Catherine, Lettres 158

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Lettre n. 94, AU PRETRE JEAN

XCIV (48). - AU PRETRE JEAN, de Pise. - Le sang de Jésus-Christ embrase l'âme du feu de la vraie charité.

(Cette lettre est adressée à Jean Pucci, chapelain de l'Eglise de Pise, et disciple de sainte Catherine. Il contribua beaucoup à la fondation de la chartreuse de Pise, et il établit la confrérie des Sacrés-Stigmates par dévotion pour saint François, et sans doute en souvenir de sa mère spirituelle, qui avait reçu à Pise cette insigne faveur. Sa vie sainte lui fit donner, après sa mort le titre de bienheureux.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné, noyé dans le sang de Jésus crucifié, et caché dans la plaie de son côté. Dans le sang vous trouverez le feu, car il l'a répandu par amour; et dans le côté, vous trouverez l'amour du coeur, car tout ce que le Christ a fait pour nous a été fait avec l'amour du coeur. Alors votre âme s'enflammera du feu d'un saint désir, et ce désir est un effet de l'amour, qui ne vieillit jamais et rajeunit toujours au contraire, l'âme qui en est revêtue; il la renouvelle [627] dans la vertu, la fortifie, l'illumine et l'unit avec son Créateur; car dans Jésus crucifié elle trouve le Père, et elle participe à sa puissance. Elle trouve la sagesse du Fils unique de Dieu, qui éclaire son intelligence; elle goûte et voit la bonté de l'Esprit-Saint, en trouvant le tendre amour que le Christ nous a montré dans le bienfait de sa Passion, lorsqu'il nous fit de son sang, un bain pour laver nos iniquités, et de son côté une demeure, un refuge ou l'âme se repose et goûte les douceurs de l'Homme-Dieu. Je veux que nous fassions toujours ainsi, mon très cher Père. Que l'oeil de notre intelligence ne se ferme jamais, et qu'il voie toujours, qu'il contemple combien Dieu nous aime, comme il nous le prouve par le moyen de son Fils; que la volonté aime toujours, et qu'elle ne cesse jamais; que l'amour envers le Créateur ne se ralentisse ni par le plaisir, ni par la peine, ni par aucune chose qui aura été dite ou faite; et lors même que toutes les autres oeuvres ou les exercices corporels cesseraient, l'amour ne devrait jamais s'éteindre. Je ne vous en. dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [628 ] .






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Lettre n. 95, A MESSIRE MARIANO

XCV (49). - A MESSIRE MARIANO, prêtre de la Miséricorde à Montichiello. - De la puissance de la Croix et de la charité.

(Frère Mariano était attaché au service de l'hospice de la Miséricorde, qui possédait des biens à Montichiello, bourg fortifié à vingt-quatre milles de Sienne.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un généreux chevalier, combattant avec courage sur le champ de bataille, sans reculer jamais pour éviter les coups qui pourraient venir, car vous seriez un chevalier sans gloire. Mais, pour résister, prenez avec courage les armes de la très sainte Croix. Ces armes préservent de tous les coups et de toutes les tentations du démon visible ou invisible: le souvenir du Sang vous donnera la victoire. O mon très cher Fils, combien seront heureuses votre âme et la mienne lorsque vous serez au milieu de ce champ de bataille et de cette tempête, armé des armes de la charité, que vous acquerrez dans la mémoire de la Croix! Vous prendrez le glaive avec lequel vous pourrez vous défendre des ennemis qui vous assiègent, le glaive de la crainte et de l'amour, quand vous vous verrez attaqué par les mauvaises pensées et par les créatures dont les exemples vous porteront au péché. Alors vous vous rappellerez le [629] prix du Sang qui vous a si doucement racheté, et vous les combattrez avec la sainte crainte de Dieu, en voyant combien lui est odieux le péché qui a causé sa mort, et combien lui est agréable la vertu. Vous triompherez ainsi de tous vos ennemis. Souvenez-vous de ce saint Père qui s'éprouva lui-même par le feu, en disant: O mon âme! pense que ce n'est pas là le feu éternel; éprouve ce feu, et si tu peux le soutenir, commets le péché.

2. Reprenez-vous ainsi vous-même, et considérez que l'oeil de Dieu est toujours sur vous, qu'il n'y a pas de secrets pour lui, qu'il récompense le bien et punit le mal, et que personne ne peut échapper à ce jugement. Agissez avec zèle, souvenez-vous que vous devez mourir, vous ne savez pas quand. Le bien qu'il récompense, c'est l'amour. Si vous aimez, vous voudrez tout souffrir pour lui, et le mal vous inspirera une crainte qui vous fera résister aux mauvaises pensées. Ainsi armé, les coups des tentations ne vous feront aucun mal et en vous servant du glaive avec persévérance, vous resterez vainqueur et vous déferez tous vos ennemis. Vous pourrez ensuite dire, quand viendra le moment de la mort, cette douce parole de saint Paul: J'ai couru et j'ai fourni ma course, en vous restant toujours fidèle; maintenant, Seigneur, je vous demande la couronne de justice (2Tm 4,7). Il est donc bon de persévérer. Placez-vous dans le côté du Fils de Dieu, et baignez vous dans l'abondance de son sang; faites avec humilité ce que vous avez a faire, parce que le démon ne se chasse pas avec le démon, mais [630] avec la vertu de patience et avec l'humilité. Soyez un bon économe pour les pauvres qui ont besoin, et que vos rapports avec le monde soient toujours accompagnés de la crainte de Dieu. Si vous pouvez défendre le bien des pauvres avec humilité, faites-le, car vous ne savez pas combien de temps vous serez en charge; faites de votre côté tout ce que vous pourrez faire. Ayez bon courage, et demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








