Catherine, Lettres 68

68

Lettre n. 325, A MADAME BENEDETTA

CCCXXV.- A MADAME BENEDETTA, femme de messire Bocchino de Belfort, de Volterre, lorsqu'elle était à Florence. - Elle l'exhorte à supporter avec patience l'adversité, et surtout la perte de son fils.

(Benedetta était fille du Florentin Jean de Rossi, et femme de Bocchino de Belfort, despote de Volterre. Son mari fut tué en 1411, Voir la lettre LXXVII.)

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère et bien-aimée Mère et Soeur dans le Christ, Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillée du vieil homme et revêtue de l'homme nouveau (Ep 4,22-24), c'est-à-dire de la patience de Jésus crucifié, sachant bien que, sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu; et je vous invite du fond du coeur à cette patience, parce que celui qui est impatient et revêtu du vieil homme, c'est-à-dire du péché, a perdu la liberté, et n'est pas maître de la cité de son âme, car il se laisse dominer par la colère. Il n'en est pas ainsi de celui qui est patient, parce [1554] qu'il se possède lui-même. Notre Sauveur Jésus a dit: " Dans votre patience vous posséderez vos âmes (Lc 21,19)". O douce patience! pleine de joie et de paix! Quand elle procède de la charité, elle supporte pour Dieu toute tribulation, de quelque manière que Dieu la lui envoie, que ce soit dans la mort ou dans la vie. Je dis que, sous le joug de la patience qui fait ses délices de la volonté de Dieu, toute amertume devient douce, tout fardeau devient léger. L'âme se revêt de ce doux et saint vêtement quand elle se revêt de la volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre sanctification; tout ce qu'il donne, tout ce qu'il permet est pour notre bien, pour que nous soyons sanctifiés en lui.

2. Ne vous est-il pas bien doux de penser, très chère Mère et Soeur dans le Christ Jésus, que le médecin du ciel est venu dans le monde pour guérir nos infirmités? Et vraiment il fait comme un bon médecin, qui nous donne une médecine amère et qui nous saigne pour nous conserver la santé. Vous savez bien que le malade supporte tout dans l'espoir de guérir. Hélas! pourquoi ne faisons-nous pas avec le Médecin du ciel ce que nous faisons avec le médecin de la terre? Il ne veut pas la mort du pécheur: il veut qu'il se convertisse et qu'il vive (Ez 33,11 2P 3,9). Oui, très douce Mère, le bon Dieu donne l'amertume à la sensualité, mais non pas sans raison. Il nous saigne quand il nous retire les enfants, la santé, la prospérité, ou quoi que ce soit. Courage donc, puisqu'il ne l'a pas fait pour vous donner la mort, mais pour vous donner [1555] la vie et pour vous conserver la santé. Oui, je vous en supplie par l'amour de ce sang très doux et très abondant qui a été répandu pour notre rédemption, que la volonté de Dieu s'accomplisse en vous parfaitement, et que tous vos chagrins profitent à votre sanctification. Puisque c'est la volonté de Dieu, revêtez-vous véritablement de la vertu de patience.

3. Je ne veux pas que vous regardiez le fils qui vous reste comme vous appartenant; il ne faut pas vous approprier ce qui n'est pas à vous, mais il faut en user pour vos besoins, comme d'une chose prêtée. Vous savez que c'est la vérité; si ces choses étaient à nous, nous pourrions les garder et nous en servir à notre volonté; mais parce qu'elles nous sont prêtées, il faut les rendre selon le bon plaisir du doux Maître de la vérité, qui nous les a données, et qui a fait tout ce qui existe. O ineffable ardeur de la charité, combien est grande votre patience à l'égard des coeurs ignorants et endurcis, qui veulent posséder ce qui vous appartient, et qui se plaignent de ce que vous faites pour leur bien! Ne faisons pas ainsi, pour l'amour de Dieu; mais supportons avec patience les épreuves qu'il nous envoie. Et si vous me dites: Je ne puis calmer cette sensibilité, je vous dirai que la raison en triomphe en considérant trois choses.

