de Hebdomadibus - Leçon 3


Leçon 4


Après avoir posé la question et formulé les raisons qui s’en déduisent, Boèce donne la solution. Sur cela il fait trois choses; d’abord il établit la vérité de la question, secondement il résout les objections quo in re soluta est quoestio, troisièmement il élève quelques difficultés contre la solution et les résout, at non alba. Sur le premier article, il met en avant une supposition, secondement il montre ce qui résulterait dans cette supposition relativement à la bonté des choses, hoc igitur paulisper, troisièmement il expose en quoi consiste la bonté des choses, suivant la vérité de lia chose en dehors de toute supposition, quoe quon non sunt simplicia. Il fait deux choses dans le premier article; d’abord il expose quelque chose qui est nécessaire, pour montrer que l’on peut faire une semblable supposition, amoveainus igitur. Il dit donc d’abord qu’il y a beaucoup de choses qui ne peuvent être séparées actu, qui le sont néanmoins mentalement et par la pensée. La raison de cela, c’est que, les choses existent dans l’âme autrement que dans la matière. Il peut donc se faire qu’une chose soit inséparablement jointe à une autre par le mode de son être dans la matière, et que cette conjonction ne soit pas inséparable, relativement au mode d’être dans l’âme, parce que les deux natures sont différentes. Il tire un exemple du triangle et des autres figures mathématiques qui ne peuvent être séparées actu de la matière sensible, quoique le mathématicien, par une abstraction mentale, considère le triangle et ses propriétés en dehors de la matière sensible, parce que la nature du triangle ne dépend point de la matière sensible. Lorsqu’il dit ensuite, amoveamus igitur, il établit la supposition qu’il a en vue, qui est d’écarter pour un temps, des autres choses, par une spéculation mentale, la présence du premier bien, ce qui est bien possible, suivant l’ordre des cognoscibles relativement à nous. En effet, quoique, suivant l’ordre naturel de cognition, Dieu soit la première chose connue, néanmoins, par rapport à nous, ses effets sensibles nous sont antérieurement connus; c’est pourquoi rien n’empêche que les effets du souverain bien ne deviennent l’objet de nos méditations, sans que nous considérions le premier bien lui-même, de telle sorte néanmoins que nous écartions ce premier bien de nos considérations, parce que son existence est pour nous quelque chose de constant. Ou peut se convaincre de cela par le sentiment commun des savants comme des ignorants, et finalement par les religions des nations barbares qui ne se seraient pas établies, s’il n’y avait pas de Dieu. Ensuite, quand l’auteur dit, hoc igitur paulisper, il montre ce qui résulte dans cette supposition pour la bonté des choses. Sur cela il fait deux choses, d’abord il déclare ce qu’il a en vue, secondement il prouve une chose qu’il avait supposée, quod si nihil aliud; il dit donc d’abord qu’après avoir écarté par l’intelligence le premier bien, il faut supposer la bonté du reste, parce que par la bonté des effets nous arrivons à la connaissance du premier bien. Considérons donc comment elles auraient été bonnes, si elles n’avaient pas procédé du premier bien. Cette supposition faite, il semble qu’en elles il y aune différence entre la bonté et l’esse.Car si l'on suppose qu’une seule et même substance est bonne, blanche, pesante, ronde, il s’ensuit que dans cette chose la substance serait une chose, la rotondité, la couleur, la bonté une autre chose. On entend en effet par la bonté d’une chose une vertu propre; par le moyen de laquelle elle exécute une bonne opération. Car la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède, ainsi que ses oeuvres, comme l’enseigne Aristote dans son Ethique; et il prouve qu’elle est différente de la substance de la chose, par la raison que si chacune des choses dont nous avons parlé était identique à la substance de la chose, il s’ensuivrait que toutes ces choses seraient identiques entre elles, c’est-à-dire que la gravité serait la même chose que la couleur, la bonté: la blancheur, la rotondité. Car les choses qui sont identiques à une seule et même chose sont identiques entre elles: or la nature des choses s’oppose à ce que toutes ces choses soient identiques entre elles. Il reste donc à dire qu’eu faisant la supposition précédente, l’esse est une chose et aliquid esse une autre chose, comme bon, blanc, ou autre chose semblable, et de cette manière, dans la supposition dont nous parlons, les choses seraient à la vérité bonnes, mais il n’en serait pas ainsi de leur esse.Ainsi donc, si en quelque manière elles ne venaient pas du premier bien, et que néanmoins elles fussent bonnes en elles-mêmes, il s’ensuivrait qu’en elles il y aurait différence entre être ce qu’elles sont et être bonnes; et il y aurait en elles un esse différent de l’esse bonum.

