Catherine, Lettres 343

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Lettre n. 244, A RENAUD DE CAPOUE

CCXLIV (236). - A RENAUD DE CAPOUE, esprit distingué de Naples, qui étudie les mystères de Dieu et de la sainte écriture.- De la lumière de la foi. nécessaire pour ne pas se tromper.- De ses effets dans l'âme.

(Ce Renaud de Capoue était peut-être parent du bienheureux Raymond.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir, en vous la vraie et parfaite lumière, c'est-à-dire la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière, nous marcherions dans les ténèbres, et il nous arriverait malheur. Il faut donc avoir la lumière. Voyons ce qui la donne, ce qui l'ôte, ce qui fait que l'âme a en elle cette lumière, et le fruit qu'elle en retire.

2. Si nous considérons bien comment se perd la vue du corps, nous voyons qu'elle se perd par le glaive qui frappe l'oeil ou par la pierre, la terre ou l'objet qui le blesse, ou encore par une chaleur déréglée, comme il arrive à ceux qui sont aveugles par la chaleur et l'éclat d'un bassin qui dessèche la prunelle (À Constantinople, et au moyen âge, on forçait ceux qui étaient condamnés à perdre la vue, à fixer leur regard sur un bassin de bronze rougi au feu. L'éclat et la chaleur leur paralysait les yeux sans les défigurer. L'empereur Manuel fit subir ce supplice à Henri Dandolo, ambassadeur de Venise à Constantinople.). On perd ainsi la lumière corporelle, il en [1302] est de même de la vue de l'intelligence qu'aveuglent la chaleur et l'éclat, la chaleur de l'amour-propre et l'éclat de la vaine gloire. Quel glaive la blesse? la haine de la vertu. Et les pierres sont les vices, dont la main du libre arbitre aveugle l'intelligence en rendant l'homme infidèle à Dieu, et fidèle au monde. La même main jette la terre dans l'oeil; car aussitôt que l'intelligence s'attache à la terre, la nuit arrive, et l'âme est toujours dans les ténèbres. II y a bien des causes qui nous privent de la lumière, mais celles-ci sont les principales.

3. Quel est le moyen de fuir les ténèbres, et d'acquérir la lumière. Je dis que l'homme peut retrouver la lumière de la même manière qu'il l'a perdue, non par le même sentiment, mais par le même acte et avec la même main du libre arbitre, de ce libre arbitre que ni le démon ni les créatures ne peuvent enchaîner, si nous ne le voulons pas, en l'enchaînant par notre volonté propre. Et quel est ce bassin brûlant que nous devons placer devant les yeux de notre intelligence? C'est Jésus-Christ, qui, dans le bassin de notre humanité, entretient une grande chaleur, et nous montre le feu et l'abîme de l'ineffable charité de Dieu, avec l'éclat de la nature divine unie et mêlée au feu et à notre nature. Cet objet, ce doux Verbe, Jésus crucifié, jette tant de chaleur et de lumière qu'il dessèche l'humidité de l'amour-propre, dissipe les ténèbres par sa lumière, et l'âme reçoit une lumière surnaturelle répandue dans l'intelligence[1303].

4. Aussitôt que la lumière est dans l'âme, elle commence à éloigner d'elle ce qui ôte la lumière, et elle prend ce qui la donne; puis elle saisit le glaive de la haine du vice et les pierres de l'amour de la vertu pour en frapper sa vue, c'est-à-dire qu'elle fixe ses regards sur les vertus, et qu'elle voit leur excellence, combien elle sont agréables à Dieu, et combien elles lui sont utiles à elle-même. Et aussitôt qu'elle le voit, s'élèvent comme un vent léger la faim de l'honneur de Dieu et du salut des âmes et le désir de suivre la doctrine de la vérité. Ce désir est un vent léger qui enlève la terre de l'oeil, et le purifie par d'humbles et continuelles prières; et par ces prières, l'âme attire sur elle la clémence du Saint-Esprit, qui dirige son affection dans un amour bien réglé. Cette affection attire le ciel et la terre, c'est-à-dire le prochain, qu'il faut regarder avec les yeux de la Foi pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes, et qu'il faut assister dans ses nécessités corporelles autant qu'on le peut. C'est ainsi que le libre arbitre, en changeant d'affection, retrouve sa lumière.