4. La première est la brièveté du temps; la seconde est la volonté de Dieu, qui les a appelés à lui, comme vous me l'écrivez. Lorsque je l'ai appris, je me suis réjouie de leur salut, et je vous ai plainte; mais je vous avouerai aussi que je me suis réjouie du fruit que vous avez retiré de la tribulation. La troisième [1556] chose est le tort que vous causerait l'impatience. Courage donc, car le temps est court, la peine petite et la récompense bien grande. Je ne vous dis rien de plus. Que la paix de Dieu soit avec vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Catherine, la servante inutile, vous salue.






116

Lettre n. 326, A MADAME PANTASILEE

CCCXXVI.- A MADAME PANTASILEE, femme de Ranuccio Farnèse. - La vraie lumière s'obtient par la connaissance de notre propre misère et de la bonté de Dieu à notre égard. - De la manière de servir Dieu dans l'état du mariage.

(Ranuccio Farnèse était frère de Pierre Farnèse, le célèbre capitaine qui commanda les troupes de Florence dans la guerre contre Pise. )



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir avec la vraie lumière et la connaissance de vous-même et de Dieu, afin que vous connaissiez bien la misère et la fragilité du monde. Car l'âme qui connaît sa misère connaît bien celle du monde; elle connaît aussi la bonté de Dieu à son égard. Elle la trouve en elle-même en voyant qu'elle [1557] est une créature raisonnable, créée à l'image et ressemblance de Dieu (Gn 1,26); et aussitôt que l'âme est arrivée à cette sainte et vraie connaissance, elle aime Dieu en vérité; et dès qu'elle aime, elle rapporte à son Créateur tous les dons, toutes les grâces qu'elle reçoit, et elle est toujours d'accord avec sa volonté; elle est contente de tout ce que Dieu fait et permet, parce qu'elle voit que Dieu ne veut autre chose que sa sanctification. C'est ce que nous a montré le doux Verbe le Fils de Dieu; car, pour que nous soyons sanctifiés en lui, il a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix; il a souffert la mort et d'affreux tourmente pour nous délivrer de la mort éternelle. Puisque la mort et le sang du Christ nous montrent que Dieu nous aime d'un amour ineffable et qu'il ne veut que notre bien, nous devons supporter avec une vraie patience toutes nos peines et nos tribulations; et, quelle que soit la manière dont il nous les envoie, il faut toujours les recevoir avec une sainte espérance, en pensant qu'il pourvoit à tous nos besoins, et qu'il ne nous donnera pas plus que nous ne pourrons en porter. A mesure qu'il nous donne et qu'il augmente la peine, il augmente notre force, pour que nous ne succombions pas. Il faut donc la supporter et la recevoir avec respect, à cause de Jésus crucifié, car elle est la cause et l'instrument de notre salut.

2. Les tribulations de cette vie nous font humilier et abaisser notre orgueil; elles nous font détacher de l'amour déréglé du monde, et mettre notre amour en Dieu; elles nous rendent conformes a Jésus crucifié, et nous font compatir à ses peines et à ses [1558] opprobres. Elles nous sont donc bien nécessaires, si nous voulons jouir de l'éternelle vision de Dieu. Les afflictions nous réveillent du sommeil de la négligence et de l'ignorance; car dans le temps de l'épreuve nous recourons au Christ, en reconnaissant que lui seul peut nous secourir; et de cette manière nous devenons reconnaissants des bienfaits que nous avons reçus et que nous recevons, et nous connaissons mieux sa bonté et notre misère. Il est Celui qui est (Ex 3,14), et nous sommes ceux qui ne sommes pas; tout notre être vient de lui. Ne le voyons-nous pas avec évidence? nous voulons vivre, et il faut mourir; nous voulons la santé, et nous avons la maladie; nous aimons posséder les enfants, les richesses, les plaisirs du monde, parce qu'ils nous plaisent, et il faut les laisser. C'est la vérité que toutes ces choses nous abandonnent par la volonté divine, ou que nous les abandonnons nous-mêmes par la mort, en quittant cette vie ténébreuse. Vous voyez bien que nous ne sommes rien par nous-mêmes, si ce n'est que nous sommes remplis de pêchés et de misères; c'est la seule chose qui nous appartienne, le reste vient de Dieu.

