Catherine, Lettres 354

354

Lettre n. 336, A MADAME PENTELLA

CCCXXXVI.- A MADAME PENTELLA, servante de Dieu, mariée à Naples.- De l'amour des souffrances, et de l'honneur que nous devons à Dieu.- Des épreuves dans le mariage.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie et parfaite lumière. Cette lumière vous fera connaître la vérité; en la connaissant vous l'aimerez, et vous verrez la voie qu'il vous faut prendre. Voyons quelle est cette voie et cette vérité, comment nous pourrons la suivre, et pourquoi nous devons la suivre. Jésus crucifié est notre voie, et il est la vérité, la vie. N'a-t-il pas dit: " Je suis la voie, la vérité, la vie?" (Jn 14,6) Celui qui suit cette voie, c'est-à-dire qui suit en doctrine et ses traces, suit la voie de la vérité; et celui qui suit la voie de la vérité reçoit en lui la vie de la grâce. Quel moyen l'âme doit-elle prendre pour marcher dans cette voie? quel moyen Notre-Seigneur a-t-il pris lui-même? Le voici. Lui qui était et qui est la lumière, il regarda la volonté du Père, et cette volonté voulait, pour nous sanctifier, manifester son éternelle vérité. La vérité était qu'il avait créé l'homme pour lui donner la vie éternelle et le faire jouir du souverain Bien; mais, à cause du péché [1602] commis, cette vérité ne s'accomplissait pas en nous; Il fallait pour l'accomplir, détruire la faute; Dieu voulut à la fois détruire la faute et accomplir sa vérité dans l'homme; et alors cette vérité contraignit le Père, et, à cause de l'amour ineffable qu'il avait pour nous et pour Sa vérité, il nous donna la vérité du Verbe, son Fils, qu'il revêtit de notre humanité, afin qu'il pût avec elle, par ses souffrances, satisfaire pour nos fautes, et accomplir ainsi an vérité en nous.

2. Lorsque le Verbe, le doux Fils de Dieu, eut reçu cette grande tâche de son Père, il courut, plein d'amour, à la mort honteuse de la très sainte Croix; et en accomplissant l'obéissance, il accomplit la vérité. Nous avons été rétablis par lui dans la grâce, pourvu que, de notre côté, nous ne nous y opposions pas par nos fautes et nos misères. Ce doux Verbe savait que sans souffrir il ne pouvait nous rendre la vie, et il s'est passionné pour les peines, il s'est rassasié d'opprobres; il a choisi comme vêtement les injures, la faim, la soif, les mépris, les outrages; et le péché lui a tant déplu, que, quoiqu'il n'y eût pas en lui la moindre tache, il l'a puni sur son corps; et il a tant aimé les vertus, qu'il les a mûries dans son sang. Cet arbre de vie a produit pour nous des fruits de vertu; car, après la rédemption que nous avons reçue par son sang, le fruit des vertus nous profite pour la vie éternelle. Qu'a cherché le Verbe, et de quoi s'est-il affligé? Il a cherché l'honneur de son Père et notre salut, et il s'est plus affligé de l'offense qui était faite et du malheur qui suivait l'offense, que de sa propre peine. Nous voyons qu'il a plus gémi de la damnation de Judas que de sa trahison [1603].

3. Voici la douce voie qu'il nous a enseignée et que nous devons suivre. Si vous me dites: Il était le vrai Fils de Dieu, et il pouvait agir ainsi; mais moi, je suis faible, et je ne le puis pas: regardez les saints qui l'ont suivi, ils étaient soumis à la même faiblesse. Ils ont été conçus, élevés et nourris de la même manière que nous, et cependant, avec le secours de Dieu, Ils ont tous suivi généreusement cette voie, et le secours qu'ils ont eu, nous pouvons l'avoir, si nous le voulons. Mais, parce que nous croyons ne pas le pouvoir, nous ne le faisons pas; dans notre aveuglement, nous ne connaissons pas et nous ne nous appliquons pas à connaître dans as doctrine, l'éternelle Vérité, et cela parce que nous ne voulons pas; car, si nous le voulions, avec la haine véritable, du vice et avec l'amour de la vertu, nous résisterions à la sensualité, et nous ne chercherions pas à la satin. faire par nos complaisances et nos faiblesses de femme, mais nous nous lèverions avec une sainte haine; nous détruirions en nous la volonté propre, et nous embrasserions la Croix avec un ardent et saint désir.