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Lettre n. 96, AU PRÊTRE ANDRE DE VITRONI

XCVI (50). AU PRÊTRE ANDRE DE VITRONI.- De la dignité du prêtre, et comment il doit se dépouiller de l'amour-propre, qui nous prive de la vraie lumière.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Frère et Père, par respect pour le doux Sacrement, dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir éclairé de la vraie et parfaite lumière, afin que vous connaissiez la dignité à laquelle Dieu vous a élevé: parce que sans la lumière vous ne pourrez la connaître; ne la connaissant pas, vous ne rendrez pas honneur et gloire à la souveraine Bonté qui vous l'a donnée, et vous n'alimenterez pas la source de la piété par la reconnaissance, mais vous la dessécherez dans votre âme par beaucoup d'ignorance et d'ingratitude car la chose qui ne se voit [631] pas, nous ne la connaissons pas; ne la connaissant pas, nous ne l'aimons pas; ne l'aimant pas, nous ne pouvons être heureux et reconnaissants envers notre Créateur. Nous avons donc besoin de la lumière. O très cher Frère! elle est si nécessaire, que, si l'âme comprenait combien elle en a besoin, elle aimerait mieux mourir que d'aimer et chercher quelque chance qui pourrait lui ravir cette douce et bonne lumière.

2. Vous me demanderez peut-être ce qui pourrait la ravir, afin de l'éviter; je vous répondrai, selon ma faible intelligence, que c'est le seul nuage de l'amour-propre sensuel qui nous ôte cette lumière. Cet amour est un arbre de mort dont la racine est dans l'orgueil. De l'orgueil nait l'amour-propre, et de l'amour-propre l'orgueil. Car aussitôt que l'homme s'aime de cet amour, il se confie en lui-même, et ses fruits engendrent tous la mort, en privant l'âme de la vie de la grâce qu'elle possède. Il se nourrit de ce qui plaît à sa volonté, c'est-à-dire qu'il tombe volontairement dans le péché mortel que produit l'amour-propre. Oh! quel péril! Savez-vous combien il est grand? Il prive l'homme de cette connaissance de lui-même qui lui donnerait la vertu de l'humilité, et c'est dans cette humilité que germe l'amour de l'âme qui est conforme à la charité; il ôte aussi cette connaissance de Dieu qui développe le doux feu de la divine charité, parce qu'il lui ôte la lumière de son principe, qui lui donne la connaissance. L'âme ainsi se trouve dépouillée de la charité, car elle tombe dans l'aveuglement et devient alors semblable à l'animal; tandis qu'avec la connaissance qu'elle pourrait acquérir par la lumière de la raison, l'homme devient un ange terrestre en cette vie.

3. Ce sont surtout les ministres que la souveraine Bonté a choisis pour ses christs qui devraient être des anges, et non des hommes; et ils le sont véritablement, s'ils ne se privent pas de la lumière: ils ont réellement les fonctions des anges. Les anges servent chaque homme selon la manière que Dieu leur a prescrite; ce sont des gardiens que nous a donnés sa bonté. Il en est de même des prêtres placés dans le corps mystique de la sainte Eglise pour nous distribuer le sang et le corps de Jésus crucifié, Dieu et homme tout ensemble par l'union de la nature divine à la nature humaine. L'âme est unie au corps, et le corps et l'âme sont unis à la nature divine du Père éternel, qui donne l'être. C'est ce trésor qui est distribué par ceux qui ont la vraie lumière avec le doux feu de la charité, avec la faim de l'honneur de Dieu, et du salut des âmes que Dieu leur a confiées pour que le loup infernal ne les dévore pas. Ceux-là goûtent les fruits des vertus qui donnent la vie de la grâce, et qui sont produits par l'arbre du vrai et parfait amour. Ils font le contraire, ceux qui plantent l'arbre de l'amour-propre dans leurs âmes. Toute leur vie est corrompue, parce que la racine principale des affections de leur âme est corrompue. S'ils sont séculiers, ils se rendent coupables dans leur état, en commettant de nombreuses injustices et en ne vivant pas comme des hommes, mais comme des animaux sans raison qui se roulent dans la boue. Oui, ceux-là ne sont pas dignes d'être appelés des hommes, puisqu'ils ont perdu la dignité que donne la lumière de la raison [633] et qu'ils ressemblent aux animaux, en se plongeant dans la fange de l'impureté et en s'abandonnant à toutes sortes de vices, selon l'impulsion de leurs appétits grossiers.

