Sur la Trinité de Boèce Pars2 Qu.3 Art.4


QUESTION 4: LA PLURALITÉ EN ELLE-MÊME


On établit ensuite une question sur ce qui appartient à la cause de la pluralité; et à ce sujet on demande quatre choses:

Si l’altérité est la cause de la pluralité.

Si la variété des accidents constitue une diversité numérique.

Si deux corps peuvent être, ou être conçus existants dans le même lieu.

Si la variété du lieu produit quelque chose relativement à la différence numérique.



Article 1: L’altérité est-elle la cause de la pluralité?

Objections:

1. Il paraît que l’altérité n’est pas la cause de la pluralité. En effet, comme il est dit dans l’Arithmétique de Boèce, tout ce qui est constitué dans la nature semble être formé par la nature des nombres. Ce fut là le principal modèle dans l’esprit du fabricateur souverain. Et cela s’accorde avec ce qui est dit dans la Sagesse, (Sg 11,21): "Vous avez tout disposé avec nombre, poids et mesure." Donc la pluralité ou le nombre est la première chose parmi les choses créées, et il n’en faut pas chercher de cause.

2. Ainsi qu’il est dit dans le livre De Causis, la première des choses créées est l’esse, mais l’être se divise primairement par l’unité et la multiplicité, donc dans la multitude il n’y a d’antérieur à l’esse que l’être et l’unité, il n’est donc pas vrai que quelque chose en soit la cause.

3. Ou la pluralité embrasse tous les genres suivant qu’elle est en opposition avec l’unité laquelle est convertible avec l’être, ou elle est dans le genre de la quantité suivant qu’elle est condivisée avec l’unité qui est le principe du nombre. Mais l’altérité est dans le genre de la relation. Or les relations ne sont pas les causes des quantités, c’est tout le contraire: bien moins encore la relation est-elle la cause de ce qui est dans tous les genres, parce qu’elle serait de cette manière cause de la substance. Donc l’altérité n’est en aucune manière la cause de la pluralité.

4. Les causes des contraires sont contraires elles-mêmes. Mais l’identité et l’altérité ou diversité sont opposées, donc elles ont des causes opposées; mais l’unité est la cause de l’identité, comme ou le voit dans le livre V. de la Métaphysique; donc la pluralité ou multitude est la cause de la diversité : donc l’altérité n’est pas cause de la pluralité.

5. Le principe de l’altérité est une différence accidentelle, car ces différences produisent l’alterum suivant Porphyre; mais on ne trouve pas une différence accidentelle, ni même une différence quelconque dans toutes les choses où est la pluralité. Car il y a des choses qui ne peuvent être sujettes aux accidents, comme les formes simples, d’autres qui ne s’accordent en rien. C’est pourquoi on ne peut pas les appeler différentes, mais diverses, comme on le voit dans Aristote livre X. de la Met., donc l’altérité n’est point la cause de toute pluralité.



Cependant:

 Saint Damascène dit contrairement à cela que la division est la cause du nombre; mais la division consiste dans la diversité ou l’altérité, donc la diversité ou l’altérité sont le principe de la pluralité.

De plus, Isidore dit que le nombre est ainsi appelé comme le signe du nombre ou de la division; et ainsi même conclusion que ci-dessus.

De plus la pluralité ne se constitue qu’en s’éloignant de l’unité, mais une chose ne s’éloigne de l’unité que par la division, puisqu’on appelle une chose par la raison qu’elle n’est pas divisée, comme on le voit, livre X. de la Met.; donc la division constitue la pluralité. Ainsi même conclusion qu’auparavant.



Réponse:

co.1. Il faut dire avec Aristote dans le livre X. de la Métaphysique, une chose est appelée plurielle par la raison qu’elle est divisible ou divisée. C’est pourquoi il faut regarder comme cause de la pluralité tout ce qui est cause de division. Or la cause de division doit être prise dans les choses postérieures, et les choses composées autrement que dans les choses premières et les choses simples; car dans les choses postérieures et les choses composées la cause de la division comme formelle, c’est-à-dire à raison de laquelle se fait la division, est la diversité des choses simples et des choses premières ce qui se voit dans la division de la quantité. En effet une partie de la ligne est séparée de l’autre parce qu'elle a une position différente, ce qui est comme la différence formelle de la quantité continue ayant une position. On le voit aussi dans la division des substances. L’homme, en effet, est séparé de l’âne parce qu’il a diverses différences constitutives. Mais la diversité qui sépare les choses postérieures et composées des choses plus antérieures et plus simples présuppose la pluralité des choses premières et simples. En effet, l’homme et l’animal ont diverses différences par cette raison que le raisonnable et le non raisonnable ne sont pas une, mais plusieurs différences. Et on ne peut pas toujours dire qu’il y a une autre diversité de cette pluralité, une cause plus antérieure et plus simple, car se serait ainsi se perdre dans l’infini.