4. Nous nous réjouirions de nous voir foulés aux pieds par le monde, et notre gloire serait de souffrir sans l'avoir mérité. C'est là le signe le plus certain qui montre si le serviteur de Dieu a ou n'a pas la lumière, pour connaître la vérité, O douce vie, combien tu es délicieuse pour l'âme qui t'a goûtée, en se perdant et en se renonçant elle-même! Cette connaissance la fait courir, morte à toute volonté prou et, comme elle est morte, rien ne lui fait plus guerre, car c'est de la volonté seulement que vient la [1604] guerre. Les tribulations et les persécutions du monde ne lui sont point amères; elles sont même la joie et la consolation du vrai serviteur de Dieu; plus il souffre, plus il est content, et lorsqu'il voit le monde avoir pour lui quelque respect et quelque estime, il s'en afflige, parce qu'il craint que Dieu ne veuille le récompenser en cette vie du peu de bien qu'il fait, et parce qu'il voudrait ressembler à Jésus crucifié et suivre ses traces. Il ne se plaint pas de celui qui lui fait injure, et il ne voudrait pas être privé de ce qu'on lui fait souffrir; mais ce qui l'afflige, c'est l'offense de Dieu et la, perte de l'âme de son prochain: aussi il ne cesse de penser à lui devant Dieu avec un grand désir, et d'offrir pour lui d'humbles et continuelles prières.

5. Pourquoi le fait-il? parce que dans la lumière et la doctrine de Jésus crucifié, il a connu la vérité, et parce qu'avec cette lumière, il a vu ce qu'il devait faire. L'âme doit répondre au démon et à sa fragilité, qui veulent combattre contre la raison et la vertu. Je ne puis vous écouter, mais je dois servir mon Créateur de tout mon coeur, de toute mon âme, de toutes mes forces, et je dois le lui montrer en souffrant. Pourquoi? parce que c'est un commandement auquel je suis obligé d'obéir. Outre le commandement, je dois le faire par reconnaissance, parce que tu as reçu gratuitement l'existence et toutes les grâces qui y sont ajoutées: et quand même je n'en aurais pas reçu le commandement, je devrais le faire à cause des grâces reçues, car je ne veux pas être oublieuse ingrate après tant de bienfaits. Je veux rendre ce qui ne m'appartient pas, car je travaille avec ce qui [1605] est à mon Créateur, et c'est avec cela que je m'acquitte envers Dieu; je ne lui donne rien qui m'appartienne, mais je lui rends ce que je dois lui rendre.

6. Oh! combien est digne de châtiment le serviteur mercenaire qui veut prendre ce qui n'est pas à lui! Il sera sévèrement condamné par le souverain Juge et par sa conscience, parce qu'il doit honorer Dieu et se mépriser lui-même. Pourquoi est-il coupable et digne de châtiment? parce qu'il est tenu de servir fidèlement, sans avoir égard à sa propre consolation, au plaisir qu'il y trouve, ou à l'approbation des créatures; et, comme il est obligé de rendre gloire et honneur à son nom, ses services mercenaires ne pourront jamais lui faire remplir ses devoirs comme il le devrait. Admettons que Dieu soit glorifié; il n'en serait pas de même de notre côté, et l'éternelle Vérité ne s'accomplirait pas en nous; car elle nous a créés et fait renaître à la grâce dans le Sang pour nous donner la vie éternelle. Aussi l'âme voit à la lumière la dette qu'elle a contractée, et en même temps elle voit qu'elle a été aimée de Dieu, et que toutes les grâces spirituelles et temporelles qu'elle a reçues lui ont été données par amour; elle se sent forcée de répondre à Dieu, de faire comme il a fait, et de ne pas quitter les traces de Jésus crucifié.