3. Ainsi donc, très chère Soeur, ouvrez l'oeil de l'intelligence, et aimez votre Créateur et ce qu'il aime, c'est-à-dire la vertu, surtout la patience, avec une humilité sincère et parfaite, en pensant que vous n'êtes rien, et en rendant honneur et gloire à Dieu, en possédant les choses du monde, un mari, des enfants, des richesses et les autres jouissances comme des choses prêtées qui ne vous appartiennent pas; car, comme je l'ai dit, elles disparaissent, et vous ne pouvez les avoir et les conserver qu'autant qu'il plaît à [1559] la bonté de Dieu de vous les prêter. En agissant ainsi, vous ne vous ferez pas des dieux de vos enfants ni des autres choses, mais vous aimerez tout pour Dieu, et rien en dehors de Dieu; vous fuirez le péché et vous aimerez la vertu. Eloignez, éloignez du monde vos affections et vos désirs, et placez-les en Jésus crucifié, qui est ferme et inébranlable; vous ne le perdrez jamais, et il ne vous sera pas enlevé, si vous ne le voulez pas.

4. Je ne dis pas pour cela que vous quittiez le monde et l'état du mariage plus que vous ne le voulez, et que vous ne gouverniez pas votre maison comme le demande votre rang, mais je dis que vous devez vivre dans l'ordre, et non pas dans le désordre. Il faut avoir sans cesse Dieu devant les yeux, rester dans l'état de mariage, y vivre avec une sainte crainte, le respecter comme un sacrement, et observer les jours réservés par la sainte Eglise autant que vous le pourrez. Il faut élever vos enfants dans la vertu et dans l'amour des saints commandements de Dieu. Car il ne suffit pas au père et à la mère de nourrir le corps de leurs enfants, comme le font les animaux; il faut encore nourrir leur âme dans la grâce autant qu'ils le peuvent, les reprenant et les corrigeant des fautes qu'ils ont commises. Faites toujours en sorte qu'ils se confessent souvent, qu'ils entendent, le matin, la messe, au moins les jours commandés par la sainte Eglise; et ainsi vous serez la mère de leurs âmes et de leurs corps. Je suis persuadée que, si vous avez la vraie connaissance de Dieu et de vous-même, vous le ferez; mais sans cette connaissance vous ne pourrez le faire. Aussi, en voyant que vous ne pouvez pas [1560] autrement avoir la grâce de Dieu, je vous ai dit que je désirais vous voir dans la vraie lumière et la connaissance de vous-même et de Dieu. Je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié et pour votre bien même, de le faire; vous accomplirez ainsi en vous la volonté de Dieu et mon désir. Je termine. Demeurez dans la et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






345

Lettre n. 327, A LA COMTESSE JEANNE

CCCXXVII.- A LA COMTESSE JEANNE, de Milet et de Terre-Neuve, à Naples.- Du mépris du monde et de ses délices.- Les vraies richesses sont les vertus et la charité, qui reste seule dans l'autre vie.

(La comtesse Jeanne était de la famille des seigneurs d'Aquin, une des plus nobles du royaume de Naples.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir mépriser le monde et ses délices de toute votre âme, afin que vous cherchiez véritablement la richesse de Jésus crucifié. Nous avons bien raison de mépriser les choses du monde, si nous considérons leur peu de durée et de stabilité, et combien elles sont nuisibles à notre salut. Je ne voudrais pas cependant que vous croyiez que, selon moi, la fortune et les biens temporels [1561] sont nuisibles et causent notre mort. Non, mais c'est l'amour déréglé avec lequel la créature les possède. Si elles avaient été nuisibles, Dieu ne les eût pas créées et ne nous les aurait pas données; car celui qui est souverainement bon, ne peut vouloir et faire que des choses bonnes et utiles à notre bien. Qui les rend mauvaises? celui qui en use mal et les possède sans la crainte de Dieu. Mais en les possédant avec une sainte crainte, en les appréciant pour ce qu'elles valent, en ne faisant pas son Dieu des créatures, des richesses, des honneurs du monde, en les aimant, au contraire, en les possédant, en les méprisant pour Dieu, alors on ne peut les conserver en toute conscience. Il est vrai qu'il est plus parfait, plus agréable à Dieu, plus utile et moins pénible de les abandonner mentalement et réellement. Nous devons, si nous voulons les conserver, en détacher notre coeur, notre affection, et je veux que vous le fassiez; car les richesses du monde sont une grande pauvreté, et elles ne peuvent être jamais véritablement possédées que par celui qui les méprise complètement. Mais la vraie richesse, celle qui ne peut être détruite et ravie par le démon et les créatures, c'est la richesse des vraies et solides vertus.

