Sur la Trinité de Boèce Pars2 Qu.3 Art.2

Article 2: Quels sont les rapports de la foi à la religion?

Objections:

1. Il semble qu’il ne faut pas distinguer la religion de la foi, parce que, comme dit saint Augustin dans l'Enchiridion, il faut honorer Dieu par la foi, l’espérance et la charité; mais le culte de Dieu est un acte de religion, comme on le voit par la définition de Cicéron qui dit: C’est la religion qui rend un culte et des honneurs à une nature supérieure qu’on appelle divine; donc la foi appartient à la religion.

2. Saint Augustin dit de la vraie religion, que la vraie religion est celle par laquelle on honore un seul Dieu, et on le connaît par une piété sincère et une grande pureté; mais connaître Dieu appartient à la foi, donc la foi est comprise sous le nom de religion.

3. Offrir à Dieu un sacrifice est une oeuvre ou un acte de religion, mais tout cela est du domaine de la foi, parce que dit saint Augustin dans son livre De Civitate Dei [La cité de Dieu], le véritable sacrifice est toute oeuvre faite dans le but de nous établir dans une sainte société avec Dieu. Or la première union de Dieu avec l’homme s’opère par la foi. Donc la foi appartient principalement à la religion.

4. Saint Jean (Jn 4,24), dit, "Dieu est esprit et ceux qui l’adorent doivent le faire en esprit et en vérité:" Or on adore Dieu plus parfaitement en lui soumettant son intelligence qu’en lui soumettant son corps; mais on lui soumet l’intelligence par la foi en se soumettant d’une manière absolue à admettre tout ce qui est dit de Dieu, donc la foi appartient surtout à la religion.

5. Toute vertu qui a Dieu pour objet est une vertu théologique ; mais la religion a Dieu pour objet, car elle n’offre qu’à Dieu un culte légitime, donc c’est une vertu théologique; mais elle semble plus appartenir à la foi qu’à toute autre vertu, parce qu’on ne regarde comme étant en dehors de la religion que ce qui est hors de la foi; donc la religion paraît être la même chose que la foi.



Cependant (Sed contra):

Mais Cicéron contredit cette assertion dans le IIe livre de l’ancienne Rhétorique, lorsqu’il suppose que la religion est une partie de la justice qui est une vertu morale. Donc la foi étant une vertu théologique, la religion sera d’un autre ordre que la foi.

De plus la religion consiste dans des actes à l’égard du prochain, comme on le voit dans saint Jacques, (Jc 1,27): "La religion pure et immaculée auprès de Dieu et du Père éternel, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur infortune." Mais la foi n’a d’autre acte qu’à l’égard de Dieu, donc la religion est toute différente de la foi.

De plus on appelle communément religieux ceux qui se lient par certains voeux, et on ne les appelle pas seulement fidèles; donc un fidèle et un religieux ne sont pas la même chose, ni par conséquent la foi et la religion.


Réponse:

co.1. Il faut répondre qu’ainsi qu’on le voit dans saint Augustin, X, de Civitate Dei [la cité de Dieu], la théosébie, qui est appelée culte de Dieu, religion, piété et lâtrie, a le même but, c’est-à-dire le culte de Dieu. Or le culte rendu à une chose quelconque n’est autre chose qu’une opération légitime relativement à cette chose; d’après cela on dit en divers sens que l’on cultive son champ, ses parents, sa patrie, et autres choses semblables, parce qu’on diversifie ses opérations, suivant les diverses choses. Mais on ne rend pas un culte à Dieu dans ce sens que notre opération lui soit de quelque utilité ou de quelque secours, comme il arrive dans les choses précédentes, mais dans ce seul sens que nous nous soumettons à lui et que nous manifestons notre soumission. Donc ce culte de Dieu est appelé d’une manière absolue Théosébie. Mais la religion importe avec elle une certaine attache, suivant que l’homme se lie d’une certaine façon à ce culte; c’est ce qui fait dire à saint Augustin dans son Livre De vera religione [la vraie religion]: "On croit que religion vient de relier, ou de recte eligendo, bien choisir, comme il dit, livre II, ch. IV, De Civit. Dei [De la cité de Dieu]. En effet, on s’oblige par son choix à faire quelque chose. Il faut aussi choisir de nouveau ce que nous avons perdu par notre négligence, comme il dit au même endroit: C’est pourquoi ceux qui s’engagent et se lient par des voeux au culte de Dieu pour toute leur vie, sont appelés religieux.