4. S'ils sont religieux ou clercs, la vie qu'ils suivent n'est pas celle des anges ou des hommes, mais celle des bêtes, et ils s'aviliront souvent plus que ne le feraient des séculiers. Oh! quel ruine et quel châtiment ils méritent! La langue est incapable de le dire, mais la pauvre âme l'éprouvera bien quand viendra le moment. Ils ont pris l'office des démons, qui font tous leurs efforts pour priver les âmes de Dieu et les conduire à ce repos dont ils jouissent eux-mêmes. Ainsi font ceux qui n'ont pas une bonne et sainte vie, parce qu'ils ont perdu la lumière et s'abandonnent à de grands vices, comme vous pouvez le voir, vous et ceux qui les connaissent. Ils sont bien cruels pour eux-mêmes, puisqu'ils se rendent les compagnons des démons, avec lesquels ils habitent avant le temps. Ils ont la même cruauté envers les créatures, parce qu'ils sont privés de la charité du prochain; au lieu de garder les âmes, ils les dévorent et les livrent eux-mêmes au loup infernal. O homme misérable! Quand le souverain Juge t'en demandera compte, tu ne pourras le satisfaire, et alors tu tomberas dans la mort éternelle: Mais tu ne vois pas maintenant ton malheur, parce que tu os privé de la lumière, et tu méconnais la dignité à laquelle Dieu t'a élevé dans sa bonté.

5. Hélas! mon cher Frère? il a été choisi comme un ange, pour qu'il soit ainsi digne d'administrer le corps de. l'humble Agneau sans tache, et c'est vraiment [634] un démon incarné; il ne mène pas la vie d'un religieux et ne suit jamais les lois de la raison; il ne vit pas comme un clerc, qui doit vivre humblement avec son bréviaire pour épouse, remplissant son devoir envers les pauvres, donnant ses prières à toutes les créatures raisonnables, ses biens à ceux qui sont dans le besoin, ou les consacrant au service de l'Église; lui, au contraire, veut vivre comme un grand seigneur, dans les honneurs et les plaisirs, avec un grand luxe, des festins somptueux, et un orgueil que lui donne la haute idée qu'il a de lui-même. Il semble que rien ne puisse le satisfaire; quand il a un bénéfice, il en veut deux; quand il en a deux, il en cherche trois, et il ne s'arrête ainsi jamais. Au lieu de suivre les Offices, il fréquente les mauvaises compagnies et s'arme comme un soldat; il porte l'épée au côté, comme s'il voulait se défendre contre Dieu, avec lequel il est en guerre. Mais qu'il sera dur à ce malheureux de résister, lorsqu'il sentira la verge de la justice divine! Il nourrit des enfants qui sont des démons incarnés comme lui. Tout cela vient de l'amour-propre, qui est un arbre de mort; ses fruits sont empoisonnés par le péché mortel, qui donne la mort à l'âme parce qu'il ôte la grâce en la privant de la lumière. Nous avons vu que c'est le nuage de l'amour-propre qui nous la dérobe; il faut le fuir, puisqu'il est si nuisible, et faire bonne garde pour l'empêcher d'entrer dans notre âme, et pour prendre le moyen de l'en chasser, s'il y est entré.

6. Le remède est de nous renfermer dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, en reconnaissant notre néant et la bonté de Dieu à notre égard, puisqu'il [635] nous a donné l'être et les grâces qui y sont ajoutées, et qu'il veut bien supporter nos défauts. Nous acquérons ainsi la haine et le dégoût de la sensualité; et par la haine nous mettrons en fuite l'amour-propre; nous nous trouverons revêtus de la robe nuptiale de la divine charité, qui parera l'âme pour aller aux noces de la vie éternelle.

7. A la porte de la cellule il faut mettre pour garde le chien de la conscience, qui aboie aussitôt qu'il voit venir l'ennemi, c'est-à-dire les pensées qui troublent le coeur. Non seulement il aboie contre l'ennemi, mais encore il aboiera quand viendront les amis, c'est-à-dire les saintes pensées de quelques bonnes oeuvres; il éveillera la raison avec la lumière de l'intelligence, pour qu'elle examine si ces pensées viennent de Dieu ou non. De cette manière, la cité de notre âme sera en sûreté et si bien fortifiée, que ni le démon ni les créatures ne pourront la surprendre. L'âme croît toujours de vertus en vertus, jusqu'à ce qu'elle arrive à la vie éternelle. Sa beauté se conserve et s'augmente avec la lumière de la raison, parce qu'elle est dégagée du nuage de l'amour-propre; sans cela, elle eût perdu sa beauté. Ce sont ces pensées qui m'ont fait dire que je désirais vous voir éclairé de la vraie et parfaite lumière. Je veux que nous sortions du sommeil de la négligence, en nous exerçant à la vertu avec la lumière, pour vivre dans cette vie comme les anges de la terre, nous baignant dans le sang de Jésus crucifié et nous cachant dans ses très douces plaies. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. J'ai reçu votre lettre, et j'ai compris ce que vous [636] dites. Vous savez bien que de moi-même je ne puis voir et dire que des choses qui montrent ma profonde misère, mon ignorance et mon peu d'intelligence; le reste vient de la souveraine, de l'éternelle Vérité; c'est à elle qu'il faut l'attribuer, non pas à moi. Je me recommande affectueusement à vos prières. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 97, AU PRIEUR DE CERVAIA

XCVII (51). -, près Gênes. - La vue de la Croix nous donne l'amour de Dieu, la haine de nous-mêmes, et la force dans les tribulations.