2. C'est là une richesse durable, qui nous délivre de toute pauvreté; elle nous donne la nourriture de la grâce, elle couvre notre nudité, elle répond pour nous, au moment de la mort, devant le souverain Juge; elle, acquitte notre dette, celle de rendre à Dieu l'amour que nous lui devons; et cet amour, nous le montrons au moyen de la vertu. Elle nous accompagne dans cette vie de pèlerinage, qui est une voie où [1562] nous avons beaucoup d'ennemis qui cherchent à nous donner la mort. Les trois principaux sont le monde, le démon, la chair fragile. Tous cherchent à nous jeter leurs flèches empoisonnées le monde, par ses faux et vains plaisirs; la chair fragile et la sensualité, par son amour déréglé et ses folles jouissances; le démon, par ses pensées mauvaises, en cherchant à nous dépouiller et à nous faire injurier par notre prochain, pour nous priver de la charité fraternelle et pour nous inspirer Sa haine et son mépris.

3. Ces vertus nous délivrent de tous ces ennemis. La vertu nous donne la lumière, et avec la lumière, elle nous conduit à la porte de la vie éternelle. Cette porte nous est ouverte par le sang de Jésus-Christ; alors entre la charité, qui est mère de toutes les autres vertus. Les autres vertus restent dehors, elle seule en recueille la récompense, parce que l'âme vertueuse, quand elle quitte cette vie, entre dans la vie éternelle avec la vertu de la charité. Les autres vertus dans le ciel ne sont pas nécessaires et n'y entrent pas La vertu, de la foi y est inutile, puisqu'elle est certaine de ce qu'elle croyait; elle n'a pas besoin non plus de l'espérance, puisqu'elle possède ce qu'elle espérait avoir. Il en est de même de toutes les autres vertus qu'il faut avoir en cette vie, parce que sans elles, nous serions privés de Dieu; mais au ciel il suffit de la charité, c'est-à-dire de l'amour, parce que la vie éternelle n'est autre chose que l'amour avec lequel nous goûtons Dieu dans son essence. Son amour nous a rendus dignes de le voir face à face, et c'est cette vue qui est notre béatitude. L'amour mous fait participer au bonheur de tous, au bonheur des anges et [1563] au bonheur de tous ceux qui ont la vie éternelle par l'amour (). Dieu nous fait jouir de lui-même; nous sommes remplis et rassasiés de lui dans la mer pacifique de son essence, et ceux qui sont rassasiés ont encore faim, mais sans connaître la peine de la faim et le dégoût de la satiété. Il y a tant d'amour et de charité fraternelle entre eux, que le plus petit n'envie pas le plus grand, mais ils sont tous contents et heureux de leur mutuel bonheur. Au ciel, la charité est nécessaire, et personne ne peut y aller sans l'avoir.

4. La malheureuse créature ne pense pas à ce bonheur, mais au châtiment qui punit ce qu'elle fait contre la douce volonté de Dieu, pour satisfaire ses coupables désirs. Elle abandonne la vertu pour le vice, la vie pour la mort, l'infini pour le fini, les biens du ciel pour les biens de la terre, le Créateur pour les créatures. Pour servir le démon et suivre la voie du mensonge, elle cesse de servir Jésus crucifié, de suivre sa doctrine, qui est la voie, la vérité, la vie (Jn 14,6); car celui qui marche avec lui marche dans la lumière, et non pas dans les ténèbres. Pour remplir son coeur des choses passagères du monde, il se laisse mourir de faim, parce qu'il ne prend pas la nourriture des anges, cette nourriture que Dieu, dans sa miséricorde, a donnée aux hommes, en s'offrant lui-même, Dieu et homme, sur la table de l'Autel. Il quitte son vêtement nuptial (Mt 22,11) pour se revêtir des tristesses du monde, et il meurt de froid; il se dépouille lui-même pour dépouiller les autres. Ces pauvres insensés, dans leur [1564] aveuglement, ne s'aperçoivent pas de leur malheur: et tout cela leur arrive par l'amour déréglé qu'ils ont pour le monde, en possédant et en aimant les choses temporelles en dehors de la douce volonté de Dieu.