co.2. Mais la piété se rapporte à l’esprit du fidèle qui offre une affection ni feinte, ni mercenaire. Et comme on doit un certain respect sacré aux choses qui sont au-dessus de nous, les actes de bienfaisance envers les malheureux sont comme des sacrifices à Dieu, suivant ces paroles de l’Epître aux Hébreux, (He 16): "Souvenez-vous d’exercer la charité et de faire part de vos biens aux autres, car c’est par de semblables hosties qu’on se rend Dieu favorable." C’est pour cette raison qu’on applique le nom de piété et de religion aux oeuvres de miséricorde, et surtout au bien que l’on fait à ses parents ou à sa patrie; mais la lâtrie importe l’obligation d’un culte ou une raison de culte, par la raison que nous sommes les serviteurs de celui à qui nous rendons un culte, non dans ce sens que l’on appelle l’homme serviteur de l’homme pour tout devoir accidentel, mais parce que nous devons à Dieu tout ce que nous sommes comme à notre Créateur. C’est pourquoi on appelle servitude la lâtrie, non toute espèce de lâtrie, mais celle-là seulement par laquelle l’homme est le serviteur de Dieu.

co.3. Ainsi donc la religion consiste dans l’opération par laquelle l’homme honore Dieu par un acte de soumission, et cette opération doit être convenable tant à celui qui est l’objet du culte qu’à celui qui le rend. Or, celui qui est l’objet du culte étant esprit, n’est pas accessible au corps, mais bien à l’âme seule, de cette façon son culte consiste principalement dans les actes de l’esprit qui le mettent en rapport avec Dieu, et ce sont surtout les actes des vertus théologiques. Et c’est pour cette raison que saint Augustin dit que Dieu est honoré par la foi, par l’espérance et la charité; on ajoute à ces actes ceux des dons qui se rapportent à Dieu, comme les dons de sagesse et de crainte.

Mais comme nous, qui rendons un culte à Dieu, nous sommes corporels, et acquérons nos connaissances par les sens du corps, il s’ensuit que de notre côté pour ce culte, certaines actions corporelles sont nécessaires, soit pour employer au service de Dieu tout ce que nous sommes, soit pour nous animer nous et les autres, par ces actes corporels, à la pratique des actes de l’esprit qui se rapportent à Dieu. C’est pourquoi saint Augustin dit dans son livre De cura pro mortuis habenda: Lorsqu’on prie on fait des membres de son corps ce que doivent en faire des suppliants, en fléchissant les genoux, étendant les mains, ou même en se prosternant à terre ou faisant quelque autre action visible, quoique leur volonté soit invisible et que l’intention de leur coeur soit connue de Dieu, et qu’il n’ait pas besoin de ces indices pour voir clair dans le coeur humain; mais c’est un stimulant pour l’homme qui le porte à prier et à gémir avec plus d’humilité et de ferveur;

co.4. Ainsi donc tous les actes de soumission de l’homme envers Dieu, du corps aussi bien que de l’esprit, appartiennent à la religion. Mais comme ce que l’on fait au prochain pour l’amour de Dieu est fait à Dieu lui-même, il est certain que ces oeuvres ont le même caractère de cette soumission dans laquelle consiste le culte religieux, et ainsi avec un peu d’attention on comprend clairement que tout acte bon appartient à la religion. C’est pourquoi saint Augustin dit que toute oeuvre faite dans l’intention de nous établir dans une sainte société avec Dieu, dans un certain ordre cependant, est un véritable sacrifice.

Et d’abord et surtout les actes de l’esprit qui se rapportent à Dieu appartiennent à ce culte.