(Le couvent de Cervaia, près de Gênes, était occupé par les Bénédictins noirs. Grégoire XI, en retournant à Rome s'y arrêta le 1er novembre 1376, et accorda une indulgence plénière l'église pour le jour anniversaire de son passage. Sainte Catherine visita sans doute ce couvent pendant son séjour à Gênes.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et bien-aimé Père par respect pour l'ineffable sacrement, et mon Fils par le saint désir, qui a enfanté votre âme dans la sainte prière comme une mère enfante son fils, moi, la misérable Catherine, la pauvre servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris, je vous encourage et je me recommande à vous dans son précieux sang, avec le désir de vous voir le coeur et l'affection consumés dans son ardent amour. Son amour a [637]

consumé, brûlé et détruit toutes nos iniquités sur le bois de la très sainte et vénérable Croix, et ce doux feu ne s'éteint jamais. Car si son amour pour nous finissait, nous finirions aussi, puisque ce qui nous donne l'être finirait. C'est le seul feu de l'amour qui l'a porté à nous tirer de lui-même. Il semble aussi que l'ineffable charité de Dieu a pourvu a la fragilité et a la misère de l'homme; car, comme il était toujours prêt et incliné à offenser son Créateur, Dieu, pour le sauver, lui a procuré un remède contre son infirmité.

2. Le remède contre nos infirmités n'est autre que le feu de l'amour, et cet amour ne s'éteint jamais pour nous. L'âme le reçoit comme remède quand elle regarde en elle-même l'étendard de la Croix, qui y est planté; car nous avons été la pierre dans laquelle fut fixée la Croix, dont le bois et les clous n'étaient pas capables de retenir le doux Agneau sans tache, si l'amour ne l'eût pas retenu. Quand l'âme regarde ce doux et cher remède, elle ne doit pas tomber dans la négligence; mais elle doit se lever avec amour et désir, et tendre les mains avec la haine d'elle-même, comme fait le malade, qui hait son infirmité, et qui aime le remède que lui donne le médecin.

3. O mon Fils et mon Père dans le Christ! Levons-nous avec le feu d'un ardent amour, avec la haine et l'humilité profonde que nous donnera la connaissance de notre néant, ét mettons nos infirmités devant notre médecin, le Christ Jésus. Etendez la main pour recevoir la médecine amère qui nous est donnée. Oui, la médecine que l'homme reçoit est bien souvent amère. Ce sont les ténèbres, les tentations, le [638] trouble de l'esprit ou d'autres tribulations qui viennent du dehors; elles nous paraissent d'abord bien amères mais si nous faisons comme le sage malade, elles seront ensuite pour nous d'une grande douceur, en considérant la tendresse du doux Jésus, qui nous les donne, et en voyant qu'il ne le fait pas par haine mais par amour, car il ne peut vouloir que notre sanctification. En voyant sa bonté, nous y verrons aussi le besoin que nous en avons; car, si nous n avions pas ces épreuves, nous tomberions dans le mal, tandis qu'elles nous font connaître à nous-mêmes; elles nous retirent au sommeil de la négligence, elles dissipent notre ignorance, qui nous fait pécher par orgueil.

4. La justice naît ainsi en nous avec une sainte et douce patience pour supporter les peines, les tourments, et pour nous trouver indignes de la paix et du repos de l'esprit; c'est ce que fait l'âme qui aime Dieu et qui a conçu une haine parfaite d'elle-même. Lorsqu'elle a ouvert l'oeil de son intelligence, et lorsqu'elle regarde en elle l'ineffable bonté et charité de Dieu, toutes les peines lui paraissent si douces, si agréables, qu'il lui semble que rien ne pourrait lui plaire davantage, et elle pense toujours au moyen de souffrir quelque chose par amour et par haine. C'est ce chemin que mon âme veut et désire vous voir suivre. Que Dieu vous conduise et vous accorde la grâce de travailler et de donner votre vie pour lui s'il le faut! Que la barque de notre âme soit fournie du sang et du feu de la divine charité, que nous chercherons à acquérir par le moyen que je vous ai indiqué. Je termine. Ayez l'oeil ouvert sur ceux qui [639] vous obéissent, et ne le fermez jamais pour aucune cause. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 98, AUX RELIGIEUX DE CERVAIA

XCVIII (52). - AUX RELIGIEUX DE CERVAIA, aux frères Jean de Bindo, Nicolas de Guida, et à ses autre fils dans le Christ, les religieux de Monte-Oliveto, près de Sienne. - Pourquoi notre Seigneur a voulu que son côté fut ouvert après sa mort.- Des trois sortes de baptême qui nous sont donnés par Jésus-Christ. - De la conduite de l'âme dans les tentations.