5. Je ne veux pas qu'il en soit ainsi pour vous; mais je veux et je vous ai dit que je désire voir votre coeur détaché de ces choses, afin que vous aimiez et possédiez les créatures et les choses créées pour lui et rien sans lui. Oui, aimez-le de tout votre coeur, de toutes vos forces, sans réserve, avec une véritable et profonde humilité, aimant le prochain comme vous-même (Mc 12,31 Mt 22,39 Lc 10,27). Mais vous me direz: Comment puis-je avoir cette humilité? Je me sens pleine d'amour-propre et entraînée à toutes les oeuvres de l'orgueil. Je vous répondrai que, si vous le voulez, vous le pourrez, avec la grâce de Dieu, qui ne la refuse jamais à qui la demande. Le vrai moyen est de contempler à la lumière l'humilité de Dieu et sa charité, Son humilité est si profonde, que l'intelligence de l'homme en est confondue. En vit-on jamais une semblable dans la créature? Non, certainement. Y a-t-il quelque chose de plus étonnant, que de voir Dieu humilié jusqu'à l'homme, la souveraine Grandeur descendue à un tel abaissement.

6. Dieu s'est revêtu de notre humanité; il a conversé visiblement avec les hommes; il a supporté nos infirmités, la pauvreté, la misère; il s'est humilié jusqu'à la mort honteuse de la Croix. La Grandeur suprême s'est faite petite pour confondre les superbes, qui cherchent toujours à s'élever, et ne s'aperçoivent pas qu'ils tombent dans une profonde misère. Vous [1565] trouvez en lui la source de l'humilité, qui lui fait visiter l'âme de toute créature raisonnable. Et si nous considérons ma charité, où verra-t-on jamais celui qui est offensé donner volontairement sa vie pour celui qui l'offense? Il n'y a vraiment que l'humble Agneau sans tache qui ait ainsi acquitté pour nous, mauvais débiteurs, la dette qu'il n'avait pas contractée. Nous avions été des voleurs, et il a voulu être cloué sur le bois de la très sainte Croix; il a pris la médecine amère pour nous donner la santé, et il nous a fait un bain de son sang. Dans sa tendresse, il nous a ouvert son corps, et de tous ses membres, il a répandu son sang avec tant d'abondance, tant d'amour, tant de patience, qu'on ne lui a entendu proférer aucune plainte. Cette générosité ne doit-elle pas faire rougir de honte les hommes avides et avares qui verront les pauvres mourir de faim, et qui ne détourneront seulement pas la tête? Ils feront plus mal encore: non seulement ils ne donneront rien, mais ils prendront le bien des autres. La charité divine confondra ceux qui s'aiment eux-mêmes, ceux dont l'amour-propre ne craint pas d'offenser Dieu et la vérité. S'ils considèrent sa patience, les impatients seront effrayés, eux qui ne veulent pas supporter la moindre chose, mais qui sont tourmentés par la colère et la haine de leur prochain.

7. Nous avons donc trouvé le moyen d'acquérir la vertu: c'est par la connaissance de la bonté de Dieu et par la lumière, qui nous fait voir son humilité et sa charité. C'est en lui que nous l'acquerrons, en la cherchant au fond de notre âme; autrement, nous ne la posséderons jamais. C'est là le fondement, le [1566] principe, le moyen, la fin de toute vertu et de notre perfection. Par là vous arriverez au mépris du monde et de vous-même, et vous disposerez toute votre vie selon le temps et le lieu où vous serez; et non seulement vous vivrez bien, mais vous dirigerez toute votre famille, suivant le bon plaisir de Dieu, dans de saintes et louables habitudes, comme doit le faire une mère pour ses enfants, une maîtresse pour ses serviteurs, en recourant à la sainte Confession et à la Communion au lieu et au temps prescrits par la sainte Eglise, à laquelle il faut obéir, ainsi qu'au Pape Urbain VI, jusqu'à la mort. Réglez donc en toute chose vos actions. Je vous en supplie, ne cessez jamais de contempler l'humble et tendre Agneau, afin que nous jouissions ensemble de lui par la grâce en cette vie, et qu'à la fin nous entrions avec la cha rité, la mère des vertus, dans la gloire de la vie éternelle. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 328, À UNE DAME NAPOLITAINE

