Dieu, parce qu'il l'aime avec l'amour qui l'unit à lui; et ainsi se manifeste la Vérité suprême. L'homme a réglé les trois puissances de son âme; il les a élevées en haut par l'amour, et les a réunies au nom de Dieu: la mémoire s'applique à retenir les dons et les grâces de Dieu, à comprendre sa volonté dans la sagesse du Fils, et la volonté à aimer la douce clémence du Saint-Esprit: et Dieu alors se repose par la grâce dans son âme.

5. C'est ainsi que nous devons comprendre cette parole du Sauveur: - S'ils sont deux ou trois, ou plus, rassemblés en mon nom, je serai au milieu d'eux. Nous pouvons croire qu'il parlait de la réunion des trois puissances de l'âme aussi bien que de la réunion corporelle des serviteurs de Dieu; mais remarquez qu'il est dit deux ou trois, ou plus. Nous [448] voyons pourquoi trois; nous pouvons comprendre aussi le nombre deux par l'amour et le saint désir, car c'est l'amour qui réunit. Si l'homme n'aimait pas, il ne disposerait pas la mémoire à recevoir et à retenir; l'intelligence ne serait pas portée à voir et à comprendre, et la volonté ne nourrirait pas en elle l'amour divin. Dès que le trésor est réuni, la sainte crainte de Dieu le garde, et ne laisse pas entrer dans la cité de l'âme son ennemi, c'est-à-dire le péché mortel. Et quoique la loi sainte de Dieu ait été donnée à Moïse fondée sur la crainte, il faut reconnaître que son premier motif fut l'amour; car Dieu l'a donnée par amour, afin d'empêcher l'homme de faire le mal. Le doux et tendre Verbe vint ensuite avec la loi d'amour, non pour détruire la loi donnée, mais pour l'accomplir. Car la crainte ne donnant pas la vie, il unit à la loi de crainte la loi d'amour, dont la perfection rendit parfait ce qui était imparfait.

6. Il faut donc suivre l'une et l'autre, car leur union est si grande, que celui qui ne veut pas être séparé de Dieu ne peut avoir l'une sans avoir l'autre; elles sont unies quant à ce qui regarde les dix commandements, et elles donnent la vie de la grâce: celui qui voudrait les séparer ne pourrait pas avoir Dieu par la grâce au milieu de son âme. Il est dit: s'ils sont deux, et non pas, si quelqu'un; car un seul ne peut faire plus d'un, et aussi on ne peut arriver à trois sans être deux. Mais il faut que l'âme en réunisse d'abord deux, c'est-à-dire l'amour et la crainte de Dieu; puis peu à peu se réunissent les trois puissances de l'âme, qui ne sont autre qu'une seule âme où la perfection de la charité opère de si grandes [449] merveilles, qu'elle en vaut deux, trois et plusieurs. Et pourquoi est-il dit: ou deux, ou trois, ou plusieurs réunis en mon nom? Cela s'entend des saintes et bonnes oeuvres de la créature raisonnable: car, bien que tout ce qu'elle fait semble appartenir au monde, comme d'avoir un haut rang, de la puissance, une femme et des enfants, toutes ces choses, qui sont de la terre, peuvent être élevées à Dieu, lorsque l'âme a pris pour principe de régler et de réunir toutes ses puissances au nom de Dieu. Alors elle connaît bien la vérité, c'est-à-dire que Dieu ne lui a donné en cette vie aucune chose qui puisse, si elle le veut, être un obstacle à son salut, et qui ne soit au contraire un moyen de pratiquer la vertu et de lui donner une plus grande connaissance de sa misère et de la Bonté divine.

7. L'homme dès lors ne se plaint pas, et ne peut se plaindre ni du Créateur ni de la créature, mais seulement de lui-même, qui se révolte contre son Créateur, avec la corruption du péché mortel. Il ne peut se plaindre de Dieu, car Dieu l'a fait si fort, que ni les démons, ni les créatures ne peuvent le séparer de Dieu; et même souvent, s'il ne veut pas suivre la sensualité et la colère, les injures que lui font les hommes du monde lui font posséder Dieu plus parfaitement, et lui font connaître, par la vertu de la sainte patience, s'il aime ou non son Créateur; et la grâce remplira de plus en plus le vase de son âme. Il ne peut pas se plaindre si, par le moyen de la créature, il reçoit des mouvements impurs, et s'il est porté à des choses déshonnêtes. Je dis qu'il ne peut pas se plaindre, encore que ces mouvements puissent [450] venir de sa propre fragilité ou de la tentation de quelque créature, comme nous l'avons dit, car rien ne peut le forcer, s'il veut faire résistance avec la raison et respirer le parfum de la pureté.