(Cette lettre se trouve trois fois répétée sous des titres divers dans les éditions anciennes. Sainte Catherine, qui avait plusieurs secrétaires, adressa la même à des religieux différents.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mes très chers et bien-aimés Frères dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris pour vous fortifier dans son précieux sang. Ce sang a été répandu avec un si grand feu d'amour, qu'il devrait attirer à lui tous les coeurs, toutes les affections des créatures. Ce n'est pas étonnant si la mémoire du sang est dans les coeurs des serviteurs de Dieu, car il est mêlé avec le feu. Je me rappelle ce que la Vérité première répondait une fois à une de ses servantes (Dialogue, ch. LXXV ) [640]. Elle lui disait: " Puisque vous étiez mort, pourquoi vouloir que votre côté fût ouvert et répandit du sang en si grande abondance? ", Notre-Seigneur lui répondit: " J'ai eu bien des raisons; mais je ne te dirai que les deux principales. La première, c'est que j'ai voulu que par l'ouverture de mon côté vous fût révélé le secret de mon coeur; car il renfermait plus d'amour pour l'homme que le corps ne pouvait en montrer pendant sa vie. La seconde a été le baptême qui, par les mérites de ce sang, était donné au genre humain. "

2. Vous savez qu'il sortit du sang et de l'eau; l'eau était pour le saint baptême que reçoivent les chrétiens, et qui donne la vie et la forme de la grâce. l'éternelle Bonté, par les mérites du sang de l'Agneau, a pourvu aussi aux besoins de notre ignorance et de notre misère. Et pour ceux qui ne peuvent recevoir le baptême de l'eau, il y a le baptême du sang et du feu, parce que leur sang répandu pour Dieu devient un baptême, comme il l'a été pour les saints Innocents. Cette efficacité vient du sang du Fils de Dieu; le sang des martyrs n'a de valeur que par son sang. Mais nous, pauvres misérables chrétiens, qui avons reçu la grâce, pourquoi notre coeur si froid et si plein d'amour-propre ne s'applique-t-il pas à contempler ce feu d'ineffable amour et cette Providence infinie. Par le péché nous avions perdu la grâce et la pureté reçue dans le saint baptême, dont l'excellence est si grande qu'on ne peut le recevoir qu'une fois; et Dieu a établi un baptême de sang et de feu que nous pouvons recevoir sans cesse [641].

3. Courage donc, mes Frères, et ne nous laissons abattre ni par le péché commis, ni par aucune illusion, aucune tentation du démon. La route a beau être rude et fangeuse, le Christ, notre médecin, nous a donné un remède pour toutes nos infirmités, un baptême de sang et de feu, dans lequel l'âme purifie et lave tous ses péchés, consume et détruit toutes les tentations et les illusions du démon, parce que le feu est mêlé avec le sang. Il est bien vrai qu'il brûle de l'amour du Saint-Esprit, qui est un feu. Car c'est l'amour qui frappa le Fils de Dieu, lui fit verser son sang, et l'unit avec le feu; cette union est si parfaite, que nous ne pouvons avoir le feu sans le sang, et le sang sans le feu. Et parce que l'homme, tant qu'il vit dans la prison corruptible de son corps, éprouve une loi perverse, qui l'invite et le sollicite toujours au péché, la douce bonté de Dieu lui a donné un remède continuel, qui fortifie sa raison et sa liberté. Ce remède continuel est le feu du Saint-Esprit, qui ne s'éteint jamais, et répand toujours sa grâce et ses bienfaits, tellement que chaque jour nous pouvons nous appliquer ce doux baptême, qui nous est donné par grâce et non par mérite.

4. Ainsi donc, quand l'âme regarde et voit en elle ce trésor et ce feu de l'Esprit-Saint, elle s'enivre tellement de l'amour de son Créateur, qu'elle se renonce entièrement, qu'elle vit morte à elle-même, et qu'elle n 'a aucun attachement, aucun désir pour la créature. Sa mémoire est pleine de l'amour de son Créateur, son intelligence ne voit et ne considère aucune chose créée en dehors de Dieu; mais elle voit et considère seulement son néant et la bonté de Dieu à son égard [643]; elle voit que cette Bonté infinie ne veut autre chose que son bien, et alors son amour devient parfait envers Dieu. Elle n'a pas d'autre pensée, d'autre affection, et elle ne peut retenir l'élan de son désir; mais elle court sans fardeau et sans. lien, car elle s'est délivrée de tous les obstacles qui pouvaient l'arrêter. Ceux qui agissent ainsi sont liés au joug du Christ, et ils s'aiment pour Dieu; ils aiment Dieu pour Dieu et le prochain pour Dieu.

5. Vous êtes appelés à cette perfection, mes très chers Frères; vous avez été appelés par le Saint-Esprit, de la vie du monde à la vie religieuse; vous êtes liés par les liens de la vraie et sainte obéissance, et vous pouvez vous nourrir de rayons de miel dans le jardin de la sainte Église. Je vous conjure donc, puisqu'ils sont si doux, de ne jamais tourner la tête en arrière pour aucune fatigue et aucune tentation du démon. Que la tristesse ne trouble jamais votre âme; car le démon ne désire pas autre chose. Souvent il vous suscite des ennuis, des combats; il vous fait mal juger les ordres qui vous ont été donnés. Il n'agit point ainsi pour que nous tombions du premier coup, mais seulement pour que notre âme se laisse aller à une tristesse déréglée, qui trouble l'esprit. Lorsqu'elle en est arrivée là, et qu'elle est ennuyée d'elle-même, elle néglige et abandonne les exercices spirituels qu'elle faisait; il lui semble que ses oeuvres ne sont plus agréables à Dieu, et qu'elle les fait avec tant de ténèbres et de froideur, qu'elle est privée de l'ardeur de la charité, et qu'il vaut mieux s'arrêter que continuer. Alors le démon se réjouit, parce qu'il voit qu'il peut [643] la conduire par cette voie au désespoir, et qu'il ne pourrait la vaincre par un autre moyen.