5. Il y a beaucoup d'autres moyens, mais ce sont là les principaux... Voyons maintenant ce que fait la lumière de la Foi dans l'âme. Elle y fait naître l'amour; elle l'a conçu dans la doctrine de Jésus crucifié, et elle le nourrit dans la charité du prochain. Sans cette charité, son amour périrait, parce que l'amour du Créateur ne peut exister et se conserver sans l'amour de la créature pour Dieu. Aussi je vous ai dit que la lumière enfante l'amour, car on n'aime une chose qu'autant qu'on la connaît; et on la connaît autant qu'on la voit, et on la voit aussi parfaitement [1304] que la lumière est parfaite. L'amour et la lumière se nourrissent ensemble comme la mère nourrit son enfant sur son sein, et l'enfant, lorsqu'il a grandi, nourrit sa mère par son travail; ils se soutiennent mutuellement. De même le fils de la divine charité nourrit la lumière, et donne à l'âme de doux, de tendres et ardents désirs en la présence de Dieu. Elle suit les traces de Jésus crucifié, elle s'entoure d'une humilité véritable, se glorifie des opprobres de Jésus crucifié; et dans toutes ses peines, elle se réjouit de souffrir corporellement et spirituellement elle est toujours patiente, quelles que soient les épreuves que Dieu lui envoie. Et qui la fait agir ainsi? la Foi. Car c'est à sa lumière qu'elle connaît dans le sang du Christ que Dieu ne veut, pas autre chose que notre sanctification, et qu'il ne nous donne les tribulations, les consolations, les tentations que dans le but de nous voir sanctifiés en lui. Ainsi le fidèle est patient; il ne peut et ne doit pas se plaindre de son bien.

6. Cet humble fidèle ne cherche pas à pénétrer les secrets mystères de Dieu, en lui ou dans les autres, et à comprendre les choses visibles et invisibles; mais il cherche seulement à se connaître lui-même, à comprendre, à voir en tout l'éternelle volonté de Dieu, goûtant intérieurement l'ardeur de sa charité. Il ne veut pas s'élever comme le superbe ou le présomptueux, qui, avant de se connaître et de vouloir entrer dans la vallée de l'humilité, prétend examiner la conduite de Dieu, disant et pensant: Pourquoi Dieu agit-il ainsi? Pourquoi ne pas plutôt agir de telle manière? Pourquoi m'a-t-il donné ce qu'il ne donne pas à un autre? Ce présomptueux voudrait [1305] faire des lois à Dieu, tandis qu'il devrait connaître et admirer dans tout ce qu'il voit sa grandeur et sa bonté, comme le fait l'humble fidèle, qui sait voir en toute chose Sa grandeur, sa puissance et sa bonté infinies.

7. Il y en a beaucoup qui, sans humilité et sans application à connaître leurs défauts, subtiliseront et voudront, avec l'oeil obscurci de leur intelligence, comprendre la sainte Ecriture et pénétrer sa profondeur; ils voudront l'expliquer et la comprendre à leur manière; ils étudieront l'Apocalypse, non pas avec humilité et avec la lumière de la Foi, mais avec orgueil et en s'égarant dans des difficultés dont ils ne peuvent sortir. Ils tirent ainsi de la vie la mort, et de la lumière les ténèbres. L'âme qui devait être pleine de Dieu est remplie de fantômes, et le fruit qu'elle acquiert n'est que confusion et ténèbres. Cela lui arrive parce qu'au lieu de descendre, elle a voulu monter. Quelle honte pour nous de ne pas encore nous connaître nous-mêmes! Je n'observe pas les lois qui me sont imposées, et je veux en donner à Dieu et connaître tous ses secrets! Si nous voulons voir les étoiles de ses mystères, descendons dans l'abîme d'une humilité profonde: ainsi fait le fidèle qui se jette à terre pour reconnaître sa bassesse; et alors Dieu l'élève. Il ne va pas chercher comment les choses peuvent être, parce que la sainte Foi lui fait voir clairement que c'est le démon ou la passion qui lui inspirent ses doutes. Il se regarde dans le miroir de la prière continuelle, en se regardant sans cesse dans la vérité; et la vérité lui inspire un saint et vrai désir qui lui fait offrir l'encens d'une humble [1306] prière. Cette Foi rend le coeur sincère, et lui fait confesser ses fautes simplement; il ne les cache pas par honte ni par crainte de la peine, mais il les confesse par haine de la faute, et pour se purifier de toute souillure; il n'est arrêté ni par peur des reproches, ni par aucune autre considération. Voilà ce que fait la Foi.