8. Mais, quand il se sent attaqué par ce vice ou par d'autres, qu'il recoure à l'amour et à la sainte crainte de Dieu, qu'avec l'oeil de l'intelligence il regarde dans sa mémoire, où se conservent les bienfaits de Dieu, qu'il l'aime avec le coeur et lui rende grâce et louange; et cette sainte reconnaissance éteindra le feu de la colère, de l'impureté, de l'injustice et de tout autre vice, mais surtout de l'injustice. Car si l'homme qui possède les honneurs et la puissance ne les possède pas vertueusement, il tombe dans beaucoup d'excès. S'il ne les possède pas, le regard fixé sur Dieu, il les possédera avec un amour-propre déréglé: et cet amour empoisonne l'âme et lui ôte la lumière, tellement qu'elle ne voit plus et ne connaît plus que les choses passagères et sensuelles, jugeant la volonté de Dieu, la sienne et celle des hommes toujours en mal et jamais en bien. Elle la prive de la vie de la grâce et lui donne la mort, et toutes ses oeuvres ne tendent qu'à la mort du péché. Car il rend la justice selon le bon plaisir des hommes et non selon la raison, par la crainte servile qu'il a de perdre sa position. Oh! combien est dangereux cet amour coupable! C'est la loi du démon qui fut donnée dans le principe à Eve, et Adam la suivit et l'observa comme une loi diabolique d'amour et de crainte. Mais la douce Vérité suprême a renversé cette loi perverse, tellement que l'homme n'est jamais forcé de la suivre pour rien au monde. Il peut bien [451] par son libre arbitre la suivre lui-même s'il le veut, mais aucune force ne peut le contraindre à le faire plus qu'il ne veut.

9. La créature raisonnable doit donc bien rougir d'avoir un tel Rédempteur, qui lui a donné la force, qui l'a tirée de la servitude du péché, et de ne pas le suivre avec un amour parfait, de tout son coeur, de toute son âme, avec la lumière de la Foi vive que voit et que goûte l'oeil de l'intelligence, avec l'amour qui enfante les oeuvres de vie et non de mort; car la Foi est vivante, et " sans les oeuvres la Foi est morte (Jc 2,20). " Nous ne pourrons autrement être les serviteurs de Jésus crucifié. Son service fait régner l'homme dans la vie éternelle: car il se rend maître de lui-même, et dès que l'homme est maître de lui, il est maître du monde entier et ne s'inquiète de rien, ne craint rien, si ce n'est Dieu, qu'il sert et qu'il aime. Beaucoup possèdent des villes et des châteaux, et ne se possèdent pas eux-mêmes par l'amour de la vertu; ils se trouvent pauvres et privés de tout à la fois, du monde et de Dieu, dans la vie ou dans la mort. Parce que j'ai compris que sans le moyen de la lumière de la Foi vous ne pouviez arriver à cette perfection, je vous ai dit que je désirais vous voir le serviteur fidèle de notre Créateur: et je vous en conjure, très cher Frère, faites-le, servez-le généreusement.

10. Il est vrai que vous ne pouvez lui être utile et le servir, car il n'a pas besoin de nous; mais il nous a donné un moyen: il regarde fait à lui-même ce que [452] nous faisons à notre prochain, si nous le servons pour la gloire et l'honneur de son nom. Entre tous les services, celui qui est le plus agréable, c'est de servir sa douce Epouse; et c'est à ce service que vous semblez appelé. Servez-la donc généreusement; tous les services spirituels ou temporels que vous lui rendrez lui seront agréables, dès que vous le ferez avec une droite et bonne intention. Si vous le faites, Dieu vous en sera reconnaissant et cous récompensera de vos peines, en cette vie par la grâce, et dans l'autre par l'éternelle vision de Dieu; vous verrez dans une clarté parfaite et sans obscurité, l'amour et la vérité du Père; ce que nous voyons ici-bas imparfaitement, nous le verrons là-haut dans sa perfection. Je termine en priant la bonté de Dieu de vous donner la lumière parfaite pour le servir parfaitement. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [453].






Catherine, Lettres 297