En second lieu, les actes du corps faits pour les exciter on les exprimer, tels que les prostrations, les sacrifices, et autres choses de ce genre, lui appartiennent aussi;

troisièmement, à ce même culte appartiennent tous les autres actes qui regardent le prochain et qui se rapportent à Dieu.

co.5. Néanmoins, comme la magnanimité est une certaine vertu spéciale, quoiqu’elle use des actes de toutes les autres vertus, suivant la nature spéciale de son objet, comme donnant du relief à ces actes, de même la religion est une vertu spéciale dans les actes de toutes les vertus considérant la nature spéciale de son objet, à savoir ce qui est dû à Dieu, car elle est sous ce rapport une partie de la justice. Néanmoins, on attribue spécialement à la religion les actes qui n’appartiennent à aucune autre vertu, comme les prostrations et les autres choses de ce genre, qui n’appartiennent que secondairement au culte de Dieu. Il est évident par là que l’acte de foi appartient bien matériellement à la religion, comme les actes des autres vertus, et en tant qu’acte de foi, le premier mouvement de l’esprit s’adresse davantage à Dieu; mais il est distingué formellement de la religion, comme considérant son objet sous un autre rapport. De plus, la foi s’accorde aussi avec la religion, en tant qu’elle est principe et cause de la religion. En effet, personne ne se déterminerait à rendre un culte à Dieu, s’il ne savait par la foi que Dieu est le Créateur, le régulateur et le rémunérateur des actes humains. Cependant la religion n’est pas une vertu théologique, car elle a pour matière en quelque sorte tous les actes de foi ou d’autres vertus qu’elle offre à Dieu comme lui étant dus, mais elle a Dieu pour fin. En effet, rendre un culte à Dieu, c’est lui offrir ces actes comme lui étant dus.


Solutions:

Telles sont les réponses qu’il faut faire à toutes les objections.



Article 3: Est-ce avec raison que l’on appelle la vraie foi catholique on universelle?

Objections:

1. Il semble que l’on ne doit pas appeler catholique la foi chrétienne, parce que la connaissance doit être proportionnée au cognoscible. En effet, toute chose n’est pas connue par tout moyen quelconque, mais la foi est la connaissance de Dieu qui n’est ni universel ni particulier, comme le dit saint Augustin dans le livre de la Trinité. Donc on ne doit pas non plus appeler la foi universelle.

2. On ne peut avoir qu’une connaissance singulière des choses singulières; mais c’est par la foi que nous connaissons certains faits singuliers, comme la passion de Jésus-Christ, sa résurrection, et autres faits semblables; donc on ne doit pas appeler la foi universelle.

3. On ne doit pas se servir de ce qui est commun à plusieurs choses pour donner un nom propre à quelqu’une d’entre elles, parce qu’on ne donne un nom que pour faire connaître une chose; mais toute opinion ou toute secte propose sa doctrine à croire et à pratiquer à tout le monde comme universellement vraie, donc on ne peut pas appeler spécialement catholique la foi chrétienne.

4. L’idolâtrie a pénétré dans tous les coins du monde, mais on ne trouve pas encore que la foi chrétienne se soit introduite partout, puisqu’il y a des barbares qui ignorent la foi du Christ, donc l’idolâtrie a plus de droits à être appelée catholique que la foi chrétienne.

5. Ce qui ne convient pas à tous ne peut recevoir la dénomination d’universel, mais la foi chrétienne n’est pas reçue de tout le monde, donc c’est à tort qu’on l’appelle universelle ou catholique.



Cependant:

Saint Augustin dit le contraire dans son ouvrage sur la Vraie religion. Nous devons pratiquer la religion chrétienne et nous tenir unis à l’Eglise qui est catholique, et qui est appelée catholique non seulement par ses adhérents, mais même par tous ses ennemis.

L’universel et le commun semblent être la même chose, mais la foi chrétienne est appelée par l’Apôtre foi commune. Epître à Tite, (Tt 1,4): "A Titus, notre bien-aimé Fils dans la foi commune." C’est donc avec raison qu’on l’appelle catholique.

Ce qui est proposé généralement à tous les hommes doit être surtout appelé universel, mais la foi chrétienne est proposée généralement à tous les hommes, comme on le voit dans saint Matthieu, (Mt 28,19) : "Enseignez toutes les nations, etc..." Donc c’est à juste titre qu’elle est appelée catholique ou universelle.