7. Il est vrai que nous ne pouvons rendre un amour gratuit à Dieu, car il nous a aimés avant que nous fussions, et nous, nous sommes obligés de l'aimer. Mais l'âme, lorsqu'elle est éclairée par la lumière, prend le moyen que Dieu lui a donné pour s'acquitter; elle aime le prochain d'un amour désintéressé, et, quelque soit la peine qu'il lui cause, les reproches [1606] qu'elle en reçoit, et l'ingratitude dont il paie ses services, elle ne se rebute jamais, parce que la lumière l'a rendue constante et persévérante, à l'exemple de l'humble Agneau, qui ne s'est laissé arrêter ni par les tourments ni par les Juifs, qui lui criaient: " Descends de la Croix, et nous croirons en toi; " (Mt 27,42 Mc 15,32) ni par notre ingratitude; mais il est resté constant et persévérant jusqu'au dernier instant où il remit l'humanité, qu'il avait reçue pour épouse, entre les mains de son Père éternel, en disant: In manus tuas, etc. L'âme, de même, triomphe par la lumière de la malice et des ruses du démon quand il veut la tromper sous de spécieux prétextes. Elle ne veut pas descendre de la Croix de son douloureux et saint désir, malgré les cris des Juifs, c'est-à-dire des démons, qui emploient, mille moyens pour la faire descendre, tantôt sous prétexte de ne pas offenser Dieu, tantôt sous l'apparence de la justice, en voulant faire reconnaître au prochain toute son ingratitude.

8. Quelquefois ils veulent renverser l'âme en lui faisant désirer la mort de son prochain, sous prétexte d'avoir plus de paix et de repos dans l'esprit; et le démon lui donne tant de raisons, ce désir insensé s'incarne tellement en elle, que personne ne peut l'en ôter, parce que son aveuglement, sa sensualité, et l'antipathie qu'elle éprouve l'empêchent de voir et de connaître la vérité; et en cela elle est bien opposée à la volonté de Dieu, qui ne veut pas la mort du pêcheur, mais, au contraire, qu'il se convertisse et qu'il vive (Ez 33,11). Nous devons souhaiter aux créatures la vie spirituelle et corporelle, pour les voir vivre dans la grâce, et pour que Dieu donne au [1607] pécheur le temps de se convertir, afin qu'il ne meure pas dans les ténèbres du péché mortel. C'est là le désir de celle qui voit à la lumière qu'elle doit rendre au prochain l'amour désintéressé qu'elle ne peut rendre à Dieu; avec cette lumière, elle foule aux pieds l'esclavage de la sensualité. Ce n'est pas as peine, c'est l'offense de Dieu qu'elle considère lorsqu'une créature, un époux, si vous le voulez, ne la traite pas comme femme, mais comme esclave, lorsqu'un fils ne la reconnaît pas pour mère, et une servante pour maîtresse. Quelle que soit la personne qui veuille l'opprimer, elle ne se plaint pas; elle souffre tout avec résignation, elle supporte son injure avec une parfaite patience; mais elle gémit de l'outrage fait à Dieu, et demande pour ses créatures, non pas la mort, mais la vraie lumière. Tels sont les saints désirs d'une âme éclairée.

9. Il me semble, très chère Soeur, que vous avez besoin, d'une semblable lumière dans votre position; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais voir en vous la vraie et parfaite lumière, afin que vous connaissiez la véritable voie que vous devez prendre, comment et pourquoi vous la devez suivre. Vous connaîtrez ainsi la ruse et la malice du démon, qui enchaîne votre âme en vous faisant follement désirer la mort de quelqu'un, et en vous la faisant désirer si vivement, que personne ne peut vous ôter ce désir. Ce n'est pas là servir Dieu, mais servir le monde et le démon. Quelle vertu pourrait prendre racine dans une âme semblable? On pourrait y voir des actes de vertu, mais des vertus, jamais. Combien de misères se montrent dans ce désir insensé! On y voit le poison [1608] de l'orgueil et de sa propre estime; car, si l'âme n'en était pas infectée, elle croirait plus aux autres qu'à elle-même, elle ne serait pas sans respect et sans docilité à l'égard de son Père spirituel; elle l'écouterait, au contraire, elle lui obéirait lorsqu'il lui montre que ce désir n'est pas véritablement selon Dieu, mais qu'il vient directement du démon et de sa passion sensuelle; lorsqu'il lui prouve que son amour pour le prochain et pour Dieu est intéressé, et qu'elle n'a qu'une patience pleine de mépris et de haine, de cette haine qu'elle ne devrait pas avoir contre la créature, mais contre la faute seulement. Et ensuite que de murmures, de faux jugements, de blasphèmes et de maux. Il serait bien difficile de les raconter. Aussi, très chère Soeur, sortons de cet aveuglement, et prenons la résolution de suivre Dieu en vérité, de l'aimer entièrement et sans partage, de l'aimer généreusement comme il doit l'être, sans penser à vous, et en le suivant dans la voie de la Croix, ne voulant pas souffrir à votre manière, mais à la sienne, aimant votre prochain comme vous-même (Mt 22,39 Mc 12,21 Lc 27), désirant voir en lui ce que vous voulez voir en vous. Offrez pour lui vos larmes, vos humbles et continuelles prières, à la lumière de la Foi, et soyez bien persuadée que tout ce que Dieu donne et permet, il le fait pour votre salut; et vous souffrirez avec une humilité sincère, une patience parfaite, vous jugeant digne de la peine, et indigne du fruit qui vient après la peine.