8. Voyons maintenant quel fruit elle nous donne. En ce monde elle nous donne la plénitude de la grâce, et dans l'autre la vie éternelle. Et comment Dieu nous en fait-il jouir? par l'espérance. Par quelle vertu? par la vertu du sang de l'humble Agneau. C'est cette humble espérance qui n'espère pas en ma propre vertu, et ne désespère pour aucune des fautes ou l'âme est tombée; mais elle espère dans le Sang, et chasse le désespoir, en jugeant la miséricorde de Dieu, qu'elle trouve dans le Sang, plus grande que sa misère.

9. O Espérance! douce soeur de la Foi, tu es celle qui, avec les clefs du Sang, ouvre la vie éternelle. Tu gardes la cité de l'âme contre l'ennemi de la confusion; tu ne ralentis point tes pas lorsque le démon, par le poids des fautes commises, veut troubler l'âme et la porter au désespoir; mais tu persévères généreusement dans la Vertu, en mettant dans la balance le prix du Sang; tu places la couronne de la victoire sur la tête de la persévérance, parce que tu espères ravoir par la vertu du Sang. Tu as celle qui enchaînes le, démon de la confusion dans les liens d'une foi vive; tu réponds à toutes les perfidies dont il use contre l'âme pour la tenir dans les ténèbres et l'agitation [1307].

10. Il arrive quelquefois que l'âme aura confessé sincèrement sa faute, qu'elle n'en aura rien caché volontairement t le démon, cependant, pour embarrasser l'esprit et empêcher l'âme de recevoir avec amour le fruit de la confession, voudra lui faire croire qu'elle ne s'est pas bien confessée de ses fautes. Il lui dira: Tu n'as pas dit toutes tes fautes, et celles que tu as dites, tu ne les as pas expliquées comme tu le devais. Il jette ainsi dans l'âme des pensées qui la font souffrir. Si l'âme alors n'écoute pas la prudence et l'espérance, elle reste dans la tiédeur, la crainte, le trouble et les ténèbres; elle entrave ses saints désirs et se condamne à la confusion; elle se prive de toute joie, et devient insupportable à elle-même.

11. Quel est le moyen d'empêcher qu'elle ne tombe alors dans le désespoir? Il n'y en a pas d'autre que d'examiner sa conscience à la lumière de la Foi, et de voir si c'est volontairement et par malice qu'elle ne s'est pas purifiée du poison du péché par la confession. Qu'elle se confesse avec humilité d'avoir dit ses fautes imparfaitement, de ne pas les voir accusées autant qu'elle le pouvait; mais que cette confession soit appuyée par l'espérance du sang de Jésus-Christ, dont le mérite peut suppléer à ce qui lui manque. Un autre moyen est de regarder à la lumière combien Dieu l'aime d'un amour ineffable. Cet amour ne méprise pas le témoignage d'une bonne conscience, et il ne souffrirait pas qu'il restât dans l'âme quelque chose qui lui déplût. Avec cette foi, cet amour, cette espérance, elle s'abîme dans la miséricorde de Dieu, se méfiant d'elle-même, et se confessant avec une [1308] grande simplicité de coeur; mais qu'elle ne se tourmente pas davantage, qu'elle ne pense plus à elle, pour penser à la miséricorde que Dieu a montrée et montre toujours à son égard. Et si le combat et les tentations reviennent toujours, qu'elle méprise la peine qu'elle en éprouve, et qu'elle y trouve seulement un moyen de s'humilier, de se connaître et de pratiquer la vraie et parfaite espérance, pensant qu'en souffrant et en suivant le chemin de la Croix, elle sera plus agréable à Dieu que par tout autre moyen, et qu'elle recevra plus abondamment le fruit du précieux Sang. C'est là, très cher Frère, le remède que Dieu vous donne contre votre faiblesse. Ainsi, nous avons vu ce qui ôte la lumière et ce qui la rend; nous avons vu ce que fait la Foi, comment elle abat l'orgueil et détruit la présomption, et le fruit que porte la Foi, c'est-à-dire l'espérance.