Réponse:  

co.1. Il faut dire que la foi, comme toute autre connaissance, a une double matière, à savoir, la matière in qua, c’est-à-dire les croyants, et la matière de qua, c’est-à-dire les choses que l’on croit, et sous ce double rapport la foi chrétienne peut être appelée catholique. Et d’abord du côté des croyants, parce que l’Apôtre l’appelle la vraie foi, Epître aux Rom., (Rm 3,21) "Celle qui est attestée par la loi et les prophètes." Or, comme au temps des prophètes les diverses nations rendaient un culte à différentes divinités, et que le seul peuple d’Israël rendait au vrai Dieu le culte qui lui est dû, et qu’ainsi il n’y avait pas de religion universelle, l’Esprit saint annonça par leur organe que tous les hommes devraient pratiquer le culte du vrai Dieu. C’est pourquoi il est dit dans Isaïe, (Is 45,25): "Tout genou fléchira devant moi, et toute langue me rendra témoignage," ce qui s’accomplit par la foi et la religion chrétienne. C’est pour cela qu’elle est justement appelée catholique comme étant reçue des hommes de toute condition. Ainsi ceux qui ont abandonné cette foi, cette religion promise à tous et reçue de tout le monde pour entrer dans certaines sectes, ne sont pas appelés catholiques, mais bien hérétiques, comme séparés de communion;

co.2. on trouve aussi la vérité catholique du côté des choses que l’on croit dans la foi chrétienne. Il y avait, en effet, anciennement divers arts et moyens par lesquels on pourvoyait ou croyait pourvoir aux divers besoins des hommes. Quelques-uns plaçaient le bien de l’homme dans les seuls avantages corporels, dans les richesses, les honneurs ou les voluptés; d’autres dans les seuls biens de l’âme, comme dans les vertus morales ou intellectuelles; d’autres, comme dit saint Augustin dans le livre De Civ. Dei [la cité de Dieu], pensaient qu’il fallait rendre un culte aux dieux pour les biens corporels de cette vie, et d’autres à cause des biens de l’autre vie. Porphyre supposait même avec quelques païens de Thélès que la partie imaginative de l’âme était épurée, mais non l’âme tout entière, et il disait, comme saint Augustin dans la Cité de Dieu, qu’il ne s’était pas encore trouvé une seule secte possédant tous les moyens de procurer la liberté de l’âme.

co.3. Or, c’est ce que fait la religion chrétienne, comme le dit saint Augustin au même endroit. En effet, elle enseigne qu’il faut rendre un culte à Dieu non seulement pour les biens éternels, mais aussi pour les biens temporels, et elle dirige l’homme non seulement dans les choses spirituelles, mais encore dans l’usage des choses corporelles, et elle promet le bonheur de l’âme et du corps. Aussi ses règles sont appelées universelles, parce qu’elles embrassent et règlent la vie entière de l’homme, et tout ce qui le concerne sous tous les rapports: Boèce lui attribue ces deux caractères d’universalité, comme on le voit dans le texte.



Solutions:

Il faut donc répondre à la première objection que, quoique Dieu ne soit en lui-même ni universel, ni particulier, il est néanmoins la cause et la fin universelle de toutes choses; et ainsi la connaissance qu’on en a est d’une certaine façon universelle sous tous les rapports.

A la seconde il faut dire que la foi regarde ces faits particuliers comme les moyens universels pour racheter et délivrer tout le genre humain.

A la troisième il faut dire que les autres sectes s’efforcent de revendiquer ce qui est propre à la foi chrétienne, sans pouvoir y réussir, aussi la dénomination d’universalité ne leur convient pas en propre.

A la quatrième il faut dire que l’idolâtrie n’était pas une religion, mais qu’elle était différente chez les divers peuples, puisque chaque peuple s’était fait des dieux particuliers. Et ensuite elle n’était pas pratiquée par toutes les nations, puisqu’elle était réprouvée par les adorateurs du vrai Dieu, et même par les sages païens qui disaient qu’un pareil culte devait être pratiqué pour obéir aux lois, mais non pour plaire aux dieux, comme saint Augustin le dit de Sénèque dans le livre de la Cité de Dieu.

  A la cinquième il faut dire que la foi chrétienne n’est pas appelée catholique pour chaque chose des genres, mais pour les genres de chaque chose, parce qu’elle eut des adhérents parmi les hommes de toute condition.



Article 4: Est-ce la profession de la vraie foi de dire que le Père, le Fils, le Saint Esprit sont Dieu chacun de leur côté, et que tous trois ne sont qu’un seul Dieu, sans aucune différence?