6. Il ne faut pas agir ainsi; car si tous les péchés imaginables étaient réunis dans un homme, et s'il concevait une espérance ferme et une foi vive dans la miséricorde infinie, rien ne pourrait l'empêcher de participer au sang du Fils de Dieu, et de recevoir le fruit de ce sang que le doux Jésus a répandu pour accomplir la volonté de son Père et notre salut. Et parce qu'il n'avait pas d'autre volonté que celle d'accomplir la volonté de son Père, les peines, les affronts, les mépris et la mort lui devenaient d'une extrême douceur, comme il le montra quand vint la Pâque et le moment de souffrir. Aussi, pendant la Cène, disait-il à ses disciples: " J'ai désiré avec un grand désir célébrer cette Pâque. " C'était la Pâque qui amenait le temps si désiré, où il pourrait sacrifier à son Père son corps pour nous sur le bois de la très sainte Croix. Je veux que vous fassiez de même; car c'est ainsi que fait l'âme qui aime bien Dieu. Elle ne refuse aucune peine, qu'elle vienne du démon ou de l'obéissance; mais elle se réjouit autant qu'elle souffre, et sa joie augmente à mesure qu'elle est plus liée à son supérieur par l'obéissance, parce qu'elle voit que plus la volonté est ainsi liée, plus elle est libre et unie à Jésus-Christ.

7. Si vous me dites: Comment faire lorsque je suis dans les ténèbres, et que mon esprit aveuglé ne peut apercevoir aucune lumière où je puisse attacher mon espérance? voici ma réponse, mes Frères et mes Enfants: Vous savez bien que le péché est seulement dans la volonté coupable et mauvaise. Ainsi, quand l'âme voit que sa volonté aimerait mieux mourir que [644] d'offenser actuellement son Créateur, elle doit cesser de se troubler, et suivre la lumière que Dieu a cachée en elle, pour conserver la bonne volonté. C'est sur cette table qu'elle doit se nourrir en s'appliquant à toutes sortes de bonnes oeuvres. Elle peut répondre au démon qui veut la troubler: Si la grâce divine n'était pas en moi, je n'aurais pas cette bonne volonté, et j'écouterais ta malice et mes mauvaises pensée. Mais je me confie en notre Seigneur Jésus-Christ, qui me conservera jusqu'au dernier moment de ma vie.

8.Je veux donc, mes Frères, que vous ouvriez l'oeil de la raison, pour vous connaître vous-mêmes; car l'âme s'humilie dans cette connaissance de nous-mêmes. Elle reçoit cette connaissance au milieu des ténèbres et des attaques du démon, et elle grandit en zèle et en amour de Dieu, parce qu'elle voit que sans lui elle ne peut se défendre, et elle trouve Dieu en elle par une sainte et bonne volonté. Nous voyons donc comment nous trouvons Dieu au moment des ténèbres, et comment dans les choses amères l'âme ne trouve que douceur par un tendre et parfait amour. Cet amour l'âme le conçoit, et le trouve continuellement dans le baptême du sang et du feu du Saint-Esprit, qui doit être pour nous le principe, la règle, le moyen et la fin, où l'âme ne sera plus errante et exilée dans cette vie; mais elle sera fixée pour toujours dans la vision éternelle de Dieu, où elle recevra le fruit de toutes ses peines. Oui, mes Fils bien-aimés, courons sans craindre et sans fuir aucune fatigue; mais suivons notre chef le Christ Jésus. Je ne vous en dis pas davantage. Volez avec les ailes d'une humilité profonde et d'une ardente [645] charité. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 99, AU VENERABLE RELIGIEUX DOM GUILLAUME

XCIX (53). - AU VENERABLE RELIGIEUX DOM GUILLAUME, prieur général de l'ordre des Chartreux .- Le sang de Jésus-Christ donne à l'âme la charité, la patience, et les vertus nécessaires pour commander.