Quand Boèce dit ensuite, quod si nihil aliud, il prouve ce qu’il avait supposé, savoir, que dans cette supposition il y aurait dans les choses une différence entre être bon, ou être simplement, ou être quelque chose. Car s’il n’y avait en elles que la bonté, de sorte qu’elles ne fussent ni pesantes, ni colorées, ni de dimensions diverses, comme sont tous les corps, qu’elles n’eussent d’autre qualité que la bonté, il semblerait alors qu’elles ne sont pas des choses créées,mais bien le premier principe des choses, parce que ce qui est l’essence de la bonté est bien le premier principe des choses, et par conséquent il s’ensuivrait qu’il ne faut pas dire au pluriel de toutes ces choses qu’elles sembleraient être le principe des choses, mais bien au singulier, qu’elle semblerait être le premier principe des choses, comme si toutes les choses bonnes étaient simplement une seule chose, car une semblable chose n’est rien de plus que bonne. Or il est évident que cela est faux, et par conséquent ce qui a été dit en premier lieu est faux aussi, savoir, que les choses créées, en écartant le premier bien, n’auraient d’autre qualité que la bonté.

Lorsqu’ensuite le Philosophe dit, quoe quoniam non sunt simplicia, il montre ce qu’il faut penser de la bonté des choses selon la vérité. Et il dit que les choses créées n’ont pas une simplicité absolue, de telle sorte qu’il n’y ait en elle que l’essence de la bonté, et même cela ne pourrait pas être dans la nature des choses, sans la permission de Dieu, qui seul est ce qui est, comme étant l’essence même de la bonté, il s’ensuit que l’être des choses créées provient de la volonté de celui qui est essentiellement bon, c’est pourquoi les choses créées sont regardées comme bonnes. En effet, le premier bien, c’est-à-dire Dieu, est bon en ce qu’il est, parce qu’il est essentiellement la bonté même; mais relativement au bien qui est créé, il est bon à raison de ce qu’il provient du premier bien qui est bon par essence. Donc, comme l’être de toutes choses provient du premier bien, il s’ensuit que l’être des choses créées est bon, et que chaque chose créée est borine en tant qu’elle est. Mais c’est seulement ainsi que les choses créées ne seraient pas bonnes en ce qu’elles sont, si leur être ne procédait pas du souverain bien. Cette solution revient donc à cela que l’être du premier bien est bon en vertu de sa raison propre, parce que la nature et l’essence du premier bien n’est autre chose que la bonté. Quant à l’être du second bien, il est bon, il est vrai, non à raison de sa propre essence, parce que son essence n’est pas la bonté même, mais bien l’humanité ou quelque chose de semblable, son être tient sa bonté de l’habitude relative au premier bien, qui est sa cause, et auquel il est comparé comme au premier principe et à leur dernière fin, à la manière qu’une chose est dite saine et ordonnée à la fin de la santé, comme on appelle une chose médicinale, à raison qu’elle provient du principe effectif de la médecine. Il faut remarquer, suivant ce qui a été dit, qu’il y a dans les choses créées une double bonté, l’une à raison de laquelle ils sont appelés biens par relation au premier bien, et en vertu de cela leur être et tout ce qui en eux vient du premier bien, est bon. L’autre bonté est considérée en eu d’une manière absolue, en tant que chaque chose est appelée bonne, à raison de sa perfection dans l’être et dans l’opération. Cette perfection ne convient pas aux biens créés, suivant l’esse de leur essence, mais suivant quelque chose de surajouté que l’on appelle leur vertu, comme on l’a dit plus haut; et à raison de cela l’être n’est pas bon, il n’y a que le premier bien qui possède une perfection absolue dans son esse, et en conséquence son esse est bon par lui-même et d’une manière absolue.

La question est ici résolue. Quoique les êtres soient bons en ce qu’ils sont, ils ne sont pas néanmoins semblables au premier bien. L’esse des choses n’est pas bon de la même manière qu’elles sont, mais comme il ne peut pas se faire que cet esse ne provienne pas du premier être, c’est-à-dire du premier bien, il s'ensuit que cet esse est bon sans être semblable à celui dont il procède. Celui-ci, en effet, de quelque manière qu’il soit, est bon en ce qu’il est; pour celui-là, s’il ne tirait sa bonté du premier, il pourrait peut-être ne pas être, mais il ne pourrait être bon en ce qu’il est. Car alors il participerait peut-être au bien; mais il ne pourrait avoir bon l’être qu’il ne tirerait pas du premier bien.