Objections:

1. Il semble que ce n’est pas un article de la foi catholique que le Père, le Fils et le Saint Esprit sont un seul Dieu, parce que, comme dit Boèce lui-même, la pluralité des dieux suit l’inégalité; mais l’Ecriture catholique, qui est le principe de la religion catholique, comme le dit saint Augustin, De vera religione, suppose qu’il y a inégalité entre le Père et le Fils, comme on le voit par ce qui a été dit dans saint Jean, (Jn 14,28), de la personne du Fils: "Le Père est plus grand moi;" donc cet article de la foi catholique n’est pas un article de foi.

2. Dans la Ire Epître aux Corinth., (1Co 15,28): "Quand tout lui sera soumis, au Fils, alors le Fils lui-même lui sera soumis," au Père, "lui qui a tout rangé sous son autorité;" ainsi même conclusion que ci-dessus.

3. La prière ne convient qu’à l’inférieur vis-à-vis de son supérieur; mais le Fils prie pour nous, Epître aux Rom., (Rm 8,34): "Jésus-Christ qui intercède pour nous;" de même le Saint Esprit au même endroit: "L’Esprit saint prie pour nous avec des gémissements ineffables." Donc le Fils et le Saint Esprit sont inférieurs au Père, suivant la foi catholique ; ainsi même conclusion que ci-dessus.

4. Dans saint Jean, (Jn 17), le Fils dit en parlant au Père: "Afin qu’ils vous connaissent, vous qui êtes le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé;" Donc le Père seul est vrai Dieu, et non le Fils et le Saint Esprit; donc il paraît que ce sont des créatures; ainsi même conclusion que ci-dessus.

5. Dans la Ire Epître à Timothée, (1Tm 6,15-16), le Christ, "que doit faire paraître en son temps celui qui est souverainement heureux, qui est le seul puissant, le Roi des rois, et le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l’immortalité et habite une lumière inaccessible;" donc toutes ces choses ne conviennent qu’au Père, et ainsi même conclusion que ci-dessus.

6. Il est dit dans saint Marc, (Mc 13,32): "Nul ne connaît ce jour et cette heure, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, il n’y a que le Père qui en a la connaissance." Donc la science du Père est plus grande que celle du Fils, donc son essence est supérieure aussi; ainsi même conclusion que ci-dessus.

7. On lit dans saint Matthieu, (Mt 20,23): "Il ne m’appartient pas de vous accorder l’honneur d’être assis à ma droite ou à ma gauches mais bien à ceux que mon Père y a destinés;" donc le Fils n’est pas égal au Père en puissance, donc etc…

8. Dans l’Epître aux Col., (Col 1,15), il est dit du Fils, qu’il est "le premier né de toute créature," mais on n’établit de comparaison qu’entre les choses de même genre, donc le Fils est une créature.

9. Il est dit dans l'Ecclés (Si 24,14), de la personne de la sagesse divine: "J’ai été créée dès le commencement et avant tous les siècles;" ainsi même conclusion que devant.

10. 10° Celui qui est glorifié est inférieur à celui qui glorifie; mais le Fils est glorifié par le Père, comme on le voit dans saint Jean, (Jn 12,28). Donc le Fils est inférieur au Père.

11. 11° Celui qui envoie est supérieur à celui qui est envoyé, mais le Père envoie le Fils, comme on le lit dans l’Epître aux Galates, (Ga 4,4): "Dieu a envoyé son Fils;" il envoie aussi l’Esprit Saint, S. Jean, (Jn 14,26) : "L’Esprit consolateur que mon Père enverra en mon nom." Donc le Père est supérieur au Fils et au Saint-Esprit. Donc l’article dont il est fait mention ne paraît pas appartenir à la foi catholique.



Cependant:

Mais on lit le contraire dans saint Jean, (Jn 1,1): " Le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, et tout a été fait par lui, etc..." Il résulte de ces paroles que le Fils est éternel, autrement il n’eût pas existé au commencement, qu’il est égal au Père, autrement il ne serait pas Dieu, qu’il n’est pas créature, autrement toutes choses n’auraient pas été faites par lui.

Le Fils étant la vérité n’a pas menti en parlant de lui-même; mais le Fils disait qu’il était égal au Père, saint Jean, (Jn 5,18): " Il appelait Dieu son Père, s’égalant à Dieu," donc il est égal au Père.