10. Voyez si vous êtes sage vous-même! Ne faites-vous pas plus mal encore avec la chair, votre esclave et le libre arbitre, votre époux, qui s'unit volontairement à cette esclave, pour maltraiter et avilir avec [1609] elle la raison, qui est la maîtresse? Certainement si. Vous devez donc plus haïr cette injustice, qui est en vous-même, que cette esclave et ce mari, qui sont hors de vous; car ceux-ci n'affligent que votre corps avec leurs injures et leurs mauvais traitements, tandis que ceux-là frappent votre Ame, incomparablement plus noble que votre corps; toute la noblesse du corps vient de l'âme1 et l'âme vient de Dieu. Vous devez donc vous appliquer avec zèle à l'honorer, en veillant à ce que vous avez de plus noble, et en tournant toute votre haine contre vous-même. Faites en sorte que cette haine soit mortelle, c'est-à-dire, désirez toujours la mort de votre propre volonté, afin que vive toujours en vous l'éternelle volonté de Dieu. Baignez-vous, anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié, qui vous fera aimer Dieu et les créatures purement, et faites en sorte que ce qui a été jusqu'à présent n'existe plus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour [1610].






353

Lettre n. 337, A MADAME CATELLA

CCCXXXVII.- A MADAME CATELLA, à madame Cecia, appelée Planula, et à madame Catherine Dentice, de Naples.- De la nourriture des anges et de la nourriture des bêtes.- Comment elles se prennent, et quels effets elles produisent.



(Cette lettre a beaucoup de rapport avec la CCVe que sainte Catherine adressait à la soeur Eugénie, sa nièce, au monastère de Montepulciano.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chères Soeurs et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir goûter la nourriture des Anges, car vous n'êtes pas faites pour autre chose; et afin que vous puissiez la goûter, Dieu vous a rachetées avec le sang de son Fils (1P 1,18-19). Mais pensez, très chères Filles, que cette nourriture ne se prend pas sur la terre, c'est-à-dire avec un amour terrestre, mais en haut. C'est pour cela que le Fils de Dieu a été élevé sur le bois de la très sainte Croix, afin qu'avec lui et sur cette table sacrée, nous puissions prendre cette nourriture. Vous me direz: Qu'est-ce cette nourriture des anges? Je vous répondrai: C'est le désir affectif de l'âme qui attire à soi le désir de Dieu, et de ces deux désirs, il ne se fait plus qu'une seule et même chose. Cette nourriture, pendant [1611] le pèlerinage de cette vie, prend le parfum des vraies et solides vertus. Ces vertus sont préparées au feu de la charité divine et prises sur la table de la très sainte Croix, c'est-à-dire en souffrant les peines et les épreuves par l'amour de la vertu, en résistant à la sensualité; et, de cette manière, l'âme ravit par la force et la violence le royaume qui est appelé le ciel, parce que Dieu habite en elle par la grâce Cette nourriture rend l'âme semblable aux anges; aussi elle est appelée la nourriture des anges. Lorsque l'âme, séparée du corps, goûte Dieu dans son essence, il la rassasie tellement, qu'elle ne désire et ne peut désirer autre chose que de posséder plus parfaitement et d'augmenter cette nourriture. Elle hait tout ce qui lui est contraire; et alors elle regarde avec prudence à la lumière de la très sainte Foi, qui éclaire l'oeil de son intelligence, ce qui lui est nuisible et ce qui lui est utile; et, selon ce qu'elle a vu, elle a de l'amour ou de la haine, elle déteste la sensualité et la foule aux pieds de l'affection, avec tous les vices qui en procèdent. Elle fuit toutes les causes qui peuvent l'incliner au mal ou empêcher sa perfection; elle réduit la volonté propre, qui est le principe de tout mal, et la soumet au joug de la sainte obéissance aux commandements de Dieu.