co.2. L’auteur par conséquent apprend à assigner d’une autre manière la cause de la pluralité et de la division des choses premières et simples. En effet, ces choses sont divisées en elles-mêmes: or il ne peut se faire que l’être soit séparé de l’être, en tant qu’être; car il n’y a d’opposé à l’être que le non être. De même tel être n’est différent de tel autre que parce qu’il y a dans l’un la négation de l’autre. C’est pourquoi les propositions négatives sont immédiates dans leurs premiers termes, comme si la négation de l’un se trouvait dans l’intellect de l’autre. Le premier effet produit aussi la pluralité avec la cause en ce qu’il ne l’atteint pas. C’est pour cela que quelques-uns ont prétendu que la pluralité était produite dans un certain ordre par l’unité elle même, de sorte que de l’unité procède d’abord un qui avec la cause constitue la pluralité, et duquel deux peuvent déjà procéder, l’un suivant lui-même, l’autre suivant son union avec la cause. Ce que nous ne sommes pas obligés de dire, puisqu’une chose peut être primairement imitée dans une autre en laquelle l’autre en diffère, et différer dans une autre en laquelle l’autre est imitée. Ainsi il peut se rencontrer plusieurs effets premiers dans chacun desquels se trouve et la négation de la cause, et la négation de l’effet de l’autre suivant le même objet, ou suivant une distance plus éloignée dans un même objet.

co.3. Ainsi donc l’on voit que la raison première ou le principe de la pluralité ou de la division vient de l’affirmation et de la négation, de sorte que l’on conçoit cet ordre de l’origine de la pluralité dans ce sens qu’il faut entendre d’abord l’être et le non-être qui constituent les premières choses séparées, où il y a pluralité par ce moyen. C’est pourquoi, comme le premier être, en tant qu’indivis, se trouve un tout d’abord (statim), de même après la division de l’être et du non-être on trouve tout de suite la pluralité des premières choses simples. Or la raison de la diversité découle de cette pluralité suivant que la vertu de sa cause demeure en elle, c’est-à-dire la vertu de l’opposition de l’être et du non-être. En effet, une chose diverse de plusieurs est dite comparée à une autre, parce qu’elle n’est pas cette chose. Et comme la cause seconde ne produit d’effet que par la vertu de la cause première, il s’ensuit que la pluralité des principes ne produit pas la division et la pluralité dans les choses secondes composées, si ce n’est en tant que demeure en elle la vertu de l’opposition première qui existe entre l’être et le non-être, d’où elle tire la raison de la diversité; de cette manière la diversité des premières fait la diversité des secondes.

co.4. Et en vertu de cela se trouve vrai ce que dit Boèce, que l’altérité est le principe de la pluralité. Car la pluralité se trouve dans certaines choses par la raison qu’il y a diversité dans ces choses. Or quoique la division précède la pluralité des choses premières, il n’en est pas de même de la diversité, ne demande pas l’un et l’autre esse des choses condivisées, la division se faisant par l'affirmation et la négation. Mais la diversité demande que l’un et l’autre soit être. Aussi présuppose t-elle la pluralité. C’est pourquoi il ne peut se faire en aucune manière que la diversité soit la cause de la pluralité des choses premières, à moins que la diversité ne soit prise pour la division. Boèce parle donc de la pluralité des composés, ce qui est clair par la raison qu’il déduit la preuve des choses qui sont diverses par le genre, l’espèce ou le nombre, ce qui ne se trouve que dans les composés. En effet il montre que tout ce qui est d’un genre est composé du genre et de la différence. Or il y a conséquemment composition pour ceux qui disent que le Père et le Fils sont des Dieux inégaux, en tant qu’ils prétendent qu’ils s’accordent en ce qu’ils sont Dieu, et qu’ils diffèrent en ce qu’ils sont inégaux.



Solutions:

Il faut donc répondre à la première difficulté qu’il est établi dans ces paroles que le nombre passe avant les autres choses créées, comme les éléments ou autres choses semblables, mais non avant les autres intentions comme l’affirmation, la négation ou la division et autres choses semblables. Néanmoins tout nombre n’est pas avant toutes les choses créées, mais bien le nombre qui est cause de toutes choses, à savoir Dieu lui-même qui, suivant saint Augustin, est le nombre qui donne son espèce à toute chose.

A la seconde il faut dire que la pluralité, communément parlant, suit l’être immédiatement. Néanmoins il n’est pas nécessaire que ce soit toute pluralité : Ce n’est donc pas un tort que la pluralité des choses postérieures soit causée par la diversité des premières.

A la troisième il faut répondre que comme un et multiple ne sont pas des choses propres d’un seul genre, il en est ainsi de même et divers: ce sont les passions de l’être en tant qu’être; ce n’est donc pas sans raison que la diversité de quelques-uns cause la pluralité des autres.

A la quatrième il faut répondre qu’une pluralité quelconque précède toute diversité, non toute pluralité, mais seulement quelqu’une en particulier. C’est pourquoi ces deux choses sont vraies, à savoir que la multitude fait la diversité, communément parlant, comme dit Aristote, et que la diversité produit la pluralité dans les choses composées, comme dit Boèce dans cet endroit.

A la cinquième il faut dire que Boèce prend l’altérité pour la diversité qui est constituée par quelques différences, soit accidentelles, soit substantielles. Or les choses qui sont diverses et non différentes sont les premières dont Boèce ne dit rien ici.



Article 2: La variété des accidents constitue t-elle une diversité numérique?

Objections:

1. Il semble que la variété des accidents ne peut pas être la cause de la pluralité suivant le nombre. Aristote dit, en effet, livre V. de la Métaphysique, que les choses dont la matière est une sont numériquement unes. Donc les choses, dont les matières sont multiples, sont aussi numériquement multiples. Donc la diversité des accidents ne fait pas la diversité dans le nombre, mais bien plutôt la diversité de la matière.