12. Puisque nous l'avons vue, d'une manière bien imparfaite sans doute, je vous en supplie et je vous en conjure par l'amour de Jésus-Christ, suivons cette lumière glorieuse, pour traverser les orages de cette vie avec une ferme espérance et une vraie connaissance de nous-mêmes. Foulons aux pieds notre volonté et nos opinions avec une humilité sincère; cherchons à nous revêtir des vrais et solides vertus par la doctrine de Jésus crucifié. Je suis persuadée que si vous avez en vous la lumière de la Foi, vous le ferez, mais pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désire voir en vous cette douce lumière, et je vous prie de vous appliquer à l'acquérir. Pensez que Dieu est plus disposé à pardonner que vous ne l'êtes à pécher. Espérez, et soyez fidèle au sang, à la [1309] sainte Eglise et au Souverain Pontife Urbain VI. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 245, AU COMTE DE CONTI

CCXLV (237). - Au COMTE DE CONTI, de Florence, qui aspire à la perfection.- De la lumière de la sainte Foi, sans laquelle aucune oeuvre ne peut être parfaite.- De ses effets.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


(Ce disciple de sainte Catherine de Sienne était aussi très lié avec le bienheureux Jean des Cellules de Vallombreuse, qui lui adressa deux lettres sur les vertus de notre sainte. Le comte de Conti s'occupait spécialement d'assister les pauvres prisonniers.)

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en toi la lumière de la très sainte Foi. Cette lumière nous montre la voie de la vérité; et sans elle nos exercices, nos désirs et nos oeuvres seraient sans utilité, sans perfection, et n'atteindraient pas le but que nous nous sommes proposé; mais toute chose serait imparfaite, et nous serions engourdis pour la charité de Dieu et du prochain. La raison de ceci est que la foi est la mesure de l'amour-propre, et l'amour celle de la foi. Celui qui aime est [1310] fidèle à celui qu'il aime, et le sert fidèlement jusqu'à la mort. O très cher Fils! c'est cette lumière qui conduit l'âme au port du salut; elle la tire de la fange de la misère et dissipe en elle tous les ténèbres de l'amour-propre, parce qu'elle lui fait connaître combien cet amour déplaît à Dieu et nuit à son salut; alors elle se lève avec haine, et le chasse bien loin.

2. Avec une foi vive, l'âme connaît que toute faute est punie et tout bien récompensé; et alors elle embrasse la vertu et déteste le vice, elle met tous ses soins à être constante et persévérante jusqu'à la mort, et la lumière est en elle si parfaite, que ni le démon, ni les créatures, ni la chair fragile ne peuvent lui faire détourner la tête. Cette perfection s'acquiert par un long exercice, par l'ardeur du désir et par une profonde humilité. Cette humilité, l'âme l'acquiert dans la cellule de la connaissance d'elle-même, par le moyen d'une humble et continuelle prière, au milieu des combats du démon et des tentations des créatures, de la volonté perverse et de la chair, qui combat toujours contre l'esprit. Elle résiste à tout avec la lumière de la très sainte Foi; et avec cette lumière, qu'elle puise dans la doctrine du Verbe, elle se passionne pour les souffrances et les peines que Dieu lui envoie, et elle ne choisit jamais le lieu, le moment, la manière de souffrir; elle s'en rapporte à l'éternelle Vérité, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification.