2. Tous les chrétiens sont obligés à cette obéissance; mais il y en a beaucoup qui se soumettent à l'obéissance religieuse dans un Ordre, et c'est une plus grande perfection. Quand l'âme est véritablement obéissante, non seulement aux commandements de Dieu et à l'obéissance d'un Ordre, mais encore à toute créature pour Dieu, elle fuit et retranche toute [1612] complaisance humaine, et se glorifie uniquement dans les opprobres et les souffrances de Jésus crucifié. Les injures, les mauvais traitements, les mépris, les outrages ont pour elle la douceur du lait, et elle s'y plaît pour être semblable au Christ, son Epoux. Elle renonce à la conversation des créatures, parce que souvent elles sont des obstacles entre nous et notre Créateur; elle se réfugie dans la cellule de la connaissance d'elle-même et dans la cellule véritable. Je vous invite, mes Biens-Aimées, à rester dans la cellule de la connaissance de vous-mêmes, où nous trouvons ce désir affectif de Dieu pour nous, e dans la cellule véritable pour y veiller et y persévérer dans une humble et fidèle prière, détachant votre coeur de la créature et des choses créées, n'aimant rien en dehors de Dieu, et vous revêtant de Jésus crucifié. Autrement vous prendriez cette nourriture sur la terre, et je vous ai dit qu'il ne fallait pas la prendre sur la terre. Pensez que le doux Epoux Jésus ne veut aucun obstacle entre lui et l'âme, son épouse; il est très jaloux, et dés qu'il verrait que nous aimons quelque chose en dehors de lui, il s'éloignerait de nous, et nous deviendrions dignes de manger la nourritures des bêtes. Et ne leur deviendrons-nous pas semblables? Nous prendrions la nourriture des bêtes, si nous abandonnions le Créateur pour les créatures et les choses créées, le Bien infini pour les choses finies et éphémères, qui passent comme le vent, la lumière pour les ténèbres, la vie pour la mort, Celui qui nous revêt du soleil de justice avec l'agrafe de l'obéissance et les perles de la. foi, de l'espérance et de la charité parfaite, pour celui [1613] qui nous en dépouille au contraire. Ne serions-nous pas bien insensés de nous séparer de Celui qui nous donne une pureté de plus en plus parfaite, à mesure que nous nous approchons de lui, pour ceux qui répandent l'infection du vice et qui souillent nos coeurs et nos âmes? Que Dieu les éloigne de nous dans son infinie miséricorde.

3. Pour que cela ne puisse jamais arriver, gardons-nous de la conversation coupable des personnes qui. mènent une vie débauchée; soyons fermes et prudentes, avec nous-mêmes et veillons avec une ardente charité aux besoins de notre prochain; nous montrerons par là que nous portons dans notre coeur, Jésus crucifié. Je dis donc que l'âme qui se nourrit de la nourriture des anges a vu à la lumière que l'amour et les conversations des créatures en dehors du Créateur sont des obstacles qui privent de cette nourriture; aussi elle les fuit avec un grand zèle, et elle aime, elle recherche ce qui la fait croître et persévérer dans la vertu. Et parce qu'elle voit qu'on goûte mieux cette nourriture au moyen de la prière faite avec la connaissance de soi-même, elle s'y applique continuellement, et fait tous ses efforts pour se rapprocher de Dieu.