Dans l’Epître aux Philip., (Ph 2,6): "Il n’a pas cru commettre d’usurpation en s’égalant à Dieu; or ce serait une usurpation s’il l’eût pensé sans l’être, donc il est égal à Dieu.

Saint Jean, (Jn 10,30): " Mon Père et moi nous ne faisons qu’un" et saint Jean, (Jn 14,10): "Je suis dans mon Père et mon Père est en moi," donc l’un n’est pas plus grand que l’autre.

De même dans l’Epître aux Rom., (Rm 9,5): "Desquels est sorti le Christ, qui est Dieu au-dessus de tout et béni dans tous les siècles." Donc nul n’est supérieur à lui, et ainsi il n’est pas inférieur au Père.

I° Epître de saint Jean, (1Jn 5,20): "il nous a donné l’intelligence afin que nous connaissions le vrai Dieu et que nous soyons en son vrai Fils." Celui-ci est vrai Dieu, et la vie éternelle, donc il n’est pas inférieur au Père.

Ce qui est dit aux Philip., (Ph 3,3), suivant le texte grec,"nous sommes les vrais circoncis, puisque nous servons Dieu en esprit," prouve que l’Esprit saint est vrai Dieu et égal au Père, et ces paroles s’entendent du culte de lâtrie, comme on le voit dans le grec; or un tel culte n’est dû à aucune créature. Dans le Deutér., (Dt 6), et saint Matthieu, (Mt 4,11), on lit, "vous adorerez le Seigneur votre Dieu et vous ne servirez que lui seul." Donc l’Esprit saint n’est pas une créature.

Les membres du Christ ne peuvent être le temple d’un être qui lui soit inférieur, mais "nos corps qui sont les membres du Christ," suivant l’Apôtre," sont le temple du Saint Esprit," comme il est dit dans la Ire Epître aux Corinth., (1Co 6,19). Donc l’Esprit saint n’est pas inférieur au Christ, ni par conséquent au Père. Ainsi il est bien vrai que c’est la doctrine catholique, comme le dit l’auteur.



Réponse:

co.1. Il faut dire que la doctrine des Ariens qui établit une inégalité dans les personnes divines n’est pas un article de la foi catholique, mais bien plutôt une impiété païenne, ce que l’on peut montrer ainsi. Chez les païens toutes les substances immortelles étaient appelées dieux. Or parmi ces substances les Platoniciens plaçaient trois personnes principales, comme on le voit dans saint Augustin, De Civit. Dei [La cité de Dieu], livre X. Et dans Macrobe sur le songe de Scipion, à savoir un Dieu créateur de toutes choses qu’ils appelaient Père pour cette raison seule que tout venait de lui; une certaine substance inférieure qu’ils appelaient l’esprit ou l’intelligence du Père, contenant les idées de toutes choses, et ils disaient qu’elle avait été faite par Dieu le Père. Après cela ils admettaient une âme du monde, comme l’esprit de vie du monde entier. Ils appelaient ces trois substances les trois divinités principales, et les trois principes, auteurs de la purification des âmes.

co.2. Origène adoptant l’enseignement platonicien, pensa qu’il fallait formuler l’article de la foi sur cette matière, puisqu’il est dit "il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel », saint Jean, (1Jn 5,7-8), de la même manière que les Platoniciens avaient établi trois personnes principales. C’est pourquoi il enseigna que le Fils est une créature inférieure au Père dans le livre intitulé Periarchon, c’est-à-dire des principes, comme on le voit dans saint Jérôme dans une Epître sur les erreurs d’Origène. Et après que ce dernier eut enseigné à Alexandrie, Arius puisa son erreur dans ses écrits; c’est pour cela que saint Epiphane dit qu’Origène a été le père d’Arius. L’erreur d’Arius est donc aussi contraire à la foi catholique que celle des païens qui, reconnaissant les créatures comme des dieux, leur rendaient un culte de lâtrie. C’est le reproche que leur fait l’Apôtre dans l’Epître aux Romains, (Rm 1,25), en disant, "qu’ils ont rendu un culte et des hommages plutôt à la créature qu’au Créateur."