3. Mais pourquoi Dieu permet-il ces fatigues et ces révoltes? pour éprouver en nous la vertu, pour qu'à la lumière, nous connaissions notre imperfection et [1311] le secours que l'âme reçoit de Dieu dans les combats dans les peines, et pour que nous comprenions l'are deur de sa charité dans cette volonté, que Dieu conserve bonne dans l'âme au milieu des ténèbres, des tentations et des peines. Par cette connaissance, a acquise au moment de l'épreuve, l'âme quitte la foi imparfaite, et arrive à la foi parfaite au moyen de l'expérience qu'elle a trouvée lorsqu'elle était encore dans le chemin de l'imperfection. Cette lumière délivre notre esprit de toute confusion; elle sert non seulement pendant le combat, mais aussi quand l'homme tombe dans le péché mortel. Quel que soit ce péché, la Folle relève, parce qu'à ma lumière il regarde la clémence, l'ardeur, l'abîme de la charité de Dieu. Il étend les bras de l'espérance pour recevoir et saisir le fruit du Sang, où il trouve ce doux et tendre feu par une contrition parfaite, en s'humiliant devant Dieu et devant le prochain pour Dieu, s'estimant le plus petit et le plus vil de tous les hommes. Il détruit ainsi la faute dans son âme par la contrition et l'espérance du Sang, où il est parvenu par la lumière de la Foi, Et de cette manière il parvient à une telle perfection, à un tel amour de la charité divine, qu'il peut dire, avec saint Grégoire: O l'heureuse et bienheureuse faute, qui nous a mérité un tel Rédempteur.

4. La faute d'Adam a-t-elle été heureuse? Non; mais le fruit que nous recevons à cause d'elle a été heureux. Dieu a revêtu son Fils de notre humanité et l'a chargé de rétablir le genre humain dans la grâce, et le Fils, tout transporté d'amour, a couru le faire au prix de son sang. Il en est de même pour [1312] l'âme: sa faute n'est pas heureuse, mais le fruit qu'elle trouve dans la charité est heureux, lorsqu'elle se corrige vraiment et parfaitement avec la lumière de la Foi, comme nous l'avons dit. Et parce qu'elle augmente dans la connaissance d'elle-même et dans l'humilité, elle court, toute joyeuse, à l'obéissance des commandements de Dieu. Elle reçoit avec haine et amour le joug sur ses épaules, et aussitôt elle court, toute transportée, donner sa vie, s'il le faut, pour le salut des âmes, parce qu'elle a vu à la lumière que l'amour et les grâces qu'elle a trouvées en Dieu, elle ne peut le lui rendre. Elle peut bien lui rendre l'amour, mais non pas les services qu'elle reçoit de la grâce de Dieu, car Dieu n'a pas besoin de nous; mais elle peut faire pour le prochain ce qu'elle ne peut faire pour Dieu; et il est bien véritable qu'en servant ainsi le prochain charitablement, nous montrons en lui l'amour que nous avons pour l'éternelle et souveraine Vérité. C'est cette charité qui prouve si les vertus sont véritablement ou non dans l'âme; car alors l'âme obéit avec zèle, sa volonté enchaînée accomplit la volonté de Dieu dans le prochain, et ne se laisse arrêter par aucune peine, aucun obstacle, jusqu'à la mort.

5. Avec cette lumière, l'âme goûte les arrhes de la vie éternelle; elle se nourrit par l'amour sur la poitrine de Jésus crucifié, elle se réjouit de dérober ainsi les vertus, la vie et la perfection des heureux habitants du ciel, pendant son pèlerinage (He 11,13 1P 2,11) de la terre. La Foi lui donne la clef du Sang, qui ouvre la vie éternelle; la Foi ne se confie pas en elle-même, mais dans son Créateur; elle ne cède pas au vent de l'orgueil [1313] et de la présomption; car l'orgueil, la présomption, l'impureté et les autres vices sont les fruits de l'infidélité envers Dieu et de la confiance que nous avons en nous-mêmes. C'est là un ver qui se cache sous la racine de l'arbre de notre âme; et si l'homme ne le tue pas avec le glaive de la haine, ce ver ronge et le fait pencher, ou le renverse à terre, si l'arbre l'âme ne s'y oppose pas par son zèle et son humilité. Souvent l'homme est si aveuglé par l'amour-propre, qu'il ne voit pas ce ver, qui est caché; et alors Dieu permet les combats et les persécutions. Il permet que l'arbre penche, et quelquefois qu'il tombe; mais il ne permet pas que sa volonté se corrompe, il laisse seulement son libre arbitre s'égarer pour un temps, afin qu'en revenant à lui-même il soit humilié par cette connaissance. En s'humiliant à cette lumière, qu'il cherche ce ver, et qu'il prenne le glaive de la haine pour le tuer. Cette âme n'a-t-elle pas raison de se réjouir et de remercier Dieu de lui avoir fait voir et trouver en elle ce qu'elle ne connaissait pas? Si, assurément. Ainsi, de toute manière, mon très cher Fils, dans quelque état que l'homme se trouve, qu'il soit juste ou pécheur, qu'il soit tombé ou qu'il se relève, il a toujours besoin de cette lumière. Quel inconvénient y a-t-il à ne pas l'avoir? Il serait trop long de te l'expliquer; il suffit de ce que j'ai dit. Mais, pour te faire connaître combien il est utile et doux de la posséder, la langue ni la plume ne pourraient jamais y parvenir. Que Dieu te le fasse éprouver dans son infinie miséricorde. Je voudrais qu'il en fût ainsi, et c'est pourquoi je t'ai dit que je désirais voir en toi la lumière de la très sainte Foi [1314].