4. Il y a trois sortes de prières. La première est la prière continuelle, c'est-à-dire le saint et continuel désir, qui prie toujours en présence de Dieu dans tout ce que fait la créature, car ce désir dirige sans cesse vers son honneur, toutes nos oeuvres spirituelles et temporelles c'est pourquoi on l'appelle la prière continuelle. Le glorieux saint Paul en parle lorsqu'il dit: " Priez sans cesse" (1Th 5,17). La seconde prière [1614] est la prière vocale, qu'on fait lorsqu'on récite l'office ou quelque autre prière; c'est une préparation pour arriver à la troisième, qui est la prière mentale; et l'âme y arrive, quand l'esprit s'exerce avec prudence et humilité à la prière vocale. Lorsque ses lèvres parlent, son coeur ne doit pas s'éloigner de Dieu, mais elle doit s'appliquer à fixer et à affermir son coeur dans la charité divine. Quand elle sent que son esprit est visité de Dieu, c'est-à-dire quand elle éprouve un certain attrait à penser à Dieu, elle doit abandonner la prière vocale pour se livrer à l'amour de Dieu, dont elle goûte la présence; et si son attrait cesse, elle doit reprendre la prière vocale, afin que l'esprit. soit toujours occupé, et jamais vide. Si dans la prière nous éprouvons beaucoup de combats et de ténèbres qui troublent notre esprit, et si le démon veut nous persuader que notre prière n'est pas agréable à Dieu, à cause de ces combats et de ces ténèbres, nous ne devons pas cesser, mais au contraire persévérer avec courage, en pensant que le démon agit de la sorte pour nous faire quitter la prière qui est une mère pour nous, et que Dieu le permet pour éprouver notre force et notre constance. Dans les combats et les batailles nous connaissons notre néant, et dans notre bonne volonté nous connaissons la bonté de Dieu, qui donne et conserve les bonnes et saintes résolutions, et qui ne les refuse jamais à ceux qui le veulent.

5. L'âme parvient ainsi à la troisième et dernière prière, qui est la prière mentale, où elle reçoit la récompense des peines qu'elle a souffertes dans la. prière vocale imparfaite. Alors elle goûte le lait de la [1615] prière fidèle; elle s'élève au-dessus des sens; son esprit purifié s'unit à Dieu par l'amour, et, à la lumière de l'intelligence, elle voit, elle connaît et se revêt de vérité. Elle est devenue la soeur des anges; elle reste avec son Epoux à la table d'un ardent désir, aimant à chercher l'honneur de Dieu et le salut des âmes, parce qu'elle voit bien que pour cela l'éternel Epoux a couru à la mort honteuse de la Croix pour accomplir les ordres de son Père et notre salut. Ainsi la prière est bien vraiment une mère qui, dans la charité de Dieu, conçoit les vertus et les enfante dans la charité du prochain. Où trouverez-vous la lumière qui vous guidera dans la voie de la vérité? dans la prière. Ou montrerez-vous l'amour, la foi, l'espérance et l'humilité? dans la prière. Et, si vous n'aimez pas, vous ne ferez pas ces choses; mais la créature qui aime veut s'unir à ce qu'elle aime par le moyen de l'oraison c'est là qu'elle expose ses besoins, parce qu'elle se connaît, et cette connaissance est le fondement de la vraie prière. Elle voit sa misère, elle se sent entourée d'ennemis, du monde avec ses Injures, du démon avec ses tentations, de la chair, qui combat l'esprit et se révolte contre la raison. Elle voit qu'elle n'a pas l'être elle-même, et qu'elle ne peut se guérir; et alors elle court avec foi à Celui qui est (Ex 3,14), qui sait, peut et veut la secourir dans toutes ses nécessités; elle l'implore avec espérance, et attend son secours.

6. C'est ainsi que veut être faite la prière pour obtenir ce que nous désirons; et, de cette manière, les choses justes que nous demanderons à la Bonté divine, ne nous seront pas refusées; mais, en agissant autrement [1616], nous en retirerons peu de fruit. Où sentirons. nous l'odeur de l'obéissance? dans la prière. Où nous dépouillerons-nous de l'amour-propre, qui nous rend impatients? dans le temps dès injures et des peines. Ou nous revêtirons-nous de l'amour divin, qui nous rendra patients et nous fera nous glorifier dans la Croix de Jésus crucifié? dans la prière. Où sentirons-nous le parfum de la continence, de la pureté, la faim du martyre, qui nous dispose à donner notre vie pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes? dans cette mère si douce, dans la prière. Elle nous fera observer les saints commandements de Dieu; elle mettra ses conseils dans notre esprit et notre coeur, et y imprimera le désir de les suivre jusqu'à la mort. Elle nous éloignera de la société des créatures, et nous donnera celle du Créateur. La prière emplit le vase de notre coeur avec le sang de l'humble Agneau sans tache et le couvre de feu, car il a été répandu avec un ardent amour. Il est vrai que l'âme reçoit et goûte plus ou moins parfaitement les avantages de la prière, selon qu'elle se nourrit de la nourriture des anges, c'est-à-dire du saint désir de Dieu, s'élevant, comme nous Pavons dit, pour le prendre sur la table de la très sainte Croix, mais pas autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir vous nourrir de la nourriture des anges; car vous ne pourrez pas avoir d'une autre manière la vie de la grâce et être les vraies Servantes de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