2. Aristote dit dans le livre IV. de la Métaphysique, que dans les choses la cause de la substance et de l’unité provient de la même chose; mais les accidents ne sont pas la cause de la substance dans l’individu, ils ne le sont donc pas de l’unité, ils ne le sont pas non plus par conséquent de la pluralité suivant le nombre.

3. Tous les accidents, puisqu’ils sont des formes, sont d’eux-mêmes communicables ou communs et universels. Mais rien de semblable ne peut être pour une autre chose une cause ou un principe d’individuation. Donc les accidents ne peuvent être un principe d’individuation; mais quelques-uns sont divers suivant le nombre, en tant qu’ils sont divisés dans leur individuation. Donc les accidents ne peuvent être divisés selon le nombre.

4. Comme les choses, qui diffèrent dans le genre de la substance, diffèrent par le genre ou l’espèce relativement à la substance et non pas seulement par rapport à l’accident, de même aussi les choses qui diffèrent suivant le nombre. Mais il est certaines choses qui sont dites diverses dans le genre ou l’espèce par ce qui est dans le genre de la substance et non suivant les accidents. Donc elles sont dites également diverses en nombre suivant ce qui est dans le genre de la substance et non suivant les accidents.

5. En détruisant la cause on détruit aussi l’effet, mais il arrive que tout accident est exclu du sujet par l’acte ou par la pensée. Si donc l’accident était le principe de la pluralité suivant le nombre et de la diversité, il arriverait que les mêmes choses seraient quelquefois une suivant le nombre, et quelquefois diverses par l’acte et par la pensée.

6. Ce qui est postérieur n’est jamais la cause de ce qui est antérieur; mais parmi les accidents la quantité occupe la première place, comme le dit Boèce dans le livre Praedica. Or parmi les quantités c’est le nombre qui est le premier, puisqu’il est plus simple et plus abstrait. Donc il est impossible que quelque autre accident soit le principe de la pluralité suivant le nombre.

Cependant (Sed contra):

Contrairement à cela, Porphyre dit que l’individu est constitué par la collection des accidents qui ne peuvent se trouver dans un autre : mais ce qui est le principe de l’individuation est aussi le principe de la pluralité suivant le nombre. Donc les accidents sont le principe de la pluralité suivant le nombre.

De plus dans l’individu on ne trouve que la matière, la forme et les accidents; mais la diversité de la forme ne fait pas la diversité suivant le nombre, mais bien suivant l’espèce, comme il est dit au Xe livre de la Métaphysique. Au contraire la diversité suivant le genre est produite par la diversité de la matière. Car Aristote dit dans le livre X. de la Métaphysique, que les choses qui n’ont pas une matière commune ni une génération réciproque diffèrent par le genre. Donc la seule diversité suivant les accidents peut produire la diversité suivant le nombre.

De plus ce qui se rencontre de commun dans plusieurs choses différentes d’espèces n’est pas une cause de diversité suivant le nombre, parce que la division du genre en ses espèces précède la division de l’espèce en individus. Mais il se trouve une matière commune dans des choses diverses suivant l’espèce, parce que la même matière est soumise à des formes contraires, autrement les choses qui ont des formes contraires n’admettraient pas une transmutation réciproque. Donc la matière n’est pas un principe de diversité suivant le nombre pas plus que la forme, comme nous en avons dit d’abord quelque chose. Il ne reste donc plus qu’à dire que les accidents sont cause de cette diversité.

De plus dans le genre de la substance on ne trouve rien que le genre et la différence, mais les individus d’une même espèce ne diffèrent pas par le genre, et n’ont pas des différences substantielles. Donc il n’y a entre eux que des différences accidentelles.



Réponse:

co.1. Pour comprendre clairement cette question et toutes les autres qui se trouvent dans le texte, il faut considérer quelle est la cause de cette triple diversité qui est assignée dans le texte. Comme dans un individu composé il n’y a que trois choses dans le genre de la substance, à savoir la matière, la forme et le composé, il est nécessaire de trouver dans quelqu’une de ces choses les causes de ces diversités. Il faut donc savoir que la diversité suivant le genre se ramène à la diversité de la matière, et la diversité suivant l’espèce à la diversité de la forme, mais la diversité suivant le nombre se ramène en partie à la diversité de la matière et en partie à la diversité de l’accident. Or le genre étant un principe de cognition, comme première partie de la définition, et la matière étant inconnue en elle-même, on ne peut pas tirer d’elle la diversité de genre en elle-même, mais seulement suivant la manière dont elle est cognoscible. Or elle l’est de deux manières;

Premièrement par analogie ou par comparaison à la forme, comme il est dit dans le premier livre de la Physique, c’est-à-dire comme si nous disions qu’il y a ici de la matière ou que la matière se rapporte aux choses naturelles comme le bois au lit.