Solutions:

Il faut répondre à la première objection que, comme le dit saint Augustin, livre II. De Trinitate, dans la sainte Ecriture une chose se dit de trois manières du Père et du Fils. Certaines choses montrent l’unité de substance et l’égalité des personnes comme, "mon Père et moi ne faisons qu’un." Certaines autres choses montrent le Fils comme inférieur à cause de la forme d’esclave par laquelle il s’est abaissé au dessous de lui-même suivant ce passage de l’Epître aux Philippiens, (Ph 2,7): "Il s’est anéanti lui-même en revêtant la forme de l’esclave." Il y a d’autres choses qui le montrent ni inférieur ni égal, mais seulement comme Fils du Père, comme a dit saint Jean, (Jn 5,26): "Comme le Père a la vie en lui-même, de même il a voulu que le Fils la possédât aussi en lui-même." Or les premiers passages viennent en aide aux catholiques pour la défense de la vérité. Mais les choses qui se disent de la seconde et de la troisième manière dans l’Ecriture ont été employées, mais bien vainement, par les hérétiques pour confirmer leur erreur. En effet ce qui est dit du Christ selon la nature humaine ne doit pas être rapporté à sa divinité, autrement il s’ensuivrait qu’il est mort comme Dieu, tandis que cela n’est dit de lui que comme homme. De même on ne peut montrer par là que le Fils est inférieur au Père, "parce que le Fils a reçu du Père tout ce que possède le Père," comme on lit dans saint Jean, (Jn 16,15), et dans saint Matthieu, (Mt 11,27). C’est pourquoi on peut établir par là l’ordre d’origine et non l’inégalité dans la divinité. En conséquence ce qui est dit, "le Père est plus grand que moi," est dit du Fils selon l’humanité, et suivant saint Augustin ou suivant saint Hilaire selon la divinité, de sorte que la supériorité n’importe pas l’inégalité, parce que le Fils n’est pas inférieur au Père, lui à qui a été donné un nom au-dessus de tout autre nom, mais bien l’autorité de principe sous ce rapport que le Fils tient du Père ce qui le rend égal au Père.

A la seconde il faut répondre que non seulement le Père a tout soumis au Fils, mais encore qu’il s’est soumis lui-même suivant ce passage de l’Epître aux Philippiens, (Ph 3,2): « Par cette vertu efficace par laquelle il peut s’assujettir toutes choses," c’est-à-dire suivant la divinité, parce qu’il est égal au Père. C’est pourquoi lorsqu’on dit que le Fils sera soumis, on ne compare pas le Fils au Père selon la divinité, mais bien selon l’humanité du Fils relativement à la divinité du Père qui est commune à toute la Trinité. Il paraîtra surtout soumis comme homme à la nature divine, quand cette nature sera parfaitement connue, non de cette sujétion que disent les hérétiques par laquelle la nature humaine revêtue par la nature divine passe dans la nature divine, mais selon que le Fils est inférieur au Père par l’humanité, ce qui se verra surtout lorsqu’il livrera au Père son royaume, c’est-à-dire les fidèles, non en les adjoignant à lui-même, mais en les amenant à la contemplation du Père, et sa divinité se verra aussi par cette contemplation.

A la troisième il faut dire que suivant saint Augustin, livre III. De Trinitate, Le Fils prie à raison de ce par quoi il est inférieur au Père et exauce avec le Père à raison de ce par quoi il est égal à lui; mais le Saint Esprit est dit intercéder en tant qu’il nous fait prier, et donne de l’efficacité à nos prières.

A la quatrième il faut dire que, suivant saint Augustin, livre VI. De Trinitate, un seul vrai Dieu ne doit pas s’entendre seulement du Père, mais en même temps du Père et du Fils et du Saint Esprit qui sont appelés un seul vrai Dieu, parce qu’il n’y a point de vrai Dieu hors cette Trinité. C’est pourquoi il faut entendre ainsi ce passage, "afin qu’ils vous connaissent vous, mon Père, et Jésus-Christ que vous avez envoyé," qu’il n’y a qu’un seul vrai Dieu; il ne dit rien du Saint-Esprit, parce que comme il est le lien des deux autres personnes, il est compris dans les deux.