CCCXXVIII.- À UNE DAME NAPOLITAINE, confidente de la reine.- De la sainte crainte de Dieu. et de la crainte servile. - Elle exhorte cette dame à faire tous ses efforts pour ramener le coeur de la Reine à l'obéissance de la sainte Eglise.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [1567] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir libre de toute crainte servile, afin que vous annonciez généreusement la vérité, et que vous demeuriez dans la sainte crainte de Dieu. Cette crainte rend l'âme virile et l'empêche De craindre les peines, la mort, les persécutions; elle ne craint pas de déplaire aux créatures, parce qu'elle veut plaire uniquement à son Créateur. Sa seule crainte est d'offenser Dieu, elle n'en a pas d'autre. Oh! qu'il est doux à l'âme de vivre dans cette crainte, Car elle procède de la douce charité et du respect que nous devons à Dieu. Elle est comme le bon fils, qui, par amour et par respect, craint de faire quelque chose qui déplaise à son père, non par peur du châtiment, mais pour ne pas l'offenser. C'est ce que fait l'âme qui s'est donnée au serviCe de son Créateur généreusement, de tout son coeur, de son affection (Mt 22,37), le servant non par crainte et avec un amour mercenaire, mais avec un amour libre. Comme elle aime librement, elle sert librement; aussi elle ne craint pas la peine, et elle est prête à tout souffrir avec une sainte crainte.

2. Cette sainte crainte nous est nécessaire dans le temps où nous sommes, bien qu'en tout temps, en tout état, en tout lieu, nous devions l'avoir, et fuir ce misérable amour, d'où vient la crainte servile, qui craint tant que son ombre lui fait peur. Oh! combien est misérable cette crainte, combien elle avilit l'âme! Elle resserre tellement le coeur pour la charité, qu'il ne peut plus contenir l'honneur de Dieu et l'amour du prochain; elle le rend timide au point que, voyant le prochain offenser Dieu, il paraîtra par crainte ne [1568] pas s'apercevoir de l'injure faite à son Créateur, et quelquefois, pour plaire et ne pas déplaire, il semblera même approuver les fautes qu'il voit, commettre, agissant ainsi contre sa conscience, qui lui dit que tous les deux font mal. O maudit amour-propre, qui as corrompu le monde entier! Tu prives l'âme du trésor des vertus, et tu la remplis de crainte servile; tu l'appauvris, tu lui ôtes la lumière, tu pervertis son goût tellement, que les choses amères lui semblent douces, et les douces, amères. Tu la dépouilles de la sainte crainte, et tu la revêts de crainte servile et de misères: dès cette vie elle goûte les arrhes de l'enfer; elle devient insupportable à elle-même. Cette misérable crainte entraîne avec elle tous les maux; l'âme doit donc bien la détester; elle doit se lever et s'asseoir sur le tribunal de sa conscience, et faire justice de tous les mouvements de crainte qui ne seraient pas conformes à la raison. Très chère Soeur, je vous invite à quitter cette crainte servile; et, avec la lumière de la vérité et la sainte crainte de Dieu, commencez à semer la vérité dans le coeur de la Reine, afin que la justice divine ne s'appesantisse pas sur elle, et qu'elle ne tienne pas la sainte Eglise et tous les chrétiens dans une affliction si amère.

Sainte Catherine ajoute ensuite beaucoup de choses pour prouver la validité de l'élection d'Urbain VI, et elle combat l'erreur de la Reine par d'excellentes raisons. Elle finit par ces mots: Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1569].