Secondement elle est connue par la forme par laquelle elle a l’être en acte. Chaque chose, en effet, est connue suivant qu’elle est en acte, et non suivant qu’elle est en puissance, comme il est dit au livre IX de la Métaphysique.

co.2. Suivant cela on prend une double diversité de genre d’après la matière, l’une d’après la diverse analogie à l’égard de la forme, et c’est ainsi que en raison de la matière se distinguent les premiers genres des choses. En effet, ce qui est dans le genre de la substance se compare à la matière, comme à une partie de lui-même; tandis que ce qui est dans le genre de la quantité n’a point de matière comme partie de soi, mais lui est comparé comme mesure, et la qualité comme disposition. Et au moyen de ces deux genres tous les autres genres entrent en participation des diverses comparaisons à la matière qui est une partie de la substance, dont la substance tire sa qualité de sujet suivant qu’elle est comparée aux accidents. La diversité du genre est prise de la seconde manière en raison de la matière, suivant que la matière est perfectionnée par la forme. Et la matière étant une puissance pure et Dieu un acte pur, le perfectionnement de la matière en acte n’est autre chose que la participation, bien qu’imparfaite, à quelque similitude de l’acte premier; de sorte, par exemple, que ce qui est déjà composé de matière et de forme soit un milieu entre la puissance pure et l’acte pur.

co.3. Or la matière ne reçoit pas également de toute part la similitude de l’acte premier, mais imparfaitement de certaines choses, plus parfaitement d’autres, par la raison que certaines choses participent à la similitude divine les unes comme subsistant, d’autres comme vivant, d’autres comme connaissant, d’autres enfin comme concevant. Donc la similitude du premier acte existant dans toute matière est la forme, mais une semblable forme ne produit en certaines choses que l’esse, dans d’autres l’être et la vie, et ainsi des autres un seul et même. La similitude est moins parfaite et plus encore. On trouve donc quelque chose de commun dans l’une et l’autre similitudes qui se suppose dans l’une à l’imperfection et dans l’autre à la perfection, comme la matière était supposée à l’acte et à la privation. Par conséquent la matière prise en même temps que cette chose commune est encore matérielle par rapport à la perfection et à l’imperfection dont nous venons de parler,
co.4. et le genre se tire de cette matérialité, et la différence de la perfection et de l’imperfection ci-dessus. Comme de cette commune matérialité qui est avoir la vie se tire tel genre qui est corps animé. De la perfection, surajoutée se tire cette différence, sensible, et de l’imperfection cette différence, insensible. Et ainsi la diversité de ces choses matérielles produit la diversité de genre, comme de l’animal avec la plante. C’est pour cela qu’on dit que la matière est le principe de la diversité suivant le genre, et par la même raison la forme est le principe de la diversité suivant l’espèce, parce que c’est de ces formalités qui ont des matérialités surajoutées d’où se tirent les genres par comparaison de la forme à la matière, que se tirent les différences constitutives des espèces.

co.5. Il faut savoir néanmoins que ce matériel, ainsi qu’est pris le genre, ayant en soi la forme et la matière, le logicien ne considère le genre que du côté de ce qui est formel. C’est pourquoi ses définitions sont appelées formelles. Mais le naturaliste considère le genre sous les deux rapports. Aussi il arrive quelquefois qu’une chose communique dans le genre sous le rapport logique et ne communique pas sous le rapport naturel. Il arrive en effet quelquefois que ce qu’une chose prend de la ressemblance du premier acte dans telle matière est différente de ce qu’elle prend sans matière, ou de ce qu’elle prend dans une autre matière tout à fait différente. Comme on voit que la pierre dans la matière qui est suivant la puissance à l’être atteint à ce qu’elle subsiste, comme y atteint le soleil suivant la matière qui est dans la puissance ad ubi et non ad esse, comme l’ange dégagé de toute matière. C’est pourquoi le logicien trouvant dans toutes ces choses ce d’où il tirait le genre, met toutes ces choses dans un seul genre de substance. Le naturaliste au contraire et le métaphysicien qui considèrent tous les principes des choses, ne trouvant pas de convenance dans la matière, disent qu’elles diffèrent dans le genre, suivant ce qui est dit au dixième livre de la Métaphysique, que ce qui est corruptible et ce qui est incorruptible diffèrent de genre et que les choses qui ont une même matière et une génération réciproque, appartiennent au même genre.

co.6. On voit donc ainsi comment la matière produit la diversité dans le genre, et la forme la diversité dans l’espèce. Il faut considérer la diversité entre des individus de même espèce suivant ce que dit Aristote livre VII de la Métaphysique que de même que les parties du genre et de l’espèce sont la matière et la forme, de même aussi les individus sont telle matière et telle forme. C’est pourquoi de même que la diversité de la matière ou de la forme produit d’une manière absolue la diversité dans le genre ou l’espèce, de même aussi telle matière ou telle forme produit la diversité numérique. Or nulle forme comme forme n’est telle d’elle-même. Or je dis comme forme, à cause de l’âme rationnelle qui est en quelque sorte d’elle-même telle chose, mais non en tant que forme. Or l’intellect est apte à attribuer à plusieurs choses, toute forme susceptible d’être reçue dans quelque chose comme dans la matière ou dans un sujet, ce qui est contre la nature de ce qui est telle chose. C’est pourquoi la forme est rendue telle par ce qui est reçu dans la matière. Mais comme la matière considérée en elle-même est indistincte, elle ne peut individuer la forme reçue en elle, si ce n’est à raison de ce qu’elle est distinguible de soi. En effet, une forme n’est individualisée par ce qui est reçu dans la matière qu’en tant qu’elle est reçue dans telle ou telle matière, distincte et déterminée, ad hoc et nunc. Or la matière n’est divisible que par la quantité. C’est pourquoi Aristote dit dans le Ier livre de l’Ethique, qu’en faisant disparaître la quantité, la substance demeure indivisible. C’est pourquoi la matière devient telle et caractérisée comme se trouvant sous des dimensions.