7. J'ai reçu votre lettre, qui m'a causé beaucoup de joie, parce que je désirais beaucoup avoir de vos [1617] nouvelles, et parce que vous m'en donniez en peu de mots, de très bonnes. Je veux parler du retour de la lumière dans ce pays. Le coeur de Pharaon s'est adouci. La Reine s'était montrée bien endurcie jusqu'à présent; elle s'était séparée de son chef, du Christ de la terre, pour s'unir à l'Antéchrist, au membre du démon; elle poursuivait la vérité, et exaltait le mensonge. Grâces, grâces soient rendues à notre Sauveur, qui a éclairé son coeur par la force ou par l'amour, et qui a fait en elle des choses admirables (Ces bonnes dispositions de la reine Jeanne ne durèrent pas, et elle retomba dans le schisme.). Réjouissez-vous et soyons dans l'allégresse; appliquons-nous an saint exercice dont, nous avons parlé, et purifions souvent notre conscience par la Confession et par la Communion à toutes les fêtes solennelles, afin que, fortifiée dans votre pèlerinage, vous courriez généreusement à la table de la Croix, par la doctrine de l'humble Agneau, pour prendre la nourriture des anges, et faire briller en vous les stigmates de Jésus crucifié. Baignez-vous dans son précieux sang. Je me recommande instamment à notre Sauveur. Doux Jésus, Jésus amour [1618].






151

Lettre n. 338, A MADAME NELLA

CCCXXXVIII.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- De la charité envers Dieu, d'où naît la patience, et de la lumière de la Foi nécessaire pour acquérir la charité.

(Cette dame était la mère des trois frères Buonconti, disciples de sainte Catherine, qui l'accompagnèrent dans son voyage d'Avignon. (Voir la lettre CCXLVII.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience, car autrement nous ne pourrons pas plaire à Dieu, et en cette vie nous goûterons les arrhes de l'enfer. O vraie et douce Patience! tu es cette vertu qui n'est jamais vaincue, mais toujours victorieuse. Toi seule tu montres si l'âme aime ou non son Créateur; tu nous donnes l'espérance de la grâce, tu détruis la haine et la rancune du coeur, tu éloignes le dégoût du prochain, et tu délivres l'âme de la peine. Par toi, le fardeau des nombreuses tribulations devient léger, l'amertume devient douce. En toi, Patience, royale vertu acquise par les mérites du sang de Jésus crucifié, nous trouvons la vie. O très chère Mère, parmi toutes les vertus, celle-là est la plus nécessaire, car nous ne passons pas cette mer du [1619] monde sans beaucoup de tribulations. De quelque côté que nous nous tournions, ses flots orageux nous poursuivent. Le démon nous attaque par de nombreuses tentations, et ce qu'il ne peut faire par lui-même, il le fait par le moyen des créatures, en se mettant sur les langues et dans le coeur de ses serviteurs. Il trompe le regard de l'intelligence. et fait voir ce qui n'est pas; il inspire des pensées et des antipathies contre le prochain, souvent contre ceux qu'on aime davantage; et, lorsque le coeur a conçu ces sentiments, il les met sur la langue et les fait enfanter par des paroles. Des paroles on arrive aux effets, et de cette manière il sépare ceux qui s'aiment, et occasionne ainsi les impatiences, la haine, la co1ère, qui nous privent de la vie de l'amour.