A la cinquième il faut répondre que, suivant saint Augustin, livre I. De Trinitate, cette parole ne doit pas s’entendre de la seule personne du Père, mais de toute la Trinité; en effet, toute la Trinité est heureuse et puissante, toute la Trinité représente aussi le Fils. Si néanmoins il avait dit, que montrera le Père heureux et seul puissant, etc., le Fils ne serait pas exclu pour cela comme le Père ne l’est pas par ce qui est dit dans l’Eccles., (Si 24,8) de la personne du Fils, qui est la sagesse de Dieu, "j’ai parcouru seule toute la circonférence du ciel;" et cela parce que dans ce qui concerne l’essence, le Père et le Fils sont absolument le même. Par conséquent ce qui est dit de l’un par une distinction exclusive ne regarde pas l’autre, mais seulement les créatures.

A la sixième il faut dire que le Fils connaît ce jour et cette heure non seulement selon la nature divine, mais aussi selon la nature humaine, parce que son âme connaît tout. Or on dit qu’il ne connaît pas ce jour, comme dit saint Augustin, livre I. De Trinit., parce que il ne nous le fait pas connaître. C’est pourquoi il dit à ce sujet à ceux qui le lui demandaient: "Ce n’est pas à vous de connaître, etc., (Ac 1,7). Dans le même sens que l’Apôtre dit dans la I° Epître aux Corinth., (1Co 2,2): "Je n’ai point fait profession de savoir autre chose parmi vous, etc…," par la raison qu’il n’avait pas voulu leur faire connaître d’autres choses qu’ils étaient incapables de comprendre. Ou bien il faut entendre cela du Fils non dans la personne du chef, mais dans celle des membres : l’Eglise ne le sait pas, comme dit saint Jérôme. Or par cela que le Père est dit connaître, on le dit aussi du Fils suivant la règle ci-dessus.

A la septième il faut dire que, comme le dit saint Augustin, De Trinit., il faut expliquer ainsi cette parole: "Il ne m’appartient pas de vous donner," c’est-à-dire il n’appartient pas à la puissance humaine de donner cela, afin qu’il soit entendu qu’il donne ce par quoi il est Dieu et égal au Père.

A la huitième il faut dire que, suivant saint Augustin, livre I. De Trinit., les hérétiques ne comprenant point ce passage de l’Apôtre, se laissent aller souvent à rabaisser le Fils de Dieu, disant et soutenant qu’il est une créature, sans considérer la valeur des termes. En effet il est dit premier-né et non premier créé, afin qu’on le regarde comme engendré selon la nature divine qu’il possède, et le premier à raison de la perpétuité. Or, quoique le Fils ne soit pas du genre des créatures, il a néanmoins, suivant saint Basile, quelque chose de commun avec les créatures, à savoir qu’il reçoit du Père; mais il a cette qualité d’une manière plus éminente que les créatures, par sa nature qu’il tient du Père, et à cause de cela on peut noter l’ordre qui existe entre la génération du Fils et la production des créatures.

A la neuvième il faut répondre que ces mots et autres semblables sur la sagesse de Dieu doivent être rapportés à la sagesse créée, comme les anges, ou au Christ lui-même comme homme. On dit qu’il a été créé dès le commencement ou au commencement comme prédestiné de toute éternité à revêtir la nature créée.

10° A la dixième il faut dire comme saint Augustin, livre II. De Trinit., que de ce que le Père glorifie le Fils, le Fils n’est pas pour cela inférieur, autrement il serait aussi inférieur au Saint Esprit, parce que le Fils dit du Saint Esprit: Il me glorifiera (Jn 16,14). Cette glorification ne veut pas dire qu’il s’opère quelque chose dans la personne du Fils, mais bien ou dans la connaissance des hommes, dans ce sens que glorifier c’est rendre sa connaissance plus claire, ou dans le corps qu’il a revêtu par rapport à la gloire de la résurrection.

11° A la onzième il faut dire que le Fils et le Saint Esprit sont dits envoyés par le Père, non qu’ils fussent où ils n’étaient pas auparavant, mais en quelque manière envoyés où ils n’étaient pas auparavant, ce qui ressemble à certains effets dans la créature. C’est pourquoi par cela que le Fils et le Saint Esprit sont dits envoyés par le Père, il ne faut pas entendre une inégalité dans la Trinité, mais un ordre d’origine par lequel une personne vient de l’autre. C’est pourquoi le Père n’est pas envoyé parce qu’il ne vient pas d’un autre, comme tenant d’un autre son efficience par rapport à cet effet suivant lequel une personne divine est envoyée.



Sur la Trinité de Boèce Pars2 Qu.3 Art.2