(Cette lettre est adressée à Guillaume Rainaud, vingt-cinquième prieur général des Chartreux, qui gouverna l'Ordre pendant trente-cinq ans, et mourut en 1402. Il avait refusé la pourpre romaine que lui offrait Urbain V, et avait empêché le Pape d'accorder aux Chartreux l'usage des aliments gras, en cas de maladie grave. Il se prononça pour l'antipape Clément VII en 1379. Il fut excommunié et remplacé, sous Boniface IX, par un visiteur général. L'Ordre se divisa alors en deux partis, et l'union n'y fut rétablie qu'en 1410, par les soins du bienheureux Étienne Maconi, disciple de sainte Catherine.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et noyé dans le sang du Fils de Dieu. Je vois que, quand la mémoire se remplit du sang de Jésus crucifié, aussitôt l'intelligence se met à regarder dans la mémoire, où elle trouve ce sang; elle voit le feu de la divine charité, l'amour ineffable mêlé et pétri avec le Sang, parce [646] qu'il a été répandu et donné pour nous par amour. La volonté suit l'intelligence; elle aime et elle désire ce que l'intelligence a vu, et son amour s'unit aussitôt à l'amour de Jésus crucifié, qui se trouve dans le Sang. Alors l'âme se noie dans le Sang, c'est-à-dire qu'elle noie et tue toute sa volonté mauvaise et sensuelle, qui se révolte souvent contre son Créateur; elle se dépouille de tout amour-propre et se revêt de l'éternelle volonté de Dieu, qu'elle trouve et goûte dans le Sang, parce que le Sang lui montre que Dieu ne veut autre chose que sa sanctification. S'il avait voulu autre chose, il ne nous aurait pas donné le Verbe, son Fils unique. Elle voit tout ce que Dieu permet dans la vie de l'homme, il ne le permet pas pour une autre fin. Tout ce qui a l'être vient de Dieu, et rien de ce qui arrive, les tribulations, les tentations, les injures, les violences qu'elle souffre, ne peuvent la troubler; mais elle s'en réjouit et les reçoit avec respect, en pensant qu'elles viennent de Dieu et qu'elles nous sont données pour notre bien, par amour et non par haine.

2. Elle ne peut et ne doit pas se plaindre, car elle se plaindrait de son propre bien, et ce n'est pas l'habitude d'une âme revêtue de la douce volonté de Dieu de se plaindre de ce qui arrive, si ce n'est de l'offense de Dieu; elle en gémit, et doit en gémir, parce qu'elle voit que cette offense est contre sa volonté. Le péché est digne de haine parce qu'il ne vient pas de Dieu Tout ce qui a l'être, au contraire, vient de Dieu; l'âme passionnée pour le Christ l'aime et le respecte. Cette âme ne se voit pas pour elle-même, mais elle se voit pour Dieu; elle voit Dieu pour Dieu, parce qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté digne d'être aimée [647]; et elle voit le prochain pour Dieu, et non pour son propre intérêt. Elle ne choisit ni le moment ni la position qui lui plaisent, ni la peine, ni la consolation; mais elle reçoit tout avec amour de la Bonté divine; elle se trouve heureuse en toute chose, parce que celui qui aime ne peut trouver de peine qui l'afflige. Il se réjouit dans les combats et au milieu des persécution du monde. S'il obéit, c'est avec joie et patience qu'il porte le joug de l'obéissance; s'il commande, il supporte avec douceur les défauts de ceux qui lui sont soumis, ainsi que les persécutions de l'ingratitude dont ils se rendent coupables envers lui; il est prêt à mourir pour arracher les épines des vices, comme un bon jardinier, et pour faire naître des vertus dans leurs âmes, en se servant de la justice, toujours unie a la miséricorde. Il ne fait pas attention à sa peine, il ne craint pas la fatigue, mais il la supporte avec une grande joie. Il ne veut pas perdre le temps qu'il a pour celui qu'il n'a pas. Souvent il lui vient des pensées qui l'attaquent intérieurement; il se dit: si tu n'avais pas ce tourment et cette fatigue de ta charge, tu pourrais mieux posséder Dieu dans la paix et le repos. C'est le démon qui lui présente ainsi le moment de la paix pour le tenir dans une guerre continuelle. Celui qui ne soumet pas sa volonté dans la position que Dieu lui a donnée, est toujours dans la peine et se rend insupportable à lui-même. Il perd doublement son temps, parce qu'il n'emploie pas bien le temps de sa charge et le temps du repos qui ne lui est pas accordé; il néglige ainsi le présent et l'avenir.

3. Il ne faut donc pas écouter la malice du démon [648], mais il faut utiliser avec ardeur les circonstances où nous nous trouvons, comme fait l'âme revêtue de la volonté de Dieu, parce qu'elle sait avancer en tout temps, aussi bien dans le temps de la peine que dans celui de la consolation; car elle est dépouillée de l'amour-propre, de toute affection et de toute passion sensuelle, d'où procèdent tout mal et toute peine. A voir ce qu'on ne veut pas est une source de peine; mais quand on est revêtu de l'éternelle volonté de Dieu et non de la sienne, on fait une même chose avec lui, et on juge tout par amour, selon son éternelle volonté, parce qu'on voit et on comprend que Dieu ne veut pas autre chose que notre sanctification. Il nous a créés a son image et ressemblance, pour que nous soyons sanctifiés en lui et que nous jouissions de son éternelle vision, après l'avoir vu et connu avec l'oeil de l'intelligence, dans le sang de Jésus crucifié, qui a été le moyen de nous manifester la vérité du Père. O Sang glorieux, qui donne la vie et rend visible l'Invisible vous nous avez manifesté la miséricorde divine en lavant le péché de la désobéissance par l'obéissance du Verbe, d'où est sorti le Sang.