2. Il ne faut donc pas le croire, mais il faut monter sur le tribunal de la conscience, et y rendre la justice; il faut opposer à ces flots dangereux la haine et le mépris de vous-même, en ouvrant l'oeil de votre intelligence, et en connaissant la bonté de Dieu et son éternelle volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Il permet que le démon nous attaque et que les hommes nous persécutent, afin d'éprouver en nous l'amour de la vertu et de la vraie patience, et de faire arriver de l'amour imparfait à la perfection. Car l'amour de la vertu se manifeste et se fortifie au moyen de notre prochain. Il faut aimer Dieu pour Dieu, parce qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté, véritablement digne d'être aimée. Il faut s'aimer et aimer le prochain pour Dieu, et non pour l'intérêt ou pour le plaisir qu'on y trouve. Mais parce que la créature est créée et aimée par la [1620] souveraine Bonté, il faut lui rendre les services que nous ne pouvons rendre à Dieu lui-même, Ce que nous ne pouvons faire pour Dieu, nous devons le faire pour notre prochain. C'est ainsi que se manifeste la perfection de l'amour; et quand l'amour est parfait, il ne cesse jamais d'aimer et de servir, malgré les injures qu'on lui fait, les ennuis qu'on lui cause, parce qu'il ne cherche à plaire qu'à Dieu seulement. C'est dans ce but que Dieu nous accorde toutes les tribulations que nous avons. Le démon, au contraire, n'agit que pour nous éloigner de la charité; mais si nous gommes prudents, nous combattrons les intentions du démon, et nous suivrons la douce volonté de Dieu; nous nous opposerons aussi au monde, qui nous persécute de tout son pouvoir. Il est bien peu ferme et durable; il est si pauvre, qu'il ne pourrait satisfaire notre coeur. Toutes les choses du monde sont moindres que nous; elles sont faites pour notre service, et nous sommes faits pour Dieu. Il faut donc servir Dieu seul de tout notre coeur, de toute notre affection (Mt 22,37 Mc 12,30 Lc 10,27), parce qu'il est le bien qui apaise et rassasie notre coeur.

3. Puisque cette patience est si utile et si nécessaire, il faut l'acquérir. Mais comment l'acquérir? Je vous le dirai; avec la lumière, en ouvrant l'oeil de l'intelligence, en reconnaissant son néant, et en attribuant tout ce qu'on est à l'ineffable charité de Dieu. On connaît sa bonté, qui nous a donné l'être et toutes les grâces qu'il y a ajoutées. Et lorsqu'on a vu que Dieu nous a ainsi aimés, on voit encore que par amour, il nous a donné le Verbe son Fils unique, ce Fils qui nous a donné la vie. Et puisqu'il nous a [1621] donné la vie avec tant d'amour, nous devons être persuadés que toute peine, de quelque côté qu'elle vienne, que toutes choses, prospères ou contraires, nous sont données par amour, et non par haine, mais pour notre bien, afin de nous faire atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Nous devons voir que, quelque grande que soit la peine, elle est au fond bien petite, puisqu'elle n'est pas plus grande que le temps, et que le temps, pour nous, n'a pas plus de longueur et de largeur que la pointe d'une aiguille. Toutes nos peines sont donc petites et finies. La peine qui est passée, nous ne l'avons plus, puisque le temps s'est enfui; celle qui doit venir, nous ne l'avons pas encore, et le temps peut nous manquer pour l'avoir.

4. Après avoir vu combien est courte la peine, nous devons voir combien elle est utile. Et cela, demandez-le au doux et ardent saint Paul, qui nous dit: " Les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future que Dieu a préparée pour ceux qui le craignent et qui supportent bien avec patience les saintes épreuves que la Bonté divine leur envoie (Rm 8,18)." Celui qui le fait goûte les arrhes du ciel en cette vie par sa patience; et si notre chair, dans sa faiblesse, veut par l'impatience se révolter contre son Créateur, en refusant de souffrir, il réfléchit en lui-même et voit où doit le conduire l'impatience; car, après avoir commencé son enfer en cette vie, il arrive enfin à l'éternelle damnation. Jamais on n'a vu l'impatience éloigner la peine; elle l'augmente [1622] au contraire; car la peine est ce que la volonté la fait. Détruisez en vous la volonté propre sensitive, pour vous revêtir de la douce volonté de Dieu, et vous aurez détruit la peine. Voilà le moyen et la voie pour parvenir à la vraie et parfaite patience; et je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, de ne pas négliger ces doux et précieux moyens, alla d'acquérir la vertu de patience, car je sais combien elle est nécessaire à vous et à tout le monde. C'est parce que je connais le besoin que vous en avez, que j'ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine, Lettres 354