112

Lettre n. 329, A LA COMTESSE BENEDETTA

CCCXXIX. - A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean d'Agnolino Salimbeni, de Sienne. - Elle l'exhorte à servir Jésus-Christ, et à renoncer à l'amour des créatures. - C'est dans les plaies de Jésus-Christ que s'acquièrent toutes les vertus.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir servante et épouse de Jésus crucifié, parce que je sais que servir Dieu ce n'est pas être esclave, c'est régner. Ce n'est pas comme la coupable servitude du monde, qui avilit la créature, et la rend servante et esclave du péché et du démon. Le péché est un néant, et conduit l'homme au néant. Tu sais, très chère et douce fille, que l'âme qui sert les créatures et les richesses en dehors de Dieu, c'est-à-dire. qui aime sans mesure et désire les richesses, les délices du monde et toutes ces vanités qui ressemblent à la feuille agitée par le vent, tu sais que cette âme tombe dans la mort et s'avilit elle-même; car elle se soumet à des choses qui sont moindres qu'elle, puisque toutes les choses créées sont faites pour le service de la créature raisonnable, et la créature raisonnable est faite pour servir son Créateur. Nous nous trompons donc; et plus l'homme désire ces choses passagères, plus il perd cette douce puissance [1570], qu'il acquiert en servant son Créateur. Il se soumet à une chose qui n'est pas; et en aimant hors de Dieu d'une manière déréglée, il offense Dieu. Il est donc bien vrai que la servitude du monde nous réduit au néant.

2. Oh! combien est insensé celui qui sert ce qui n'a de puissance que sur le néant, c'est-à-dire sur le péché! Le démon est le maître de ceux-là seulement qui commettent l'iniquité. Et comment exerce-t-il son empire? par des supplices, en tourmentant ses sujets dans l'éternelle damnation. Il règne aussi sur le monde, c'est-à-dire sur les affections déréglées que nous avons pour le monde. Les choses du monde sont bonnes en elles-mêmes, mais la volonté coupable qui s'en sert les rend mauvaises, parce qu'on les possède et les désire sans crainte de Dieu; et, de cette manière, je dis que ceux-là sont des serviteurs qui s'unissent au démon dans les supplices; je dis que cette servitude de la mort ôte la lumière de la raison, et donne les ténèbres; elle ôte la richesse de la grâce, et donne la pauvreté du vice. Je ne veux pas, ma Fille, puisqu'il y a tant de danger, que tu te livres à la servitude coupable du monde; mais je veux que tu sois une vraie servante de Jésus crucifié, qui t'a rachetée de son précieux sang. C'est notre doux Maître qui nous a créés à son image et ressemblance (Gn 1,26); il nous a donné le Verbe, son Fils unique, pour nous délivrer de la mort et nous donner la vie. Avec son sang, il nous a affranchis de la servitude du péché; il nous a faits libres en vous retirant de la puissance du démon, qui nous possédait. Son sang aussi nous a rendus forts, et nous a mis en possession de la vie [1571] éternelle. Ses clous sont devenus les clefs qui ont ouvert la porte fermée par le péché que nous avions commis. Le doux Verbe, en montant sur le bois de la Croix comme un vaillant chevalier, a défait nos ennemis et nous a mis en possession de la vie éternelle, tellement, que ni le démon ni les créatures ne peuvent nous l'enlever, si nous ne le voulons pas.

3. La servitude du Christ est donc bien douce; et sans cette servitude, nous ne pouvons participer à la grâce divine. Aussi je t'ai dit que je désirais te voir la servante et l'épouse de Jésus crucifié; car, aussitôt que tu te seras faite sa servante, comme servir Dieu c'est régner, tu deviendras peu à peu son épouse. Je veux que tu sols une épouse fidèle, que tu ne te sépares jamais de ton Epoux, n'aimant, ne désirant rien en dehors de Dieu. Aime ce doux et glorieux Epoux, qui t'a donné la vie, et qui ne meurt jamais. Les autres époux meurent et passent comme le vent, et souvent Ils sont cause de notre mort. Tu en as fait l'expérience, car, en peu de temps, le monde t'a frappée de deux coups cruels (La comtesse Benedetta avait perdu deux maris. Le premier était mort peu de temps après ses noces; le second n'avait été que son fiancé. Voir la lettre CCLXXV .), et la bonté de Dieu l'a permis pour que tu fuies le monde et pour que tu cherches un refuge en lui, ton Père et ton Epoux. Fuis donc le poison du monde, qui semble agréable comme la fleur; il paraît un enfant, et c'est un vieillard; il promet une longue vie, et elle est courte; on croit qu'il est fidèle, et il est mobile comme la feuille qu'agite le vent. Tu as bien vu par toi-même [1572] qu'il n'offre aucune sûreté. Sois persuadée qu'il te fera la même chose, si tu mets encore en lui ta confiance; car le dernier est mortel comme le premier.