co.7. Or ces dimensions peuvent être considérées de deux manières:

Suivant leur limitation, et je dis qu’elles sont limitées suivant les bornes de la mesure et la figure, et comme les choses parfaites elles sont placées dans le genre de la quantité : de cette manière elles ne peuvent être un principe d’individuation, parce que cette limitation de dimensions variant fréquemment dans l’individu, il s’en suivrait que l’individu ne resterait pas toujours numériquement le même.

Elles peuvent être considérées sans cette détermination dans la nature seule de la dimension, quoiqu’elles ne puissent jamais être sans une détermination quelconque, comme la nature de la couleur ne peut être sans la détermination de blanc ou de noir; et elles sont ainsi placées dans le genre de la quantité comme une chose imparfaite. C’est de ces dimensions indéterminées que résulte telle matière caractérisée. Et ainsi elle individualise la forme: c’est ainsi qu’est produite par la matière la diversité numérique dans la même espèce.

co.8. Il résulte de là que la matière considérée en elle-même n’est pas un principe de diversité suivant l’espèce, ni suivant le nombre, mais comme elle est un principe de diversité suivant le genre, en tant que soumise à une forme commune; de même aussi elle est un principe de diversité suivant le nombre, comme étant soumise à des dimensions indéterminées. Par conséquent ces dimensions étant du genre des accidents, la diversité suivant le nombre se ramène à la diversité de la matière et quelquefois à la diversité des accidents, et cela à raison des dimensions ci-dessus. Les autres accidents ne sont pas un principe d’individuation, mais ils sont le principe de cognition de la distinction des individus. Et c’est par ce mode que l’individuation est aussi attribuée aux autres accidents.



Solutions:

Il faut donc répondre à la première difficulté: que lorsque Aristote dit que les choses qui ont la même matière ont la même unité numérique, il faut entendre cela de la matière caractérisée qui est soumise à des dimensions; autrement il faudrait dire que toutes les choses générales et corruptibles ont la même unité numérique, puisque leur matière est une.

A la seconde il faut dire que les dimensions étant des accidents per se ne peuvent être le principe de l’unité individuelle de la substance; mais on entend que la matière, en tant que soumise à ces dimensions, est le principe d’une telle unité et multitude.

A la troisième il faut dire qu’il est de la condition de l’individu d’être indivis en soi et séparé des autres par une division dernière. Or nul accident, excepté la quantité, n’a en soi une raison propre de division. C’est pourquoi les dimensions ont d’elles-mêmes une certaine raison d’individuation suivant une position déterminée, en tant que la position est une différence de la quantité. De cette manière elle a une double raison d’individuation, l’une du côté du sujet, comme tout autre accident; l’autre d’elle-même en tant qu’elle a une position à raison de laquelle, par une abstraction de la matière sensible, nous imaginons telle ligne et tel cercle. Par conséquent il convient bien à la matière d’individualiser toutes les autres formes en raison de ce qu’elle est soumise à la forme qui d’elle-même a un principe d’individuation, de façon que les dimensions même limitées fondées sur un sujet déjà complet sont en quelque manière individuées par la matière individualisée elle-même par des dimensions illimitées préconçues dans la matière,

A la quatrième il faut dire que les choses qui diffèrent numériquement dans le genre de la substance, ne diffèrent pas seulement par les accidents, mais encore par la forme et la matière. Mais si l’on demande pourquoi telle forme diffère de telle autre, la seule raison c’est qu’elle se trouve dans une matière caractérisée. Et il n’y a pas non plus d’autre raison pour laquelle telle matière est séparée de telle autre, si ce n’est que c’est à cause de la quantité. En conséquence on entend que la matière soumise à une dimension est le principe de cette diversité.

A la cinquième il faut dire que cette raison procède des accidents complets qui suivent l’être de la forme dans la matière, mais non des dimensions illimitées qui sont préconçues avant la forme elle-même dans la matière, car on ne peut concevoir un individu sans ces dimensions pas plus que sans une forme.

A la sixième il faut dire que le nombre, formellement parlant, est antérieur à la quantité continue. Mais matériellement la quantité continue est antérieure, puisque le nombre résulte de la division du continu, comme il est dit dans le IVe livre de la Physique, et à raison de cela, la division de la matière suivant les divisions produit la diversité numérique.

Quant aux raisons contraires on voit clairement quelles concessions il faut faire, et quelle est la fausseté de leurs conclusions.



Article 3: Deux corps peuvent-ils être, ou être conçus existants dans le même lieu?