6. Je suis bien étonnée des lettres que tu as envoyées à Barduccio. Je ne veux pour aucune raison que tu quittes la. compagnie de tes Frères en Jésus-Christ. Garde-toi bien de vouloir entrer dans un Ordre religieux et de te troubler l'esprit; mais humilie-toi, soumets-toi au plus petit, et ne cesse pas cependant de communiquer aux autres les vérités que Dieu te fait connaître. Mettons-nous donc à nous servir des remèdes dont nous avons parlé, pour que le démon de la tristesse et de la confusion n'attaque pas notre âme, et qu'elle ne devienne pas pire qu'elle n'était, ce qui serait bien offenser Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.





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Lettre n. 246, A LOUIS

CCXLVI (238).- A LOUIS, fils de messire Louis Gallerani de Sienne, à Asciano.- De la force et de la persévérance qu'on acquiert en s'appuyant sur la sainte Croix.

(Louis Gallerani comptait parmi ses nobles ancêtres le bienheureux André Gallerani, fondateur de l'hospice de la Miséricorde, et le premier tertiaire de l'Ordre de Saint-Dominique; il avait reçu l'habit du bienheureux Ambroise Sansedonio. (Voir sa conversion et sa vie dans les Bollandistes, 20 avril.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher et bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave [1315] des serviteurs de Dieu, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir un chevalier généreux, avançant avec courage, sans vous détourner pour éviter les coups, mais marchant toujours devant vous avec une vraie et parfaite persévérance. Vous savez bien que ce n'est pas en commençant, mais en persévérant, qu'on obtient la couronne (Mt 10,22 Mt 24,13); et si vous avez peine à persévérer sur le champ de bataille, prenez, mon très cher Frère dans le Christ Jésus, prenez l'étendard de la sainte Croix; c'est une colonne inébranlable où s'est reposé l'Agneau immolé pour nous. Sa force est si grande, qu'elle détruit toute faiblesse, et fortifie tellement le coeur de l'homme, que ni les démons ni les créatures ne peuvent le vaincre, s'il ne le veut pas lui-même; et je ne m'en étonne pas, car c'est cette force de l'amour qui le tenait lié et cloué sur le bois de la très sainte Croix. Je vous conjure de vous y attacher, afin que vous ne puissiez plus retourner en arrière. C'est là que vous trouverez le fondement de toutes les vertus, c'est là. que vous trouverez l'Homme-Dieu, par l'union de la nature divine avec la nature humaine; vous y trouverez l'abondance de la divine Charité, qui a tiré l'humanité des mains du démon, avec lequel elle vivait comme une adultère. O très doux amour Jésus! avec votre main désarmée, percée et clouée sur la Croix, vous avez défait tous nos ennemis! Il est venu comme notre paix, pour réconcilier l'homme avec Dieu. Saint Paul disait: «Je suis l'envoyé du Christ vers vous, et je vous supplie, mes très chers Frères, de vous réconcilier et de faire votre paix avec lui (2Co 5,20), parce [1316] qu'il est venu pour être le médiateur de la paix entre Dieu et l'homme» (Col 1,20).