4. Ainsi donc, pour l'amour du Christ, baignez-vous dans ce sang; demeurez dans les veilles et la prière, mon très cher Père, et attachez sans cesse sur ce sang l'oeil de votre intelligence. Vous serez alors éveillé par la faim et le zèle de l'honneur de Dieu et du salut des âmes qui vous sont confiées. Vous serez toujours dans la prière, c'est-à-dire dans un saint désir et cela vous est nécessaire pour faire votre salut dans l'état où vous êtes. Puisque Dieu vous a donné l'autorité, vous ne devez pas être négligent, timide, ignorant [649], et marcher les yeux fermés; mais je vous prie d'être plein de zèle et d'ardeur, en imitant l'Agneau immolé et consumé pour vous, quand l'amour et la faim qu'il avait pour l'honneur de son Père et pour notre salut le firent courir à la mort honteuse de la Croix. Le modèle que Dieu vous présente est le Verbe, son Fils unique, dont le sang doit dissiper toute crainte, toute négligence et tout aveuglement d'esprit. Si vous dites: Je suis ignorant, je ne me connais pas bien, et je connais encore moins ce que je dois faire pour ceux qui m'obéissent, je vous répondrai que, si vous avez faim de l'honneur de Dieu, Dieu opérera en vous ce que vous n'avez pas par vous-même et ce qui sera nécessaire au salut de vos inférieurs. Ayez donc faim et désir.

5. Je ne crois pas que vous puissiez avoir cette faim sans le moyen du Sang. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de Jésus crucifié, parce que dans ce sang se perd l'amour de la vie propre, cet amour coupable que l'homme a pour lui-même, cet amour qui empêche d'être juste par crainte de perdre sa position, ou par faiblesse et désir de plaire plutôt aux hommes qu'à Dieu. Cet amour ne laisse pas agir les supérieurs selon la volonté de Dieu et selon la conscience, mais il leur fait suivre le bon plaisir et l'opinion des hommes, ce qui est la ruine de l'Ordre. C'est, par exemple, en ne reprenant pas les fautes et en nommant aux charges des personnes sans vertu et sans prudence, que le mauvais supérieur corrompt ses inférieurs, tandis qu'un bon supérieur rend meilleurs ceux qui lui sont confiés. Tout cela vient de l'amour-propre [650]. C'est dans le sang du Christ que se perd cet amour et que s'acquiert un amour ineffable, en voyant que le Fils de Dieu a donné sa vie par amour pour ramener le genre humain, son fils adoptif. A la vue de tant d'amour, l'amour attire l'amour; le coeur veut aimer ce que Dieu aime, et détester ce qu'il déteste. Et parce qu'elle voit que Dieu aime infiniment la créature raisonnable, l'âme conçoit un amour si grand du salut des âmes, qu'il lui semble impossible de le satisfaire; elle hait les vices et les péchés parce qu'ils ne sont pas en Dieu, et elle aime les vertus dans les autres pour l'honneur de Dieu. Ainsi le supérieur cesse d'être négligent et devient plein de zèle; il perd l'amour de son corps, et veut s'exposer à mille morts, s'il en est besoin; il n'est plus aveugle et il retrouve la lumière, parce que le nuage de l'amour-propre se dissipe, et qu'il voit le soleil de l'amour divin et de l'ardente charité qui consume en lui toute ignorance. Tout cela est le fruit du Sang.

6. O précieux et glorieux sang de l'humble Agneau sans tache! qui sera assez aveugle et insensible pour ne pas prendre le vase de son coeur, et pour ne pas aller avec amour au côté de Jésus crucifié, d'où ce sang coule en abondance? Là nous trouvons Dieu, c'est-à-dire la nature divine unie à la nature humaine; nous trouvons le feu de l'amour qui, par l'ouverture du côté, nous a manifesté le secret du coeur, en nous montrant que toutes les peines de sa Passion étaient insuffisantes à nous prouver la grandeur de son amour, et que son désir et sa volonté les surpassaient encore, parce qu'il n'y avait aucune [651] comparaison possible entre ses peines finies et son amour infini. Ne tardons pas davantage, mon très cher Père, mais soyez plein de zèle dans ce temps que Dieu vous a réservé, et surtout maintenant que va se tenir le Chapitre, où les défauts sont mieux connus. Appliquez-vous à les punir pour qu'un membre corrompu ne gâte pas les membres sains; faites toujours justice avec miséricorde; ne vous troublez pas légèrement, mais cherchez et faites chercher la vérité par des personnes éclairées et d'une bonne conscience; ce que vous avez à faire, faites-le avec le conseil de Dieu, en recourant à la prière, et avec le conseil des hommes, qui vient aussi de Dieu par l'intermédiaire de ses bons et chers serviteurs. Tâchez d'avoir toujours près de vous les religieux exemplaires de l'Ordre; et par-dessus toute chose, je vous en prie, appliquez-vous à nommer de bons prieurs, des personnes vertueuses et capables de conduire les autres. Il y en a beaucoup qui sont bons dans leur intérieur, mais qui ne sont pas bons pour gouverner. Les Ordres se perdent ainsi; ils fleurissent par les moyens contraires. Quand vous trouvez de bons supérieurs, conservez-les et ne soyez pas timides, pour l'amour de Jésus crucifié. Je suis persuadée que si vous vous baignez avec amour dans son sang, si vous y noyez toute volonté propre ou la consumant dans l'éternelle volonté de Dieu que vous trouverez dans ce sang, vous ferez cela et tout ce qui sera nécessaire pour vous et pour les autres. Je ne vous en dis pas davantage. Pardonnez à mon ignorance. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine, Lettres 158