Donc en leur enlevant mentalement et par la pensée le premier bien, ces êtres, quoique bons, ne pourraient l’être néanmoins en ce qu'ils seraient. Et comme ils n’ont pu exister en acte sans que celui qui est le vrai bien les ait produits, il en résulte que leur être est bon et que ce qui provient du bien substantiel ne lui est pas semblable; et s’ils ne provenaient de lui, quoique bons, ils ne pourraient néanmoins être bons en ce qu’ils seraient, parce qu’ils seraient en dehors du bien, non produits par lui, tandis que ce bien est le premier qui est l’esse, le bien lui-même, et l’esse bon. Mais il n’y aura pas de nécessité à ce que les choses blanches, en ce qu’elles sont blanches, soient ce qui est blanc, parce qu’elles viendraient de la volonté de Dieu ou seraient blanches, pas le moins du monde. En effet, autre chose est être, autre chose être blanc. En conséquence celui qui a voulu que ces choses existassent est à la vérité bon, mais nullement blanc. Elles ont donc répondu à la volonté du bien pour être bonnes en ce qu’elles sont; mais elles n’ont pas répondu à la volonté du blanc de manière à avoir cette propriété d’être blanches en ce qu’elles sont. Car elles ne sont pas venues de la volonté du blanc. C’est pourquoi ce qui n’est pas blanc ayant voulu qu’elles fussent blanches, elles ne sont que blanches, tandis que celui qui est bon, ayant voulu qu’elles bonnes, elles sont bonnes en ce qu’elles sont. Suivant cette raison donc toutes choses doivent être justes, parce que celui qui est juste voulut qu’elles existassent; il n’en est pas pourtant ainsi, car l’esse bon a trait à l’essence, tandis que l’esse juste n’a trait qu’à l’acte. Or esse en lui est la même chose que agere. Etre bon est donc la même chose qu’être juste. Mais pour nous être n’est pas la même chose qu’agir. Car nous ne sommes pas des êtres simples. Ce n’est donc pas la même chose pour nous d’être bons que d’être justes, mais pour nous c’est la même chose pour tout d’être en ce que nous sommes. Donc toutes choses sont bonnes, mais non justes. De plus, ce qui est général est bon, et ce qui est spécial est juste, et l'espèce ne descend pas à tout. C’est pourquoi il y a des choses justes, d’autres qui sont autres choses et tout à une bonne fin.