2. O doux Jésus, il est bien vrai que vous êtes notre paix, le calme, le repos de la conscience. Aucune amertume, aucune tristesse, aucune privation ne peuvent affliger l'âme où vous habitez par la grâce; il est bien simple qu'elle possède la joie suprême, et la richesse véritable, car en Dieu qui est la joie suprême, on ne trouve ni tristesse ni amertume. Il est la souveraine richesse, qui ne peut jamais se perdre, et que les voleurs ne peuvent ravir. Je vous en supplie donc de toute mon âme, employez bien le temps qui vous est laissé; c'est une grande consolation de vivre saintement. Aussi je vous ai dit que je désirais que vous fussiez un vrai chevalier, ne reculant jamais, toujours fidèle à vos saintes résolutions, toujours armé des vraies et solides vertus, vous appuyant sur la colonne de la sainte Croix, qui vous défendra de toutes les morsures et les attaques du démon ou des créatures qui veulent vous détourner de la vertu. N'écoutez pas et ne croyez pas les créatures qui veulent combattre vos saintes résolutions; mais recourez souvent à la confession, et fréquentez ceux que Dieu vous a fait la grâce de connaître. Je finis. Plongez votre mémoire dans le précieux Sang, et souvenez-vous de frère Barthélemi et de Néri; recommandez-les, avec moi, à messire Bérenger. Demeurez dans la sainte paix de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour [1317].






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Lettre n. 247, A VANNI ET FRANÇOIS

CCXLVII (239).- A VANNI ET FRANÇOIS, fils de Nicolas de Buonconti, de Pise.- De la sainte crainte de Dieu, et de l'horreur du péché.

(Nicolas de Buonconti eut quatre fils, qui furent tous disciples de sainte Catherine. Elle demeura dans leur maison pendant son séjour à Pise, et se lia d'affection avec leur mère Natta. (Voir les lettres CCCXXXVIII, CCCCXXXIX, CCCXL.))



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1.Très chers et bien-aimés Frères dans le Christ Jésus, moi. Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir ses véritables enfants, vivant toujours dans la sainte crainte de Dieu, et de telle manière, que non seulement vous ne méprisiez pas le sang du Christ, mais que vous ayez aussi en horreur et dégoût les souillures du péché mortel, qui a été cause de la mort du Fils de Dieu. Il est bien coupable, celui qui livre son corps à de telles iniquités, à de telles impuretés, après avoir connu l'union parfaite que Dieu a contractée avec l'humanité. Je ne veux pas qu'il en soit ainsi pour vous, mes très chers. Frères, pour toi surtout, Vanni. Il faut vivre maintenant autrement que tu ne l'as fait par le passé. Considère ton âme et la brièveté du temps; pense que tu dois mourir, et que tu ne sais pas quand. Quelle chose affreuse, si la [1318] mort te trouvait en péché mortel, si pour une triste jouissance tu perdrais ce bien, ce bonheur d'avoir Dieu dans ton âme par la grâce, et ensuite de posséder cette vie éternelle qui ne doit jamais finir! Oui, je vous invite tous les trois à sacrifier votre vie et à vous préparer à mourir pour Jésus crucifié, s'il le faut; et, afin de vous y préparer, je veux que vous soyez vertueux, que vous vous confessiez souvent, et que vous aimiez toujours à entendre la parole de Dieu. Comme le corps ne peut vivre sans nourriture l'âme aussi ne peut vivre sans la nourriture de la parole de Dieu et sans la confession. Evitez les mauvaises compagnies, parce qu'elles seraient un grand obstacle à votre sainte résolution. Je ne vous en dis pas davantage, très chers et très doux Frères dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 248, A SIRE CHRISTOPHE

CCXLVIII (240).- A SIRE CHRISTOPHE de Gano Guidini.- De l'état parfait ou nous appelle le Père céleste.