4. Renonce donc à toute tendresse, à tout amour de toi-même; entre dans les plaies de Jésus crucifié, où se trouve la vraie et parfaite sûreté. C'est là le doux lieu où l'épouse remplit la lampe de son coeur. Le coeur est vraiment une lampe, et il doit être une lampe qui soit étroite du pied et large de la tête; le désir, l'amour doit être étroit pour le monde, et large pour le haut: c'est-à-dire que le coeur doit se dilater en Jésus crucifié, l'aimant et le craignant avec un vrai et saint zèle. Et alors tu rempliras cette lampe au côté de Jésus crucifié; ce côté ouvert te laisse voir le secret du coeur, ce coeur qui nous fait tout, qui nous donne tout par amour. Là se trouve aussi la vraie et profonde humilité, qui est l'huile pour nourrir le feu et la lumière dans le coeur de l'épouse du Christ. Où pourrais-tu trouver un plus grand amour, puisque tu vois qu'il a sacrifié sa vie pour toi? Où rencontrer jamais un plus grand abaissement que de voir Dieu humilié jusqu'à l'homme, et l'Homme-Dieu courir jusqu'à la mort honteuse de la Croix? Cette humilité confond l'orgueil, les délices, les grandeurs du monde. Cette bonne petite vertu est la nourrice de la charité.

5. Alors l'âme devient l'épouse de son Epoux, et elle est introduite dans la chambre où se trouvent la table, la nourriture et le serviteur. La chambre est la divine Essence où se nourrissent les Bienheureux. Là on goûte le Père, qui est la table, le Fils, qui est la nourriture, et l'Esprit-Saint, qui est le serviteur [1573]; et l'âme se nourrit et se rassasie véritablement de l'éternelle vision de Dieu. Non, il ne faut plus dormir; il faut secouer le sommeil des délices du monde, et suivre ton bien-aimé Jésus. Ne compte pas sur le temps, que tu n'es pas sûre d'avoir; il disparaît bien vite, et quand nous croyons vivre, la mort vient nous surprendre. Celui qui est sage ne perd pas le temps qu'il a pour celui qu'il n'a pas. Réponds donc généreusement à Dieu, qui t'appelle, et n'écoute pas ta mère, ta soeur, ton frère, ni aucune créature qui voudrait t'arrêter; tu sais que pour cela nous ne devons pas leur obéir, car notre Sauveur a dit: " Celui qui ne renonce pas à son père, à sa mère, à sa soeur, à ses frères (Mt 10,37 Lc 14,26) et à lui-même (Lc 14,26 Mt 16,24 Mc 8,34 Lc 9,23), n'est pas digne de moi. " Il faut donc renoncer au monde et à soi-même pour suivre l'étendard de la très sainte Croix. Je ne t'en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Je te dis, ma Fille, que si tu veux être l'épouse véritable de ton Créateur, il faut quitter la maison de ton père, et te préparer à venir quand le lieu sera terminé; il est commencé, et on y travaille à force; c'est le monastère de Sainte-Marie-des-Anges, à Belcaro (Ce monastère avait été fondé par une donation de Nanni de Vanni, que sainte Catherine avait converti. Grégoire XI avait autorisé son établissement. - Vie de sainte Catherine, IIe p., ch.VII.). Si tu le fais, tu entreras dans la terre promise. Je ne te dis rien de plus. Que Dieu te remplisse de sa très douce grâce [1574].







Catherine, Lettres 68