Objections:

1. Il semble qu’on peut concevoir l’existence simultanée de deux corps dans un même lieu. Toute proposition dont le sujet ne contient pas l’opposé du prédicat parait être intelligible, parce qu’une telle proposition n’a pas de répugnance d’intellect. Mais cette proposition, deux corps sont dans le même lieu, n’est pas de cette nature, autrement cela ne pourrait jamais s’opérer par un miracle, ce qui est évidemment faux à l’égard du corps du Sauveur qui sortit du sein fermé de Marie restée vierge et entra dans le lieu où étaient ses disciples les portes closes, LXX, (Jn 20,19). Dieu, en effet, ne peut faire que l’affirmation et la négation soient vraies en même temps, comme le dit saint Augustin contre Fauste. Donc on peut concevoir ou du moins imaginer l’existence simultanée de deux corps dans le même lieu.

2. Les corps glorifiés ne sont pas dégagés de la nature de corporéité, mais bien de la nature de corpulence; mais ils ne sont pas privés de l’avantage de pouvoir être avec d’autres dans le même lieu par le moyen de la subtilité, comme on le dit. Donc cette propriété ne suit pas la nature de la corporéité, mais bien de la corpulence ou d’une certaine grosseur. Donc il n’est pas impossible de concevoir l’existence simultanée de deux corps dans le même lieu.

3. Saint Augustin dit sur la Genèse, que la lumière occupe la première place parmi les corps, mais la lumière coexiste simultanément avec l’air dans le même lieu; donc deux corps peuvent exister simultanément dans le même lieu.

4. "Le feu a trois espèces, la lumière, la flamme et le charbon » comme le dit Aristote dans le livre V des Topiques. Dont la lumière est un corps, et ainsi même conclusion que ci-dessus.

5. Dans le fer rougi on trouve en même temps le feu et le fer; or l’un et l’autre est un corps. Donc il est possible que deux corps existent simultanément dans le même lieu.

6. Les éléments ne sont pas corrompus dans un corps mixte, autrement le corps mixte ne suivrait pas le mouvement du dénominateur; mais les quatre éléments sont des corps et existent simultanément dans toute partie du corps mixte. Donc il est possible que deux corps existent simultanément dans le même lieu.

7. Que deux corps ne puissent pas exister simultanément dans le même lieu, c’est ce qui ne peut convenir au corps à raison de la matière, puisqu’il n’est pas dû de lieu à la matière en elle-même, ni à raison de la forme pour la même cause, ni à raison de la dimension, puisque les dimensions ne remplissent pas le lieu. Ce qui est évident d’après ce que certains disaient, qu’un lieu où il n’y avait que des dimensions était vide. Donc cela ne convient au corps qu’à raison de certains accidents postérieurs, qui ne sont pas communs à tous et qu’il est possible de séparer des corps, et ainsi il semble que deux corps peuvent exister simultanément dans le même lieu.

8. Suivant les Astrologues partisans du système de Ptolomée, six corps de planètes se meuvent dans les épicicles, qui sont des cercles qui coupent les sphères extrinsèques des planètes. Il faut donc que le corps de la planète arrive à un certain moment au lieu de l’intersection ; mais on ne peut pas dire qu’il y a là un vide, puisque la nature ne souffre pas de vide; on ne peut pas dire non plus que la substance des sphères est divisible de manière à céder la place au corps de la planète parvenue à cet endroit, comme l’air cède la place à la pierre, puisque "le firmament est solide comme s’il était d’airain," ainsi qu’il est dit dans Job, (Jb 37,18). Donc il faut que le corps de la planète soit simultanément dans le même lieu avec le corps de la sphère, et ainsi c’est donc une erreur de Boèce de dire que deux corps ne se trouvent jamais dans le même lieu.



Cependant:

On peut dire contrairement à cela que si deux corps se trouvent dans le même lieu, par la même raison plusieurs corps le peuvent aussi: Mais un corps, quelque grand qu’il soit, peut se diviser en petit de toute quantité suivant un certain nombre. Donc il s’ensuivra qu’un corps très grand sera contenu dans un très petit lieu, ce qui paraît absurde.

Il est impossible qu’entre deux points déterminés il se trouve plusieurs lignes droites; or c’est ce qui devra avoir lieu, si deux corps se trouvent dans le même lieu. Car deux points étant déterminés dans deux parties opposées d’un lieu, il y aura entre eux deux lignes droites marquées dans deux corps localisés. On ne peut pas dire, en effet, qu’entre ces deux points il n’y aura aucune ligne, ni que la ligne d’un corps localisé soit une ligne en dehors de ces corps existant entre deux points du lieu, parce que dans ce cas cette ligne ne se trouverait pas dans un sujet. Donc il est impossible que deux corps soient simultanément dans le même lieu.

De plus il est démontré en géométrie que deux cercles ne se touchent que dans un point: mais en supposant que deux corps existent simultanément dans un même lieu, il s’ensuit que deux cercles qui y sont contenus se touchent sur tous les points: donc il est impossible que deux corps existent simultanément dans le même lieu.

Les choses qui sont identiques à une autre sont identiques entre elles; mais comme il faut que la dimension du lieu et du corps localisé soit la même, par la raison qu’on ne peut pas supposer une dimension sans sujet, si deux corps existent en même temps dans le même lieu, il s’ensuivra que les dimensions des deux corps seront les mêmes que celle du lieu. Il s’ensuivra par conséquent qu’elles sont les mêmes entre elles, ce qui est impossible.