(Cette lettre a été trouvée dans les mémoires de Christophe Gano, conservés dans les archives de l'hospice de la Scala, à Sienne. Ce disciple de sainte Catherine était notaire. et prit part au gouvernement de sa patrie, en 1383 et 1384. Il avait pensé à entrer en religion, mais les instances de sa mère le décidèrent au mariage, où il vécut très saintement. Devenu veuf, il revêtit l'habit des frères de l'hôpital de Sainte-Marie, et mourut dans les bras du bienheureux Etienne Maconi. Il laissa plusieurs écrits, parmi lesquels se trouve la vie du B. Jean Colombini.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher et bien-aimé Frère et le Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave [1319] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un de ses fils véritables, accomplissant toujours fidèlement ce que recommande le vrai Père céleste, lorsqu'il dit: «Celui qui n'abandonne pas son père, mère, ses soeurs, ses frères, et qui ne se quitte pas lui-même, n'est pas digne de moi.» (Mt 10,37) Il semble qu'il nous appelle à ce renoncement, et je pense que nous ne devons pas nous en éloigner sous prétexte d'un devoir de conscience. Cette raison de conscience vient plutôt du démon que de Dieu. L'ennemi veut empêcher l'état parfait auquel le Saint-Esprit semble vous appeler. Si vous me dites Dieu me commande de leur obéir, cela est vrai, pourvu qu'ils ne vous détournent pas de la voie de Dieu; et s'ils sont un obstacle, nous devons passer sur leurs corps, et suivre le vrai Père avec l'étendard de la très sainte Croix.

2. Hélas, mon doux Frère dans le Christ Jésus, je m'afflige de ta résistance; tu ne connais pas la perfection de cet état, et il me semble que ta conscience devrait plus se troubler d'y renoncer que de le suivre. Mais, puisqu'il en est ainsi, je prie la souveraine et éternelle Vérité d'étendre sa très sainte main sur toi, et de te diriger dans l'état qui doit lui plaire davantage. Je t'en conjure, en tout état et dans toutes tes oeuvres, fixe tes regards sur Dieu, et [1320] cherche toujours son honneur et le salut de ma créature; n'oublie jamais le prix du sang de l'Agneau, qui a payé pour nous avec tant d'amour. Quant au choix d'une épouse, je vous répondrai qu'il m'est pénible de m'en occuper; cela regarde plutôt les séculiers que moi. Je ne puis pas cependant m'opposer à votre désir; et, en examinant les conditions des trois, je les trouve toutes bonnes. Si vous ne vous sentez pas de répugnance à épouser celle qui a déjà été mariée, faites-le, puisque vous voulez encore vous engager dans les embarras de ce siècle pervers. Si vous ne la prenez pas, prenez celle de François Ventura de Camporeggi. Je finis en priant la suprême et éternelle Charité de vous donner ce qui doit être le plus utile à son honneur et à votre salut; qu'elle répande sur vous deux la plénitude de sa grâce, et sa souveraine et éternelle bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 249, A SANO DE MACO

CCXLIX (241). - A SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise, la première fois.- De l'amour que Dieu nous a montré dans la rédemption de nos âmes.

(Sano est le diminutif toscan d'Ansano, et Maco, celui de Jacomo. On ignore le nom de famille de ce disciple de sainte Catherine. Cette lettre est de 1375)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher et bien-aimé Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux Sang qu'il a répandu sur l'arbre de la très sainte Croix; il n'y avait pas d'autres liens que l'ardente charité qu'il avait pour sa créature. La douce Vérité suprême l'a dit elle-même: C'est à cause de l'infinie charité que Dieu avait pour la nature humaine, que le Père céleste a envoyé son Fils unique et bien-aimé pour empêcher la créature de périr, et pour sauver le monde par son moyen (Ep 2,4). O ineffable et infinie charité de Dieu, qui, pour sauver le rebelle qui lui avait désobéi, se livra lui-même pour être créature, pour être méprisé, outragé, maltraité, et enfin livré à une mort honteuse comme un malfaiteur. Il n'avait rien fait et rien dit qui fût digne de blâme; nous avions commis la faute, et il en a porté la peine par amour pour nous.

2. Vous m'avez bien aimé, très doux amour Jésus, et vous apprenez combien je dois m'aimer moi-même et aimer mes frères; vous nous avez tant aimés sans voir besoin de nous, comme nous avons besoin de vous. Oui, très cher et bien-aimé Frère et Fils dans e Christ Jésus, il faut que toujours nos âmes soient avides de se nourrir des âmes de nos frères. Aucune autre nourriture ne doit tant nous plaire que de les servir avec zèle; il faut nous réjouir de souffrir les peines et les tribulations pour l'amour du prochain ce fut la nourriture de notre doux Sauveur, et c'est elle aussi que notre Sauveur nous invite à prendre. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1322].







Catherine, Lettres 343