Leçon 5

Boèce, après avoir établi la vérité de la question précédente, résout ici l’objection en vertu de laquelle on concluait que les biens créés sont bons en ce qu’ils sont semblables au premier bien. Sur cela il Soit deux choses; d’abord il résout l’objection, secondement il résume ce qui a été dit, si igitur sublato, etc. Il dit donc d’abord que cette question est évidemment résolue par ce qui a était dit, car en effet les biens ne sont pas semblables au premier bien en ce qu’ils sont, par la raison qu’ils sont des biens, parce que l’être des choses créées n’est pas bon d’une manière absolue quel qu’il soit, mais seulement en vertu d’une habitude au premier bien. Mais comme l’esse des choses créées ne peut être sans qu’elles dérivent du premier bien, c’est pour cela que leur esse est bon. Néanmoins il n’est pas semblable en bonté au premier bien, parce que celui-ci est bon quel qu’il soit, car il n’y a en lui rien autre chose que l’essence de la bonté. C’est là la raison pour laquelle il n’y a en lui nulle perfection par addition, et il possède dans son être simple toutes sortes de perfections, comme il a été dit. Mais le bien créé pourrait peut-être être bon considéré en soi, quand même on accorderait par impossible qu’il ne procède pas du premier bien, c’est-à-dire de la bonté qui lui conviendrait d’une manière absolue: mais de cette manière il ne serait pas bon en ce qu’il est, parce qu’alors il serait bon par participation de la bonté surajoutée, mais son esse ne serait pas bon s’il ne dérivait pas du bien par l’habitude duquel l’esse des choses créées est bon. Ensuite lorsqu’il dit, si igitur sublato, il fait le résumé de ce qui a été dit et ajoute: que si on écarte des choses par l’intellect le premier bien, toutes les autres choses, quoiqu’on accorde qu’elles soient bonnes, ne seront par néanmoins bonnes en ce qu’elles sont. Mais parce qu’elles ne pourront être en acte qu’autant qu’elles auront été produites par le premier bien, qui est le vrai bien, c’est pour cela que leur esse est bon; et néanmoins l’esse provenant du premier bien n’est pas semblable au premier qui est substantiellement bon, et si les autres choses ne dérivaient de lui, quoique bonnes, elles ne seraient cependant pas bonnes en ce qu’elles sont à raison de ce qu’elles ne viendraient pas du premier bien, quoique cependant ce bien soit le premier et l’esse même, parce que son être est la propre substance, le bien même, parce qu’il est l’essence même de la bonté, l’esse bonum lui-même, parce qu’en lui l’esse et lequod est ne sont pas différents. Lorsqu’il dit ensuite, et non alba, il élève deux difficultés contre ce qui a été dit, dont il expose ici la seconde: Secundum igitur hanc rationem. Voilà ce qu’il dit dans le premier cas: On a dit que toutes choses sont bonnes en ce qu’elles sont, parce qu'elles tirent de la volonté ce qui doit le rendre bonnes. Est-ce donc que toutes les choses blanches sont blanches en ce qu’elles sont, parce que la volonté de Dieu a fait qu’elles soient blanches. Il répond lui-même que ce n’est nullement nécessaire, parce que les choses qui sont blanches ont un esse simpliciter qui leur convient suivant les principes essentiels, et une autre chose qui fait qu’elles sont blanches. La raison de cette différence entre blanc et bon, c’est que Dieu qui a fait les créatures bonnes et blanches, est bon, il est vrai, mais n’est pas blanc. Il est donc résulté de la volonté du premier bien, que les créatures fussent bonnes en tant qu’il a voulu qu’elles le fussent, et qu’elles le fussent en ce qu’elles sont comme produites par le bien, parce que l'esse des choses créées; par cela même qu’il vient du bien, a la nature du bien, comme nous l’avons dit, mais la volonté de Dieu n’a vas conféré aux choses créées la propriété d'être blanches en ce qu’elles sont, par la raison qu’elles ne procèdent pas de la volonté du blanc, comme les choses bonnes procèdent de la volonté du bien; de manière qu’on peut dire que leur esse est blanc en tant qu’elles viennent du premier blanc. Il est donc ainsi évident que parce que Dieu, qui n’est pas blanc, a voulu que quelques créatures fussent blanches, tout ce qu’on peut dire d’elles, c’est qu’elles sont blanches, mais non parce qu’elles sont. Mais parce que Dieu qui est bon a voulu que toutes choses fussent bonnes; elles sont pour cette raison bonnes en ce qu’elles sont, c’est-à-dire en tant que leur être a la raison du bien, parce qu’il procède du bien. Lorsqu’il dit ensuite, secundum igitur hanc rationem, il expose la seconde objection. On pourrait dire toutes choses sont bonnes en ce qu’elles sont, parce que celui qui est bon a voulu qu’elles fussent bonnes; par la même raison, il faut que toutes choses soient justes, parce que celui qui est juste a voulu qu’elles le fussent. Mais il répond lui-même que cette conséquence n’existe pas pour deux raisons. La première c’est que ce qui est bon signifie une certaine nature, comme l’essence. Nous avons dit, en effet, que Dieu est l’essence même de la bonté et chaque chose est appelée bonne suivant la perfection de sa propre nature; mais juste ne se dit que par rapport à l’acte, comme toute vertu. Or en Dieu être est la même chose qu’agir, par conséquent en lui être bon est la même chose qu’être juste. Mais en nous être n’est pas la même chose qu’agir, parce que nous n’avons pas la simplicité de Dieu; c’est pourquoi pour nous être, bons n’est pas la même chose qu’être justes, mais l’esse nous convient à tous en tant que nous sommes et par là même la bonté nous convient aussi. Mais l’acte de la justice ne convient pas à tous, et en ceux à qui il convient, il n’est pas la même chose que leur être. D’où il faut conclure que toutes choses ne sont pas justes en ce qu’elles sont. Voici la seconde raison, Amplius ibi. Le bien est quelque chose de général dont une certaine espèce est la justice, comme les autres vertus. Or on trouve en Dieu toute la nature de la bonté, c’est pour cela qu’il n’est pas seulement bon, mais qu’il est encore juste. Mais toutes les espèces de la bonté ne se trouvent pas en tous, les unes se trouvent dans les uns, les autres dans les autres. Il n’est donc pas nécessaire que l’espèce qui est la justice se communique à. tous les êtres, comme la bonté. C’est pourquoi il est des êtres qui sont justes, d’autres ont une autre espèce de la bonté, et néanmoins tous sont bons en tant qu'ils dérivent du premier bien.



Nous terminons ici l’exposition de ce livre: Que Dieu soit béni de tout. Ainsi soit-il.



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