Réponse:

co.1. Il faut dire que dans les choses qui existent parmi nous, et que tout le monde avoue être des corps, nous voyons par les sens que lorsqu’un corps se présente dans un lieu, il en chasse immédiatement un autre corps. C’est pourquoi l’expérience montre que ces deux corps ne peuvent pas se trouver simultanément dans le même lieu. Il y en a qui disent que rien n’empêche que deux de ces corps se trouvent ensemble dans le même lieu à raison de la corporéité, ou pour quelque chose de la nature du corps en tant que corps, car il s’ensuivrait ainsi que ces corps en seraient empêchés par ce qui est être simultanément; mais ils disent qu’ils n’en sont empêchés qu’à raison de leur corpulence. Mais quoi qu’il en soit, ce qu’ils appellent corpulence, soit densité, ou impureté, ou corruptibilité de certains corps, ou même une nature spéciale surajoutée à la nature générale, tout cela ne peut être la cause d’une semblable impossibilité.

co.2. Il se trouve en effet une double comparaison du corps au lieu, l’une suivant laquelle un corps est placé dans tel ou tel lieu déterminé; et cette comparaison suit la nature spéciale de tel ou tel corps, comme les choses pesantes tendent à tomber à raison de la gravité, et les choses légères à s’élever. L’autre comparaison est celle suivant laquelle une chose est dite simplement être dans un lieu ; cette comparaison suit le corps d’après la nature même de la corporéité, et non à raison de quelque addition. En effet, suivant cette comparaison, un corps est dans un lieu lorsqu’il se mesure avec ce lieu; et cela se fait suivant qu’il est dimensionné par des dimensions égales et par les dimensions semblables du lieu. Or les dimensions se trouvent dans chaque corps en vertu de la corporéité même. L’existence ou la non-existence des corps dans le même lieu ne regarde pas le lieu d’une manière déterminée mais bien d’une manière absolue. C’est pourquoi la cause de cet empêchement ne doit pas être rapportée à la nature de la corporéité, en vertu de laquelle tout corps, en tant que corps, est destiné naturellement à occuper un lieu. Et si la dernière sphère n’est pas dans un lieu, c’est uniquement parce que rien ne peut être hors d’elle, et non à défaut de l’aptitude dont nous venons de parler.

co.3. C’est pour cela que d’autres accordent simplement que deux corps ne peuvent pas être simultanément dans la même place, et ils en rapportent la raison aux principes mathématiques qui doivent être saufs dans les choses naturelles, ainsi qu’il est dit dans le livre III Coeli et mundi [Le Ciel et le monde]. Mais cela ne paraît pas convenable parce qu’il ne convient pas aux choses mathématiques d’être dans un lieu, si ce n’est improprement et par similitude, comme il est dit, livre II De gener.Par conséquent, la raison de l’empêchement ci-dessus ne doit pas être tirée des principes mathématiques mais des principes naturels auxquels, à proprement parler, il est dû une place. Outre cela, les raisons mathématiques sont suffisamment concluantes dans cette matière. En effet, quoique les choses mathématiques se conservent dans les choses naturelles, les choses naturelles néanmoins ajoutent quelque chose aux mathématiques, à savoir la matière sensible, et en vertu de cette addition on peut assigner dans les choses naturelles la raison d’une chose dont cette raison ne pourrait pas l’être en mathématique. En effet, dans les mathématiques on ne peut assigner la raison de la diversité de ces deux lignes qu’à cause de la position; c’est pourquoi la diversité de la position disparaissant, il n’y a plus de pluralité de lignes mathématiques, pas plus que de superficies et de corps. Et à cause de cela, il n’est pas possible que des corps mathématiques soient plusieurs et simultanément; il en est de même des lignes et des surfaces. Mais dans les corps naturels, un adversaire peut assigner une autre raison de la diversité, par exemple d’après la matière sensible, même en faisant disparaître la diversité de position. Et par conséquent, la raison qui prouve que deux corps mathématiques n’existent pas simultanément, n’est pas suffisante pour prouver que deux corps naturels ne sont pas simultanément.

co.4. C’est pourquoi il faut user du moyen dont se sert Avicenne dans son traité De loco, et par lequel il assigne la cause de l’empêchement susdit d’après la nature même de la corporéité, par les principes naturels. Il dit en effet qu’il n’y a et ne peut y avoir d’autre cause de cet empêchement que ce à quoi il convient primairement et per se d’être dans un lieu, et c’est ce qui est naturellement destiné à remplir un lieu. Or il ne convient à une forme d’être dans un lieu que par accident, quoique quelques formes soient le principe par lequel un corps est incliné vers tel ou tel lieu. Il en est de même de la matière considérée en elle-même, parce qu’elle est ainsi conçue en dehors de tous ces genres, comme il est dit au livre VII de la Métaphysique. C’est pourquoi il faut que la matière, suivant ce qui lui est soumis, par quoi elle est l’objet d’une première comparaison au lieu, produise cet empêchement : or elle est comparée au lieu en tant que soumise à des dimensions,

co.5. et en conséquence, d’après la nature de la matière soumise à des dimensions, il résulte pour deux corps l’impossibilité de se trouver simultanément dans le même lieu. En effet, il doit y avoir plusieurs corps où se trouve divisée la forme de la corporéité, laquelle ne se divise que par la division de la matière, et la division de celle-ci ne s’opérant que par des dimensions de la nature desquelles est la position, il est impossible qu’une matière soit distinguée de l’autre autrement que par la position, ce qui n’a pas lieu quand on suppose deux corps existant dans la même place; d’où il résulterait que ces deux corps ne sont qu’un seul corps, ce qui est impossible. Donc, comme la matière soumise à des dimensions se trouve dans tous les corps, la nature même de la corporéité doit empêcher que deux corps soient simultanément dans le même lieu.



Solutions:

Il faut donc répondre à la première objection qu’une proposition peut être dite non intelligible de deux manières:

Premièrement, du côté de celui qui conçoit, lequel manque d’intelligence, comme cette proposition: il n’y a qu’une seule essence dans les trois personnes divines, et il n’est pas nécessaire qu’une semblable proposition implique contradiction.

Secondement du côté de la proposition elle-même, et cela de deux manières encore; l’une parce qu’elle implique contradiction d’une manière absolue, comme le raisonnable et le non raisonnable, et nul miracle ne peut réaliser des choses de ce genre, et l’autre parce qu’il y a contradiction d’une certaine façon, comme celle-ci: un mort revient à la vie par sa propre vertu, par exemple, puisqu’on le suppose destitué de tout principe de vie dès lors qu’on le dit mort. De telles choses peuvent se réaliser par un miracle, par l’opération d’une puissance supérieure, il en est ainsi dans le cas proposé. Comme il peut se trouver dans deux corps placés dans des lieux différents une cause naturelle de diversité, de même la puissance divine peut maintenir distincte des choses unies par position, et il peut de cette manière se faire par miracle que deux corps soient dans la même place.

A la seconde il faut dire que quelque chose que soit cette corpulence dont sont dégagés, dit-on, les corps glorieux, il est évident néanmoins qu’ils ne seront jamais dégagés de la corporéité, ni, par conséquent, de la cause qui met un obstacle naturel à la coexistence simultanée de deux corps dans le même lieu.

A la troisième il faut dire que la lumière n’est pas un corps, mais une certaine qualité, comme le disent saint Jean Damascène et Avicenne. Saint Augustin appelle lumière le feu lui-même, ce qui résulte de ce qu’il met la lumière en opposition avec l’air, la terre et l’eau.

A la quatrième il faut dire qu’il faut entendre dans ce sens les trois espèces de feu désignées par Aristote, à savoir, par lumière le feu existant dans la matière propre, en accordant même, ce que certains disent, que le feu ne luit pas dans sa sphère propre. Il n’est pas en effet de la nature de la lumière de luire, mais de faire luire par sa participation. De même du feu, quoiqu’il ne luise pas dans sa sphère propre, sa participation rend néanmoins les choses brillantes; par flamme on entend le feu dans la matière éthérée, par charbon le feu dans la matière terrestre. Mais pour la matière aqueuse, le feu ne peut pas y subsister en tant qu’ayant la nature du feu, parce que l’eau a toutes les qualités opposées au feu.

A la cinquième il faut dire qu’il n’y a pas deux corps dans le fer rougi, mais un seul corps, ayant à la vérité l’espèce du fer, mais aussi quelques propriétés du feu.

A la sixième il faut dire que, bien qu’on suppose que les éléments conservent leurs formes dans le corps mixte, il ne faut pas cependant supposer qu’ils sont plusieurs corps en acte, autrement nul corps mixte ne serait vraiment un, mais il y a pluralité eu puissance et unité en acte. Néanmoins l’opinion du Commentateur, livre III Coeli et mundi [Le Ciel et le monde], paraît plus probable; cet écrivain, blâmant ici le sentiment d’Avicenne, dit que les formes des éléments ne restent pas dans un corps mixte et ne se corrompent pas non plus entièrement mais qu’il s’en produit une forme moyenne, en tant qu’ils reçoivent le plus ou le moins. Mais comme il répugne à une forme substantielle de recevoir le plus ou le moins, il semble qu’il faut entendre ce qu’il dit dans ce sens, que les formes des éléments reçoivent plus et moins, non en elles-mêmes, mais à raison de ce qu’elles restent virtuellement dans les qualités élémentaires, comme dans des instruments spéciaux, pour ainsi dire; les formes ne restent pas en elles-mêmes, mais uniquement, en tant qu’elles sont dans leurs qualités desquelles se forme une qualité moyenne.

A la septième il faut dire que, bien que les dimensions en elles-mêmes ne puissent remplir un lieu, cependant un corps naturel, par-là même que sa matière est conçue soumise à des dimensions, a de quoi remplir un lieu.

A la huitième il faut dire que l’opinion de Ptolémée sur les épicicles et les excentriques ne paraît pas être en harmonie avec les principes naturels qu’établit Aristote, aussi cette opinion n’est pas du goût des partisans de ce philosophe. Si on veut néanmoins la soutenir, il ne doit y avoir aucune nécessité que deux corps existent dans le même lieu, parce que, suivant ceux qui ont embrassé cette opinion, on distingue trois substances dans les corps célestes, à savoir, la substance des étoiles qui est lumineuse, la substance des sphères qui est diaphane, solide et non divisible, et une autre substance qui est divisible entre les sphères, condensable à la manière de l’air, quoique incorruptible, Par le moyen de cette substance, ils échappent à la nécessité de supposer que la substance des sphères se divise, ou que deux corps coexistent dans le même lieu.




Sur la Trinité de Boèce Pars2 Qu.3 Art.4